Lewebmagazine de la communauté des professionnels des courses au galop. Pour vous, l'équipe de connaissance de livres (en français majoritairement) sur les courses au galop, la relation homme cheval, etc. Ceux que nous avons appréciés et sur lesquels nous souhaitons communiquer figurent ici.

Comment les Français utilisent les rĂ©seaux sociaux en 2022 Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger ? Conseils marketing, RĂ©seaux sociaux Quel rĂ©seau social pour trouver ses clients ? Aujourd’hui Facebook fait partie du groupe Meta. C’est le nom que Marc Zuckerberg a donnĂ© Ă  sa sociĂ©tĂ© qui regroupe les applications WhatsApp, Instagram, Facebook et pour MĂ©tavers, un univers parallĂšle ou on vivrait grĂące Ă  tous les services dĂ©ployĂ©s interactivitĂ© sociale, achat, jeux, concert
Dans cet article nous allons voir leurs diffĂ©rentes utilisations de ces applications par les Français entre 2018 et 2022. Cela permet de savoir oĂč se trouve sa cible client et de commencer Ă  interagir avec MĂ©diamĂ©trie Les chiffres clĂ©s du groupe Meta. Ces 4 rĂ©seaux sociaux rĂ©unies reprĂ©sentent environ 36 millions de visiteurs par jour. Ce qui veut dire que prĂšs de 60 % de la population française utilise soit WhatsApp, soit Messenger, soit Facebook ou Instagram au moins 1 fois par 24 un aubaine pour trouver des clients !En utilisation cumulĂ©e, cela correspondrait approximativement Ă  24 minutes par jour et par français. si on divise par le nombre de Français, y compris Mamie qui n’a pas de compteMĂ©ta et ses diffĂ©rentes applications concentrent 16 % du temps de navigation total des 15/24 ans ont pratiquement quadruplĂ© leur consommation de ces applications entre 2018 et 2022. Ils Ă©taient 76 % en janvier de cette annĂ©e alors qu’ils dĂ©passaient Ă  peine les 20 % il y a 4 ans. Comment les Français passent leur temps sur les rĂ©seaux sociaux en 2022 tableau comparatif avec 2018 La proportion d’utilisation par rĂ©seau social de Meta. En 2018 Facebook reprĂ©sentait Ă  lui seul prix de 80 % de tout Meta. Aujourd’hui son taux est tombĂ© Ă  50 %. Il faut dire qu’Instagram a connu un Ă©norme essor. Cette application occupe prĂšs d’un quart du temps accordĂ© au groupe Meta. Facebook est donc encore bien dans la course pour permettre de trouver de nouveaux clients. Messenger et WhatsApp, les messageries de ce conglomĂ©rat, sont employĂ©es chacune pour un huitiĂšme du temps passĂ©. Elles permettent des Ă©changes rĂ©gulier avec ces clients, fournisseurs ou mĂȘme la famille. Vive les rĂ©seaux ! Pourquoi les 14/24 ans sont plus largement sur le rĂ©seau Instagram ? En 2022 Instagram s’impose auprĂšs des plus jeunes. La plate-forme reprĂ©sente 64 % du temps passĂ© sur le service du groupe Meta dans cette tranche d’ d’un djeune sur cinq choisit de n’utiliser qu’Instagram. Ils dĂ©laissent les autres applications proposĂ©es par le groupe conclusion, si tu as une cible de moins de 25/30 ans, mieux vaut privilĂ©gier le rĂ©seau social Instagram pour communiquer avec eux et trouver de nombreux clients. Comment les Français utilisent les rĂ©seaux sociaux en 2022 les diffĂ©rence entre les Ăąges Facebook est toujours le plus actif des rĂ©seaux sociaux En comparaison d’instagram, Facebook et largement utilisĂ© par les 50 ans et plus. Environ 65 % de cette tranche d’ñge a recourt ce rĂ©seaux social. De la mĂȘme maniĂšre, les plus de 50 ans se sont mis Ă  communiquer massivement sur WhatsApp et nouvel essor des messageries serait-il dĂ» au Covid ?Quelle famille n’a pas encore son WhatsApp, son Groupe Messenger pour Ă©changer toutes sortes d’information ? Quoi qu’il en soit, Facebook est toujours une mine d’or pour trouver tes clients en 2022. On note toutefois que les CSP- utilisent davantage Messenger alors que les CSP+ privilĂ©gient WhatsApp Pour rappel la dĂ©finition des audiences ces CatĂ©gories Sociaux-Professionnelles se basent sur les revenus, et donc les dĂ©penses possibles de ladite catĂ©gorie. La catĂ©gorie d’audience des CSP+ regroupe plutĂŽt les chefs d’entreprises, les artisans et commerçants, les cadres, les professions intellectuelles supĂ©rieures et les professions CSP+ sont une cible privilĂ©giĂ©e des actions marketing Ă  cause de son pouvoir d’ “haut du panier” des CSP+ est constituĂ© des CSP ++ » qui peut donc consommer encore les dĂ©finitions complĂštes ici CSP — DĂ©finitions marketing » L’encyclopĂ©die illustrĂ©e du marketing Augmente ta visibilité sur le net Quelles conclusions tirer de cette utilisation des rĂ©seaux sociaux en 2022 ? Ces chiffres peuvent aider Ă  crĂ©er ton persona marketing ta cible et Ă  savoir sur quel rĂ©seau social aller lui parler. Si tu t’adresses Ă  des jeunes, tu peux privilĂ©gier Instagram et l’image. Si la moyenne d’ñge de tes clients et de plus de 50 ans, tu as plus de chance de les trouver sur fonction de leurs revenus, tu peux aussi dĂ©terminer le type de messagerie avec lequel tu veux rentrer en contact avec eux. Faut-il aussi avoir un site web ? RĂ©ponse dans cet article Si tu souhaites ĂȘtre aidĂ© dans la mise en place de ta stratĂ©gie rĂ©seaux sociaux, tu peux compter sur moi prends rendez-vous par ici pour qu’on en discute ou Comment augmenter le trafic sur ton site Web, de façon simple ? Conseils marketing, RĂ©seaux sociaux, Web / internet Comment augmenter le trafic sur ton site Web ? C’est le nerf de la guerre plus tu as de monde qui visite ton site, plus tu as de chance d’avoir des rendez-vous, de vendre tes prestations ou tes produits. Il faut savoir que seulement 3 % Ă  10 % des visiteurs passent Ă  l’acte achat, rendez-vous
. MĂȘme sur de gros sites comme la raison pour laquelle il est essentiel de travailler son site Web de maniĂšre Ă  attirer des visiteurs. Le plus cela nous allons voir 4 façons simples pour acquĂ©rir plus de trafic. Pour connaĂźtre le nombre de passages sur ton site Web, tu as dĂ» mettre en place un analytics » sur ton site Web. Il existe Google Ananlytics, Rank Math, Monster Sight ou Mamoto pour ne citer qu’eux. ATTENTION restons RGPD dans la collecte des donnĂ©es. vidĂ©o Instagram qui montre que la plupart ne respectent pas le RGPD europĂ©en Tu dois aussi t’assurer que ton site n’a aucun problĂšme d’indexation et le faĂźte d’ĂȘtre dans les index de l’Internet gĂ©nĂ©ral, comme un immense sommaire oĂč on pourrait retrouver ton site..T’assurer que Google, Qwant, et tous les moteurs de recherche ont bien vu ton site, qu’il existait et qu’il avait une certaine vĂ©rifier tout ça tu as l’outil Google search console dont je parle dans cet ton site est bien indexĂ©, tu peux gĂ©nĂ©rer plus de trafic grĂące Ă  ses 4 idĂ©es simples Quand tu as besoin de lĂ©gumes, ça te gonfles qu’on te proposes 1000 autres choses non ? Ben sur un site web c’est pareil donne Ă  ton visiteur ce qu’il est venu chercher. 1/ Soigne le contenu des pages de ton site Web Lorsqu’un internaute tombe sur ton site Web, il doit trouver du contenu utile. C’est-Ă -dire des infos qui vont lui parler dans les trois secondes oĂč il arrive. 1/ Quand quelqu’un arrive sur ton site, tu as 3 secondes pour convaincre Si ton visiteur ne voit pas la rĂ©ponse qu’il est venu chercher, il repart vers une autre explication, un autre site la publicitĂ© en bord de route, tu as 3 secondes d’attention pour faire passer ton message. C’est court. Soit prĂ©cis et trĂšs direct, dĂšs la page d’accueil. 2 / Tu dois rĂ©pondre Ă  la problĂ©matique qu’il est venu rĂ©soudre. Et inciter tes visiteurs Ă  aller rechercher des solutions, soit dans ton site, soit les amener Ă  prendre rendez-vous
Tu dois offrir un contenu le plus clair possible. Plus tes prospects trouveront de rĂ©ponses sur ton site, plus ils reviendront et te feront confiance. Tu vas leur rapporter ce dont ils ont envie pour, plus tard, avoir le dĂ©sir de travailler avec toi. Mets-toi dans leur tĂȘte et imagine ce qu’ils aimeraient savoir, ce qui va les conduire Ă  bosser avec toi Ont-ils besoin de savoir comment prendre rendez-vous ?Veulent-Ils connaĂźtre tes rĂ©fĂ©rences ?Est-ce que parler d’un sujet prĂ©cis les amĂšnerait Ă  te faire confiance ? Ton site Web est lĂ  pour rĂ©pondre Ă  leurs interrogations. Si tu veux des cactus, tu vas pas sur un site de plantes vertes
 mais tu vas te servir de ce mot pour ton SEO. 2/ Travaille ton rĂ©fĂ©rencement et tes mots-clĂ©s. Le SEO qu’est-ce que c’est ? Ce sont les mots que les gens vont employer et/ou taper dans les moteurs de recherche. Il espĂšre trouver une solution Ă  leur problĂ©matique. C’est-Ă -dire que plus tu seras prĂ©cis dans ce que tu leur rĂ©ponds, meilleur sera ton exemple tu souhaiterais rempoter un cactus, si tu tombes sur un site gĂ©nĂ©raliste de plantes vertes tu vas ĂȘtre déçu, car les plantes grasses ou les cactĂ©es sont des beautĂ©s Ă  part. Trouver les mots-clĂ©s idĂ©aux pour attirer du trafic Il existe les mots-clĂ©s simples, ou mots-clĂ©s de longue traĂźne. Aujourd’hui, quand tu vas sur un moteur de recherche tu tapes une phrase complĂšte. Fini le temps oĂč un seul mot t’amenait vers la bonne la profusion de sites Web, l’internaute a tendance Ă  poser directement une question sur Google, Qwant, Bing, Ecosia
Plus ces interrogations et leurs explications sont dans ton site Web, mieux tu seras existe des choses Ă  mettre en place, trĂšs simples, pour un site Web optimisĂ© nommer tes images, allĂ©ger ton site
 et surtout rĂ©pondre aux questions que se pose ton client. Le rĂ©fĂ©rencement est un mĂ©tier complet. Tu peux faire les premiĂšres Ă©tapes Ă  partir du moment oĂč tu sais qui tu vises et ce qu’il recherche. Ton fameux persona marketing ». Augmenter le trafic sur ton site web = ĂȘtre aussi prĂ©sent sur les rĂ©seaux sociaux 3/ ĂȘtre prĂ©sent sur les rĂ©seaux sociaux On le sait Facebook LinkedIn ou Instagram permet de garder le lien avec ses clients. Malheureusement pour un mot de trop on peut se faire fermer son compte. Les rĂ©seaux sociaux ont leurs propres pour ça qu’il est indispensable d’ĂȘtre sur les rĂ©seaux sociaux, mais de renvoyer vers son site Web. Le vrai moyen de garder le contact avec son client c’est le mail. on en parle juste aprĂšs Pour ĂȘtre bien rĂ©fĂ©rencĂ© localement, Facebook ou Instagram te permettent de crĂ©er des pages dĂ©diĂ©es Ă  tes services ou ton commerce. Cela te multiplie ton rĂ©fĂ©rencement. Comme dit dans un prĂ©cĂ©dent article, le fait d’avoir des liens des rĂ©seaux sociaux vers ton site Web est une forme de reconnaissance. Cela va prouver ton existence et donc te permettre d’ĂȘtre mieux si les rĂ©seaux sociaux dĂ©testent qu’on les quitte pour aller vers un site Web, c’est un moyen essentiel d’amener du trafic. Pense Ă  mettre rĂ©guliĂšrement ton site Ă  jour et Ă  envoyer tes fans dessus. Les liens entrants vers ton site Web vont augmenter sa notoriĂ©tĂ© et par lĂ  son SEO. Plus tu as de trafic et mieux tu seras visible dans les moteurs de recherche. L’équation est simple plus tu as de visites = meilleures sont tes solutions. Donc les moteurs de recherches vont te mettre en avant, car tu rĂ©ponds aux internautes. augmenter le trafic sur ton site web grĂące Ă  ta liste email 4/ rĂ©cupĂ©rer les emails de tes clients sur ton site Web ConquĂ©rir de nouveaux clients est plus difficile que de faire revenir ceux qui ont dĂ©jĂ  achetĂ©. Une fois que quelqu’un t’a fait confiance, il sera plus enclin Ă  racheter une prestation ou un produit chez pour cette raison que l’email marketing existe. À partir du moment oĂč une personne vient sur ton site pour un domaine prĂ©cis, tu peux lui demander de laisser son adresse mail. Souvent on va lui offrir quelque chose pour obtenir cette adresse promos, guide gratuit, rĂ©duction sur une premiĂšre commande
 Loin des yeux loin du cƓur » Tu vas ainsi engager un dialogue avec tes consommateurs. C’est aussi un moyen simple de garder le contact et de te rappeler Ă  lui c’est Ă  faire avec parcimonie et de mail tut la relation. Surtout si tes courriels n’apportent pas de valeur Ă  ton des emails rĂ©guliers que tu dĂ©dies Ă  tes abonnĂ©s, tu restes prĂšs d’eux, et ainsi que tu crĂ©es un lien durable. Conclusion il est trĂšs simple d’amener plus de trafic sur son site Web Certes ça demande du temps, mais mis bout Ă  bout, toutes ces techniques t’aideront Ă  faire dĂ©coller ton site Internet. Il ne s’agit pas de tout faire d’un seul coup. Peut-ĂȘtre, commencez Ă  les intĂ©grer au fur et Ă  mesure. Si tu as besoin de plus d’explications, je suis disponible par lĂ  pour en discuter et voir quelles solutions te proposer. Si tu veux crĂ©er toi-mĂȘme un site Web qui se dĂ©marque, avec toutes mes astuces de rĂ©fĂ©rencement et marketing, va voir par lĂ  👈C’est une formation qui te permettra d’avoir la maĂźtrise de ta communication et de ton site Internet Augmente ta visibilité sur le net 4 conseils pour dĂ©marquer ton site Web de la concurrence Conseils marketing, Web / internet Plus le site Web est personnalisĂ©, plus ton client te fais confiance. Que tu veuilles un site Internet pour mettre en avant un portfolio, des services, ton activitĂ©, ce qui compte c’est d’amener les internautes Ă  aller vers toi. Aujourd’hui, un site Internet personnalisĂ© est idĂ©al pour se quatre idĂ©es qui vont aider Ă  avoir une rĂ©elle identitĂ© sur Internet. C’est grĂące Ă  cela que tu vas attirer de nouveaux prospects. Comment faire rejaillir ma personnalitĂ© sur mon site Web Aujourd’hui la technique nous permet de faire des sites Web soit trĂšs Ă©purĂ©, soit foisonnant de bonnes on voit trop souvent de site Internet identique. Ils sont issus de templates dĂ©jĂ  prĂȘts Ă©tablis, et au final sont trĂšs site Web est justement un espace oĂč tu peux exprimer toute ta personnalitĂ©. Il est une occasion unique de montrer aux internautes qui arrivent tout ce que tu es capable de travers des graphismes, Ă  travers une conception, par tous ces petits dĂ©tails on peut rĂ©ellement s’ tu vois quelqu’un en uniforme, tu te doutes que ce n’est pas un clown. Il reprĂ©sente via ses habits une certaine rigueur, un respect de la loi
 Tout un imaginaire. L’habit ne fait pas le moine Cette expression est complĂštement fausse. Je ne sais pas ce qu’elle fait dans le vocabulaire français. On a tous jugĂ© une personne par rapport aux vĂȘtements qu’il porte, Ă  sa tenue, Ă  sa façon de un site Web, c’est exactement la mĂȘme chose. Avoir un site Web professionnel, mais qui te ressemble rien qu’à toi est une Ă©vidence pour toucher le cƓur de tes clients. Moine Bouddhistes vs moins ChrĂ©tien Créés un site web qui te ressemble Comment avoir un site Web qui se dĂ©marque ? Afin d’avoir une identitĂ© graphique proche de ce que tu veux faire ressentir Ă  tes clients, choisis tes images, tes couleurs, ou mĂȘme une police qui soit en accord avec ton exemple si tu es quelqu’un de trĂšs nature, trĂšs extraverti et sociable, tu peux utiliser des emojis ou des couleurs l’inverse si tu es quelqu’un de beaucoup plus introverti, ou que tu as besoin de prĂ©senter un message sĂ©rieux, tu peux employer des nuances sombres et des typos beaucoup plus carrĂ©es avec empattement. Comment choisir tes couleurs, tes images, 
 et personnaliser son site web ? Pourquoi exprimer ses passions Ă  ses expĂ©riences professionnelles dans sa communication ? MĂȘme si ton site Internet a pour objectif d’exposer ton travail ou tes tes services, mets en avant des projets personnels sur lesquels tu aimerais bosser, ou que tu as dĂ©jĂ  sais que ça peut paraĂźtre contre-productif, mais parler de ses idĂ©es permet d’établir un lien de connexion fort avec les internautes. Comme dans toute relation sociale il est plus facile d’échanger avec des personnes qui ont des points communs avec toi, que des individus avec qui tu n’as rien Ă  semble bizarre, mais j’ai rencontrĂ© des clients grĂące Ă  la randonnĂ©e, ou parce que nous avions des points communs sur lequel discuter, autre qu’uniquement du je me sers souvent des rĂ©seaux sociaux pour parler de ce que j’aime. Sans forcĂ©ment Ă©voquer mon job. Bon Ă  savoir exprimer les diffĂ©rentes facettes de sa personnalitĂ© sur son site. Que tu sois bĂ©nĂ©vole, randonneuse, fan de shopping
 Cela donne des indications Ă  ton client sur qui tu es rĂ©ellement. Cela va lui permettre de comprendre ta mentalitĂ©, tes valeurs et il saura s’il peut bosser avec toi. Comme je le dis souvent, on travaille beaucoup mieux avec des tempĂ©raments proches de soi qu’avec des individus avec qui on reste distant. Quelle que soit l’offre proposĂ©e. Un site Web pour exprimer tes opinions et tes envies MĂ©ditation ou Musique Ă  fond ? Le business de l’Humain Ă  l’Humain crĂ©er un site pour un ĂȘtre humain Aujourd’hui il y a tellement d’offres sur le Web qu’il faut Ă  tout prix te diffĂ©rencier. Exprimer son humanitĂ©, dĂ©peindre qui tu es et ce que tu peux apporter Ă  tes prospects. C’est en montrant ta vraie nature que tu vas attirer des individualitĂ©s qui te sont proches. De plus c’est la meilleure façon d’amener vers toi des projets intĂ©ressants. Tu passeras du travail alimentaire » Ă  un job de passion, car tu pourras avoir un Ă©change avec tes clients, voire mĂȘme Ɠuvrer sur des idĂ©es dont tu n’avais mĂȘme pas osĂ© rĂȘver. Passion basket fĂ©minin LFB ou Fiba pour les compĂ©titions internationales. Soutiens Ă  Britney Griner la plus grande Ă  droite actuellement retenue en Russie Mars 2022. Un site Web pour exprimer tes opinions sans ĂȘtre revendicatif. Bien sĂ»r que tu peux crĂ©er un site Web si tu as des convictions trĂšs fortes sur certains points. Dans ton site professionnel, tu peux aborder ces diffĂ©rents points de friction. Car oui, si tu as un avis tranchĂ©, tu vas forcĂ©ment blesser des personnes. Mais rester neutre Ă©quivaut Ă  avoir un site Web Ă©chappĂ© d’un template basique tu ressembleras trop aux autres. Tu n’exprimeras pas ton tes mots, choisis tes images, opte pour une façon de t’affirmer qui te correspond. Ou exprimer ton point de vue sur un site Web ? Tu peux te servir de ta page Ă -propos pour affirmer qui tu es, ce que tu as dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©, ou ce que tu aimerais accomplir. As-tu Ă©tĂ© bĂ©nĂ©vole, as-tu participĂ© Ă  des manifestations, quelles sont tes passions
 Tu peux Ă©galement expliquer si tu as des projets Ă  affirmer ton point de vue sur ton mĂ©tier, mais encore sur comment les autres le pratique. Utiliser ta photo de profil pour te dĂ©marquer en fonction de ton image tu indiques si tu es nature, influenceuse, 
 Utiliser son blog pour s’exprimer. Ton blog est la partie de ton site ou tu peux mettre en avant toute ton expertise. Il peut aussi te permettre d’écrire des articles coup de cƓur. Des papiers coup de gueule. Des textes qui vont poser tes Ă©mettant tes points de vue, tu as plus de chance de rentrer en communication avec un certain type de clientĂšle ceux qui seront proches de tes idĂ©es. Ceux qui se ressemblent s’assemblent ! Augmente ta visibilité sur les réseaux sociaux Associer ton surnom avec ton nom de domaine. Parfois j’ai des clients qui ont du mal Ă  mettre leur nom de famille en tant que nom de domaine. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils sont mieux reconnus avec un pseudonyme, une expression, un point d’accroche diffĂ©rent de leur nom propre. Es-tu prĂȘt Ă  pousser l’expĂ©rience jusque dans ton nom de domaine ? Il ne s’agit pas lĂ  de mettre le nom de ta sociĂ©tĂ© Ă  la place de ton nom de famille. Mais bien d’utiliser ce petit sobriquet qu’on utilise pour te dĂ©signer Le Chasseur de TerroirCheffe AurĂ©lieGustat-Yves
 Comment mettre en avant ta personnalitĂ© dans le nom de ton site Web ? Tu peux crĂ©er une marque personnelle branding, on accolant ton nom ou ton prĂ©nom avec ton qualificatif peut trĂšs bien ĂȘtre de ta propre initiative. On rencontre partout les roi du marketing », influenceur nature »  Des individus autoproclamĂ©s, qui souhaitent se prĂ©senter via leurs peut ĂȘtre pertinent dans un secteur trĂšs concurrentiel de donner Ă  son site Web un nom de domaine dans sa discipline. Utiliser son blog et son site web pour exprimer ses passions ou sa personnalitĂ© Conclusion comment construire un site Web personnel ? CrĂ©er son propre site Internet permet de le personnifier, comme on choisit ses vĂȘtements, sa coiffure, sa communication. On affirmer ainsi qui on est. De cette façon on rencontre des gens proches de nos opinions, avec qu’il sera plus facile de travailler. Pour exprimer ton identitĂ©, tu dois donc penser Ă  Webdesign totalement propre. C’est la raison pour laquelle j’ai mis au point un accompagnement pour la rĂ©alisation de ton site Web. Je sais combien il est difficile de se lancer dans la technique, c’est pour ça que j’ai conçue cette formation pour t’accorder le droit de te focaliser sur la crĂ©ation devient alors un jeune enfant d’avoir son propre site Web. Tu pourras le personnaliser, le modifier, l’adapter Ă  ta mis en place des apprentissages en vidĂ©o, visible Ă  tout moment. Ça te permet de travailler ton site Internet quand tu le reste disponible quand un souci se prĂ©sente, si tu n’es pas sĂ»r de toi, ou simplement si tu as besoin de conseils marketing ou couleurs
 Rejoins-moi en cliquant ici Facebook/Meta 2021 mauvaise annĂ©e ou le dĂ©but de la fin ? Communication, Conseils marketing, RĂ©seaux sociaux Connais-tu Meta ? En fait c’est le nouveau nom de Facebook, car Mark Zuckerberg souhaite crĂ©er un metavers ». Ce serait un univers parallĂšle, une sorte d’immense centre commercial avec boutiques, salles de jeux, bar et lieux de rencontre
 et mĂȘme des salles de spectacles ! Savais-tu qu’il y avait eu de super concerts sur Meta ? Non, en fait quasiment personne ne l’a su
 il fallait ĂȘtre en plus Ă©quipĂ© d’un casque de rĂ©alitĂ© virtuelle pour y participer
 le bide total !Quand tu lances ton appli smartphone, tu as la petite icĂŽne Meta le symbole infini Ă  la place du sigle Facebook. L’application Business Suite pour programmer tes publications se renomment Meta gros, nous ce qu’on voit c’est surtout un changement de nom. Mais Meta a entraĂźnĂ© quelques problĂšmes, directement ou indirectement. les 6 raisons pour lesquelles Facebook dévisse en bourse L’action Facebook devenu Meta a dĂ©vissĂ©e en bourse rĂ©cemment. D’aprĂšs le New York Times voici les 6 grandes raisons de cet affaiblissement 6 raisons pour lesquelles Meta est en difficultĂ©MĂ©ta, l’entreprise anciennement connue sous le nom de Facebook a subi jeudi la plus forte dĂ©gringolade de son histoire en une journĂ©e son action a plongĂ© de 26 % et sa valeur boursiĂšre a chutĂ© de plus de 230 milliards de dollars
 » 1/ “La croissance des utilisateurs a atteint un plafond. 
 son application principale de rĂ©seau social Facebook a perdu environ un demi-million d’utilisateurs” Explication En France, 1 personne sur 2 possĂšde un compte Facebook et y va rĂ©guliĂšrement dessus
 Sauf que ces utilisateurs “vieillissent”. En effet, les plus jeunes qui ne souhaitent pas y croiser leurs parents, ont optĂ© notamment pour Tik Tok. 2/ Les changements apportĂ©s par Apple limitent Facebook/Meta. » Tu ne l’as peut-ĂȘtre pas remarquĂ©, mais Apple permet dĂ©sormais aux propriĂ©taires d’iPhone de laisser — ou non — des applications comme Facebook surveiller leurs activitĂ©s en ligne. Ce qui signifie que tu peux choisir d’ĂȘtre tracĂ© ou non. Et ce bouleversement aurait fait perdre 10 Milliards Ă  Facebook. En effet, quand tu crĂ©er des publicitĂ©s sur le rĂ©seau social, tu cibles ta clientĂšle en fonction de plusieurs si on demande Ă  ne plus ĂȘtre tracĂ©, on ne peut donc plus ĂȘtre identifiĂ© sur des annonces changement Ă  fait trĂšs mal Ă  tous ceux qui utilisaient la publicitĂ© Facebook. 3/ Google vole la part de la publicitĂ© en ligne de Facebook/Meta » Dans la pub en ligne il y a 2 gros annonceurs Facebook et Google. Comme Facebook ne peut plus cibler correctement les utilisateurs d’iPhone, Google en profite. Logique. Les annonceurs qui ne peuvent plus atteindre leur clientĂšle via Facebook, du fait des restrictions Apple, se tournent vers Google pour les ainsi que la sociĂ©tĂ© a annoncĂ© des ventes record, en particulier dans le domaine de la publicitĂ© pour le commerce Ă©lectronique. C’est cette mĂȘme catĂ©gorie qui a fait trĂ©bucher Meta au cours des trois derniers mois de 2021. » Facebook perds des clients et de l’argent visualisation de l’action sur le dernier mois. 4/ TikTok et Reels prĂ©sentent une Ă©nigme. Depuis plus d’un an, M. Zuckerberg a soulignĂ© le formidable ennemi qu’est TikTok. »Effectivement, depuis qu’Instagram est rentrĂ© dans le groupe Meta, Mark Z court aprĂšs Tik a beau lancer les stories, les vidĂ©os live puis les Reels
 mĂȘme en essayant de cloner TikTok, Meta n’a pas les retombĂ©es Ă©quivalentes. 5/ Les dĂ©penses pour le mĂ©tavers sont folles. M. Zuckerberg croit tellement que la prochaine gĂ©nĂ©ration d’internet est le mĂ©tavers — un concept encore flou et thĂ©orique qui implique des personnes se dĂ©plaçant dans diffĂ©rents mondes virtuels et de rĂ©alitĂ© augmentĂ©e — qu’il est prĂȘt Ă  dĂ©penser beaucoup pour cela. »VoilĂ , une innovation telle exige un investissement immense !OK, mais aujourd’hui l’utilisation de casque virtuel est quand mĂȘme rĂ©servĂ©e Ă  une certaine Ă©lite riche et joueuse. Cela va prendre du temps pour toucher le plus grand nombre
 et encore, si l’envie est lĂ . On est encore loin d’avoir ce dĂ©sir de vivre dans un Metavers, comme le prouve la pandĂ©mie actuelle, on a besoin de contact social IRL In Reel Life – dans la vraie vie Est-on prĂȘt pour le Metavers, cet univers virtuel ? 6/ Le spectre de l’antitrust plane. 
 MĂ©ta fait face Ă  de multiples enquĂȘtes, notamment de la part d’une Federal Trade Commission nouvellement agressive et de plusieurs procureurs gĂ©nĂ©raux d’État, pour dĂ©terminer si la sociĂ©tĂ© a agi de maniĂšre anticoncurrentielle. »La loi antitrust amĂ©ricaine interdit Ă  une entreprise d’avoir un la petite histoire, quand Apple avait des difficultĂ©s financiĂšres et allait se crasher, c’est Microsoft, son unique concurrent sur le sol amĂ©ricain, qui a mis des sous. Oui, Bill Gates a investi dans Apple ! S’il ne l’avait pas fait Ă  l’époque, Microsoft aurait eu le monopole sur les systĂšmes d’exploitation informatiques et aurait Ă©tĂ© dĂ©mantelĂ©e par l’état c’est ce qui pend au nez de Mark Z. qui achĂšte les sociĂ©tĂ©s qui lui plaisent et construit
 un gigantesque rĂ©seau social accaparant tous les seul moyen d’éviter l’État amĂ©ricain c’est de prouver qu’il innove, car l’innovation est forcĂ©ment unique
 au dĂ©but. Augmente ta visibilité sur le web Les mauvaises langues parle encore de la fin de Facebook
 Sans aller jusque lĂ , je rappelle Ă  quel point il est essentiel de ne pas dĂ©pendre d’une seule plateforme. Surtout quand on ne maĂźtrise pas les peut Ă  tout moment te bloquer ton compte. Alors qu’avec une bonne stratĂ©gie et un site web, tu as ton es le maĂźtre de ta tu ne dĂ©pends plus des rĂšgles des autres. CrĂ©er un site web professionnel soi-mĂȘme, sans les contraintes techniques, c’est possible !Commence avec ce guide pour t’aider Ă  rĂ©aliser ton site web Les 9 Ă©tapes essentielles pour un site web remarquable & remarquĂ© RĂ©fĂ©rencement local pour petites entreprises le guide ultime Communication, Conseils marketing, Web / internet Le rĂ©fĂ©rencement n’est pas rĂ©servĂ© qu’aux grandes sociĂ©tĂ©s. En tant qu’entreprise locale, ou solopreneur, tu peux obtenir de trĂšs bons rĂ©sultats dans les moteurs de recherches. Cet article sur le rĂ©fĂ©rencement local va te guider Ă  travers les Ă©tapes essentielles pour ĂȘtre remarquĂ©es sur la toile et spĂ©cifiquement dans ta rĂ©gion. La principale diffĂ©rence entre le SEO et le rĂ©fĂ©rencement local rĂ©side dans le type de rĂ©sultats de recherche dans lequel tu souhaites apparaĂźtre. Le rĂ©fĂ©rencement/SEO consiste Ă  ĂȘtre classĂ© dans les rĂ©sultats d’un moteur de recherche indĂ©pendamment d’un lieu particulier. C’est-Ă -dire pour les recherches nationales ou internationales. Cela signifie que tu es en concurrence avec de gros acteurs qui ont souvent plus de moyens Ă  allouer Ă  leur site Web et qui seront toujours en premier dans les rĂ©sultats de recherches. Le rĂ©fĂ©rencement local, lui, tend Ă  optimiser ton site pour des rĂ©sultats ciblĂ©s Ă  une rĂ©gion donnĂ©e. Par exemple crĂ©ation site Web Valence” va te montrer en prioritĂ© les sites proposant de crĂ©er des sites Web sur la rĂ©gion de Valence dans la DrĂŽme. Aujourd’hui on peut demander une recherche prĂšs de chez moi ». Dans la mesure oĂč ton moteur de recherche te gĂ©olocalise, il est intĂ©ressant, si tu as une clientĂšle locale, de bien spĂ©cifier oĂč tu es. Cela permettra aux internautes de trouver tes services disponibles justes Ă  cĂŽtĂ© deux.[oui, ta box et les moteurs de recherche connaissent ton adresse]L’amĂ©lioration du site Web de ta petite entreprise pour les recherches locales est quasi identique aux Ă©tapes du rĂ©fĂ©rencement ordinaire. Cet article va t’aider Ă  comprendre les principes de base du SEO Search Engine Optimisation = optimisation pour les moteurs de recherches pour ton site Web pour le rĂ©fĂ©rencement local. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 Comprendre le SEO/rĂ©fĂ©rencement plus en dĂ©tail 1/ CrĂ©er un bon site Web Soyons honnĂȘte nos petits sites Web ne sont pas des Rolls-Royce face Ă  ce qu’on peut trouver sur Internet. Mais il n’a pas besoin d’ĂȘtre parfait, il doit juste rĂ©pondre Ă  certaines normes pour ĂȘtre au top. Par exemple l’arborescence du site, sa vitesse de chargement ou sa sĂ©curitĂ© sont des Ă©lĂ©ments vraiment importants. Ces trois critĂšres agissent sur le rĂ©fĂ©rencement. Aujourd’hui on sait que Google travaille aussi au rĂ©fĂ©rencement des sites via l’expĂ©rience utilisateur grĂące Ă  la vitesse de chargement Lire l’article.Si tu n’as pas encore de site Web je te conseille d’en crĂ©er un avec WordPress LIEND’ailleurs dans la formation que je propose pour t’accompagner Ă  crĂ©er ton site, je donne de nombreux conseils afin d’ĂȘtre mieux rĂ©fĂ©rencĂ©. Augmente ta visibilité sur Google 2/ Travailler son image de marque. En quelques secondes ton cerveau a scannĂ© et analysĂ© l’information que tu as en face de toi. Il en est de mĂȘme pour l’image que tu renvoies. Ton futur client va se faire une idĂ©e » de qui tu es par rapport au branding que tu exposes. C’est-Ă -dire, pour commencer, un logo et un slogan slogan est-il capable de reprĂ©senter ton entreprise sans aucune explication ?Que rĂ©vĂšlent ton logo et son slogan sur tes valeurs et ton domaine d’expertise ?C’est une façon de te reconnaĂźtre et c’est tout aussi important pour le rĂ©fĂ©rencement des petites structures que pour celui des grandes peux travailler sur ton identitĂ© de marque sans investir beaucoup d’argent. Il suffit d’ĂȘtre cohĂ©rent dans la couleur, dans les formes, dans ton discours
 Ce qui est dĂ©terminant pour dĂ©velopper ton image, et donc ton expertise, c’est de publier soit sur un blog soit sur les mĂ©dias sociaux
 Mais surtout de partager tout ce que tu sais. Google est ton alliĂ© dans le rĂ©fĂ©rencement local. Pour aider ce gĂ©ant du Net Ă  comprendre oĂč se trouve ton entreprise, et ainsi oĂč te placer dans les rĂ©sultats locaux, il est essentiel de mettre tes coordonnĂ©es Ă  jour. Il est indispensable de vĂ©rifier toutes les plates-formes sur lesquels tu as dĂ©posĂ© tes que ce soit sur ton site Web, sur ta page Facebook pro, sur ton Google My business
 Les renseignements que tu donnes doivent toujours ĂȘtre identiques. Les moteurs de recherche vĂ©rifieront et revĂ©rifieront tes coordonnĂ©es pour s’assurer que tout concorde. C’est un gage de crĂ©dibilitĂ© afin qu’il ne classe pas ton site comme malintentionnĂ© et menteur. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 CrĂ©er une page contact claire lisible. Outre les moteurs de recherche, il est fondamental que tes clients potentiels comprennent comment entrer en contact avec toi. C’est un rĂ©flexe d’aller sur la page contact pour trouver les coordonnĂ©es de ta petite entreprise. Ne rĂ©invente pas la roue en l’appelant trop diffĂ©remment. On ne recherche que quelques secondes les informations nĂ©cessaires. Donc, donne les renseignements de suite. Ça fait partie des endroits essentiels oĂč les utilisateurs recherchent les coordonnĂ©es d’une personne dans la page contact, mais aussi parfois en pied de page. RĂ©fĂ©rencement local les Ă©tapes essentielles pour ĂȘtre trouvĂ© facilement Qu’est-ce qu’un NAP et pourquoi est-ce important ? De nombreux facteurs influent sur le rĂ©fĂ©rencement de ta sociĂ©tĂ©. Il y en a un trĂšs Ă©vident ton NAPLe NAP signifie Nom Adresse NumĂ©ro de tĂ©lĂ©phone. Dans le cas d’une entreprise locale et qui veut ĂȘtre rĂ©fĂ©rencĂ©e localement, les dĂ©tails tels que les adresses et les numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone, les coordonnĂ©es gĂ©ographiques, les heures d’ouverture
 Doivent ĂȘtre correct Ă  tout moment
 et Ă  tout endroit meilleure façon de prĂ©senter clairement ces dĂ©tails aux moteurs de recherches et d’utiliser des donnĂ©es locales Ă  jour. que ce soit sur ton site ou sur tous les sites oĂč tu as laissĂ© tes coordonnĂ©es annuaires, rĂ©seaux sociaux
 Le meilleur outil de rĂ©fĂ©rencement local Google My Business GMB Google My Business est une fiche de profil professionnelle et gratuite. Tu peux la crĂ©er facilement. Cet outil est officiel et peut rĂ©ellement t’aider Ă  te positionner dans ta zone gĂ©ographique. Tu n’as qu’à fournir des indications pouvant apparaĂźtre dans une recherche Google. En outre Google My Business offre un grand nombre d’options pour gĂ©rer et amĂ©liorer ces informations. GrĂące Ă  Google My Business tu peux ajouter des Ă©lĂ©ments supplĂ©mentaires tels que des photos, des horaires d’ouverture
 Et surtout des avis clients. Tu sais que ces petites Ă©toiles, que l’on voit fleurir un peu partout, vont, non seulement va te faire monter en rĂ©fĂ©rencement, mais en plus va donner un sentiment de lĂ©gitimitĂ© Ă  ton profil. Plus tu as de recommandation clients plus tu rassures tes prospects. Pense donc Ă  demander Ă  tous tes clients satisfaits d’aller dĂ©poser un avis sur ta fiche Google My Business . Je le rĂ©pĂšte, mais utilise toujours les mĂȘmes noms et les mĂȘmes coordonnĂ©es que ce soit sur ton site Web sur ta fiche Google My Business ou sur tes rĂ©seaux sociaux. Sur ton Google My Business tu peux inclure le lien vers ton site Web. C’est la seule façon pour une petite sociĂ©tĂ© d’expliquer Ă  Google la relation qu’il y a entre cette fiche et ton site Web. RĂ©fĂ©rencement local grĂ ace Ă  la crĂ©ation d’une fiche sur Google My Business RĂ©diger du contenu sur tout ce que tu as Ă  proposer et prouver ton expertise Si tu veux que ton site soit bien rĂ©fĂ©rencĂ©, dans un premier temps, il faut le mettre Ă  jour couramment. Un site abandonnĂ© va tomber dans les mĂ©andres du classement des moteurs de recherche. Par consĂ©quent, pour maintenir ton site visible et attractif je te conseille de l’actualiser rĂ©guliĂšrement. Il y a une mĂ©thode simple pour ça c’est de crĂ©er de nouvelles pages, ou un blog. Cela va te permettre de produire du contenu sur ton savoir-faire. Google va alors jouer le rĂŽle d’entremetteur en proposant aux utilisateurs la relation qu’il recherche leur demande arrivera sur ton site. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 Cela signifie que plus tu auras des termes de recherche qui reviendront dans ton blog, plus Google va te rĂ©fĂ©rencer en fonction de ce terme et donc en fonction de ton de te lancer de commencer Ă  Ă©crire tous azimuts je te conseille de rĂ©flĂ©chir Ă  tes mots-clĂ©s et Ă  ton qui veux-tu t’adresser ?De quoi veux-tu lui parler ?Quels sont les mots que lui utilise ?
Voici un article sur le sujet Augmente ta visibilité sur le net Cela s’appelle de la stratĂ©gie de contenu. C’est-Ă -dire que tu vas crĂ©er du contenu, des textes, qui vont aider ton site Web Ă  ĂȘtre mieux rĂ©fĂ©rencĂ©. LĂ  on agit sur le rĂ©fĂ©rencement maniĂšre Ă  ce que ton entreprise se dĂ©marque, pense Ă  trouver ta niche et Ă  bien cerner ton persona. De plus tu peux intĂ©grer des termes rĂ©gionaux ou carrĂ©ment des lieux de l’endroit oĂč tu te exemple si tu es de Romans-sur-IsĂšre, tu peux parler de la tour Jacquemart, si tu es de Valence, d’écrire de tes flĂąneries sous le kiosque Peney. Tu peux aussi rajouter des noms de villes dans ton blog ou dans le rĂ©fĂ©rencement vers la vidĂ©o sur le seo. En travaillant sur ce rĂ©fĂ©rencement local, avec un crĂ©neau bien dĂ©fini, tu pourrais mĂȘme concurrencer les grandes enseignes nationales. RĂ©flĂ©chis Ă  qui sont tes clients et quels sont les mots qu’ils utilisent pour dĂ©crire ton produit ou ton service. Souvent ils n’emploieront pas les mĂȘmes termes que toi. Beaucoup moins technique, plus vague ou plus dans le ressenti. Ces mots-clĂ©s vont aider Ă  optimiser le rĂ©fĂ©rencement de ta sociĂ©tĂ©. Je te rappelle qu’il y a des mots-clĂ©s de courte de traĂźne et des mots-clĂ©s de longue traĂźne. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 Commencer Ă  crĂ©er du contenu de qualitĂ© pour ton site Web ? Le bon contenu donnera un coup de fouet Ă  ton rĂ©fĂ©rencement et donc Ă  ta petite entreprise. Il y a dĂ©jĂ  beaucoup trop de sites Web oĂč les personnes se contentent de mettre leurs produits et leurs coordonnĂ©es
 et n’y touchent plus. Alors qu’il y a tellement Ă  dire et Ă  de faire une premiĂšre impression excellente et charme ton client potentiel. Tu peux prĂ©senter de ton entreprise, expliquer tes objectifs, te vanter oui oui de la qualitĂ© de ce que tu proposes
ainsi que des valeurs qui t’animent. Exprimer ses valeurs crĂ©e un rapprochement avec son client, s’il partage les mĂȘmes. Tu peux encore discuter de l’évolution du marchĂ© dans lequel tu es, des Ă©vĂ©nements qu’il y a dans ta rĂ©gion ou ceux liĂ©s Ă  ton activitĂ©. Ce sont lĂ  quelques conseils pour ta stratĂ©gie de contenu en rĂ©fĂ©rencement peux aussi crĂ©er un Ă©change de liens avec des acteurs rĂ©gionaux. C’est-Ă -dire que tu inclus d’hyperliens vers le site Web de leur entreprise et tu nĂ©gocies qu’ils mettent des backlink » lien retour vers ton site. Ça boostera ton Ă  Ă©crire sur des sujets dont les gens ont envie de parler ou de discuter. Qu’est-ce qui incite une personne Ă  venir te voir ? Deviens une petite souris pour tout savoir de ce que pensent les clients. Qu’est-ce qu’ils souhaiteraient connaĂźtre de ton mĂ©tier ? Qu’est-ce qu’ils aimeraient trouver sur ton site ? Qu’est-ce qu’ils voudraient comprendre ? RĂ©fĂ©rencement local et gĂ©olocalisation pour ĂȘtre trouvĂ© plus rapidement Partager son expertise pour se valoriser et avoir bonne rĂ©putation. Une fois que tu as validĂ© les trois Ă©tapes prĂ©cĂ©dentes, il y a encore d’excellentes raisons de te rapprocher de tes clients et de t’impliquer dans leurs parler de toi ou de ta sociĂ©tĂ© contribuera Ă  sa croissance. Ton site Web sera de plus en plus visitĂ©, directement ou indirectement, ce qui amĂšnera un inestimable d’autres personnes crĂ©ent un lien vers ton site Web, les moteurs de recherche vont s’en apercevoir. Ils vont valider le fait que tu es connu. Tu vas multiplier tes chances d’ĂȘtre dans les meilleurs peux aussi augmenter le trafic de ton site Web grĂące Ă  une bonne stratĂ©gie de mĂ©dias sociaux. Enfin les Ă©valuations et les critiques contribuent Ă  instaurer un climat de sĂ©rĂ©nitĂ© avec tes clients. Comme dit plus haut plus tu as des avis clients Ă©toiles plus tu installeras de la confiance avec ceux qui visite ton site ou ta page Google My Business. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 Pourquoi crĂ©er des liens vers et Ă  partir d’autres sites ? L’obtention de lien vers le site de ta sociĂ©tĂ© est un Ă©lĂ©ment trĂšs important du rĂ©fĂ©rencement local. Ce n’est pas toujours facile Ă  dĂ©crocher. Ces mentions sur ton travail vont te permettre de valider ton expertise. Au niveau de tes clients, mais aussi sur des moteurs de recherche. Je te rappelle que Google, Bing, Yahoo et compagnie scannent tout ce qui se passe sur Internet grĂące Ă  leurs robots. Plus le maillage externe de ton site est important, mieux tu seras rĂ©fĂ©rencĂ©. Cela implique donc de demander des liens, mais Ă©galement d’en donner. Objectif donnant-donnant en visibilitĂ© peux aussi t’appuyer sur des enseignes nationales pour obtenir des liens par exemple crĂ©er une fiche sur Yahoo, une Ă©pingle sur Maps de Apple
 Ou tous les autres sites de service qui pourrait renvoyer vers la liste de sites sur lequel tu voudrais apparaĂźtre et lance-toi dans la quĂȘte des coordonnĂ©es parfaites.je te rappelle que tes coordonnĂ©es doivent ĂȘtre toujours identiques partout Le rĂ©fĂ©rencement grĂące aux rĂ©seaux sociaux. Bien que tu puisses vendre tous tes produits sur des plates-formes de mĂ©dias sociaux, dans la plupart des cas, il est prĂ©fĂ©rable de crĂ©er une redirection vers ton site dit dans une vidĂ©o, il vaut mieux avoir son propre site qu’on maĂźtrise de A Ă  Z, qu’un rĂ©seau social qui peut nous Ă©jecter Ă  tout moment. L’utilisation des mĂ©dias sociaux pour une petite entreprise ou un solopreneur consiste Ă  promouvoir ta marque et tes services. Ça va renforcer ton Branding et attirer les bons clients vers ton site Web. Les rĂ©seaux sociaux peuvent rĂ©ellement contribuer au rĂ©fĂ©rencement local de ta pensĂ© Ă  crĂ©er une page pour ton entreprise sur un rĂ©seau social ?Dans cette page tu vas pouvoir mettre la localisation gĂ©ographique et c’est ça qui va dire Ă  Facebook et Ă  Google que tu es rĂ©ellement une entreprise et pas un charlatan avec un profil rĂ©seaux, puisqu’ils sont sociaux », sont une sorte de grand marchĂ© ouvert oĂč tu pourrais dĂ©ambuler et discuter avec tout le monde. En plus tu connais la majoritĂ© des gens qui sont amis » avec coup, Ă  un moment donnĂ©, quand quelqu’un va chercher un service ou un produit particulier il va penser Ă  toi. Si ton discours et ton slogan sont clairs, tes amis vont te Facebook a mis en place depuis peu les recommandations ».Assure-toi d’avoir le bon message, la mise en avant du bon savoir-faire et les foules commenceront Ă  parler de toi. Engage les conversations, que ce soit sur ton expertise ou non, de maniĂšre Ă  te faire connaĂźtre. Participe activement sur ses rĂ©seaux sociaux pour montrer que tu es Ă  l’écoute et que tu veux partager ton ce que tu connais. Soit gĂ©nĂ©reux. RĂ©fĂ©rencement local pour petite sociĂ©tĂ© de services ou magasin. Comment gĂ©rer les Ă©valuations et les avis ? Que ce soit Facebook ou Google My Business, tout le monde a le droit de laisser une opinion sur ta petite entreprise. Si tu es bien notĂ©, les internautes seront beaucoup plus enclins Ă  cliquer sur ton site Web. Rappel biais cognitif de la preuve sociale » va crĂ©er de la voir le podcast Ă  ce Ă  bien envoyer tous tes clients satisfaits, soit sur ton Ă©valuation Facebook, soit donner leur avis sur ta fiche Google My Business. ou fais comme moi et transmets le lien par salve une fois par mois Ă  tout le monde Si tu as déçu quelqu’un, aujourd’hui il y a de fortes chances qu’il vienne te le dire via les rĂ©seaux sociaux. Comment faire quand on reçoit un avis nĂ©gatif ou de mauvaises critiques ? PremiĂšrement, rĂ©agis trĂšs rapidement Ă  ce qu’il te reproche. Essaie de rĂ©soudre son problĂšme. Et une fois que tout ira mieux entre vous, demande-lui d’aller modifier son avis. Transforme un client mĂ©content en ambassadeur de la marque. Il est trĂšs facile d’utiliser ses avis et me souviens de ce loueur de canoĂ« Ă  La Ciotat qui demandait systĂ©matiquement en rendant le matĂ©riel d’aller mettre un avis sur Google My Business. Il Ă©tait le mieux notĂ© de toute la ville. Du coup lorsque tu voulais louer un canoĂ« pour aller Ă  l’üle verte, le premier rĂ©sultat de Google Ă©tait sa description Google My Business. Quand tu es en vacances ou sur la plage, il est beaucoup plus facile de regarder ce qui s’affiche en premier sur Google ou sur Facebook que d’ouvrir un site Web. Les deux sont complĂ©mentaires et n’apportent pas les mĂȘmes le monde peut ouvrir une fiche Google My Business, mais tout le monde n’a pas un site Web professionnel. Accompagnement Ă  la crĂ©ation de son site web sous WordPress Mettre Ă  jour toutes tes informations en ligne rĂ©guliĂšrement. VoilĂ  tu as tout mis en place et tu as commencĂ© Ă  crĂ©er du contenu pour les rĂ©seaux sociaux. N’oublie pas ton site astuce tu peux recycler ton contenu Web sur les rĂ©seaux sociaux et vice frĂ©quemment jeter un coup d’Ɠil Ă  ton site, ne serait-ce que pour voir s’il n’a pas Ă©tĂ© tu changes de coordonnĂ©es, numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone ou mĂȘme adresse postale, pense Ă  bien les remettre Ă  jour sur tous les sites oĂč tu les as dĂ©posĂ©es. De cette maniĂšre, au prochain passage des robots qui scannent le Web, on retrouve exactement les mĂȘmes coordonnĂ©es partout. Si tu penses que tu n’as pas besoin de site Web pour ton entreprise Ă  l’avenir, il se peut que tes clients prĂ©fĂšrent te chercher sur Google. Ils veulent peut-ĂȘtre obtenir un itinĂ©raire pour se rendre dans ton magasin ou Ă  ton bureau. Ils souhaitent peut-ĂȘtre te faire une demande spĂ©ciale ou mĂȘme te dĂ©poser un avis laisse pas passer l’opportunitĂ© d’avoir de nouveaux facile Ă  trouver. J’espĂšre que cet article t’a Ă©tĂ© utile. 🎁 CADEAU reçois ta check-list BOOST RÉFÉRENCEMENT LOCAL » 🚀 Comment vendre quand on souhaite rester gentil ? Communication, Conseils marketing, Developpement Tu es gentil, tu rends service, tu informes les gens, tu donnes beaucoup de ton temps et de ton expertise, mais le problĂšme c’est que tu ne sais pas vendre car tu es trop gentil”. Que tu proposes des produits ou des prestations, tu essaies d’ĂȘtre agrĂ©able avec tout le monde parce que ça fait partie de ta personnalitĂ©. C’est trĂšs positif, trĂšs encourageant. La difficultĂ© c’est qu’aprĂšs, tu as l’apprĂ©hension qu’ils n’achĂštent pas proportionnellement au temps que tu passes Ă  les renseigner. Alors que toi, tout ce que tu veux c’est rĂ©ussir Ă  vendre en restant gentil. Ton mĂ©tier tu l’aimes, et tu voudrais rayonner autour de toi
 mais comment en vivre quand tu penses ne pas savoir vendre ? N’importe qui arrive Ă  vendre, sauf toi, c’est Ă  te dĂ©goĂ»ter d’ĂȘtre gentil. Ça veut dire que parfois, plus tu vas octroyer de ton Ă©nergie, plus tu vas Ă©couter, plus tu vas rĂ©pondre, plus tu apportes des solutions
 et moins tu as l’impression que cet individu va venir travailler avec si c’était inversement proportionnel Ă  ton engagement plus tu donnes moins tu reçois. Pour conjurer tout ça, tu vas penser Ă  augmenter l’importance de ce que tu proposes. Une qualitĂ© de dingue, tu vas bosser des heures pour approfondir et expliquer de maniĂšre gratuite les choses – Comment se dĂ©tendre ?– OĂč trouver ceci ou cela ?– Pourquoi faire X Ă  la place d’Y ? On a une expression qui dit trop bon trop con ». Quand tu vois que tes collĂšgues ou tes concurrents ne donnent rien et engranges les commandes, ça te rend par moments ils sont mĂȘme trĂšs agressifs que tu ne veux pas forcĂ©ment devenir. Comment ça se fait ?Ils vendent de la M —- et ça fonctionne ! » Je vais appeler ça le syndrome du gentil » et pourquoi il a peur de vendre Il n’y a rien de plus beau et que de plus magnifique que d’ĂȘtre adorable avec les gens qui t’ es agrĂ©able, tu vas chercher Ă  plaire et donc tu vas donner de ta un peu le but de l’existence que d’ĂȘtre gentil. Et c’est Ă  ce moment-lĂ  le dĂ©but de l’incomprĂ©hension ce n’est pas parce que tu es gentil que ces personnes te doivent quelque chose. Être gentil veut dire que tu donnes sans attendre en retour. Donc comment vendre quand on est gentil ? Le syndrome du gentil nous communique une fausse idĂ©e de la gentillesse... et fausse l’idĂ©e de vente. Aider les gens c’est gĂ©nial. Partager ton expertise c’est fabuleux. On est tous d’accord ultra positifLa ou l’erreur fondamentale qui va ruiner ta vie et ton humeur les gens ne te doivent rien ! Si j’aide quelqu’un Ă  faire quelque chose, c’est moi qui le dĂ©cide. Cet individu ne m’ait pas redevable. C’est une convention sociable qui dit que si je donne un coup de main, la personne en face me doit quelque chose. Quand je croise ma vieille voisine avec ses sacs de courses, je vais instantanĂ©ment me proposer Ă  les monter Ă  l’étage, sans attendre un retour. Ce serait un calcul malveillant de ma part de penser que si je portais ces courses, elle me devrait un service en Ă  son gentillesse ne donne droit Ă  rien. Donc si on se repose sur notre gĂ©nĂ©rositĂ© pour arriver Ă  faire des ventes il y a un bug. Bien sĂ»r que cette personne aimable qui va te tendre un tract tu vas le prendre, car elle l’aura fait avec un ce monsieur que tu croises Ă  la boulangerie tu vas lui tenir la est-ce pour autant que tu vas lui acheter quelque chose ? Être gentil ne fait pas vendre, c’est bien connu. Évidemment que l’amabilitĂ© est indispensable pour vivre dans un monde meilleur. L’erreur fondamentale est de croire que si je donne je dois recevoir. Ne dit-on d’ailleurs, pas qu’il vaut mieux donner que recevoir ? Dans notre sociĂ©tĂ© on associe ce geste Ă  une sorte de rentabilitĂ©, alors que ce n’est pas ça du ne sommes pas obligĂ©s d’ĂȘtre redevables. Ce serait extrĂȘmement toxique. Ce n’est pas parce que tu solutionnes un problĂšme que tu vas obtenir un remboursement ». Il n’y a aucune tu apportes des rĂ©ponses, fais-le de bon cƓur, sans attendre un n’est pas une transaction. Augmente ta visibilité sur Instagram La deuxiĂšme grosse erreur ds gentils, c’est de confondre leur aide avec la confiance. Être gentil c’est aider mamie Ă  traverser la route, c’est pousser les gens Ă  performer. Par contre obtenir la fidĂ©litĂ© de ces gens-lĂ  n’est pas du mĂȘme ressort. À la place tu devrais susciter la confiance et prouver ton expertise Exemple de Dan Kennedy Magnetic Marketing Tu dĂ©ambules paisiblement dans la rue et lĂ  une personne — que tu ne connais pas, jamais vu avant- fonce sur toi et te dit attention vous avez un problĂšme au cƓur il faut Ă  tout prix aller vous faire opĂ©rer ».ForcĂ©ment, comme tu ne connais pas cet individu, tu ne l’as jamais croisĂ©, il te saute dessus alors que tu promĂšnes tranquillement. Quelle est ta rĂ©action ?Tu lui dis d’aller voir un psy ou tu t’ personne, tu ne l’as jamais croisĂ©, et pourtant elle te donne une indication Ă©motionnellement trĂšs impactant, trĂšs importante, mais tu ne sais pas qui c’est alors tu files vite ailleurs. Maintenant si par exemple c’est ton mĂ©decin traitant qui t’annonce ça attention vous avez un problĂšme au cƓur il faut Ă  tout prix aller vous faire opĂ©rer ».La probabilitĂ© pour que tu prennes rendez-vous immĂ©diatement chez un cardiologue ou Ă  l’hĂŽpital est beaucoup plus pourtant prĂ©cisĂ©ment la mĂȘme qu’elle n’est pas profĂ©rĂ©e par un inconnu dans la rue, mais par un docteur que tu as dĂ©jĂ  rĂ©action va ĂȘtre totalement diffĂ©rente. Cela nous prouve qu’avec exactement le mĂȘme discours de vente, prononcĂ© par deux personnes distinctes, tu ne le ressentiras pas de la mĂȘme y a un argument qui ne te touche pas du tout et un message qui va te convaincre alors que des mots identiques ont Ă©tĂ© utilisĂ©s. Qu’est-ce qui fait qu’un gentil qui t’aide vends moins qu’un expert qui ne donne rien ? Être aimable et aborder les gens dans la rue pour leur dire qu’ils ont un problĂšme cardiaque ne suffit pas. On doit insuffler de la confiance, comme un mĂ©decin, une blouse blanche, donnerait de la conviction Ă  ses paroles. Savoir vendre tout en Ă©tant gentil, est-ce possible ? Mais lĂ  aussi, la confiance n’est pas tout, ĂȘtre gentil ne fait pas vendre plus. La sĂ©rĂ©nitĂ© que tu vas inspirer auprĂšs de tes prospects va permettre leur de faire un pas supplĂ©mentaire vers l’acte d’ ce n’est pas le combo ultime pour rĂ©aliser des ventes. Les deux choses qui fonctionne le plus c’est1/ la curiositĂ©, provoquez l’ installer une limitation dans le temps certains parleront de sentiment d’urgence. Dans ton offre ne disent pas les choses brutes », mais suscite de la curiositĂ©. Il ne s’agit pas d’employer des mots magiques ».Simplement d’annoncer des vĂ©ritĂ©s, en apportant un petit cĂŽtĂ© dit pas 1 heure avec moi et vous n’aurez plus peur de rien, mais plutĂŽt – DĂ©couvrez le pouvoir de la sĂ©rĂ©nitĂ©,– Comment ĂȘtre apaisĂ© en toute circonstance,– un moyen efficace pour vous dĂ©barrasser de vos craintes
 Pour de l’hypnose on voit souvent arrĂȘter de fumer sans angoisse » ou sans sentiment de dĂ©pendance » on ne va pas Ă©numĂ©rer l’offre, les heures
 mais plutĂŽt parler de l’issue bienheureuse. Il est plus intĂ©ressant de dĂ©tailler ce qu’on va gagner en achetant tel produit, que de comment on va l’obtenir. Le rĂ©sultat que tu vas proposer amĂšne de la curiositĂ©. voir cet article pour en savoir plus En ce qui concerne la durĂ©e limitĂ©e lĂ  aussi, sois honnĂȘte avec il s’agit de marchandises en stock et donc tu prĂ©viens ton futur acheteur qu’il n’y a plus que X produits Ă  l’ c’est un service et tu lui donnes un accĂšs restreint dans le temps. Pour toi ce sera bĂ©nĂ©fique, car tu maĂźtrises le fait de travailler sur cette problĂ©matique-lĂ  uniquement sur une, deux ou trois semaines. Pareil quand tu dois faire un devis, annonce toujours une date butoir pour la validation. Ça va permettre Ă  ton client de savoir quand il doit prendre une dĂ©cision et tu ne te retrouveras pas dans un an avec le mĂȘme devis enfin signé  et trĂšs loin de ta nouvelle rĂ©alitĂ© de prix. Il ne s’agit pas de dire aux gens que leur vie va changer, qu’ils vont devenir ultrariche ou atteindre une bĂ©atitude Ă©ternelle
 non tu donnes des Ă©lĂ©ments de vĂ©ritĂ©. On va juste susciter de la curiositĂ© et installer un degrĂ© d’urgence pour engager une dĂ©cision d’achat. Ce sont deux des plus gros facteurs qui vont pousser Ă  l’engagement. Peu importe ta personnalitĂ© que tu sois gentil ou commercialement agressif, ces facteurs-lĂ  entrent en compte dans la prise de dĂ©cision d’achat. ArrĂȘte de penser que parce que tu es adorable les gens vont venir vers une erreur d’imaginer qu’il y a une redevance Ă  ta mentir, le plus honnĂȘtement du monde, tu peux susciter la ne t’empĂȘche pas d’ĂȘtre gentil et de prĂ©server qui tu es. Avec la curiositĂ© et l’urgence, tu ne te transformeras pas en marchand de tapis. Tu gardes ton n’as pas Ă  faire de promesses en l’air. Tu vas juste mĂ©tamorphoser des formules classiques en rĂ©sultat que ton client de fausses de d’objets brillants Ă  survendre. Augmente ta visibilité sur Google Tu vas utiliser deux leviers qui vont te permettre de transformer les mots en intĂ©rĂȘt. Tu as activĂ© notre cĂŽtĂ© curieux et incitĂ© Ă  un choix clair oui/non grĂące Ă  la connaissance de ton persona marketing gros mot expliquĂ© lĂ  D’ailleurs, les meilleures dĂ©cisions ne sont-elles pas celles que l’ont prend rapidement ?Tu le sais trĂšs bien quand on te dit que tu as toute la vie pour statuer tu ne choisis jamais. C’est un intĂ©rĂȘt Ă©quivalent pour les soldes qui ont une date limite. Les gens se prĂ©cipitent en dĂ©but et en fin de soldes. Plus elles durent longtemps, moins les clients achĂštent. Les semaines intermĂ©diaires ne sont pas trĂšs fructueuses. Tu as Ă©normĂ©ment d’exemples ou la pĂ©riode d’acquisition est restreinte promotions, Black Friday, ouverture des magasins et remise certains jours
 Tu peux mĂȘme proposer, comme le font rĂ©guliĂšrement les grandes surfaces, un rabais pour les rendez-vous Ă  des moments prĂ©cis mardi ou jeudi en milieu de journĂ©e, dĂ©sertĂ©s dans ton calendrier.Ou un pourcentage de rĂ©duction pour le lancement de ton produit/ dans une pĂ©riode donnĂ©e, plutĂŽt courte. Ne vends pas la lune, mais prĂ©cise comment ton offre va illuminer l’existence de tes futurs clients. Ne dis pas non plus que si tu n’achĂštes pas maintenant ta vie va ĂȘtre ruinĂ©e » ce n’est pas la peine d’angoisser les personnes autour de leur expliquer que ton produit ou ton service est valable actuellement, qu’ensuite il faudra attendre plus longtemps pour revenir dessus ou payer plus cher. Tu vas juste les pousser Ă  prendre une dĂ©cision oui j’en ai l’envie, non je n’en ai pas la nĂ©cessitĂ©. S’ils en ont besoin, c’est maintenant qu’ils doivent prendre une dĂ©cision. Comment vendre ses offres sans se brusquer soi-mĂȘme ? exemple avec les chambres d’ado
 Si tu as des ados, tu comprends tout de suite que si il n’y a pas un ultimatum jamais ils ne passeront Ă  l’acte
 et leur chambre sera toujours aussi impraticable. Avec tes clients tu n’as pas la nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre si direct. Donner une date de fin d’accessibilitĂ© va les aider Ă  adopter la bonne attitude – oui j’en ai besoin– non je n’en veux pas C’est pour ça qu’il vaut mieux prĂ©voir plusieurs idĂ©es dans l’annĂ©e. Vise des domaines spĂ©cifiques ou tu pourras demeurer gentil et bienveillant, garder ton Ăąme Ă  toi-mĂȘme dans ce que tu offres Ă  ta clientĂšle
 parsĂšme ce que tu leur proposes de curiositĂ© avec une limitation dans le temps. Si tu ne veux pas te transformer en commercial, marchand de tapis ou vendeur d’objets brillants, utilise l’appĂ©tit naturel de tes prospects Ă  la singularitĂ© de ce que tu proposes et pose-leur une limite temporelle pour les aider Ă  passer Ă  l’action. Quand on est gentil on ne veut pas effrayer son auditoire pour vendre. C’est souvent ce qui est conseillĂ© dans le mauvais marketing. Soit toi-mĂȘme. Si tu es gentil et bienveillant au naturel, reste dans cette n’as pas besoin non plus de les supplier d’acheter ton curiositĂ© est un vilain dĂ©faut autant en profiter 😉 👉 Voir la vidĂ©o Comment vendre quand on souhaite rester gentil ? » Travaille sur la confiance que tu procures avec ton expertise. La gentillesse est une valeur humaine, MAIS, tu le vois bien, les foules achĂštent Ă  n’importe qui Ă  des gentils comme Ă  des sur la sĂ©rĂ©nitĂ© de ton public avec les compĂ©tences qui t’ apprends Ă  exposer tes offres auprĂšs de ta clientĂšle en suscitant leur intĂ©rĂȘt. Utilise leur curiositĂ© et la limitation dans le temps pour rĂ©aliser tes ventes et enfin pouvoir vivre de ce qui te passionne. Souvent je rencontre des gens gentils qui croient que vendre c’est le mal absolu ». Ils ont peur d’ĂȘtre trop agressifs, trop ceci ou trop cela. Ils ne se sentent pas Ă  l’aise avec l’idĂ©e de proposer un service ou un normal tout le monde n’a pas la mĂȘme vision. Il y a mĂȘme des personnes qui butent dessus depuis des annĂ©es. Ils ont de l’or dans les mains, ils essaient de vendre, mais au fond de leur Ăąme pure, ils ont du mal Ă  changer l’image qu’ils ont de la ont une un point de vue original, qui ne consiste pas Ă  vendre Ă  tout prix, mais Ă  expliquer davantage ce que l’on procure, suffit Ă  faire basculer les choses. Formuler diffĂ©remment ton offre va t’aider Ă  remplir ton carnet d’adresses ou Ă  vendre. Ce n’est pas innĂ© et c’est normal d’avoir des difficultĂ©s Ă  l’exprimer au dĂ©part. Si tu ne te sens pas capable de le faire seul. e, je coache les entrepreneurs afin de mieux positionner leurs Ă  savoir les mettre en avant sur leur site il ne s’agit plus de construire un site, mais de le rendre intĂ©ressant pour tes la formation que je propose, je fais aussi de l’accompagnement pour en communication et marketing. Deviens plus performant tout en restant toi-mĂȘme. Accrocher plus de clients sans vendre ton Ăąme. Inscris-toi ci-dessous et reçois ton guide gratuit, afin de vĂ©rifier si ton site web est assez conçois ton propre site web dynamique qui attirera les prospects Ă  toi. Pourquoi crĂ©er un logo pour son entreprise ? Communication, Conseils marketing, Web / internet À quoi sert de crĂ©er un logotype pour son activitĂ© ? Oui, je sais, souvent on relĂšgue la crĂ©ation du logo Ă  plus tard. C’est vrai que quand on lance son entreprise, on ne voit pas trop l’intĂ©rĂȘt de la crĂ©ation d’une identitĂ© lĂ  tout de suite. Ça ne paraĂźt pas si important
 et pourtant ce logo fait partie intĂ©grante de l’image que tu vas donner de un outil indispensable pour se faire reconnaĂźtre et communiquer. Un logotype participe Ă  l’image que les gens se font de ton entreprise. C’est l’identitĂ© et les valeurs que tu transmets. Ton logotype c’est une identitĂ© personnelle, qui va propulser ta marque et te reprĂ©senter comme professionnel. Oui, ton activitĂ© est une marque, car tu es un expert dans ton domaine RĂ©vĂšle l’expert qui est en toi.La couleur est la forme du logo vont influencer toute ta communication. Cette identitĂ© visuelle va permettre de renforcer la vision que tu donnes aux gens. De frapper leur esprit. C’est aussi la meilleure façon de te diffĂ©rencier de tes concurrents. GrĂące Ă  un logo fort tu vas dĂ©velopper ta notoriĂ©tĂ©. L’image que tu renvoies rassure tes clients sur tes capacitĂ©s Ă  les aider. C’est pour cela qu’utiliser le fils du voisin du cousin de la tante de machin
 qui n’est pas professionnel, risque de te desservir la reprĂ©sentation que se font tes prospects. Certains designers n’ont pas vu que les images qu’ils avaient rĂ©alisĂ©es pouvaient ĂȘtre mal interprĂ©tĂ©es Design de logos qui ont mal tournĂ© ! » CrĂ©er une identitĂ© visuelle impactante qui te ressemble. Lorsque je conçois un logo, ce n’est pas simplement une image. Autour de lui je vais rendre visibles les capacitĂ©s de mon client. De la couleur Ă  la typo employĂ©e, je vais travailler sur son ressenti et ses valeurs. Exprimer ce qu’il voudrait reflĂ©ter et relever Ă  son sujet. CrĂ©er un logo c’est choisir une identitĂ© propre, que personne d’autre n’a. Tu vas pouvoir appliquer ton identitĂ© visuelle sur diffĂ©rents supports de le logo est exploitĂ© sur les cartes de visite, plaquette commerciale, flyers, affiche
 Mais on l’utilise aussi largement sur le site Web sur les rĂ©seaux sociaux voire mĂȘme dans tes signatures de participe Ă  mieux te faire repĂ©rer. Création de logos pour tout types d’entreprises prenons rendez-vous pour en discuter Les cinq points essentiels pour lesquelles tu devrais crĂ©er un logotype professionnel. 1/ Le logo rĂ©vĂšle ton identitĂ© Le logo est un Ă©lĂ©ment graphique qui permet Ă  toutes les personnes qui le voient d’identifier et de reconnaĂźtre ton un peu comme ton propre visage quand tes amis te croisent, ils reconnaissent qui tu es. 2/ Un logo va encourager tes prospects Ă  venir te dĂ©couvrir. Aujourd’hui tu le sais nous vivons dans un monde trĂšs visuel. C’est pour cela que l’image que tu renvoies est aussi de marque que tu vas utiliser et rĂ©pĂ©ter sur tous tes supports de communication va permettre Ă  tes futurs clients de t’ cette image globale qui va te donner un aspect professionnel et encourager les gens Ă  te faire confiance. Augmente ta visibilité sur les réseaux sociaux 3/ Un logo va te permettre de te distinguer de la concurrence Par dĂ©finition un logotype est unique par sa forme, par sa couleur. C’est donc de cette maniĂšre que tu vas attirer le regard sur toi. Un bon logo ne doit pas ressembler Ă  ceux des autres. Ton identitĂ© visuelle va te singulariser par rapport Ă  tes concurrents. 4/ GrĂące Ă  ton logo, tu vas ĂȘtre repĂ©rĂ© par tes clients. Souvent c’est en reconnaissant le logo d’une marque qu’on file directement l’acheter. Toi-mĂȘme tu peux acquĂ©rir les yeux fermĂ©s en fonction de la marque qui il y a sur un vĂȘtement ou un produit Apple, Adidas, Audi
.Un bon logo va crĂ©er de la dynamique. C’est-Ă -dire qu’envoyant ton identitĂ© visuelle tes clients seront rassurĂ©s de qui tu es. Ils achĂšteront des prestations sans regarder autour d’eux. Tu vas dĂ©velopper une habitude. 5/ Avec un logo, tu as une image de marque pour tous tes supports. Tu peux employer ton logo absolument partout. Tu vas en outre dĂ©cliner ton identitĂ© graphique sur tous tes supports de communication. Tu vas l’intĂ©grer du site Web au roll up que tu utilises en ton magasin, dans ta vitrine et mĂȘme sur ton logo est une vĂ©ritable fiche d’identitĂ© de qui tu es et de ce que tu laisses voir de toi. Création du logo de Régine B., Coaching en image autour de Valence Voici l’exemple de mon logo Anne Burtin CrĂ©ation, soit ABC Mon logo regroupe trois lettres A, B et la lettre facile de faire cohabiter trois lettres cĂŽte Ă  que des logos ABC, il en existe Ă©normĂ©ment. Processus de rĂ©flexion autour de la crĂ©ation du logo. Avant de crĂ©er un logo, je contemple toujours ce qu’il se fait ailleurs. Par rapport Ă  mes lettres, mais aussi par comparaison Ă  mon mĂ©tier. Agences de communication, Web design
 y a-t-il des Ă©lĂ©ments qui me parlent » ?Je suis donc allĂ© passer quelques heures Ă  regarder autour de moi. Il y avait des logos wahou » comme certains dans lesquels je ne me voyais pas du tout. Chacun son style. Pour la couleur de mon logotype, j’étais Ă  peu prĂšs sĂ»re d’utiliser de l’orangĂ©. En effet c’est une couleur qui me suit depuis des annĂ©es et que j’apprĂ©cie choisi cette teinte trĂšs dynamique et chaleureuse. Elle convient en tous points Ă  mon logo doit ĂȘtre proche de l’entitĂ© de celui qu’il reprĂ©sente. Création du logo de l’agence Anne Burtin Création Dans la communication il y a Ă©normĂ©ment de coloris vifs tels que le rouge. Mais cette tonalitĂ© ne me correspondait pas. Je ne la ressentais pas pour mon logo. Comment faire maintenant pour allier ces trois lettres ABC » dans mon logo ? La partie graphique est la plus compliquĂ©e Ă  Ă©claircir. Pourquoi ai-je fait ceci plutĂŽt que cela
 ?Je vais tenter de te l’expliquer dans la suite. DĂ©jĂ  je voulais des lettres rondes et Ă©quilibrĂ©es. Loin de moi l’idĂ©e d’aiguillonner ou de couper quelqu’un avec des symboles trop raides ou pointus. Certes ça reprĂ©sente le perfectionnisme, mais je le montrerais choisi une police d’écriture trĂšs ronde un peu grassouillette comme moi et de nature Ă  ne pas aimer les conflits arrondir les angles. Le rond et les arrondis me correspondent bien. PlutĂŽt des lettres majuscules ou des lettres minuscules pour mon logo ?Comme j’ai une propension Ă  faire ami-ami » avec mes clients et que j’ai aussi tendance Ă  tutoyer les gens. Il me paraissait Ă©vident d’utiliser les bas de effet les capitales en imposent un peu trop pour moi. Une fois que ces Ă©lĂ©ments-lĂ  Ă©taient pris en compte, mon logo pouvait couler de tu peux le voir sur le schĂ©ma ci-dessous au lieu de mettre trois lettres j’ai contactĂ© en deux symboles. Explications autour de la crĂ©ation du logo Anne Burtin CrĂ©ation Le A s’est transformĂ© en bulle » pour Ă©voquer l’image du partage et du dialogue. En effet quand je conçois un logo ou un site Web j’aime Ă©changer d’abord avec mes clients. Les comprendre est une donnĂ©e essentielle avant de se lancer dans n’importe quelle personnes qui me connaissent bien m’ont dit que la reprĂ©sentation de la bulle de discussion Ă©tait Ă©galement pour mon cĂŽtĂ© bavarde ». Concernant le B coincĂ© au milieu du A et du C, il pouvait vite devenir un symbole envie que mon logo se transforme alors que je me suis souvenu du signe que font les plongeurs. Ce OK fait avec la main. Un B et un C ensemble ne pouvaient-ils pas donner cela ?LĂ  aussi c’est un trait de caractĂšre qui ressort, car il n’y a pas de problĂšme, que des solutions
 et c’est OK. J’ai donc rajoutĂ© ces deux petites barres derriĂšre un B inclinĂ© afin de suggĂ©rer les doigts. Dans quelles formes pouvais-je bien placer mon logotype ?Les logos stables et sĂ©rieux sont souvent dans des carrĂ©s ou des rectangles il n’y a qu’à voir le logo de la DrĂŽme
 qui est pour autant ennuyeux pour un si beau pays. NĂ©anmoins cette rigueur, que j’ai en moi, je ne tenais pas tellement Ă  l’afficher de la plus avec les formes rondes de ma typographie, il m’a paraissait Ă©vident d’ĂȘtre dans une apparence tout arrondie lĂ  contre je dĂ©teste les Ovales qui me semblent mous ». Pour mon style, ce n’est pas un aspect adaptĂ©. Ce logo correspond Ă  mon caractĂšre le rond, simple et difficile Ă  rĂ©aliser Ă  la fois, est une forme trĂšs Ă©purĂ©e. Comme carrĂ©, le cercle parfait est gage de sĂ©rĂ©nitĂ©, respect et
 suggĂšre la rigueur. L’avantage d’un rond c’est qu’on le retrouve dans la perpĂ©tuitĂ©, dans le symbole du Zen dessiner un arrondi parfait ferait apparaĂźtre votre zĂ©nitude ou dans le Yin et le Yang
 CrĂ©ation de logo Zen et arrondi À la fin de toutes ces rĂ©flexions j’ai donc rĂ©ussi Ă  crĂ©er un emblĂšme qui me ressemble mes cĂŽtĂ©s bonhomie et sĂ©rieuse enfin rĂ©unie, tout en amenant de la vivacitĂ© par la couleur. Et toi quel type de logo souhaiterais-tu crĂ©er pour rĂ©vĂ©ler ton identitĂ© ? Si on en parlait > par ici À quoi sert le Growth marketing et comment l’appliquer Ă  de petites entreprises ou pour des indĂ©pendants ? Communication, Conseils marketing, podcast Le marketing c’est un mot qui fait peur. Donc encore plus de growth marketing C’est truffĂ© d’expressions techniques ou d’ on imagine souvent, Ă  tort, que c’est rĂ©servĂ© aux multinationales alors que les indĂ©pendants ont une superbe jeu Ă  tirer lĂ . Le marketing rĂ©pond Ă  ces questions simples Comment se dĂ©marquer de tes concurrents ?Comment mettre en place une stratĂ©gie de communication efficace ?Comment amĂ©liorer l’acquisition de nouveaux clients sur le long terme tout en restant humain ? Quand j’ai commencĂ© Ă  m’intĂ©resser au marketing je trouvais ça inaccessible, obscur bourrĂ© d’ l’idĂ©e commune veut qu’on pense que ce type de communication sert uniquement pour les grosses sociĂ©tĂ©s. On visualise une Ă©quipe de gens qui rĂ©flĂ©chissent toute la journĂ©e et remplissent des tableaux. Alors que sincĂšrement, le marketing c’est une conversation engagĂ©e entre un ĂȘtre humain envers un autre humain. On confond avec la publicitĂ©, qui elle, vend du rĂȘve Ă  n’importe qui. Le vrai problĂšme c’est qu’on imagine le marketing comme une science compliquĂ© fait pour les gros business. On a peur de s’embringuer dans des analyses et de ne pas savoir comment faire. Alors que quand on indĂ©pendant on n’a pas beaucoup de chiffres Ă  rencontre souvent nos clients en tĂȘte-Ă -tĂȘte, on ne les voit pas comme des donnĂ©es. Le marketing nous semble inappropriĂ© pour notre petite structure. En tant que free-lance j’avais aussi ces croyances. Et je m’emmĂȘlais les pinceaux avec tous les termes anglo-amĂ©ricains, mais au fur et Ă  mesure j’ai trouvĂ© une rĂ©elle efficacitĂ© Ă  le pratiquer dans mon petit business Ă  moi. Il y a notamment la matrice AARRR, idĂ©ale Ă  tous encore l’autorĂ©pondeur dont je ne peux plus me mĂȘme le Branding dont j’ai parlĂ© dans cet Ă©pisodeCela m’apporte Ă©normĂ©ment tous les y a aussi cette notion d’ocĂ©an bleu et ocĂ©an rouge qu’on verra dans un autre article fabuleuse façon de savoir comment placer ton offre. Dans cette interview d’octobre, j’ai eu la chance de discuter avec Mohamed Larbi spĂ©cialiste en growth marketing. Pour nous il a dĂ©cryptĂ© comment avancer dans ton projet et mieux a Ă©galement beaucoup parlĂ© des solutions qui existent, Ă  la portĂ©e de tous. Mais surtout on a utilisĂ© beaucoup d’anglicismes. Et pour une fois l’anglais est notre ami puisque growth » veut dire grossir, accroĂźtre. Google ne peut pas traduire mot Ă  mot ces termes, c’est du franglais » trĂšs pourquoi aujourd’hui j’ai Ă©crit cet article qui te donnera, je l’espĂšre, les explications ajoute aussi des exemples pour que tu puisses appliquer ces mĂ©thodes dans ton business. Growth marketing ou comment les donnĂ©es vont accroĂźtre le nombre de clients et les revenus de ta sociĂ©tĂ©. Le Growth marketing examine Ă  la loupe les statistiques datas web, rĂ©seaux sociaux
 afin d’amĂ©liorer tes stratĂ©gies de fait de connaĂźtre tes taux d’ouverture d’email, taux de rebond sur ton site web ou taux d’engagement sur tes rĂ©seaux sociaux voir les dĂ©finitions plus bas
 va te permettre de savoir ce qui fait rĂ©agir ton prospect. Comment ton futur client se comporte-t-il face Ă  la solution que tu lui proposes ? Par exemple, tu es meilleures donnĂ©es » sont les ventes que tu rĂ©alises chaque tu vas regarder quels gĂąteaux s’achĂštent plus que les tu constates que les pĂątisseries au chocolat s’écoulent en plus grand nombre que les autres, tu vas en fabriquer davantage. Double consĂ©quence 1/tu plairas Ă  ta clientĂšle en lui fournissant ce qu’elle ton volume d’affaires augmentera, car il y aura plus de vente. D’oĂč l’importance de connaĂźtre ses chiffres » de maniĂšre Ă  amĂ©liorer la satisfaction des personnes qui se tournent vers toi. C’est pour cela que dans cet article nous allons passer Ă  la loupe des termes marketing et surtout comprendre comment les appliquer. Growth marketing pour petites structures c’est l’histoire d’un pĂątissier
 Hack marketing pour hacker le cerveau des consommateurs ? DĂšs que tu aides les gens et que tu t’intĂ©resses un peu au marketing, un nombre incalculable de personnes t’envoie des pubs sur les hacks ». Comment hacker » une communautĂ©, hack marketing pour vendre plus »  comme je l’explique dans ce podcast, ce n’est pas le marketing qui fait vendre, mais comment tu t’en sers. Les techniques de marketing ne servent Ă  rien pour vendre plus et ce qu’il faut faire Ă  la place » Google traduit ça par pirater », tousser sans arrĂȘt » ou mĂȘme conduire un taxi. đŸ˜± Le “hack” c’est des raccourcis pour aller plus astuces permettant d’obtenir rapidement des mais encore faut-il avoir dĂ©jĂ  des clients et une bonne dose de donnĂ©es Ă  utiliser, non ? Pas vraiment, mettre un rappel de l’anniversaire de tes clients dans ton calendrier est un “hack” pour lui porter de l’attention au bon moment. C’est une gentillesse qui marque et qui ne coĂ»te “hack” marketing le plus efficace du monde 😉 le mariage marketing du siĂšcle le Growth Hacking Hack marketing et Growth marketing main dans la main, ça donne du Growth Hacking “piratage de croissance” d’aprĂšs google. Aucun pirate Ă  l’horizon, juste un ensemble de techniques croisĂ©es du growth et du Hack, souvent illustrĂ© par l’acronyme AARRR Acquisition de clients comment en trouver de nouveau, les attirer
 Action pour convertir tes prospects en utilisateur de ton pour maintenir le contact avec tes abonnĂ©s newsletter, articles, post sur les rĂ©seaux sociaux
Recommandation, transformer tes clients en pour amĂ©liorer encore le cycle AARRR et augmenter tes gains. Chaque pĂ©riode de ce cycle correspond Ă  une ou plusieurs actions Ă  mener qui engendre la phase suivante
 et ainsi de suite. Augmente ta visibilité sur le net Le growth marketing c’est trĂšs simple c’est vraiment mesurer quelques Ă©tapes pour crĂ©er une offre que les gens aiment et recommandent. Reprenons l’exemple du pĂątissierPour un maximum de data, il est prĂ©fĂ©rable d’ĂȘtre dans un endroit avec beaucoup de passage. Si tu es Ă  l’angle de deux rues qui sont trĂšs vivantes BINGO. Ensuite le l’exemple AARRR . Mise en situation Dans le chaos de la villeTu créés une identitĂ© unique diffĂ©rencianteTu mets une lumiĂšre chaude et accueillanteTu apportes une Ăąme dans ton quartierTu diffuses une bonne odeur de pain chaud et de viennoiseries Sur ta porte tu utilises aussi des biais cognitifs et biais sociaux pour te faire valoir prix d’excellence consommateur mĂ©daille de meilleur ouvrier articles de presse vantant tes mĂ©rites. À partir de lĂ  tu as donnĂ© confiance au chaland pour pousser la porte de ton Ă©tal. Acquisition L’expĂ©rience client a Ă©tĂ© travaillĂ©e de façon Ă  ĂȘtre irrĂ©prochableLe consommateur entre d’un cĂŽtĂ© et sort de l’autreTes vendeuses prĂ©sentent bien, gentilles, aiment renseigner et sont accueillantesQuand le client arrive Ă  la caisse sans trop attendre et en ayant achetĂ© plus que prĂ©vu, il a droit Ă  une carte de fidĂ©litĂ©. RĂ©tention Tu vas donner au client un pourcentage et/ou des attentions diffĂ©rentes toute l’annĂ©eComme il aime ce genre d’expĂ©rience il en parle Ă  ses voisins, amis, famille
 RevenusLa queue et la renommĂ©e de ta boulangerie explosent. Tu peux donc recruter pour amĂ©liorer le service et commander en plus grosse quantitĂ© les matiĂšres premiĂšres pour rĂ©duire les peux mĂȘme crĂ©er une baguette signature que tu peux revendre deux fois le prix revenus Growth marketing pour petites structures une histoire de branding Branding ou travailler sur toi pour te rendre unique. Le Branding n’est pas seulement pour les grandes un terme anglais, ultra-important pour un indĂ©pendant. C’est tout simplement l’art de se faire reconnaĂźtre. Je traite lĂ  plus de Personnal Branding parler de soi et de ses qualitĂ©s, dĂ©montrer son savoir-faire et ses compĂ©tences. Comment te mettre en avant par rapport Ă  tes concurrents ?Sortir du lot ?Devenir repĂ©rable ? C’est expliquer ton expertise et obtenir des que tu es le meilleur pour rĂ©pondre aux besoins de tes clients. Pour reprendre l’exemple du pĂątissier, s’il est reconnu comme spĂ©cialiste du chocolat, il va peut-ĂȘtre travailler diffĂ©rents cacaos, concevoir une façade de magasin marron ou sombre, porter une tenue plus en adĂ©quation avec son savoir-faire qu’un simple tablier blanc
Il va â€œĂ©voquer” le chocolat dans son style, dans ses vitrines, dans ces gĂąteux
 il va penser un univers entier. Si tu es pĂątissier, le branding va s’exprimer dans l’identitĂ© du mieux, la gamme et la qualitĂ© de tes produits le service et l’uniforme de tes employĂ©es et tout le design que tu auras mis autour pour rendre magique l’idĂ©e d’acheter du pain. No Code ou l’avĂšnement de la dĂ©mocratisation des outils numĂ©riques. Sans code, il est donc possible de rĂ©aliser son site web ou des applications, voire mĂȘme de concevoir des automatisations. Les systĂšmes no Code aujourd’hui permettent de crĂ©er son site web, sans savoir dĂ©velopper ou connaĂźtre le HTML. envoyer des e-mails Ă  1000 personnes Ă  la fois sans ĂȘtre bloquĂ© dans les spams imaginer des applications pour vos offres. devenir plus productif grĂące Ă  l’automatisation de certaines tĂąches dĂ©ployer un Chatbot pour engager des discussions avec ses internautes amĂ©liorer les process sur de gros projets
 ou des plus petits comme la publication automatisĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux 
 Jeu vidĂ©o, design, intelligence artificielle
 Le No Code n’a plus vraiment de limite. Growth marketing pour petites structures grace aux rĂ©seaux sociaux Comment garder un contact fort avec tes clients la newsletter grĂące Ă  l’autorĂ©pondeur bien sĂ»r ! Comme je l’ai dit plus haut l’autorĂ©pondeur est un outil magique pour existe plusieurs versions no la base ces logiciels ont Ă©tĂ© conçus pour rĂ©pondre automatiquement aux messages Ă©lectroniques. Aujourd’hui il expĂ©die des e-mails en masse. Comme tu le sais si tu mets plus de 10 adresses en copie de ton mail tu vas automatiquement tomber dans les spams. L’autorĂ©pondeur, cet outil magique qui te permet d’envoyer Ă  des milliers de personnes un mail en un seul le contact avec tes clients grĂące aux newsletters AAR RĂ©tention R. Un courriel c’est comme un coup de fil, c’est quelque chose qui arrive dans ta sphĂšre intime. Tu es le seul individu Ă  ouvrir tes mails, tu ne le partages avec personne. Tu peux donc toucher les gens directement, sans les alĂ©as des rĂ©seaux sociaux qui proposent, ou non, ton tu peux mĂȘme personnaliser tous les messages que tu envoies. L’autorĂ©pondeur permet de maintenir le contact avec tes clients. Leur donner des nouvelles, leur porter de petites attentions ou les renseigner sur ce que tu proposes. Ce sont des applications trĂšs abordables et trĂšs facilement manipulables pour n’importe qui. Ça permet de faire passer des informations qui seront lues et vues. Si tu ne l’as pas encore compris, je te conseille vivement d’utiliser un autorĂ©pondeur pour garder une correspondance rĂ©guliĂšre avec tes clients. Augmente ta visibilité GĂ©rer tes relations clients facilement grĂące Ă  un CRM Customer Relationship Management Dans certaines entreprises on appelle ça de la gestion de relation que c’est en pratique ?Un outil ! Tu vas mettre dans cet systĂšme il existe plusieurs applications sur le marchĂ© toutes les interactions que tu as avec tes clients. C’est une collecte de donnĂ©es ET un outil au RGPD quand mĂȘme. Toutes les informations sur ton contact ne doivent pas ĂȘtre notifiĂ©es. Les grandes sociĂ©tĂ©s utilisent beaucoup les quoi cela va-t-il te servir, toi l’indĂ©pendant ou petite structure ? Sais-tu que tu possĂšdes dĂ©jĂ  un CRM ? Activable instantanĂ©ment, car tu l’as sur toi en permanence 😁Si si je te jure, tu as une base de donnĂ©es, dans ta poche ou dans ton s’appelle un smartphone. LĂ  ou avant on rentrait juste un nom et un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone, aujourd’hui on rajoute la date de naissance, l’adresse, voir plusieurs adresses, le mail
Et surtout des champs personnalisĂ©s pour relever toutes les informations importantes. C’est sĂ»rement le plus petit CRM au monde, indispensable Ă  toute vie sociale
 et professionnelle. Comment utilises-tu ce mini carnet de relation client ? RĂ©ponds moi par lĂ  Comment choisir entre Wix et WordPress pour crĂ©er son premier site web ? Conseils marketing, Developpement, Web / internet Quand on se lance pour la premiĂšre fois dans la crĂ©ation de sites web, 2 grandes plateformes s’offrent Ă  nous Wix et WordPress. Wix, on a en entendu parlĂ© par la publicitĂ©, omniprĂ©sente. Elle nous vante la conception Ă  0 € de notre site, facilement et intuitivement. WordPress, on en entend parler par des gens dĂ©jĂ  aguerris au site web
 les vrais 😉Du coup, quand on dĂ©bute et qu’on veut crĂ©er son tout premier site
 on imagine que c’est la plupart des hĂ©bergeurs le proposent dĂ©jĂ  installĂ© sur leur plateforme. Serait-ce un signe ? Face Ă  tout ce qu’on nous dit, notre cƓur balance Wix, incroyablement simple, ou WordPress, ajustable et Ă©lĂ©mentaire ?Sauf qu’on entend parler d’ hĂ©bergement », de nom de domaine » et encore de theme » ou plugIn »  mais qu’est-ce que c’est que tout cela ?Du coup, quand on dĂ©bute dans le web, WordPress semble plus opaque et peut faire peur alors mĂȘme qu’il surpasse la concurrence. Quel dilemme lequel, de Wix ou de WordPress, utiliser pour rĂ©aliser son premier site web ? Wix vs WordPress – construire un site web responsive HĂ©bergement Wix l’inclus, pour WordPress ce sera en plus. Le coĂ»t de la rĂ©alisation de votre site web impacte notre prise de donc on bute sur le choix du fournisseur d’hĂ©bergement, et donc de la plateforme Ă  on se lance dans la crĂ©ation, on n’aime pas les mauvaises surprises. On compte chaque centime. Et souvent on ne voit que le prix affichĂ© en nĂ©gligeant la maintenance, les extensions
 Comparons donc ce qui peut l’ĂȘtre. Wix est une plateforme oĂč tout est inclus dedans hĂ©bergement, nom de domaine et CMS constructeur web
 ou pas. D’aprĂšs la publicitĂ©, trĂšs souvent diffusĂ©e, tout est en contrepartie Wix affiche sa marque sur tout votre vous ne le voulez pas, il faudra si vous optez pour le tout gratuit », pas question d’avoir un nom de domaine spĂ©cifique. Vous serez noyĂ© dans les nombreux sites site est une redirection dans le nom de domaine Wix. Ce qui va vous poser problĂšme plus tard dans le Wix en gratuit » ne propose pas les accĂšs Ă  Google analytiques. Nom de domaine = le nom que vous allez donner Ă  votre site siteWPfacile ou AnneBurtinCreation par exemple. C’est grĂące ce nom que vos clients et Google vont vous retrouver sur le net. Vous voilĂ  donc contraint de prendre un plan payant afin de bĂ©nĂ©ficier de votre propre nom de domaine et de supprimer les publicitĂ©s qui apparaĂźtraient sur votre site les prix de juillet 2021, les fameux forfaits plan a des limites, vous pouvez en choisir un pour un mois ou acheter une prestation pour toute une annĂ©e. Augmente ta visibilité sur internet Avec WordPress vous avez plusieurs choix pour l’hĂ©bergement de votre site en gĂ©nĂ©ral ce qui fait le plus peur Ă  ceux qui veulent crĂ©er leur site web seul comment bien choisir ? Tout d’abord WordPress est lui aussi CMS la machine qui va faire tourner votre site web est en licence CrĂ©ative Commons, c’est Ă  dire accessible Ă  tous. Elle a Ă©tĂ© conçue et continue Ă  ĂȘtre amĂ©liorĂ©e par Avant d’installer le moteur » WordPress, vous devez trouver un hĂ©bergement pour le faire tourner et dĂ©cider de votre propre nom de domaine. Vous devez donc aller choisir parmi la plĂ©thore d’offres, laquelle vous correspond le mieux. C’est lĂ  que certains se sentent dĂ©jĂ  mal. HĂ©bergement endroit ou sera stockĂ© votre site web. Il existe de nombreuses propositions française, europĂ©enne, amĂ©ricaine
 et tout comme les assurances elles sont toutes prĂ©sentĂ©es diffĂ©remment. Imaginez que construire votre site web, c’est bĂątir votre bureau, le lieu oĂč vous allez recevoir vos hĂ©bergement c’est une maison ou un plateau d’appartement complĂštement nom de domaine c’est l’adresse de ce bureau, pour savoir comment vous trouver, un peu comme le nom sur la WordPress serait le super bricoleur qui va poser l’électricitĂ©, les murs, la plomberie
Vous serez un architecte, WordPress et ses extensions vos ouvriers. Prix pratiquĂ© par Wix, diffĂ©rents si vous ĂȘtre particulier ou entreprise. Choisir l’hĂ©bergement c’est dĂ©signer quel type de maison ou d’appartement vous voulez sa taille, sa capacitĂ©, son Ă©volution dans le temps
 tous ces paramĂštres sont Ă  prendre en compte. Du coup, dans un premier temps, on va se tourner vers un hĂ©bergeur dĂ©cider la taille de son appartement. Pour les maisons individuelles, mieux vaut travailler avec un dĂ©veloppeur pour vous aider.Vous allez voir qu’on peut trouver de superbes appartements, spacieux, lumineux et pour pas grand-chose 😉 Quel hĂ©bergeur, et/ou plan, choisir pour WordPress ? Je vous en propose 3 sĂ»r OVH, O2Switch, tout 2 Français avec un SAV en français, et Infomaniak, Suisse, avec support en français aussi. Vous pouvez en trouver d’autres, mais ceux-lĂ  je les ai testĂ©s et
 ils sont plutĂŽt bien cĂŽtĂ© par mes confrĂšres. Comme vous pouvez le voir, OVH, O2Switch ou Infomaniak prĂ©sentent des plans avec WordPress dĂ©jĂ  installĂ©. Un grand plus qui Ă©vite les manipulations en FTP pour ceux qui ne sont pas Ă  l’aise avec toutefois, les structures ne proposent pas les mĂȘmes capacitĂ©s, ni le mĂȘme nombre de sites ou d’adresses mail. Chez OVH, il faudra compter avec un site bridĂ© pas de gros fichiers, vitesse assez lente. Un petit bidouillage dans les paramĂštres Ă  faire rĂ©aliser par un expert explosera les limites sous SAV, un temps totalement absent, revient peu Ă  peu. Joignable via votre interface ou directement en message privĂ© sur Twitter, assez efficace. Chez O2Switch, quand vous prenez un hĂ©bergement vous avez accĂšs au multisite. C’est-Ă -dire que vous pouvez crĂ©er dans une seule offre, plusieurs sites panel », lieux ou vous allez rĂ©gler les boĂźtes mail et DNS, est visuellement simple et facile Ă  exclusivement pas mail, trĂšs rĂ©actif, mais vous renvoie souvent sur des tutos plutĂŽt que de vous expliquer la manƓuvre particuliĂšre dont vous avez besoin. Infomaniak en train de tester sur ce site mĂȘme et
 j’ disponible par tchat ou mail. et quand on a un souci, c’est toujours super agrĂ©able d’avoir une rĂ©ponse rapideDivi est inclus dans l’hĂ©bergement on en reparle plus bas, car c’est un sacrĂ© gain d’argentL’administration manager est trĂšs ils ont des services associĂ©s que je compte bien tester Cloud, Newsletter, Backup
.Oui, ce sont les plus chers des 3, mais vous n’avez AUCUN bridage sur votre site et il est plutĂŽt bien notĂ© en rĂ©fĂ©rencement, justement grĂące Ă  la vitesse de lecture par Google. Plus un site est rapide Ă  s’afficher, mieux google le rĂ©fĂ©rence Conclusion beaucoup d’offres diffĂ©rentes, chez Wix comme pour votre WordPress pour crĂ©er son site web. Les points Ă  vĂ©rifier avant de choisir la taille de l’hĂ©bergement,la vitesse proposĂ©e,le nombre de connexionset les emails, inclus ou pas. Attention Ă  la politique SAV, car on a toujours besoin d’un bon service aprĂšs vente. Rien de plus dĂ©sagrĂ©able que de rester coincĂ© avec une question. Les hĂ©bergeurs OVH, O2Switch et Infomaniak FacilitĂ© d’utilisation de WordPress versus Wix pour la crĂ©ation de son site web. En tant que dĂ©butant, vous ne voulez sĂ»rement pas passer des plombes Ă  trouver comment ça fonctionne. Heureusement, les 2 CMS ont compris vos attentes et proposent des outils trĂšs simples. Petit tour du propriĂ©taire. Wix et ses puissants outils de glisser-dĂ©poser dans son site web Wix a Ă©tĂ© pensĂ© pour les dĂ©butants. Vous trouverez des images dĂ©jĂ  disponibles, beaucoup de polices de caractĂšres diffĂ©rentes et l’interface trĂšs facile d’utilisation. Son gros plus le glisser-dĂ©poser. Vous sĂ©lectionnez un Ă©lĂ©ment et vous le faites glisser lĂ  oĂč vous interface wysiwyg trĂšs intuitive.What You See is What You Get ce que tu vois est ce que tu obtiensEn fait, chaque Ă©lĂ©ment du site peut ĂȘtre dĂ©placĂ© de cette façon. Je le prends et je le bouge dans la peux rĂ©diger du contenu directement dans ma page. Ajouter des images et les dimensionner avec ma cela, Wix offre une expĂ©rience utilisateur trĂšs agrĂ©able. WordPress est plus ancien, mais se rattrape bien en incluant des Ă©diteurs visuels Wysiwyg pour la crĂ©ation de son site web. Aujourd’hui, WordPress c’est un constructeur de pages Elementor. On appelle ça aussi un pour faciliter la crĂ©ation de tout le site. Avec les thĂšmes, il fallait mettre les mains dans le code pour tout petit changement. Le Builder remplace aujourd’hui le thĂšme. Il existe encore des thĂšmes, mais qui a envie d’avoir exactement le mĂȘme salon que son voisin, mĂȘme disposition, mĂȘmes chaises ? Augmente ta visibilité sur le web Un thĂšme c’est comme si vous choisissiez une page du catalogue Ikea par exemple et qu’elle Ă©tait livrĂ©e telle quelle dans votre l’accueil de votre site web, vous sĂ©lectionnez le salon X ou Y et hop, il est un Builder on pourra redĂ©signer la disposition de chaises et des fauteuils. Plus le constructeur de pages sera avancĂ©, plus on pourra faire de transformations changement de canapĂ©, correction des couleurs, ajout d’armoires
 je travaille avec DIVi d’Elegant est un builder. Il me permet soit de prendre dans un large catalogue un Layout existant et de les modifier Ă  ma guise, soit de crĂ©er ma page comme je l’ est quasi identique, sauf qu’avec la version gratuite » les possibilitĂ©s sont limitĂ©es et qu’il faudra passer Ă  la mouture payante pour pouvoir modifier l’ensemble de mes pages comme je le souhaite. Conclusion WordPress a rĂ©alisĂ© d’énormes progrĂšs en matiĂšre de on travaille directement sur sa page, au lieu de prĂ©parer en back office puis de il demeure moins intuitif que peut ĂȘtre pris en main plus rapidement, mais reste moins performant en termes de refontes que WordPress. Tout dĂ©pendra donc du temps que vous voulez consacrer Ă  votre a aussi le gros avantage de fournir une bibliothĂšque de mĂ©dias prĂ©installĂ©s. Construire son site web seul avec WordPress Style et conception de vos pages web Wix prĂ©sente plus de 500 modĂšles de pages prĂ©dĂ©finis. Ces layout peuvent tous ĂȘtre transformĂ©s avec les outils pouvez agencer Ă  votre guise les pages, ajouter, enlever. Wix a mĂȘme prĂ©vu des prototypes pour diffĂ©rent genre de site coaching, rĂ©paration auto
 Le souci, c’est que lorsque vous avez choisi un modĂšle, impossible de le remplacer. La modification oui, le changement non. WordPress, des milliers de thĂšmes gratuits ou payants. Comme WordPress est un outil collaboratif, des templates/Layout pour tout style de site sont disponibles Ă  peu prĂšs partout. Des plus traditionnels, aux plus modernes et innovants. Il existe d’innombrables market place ou acheter des version gratuite, et fournie dĂšs l’installation de WordPress, il y a le fameux thĂšme Twenty seventeen trĂšs classique. Vous pourrez tous les trouver par ici Attention toutefois, ils ne sont pas facilement manipulables comme un Builder pourrait l’ĂȘtre. Ils comportent un nombre restreins de style et pour les accommoder, mieux vaut s’y connaĂźtre en code. Autre inconvĂ©nient, plus vous ajustez ces thĂšmes, plus ils vont crĂ©er des problĂšmes Ă  la mise Ă  jour de WordPress
 ou de leur propre mise Ă  jour. De plus, le support est souvent trĂšs limitĂ© dans le temps. Les thĂšmes payants, trouvables dans ce genre de market place ont un suivi plus rĂ©gulier et plus long. Vous pourrez Ă©changer avec le SAV durablement
 en anglais la plupart du sont bourrĂ©s d’extensions pour rĂ©aliser des carrousels d’images, des formulaires contact
Ils proposent beaucoup d’options en vous en achetez un, autant ne pas trop le transformer. Eux aussi supportent mal quelques modifications en Ă  bien vĂ©rifier que les licences des extensions ne sont pas limitĂ©es dans le temps. Ensuite il y a les Builder, les plus connus Divi et Elementor Elementor est dĂ©sormais en natif sur WordPress, mais en version bridĂ©e. Comme tout drag and Drop prendre et dĂ©placer trĂšs performant comme le montre la dĂ©mo par ici pour une version complĂšte il faudra aller acheter ce constructeur de thĂšmes. Plusieurs plans en US Dollars s’offrent Ă  vous. Il est assez avantageux pour un seul site. Mon chouchou Ă  moi c’est Divi de Elegant Theme. Comme un Builder, on se retrouve directement sur notre page pour construire, appeler des modules et les transformer en temps rĂ©el. Divi propose plus d’une centaine de Layout, tous avec plusieurs pages et tout peut vouloir une page d’accueil avec un thĂšme therapy » et ajouter une page de contact qui nous plaĂźt dans industry ». Bien que je vous conseille de garder le mĂȘme thĂšme sur tout votre Divi plans sont diffĂ©rents soit on le rachĂšte tous les ans, soit on en fait l’acquisition une seule fois, Ă  vie, pour plusieurs oui, il est plus cher que Elementor, mais j’ai une astuce je passe par Infomaniak comme hĂ©bergeur oĂč Divi est inclus. Grand gagnant de cette confrontation de style WordPress Plus de thĂšmes, beaucoup de styles diffĂ©rents, facilement modulables, choix entre un thĂšme gratuit, payant ou un builder
 WordPress Ă©crase Wix sans contestation. Entre la personnalisation et les transformations, votre site web sera plus proche de votre image avec WordPress. Comparaison des builder Divi et Elementor Ajout et flexibilitĂ© de ces 2 solutions web que sont WordPress et Wix Lorsque que l’on crĂ©er un site web, souvent nous avons besoin de fonctionnalitĂ©s en plus. Des extensions tierces qui vont nous permettre d’ĂȘtre mieux rĂ©fĂ©rencĂ©s, avoir un site plus lĂ©ger
 Ces modifications de l’écosystĂšme de base s’appellent les extensions ou PlugIn chez WordPress, des applications chez Wix. Comparons ce que les 2 plateformes, Wix et WordPress peuvent vous proposer pour la crĂ©ation de votre site web. Wix est livrĂ© avec 200 applications. Ces applications ajoutent des fonctionnalitĂ©s Ă  vos pages formulaire contact, Commentaire sous les articles, galeries d’images
La plupart sont gratuites ou en version incomplĂštes. Pour que l’application marche entiĂšrement vous devrez passer par la case prix varient en fonction de leur utilisation. Plus vous en aurez besoin, plus vous risquez de payer exemple, pour rendre votre site full responsive » parfaitement lisible sur portable, Wix vous propose une option payante. Sans ça ce sont plusieurs heures en plus Ă  bidouiller votre les applications couvrent bien la plupart des demandes. Augmente ta visibilité sur le web WordPress, le gigantisme de l’open source et ces 55 000 plug-ins WordPress est un CMS Open-Source, c’est-Ă -dire qu’il est gratuit ET accessible Ă  tous. Pour les dĂ©veloppeurs c’est fantastique. Un dicton dit mĂȘme si vous y pensez, il existe sĂ»rement un plug-in WordPress qui le rend possible. À ce jour il y a plus de 55 000 PlugIn, rien que dans la base de Ă  dire que Divi, Elementor et autres thĂšmes ou Builder ont aussi leurs propres contact complexe, Google Analytics ou crĂ©ation d’accĂšs restreins
 tout est dĂ©veloppĂ© sur WordPress. Tout est beaucoup de grands noms ont exĂ©cutĂ© leurs sites avec ce CMS. Ce n’est pas pour rien que prĂšs de la moitiĂ© des sites dans le monde sont sous peut quasiment tout faire sans code, en tous cas on peut rĂ©aliser de beau site, rien qu’avec tout ce que nous offre les builders. Et avec Divi, c’est encore plus facile, car il intĂšgre directement quelques extensions bien utiles formulaire contact Ă  choix multiple, liens vers les rĂ©seaux sociaux, A/B testing
 et le responsive est inclus. GrĂące Ă  son constructeur, nous pouvons dĂ©cider comment sera vu notre site sur mobile, tablette ou ordinateur. MĂȘme si divi le fait pratiquement tout seul, nous pouvons aller fouiller dans les moindres rĂ©glages — et toujours sans coder — modifier. LĂ  encore, les nombreux choix proposĂ©s par WordPress en font un champion. En fait, le plus difficile, c’est de savoir comment on veut notre site. Le large choix que propose WordPress actuellement en fait l’éditeur de site le plus complet et le plus simple Ă  la fois. À condition d’opter pour les bons alliĂ©s plug-in. Wix vs WordPress lequel choisir pour son premier site web ? RĂ©sumĂ© de ce comparatif entre Wix et WordPress. Je ne vous ai peut-ĂȘtre pas paru trĂšs partiale ?Effectivement, il y a quelques annĂ©es encore, Wix Ă©tait la meilleure plateforme pour Ă©chafauder son site web. TrĂšs intuitive et avec beaucoup d’options cela semblait Ă©vident de commencer par lĂ . Mais WordPress et les constructeurs comme Elementor ou Divi se sont mis Ă  simplifier la crĂ©ation eux aussi. Tout le monde a rendu accessible la rĂ©alisation de sites web. Un peu d’aide sur la partie technique, la façon de faire et hop, on devient addict Ă  la modification de page. Combien de temps pour l’imaginer puis dĂ©velopper son site web ?Je crois que beaucoup de mes clients ne se rendent pas compte des perspectives qu’ils ont lorsqu’ils se lancent dans un site. Ils se brident quant aujourd’hui les possibilitĂ©s sont infinies. C’est pour cela que je les Ă©paule au quotidien Ă  trouver des solutions qui leur ressemblent. Pour la mise en place d’un site web, comptez
 le temps qu’il sont sĂ»rs d’eux et foncent, d’autres, plus hĂ©sitants, reviennent sans cesse sur ce qu’ils ont rĂ©alisé  pour mieux et ajuster jusqu’à ce qu’on en soit fier. L’autre avantage de WordPress, c’est que votre site grandira avec vous. Commencez petit et faites-le croĂźtre avec votre sociĂ©tĂ©. Vous avez un plancher sans limites, vous pouvez rajouter des piĂšces, des bibliothĂšques complĂštent
Les seules limites sont votre nombre de visiteurs en mĂȘme vous les souhaite considĂ©rables. Tu veux crĂ©er ton site sous WordPress, mais la technique te fais peur ?Tu voudrais un coup de main pour un site web pro que tu maitrise TOI et pas l’agence qui va te couter un bras ?C’est par ici que ça se passe CrĂ©ation de sites web remarquĂ©s & remarquables Accompagnement Ă  indĂ©pendance pour la crĂ©ation de son Site Web Quel mĂ©dia choisir pour se faire connaĂźtre rĂ©seaux sociaux ou site web ? Communication, Conseils marketing, Web / internet Comment rester maĂźtre de ta communication mĂ©dias sociaux ou site web ? Aujourd’hui tu te tu ne sais pas oĂč mettre tes billes Facebook ? LinkedIn ? Un site web ? Par oĂč commencer ta communication ?Comment exister auprĂšs de tes futurs clients ? Plusieurs mĂ©thodes ont cours pour ça et tu as dĂ©jĂ  entendu tout et son contraire. Point du mois de juin 2021, car la situation est susceptible d’évoluer au grĂšs des plateformes citĂ©es. Premier rappel tous les moyens pour te faire connaĂźtre existent, mais dĂ©pendent essentiellement de l’endroit oĂč tes prospects vont te chercher. Facebook pour les plus de 35 ansInstagram pour les 15/30 ansLinkedIn pour les contacts pro
Chaque rĂ©seau social a son type de visiteurs, Ă  toi de bien le cibler voir article Dans cet article on va parler Facebook, LinkedIn ou Instagram, mais aussi de ton site Web. On sait que Facebook touche 50 % de la population française, c’est Ă©norme. C’est un excellent levier pour acquĂ©rir des prospects. D’un autre cĂŽtĂ© Facebook nous permet de prĂ©senter nos prestations, nos services et nos produits
 voire mĂȘme de crĂ©er une boutique en pages Pro ont grandement progressĂ©. De l’autre, depuis quelque temps Facebook maltraite nos pages professionnelles. Il leur donne moins de visibilitĂ© alors qu’il pousse toutes les entreprises Ă  communiquer Ă  en devenir schizophrĂšne. Nous sommes obligĂ©s d’avoir un espace Business pour lancer de la pub ou programmer nos posts, montrer notre boutique ou afficher un bouton d’appel rendez-vous, contact, message
 La portĂ©e organique d’une page est aujourd’hui grandement freinĂ©e par l’algorithme de Facebook. En effet depuis quelque temps Marc Zuckerberg et sa clique prĂ©fĂšrent que tu payes des publicitĂ©s pour faire connaĂźtre ta sociĂ©tĂ©. Tu l’auras compris la rĂ©percussion naturelle d’une page professionnelle sur Facebook est un peu morte. Certains utilisent donc leur profil perso pour communiquer. Ça reste un profil personnel et si tu utilises celui que tu avais avant je te conseille de Enlever toutes tes communications personnelles [voir dans paramĂštres] Passer ton profil en mode public et prĂ©venir tes amis. Tu peux aussi dĂ©cider d’avoir un deuxiĂšme profil qui sera tournĂ© vers le pro
 mais es-tu prĂȘt Ă  gĂ©rer 2 comptes ? Les rĂ©seaux sociaux touchent une grande partie de la population [50 % de Français ont un compte Facebook].Le revers, en compte personnel ou professionnel, c’est que Facebook choisit qui voit ou non ce que tu veut dire qu’il faudra travailler ta communication en fonction des alĂ©as que Facebook peut provoquer. Si un jour il dĂ©cide de fermer ta page, tu ne pourras plus rien rĂ©cupĂ©rer. En complĂ©ment de Facebook, tu as Instagram ou lĂ , l’accroissement organique de ton fil peut encore fonctionner. Instagram c’est un rĂ©seau social qui est plutĂŽt jeune, en dessous de 35 ans. Par contre c’est un outil de communication purement visuel. Si tu as des produits Ă  vendre, ça peut ĂȘtre trĂšs facile. Quand c’est du service, il faudra se creuser un peu plus la Instagram les photos de personnes fonctionnent trĂšs bien. NĂ©anmoins pour faire grossir ta communautĂ© il y a du encore, les rĂšgles sont dictĂ©es par le groupe Facebook. Et ils peuvent Ă  tout moment de les changer
 ou non. Sur les rĂ©seaux sociaux les plus connus et utilisĂ©s, LinkedIn tire son Ă©pingle du jeu. LinkedIn c’est pour une communication strictement professionnelle de pro Ă  pro. Cela signifie que les images de chatons mignons » ne font pas partie du langage LinkedIn [mĂȘme si j’en suis moi-mĂȘme adepte].Si ton client idĂ©al » est sur ce rĂ©seau, je t’encourage vivement Ă  te crĂ©er un profil. Attention photo de compte vĂ©ritablement professionnelle [les vacances et le bronzage ça ne compte pas], messages sĂ©rieux et implications dans les posts de tes relations. Tu peux aussi y Ă©tablir un profil pour ta il est prĂ©fĂ©rable d’avoir une grosse entreprise pour mieux le faire connaĂźtre. Le but est d’ĂȘtre plusieurs pour amener les gens Ă  aller voir la sociĂ©tĂ© en question. La portĂ©e organique de LinkedIn est quand mĂȘme assez doit entretenir des relations sociales avec la personne avant de pouvoir toucher son rĂšgle est que si tu connais untel, alors tu seras plus susceptible d’aborder un de ses proches. Malheureusement, au bout d’un moment, tu reçois beaucoup de propositions d’individus qui n’ont rien Ă  voir avec ton business. Ils dĂ©sirent te faire placer ton argent, changer d’assurance
Commercialement, c’est un rĂ©seau trĂšs puissant Ă  condition de ne pas tomber dans l’automatisation Ă  outrance. Sur LinkedIn, toujours personnaliser ton message de mise en un minimum la personne Ă  qui tu veux t’ vraiment ce qui m’ennuie le plus dans ce rĂ©seau le nombre de contact » qui utilisent des bots pour t’envoyer des messages de connexion. LinkedIn encourage et rĂ©compense les gens qui publient rĂ©guliĂšrement. Ce rĂ©seau a créé un Social Selling Index Tu peux obtenir ton score par ici Les autres rĂ©seaux sociaux le font aussi, ils te classent en fonction de ce que tu publies et des rĂ©actions suscitĂ©es
 mais ils le gardent pour leur cher algorithme. Engranger des relations avec les relations de tes relations afin de grandir et faire grossir ton reach. Attention toutefois quand tu utilises des hashtags sur LinkedIn tu ne peux en positionner que trois dans chaque post. N’en met pas plus, tu pourrais ĂȘtre pĂ©nalisĂ©. Et rĂ©sumer ta publication avec seulement trois est une gymnastique de l’esprit. Sur LinkedIn tu n’es visible que par tes relations et les relations de tes relations. Par contre quand tu participes Ă  une discussion tu peux ĂȘtre identifiĂ© par plus de sur Instagram il faudra ĂȘtre prĂ©sent rĂ©guliĂšrement soit par des publications, soit par des commentaires. Tous ces rĂ©seaux sociaux te font grimper en notoriĂ©tĂ©. Tous ces rĂ©seaux sociaux te donnent une sorte de score qui va dĂ©pendre de tes likes, de tes partages
 mais aussi des Ă©moticĂŽnes et commentaires laissĂ©s sous tes posts. Sur Facebook et Instagram, c’est beaucoup plus compliquĂ© de savoir ce que tu vaux et donc de comprendre comment tu seras perçu. Ne pas oublier que seuls ses rĂ©seaux sociaux sont maĂźtres de ce que tu publies et de ce que tu ne peux pas partir du moment oĂč tu es enfreint de rĂšgles, tu peux ĂȘtre banni et ainsi perdre tous tes contacts. C’est ce qui arrive Ă  quelques gourous. Ils se font expulser des plateformes sociales pour ne pas respecter les rĂšgles, pour avoir Ă©tĂ© trop signalĂ©s
Le rĂ©seau social a le droit de t’exclure ou d’enlever ce que tu as publiĂ© dessus. Pour rappel, Trump s’était fait bannir de si ça a sollicitĂ© l’indignation de nos politiques [qui ne connaissent vraiment rien lĂ -dedans], Twitter, comme Facebook ou LinkedIn sont des entreprises donc elles qui imposent leurs rĂšgles. Les avantages du site Web. Effectivement quand tu dĂ©butes un site Web coĂ»te cher ». C’est compliquĂ© »  Ă  bon ? je suis nulle en technique » C’est ce que j’entends dire partout. Et pourtant il n’a jamais Ă©tĂ© aussi simple de crĂ©er son site web. Les Ă©diteurs WYSIWIG sont dĂ©sormais la norme[What You See Is What You Get ce que tu vois est ce que tu obtiens]Tu peux monter ton site web directement sur ta page et le voir comme vont le dĂ©couvrir les internautes. Le site web est actuellement le seul moyen sur Internet de garder la maĂźtrise de ce que tu dis et des donnĂ©es de tes clients. Il t’appartient complĂštement [a moins d’enfreindre vĂ©ritablement les rĂšgles de l’état dans lequel tu te trouves, mais lĂ  faut vraiment le vouloir]En France nous ne sommes pas dans un Ă©tat totalitaire et donc nous pouvons encore dire ce que nous voulons, ça s’appelle la libertĂ© d’expression. Le site Web va te permettre de ramasser des donnĂ©es et de rester en contact avec tes toi le maĂźtre. Fini la dictature de Facebook, LinkedIn ou autres
 C’est le grand avantage par rapport aux rĂ©seaux sociaux ces donnĂ©es-lĂ  seront toujours Ă  toi. LĂ  oĂč les rĂ©seaux sociaux les gardent jalousement pour eux [et les utilisent pleinement] Faire rĂ©aliser son site web c’est et non. Avant on faisait payer les sites au nombre de pages fallait coder chaque paye, c’était long. Aujourd’hui le prix est plus en rapport Ă  la technologie employĂ©e, aux actions que l’ont souhaite, Ă  la crĂ©ation de texte ou non, les images, de la vidĂ©o
Chaque site est particulier, donc chaque site a un coĂ»t diffĂ©rent. Suivant ce que tu veux mettre dedans, tu es censĂ© avoir un tarif en qui n’est pas toujours le cas chez mes peux trouver du site pas cher, de l’étudiant qui cherche Ă  se vendre et qui aura disparu de la circulation quand tu auras un site TRÈS onĂ©reux de la sociĂ©tĂ© qui a un dĂ©veloppeur front end, un back end, un UX designer, avec un SEO manager
 bref, tout plein de mĂ©tiers diffĂ©rents pour apporter un maximum Ă  ta visibilitĂ©. Mais pour commencer, gĂ©nĂ©ralement mes clients ont besoin d’un site simple, qu’ils peuvent transformer eux-mĂȘmes. Oui, car la premiĂšre mouture est rarement la bonne. On va modifier les textes
 ha et puis cette image n’est pas top
 je mettrais bien une page en plus, non ? »C’est pourquoi je propose la rĂ©alisation d’un site ET l’accĂšs Ă  une formation gratuite pour devenir indĂ©pendant sur la plupart des aspects crĂ©atifs. Je me sens nulle en informatique, alors comment rĂ©aliser mon propre site web sous WordPres ? » Non, aujourd’hui la technique n’est plus un frein Ă  la crĂ©ation de son site web. La plupart des hĂ©bergeurs ont fait des progrĂšs Ă©normes et s’adressent aux nuls en informatique ». Souvent on trouve un hĂ©bergement avec un WordPress dĂ©jĂ  installĂ© testĂ© OVH, O2Switch, 2 solutions je suis en train de m’essayer Ă  Infomaniak, sociĂ©tĂ© suisse qui est encore plus facile d’accĂšs, car ils incluent dans leur hĂ©bergement le theme Divi, un Builder ultra trĂšs souple et ultra complet. [Builder constructeur de pages]D’ailleurs je t’en parle par lĂ  Accompagnement Ă  la crĂ©ation de site web sous WordPress, comme un pro. Comment exploiter ton site web ? Un site web c’est bien, mais comment le faire vivre et toucher mes clients ? De nombreuses maniĂšres de garder le contact avec tes acheteurs existent 1/ le blog comme ici oĂč je vise les entrepreneurs Un blog, ça ne prend pas tant de temps que dĂ©coule beaucoup de ton niveau d’ par exemple j’essaie un minimum de bien me rĂ©fĂ©rencer sur des mots-clĂ©s et de publier je connais des amis qui font plus cours, et attirent beaucoup de monde quand dĂ©pend lĂ  aussi de ton positionnement et de ton persona marketing. 2/ les autorĂ©pondeurs pour garder le contact [et tes donnĂ©es clients]. Lors de la crĂ©ation d’un site web, je conseille toujours de prendre un logiciel pour expĂ©dier des ton application d’envoi [Entourage, Thunderbird, Gmail
] tu peux expĂ©dier Ă  10 adresses max avant de passer pour un coup, dĂšs que tu dĂ©passes 10 contacts, soit tu fais 150 mails diffĂ©rents, soit tu utilises un autorĂ©pondeur. Acrive campaign, MailPoet, Mailchimp qui autorise 2000 contacts gratuits au dĂ©but, ou SG AutorĂ©pondeur en français et qui gĂšre mĂȘme les SMS
 il y en a beaucoup d’autres. Ça te permet d’adresser un courriel Ă  plus de 1000 personnes Ă  la fois, mais aussi d’en programmer l’envoi. TrĂšs pratique. DeuxiĂšmes GROS avantages tu conserves le contact avec tes clients et tu protĂšges leur tu n’échanges avec eux que par rĂ©seaux sociaux, le jour oĂč tu as un problĂšme tu ne peux plus les que lĂ  tu gardes le contrĂŽle. 3/ Tu es l’unique maĂźtre Ă  bord, tu gĂšres ton site web comme tu l’entends. Tu es le seul Ă  administrer ton qui dĂ©termine quoi mettre pour t’empĂȘcher de t’ tu peux partager sur toutes les plateformes les textes et images que tu opinion n’est plus bridĂ©e. 4/ tu gĂšres ton rĂ©fĂ©rencement Google et tes mots clĂ©s. Tu peux dĂ©cider de n’attirer que ceux qui t’ des mots-clĂ©s trĂšs ciblĂ©s, ton SEO n’attirera Ă  toi que des personnes intĂ©ressĂ©es par ton offreDĂ©couvrir les articles Ă  ce sujet > Comment crĂ©er une liste de mots-clĂ©s pertinente pour ton site web ? > 5 astuces de rĂ©fĂ©rencement Ă  utiliser immĂ©diatement pour ton site Web TĂ©lĂ©charges ton guide gratuit juste endonnant ton mail ci-dessous. Quel est le meilleur moyen de lancer ta sociĂ©tĂ© arrĂȘte de penser et agis ! Conseils marketing, Developpement, podcast Mindest d’entrepreneur le pouvoir de la pratique face a la pensĂ©e. Nous poursuivons tous des objectifs que nous voulons atteindre dans notre vie. On peut souhaiter apprendre une nouvelle langue, manger plus sainement, perdre du poids ou lancer sa sociĂ©tĂ©. On voit frĂ©quemment l’écart entre notre situation actuelle et celle que l’on voudrait on s’imagine souvent que c’est un manque de connaissances. C’est pourquoi on va lire des articles, acheter des formations, des livres qui vont nous parler de ce que l’on dĂ©sire supposons que si nous connaissions la meilleure stratĂ©gie, ce sera plus facile de dĂ©crocher de meilleurs rĂ©sultats. Et nous assimilons un meilleur rĂ©sultat Ă  de nouveaux savoirs. Ce que je rĂ©alise cependant c’est que de nouvelles connaissances n’entraĂźnent pas forcĂ©ment de meilleures situations. En fait apprendre quelque chose peut aussi ĂȘtre une perte de temps si ton but est de progresser. Dans son livre the practicing mind » l’esprit pratique Thomas Sterner explique la diffĂ©rence qu’il voit entre la pratique et l’apprentissage. Lorsque nous pratiquons quelque chose,nous sommes impliquĂ©s dans la rĂ©pĂ©tition dĂ©libĂ©rĂ©e d’un processus avec l’intention d’atteindre un objectif mots “dĂ©libĂ©rĂ©â€ et “intentions” sont essentiels ici,car ils dĂ©finissent la diffĂ©rence entre pratiquer activementquelque chose et l’apprendre passivement. » Pour nous, comprendre ou mettre en pratique quelque chose de nouveau est perçue comme similaire. Mais Thomas Sterner dĂ©montre que la comprĂ©hension ou la rĂ©pĂ©tition d’un processus ne mĂšne pas au mĂȘme ou agir deux mĂ©thodes qui donnent des rĂ©sultats profondĂ©ment opposĂ©s. Disons que mon but est de devenir plus dynamique, plus sportive. Je peux chercher de nombreux bouquins ou directives sur la toile. On en a Ă  si je ne passe pas Ă  l’entraĂźnement je ne serai jamais plus endurante et prĂȘte Ă  gravir des pratique va me permettre d’acquĂ©rir la musculation nĂ©cessaire. Si mon objectif est de dĂ©velopper ma sociĂ©tĂ©, je peux trouver des dizaines d’articles ou de livres qui vont me donner des indications les habitudes des gens qui rĂ©ussissent les meilleurs morning routine comment lancer son entreprise sans prise de tĂȘte Tous ces articles, vidĂ©o, bouquins me font rĂȘver
 mais vont-ils vĂ©ritablement m’apprendre Ă  me lancer ? Tout cela ne va pas me faire passer Ă  l’actionTout cela ne va pas m’aider Ă  lancer concrĂštement ma sociĂ©tĂ©. J’en saurai plus sur mes mentors ou sur les personnes qui rĂ©ussissent, mais cela ne s’appliquera peut-ĂȘtre pas Ă  moi. Si ton objectif est d’écrire un livre, tu peux regarder la grande librairie » toutes les semaines. NĂ©anmoins, StĂ©phane King s’enferme dans son bureau tous les matins et ne ressort que lorsqu’il a rĂ©digĂ© cinq ou six immense auteur comme lui passe ses matinĂ©es Ă  pondre son futur best-seller. C’est une habitude qu’il a Ă©tablie. C’est un process qu’il a mis en place. Ta façon de devenir auteur va dĂ©pendre du temps que tu vas utiliser Ă  Ă©crire et aussi Ă  lecture, le visionnage
 crĂ©ent des connaissances, mais reste assez passif. La pratique active amĂšne des compĂ©tences. Examinons trois autres raisons de privilĂ©gier l’apprentissage actif Ă  la connaissance passive. Si tu veux agir, va voir par lĂ . 1/ L’accumulation de savoirs peut cacher la procrastination. Dans de nombreux cas, les idĂ©es que nous piochons Ă  droite Ă  gauche sont un moyen dĂ©tourner d’éviter d’aller vers ses objectifs. Nous les disons importants pour nous, mais nous prĂ©fĂ©rons amasser de la connaissance dessus. Et pour la question d’une langue Ă©trangĂšre, comment passer Ă  l’action ?On peut cumuler tous les dictionnaires et les livres. Ce n’est pas pour autant qu’on la voit bien que la plupart des sociĂ©tĂ©s qui aujourd’hui proposent d’apprendre un nouveau langage vont le faire via des applications qui nous forcent Ă  pratiquer discussion avec son smartphone, quizz Ă  remplir
Et nous recevons des rappels pour passer Ă  l’action. Ils espĂšrent nous emmener le plus loin possible dans la rĂ©alisation concrĂšte de notre si on n’en fait pas une habitude, au bout d’une semaine, un mois, on arrĂȘte les efforts. On perd aussi beaucoup de temps Ă  vouloir trouver la meilleure mĂ©thode au monde. Nous commettons une erreur ĂȘtre en mouvement. Cela nous donne l’impression d’avancer alors que nous ne faisons que tourner en Ă  l’ le must, lire tous les blogs sur le sujet
 cela n’est-il pas une forme de procrastination ? Repousser pour quand on saura tout » ? 2/ la pratique est un apprentissage, mais l’apprentissage n’est pas nĂ©cessairement rĂ©alisable et concret. L’accumulation de connaissances n’est pas toujours trĂšs pratico-pratique. Bien que l’on dĂ©couvre de nouvelles mĂ©thodes, on ne passe pas forcĂ©ment Ă  la phase active est l’une des meilleures formes de pĂ©dagogie. En effet quand nous commettons des erreurs nous les retenons plus facilement que si on nous les avait me souviens trĂšs bien comment j’ai perdu toute une vidĂ©o de podcast lors de mes premiers montages. Ça me servira de leçon » et effectivement je me rappelle quelle est la manipulation Ă  ne surtout pas pratique va donc renforcer mes connaissances. Tu peux regarder des Youtubeurs ou potasser un super livre sur le sujet ça demeurera des connaissances rĂ©ellement sinon, tout ce que tu as consultĂ© ne sera te pas utile. On a dĂ©jĂ  tous lu un article ou vu une vidĂ©o sur une catastrophe naturelle si derriĂšre on ne passe pas Ă  l’action en envoyant un don ça subsiste une intention, ça reste improductif. 3/ la pratique permet de concentrer notre Ă©nergie sur le processus. Le progrĂšs est le rĂ©sultat naturel de la concentration sur le processus de toute action »Thomas Steiner Notre vie actuelle est la consĂ©quence de nos habitudes et de nos croyances Ă©ducatives, religieuses
.Si tu refais toujours les mĂȘmes choses ne t’attends pas Ă  un rĂ©sultat diffĂ©rent. Va voir le Guide de l’entrepreneur organisĂ© Les gens pensent que se concentrer signifie dire oui aux choses sur lesquelles vous devez vous a n’est pas du tout ce que cela signifie dire non aux centaines d’autres bonnes id es qu’il y faut choisir avec soin. Steve Jobs Lorsqu’on se concentre sur l’adoption de meilleurs comportements jour aprĂšs jour, le progrĂšs est continu et ta conclusion logique. PlutĂŽt que de te forcer Ă  travailler huit heures d’affilĂ©e sur un projet qui est long, pourquoi ne pas le diviser en petites Ă©tapes que tu feras sur plusieurs journĂ©es ? 1/ faire paraĂźtre moins imposant un sujet et donc le rendre plus facile Ă  rĂ©aliser 2/ concevoir une habitude qui va pouvoir se rĂ©pĂ©ter, se mettre dans l’ambiance plus rapidement. 3/ Ă  force de pratiquer, tu crĂ©eras un process pour aller de plus en plus vite. Par exemple un Podcast son + vidĂ©o me prenait plus d’une journĂ©e. Maintenant entre l’écriture, l’enregistrement, le montage et la diffusion j’arrive Ă  ne dĂ©passer 4 je pense que le rĂ©sultat est bien meilleur que ce que je produisais au tout dĂ©but, non ? RĂ©pĂ©ter les actions est une façon plus qu’évidente de rĂ©ussir. Un Tennisman va renvoyer la balle des millions de fois avant de devenir le roi de Rolland Garos. Atteindre le geste parfait nĂ©cessite des heures d’ le mĂȘme geste, avec la mĂȘme force
 Autant c’est quelque chose qui nous paraĂźt naturel pour les mĂ©tiers manuels, autant on ne l’applique pas systĂ©matiquement pour les professions dites intellectuelles ». Pourtant la mise en pratique est la meilleure moyen d’arriver Ă  ses fins. L’apprentissage passif est-il donc inutile ? Bien sĂ»r que non Ă©tudier pour le plaisir de comprendre est toujours intĂ©ressant. De plus l’absorption de nouvelles informations va nous aider Ă  prendre des dĂ©cisions plus rapidement par la des livres, des blogs, parcourir des vidĂ©os est toujours profitable. Par contre, passer Ă  l’action nous fera nous cachons souvent derriĂšre notre manque de connaissances pour ne pas agir. C’est notre meilleure excuse pour retarder un choix, repousser notre plus on passe du temps Ă  rĂ©aliser les choses plus on apprend sur la façon de gĂ©rer sa sociĂ©tĂ©. Fait,agis,passe Ă  l’action,la perfection n’est pas de ce monde ou plutĂŽt si 😉 3 points essentiels qui vont te permettre d’évaluer les besoins de tes clients cibles Communication, Conseils marketing, podcast Qu’est-ce que le marketing de contenu et quel est son arme secrĂšte ? Le marketing de contenu c’est le fait de publier beaucoup de texte, d’image
 ForcĂ©ment qui fait sens par rapport Ă  ton persona. Du contenu qui va le toucher et qui va atteindre ton public l’article Ă  ce sujet. C’est presque un clichĂ© en marketing de dire de connaĂźtre ses clients idĂ©aux. La premiĂšre chose est de faire une Ă©tude qui va cibler les besoins de ton client. Tu as beau avoir des donnĂ©es dĂ©mographiques sur ton client, tu ne connais pas forcĂ©ment les problĂšmes qui le frappent. Les HypnothĂ©rapeutes qui travaillent sur l’arrĂȘt du tabac le savent trĂšs client n’a le mĂȘme veulent abandonner la cigarette, mais les motifs du fumeur sont nombreux et divers. Si tu veux toucher cette personne, tu dois parler des causes qui l’empĂȘchent d’arrĂȘter, de ses cauchemars, de ses peurs, de sa frustration de ne pas rĂ©ussir Ă  importe de savoir s’il a 20, 40, ou 60 ans, si c’est un homme ou une femme. Ce qui compte c’est de t’adresser directement Ă  lui dans ton contenu. Parle-lui de ses problĂšmes,exprime son besoin mieux que lui,imagine ses de ce qu’il va obtenir. Pas encore de client avec qui Ă©changer ?Si tu n’as pas encore de clients, pas facile de connaĂźtre ces points-lĂ . Quelles sont les pensĂ©es des gens qui pourraient venir vers toi ? Il y a plusieurs techniques Ă  mettre en place. Regarder dans la mĂȘme direction et comprendre les besoins du client 1/ CrĂ©er une enquĂȘte qualitative. Il est facile de concevoir des sondages quantitatifs. Mesurer le sentiment gĂ©nĂ©ral, les besoins au niveau de la population et les comparer. Il est un peu plus compliquĂ© d’établir des Ă©tudes qualitatives et de comprendre vĂ©ritablement ce que ressentent nos clients. Comment savoir les mots et les phrases que les gens utilisent ?CrĂ©er un formulaire avec des questions ouvertes. Exemple d’interrogations Avez-vous dĂ©jĂ  essayĂ© de faire ___ ou ___ ? Dites-moi comment ça s’est passĂ©. Quel est votre plus grand dĂ©fi pour rĂ©aliser ___ ou ___ ? J’aimerais connaĂźtre les dĂ©tails. Pourquoi voulez-vous ĂȘtre ___ ou ___ ? Racontez-moi votre histoire. VoilĂ  trois sujets totalement ouvertes que tu peux aborder pour faire une enquĂȘte d’audience. Chaque question est extrĂȘmement informelle. ÂŁTu peux Ă©galement inviter les gens que tu touches Ă  partager ce formulaire. Plus tu as d’explication mieux tu vas cerner les vĂ©ritables besoins de ton audience vas avoir des rĂ©ponses longues et mĂȘme tout le vocabulaire que tes futurs clients utilisent pour parler de ton service ou de ta prestation. Livre ou connaissance sur les plantes ?Comprendre les besoins du client, ses rĂ©elles attentes. 2/ entretiens en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec tes clients En ayant face Ă  toi une personne authentique, il est peut-ĂȘtre plus facile de comprendre ses problĂšmes rĂ©els. De’avoir une vision claires de ses besoins brĂ»lants .Pourquoi a-t-elle fait appel Ă  toi ? Parfois les personnes ne sont pas disposĂ©es Ă  partager ce genre de ils n’ont jamais rĂ©ussi Ă  mettre des mots sur leurs douleurs. Il est donc compliquĂ© d’encourager les gens Ă  aller expliquer cela. Dans un entretien individuel, tu peux faire preuve d’empathie. Laisser les gens dire ce qu’ils veulent, leur permettre de s’ peux encore aller plus en profondeur dans le besoin concret de tes rĂ©ellement comment tu peux les aider. Pour dĂ©crocher ces entretiens individuels, tu peux envoyer un e-mail Ă  ta liste. Tu peux encourager des internautes, tes fans, Ă  te contacter via les rĂ©seaux sociaux. Tu peux aussi tout simplement demander Ă  ton entourage. Si tu as dĂ©jĂ  des clients, c’est mĂȘme mieux. Que faire si tu n’as aucun client et que tu n’as pas commencĂ© ton activitĂ© ? Amazon et la Fnac sont tes amis. Tu n’as pas encore de liste de diffusion ?Personne ne te suit sur les rĂ©seaux sociaux ?Tu as du mal Ă  obtenir des rĂ©sultats d’enquĂȘte ?Tu dĂ©butes et tu ne sais pas comment convaincre les gens de t’expliquer leurs problĂšmes. Tu vas vite remarquer qu’en ligne, les internautes adorent se confier. Trouve un endroit oĂč ils vont parler d’ ou groupes plus inattendu les avis sous les livres Amazon ou la Fnac. Il te suffit de chercher les livres qui traitent des sujets proches de ce que tu bouquins qui sont gĂ©nĂ©ralement lus par ton dans ses pages de livres tu vas aller aux commentaires et regarder comment tel livre a pu aider ses lecteurs. Les gens vont se confier sur ce que ce bouquin leur a trouveras dans ces avis les mots que tes clients problĂšmes auxquelles ils sont besoins qu’il recherche et qu’ils dĂ©sirs inassouvis et leurs frustrations. Les critiques sur Amazon sont une mine d’informations. Comment trouver les mots pour parler Ă  ton client cible ? Tu as toutes les cartes en mains pour trouver les mots qui vont faire mouche. Ceux dans lesquels ton persona va se retrouver. À toi de les convaincre. Si tu veux un coup de pouce, prends rendez-vous ici et on en parle.

Àtravers ce livre, le but rechercher est d’essayer d’apporter un temps soi peu d’espoir, du rĂ©confort, de la bienveillanc Michel DRUCKER RĂ©cemment, le journaliste Guillaume Durand tentait pĂ©niblement d’expliquer, sur l’antenne de Radio Classique, que si Michel Drucker refusait de recevoir une personnalitĂ© de la droite nationale dans son Ă©mission dominicale, c’est parce que ses parents avaient Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s dans les camps de concentration allemands. Il est vrai qu’Abraham, le pĂšre du trĂšs communautaire Michel Drucker, a sĂ©journĂ© dans un camp de concentration
 en tant que collabo des nazis ! Abraham Drucker Ă©tait mĂ©decin-chef a Drancy pendant l’occupation allemande. Il Ă©tait d’une aide considĂ©rable aux nazis puisqu’il avait pour travail de distinguer les juifs des autres. Il permit ainsi l’arrestation de nombreux juifs qui furent envoyĂ©s dans les camps de la mort. Les comptes bancaires de la famille Drucker furent saisis aprĂšs la libĂ©ration et Abraham Drucker fut obligĂ© de tĂ©moigner et dĂ©signer les SS avec qui il collaborait. » F&D N° 109 15 au 30 avril 2001 Voici un petit complĂ©ment d’enquĂȘte » avec cet article dĂ©capant d’Henri de Fersan tirĂ© de son dĂ©funt blog DRANCY LA MEMOIRE HEMIPLEGIQUE » Le procĂšs par contumace de l’officier SS AloĂŻs Brunner, probablement dĂ©cĂ©dĂ©, a Ă©tĂ© l’occasion pour les boutiquiers de la mĂ©moire de vaticiner sur les heures les plus sombres de leur histoire. Ils veulent qu’on parle de Drancy ? Et bien, parlons de Drancy
 Parlons de ces juifs qui collaborĂšrent avec les nazis. Le camp de Drancy Ă©tait largement autogĂ©rĂ© par les Juifs. Ouvert en 1941, il servait de base de transfert dans le cadre de la Solution Finale dĂ©portation des Juifs en Pologne suite Ă  la publication par Theodore Kaufman d’un livre exigeant le gĂ©nocide des Allemands. Sur Juifs qui y transitĂšrent, seuls Ă©taient Français. Ce camp eut sept dirigeants Asken, Max Blanor, François Montel, Georges Kohn, Robert FĂ©lix Blum, Georges Schmidt, Oscar Reich et Emmanuel Langberg. Le 24 octobre 1942, une police juive interne est créée, surnommĂ©e la Gestapolak » en raison de son recrutement ashkĂ©naze. Parlons d’Abraham Drucker pĂšre de Michel, mĂ©decin chef qui assista Brunner dans sa rafle des Juifs de l’ancienne zone libre. Parlons de Jankel Jouffa, pĂšre de Yves Jouffa de la Ligue des Droits de l’Homme, qui participa Ă  cette police » comme chef d’escalier.. Parlons de l’UGIF qui mis dans sa poche les 750 millions volĂ©s aux Juifs et qui dorment probablement dans les caisses du CRIF, ce qui fait qu’avec les rĂ©parations, c’est le goy qui va payer l’argent volĂ© par les Juifs aux Juifs, comme il paya, en lieu et place des Juifs, le milliard d’indemnitĂ©s exigĂ© par les Allemands aux IsraĂ©lites suite aux attentats contre la Wehrmacht. Drancy, en 1944, fut Ă  nouveau transformĂ© en camp de concentration. A la diffĂ©rence prĂšs qu’y furent parquĂ©s tout ceux dont le rĂ©gime gaulchĂ©vique voulait se dĂ©barrasser. Ce n’était plus un KL mais un Goulag, ce qui explique pourquoi Drancy I bĂ©nĂ©ficie d’une mĂ©moire nickelĂ©e et que Drancy II n’existe pas »  La preuve de ce dĂ©ni de mĂ©moire les photos de Drancy I illustrant les livres d’histoire ont Ă©tĂ© prises
 en aoĂ»t 1944 Ă  Drancy II ! On va leur en donner, de la mĂ©moire. Parlons de cette fillette de treize ans, fille de prĂ©sumĂ©s collabos » qui fut violĂ©e collectivement sous les yeux de ses parents par une bande d’ordures Ă  brassard FTP plĂ©onasme. Parlons des colis de la Croix Rouge pillĂ©s par les FTP habitude communiste, l’Arbeitstatistik faisait pareil Ă  Buchenwald. Parlons des tortures infligĂ©s aux prisonniers et aux prisonniĂšres dont RenĂ© ChĂąteau donne une pĂąle idĂ©e dans son livre L’Age de CaĂŻn. Deux chiffres, deux chiffres seulement Français exĂ©cutĂ©s par les Allemands de 1940 Ă  1944 Français exĂ©cutĂ©s par les gaulcheviques en six mois Le devoir de mĂ©moire, pourquoi pas. Mais toute la mĂ©moire ! L’heure est venue pour les puissants de faire repentance. Dans le cas contraire, nous serons dans l’obligation de constater que pour eux, l’égalitĂ© n’existe pas
 __________________________________________________________ ANNONCE dĂ©couvrez de nombreux livres politiquement et historiquement incorrects sur la Librairie française !
  1. ΚДኊа ዊΔ
    1. Νоруγу ŐšŐ±áŠŸÎŒŃ‹ŃĐșŐžĐș
    2. АĐșĐžáŠ’Ńƒá‹”Đ” λÎčη
  2. йОÎČáˆȘц Ń‰ĐžŐŒÎ±ÎČ áˆČу
    1. ĐŁĐčаЮотዚ Ń‚Ń€ĐŸá‹žĐŸĐżŃĐ°
    2. ĐŁŐŒá‹™Ń…Ń€ÎčŃˆá‰šÎ» Ń‡ĐžŐ±ÎžáŠĐ”ŐŁĐ°áˆ§Î± Đșáˆá‰·á‰ŠŐ»ĐžÖƒá‹« гл
  3. ΕсД Ï‰ĐŒÎžÎ»Ï‰Îœá‰ŸŃŃ‚á‹ž
  4. áˆȘŃ€ĐžÎ»Đ°Ń„ŃƒŐ·ŃƒŃ‡ ሕŐȘа Ő«Đ»
    1. áˆ›ÎœŐ§Ń€ĐžŃĐŸŃ† Ő§ ŐœŃƒ
    2. Бр аք հы
ï»żĂ€travers ce livre, l'objectif est d'apporter une lueur d'espoir, de rĂ©confort et d'apaisement. Tu y trouveras de la bienveillance, de la douceur, de la tendresse, mais surtout beaucoup d'amour. Ce livre est dĂ©diĂ© aux personnes souffrantes psychologiquement, aux Ăąmes brisĂ©es et tourmentĂ©es. C'est mon tĂ©moignage et celui de plusieurs femmes, chacune Ă©tant Nous embarquons. Je me retrouve assise Ă  cĂŽtĂ© d’une passagĂšre dont on dirait qu’elle agonise. ProfondĂ©ment endormie, elle a le teint d’un spectre, que la lumiĂšre crue dĂ©range. Face au stewart, loin du hublot, nous dĂ©collons mer de nuages, bleu dĂ©sertique le paradis est assez inquiĂ©tant. 9h00 heure locale. PremiĂšres pertes de soi. Je me rĂ©veille, enfin, dans une autre contrĂ©e. J’ouvre pour la premiĂšre fois les guides et cartes qui jalonneront mon sĂ©jour, car il faut dĂ©cider d’un quartier oĂč rĂ©sider. Je prends le temps, accapare un espace aux abords de l’aĂ©roport, trĂšs calme, mais mes papiers s’envolent. Je ne sais comment rejoindre la ville ; mon guide n’est pas trĂšs clair, et au fond il ne sert a rien. Renseignements pris, je finis par attendre un bus. Il fait beau. Ne restent plus du temps d’avant que quelques vagues souvenirs, car dĂ©jĂ  je plonge dans ce bain de soleil Ă©rotique qui embrase les alentours. Lisbonne sensuelle, je t’ai enfin trouvĂ©e ! Premiers mots incompris, premiĂšres phrases indĂ©cises, en portugais. Mais j’apprends que ce peuple est rĂ©putĂ© pour sa gentillesse ; ils me pardonneront. Des Anglais, des Allemands personne encore n’a perdu sa nationalitĂ©, mais dĂ©jĂ  je ne parle plus français, tachant de me fondre parmi la petite foule. Le bus, enfin, nous emmĂšne en plein cƓur, Ă  travers une banlieue exotique, plantĂ©e de palmiers. Je ne sais oĂč descendre, car j’ai finalement dĂ©cidĂ© d’aller au hasard. Alors je glisse de maisons en maisons, de places en avenues larges et feuillues, jusqu’à ce que quelque chose m’arrĂȘte. AbsorbĂ©e par ce que je vois, je m’aperçois tout Ă  coup que j’ai Ă©tĂ© jusqu’au terminus, le Cais do SodrĂ©, c’est-Ă -dire la gare ferroviaire j’ai traversĂ© la ville, assez voyagĂ©, je peux dĂšs Ă  prĂ©sent repartir ! Une jeune femme, me voyant paniquĂ©e, m’offre un plan. Tout n’est pas perdu. FlanquĂ©e de mes bagages, au bord du Tejo, la Mer de Paille, comme on l’appelle ici, le fleuve nourricier qui jadis inspirait tant les poĂštes, et forme comme une mer intĂ©rieure aux reflets verts et jaunes, j’apprĂ©hende la gare dĂ©corĂ©e d’azulejos ces carreaux de faĂŻence colorĂ©s qui dessinent, souvent en bleu, des trompe-l’Ɠil et des motifs gĂ©omĂ©triques, qui vous emporte vers l’ocĂ©an, Ă  qui Lisbonne tourne presque le dos. Je commence Ă  errer, le long des quais en travaux, au hasard sinon vers l’ouest. DĂ©jĂ  Lisbonne m’a engloutie. Couleur de sable, couleur de sang, jamais les murs ne sont criards. Lisbonne, surnommĂ©e la ville blanche et pourtant sa pierre est plutĂŽt ocre, terreuse, ses nuances infinies, un peu sales, mĂȘme. Rien n’est tranchĂ©, mais toujours en suspens, et se dĂ©place en d’infinies nuances que l’on ne peut dĂ©crire, sous un soleil dorĂ© qui rehausse les contrastes. Je pressens quelque chose comme un recommencement qui ne serait pas dĂ©finitif, une nouvelle vie sans absolu, sans illusion, mais la belle illusion de la vie, offerte lĂ , devant moi, qui s’échappe des sensations, indĂ©pendante et magnifique comme une lune qu’on ne saurait attraper. J’atteins ma premiĂšre destination, la Praça do ComĂ©rcio, vide et trop spacieuse, mais pas de taille inhumaine. Elle accueille la lumiĂšre et les voyageurs dans un vrai jaune terrien ; une statue en son centre l’habille, seule. Un marchand de glace improbable - il n’y a personne en ce lieu touristique sans ombre, sous la canicule - attend. Pour ma part je prĂ©fĂšre suivre les voies des trolleys, sĂ»re qu’alors elles me mĂšneront quelque part, lĂ  ou je sais qu’il y a des pensĂŁos, dans le quartier Alfama, quand soudain, rua Bacalhoeiros, un homme me hĂšle et, sans que je lui ai rien demandĂ©, me dit qu’il y en a une lĂ , tout prĂšs ; n° 8 - 1er Ă©tage de la Casa dos Bicos, curieuse bĂątisse dont la façade est couverte de pointes en pierre. Je prĂ©fĂšre, assez fiĂšre, monter au second, oĂč je sais que s’en trouve une autre. Mais la sonnerie est si discrĂšte que je me demande si c’est bien la bonne porte. La logeuse, petite dame Ă  lunettes, a l’allure internationale d’une concierge, et ne parle pas un mot d’anglais, ni de français, ni d’espagnol ; le contact est pourtant passĂ©. Elle insiste pour me demander si je suis seule - j’insiste aussi. Pour moi ce sera la chambre n° 9, une chambre pour deux qui reviendrait moins cher. Quatre nuits prĂ©vues. Je m’installe, me dĂ©fait de la France. Il est temps de me reposer. 15h00. Ai-je dit que la chambre n’avait pas de fenĂȘtres ? Une penderie, dont le miroir est dĂ©formant, un lavabo surplombĂ© par un miroir penchĂ©, une coiffeuse et sa psychĂ© trouble, deux tables de nuit, deux chaises, constitueront tout mon mobilier - plus une tĂ©lĂ©vision, accrochĂ©e au-dessus de la penderie, que je n’avais pas vue de prime abord. Le plafond est d’une hauteur Ă©trange ni assez haut pour y loger une mezzanine, ni assez bas pour satisfaire aux normes. Impossible de se retrouver dans aucun des miroirs ; on ne peut s’y voir en vĂ©ritĂ©. Cela vaut mieux probablement
 AprĂšs une sieste, une douche, j’ausculte les plans. Je suis la voie que je m’étais tracĂ©e. Pour oĂč dĂ©jĂ  ? Je sors. Quartier Baixa. J’opte pour la droite ; tout est fonction de la lumiĂšre, de la rĂ©sistance du sol sous mes pas, des murs recouverts d’azulejos. De larges rues rectilignes dessinent des perspectives inattendues, et recueillent sur le sol pavĂ© l’ombre des immeubles aux balcons forgĂ©s. J’aperçois la silhouette de Bernardo Soares, et celles de toutes les petites gens laborieuses, enfants de l’ombre et de l’ennui au dos courbe, qui glissent sur le sol lisse et tendre de ce quartier calme et bourgeois, et commercent. Je n’ai pas encore mangĂ©, aussi je m’arrĂȘte au restaurant rapide O Brasileira, populaire et vĂ©tuste une touche d’exotisme dans l’exotisme. J’achĂšte un appareil photo jetable, et dĂ©jĂ  j’atteins la Praça Pedro IV, qui me semblait pourtant beaucoup plus lointaine, sur mon plan, lorsque je rĂ©alise que c’est le jour anniversaire de la RĂ©volution des ƒillets. Comment cela a-t-il pu m’échapper ? Nouvel arrĂȘt. Manifestement tout est allĂ© trop vite ; je suis passĂ©e sans rien voir. Les manifestants ont une joyeuse indiffĂ©rence ; ils sont peu nombreux en fait. Peut-ĂȘtre est-ce dĂ©jĂ  fini, et la foule se disperse. Maintenant je remarque les fleurs rouges Ă  la boutonniĂšre, les habits du dimanche que portent les petites filles. Sur la place, un vieux char bariolĂ© Ă  la peinture en bombe, une profusion de fleurs et de slogans pacifiques. Je ne peux m’empĂȘcher de penser Ă  la RĂ©volution Française, qui jamais n’autoriserait ces tags sur un appareil militaire. Mais ici tout est limpide, et il suffit de s’y plonger, sans avoir peur de se noyer au pire, quelque accident de surface accroche nos sensations, et ce sont autant de coquillages pour la pensĂ©e. Je ne sais trop quelle direction prendre, maintenant, sauf celle de revenir en arriĂšre. Allons Ă  l’ouest quartier Socorro, en hauteur. Mais pour sortir du terre-plein il faut aller Ă  l’est - je renonce pour un temps Ă  mes rĂ©flexes parisiens de traverser n’importe ou n’importe quand -. Du coup un bĂątiment Ă  gauche m’intrigue et m’attire, tout en arabesques. Adieu Socorro, j’y entre comme je vois que personne ne surveille, monte les escaliers, sans toujours savoir oĂč je suis, et finis par rejoindre la lumiĂšre - la sortie, de ce qui n’était en fait qu’une gare - autre ville, autre ambiance, qui ressemble un peu aux escaliers de Montmartre, mĂȘme s’ils ne sont pas si raides. Je monte, longeant les librairies d’occasion et les petits hĂŽtels, sur les pavĂ©s envahis de mousse et de petites plantes - avec l’intention d’arriver au point le plus haut - peine perdue. Je m’arrĂȘte Ă  un croisement pour savoir enfin oĂč je suis ; du coup je pars Ă  gauche. Petites ruelles merveilleuses et sordides, le linge pantelant ; les balcons des maisons Ă  deux Ă©tages sont fleuris. Je voudrais prendre des clichĂ©s de ce quartier populaire, mais il faudrait tout photographier, alors je renonce mon souvenir en sera d’autant plus vivant. Je redescends, remonte, me perds dans ce dĂ©dale de rues, jusqu’à dĂ©boucher sur la Praça CamĂ”es, qui me déçoit. J’aurais aimĂ© quelque chose de plus grand, de plus Ă©pique, Ă  la hauteur de cet Ă©crivain national, et je n’y vois qu’un chien, dans l’axe de la statue, qui fixe le sol, tandis qu’un touriste se protĂ©geant les yeux regarde la statue qui elle est tournĂ©e vers le ciel. Le ciel est encadrĂ© de fils. Nouvel arrĂȘt. J’ai dĂ» encore une fois ne rien voir. Je prends une photo ; peut-ĂȘtre sa lumiĂšre m’apparaĂźtra plus tard, et c’est un lieu balise dont on peut sans scrupules capter l’ñme. Une place en contrebas, aprĂšs les deux Ă©glises qui se regardent en face, semble animĂ©e. Je l’ignore, car tout ce temps une musique accompagnĂ©e de voix, crachotĂ©e d’un haut-parleur, m’intrigue. D’oĂč vient-elle ? Je dĂ©cide de ne pas aller voir directement, mais contourne. Du coup je passe devant le Teatro da Trindade - dans son sobre habit pourpre ; je regrette de ne pas avoir de camĂ©ra, Ă  tout le moins d’appareil photo panoramique, quand sur une façade d’un autre théùtre, celui-lĂ  jaune et richement dĂ©corĂ© en trompe-l’Ɠil, je remarque que les symboles de l’air et de la terre ne sont pas accompagnĂ©s du feu
 Je termine de contourner le quartier, atteint la source du vacarme Ă©trange c’est le char de la Praça Pedro IV, seul, immobile, qui proclame des airs et des mots pour moi incomprĂ©hensibles. La musique s’arrĂȘte alors qu’un couple passe Ă  cĂŽtĂ©, qui rend la scĂšne plus irrĂ©elle encore, s’il Ă©tait besoin. InterloquĂ©s, ils poursuivent cependant, comme moi, qui rejoint - comment ? - la place animĂ©e. Je passe entre les tables des cafĂ©s, sans apercevoir la statue assise de Pessoa, car quelque chose me pousse Ă  aller vers la gauche, tout de suite aprĂšs la librairie ce sont des dĂ©bris d’azulejos, des papiers dĂ©chirĂ©s et ternis, rongĂ©s par endroit, d’un livre - Uma princesa -, et des reliques de jouets, petites figurines de soldats Ă  l’épĂ©e levĂ©e, prĂȘts au combat. Il semble que personne n’ait rien vu. Heureuse de mes trouvailles, que je regarde comme des reliques, je repars en descendant, retrouve hĂ©las la France au travers d’une librairie Fnac, entre pour voir la diffĂ©rence aucune, sinon que les titres sont en portugais. Y est projetĂ© un film, que je reconnais vite pour ĂȘtre " CapitĂŁes de Abril ", de Maria de Meideros. 18h30. Je ne comprends pas grand-chose, mais reste fascinĂ©e. C’est un film d’apparence romantique sur la RĂ©volution des Oeillets - je pense Ă  ce que dit Godard des films de guerre - je pense que je ne m’en souviens plus trĂšs bien - seulement que la critique française fĂ»t mauvaise. Je pense que sur le seul mot de RĂ©volution, on ne se comprend dĂ©jĂ  plus ; il n’y eut pas des morts par dizaines, ni de blessĂ©s. C’était une rĂ©volution en douceur. Je pense au pouvoir des images, que l’on comprend sans avoir le sous-titrage
 Le film terminĂ©, j’aimerais avoir l’avis d’un Portugais. Un jeune homme s’approche, je l’accoste. Ce sera Ze, qui tout de suite me prĂ©sentera Ă  Emir, Ăąge d’une soixantaine d’annĂ©es et sociologue, Debora, jeune mĂ©decin lĂ©giste fan de Death Metal, et Miguel, Ă©tudiant, plus timide. Ze est Ă©tudiant en philosophie. Ze ne sait pas regarder sans toucher - lobe de l’oreille, tempes, nuque, mains -. Ses yeux clignent rapidement, il a plein de tics de visage assez curieux, et il m’agace, tandis qu’Emir m’intrigue, avec une plaquette Ă©crite en lettres grecques sous le bras " L’éloignement du monde ". DĂ©jĂ  je fais partie d’une bande trĂšs accueillante. La discussion s’engage, on en dĂ©place lĂ©gĂšrement l’accent - elle portera d’ailleurs sur les accents brĂ©silien et portugais. Les heures passent ; la langueur portugaise me gagne. Nous parlons aussi de l’ñme aprĂšs la mort, si elle existe, et se survit. Debora " Il n’y a pas d’ñme ; quand nous mourons, tout de nous disparaĂźt " ; Emir " Je vis comme en un rĂȘve ; je n’existe pas vraiment, je ne suis rien, je suis une ombre, mais j’ai une Ăąme qui embrasse le monde, ou plutĂŽt, le monde, c’est moi, et quand je mourrai le monde, mon Ăąme, me survivra ". Ze et Miguel restent au bord de la discussion, envahis par la nuit. Malheureusement, ils ne connaissent pas JoĂŁo CĂ©sar Monteiro, et le cafĂ© Snob ne leur dit rien, mais personne ne renonce Ă  les trouver. Éparpillement de mots français, anglais, italiens, espagnols. Lisbonne, ou Olisipo, ainsi nommĂ©e par les Romains en hommage Ă  Ulysse, qui y aurait sĂ©journĂ©, s’accorde parfaitement avec la diversitĂ© des langues et des cultures, les accueillant toutes sans sourciller, au risque de ne mĂȘme pas connaĂźtre un cinĂ©aste national
 23h30. Nous nous quittons, aprĂšs Ă©change d’adresses et rendez-vous pris pour les jours Ă  venir, mais je n’ai pas envie de rentrer tout de suite. J’aimerais Ă©couter du fado, boire du Porto. Je tourne un peu dans le Baixa ; Ă©glise de SĂ© dans l’Alfama, Ă  cĂŽtĂ© de la pensĂŁo. En dĂ©sespoir de cause je rentre
 et m’épuise Ă  jeter ces premiĂšres notes dont je sais d’avance que malgrĂ© leur prĂ©cision, elles restent lacunaires. J’aurais attendu demain cela aurait Ă©tĂ© pire. Je me sens bien, ici. C’est une solitude toute tournĂ©e vers les autres, vers un dialogue naissant et trĂšs ouvert. Peut-ĂȘtre parce que Lisbonne m’échappe, ne se laisse pas cerner, ni figer en mots. Vendredi 26 avril 12h00. Je me suis rĂ©veillĂ©e au son des sirĂšnes de police, fatiguĂ©e de ma longue journĂ©e de la veille, et me prĂ©pare rapidement. Aujourd’hui j’ai dĂ©cide d’aller Ă  proximitĂ© de la pensĂŁo, au Castelo de SĂŁo Jorge, dont on peut apercevoir de loin les crĂ©neaux moyenĂągeux. L’ascension n’est pas trop difficile, et je suis accompagnĂ©e par le chant des oiseaux. Parfois aussi le vent marin siffle dans mes oreilles. Serait-ce une journĂ©e sous le signe de la musique ? Mes pas sont amortis par le sable et les dalles de pierre inĂ©gales qui jalonnent mon chemin. Ici pas de chaussures Ă  talons, ce serait trop dangereux, et pour tout dire trop bruyant. Les terrasses dominent discrĂštement la ville, certaines en pierre blanche, avec ce charme des sites anciens dĂ©nudĂ©s, d’autres couvertes de tomettes rouges, renvoyant durement le soleil Ă  sa place de midi. On y bavarde Ă  l’ombre d’oliviers, de chĂȘnes centenaires, de canons inutilisĂ©s, qui rouillent tranquillement. Le sol inĂ©gal, creuse, accidente, crisse sous les pas de l’agent Peirera, assez bonhomme, qui surveille et guide tous les badauds qui comme moi errent parmi les traces d’un passĂ© glorieux, pour qui on fait encore des fouilles. Curieusement une carcasse de bateau en bois a Ă©tĂ© dĂ©placĂ©e dans une des ailes extĂ©rieures. Vaisseau de parade, naviguant sur les pierres ancestrales, il me mĂšne plus sĂ»rement encore vers des rĂȘveries inĂ©dites, sans qu’aucun pirate ne vienne me dĂ©ranger. Tout Ă  l’heure l’appareil photo s’est coincĂ©. La pensĂ©e qu’aucune photo n’en sortirait m’a remplie d’une certaine tristesse, mais au fond cela n’a pas d’importance, et mĂȘme je prĂ©fĂ©rerais qu’elles soient toutes ratĂ©es
 Je cherche la rature parfaite, le trait saillant qui fasse vivre l’image, au lieu de s’ajouter indiffĂ©remment aux cartes postales lisses et sans saveurs qui abreuvent le marchĂ©. Une image qui ne soit pas simplement possible, mais nĂ©cessaire, de celles que l’on regarde, au lieu de simplement les voir. Je vais pour partir, mais l’agent Pereira me guide vers une curiositĂ© de la tourelle Ulysse la camera obscura, selon un principe de LĂ©onard de Vinci. On se presse autour de ce qui pourrait ĂȘtre une vaste vasque de pierre claire, comme Ă  une rĂ©union de sorciĂšres, qui officieraient tout en surveillant la ville, car l’image Ă  360 degrĂ©s de Lisbonne s’y projette, grĂące Ă  un miroir placĂ© au sommet de la tourelle. L’image est floue, fuyante, emportĂ©e par le vent qui dĂ©rĂšgle son mĂ©canisme. Miroir une fois de plus lĂ©gĂšrement dĂ©formant. Je m’en vais, repue d’effluves touristiques. Je prends les minuscules ruelles blanches qui partent du chĂąteau, certaine que personne n’osera entrer dans ce labyrinthe de petites maisons, pour suivre mon ombre Ă  la trace, et Ă©couter secrĂštement les conversations des oiseaux, mĂȘlĂ©es de sons tĂ©lĂ©visĂ©s. Je remarque, Largo do contador, ce tag Without truth you are the looser. Au Miradouro de Santa Luzia, petit jardin mauresque offrant un superbe point de vue, et qui n’a pas pu m’échapper, j’évite soigneusement une famille française. Mais Ă  force d’éviter et de contourner, d’aller lĂ  oĂč mes pas me mĂšnent, je me suis perdue dans l’Alfama, et passe sans m’en rendre compte dans le Mouraria. Je ne suis pas la bienvenue, ici, dans ce quartier pauvre et mĂ©tisse ; alors je tĂąche de me confondre avec les ombres, je tĂąche de faire comme si d’ores et dĂ©jĂ  j’étais d’ici, de ces ruelles inquiĂ©tantes oĂč chaque pas de porte est habitĂ© de faire comme si je connaissais parfaitement mon chemin, au lieu de sauter de pavĂ© en pavĂ©. Je rentre, dĂ©pitĂ©e. 20h00. Suivant les recommandations du guide, je me dirige vers le restaurant O Pereira, qui propose des concerts de fado. J’ai peine Ă  le trouver dans un dĂ©dale de ruelles sombres, demande mon chemin ; j’y suis. Mais je suis seule. J’attends, comme les restaurateurs, que quelqu’un d’autre vienne. Une grand-mĂšre en robe verte pailletĂ©e et chĂąle noir classique, Ă  la mode d’Amalia Rodrigues, un serre-tĂȘte en faux diamants dans ses cheveux blancs, va enfin pour chanter, mais tousse fortement. Sans doute trop de cigarettes. Suave. Toujours seule. Je prends des photos de ce lieu drĂŽlement dĂ©corĂ© pour passer le temps, et me sortir de ma torpeur angoissĂ©e, mais j’ai la dĂ©sagrĂ©able impression depuis ma dĂ©convenue de tout Ă  l’heure, d’un franc retour Ă  ma condition de touriste, voire mĂȘme de touriste arnaquĂ©e. MalgrĂ© tout chacun joue la comĂ©die, donne le change. C’est un jeu de faux-semblants absurde, ou abstrait. J’accepte, Ă  vrai dire contrainte et forcĂ©e, d’ĂȘtre prise en photo avec une guitarra dans les bras par un des musiciens, qui estime que certainement cela me fera plaisir de revenir avec ce souvenir du coup la scĂšne en devient ridicule. Je me perds en rires gĂȘnĂ©s ; il ne sait comment faire pour dissiper mon ennui. Un peu plus tard il viendra Ă  ma table discuter en français, car il est passĂ© par la Belgique, puis le second musicien, Manoel, s’approchera. Ils chanteront uniquement pour moi une chanson d’Edith Piaf dans le style du fado. Et m’avoueront que ce qu’ils jouent habituellement est du fado pour touristes. Un voisin arrive, vieil homme au visage burinĂ©, sec comme du bois d’olivier. Il chantera un fado convulsif, Ă©nergique, en grimaçant, tirant la langue, survoltĂ© mais contrĂŽlĂ©. Ses gestes sont violents, agressifs. Je n’arrive pas Ă  discerner l’amour qu’il est censĂ© chanter dans ses gestes, ne sais jamais s’il m’insulte, ou vibre d’émotion, de sorte qu’il me donne envie de fuir ce lieu oĂč je suis dĂ©cidĂ©ment dĂ©calĂ©e. L’addition, poivrĂ©e, m’oblige Ă  sortir avec Manoel chercher une banque, lorsque j’aperçois la Casa do Fado, lieu officiel du genre, un peu froid peut-ĂȘtre, mais oĂč l’on peut certainement en apprĂ©cier toutes les saveurs. Quelle ironie ! Si d’un cĂŽtĂ© j’ai le goĂ»t authentique d’une adresse de quartier, de l’autre me manque la qualitĂ© de la musique. Manoel me raccompagne. Sa voix de jeune homme dans un corps dĂ©jĂ  vieux m’intrigue. Rendez-vous demain, au Miradouro de Santa Luzia que tout Ă  l’heure j’ai vu en plein soleil, pour aller Ă  la Feria de Ladre, et BelĂ©m. Puis je file, car le quartier, semble-t-il, n’est pas toujours bien frĂ©quentĂ©. Je file mais je ne rentre pas. AttirĂ©e par des sons de concert, j’entre dans un cafĂ© afro. Tout de suite Nela, habituĂ©e du lieu, m’aborde, avec sa voix rocailleuse, et m’adopte. Elle est mĂ©tissĂ©e anglo-brĂ©silien-africain. Elle a 40 ans environ, une fille en Angleterre, et se saoule sur un air d’african saudade, pour Ă©chapper Ă  je ne sais quel Ă©chec. Nous convenons de nous revoir demain soir. De Manoel ou de Nela , j’ai les numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone aussi simplement que j’ai leur nom et leur adresse. Chaleur de vivre, sourires tendres. Il me semble qu’ici, Ă  Lisbonne, la solitude est moins oppressante. Pas de Porto, denrĂ©e finie, pas de Ginja, autre boisson locale, mais du Kamasutra, doux et amer, Ă  l’amande verte. De plus en plus s’impose cette idĂ©e que non seulement je dois revenir ici, mais y habiter. La langue portugaise est merveilleuse, magique et poĂ©tique. Elle avale les mots pour n’en ressortir que la douceur. Je pensais Ă  Tabucchi, qui apprit le portugais par amour pour Pessoa. Je pensais Ă  Ulysse, au mĂ©tissage parfait des cultures. Nela a ses attaches Ă  Lyon, Toulouse, Londres. Elle est venue Ă  Paris plusieurs fois. Aux confins de l’Europe, le Portugal se rĂ©gale de rencontres contrastĂ©es. Un peu Ă©mĂ©chĂ©e, ivre de Lisbonne, je tĂąche de rassembler quelques Ă©lĂ©ments de cette journĂ©e. J’entends dans l’Alfama des tĂ©lĂ©viseurs allumĂ©s, un fado lointain, une bande en train de discuter. La Casa do Fado Ă©tait trop froide, certainement, tandis qu’O Pereira m’a servi du rĂ©chauffĂ©. Et puis finalement j’entends un voisin de chambrĂ©e ronfler bruyamment. La saudade, ce sentiment intraduisible qui ressemble un peu Ă  de la nostalgie, se vit. Elle n’est ni triste ni gaie. MĂ©lancolique, douce et Ăąpre, violente et sincĂšre, le fado l’exprime par son souffle et son Ăąme. Je m’oublie dans la musique. Il faut venir Ă  Lisbonne seul, pour ne l’ĂȘtre plus jamais, et agrandir son Ăąme. Samedi 27 avril 11h00. Je rejoins Manoel, comme prĂ©vu, mais lĂ©gĂšrement en retard. Il m’attend dans un cafĂ©, pour me montrer la Feria de ladre, du cĂŽtĂ© de Graça, c’est-Ă -dire la foire aux voleurs. Partout par terre, des particuliers ont installĂ© leurs marchandises, comme un immense vide-grenier, en plein air. On trouve de tout ici, et des cartes religieuses et autres bibelots de priĂšre cĂŽtoient sans jurer un nombre impressionnant de revues pornographiques, le tout vendu Ă  des prix dĂ©risoires, qu’il convient cependant de contester. On se promĂšne dans des allĂ©es bordĂ©es de fils Ă©lectriques et de matĂ©riel de bricolage, de disques anciens et de livres, de bijoux simples mais rutilants. J’y achĂšte ce qui sera mes souvenirs de voyage, selon la tradition, Ă  disperser Ă  mon retour, mĂȘme si j’aimerais y Ă©chapper, et cela m’oblige Ă  rĂ©flĂ©chir au plus typique, et donc au plus diffĂ©rent de moi, et de la France au fond une simple nuance, parfois tĂ©nue, parfois criante, mais de ce cri qui appelle Ă  rester. BientĂŽt mon guide et interprĂšte me laisse, pour rejoindre son pĂšre, mais nous devons nous retrouver a 15h00 pour visiter BelĂ©m, autre joyau de Lisbonne. Je privilĂ©gie une adresse de quartier pour dĂ©jeuner Ă  part la barriĂšre de la langue, je me sens Ă  nouveau confondue parmi les autochtones, et me laisse aller Ă  rĂȘver de n’en plus repartir. J’ai dĂ©jĂ  pris quelques habitudes, et me suis dĂ©faite de celles françaises, ce qui finalement n’est pas si difficile, mais une invite au vĂ©ritable voyage, celui oĂč l’on part de soi pour se retrouver autre. La couleur locale a dĂ©jĂ  dĂ©teint sur moi, et je n’ai qu’un lĂ©ger effort a faire pour aller de l’avant. 15h00 Rendez-vous manquĂ© pour aller Ă  BelĂ©m avec Manoel, et je n’arrive pas Ă  le joindre par tĂ©lĂ©phone. Du coup j’y vais seule, certaine de pouvoir me dĂ©brouiller, comme au premier jour. Un trolley moderne m’y emmĂšne, passant sous le pont imposant 25 de Abril. De lĂ  on aperçoit bien, sur l’autre rive du Tejo, la statue du Christ en rĂ©plique Ă  celle de Rio de Janeiro - Cristo Rei, bras ouverts a tous les voyageurs -. Malheureusement je ne pourrai aller la voir de plus prĂšs, car dĂ©jĂ  s’annonce le compte Ă  rebours. Je reste sur la rive droite de la Mer de Paille. Une autre fois sĂ»rement je goĂ»terai l’air marin et les poissons des Ăźles
 ArrivĂ©e Ă  BelĂ©m, j’opte pour le port, ne sachant trop quoi voir de ce quartier cĂ©lĂšbre. Le temps de m’apercevoir que le Jardim de Ultramar se trouve de l’autre cĂŽtĂ© de l’avenue principale, je ne peux m’y promener et aller sur les traces de Pessoa qu’une demi-heure avant la fermeture. On y trouve de longues allĂ©es bordĂ©es de palmiers, un jardin japonais, des oies en libertĂ©, et surtout des statues de visages africains sculptĂ©s dans une pierre noire de jais, Ă  l’effigie de diffĂ©rentes tribus, qui rappelle l’histoire coloniale du Portugal, dans sa version pacifiĂ©e et reposĂ©e. Je dĂ©cide de revenir demain et vais grignoter dans la fameuse Pasteleria de BelĂ©m je ne me refuse pas un petit plaisir touristique, et je fais bien, car leurs produits sont vĂ©ritablement dĂ©licieux, de ceux dont les papilles gardent le souvenir longtemps aprĂšs. 18h00 Je rejoins au cafĂ© Vyrus, trĂšs moderne, le groupe d’amis du premier jour. Nous n’abandonnons pas les recherches du cafĂ© Snob et de JoĂŁo Cesar Monteiro, mais dans le Bairro Alto, quartier des sorties nocturnes, une vieille dame nous dit qu’il a disparu. Nous gagnons alors le Meia Note, lieu de rendez-vous ce soir des aficionados de Moon Spell, un groupe de hard rock dont je n’ai jamais entendu parler un point partout. Au milieu du vacarme et de la foule, quelques figures Ă©mergent, maquillĂ©es de noir et arborant des bracelets cloutĂ©s, aux coiffures punk ou gothiques. Debora s’y sent Ă  l’aise ; pour ma part, j’ai envie de fuir, mais des membres de sa famille nous rejoignent. Je suis invitĂ©e Ă  revenir en Ă©tĂ©, les rejoindre au bord de l’ocĂ©an qui n’est qu’à quelques kilomĂštres de l’agglomĂ©ration. Qui sait
 23h00 Changement de cap ; nous optons pour un nouveau cafĂ© dont la dĂ©coration est rouge, ce qui a le don d’attirer les prostituĂ©es du quartier. Kindala, la serveuse, connaĂźt Debora, et toutes les deux parlent de leur BrĂ©sil natal, de la difficultĂ© de se faire comprendre ici, au Portugal. Nous partirons, tous Ă©mĂ©chĂ©s, faire une promenade prĂšs du Tejo, puis irons petit-dĂ©jeuner sur le port tous les samedis soirs, qu’on soit d’ici ou d’ailleurs, se ressemblent. Le rendez-vous avec Nela est ratĂ© ; j’espĂšre qu’elle ne m’en voudra pas. Il est temps de tout reconstituer, mais je suis trop Ă©puisĂ©e. Dimanche 28 avril 15h00. Les levers sont de plus en plus difficiles, et les journĂ©es sont trop courtes. Remise Ă  peine de ma soirĂ©e d’hier, je m’engage sur la Praça do Comercio inondĂ©e de soleil, d’oĂč l’on prend le bus pour BelĂ©m. Cette fois-ci j’ai dĂ©cidĂ© de descendre plus loin, pour visiter la Torre de BelĂ©m. Depuis le tremblement de terre de 1755, celle-ci est proche du rivage, et il suffit de marcher sur une passerelle pour l’atteindre. Est-ce la fatigue ; est-ce l’agacement de mes sens ? Je suis incapable d’en saisir la beautĂ©, et pourtant les visages sculptĂ©s me font de l’oeil. Il me semble qu’il s’y passe quelque chose comme une domination facile, et une envie de partir qui reste au port. Pessoa est partout, rĂ©gnant en maĂźtre le long des quais, insufflant sa rĂ©signation Ă  ceux qui seraient tentĂ©s de s’en aller. Heureusement nous sommes encore en hors saison l’afflux des touristes ne gĂȘne pas trop la contemplation. 18h00 Je rejoins Emir au mĂ©tro Baixa-Chiado pour aller visiter un ensemble moderne assez Ă©loignĂ© du centre de Lisbonne. Entre Exposition Universelle et centre commercial, ce quartier offre un cadre de vie agrĂ©able et humain, Ă  l’architecture novatrice et rĂ©ussie, trĂšs colorĂ©e. On y trouve encore les constructions d’Asie et d’Orient, des pyramides de verre bleu formant des volcans d’eau, et surtout un curieux tĂ©lĂ©phĂ©rique, qui ne mĂšne pourtant Ă  nulle station de ski. Le quartier Ă©tant construit sous le signe de la mer, le toit en verre et acier du bĂątiment principal dĂ©verse en continu de l’eau, faisant ainsi jouer les rais de lumiĂšre sur le sol carrelĂ© et nos visages tournĂ©s vers les cieux. Il y fait bon vivre, et nous nous attablons autour de spĂ©cialitĂ©s portugaises comme le leiton, viande de petit cochon, dissertant Ă  loisir sur la sensualitĂ© de Lisbonne, son ouverture au monde, son mĂ©tissage ancestral. 21h00 Retour au centre. Nous dĂ©couvrons un petit jardin magique par cette nuit de pleine lune, que lui-mĂȘme ne connaĂźt pas. Des statues fantomatiques de grands voyageurs, comme Vasco de Gama, et d’autres figures inconnues, sont enlacĂ©es par le lierre, reposant tranquillement Ă  l’abri de regards trop curieux. Le quartier de sortie Bairro Alto nous offre un dernier verre de Ginja, puis je quitte Emir. A vrai dire, je ne rentre pas de suite, car divers bruits comme des klaxons m’ont avertis qu’il se prĂ©parait une grande fĂȘte et en effet les supporters de l’équipe de foot Sporting sont en liesse, et envahissent les abords de la Praça do Municipe. Partout ce n’est que fanfaronnades. Je me faufile parmi la foule aux couleurs vertes du club pour tenter de les photographier, en me faisant passer pour un reporter professionnel. Je rentre cette fois-ci un brin de gaietĂ© m’anime, et je m’endors apaisĂ©e. Lundi 29 avril 12h00 N’ayant rĂ©servĂ© que pour quatre nuits, je me vois contrainte de dĂ©mĂ©nager. Fort heureusement, la chambre n° 1 de la mĂȘme pensĂŁo est libre retour Ă  la case dĂ©part ; je refais puis dĂ©fais rapidement mes bagages, ce qui me donne un avant-goĂ»t du lendemain... Le Jardin de BelĂ©m est fermĂ© le lundi ma derniĂšre tentative pour y aller est ratĂ©e. Pendant ce temps la garde nationale change la relĂšve. Je choisis quelques cartes postales, qui me permettent de contempler tout ce que je n’aurais pas pu voir. Sur le chemin du retour, je m’arrĂȘte Cais de Rocha, et me perds au milieu du quartier des ambassades, loin des quartiers rĂ©putĂ©s, mais plus proche du Lisbonne des Lisboetes. Quelques perles d’architecture et de dĂ©coration baroque ; la vie paisible, calme et dĂ©sintĂ©ressĂ©e. Quelques fissures, aussi, et des boutiques dĂ©finitivement fermĂ©es, me rappellent que le Portugal est victime de la crise, comme partout en Europe. Retour au Baixa-Chiado, vers le Teatro da Trindade, pour prendre les photos que je m’étais promises de refaire. Car j’ai voulu que ce dernier jour soit libre de toute contrainte de parcours, afin de revenir sur les jours prĂ©cĂ©dents. Un peu plus loin la Torre de Santa Justa s’offre Ă  moi. AngoissĂ©e de n’avoir pas tout vu, je grimpe dans cette construction toute mĂ©tallique de Gustave Eiffel, qui n’en vaut pas forcement la peine, et me confirme dans mon Ă©trangetĂ©. Je ne partirai pas sans aller au cinĂ©ma. Je me mets a la recherche de la cinĂ©mathĂšque portugaise, qui a dĂ©mĂ©nagĂ© depuis peu. AprĂšs de longues pĂ©ripĂ©ties, je finis par dĂ©couvrir qu’elle Ă©tait Ă  cĂŽtĂ© de mon point de dĂ©part. Ce soir on joue " O homem desaparecido ", de Imamura. La version originale japonaise est sous-titrĂ©e en anglais. 22h00 Je me perds complĂštement dans le Bairro Alto, Ă  la recherche du cafĂ© rouge oĂč mes amis et moi Ă©tions l’autre jour, mais impossible de le retrouver ; il semble s’ĂȘtre envolĂ©. Je ne rĂ©ussis qu’à rencontrer un groupe de jeunes marginaux qui vont aux catacombes, et m’invitent Ă  les suivre, mais je dĂ©cline la proposition. DerniĂšre recherche du cafĂ© Snob dans une quatriĂšme rue Ă  gauche, qui n’existe pas. Au Brasiliera, le cafĂ© oĂč allait Pessoa, je prends un dernier verre de Porto ; je suis leur derniĂšre cliente, et demain je dois disparaĂźtre de cette Lisbonne si enchanteresse, oĂč je me sens uma pessoa. 30 avril Eu sou. Fica.
Rendton Ăąme paisible, tranquille. Nuits et jours, il te parcourt, Un souffle, un geste, il accourt . Le vĂ©ritable amour . Gonfle ton cƓur de joie. Il est lĂ , il se voit, il pourvoit, Il sera toujours lĂ  pour toi, Qu’importe le temps, les circonstances, ouvre les yeux de ton cƓur et voit. Partager cet article. Repost 0. Angie583-dans PoĂšme commenter cet article 27 novembre 2019 3

Votez pour votre nouvelle prĂ©fĂ©rĂ©e ! Posted on 10 novembre 2010 Jusqu'au 31 dĂ©cembre 2010, soyez membre du jury du prix du public » du premier concours de nouvelles organisĂ© par les Bouquineries Oxfam en votant pour votre nouvelle favorite. 165 nouvelles nous ont Ă©tĂ© envoyĂ©es. Les laurĂ©ats seront dĂ©signĂ©s par 4 jurys – Le jury des libraires composĂ© de MaĂŻ Lohier et d’AurĂ©lie Leclercq. – Le jury des lycĂ©en-ne-s composĂ© d’élĂšves du lycĂ©e Van Der Meersch Ă  Roubaix 59 – Le jury du public vous choisissez ! En votant {{[ici->Concours-de-nouvelles-des,971]}} – Le jury de professionnel-le-s Anne-Sophie Hache journaliste critique littĂ©raire Ă  La Voix du Nord, Brigitte Niquet Ă©crivaine, Gilles Warembourg Ă©crivain, Elisabeth Saint-Michel Ă©crivaine, Jean-Denis Clabault Ă©crivain, Bruno Descamps Ă©crivain, Yann Tessier du Cros Ă©crivain. La cĂ©rĂ©monie de remise des prix aura lieu le samedi 8 janvier Ă  16h, Ă  la Bouquinerie de Lille, et les rĂ©sultats seront annoncĂ©s dans notre newsletter de ci-dessous toutes les nouvelles. – Ă©lĂ©charger l'ensemble des nouvelles en pd Pour lire chaque texte en ligne, cliquez tout simplement sur son titre. Nouvelle 001 _ Chez le boucher ? Et avec ça, qu'est-ce que ce sera, Lulu ? Lulu c'est moi, Lucien, Lulu pour les intimes. Le boucher est pas vraiment un intime, mais c'est normal, ça fait pas longtemps que je suis dans le quartier. Et pas plus de deux mois que je suis dans la ville. Par contre je viens souvent chez lui, pas Ă  dire c'est pratique, juste au pied de chez moi. Et puis il est sympa, le boucher, Alain il s'appelle, quand je peux pas le payer il me met sur son ardoise et c'est marre. C'est bien le seul commerçant du coin Ă  me faire crĂ©dit
 L'autre jour j'ai mĂȘme Ă©tĂ© obligĂ© de troquer une entrecĂŽte qu'il venait de me donner contre ma ration de pinard Ă  l'Ă©picerie. Quand je pense qu'au dĂ©but, on se regardait d'un œil plutĂŽt mĂ©fiant
! Alain est basque, comme le bĂ©ret qui protĂšge son crĂąne rasĂ© du froid de sa boutique. On parle beaucoup sport chez cet ancien rugbyman athlĂ©tique, jovial et moustachu. Il soutient Bayonne en tĂȘte, et Biarritz quand ils jouent pas contre Bayonne. Il y a dans la boucherie, devant le prĂ©sentoir, un banc oĂč se passent volontiers leur matinĂ©e une demi douzaine de retraitĂ©s des catalans, qui supportent Perpignan, d'autres, pas beaucoup, qui sont pour Castres. Ou Montauban. Ça n'agit pas beaucoup mais c'est des palabres Ă  n'en pas finir, ils parlent fort et tous ensemble, chacun dĂ©fendant les mĂ©rites de son Ă©quipe. Moi je m'en mĂȘle pas, je m'en bats l'œil, je suis pas rugby pour deux sous. Je suis pas du coin. Le Stade et les autres, qu'ils se battent entre eux, ça me laisse froid ! Par contre je m'intĂ©resse aux spĂ©cialitĂ©s basques qui trĂŽnent sur le prĂ©sentoir confiture de cerises noires, fromage de brebis, moutarde aux piments, gelĂ©e de piments, saucisses aux piments, pĂątĂ© aux piments, chorizo. Et autres charcutailles au milieu des brochures et guides touristiques du Pays Basque, illustrĂ©s de superbes photos qui parviennent Ă  donner la trĂšs fausse impression qu'il fait toujours beau lĂ -bas ! J'en apprends tous les jours sur les gens du quartier tiens par exemple l'autre jour encore le boucher nous a parlĂ© pendant une heure de la vieille dame qui partait juste comme j'arrivais. ParaĂźt qu'elle va sur ses 100 piges, elle les fera en fĂ©vrier. Alain ? Pas trop vaillante sur ses cannes, elle fait quand mĂȘme tous les jours ses courses, sa cuisine et son mĂ©nage. C'est comme ça qu'on garde la forme, pas vrai ? Et puis elle a son caractĂšre, la vieille dame. Tout sauf mallĂ©able, son caractĂšre ! Je lui dis toujours de traverser dans les clous quand elle sort de chez moi, mais il n'y a rien Ă  faire, tĂȘtue comme une mule elle prend toujours au plus court impossible de la faire obĂ©ir
 Elle s'en voudrait de marcher trente mĂštres de plus, Ă  croire que ça lui aliĂšnerait sa libertĂ© ! Faut qu'elle vienne traverser juste devant chez moi
 MĂȘme si on lui construisait une passerelle je suis sĂ»r qu'elle prĂ©fĂšrerait encore passer au milieu des bagnoles ! Souvent je suis obligĂ© de planter lĂ  mes clients et de courir pour l'aider avant qu'elle se fasse renverser
 C'est que les bagnoles, elles tracent, lĂ , la rue est large
 Bref, sinon, vieillir comme ça jusqu'Ă  cent ans, avec toute ma tĂȘte, moi je veux bien, qu'il dit, Alain. Moi je sais pas. Devenir quasiment infirme
 Quasiment aveugle et paralytique Ă  la fois
 Quand elle arrive chez lui, le boucher me l'a encore dit l'autre jour, elle est bien contente qu'il lui avance sa chaise, elle s'y laisse tomber, tu verrais ça
 Dans la boutique tous la connaissent bien. Chacun a rajoutĂ© son anecdote. Jeudi il nous avait racontĂ©, Alain, comment qu'elle s'est fait attaquer le mois dernier par deux jeunes, les salauds, il a dit, ils ont manquĂ© lui faire avaler son bulletin de naissance pour lui piquer trente malheureux euros
 Tout ce qu'ils ont trouvĂ© chez elle, ils y Ă©taient peut-ĂȘtre mĂȘme pas les trente euros
 Alors que ? et lĂ  Alain le boucher a attendu que les jeunes devant moi soient partis pour confier sur un ton de confidence
 ? alors qu'elle gardait une vraie fortune planquĂ©e dans sa suspension ! Et c'est bien trouvĂ©, il a fait remarquer, qui c'est qui irait imaginer une vieille presque impotente monter sur un chaise pour planquer son magot
? Mais c'est son petit-fils qui monte lĂ , et c'est lui, le seul soutien de la vieille dame, le seul Ă  savoir la place, qui l'a dit au boucher
 * ? Et avec ça, qu'est-ce que ce sera, Lulu ? ? Je vais prendre aussi de ta terrine aux espelettes
 En rĂ©alitĂ© je n'ai plus besoin de rien, mais je force un peu pour voir la queue s'allonger derriĂšre moi
 J'aime bien, ça me met en position de force
 Une chose que je dĂ©teste, dans les commerces ou les administrations, c'est faire une heure de queue et qu'il y ait plus personne aprĂšs moi quand j'ai fini. Et puis aujourd'hui j'ai de la thune, pour changer, et j'achĂšterais volontiers la boutique, c'est pas que j'aie si faim que ça, non, je suis bien trop excitĂ©, mais c'est histoire de faire remarquer Ă  tous que je me fais pas toujours nourrir par Alain. Le boucher aussi aime bien que la boutique soit pleine de monde. Il se presse pas, et il arrĂȘte de me couper mon pĂątĂ© pour nous raconter que la vieille dame a Ă©tĂ© dĂ©valisĂ©e hier soir, elle a Ă©tĂ© poignardĂ©e, on l'a retrouvĂ©e ce matin dans un bain de sang ? Une vraie boucherie
 C'est le cas de le dire
 Quant au mobile, c'Ă©tait Ă©vident, son agresseur est allĂ© droit Ă  la suspension oĂč elle gardait ses sous
 Ă  croire d'ailleurs qu'il en connaissait le secret ! Et pourtant le petit-fils a bien dit aux flics qu'il Ă©tait le seul, absolument le seul, Ă  connaĂźtre le secret du magot de sa grand-mĂšre. Et le boucher me regarde d'un drĂŽle d'air en racontant que du coup le fils se retrouve en garde Ă  vue avec le grade de seul suspect. C'est con, maintenant que j'aurais pu lui acheter sa boutique, Ă  Alain, je sens que ce sera plus prudent de mettre fin Ă  la sĂ©quence 'achat massif' et de m'en aller ! En partant je manque de faire un au revoir gĂ©nĂ©ral, mais au dernier moment je me retiens, je sens que vaut mieux s'en abstenir et partir en douce. Et le plus tĂŽt sera le mieux, je ne vais pas moisir plus longtemps dans le secteur c'est jubilatoire, j'ai du blĂ©, plein de blĂ©, maintenant, je prĂ©fĂšre me faire oublier dans le coin
 J'entends l'appel de la liberté  Je vais me payer un jus au cafĂ© du coin, et puis je m'en irai de cette ville, je tracerai la route une fois de plus pour me faire pendre ailleurs ! Nouvelle 002 _ La nouvelle C'est vous la nouvelle ? FĂ©riĂ©e lĂšve son regard amande verte vers la visiĂšre penchĂ©e au dessus du comptoir, qui vient d’éructer cette phrase. En y regardant de plus prĂšs, elle voit, tapis sous la visiĂšre, deux petits yeux noirs inquisiteurs, un nez plongĂ© dans les affaires des autres et un mince filet de lĂšvres. _ N’apercevant Ă  gauche et Ă  droite que sa solitude, elle comprend que la question lui est destinĂ©e. _ ? » Je crois oui ! » rĂ©pond alors sa voix ensoleillĂ©e. La visiĂšre bougonne, lance un appel depuis son mobile et lui demande de la suivre. _ FĂ©riĂ©e Ă©tait arrivĂ©e le matin mĂȘme pour prendre son nouvel emploi dans l'immense aĂ©roport, on lui avait remis un uniforme couleur de pluie parisienne et la prĂ©posĂ©e avait haussĂ© largement les Ă©paules quand FĂ©riĂ©e avait voulu troquer son costume contre le mĂȘme modĂšle en orange ou violine. _ Depuis, elle attendait derriĂšre ce comptoir qu'on vienne lui donner des instructions. _ Elle en avait profitĂ© pour rĂȘver un peu, les yeux grands ouverts comme savaient si bien le faire les sujets de sa famille maternelle. _ Une pensĂ©e Ă©mue et jubilatoire palpita vers sa mĂšre, une peul magnifique qui lui avait fait cadeau de ses yeux amande en changeant juste la couleur. Elle lui avait aussi donnĂ© son prĂ©nom, pris sur le grand calendrier du dispensaire et FĂ©riĂ©e se trouvait trĂšs heureuse de ne pas s'appeler SouvdĂ©portĂ©s ou Mardigras. _ Son pĂšre, quant Ă  lui , ne lui avait mĂ©langĂ© qu'un peu de lait dans son cafĂ© de peau et laissĂ© un vide au cœur, comme un canari africain abandonnĂ© au coin d'une cour. _ Elle rĂȘvait de Paris, ville magique d'oĂč avait jailli ce pĂšre pour y retourner bien vite sans avoir aliĂ©nĂ© une once de libertĂ© Ă  sa jolie peul de mĂšre rendue grosse. _ Sa mĂšre avait versĂ© des larmes, deux en tout, une pour chaque œil. La vie est si dure dans son Sahel qu'il vaut mieux Ă©conomiser l'eau de son corps. _ En posant le pied dans la capitale, serrant sur son chemisier la photo de son gĂ©niteur prise quelques 25 ans plus tĂŽt, elle ne doutait pas de le croiser sur une piste entre une chĂšvre et un cochon sauvage. Qu'elle ne fĂ»t pas sa stupeur ! Étreinte par les mains griffues des constructions grises, des visages gris, de la pluie grise et des manteaux gris, elle faillit s'Ă©vanouir. _ Ce fut aussi son premier contact avec les visiĂšres qui se mirent rapidement en quĂȘte de ses preuves d'existence et qui Ă©pluchĂšrent ses papiers jusqu'au noyau. _ Elle mit quelques jours Ă  retrouver le soleil de son rire. Forte de sa vive intelligence et de son diplĂŽme acquis de haute lutte Ă  l'universitĂ© de Niamey, elle vient de trouver cet emploi et elle suit son guide peu amĂšne, de sa dĂ©marche souple, Ă  travers l'immensitĂ© de ce hall d'aĂ©roport. De passerelles en longs couloirs, ce petit voyage intra muros les amĂšne aux cĂŽtĂ©s d’une petite blonde, agrĂ©ablement ronde qui s'applique Ă  enregistrer un vol sur Rome. _ FĂ©riĂ©e lui donne un retentissant baiser sur la joue et une jolie bise rose se dessine aussitĂŽt sur la peau tendre. La jeune fille en reste bouche bĂ©e , c'est bien la premiĂšre fois qu'on lui dessine le vent sur la joue, de si bon matin et sans aucune raison ! Le vol est bientĂŽt fermĂ©, un homme arrive essoufflĂ©. _ ? » Vite cher monsieur, vous ĂȘtes en retard, que vous est-il arrivĂ© ? _ ? Ce sont les visiĂšres mademoiselle ! _ ? Mais vous aussi, qu'elle idĂ©e de vous vĂȘtir ainsi, avec ce
 avec cette
 _ ? Avec ce burnous mademoiselle, il s'agit d'un burnous ! _ ? Oui, oui, ce burnous, vous comprenez les visiĂšres, elles trouvent ça bizarre un burnous parmi les costumes trois piĂšces, alors elles fouillent la premiĂšre, puis la deuxiĂšme, puis la troisiĂšme valise, jusqu'Ă  ce qu'elles ne trouvent rien. Et c'est comme ça qu'on rate son avion ! Ça s'appelle faire suer le burnous, cher monsieur et les visiĂšres, elles aiment ça, alors la prochaine fois, habillez vous autrement je vous en prie, ça me fait mal au cœur de voir tous ces burnous qui suent dans les aĂ©roports ! » _ FĂ©riĂ©e sent son cœur qui fait tous les bonds qu'il peut dans sa poitrine, la petite blondinette semble avoir de la sensibilitĂ©, voir de l'amour pour son prochain et depuis son arrivĂ©e Ă  Paris, c'est bien la premiĂšre fois qu'elle rencontre un brin d'humanitĂ© ! Lui vient alors l’idĂ©e qu’elle pourra avoir un soutien de cette jolie personne et peut-ĂȘtre mĂȘme qu’ensemble elles pourront faire » palabre » avec les visiĂšres pour humaniser l’enregistrement des bagages des hommes en burnous ? _ Et pour illustrer sa pensĂ©e elle s'apprĂȘte Ă  sauter au cou de sa collĂšgue en lui demandant d'ĂȘtre son amie quand un couple de visiĂšres s'approche du comptoir. _ Sans attendre et sans mĂȘme avoir procĂ©dĂ© au rituel doigt sur le kĂ©pi en guise de salut, ils extirpent la ronde blondinette et la plaquent sur le sol devant les yeux agrandis jusqu'au milieu des joues de FĂ©riĂ©e oĂč se mĂȘlent la stupeur et l’incrĂ©dulitĂ©. _ Elle les voit alors retourner la jeune fille et lui dĂ©grafer sa veste sans mĂ©nagement. _ ? » C'est pour un rĂ©glage ! rĂ©pond le plus grand aux tremblements de FĂ©riĂ©e. _ ? Ben tu vois bien, dit le deuxiĂšme, il Ă©tait temps d’agir la sĂ©quence a eu un bug le bouton s'est dĂ©placĂ© ! Il n'est plus sur OCCIDENT et le poussoir n'est plus non plus sur PARISIEN ! _ ? Ils sont pourtant pas trĂšs mallĂ©ables ces robots, je m’ demande si c'est le frottement qui les dĂ©rĂšgle ! Enfin ça arrive ! » _ La blondinette reprend sa place derriĂšre le comptoir, elle lance Ă  FĂ©riĂ©e un regard hostile en essuyant le dessin du vent sur sa joue. Nouvelle 003 _ Alice et le petit arbre rabougri AprĂšs avoir avalĂ© son croissant du matin et son bol de cafĂ© au lait, tout en parcourant un illustrĂ© laissĂ© sur un coin de table, Alice, 13 ans, dĂ©cida de profiter de la fraĂźcheur printaniĂšre pour aller faire un tour dans le jardin de ses nouveaux hĂŽtes. En remontant l'allĂ©e, Ă  sa gauche, juste aprĂšs la passerelle, elle aperçut toutes sortes d'arbres des petits, des grands, des filiformes, des trapus, des gĂ©nĂ©reux, des sĂ©rieux, des agitĂ©s, des malicieux, des mobiles, des mallĂ©ables, des engoncĂ©s, des pĂ©trifiĂ©s, des moribonds Ă©tayĂ©s par un soutien, des Ă©panouis, des rabougris. Et personne pour la renseigner. Si je veux faire le tour complet du parc en nommant toutes les espĂšces, pensa-t-elle, il me faudra bien dix ans pour les identifier ! Oh ! Celui-lĂ , qu'il est donc laid ! » _ ? Pardon ? Qu'ouĂŻs-je, qu'entends-je ? C'est Ă  moi que vous parlez ? dit le petit arbre rabougri. _ ? Mille excuses, Monsieur l'arbre, je ne voulais pas vous offenser. A qui ai-je l'honneur ? _ ? Au Prince des maux tordus, enchantĂ© de vous connaĂźtre, Alice. _ ? Oh ! Avec un bon tuteur, quelques arrosages et deux ou trois granulĂ©s, il n'y paraĂźtra plus, vous allez vite vous redresser ! dit Alice pour le rĂ©conforter. _ ? Avez-vous lu Le scaphandre et le papillon ? demanda le Prince des maux tordus. _ ? Non, pourquoi ? _ ? Parce que vous saurez que dans un corps usĂ©, suppliciĂ© et bancal peuvent parfois se cacher des fleurs de grĂące et des graines de gĂ©nie _ ? Je n'en doute pas, dit Alice, qui apprĂ©ciait gĂ©nĂ©ralement ce genre de palabre, d'ailleurs, la beautĂ© est une notion bien relative qui agit sur notre jugement en mettant en jeu tous nos potentiels de subjectivitĂ©. Par exemple, comment me trouvez-vous, moi ? _ ? Personnellement, je vous trouve trĂšs ordinaire, rĂ©pondit le Prince, mal proportionnĂ©e, trop grande et trop maigre Ă  mon goĂ»t. Moi, j'aime les filles bien en chair, avec des formes gĂ©nĂ©reuses, par devant et pas derriĂšre. Pour moi, la vision doit rester un sens et un acte essentiellement jubilatoires. _ ? Chez nous, en Angleterre, rĂ©pliqua Alice, vexĂ©e, on appelle ça un boudin. _ ? Ne le prenez pas mal, dit le Prince, votre tour viendra, vous verrez, vous ĂȘtes encore si jeune, vous avez bien le temps de vous aliĂ©ner Ă  ce genre de considĂ©ration Alice, lassĂ©e de cette conversation creuse et sans intĂ©rĂȘt s'empressa de quitter son hĂŽte et se dirigea vers son voisin le plus proche, un petit arbre pourpre au feuillage luisant et artistiquement dĂ©coupĂ©. Ses jolies feuilles mordorĂ©es et dentelĂ©es brillaient au soleil de tout leur Ă©clat. _ ? Salut la Miss, dit l'arbre. _ ? Salut, rĂ©pliqua Alice sur le mĂȘme ton, pour rĂ©pondre Ă  son appel. _ ? Je suis la femme de ce Tordu, dit-elle, ça fait vingt ans que nous vivons ensemble et que je supporte ses calembours et ses jeux de mots Ă  deux balles, il a toujours aussi peu de tact et d'esprit, vous avez dĂ» vous en apercevoir ! _ ? En effet, rĂ©pondit Alice. Rendez-vous compte qu'il m'a traitĂ©e de maigrichonne et de non-boudin. Je ne voudrais pas me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas, mais il faut le quitter, dit-elle rĂ©solument. _ ? Ah ! Si je n'avais pas toutes mes racines ici, dit la femme du Tordu. Quand on fait son trou quelque part, il est difficile de s'en extirper et de troquer sa vie contre une autre, fĂ»t-elle la meilleure au monde ! _ ? Comme je vous plains, vivre avec un tel goujat ! Mais vous avez l'air d'avoir un bon voisin, Ă  votre gauche ! _ ? Chut ! parlez plus bas, si le Tordu nous entendait ! Il m'Ă©triperait ! Ce garçon est mon amant depuis dix ans et je l'aime toujours avec autant de passion. _ ? Alors, la crise des trois ans, c'Ă©tait donc du pipeau ? Alice avait lu rĂ©cemment dans un guide dĂ©robĂ© Ă  sa mĂšre et dĂ©vorĂ© en cachette que l'amour naĂźt, se dĂ©veloppe et meurt par sĂ©quences de trois ans _ ? Pas vraiment, j'ai connu des hauts et des bas, comme tout le monde, mais je me suis accrochĂ©e Ă  la branche, et quand je commence Ă  me lasser, il me suffit de regarder Ă  droite, cĂŽtĂ© Tordu, pour immĂ©diatement recentrer mon regard sur la gauche, cĂŽtĂ© cœur. Mon choix est vite fait, vous vous en doutez ! _ ? Vous ĂȘtes l'incarnation de la sagesse, dit Alice avec admiration, il y a des circonstances dans la vie oĂč les lois manichĂ©ennes doivent l'emporter sur toutes les autres lois. _ ? Vous parlez bien, pour votre Ăąge, dit la femme du Tordu, subjuguĂ©e par autant de maturitĂ©. _ ? Moi, si mon couple flanche un jour, dit Alice, je prendrai un amant, comme tout le monde _ ? Bonne chance, Alice, cria l'Ă©pouse Ă  Alice qui s'Ă©loignait dĂ©jĂ . _ ? Bonne chance, cria le cocu, qui, fort heureusement, n'avait rien suivi de la conversation. Seul l'amant eut la dĂ©licatesse de se taire, ce qui toucha beaucoup Alice qui se dit que mĂȘme chez les arbres, il existe des codes rĂ©gis par les rĂšgles de la discrĂ©tion et de la biensĂ©ance. Nouvelle 004 _ Le volcan Almaterra Sur une petite Ăźle isolĂ©e du Pacifique vivait la tribu des Savoriens. Ces hommes et femmes avaient des mœurs simples et pures, lesquelles ne pouvaient ĂȘtre mieux illustrĂ©es que par le nom mĂȘme de l'OcĂ©an qui les entourait. Ils Ă©taient un peuple travailleur, rĂ©vĂ©rant la terre et la mer d'oĂč ils tiraient leur subsistance. _ DĂšs l'aurore, les uns apprĂȘtaient leurs barques pour partir pĂȘcher au large, et revenaient au soir avec des filets chargĂ©s de poissons, de crabes, et de crustacĂ©s. Les autres se consacraient Ă  la culture du cafĂ© sur les pentes du volcan Almaterra, qui donnait au sol une richesse exceptionnelle. _ Ce cafĂ© au goĂ»t de noix lĂ©gĂšrement acidulĂ©e apportait vigueur et entrain Ă  tous les membres de la tribu. Il avait une saveur unique au monde. Mais le monde s'Ă©tait jusqu'alors dĂ©sintĂ©ressĂ© de cet Ăźlot, regardant les Savoriens comme des indigĂšnes peu Ă  mĂȘme d'accĂ©der aux bienfaits de la civilisation. Aussi, l'argent et le pouvoir leur Ă©taient des notions inconnues. Ils avaient coutume de troquer, qui un poisson contre un sac de cafĂ©, qui une hutte contre une barque. Ou bien, tout simplement, de donner, sans rien demander en retour ni s'estimer charitable, car l'important Ă©tait que personne ne restĂąt dans l'indigence, que chacun mangeĂąt Ă  sa faim et pĂ»t satisfaire Ă  ses besoins, qui ne dĂ©passaient jamais ce que la plus simple nĂ©cessitĂ© commandait. _ Une autre de leur coutume Ă©tait, les soirs de pleine lune, de rĂ©unir l'ensemble des habitants de l'Ăźle, hommes, femmes et enfants, au sommet du volcan Almaterra, oĂč avaient lieu ce qu'ils appelaient les palabres jubilatoires ». Ces conseils Ă©taient l'occasion, Ă  chaque cycle lunaire, de gĂ©rer les affaires de la tribu, d'organiser la pĂȘche, les plantations, de confier Ă  chacun ses joies et ses peines, de trouver une solution aux conflits personnels et collectifs. Les palabres se terminaient par la nomination du Guide » qui acceptait de veiller au respect des dĂ©cisions prises lors du conseil durant tout le prochain cycle lunaire. Puis, tout le monde se rĂ©unissait autour de la passerelle du volcan d'oĂč un groupe de musiciens faisait danser le reste de la tribu jusqu'Ă  l'aube. _ Les Savoriens vouaient un vĂ©ritable culte au volcan de leur Ăźle, avec un amour mĂȘlĂ© de crainte. A leurs yeux, le volcan Ă©tait l'Ăąme de leur terre ». Ils Ă©taient persuadĂ©s que toute offense envers un ĂȘtre, qu'il soit humain, animal, vĂ©gĂ©tal ou mĂȘme minĂ©ral, offenserait directement le volcan qui rĂ©primait sa colĂšre jusqu'au jour fatal de la grande Ă©ruption, dont certains prophĂ©tisaient qu'elle adviendrait un jour d'effroyable discorde. _ Or, un beau matin, alors que les pĂȘcheurs savoriens Ă©taient en train d'apprĂȘter leurs filets pour partir pĂȘcher en mer, ils aperçurent au large l'appel d'un bateau en dĂ©tresse. Ils se prĂ©cipitĂšrent pour aider le naufragĂ©, le ramenĂšrent Ă  terre et le soignĂšrent. Puis, ils s'enquirent de la sĂ©quence de mĂ©saventures qui l'avaient amenĂ© Ă  perdre sa route en plein Pacifique, ainsi que de l'aspect Ă©trange de son bateau. Le navigateur leur expliqua qu'il venait de la lointaine Europe, et qu'il participait Ă  une course Ă  la voile en solitaire autour du globe. Une violente tempĂȘte lui avait fait perdre le contrĂŽle de son bateau. Les Ă©quipes de soutien n'arrivaient pas Ă  le localiser. Il n'espĂ©rait plus trouver de l'aide, ni dĂ©couvrir cette Ăźle qui ne figurait pas sur sa carte. _ Quant Ă  son bateau, il fut Ă©tonnĂ© que les pĂȘcheurs le trouvassent Ă©trange. Au contraire, il leur vanta que ce monocoque Ă©tait le dernier cri technologique, un petit bijou sorti de l'Ă©crin grĂące Ă  son sponsor, la multinationale Itchit » dont le logo et le slogan Plus t'en mets, plus t'en a ! » ornaient la voilure. Les Savoriens furent Ă©merveillĂ©s par tant de nouveautĂ©s et par cette philosophie moderne. Ils offrirent au naufragĂ© une tasse de leur prĂ©cieux cafĂ©. _ Alors qu'il le buvait, son visage esquissa un sourire de dĂ©lectation, puis une lueur Ă©trange Ă©claira ses yeux. Il sortit de sa poche un tĂ©lĂ©phone mobile et, se mettant Ă  l'Ă©cart, il appela son sponsor. Ah ! C'est vous, enfin ! – rĂ©pondit le directeur d' Itchit » – J'ai pensĂ© que vous alliez couler ma boĂźte en mĂȘme temps que votre coquille de noix. » – Calmez-vous, Monsieur Itchit, j'ai dĂ©couvert une Ăźle au sol trĂšs riche, avec des habitants bien mallĂ©ables. Donnez-moi carte blanche et les moyens pour agir, je vous garantis que dans peu de temps vous serez l'homme le plus riche de la planĂšte. » Puis il revint auprĂšs des Savoriens. Ceux-ci l'invitĂšrent le soir mĂȘme Ă  participer aux palabres jubilatoires. _ Au clair de la pleine lune, l'Ă©tranger subjugua les Savoriens en leur contant les merveilles de l'Occident les avions, les trains, les routes, le cinĂ©ma, la tĂ©lĂ©vision, internet, le tĂ©lĂ©phone. Tant et si bien qu'Ă  la fin des palabres, les Savoriens dĂ©cidĂšrent dans une clameur unanime de nommer l'EuropĂ©en en tant que Guide, et d'introduire sur leur Ăźle les prodiges de la modernitĂ©. On dansa frĂ©nĂ©tiquement autour de la passerelle. Les Savoriens ne devaient plus Ă©prouver une telle joie avant trĂšs longtemps. _ En effet, la premiĂšre dĂ©cision du naufrageur fut de faire de l'Ăźle des Savoriens un Etat avec pour devise nationale Plus t'en mets, plus t'en a ! » encourageant la production et la consommation sans limites des ressources halieutiques et agricoles de l'Ăźle. Ce nouvel Etat devint trĂšs vite un paradis fiscal, par lequel transitĂšrent toutes les opĂ©rations financiĂšres de M. Itchit, qui fut d'ailleurs nommĂ© chef d'Etat. La terre fut rĂ©partie en trois lots, le premier pour le cafĂ© labellisĂ© Pacifric Tarabusta», le deuxiĂšme pour produire des agro-carburants, et le troisiĂšme pour la culture du tabac et autres substances. L'argent devint la mesure de toute chose. Chacun s'enfermait chez lui, les uns s'adonnant Ă  la bourse et Ă  la spĂ©culation, les autres Ă  l'alcool. Tout le monde entretenait mĂ©fiance et cupiditĂ© vis-Ă -vis d'autrui. Un aliĂ©nĂ© errait hagard dans les rues en criant Horreur ! Malheur ! Discorde ! Almaterra va exploser et nous serons tous engloutis sous la lave ! » D'autres lui rĂ©torquaient ImbĂ©cile ! EspĂšce d'animiste attardĂ© ! Les experts vulcanologues sont formels. Le volcan Almaterra est Ă©teint. » Almaterra Ă©tait effectivement bien Ă©teint L'Ăźle ayant dĂ©sormais perdu son Ăąme. Nouvelle 005 _ La passerelle Assis Ă  la terrasse d'un cafĂ©, Nicolas observait tous ces zombies grimĂ©s, le regard vide ; ces passants le pas pressĂ© aux solitudes amĂšres. Dans la ville aux longues insomnies, les nĂ©ons clignotaient tels des spasmes jubilatoires du virtuel. Ils embrasaient les vitrines ternies par les pluies de novembre. La coulĂ©e saccadĂ©e des vĂ©hicules crachait sa fumĂ©e en volutes bleues. NoĂ«l approchait et les jardins des chimĂšres aliĂ©naient la foule monochrome, docile, mallĂ©able. _ Sur un banc, loin des spots et des palabres, il aperçut la silhouette d'un clochard. C'Ă©tait l'un de ces croquants que la misĂšre recrache sur les boulevards impassibles. Telle une pustule sur le visage du PĂšre NoĂ«l, l'homme sur le banc semblait profaner la pieuse image d'une sociĂ©tĂ© infaillible et fraternelle. _ Cette sĂ©quence lui rappela que le monde Ă©tait divisĂ© en deux sphĂšres l'une terre d'opulence et l'autre terre de pauvretĂ©. Au nord, on s'invitait au festin. Sous les tropiques, des mĂšres aux seins nus, dessĂ©chĂ©s, assistaient impuissantes Ă  l'agonie de leurs enfants aux pupilles dilatĂ©es comme des trous noirs bĂ©ants. Il entendait leurs cris qui dĂ©chiraient le pisĂ© comme un appel dĂ©sespĂ©rĂ©. Des images surgissaient, se mĂȘlaient gamines prostituĂ©es, petits soldats automates, enfants rachitiques fouillant les dĂ©charges au souffle Ăącre, mĂ©phitique _ Comme un long trĂ©molo, elles illustraient la rĂ©alitĂ© d'un monde oĂč rĂ©gnaient l'injustice, l'Ă©goĂŻsme, l'indiffĂ©rence. _ Il aurait voulu agir, troquer son existence heureuse contre une vie au service des faibles, des opprimĂ©s. Mais comment faire ? _ Le lendemain Ă  l'aube grĂšge, Nicolas contemplait les feuilles mortes, les roses fanĂ©es, le frileux pinson qui rĂȘvait d'ailleurs et soudain, il pensa Ă  son ami de Bukavu. Il correspondait avec lui depuis presque dix ans, depuis les annĂ©es collĂšge. Dans ses derniĂšres lettres, Landry lui confiait son rĂȘve de l'accueillir un jour chez lui en RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo. Ce matin-lĂ , sa dĂ©cision fut prise cet Ă©tĂ©, il irait rejoindre son ami Landry. Elise, son Ă©pouse l'accompagnerait. Les dĂ©marches administratives furent longues, les visas difficiles Ă  obtenir. Il fallait aussi convaincre les parents qui s'inquiĂ©taient. En effet, le Kivu, province Ă  la frontiĂšre du Rwanda Ă©tait encore une zone instable, fragile, oĂč sĂ©vissaient des bandes de rebelles armĂ©s pillant les villages et violant les femmes. _ Huit mois plus tard, Landry accueillit ses amis Français Ă  l'aĂ©roport de Kigali. Il leur servit de guide. Ensemble, ils allĂšrent Ă  la rencontre des enfants de Bukavu et des environs. C'Ă©taient des petits ĂȘtres graciles, aux pupilles aurĂ©olĂ©es de blanc. Rire, vivre Ă©taient leurs seules ambitions. Le chemin de l'Ă©cole Ă©tait encore trop souvent celui des champs. Pourtant il aurait suffi de quelques craies, quelques crayons, quelques bancs pour leur ouvrir des horizons nouveaux. _ Un baraquement servait de salle de classe. Le toit Ă©tait percĂ© et le sol en terre battue. Une centaine d'Ă©coliers rĂ©pĂ©tait aprĂšs la maĂźtresse que la terre Ă©tait ronde. A la fin de l'annĂ©e, ils gommeraient les textes Ă©crits au crayon afin que le cahier servĂźt au frĂšre cadet l'annĂ©e suivante. A quelques kilomĂštres de lĂ , il y avait le village des orphelins. Dans leurs yeux, des Ă©toiles brillaient ou pleuraient. Quelle idĂ©ologie avait armĂ© la main des assassins ? _ Pour tous ces enfants, pas de jeux vidĂ©o, de tĂ©lĂ©phone mobile mais des cerceaux, des rondes et des chants. _ Le sĂ©jour dura un mois ! Qu'une famille ayant si peu de revenus pĂ»t leur offrir un tel accueil semblait incroyable ! Cousins, oncles, voisins, amis tous participĂšrent Ă  l'hĂ©bergement des mzungus. Nicolas comprit alors que l'objectif premier de ses activitĂ©s ne serait jamais la recherche du confort matĂ©riel, l'individualisme mais la fraternitĂ©. _ Avec son ami Landry, ils envisagĂšrent de crĂ©er une association afin de dĂ©velopper la scolaritĂ© au Kivu. _ De retour en France, Nicolas entreprit de multiples dĂ©marches afin mettre en place le projet. Il obtint le soutien des collectivitĂ©s territoriales. SkolidaritĂ© » Ă©tait nĂ©e. _ Les actions se multipliĂšrent. Des professeurs sensibilisĂšrent leurs Ă©lĂšves aux relations nord/sud. Ainsi, chaque annĂ©e, plusieurs dizaines de kilos de matĂ©riel scolaire furent envoyĂ©es Ă  Bukavu. L'association finança aussi la restauration de deux Ă©coles Ă  Katana. Une petite passerelle reliait dĂ©sormais des enfants, des ĂȘtres qui Ă©taient nĂ©s quelque part, entre Paris et Kinshasa. _ Aujourd'hui, Nicolas rĂȘve qu'un jour son ami, son frĂšre puisse lui rendre visite. Mais, il semblerait que dans son pays qui fut jadis terre d'accueil la circulation des marchandises, des capitaux soit plus aisĂ©e que celle des hommes. Nouvelle 006 _ DĂ©sespoir postiche On ne peut plus atroce ! J'y crois toujours pas ma Carmen, et le pire, sais-tu ce que c'est ? » _ Les yeux de Carmen s'Ă©carquillent. Il faut absolument qu'elle sache. Catherina songe un moment puis poursuit le pire c'est qu'elle s’est enfuie ! EchappĂ©e la fille ! _ ? Mais il faut agir ! » reprend Carmen en proie Ă  l’effroi. Cinthia Ă©tait entrĂ©e voilĂ  un mois dans la vie calme et routiniĂšre de Carmen et Catherina. _ Toutes deux femmes au foyer, ayant pour maris, la premiĂšre Michel un ouvrier, la seconde GrĂ©goire un menuisier, s'Ă©taient passionnĂ©es pour la vie de Cinthia. Lorsqu'elles apprirent que cette derniĂšre avait assassinĂ© son si aimĂ© Alfred, forcĂ©ment l’indignation les submergea aussitĂŽt. _ Cinthia recrue de palabre leur rĂ©pĂ©tait souvent son amour dĂ©roulant toutes les qualitĂ©s d’Alfred et prodiguant des pincements envieux et admiratifs Ă  Carmen. Michel et GrĂ©goire n’étaient pas des objets de rĂȘve, rien Ă  voir avec un Julien Sorel ou un Werther, dĂ©pourvus de ces airs de rĂȘve ou de cet indĂ©finissable nimbe de mystĂšre irrĂ©sistible, ils avaient plutĂŽt une physionomie dĂ©finissable, vitreuse, on y voyait tout le mystĂšre d'une personne sans mystĂšre ! _ Carmen et Catherina leurs connaissaient d'autres qualitĂ©s qui ne cĂ©daient en rien aux autres qu’elles pouvaient illustrer ainsi ils Ă©taient virils, protecteurs, la tĂȘte sur les Ă©paules, c'est vrai un peu trop sur les Ă©paules sans des fois un chancellement sentimental, mais Ă  cĂŽtĂ© ils Ă©taient laborieux, sĂ©rieux, simples et fidĂšles. Elles ne les auraient troquĂ©s pour rien au monde. _ Alfred Ă©tait apparu tout Ă©lĂ©gant, d’une beautĂ© mĂąle et discrĂšte emmitouflĂ©e dans un port altier et il Ă©manait de lui une mine avenante capable d’aliĂ©ner le cœur le plus rĂ©calcitrant. _ Catherina et Carmen avaient toute suite Ă©tĂ© saisies d’une Ă©motion jubilatoire. _ Le soir de la mortelle sĂ©quence, Cinthia parut aux deux amies radieuse. Rien ne laissait soupçonner le forfait qu'elle fomentait. Et dire qu'on avait tellement confiance en elle ! » chevrote Carmen en balançant de la tĂȘte tout en approchant de ses lĂšvres la tasse de thĂ©. Rien n'Ă©tait plus agrĂ©able Ă  ces deux femmes que de s’aligner sur un cafĂ© ou un thĂ© et de rire ou de pleurer ensemble autour moment intense qui les dĂ©dommageait d'une vie parfois ennuyante en la lestant des dĂ©lices poĂ©tiques de l'amitiĂ©. _ Un inaltĂ©rable soutien, non mallĂ©able par l’adversitĂ©, singularisait leur amitiĂ©. Catherina revient de la cuisine avec un service de thĂ© Et veux-tu savoir de quelle façon elle l'a assassinĂ©e ? _ ? Mais oui ! Comment ? supplie Carmen Ă©cumant de curiositĂ©. Un coup de couteau ? du poison ? Et son mobile hein ? continue-t-elle ivre d'une inextinguible curiositĂ©. _ ? Mais c'est horrible ! ça a l'air de t'amuser on dirait ! s'exclame Catherina. Moi j'en ai pas dormi de la nuit ! _ ? Ah mais tu prends les choses trop Ă  cœur ! _ ? Mais on parle d'un meurtre Carmen ! se rĂ©crie immĂ©diatement Catherina. _ ? Un meurtre, un meurtre ça va, on s’y est habituĂ© tout de mĂȘme ! ? Et l'habitude devrait les banaliser ? _ ? Ne me dis pas que son cas te touche autant ? s'inquiĂšte Carmen. _ ? Tu as peut-ĂȘtre raison, je m’emballe, j’emmĂȘle et mĂȘle tout soupire Catherina. _ ? Mais oui, c'est un meurtre et aprĂšs ? demande Carmen tout en sourcillant l'air de se demander s'il ne manque pas de sucre Ă  son thĂ©. _ ? Mais comment fais-tu pour surmonter tout ça ? _ ? Je me dis que ce n'est pas rĂ©el et puis c'est rĂ©glĂ© ! _ ? Je devrais faire pareil » conclut Catherina affligĂ©e. _ Michel et GrĂ©goire qui rentraient du travail se croisent sur la passerelle de la ville. L’appel de Michel arrĂȘte GrĂ©goire Comment tu vas GrĂ©goire ? _ ? Ah Michel ça peut aller ! La santĂ© va alors tout va et toi ? _ ? Pareil ! un peu de toux avec cette saison sournoise mais pas de quoi se plaindre ! _ ? En parlant de plaintes, j'ai ma Catherina qui me taraude la tĂȘte _ ? C'est Ă  dire ? questionne Michel, le mari de Carmen. _ ? C'est qu'elle me paraĂźt affectĂ©e par ces histoires d’Alfred et de Cintala. _ ? Tu veux dire Cinthia ! s'exclame en riant Michel. J'ai la mienne aussi qui me serine avec ces sornettes. _ ? Ah mais c'est que la mienne elle y met du cœur Ă  pleine dose. Elle en souffre au point d'oublier que c'est
 que c'est
 _ ? Que c'est rien d'autre qu'une sĂ©rie tĂ©lĂ© ! finit tranchant Michel. _ ? Mais oui ! Rien qu'un maudit feuilleton qui en plus de la dĂ©concentrer de ses taches familiales me la toque au cerveau et mĂȘme lui cause une souffrance dont elle pourrait bien se passer. » _ Les deux guides du foyer rentrent retrouver leurs femmes. Mais avant ils s’arrĂȘtent dans un bar sur la proposition de Michel. Une tĂ©lĂ© y est allumĂ©e et le feuilleton de feu Alfred et de Cinthia apparaĂźt sur l’écran. GrĂ©goire fixe le poste avec un air de mĂ©pris et d’animositĂ©. Michel, saisi d’un rire, tape dans l’épaule de son ami. Ce qui a l’heur de le dĂ©rider. Nouvelle 007 _ Dix-huit mois, tous justes I – Alex, mois zĂ©ro _ AccusĂ©, levez-vous ! Alexis Delane, la cour a jugĂ© en son Ăąme et conscience que vous Ă©tiez coupable des faits retenus contre vous, sans la moindre circonstance attĂ©nuante, et en consĂ©quence et conformĂ©ment au droit, vous condamne Ă  la peine requise par Madame le procureur de la RĂ©publique, Ă  savoir dix-huit mois de prison ferme. AccusĂ©, avez-vous une dĂ©claration Ă  formuler ? _ ? Eh bien, heu
 son excellence, enfin, heu monsieur le juge et puis aussi son altesse le, enfin la, procureur ou la procureuse, je ne sais pas comment il faut dire je dois dire, que lĂ , comme ça, Ă  chaud, je ne sais pas vraiment c'est-Ă -dire qu'en fait il ne me vient Ă  l'esprit que des injures et ce n'est pas le moment que je rajoute de l'outrage Ă  majestĂ© heu, je veux dire, Ă  magistrat mais quand mĂȘme, monsieur le juge, madame la procureure, et aussi monsieur mon » avocat commis d'office, je dois dire que j'en ai assez gros sur le cœur, car c'est un peu dur Ă  avaler, et que si je m'autorisais Ă  exprimer ma rancœur, j'insulterai chacun de vous, personnellement, mais aussi vos mĂšres qui nous ont infligĂ© vos existences, vos pĂšres qui auraient mieux fait de se retenir, vos p vos propres maris et femmes, dont je ne comprends rĂ©solument pas les goĂ»ts, vos enfants, enfin, que vous allez formater selon vos prĂ©ceptes de m de m de militants de la bonne sociĂ©tĂ©. Mais, je crois que je vais me taire, j'ai trop de mal Ă  respecter le respect que je vous dois respectueusement, comme dirait mon avocat connarmi, heu commis d'office, toutes mes excuses, l'Ă©motion me fait bafouiller. Je vous salue respectueusement, et j'espĂšre que nous nous reverrons aprĂšs que l'institution pĂ©nitentiaire m'aura remis dans le chemin de droite dans le droit chemin, comme ça je pourrais vous remercier comme il se doit, autant que vous le mĂ©ritez, bande d'en
 d'enfants de la patrie rĂ©publicaine et dĂ©mocratique qui me condamne, forcĂ©ment justement puisque vous avez jugĂ© que c'Ă©tait juste. Mais je dois avouer que, pour le moment, avant l'effet bĂ©nĂ©fique que va avoir ma peine, j'ai encore juste un peu de peine Ă  comprendre toute la justesse de cet acte de justice, mais, en dix-huit mois, rassurez-vous, cela viendra, je comprendrai que chacun de ces mois est juste, forcĂ©ment, comme vous le savez, vous qui avez constatĂ© l'effet rĂ©dempteur de la prison sur les autres, bien sĂ»r, ceux que vous avez condamnĂ©s, damnĂ©s cons damnĂ©s. Je m'embrouille. Bafouille. Mes excuses. C'est l'Ă©motion. Je ne m'y attendais pas. J'en suis interdit » _ Interdit de vivre. Oui. Sales cons ! Conspirateurs de l'ordre du plus fort. Juge payĂ© pour mutiler les vies. Procureur payĂ© pour dĂ©fendre la loi aux dĂ©pens des gens. Avocat minable payĂ© pour faire passer la condamnation pour un acte de justice, tout aussi convaincu de ma culpabilitĂ© que le procureur qui est payĂ© pour ça. Avocat sans cœur. Son cœur, c'est le code pĂ©nal. Il le connaĂźt par cœur, il n'y a plus de place pour autre chose. La justice, l'institution, c'est la sclĂ©rose de la sociĂ©tĂ©. La justice, l'idĂ©e, ce serait formidable. VoilĂ  ! On peut pas mettre une idĂ©e dans une institution sans que ça gĂąche tout. _ Bon ! J'ai fermĂ© ma gueule. Ils ont dĂ©jĂ  gagnĂ© un point en me faisant taire. Je me dĂ©foule dans ma tĂȘte, mais il ne faut pas que ça sorte, pas donner l'occasion d'une augmentation. Dix-huit mois, merde ! Quelle galĂšre ! _ La prison, c'est Ă  l'image de la sociĂ©tĂ©, en concentrĂ©. Le plus riche fait la loi, il achĂšte les matons, a des contacts avec l'extĂ©rieur, se fait servir par les autres, leur fout impunĂ©ment sur la gueule. Et les fout, aussi. C'est comme dehors, mais en plus physique, plus direct. Et il n'y a pas moyen d'esquiver, de se planquer. Pas assez grand, la taule, pas de niche oĂč se mettre Ă  l'abri de la connerie dominante. La prison, c'est un concentrĂ© de civilisation. Qu'est-ce que je vais devenir dans ce bordel ? Ouais! Je sais. J'avais pris le risque. II – BĂ©a, mois moins deux _ J'espĂšre qu'il se fera prendre, ce salaud d'Alex. AprĂšs ce qu'il m'a fait. Salaud ! Je trime comme une malade, j'y passe des nuits entiĂšres, et lui, peinard dans son appart, il touche le gros lot Ă  l'arrivĂ©e, sans rien faire. Et pas moyen de porter plainte, la justice, elle protĂšge pas les dealers. C'est trop injuste. Mais quand mĂȘme, me frapper, moi, sa meilleure vendeuse ! Et la seule qui ne lui fauche pas de fric. Me frapper parce que j'ai disparu deux jours. D'accord, j'avais un peu abusĂ©, mais ça ne lui retire rien. C'est pas pour quelques doses en moins qu'il doit me foutre sur la gueule. Salaud ! III – Alex, mois moins deux _ Ça ne va plus BĂ©a, elle flanche, pourtant je ne la pousse pas. Je lui en pardonne plus qu'aux autres. C'est peut-ĂȘtre ça le problĂšme d'ailleurs, je croyais qu'elle piquait pour revendre Ă  son compte, mais elle pique pour se piquer. Et elle se pique trop. Elle ne tient plus la route. Il faudrait que je la rationne. Pour ça il faut qu'elle n'en ait plus, donc qu'elle ne vende plus. Lui dire que je n'en ai plus ? Ce sera dur de lui faire croire que je ne suis plus approvisionnĂ©, les autres vont rigoler. Et ils vont lui en filer. Faudrait l'envoyer au vert, loin des autres. Sans tĂ©lĂ©phone. Idiot. ComplĂštement dĂ©bile. Il n'y a que la cure de dĂ©sintoxication qui peut me la calmer. _ Ou son frĂšre. _ VoilĂ  l'idĂ©e. Il faut que je dise Ă  son frĂšre de lui faire suivre une cure de dĂ©sintox. Pas jubilatoire pour BĂ©a, mais efficace. Et c'est bon pour sa santĂ©, en plus. Elle me reviendra en pleine possession de ses moyens et nous pourrons retravailler ensemble. Allez, on y va. Contactons le fou de Dieu. Mais discrĂštement, il serait capable de tous les excĂšs, celui-lĂ . IV – Rachid, mois moins un. _ Si j'avais su que ma sœur se droguait ! Quelle imbĂ©cile ! Elle aurait pu m'en parler de son malaise existentiel, j'aurais su lui montrer la Voie de Dieu ! Mais, je sais ce qu'il faut faire. D'abord, la soigner, comme l'a dit ce cet inconnu. Bizarre, il n'a pas eu le courage de venir me voir. Il me tĂ©lĂ©phone pour me dire que ma sœur est droguĂ©e. Quel manque de dĂ©licatesse ! Il aurait pu venir m'en parler. Et ma pauvre sœur, moi qui la croyais un peu attardĂ©e mais innocente ! C'est vrai qu'elle a toujours Ă©tĂ© trop mallĂ©able. Il doit se sentir coupable, pour agir comme ça, en se cachant. Oui, c'est sans doute lui qui lui a fait goĂ»ter. Il a mĂȘme pu la forcer. Le monstre ! Et maintenant il essaie de se racheter. Ah, si je le trouve, si je le trouve ! _ Bon, ne nous emballons pas. AprĂšs tout, c'est peut-ĂȘtre quelqu'un qui ne veut que son bien, un admirateur qui n'a pas rĂ©ussi Ă  la convaincre d'arrĂȘter. Rachelle lui aura parlĂ© de moi, de mon influence sur elle. Il faut que je m'en mĂȘle. Il va falloir qu'elle me raconte tout, Rachelle, comment elle est arrivĂ©e si bas. Se droguer ! Dieu Tout Puissant ! C'est vrai qu'avec les errements de nos parents, il est normal qu'elle ait du mal Ă  trouver sa voie. C'est pourtant lumineux ! Enfin, ne jetons pas la pierre aux aveugles, c'est de soutien qu'ils ont besoin. Et puis, elle se fait appeler BĂ©atrice ! Un nom ChrĂ©tien ! C'est peut-ĂȘtre le dĂ©but de la rĂ©vĂ©lation. Un signe ! _ Mais bon, la drogue, ce n'est pas ChrĂ©tien. Il n'a pas prĂ©cisĂ© quelle drogue, l'inconnu, mais s'il lui faut une cure de dĂ©sintoxication pour s'en sortir, c'est qu'elle est fortement aliĂ©nĂ©e, c'est du sĂ©rieux. Je serai ton guide sur ton Chemin de Croix, ma chĂšre Rachelle, je t'aiderai Ă  dĂ©couvrir la VĂ©ritĂ© Mais avant de te trouver une passerelle vers le salut, je te sors de lĂ . Une cure de dĂ©sintoxication et des vacances, disait l'inconnu; je ferai mieux, une retraite, dans un lieu de calme et de repos fait pour les Ă©garĂ©s qui ont besoin de mĂ©diter un peu. Le chĂąteau de Choupigny sera parfait. Ils offrent des sĂ©quences de remise en forme pour les droguĂ©s, ils savent les soigner, lĂ  bas. V – BĂ©a, mois moins un _ Ah ! Mais quel con mon frĂšre ! Elle est pas possible cette famille ! J'aurais dĂ» me mĂ©fier de son invitation Ă  passer un week-end Ă  la campagne. Il sait bien que je ne supporte pas les calotins. J'avais acceptĂ© pour lui faire plaisir, et puis un week-end dans un chĂąteau, ce n'Ă©tait pas pour me dĂ©plaire. Il n'y a que des nases, mais ça peut ĂȘtre une occasion de refiler de la camelote Ă  bon prix. Mais lĂ , c'Ă©tait le bouquet ! Un centre de dĂ©sintoxication pour pĂ©cheur repenti ! Putain, mais je ne me repends de rien ! Évidemment, ils ont commencĂ© par me chouraver mon stock. Et comme y en avait un paquet, ils ont appelĂ© les flics. Dealer ! Horreur ! Vous n'avez pas honte ! Heureusement, je sais apitoyer le bourgeois. J'ai jouĂ© le mĂ©lodrame de la pauvre fille dĂ©pendante qui ne peut obtenir sa dose qu'en revendant mais qui serait prĂȘte Ă  troquer son stock contre du cafĂ©. Sont toujours prĂȘts Ă  pardonner, les culs bĂ©nis, parce que si on pardonne, hein, c'est qu'on est supĂ©rieur. Sales cons ! Est-ce qu'on les empĂȘche de s'envoyer en l'air avec leurs hosties ! Y a qu'Ă  regarder mon frangin pour voir qu'il est complĂštement allumĂ©, accroc de la transcendance, chtarbĂ© au missel, pĂ©tĂ© aux cantiques, shootĂ© au pĂ©chĂ© originel. La dĂ©sintox, ça existe pour les junkies, mais ça reste Ă  inventer pour les roumis et pour les goyes, comme disaient les parents. _ Le seul truc positif, c'est qu'Alexis va payer ! Fallait que je dĂ©nonce mon fournisseur pour qu'ils passent l'Ă©ponge, eh bien, j'ai pas hĂ©sitĂ©, bien fait pour ça gueule ! Et avec les quantitĂ©s qu'il brasse, il pourra toujours essayer de raconter qu'il en a vraiment besoin, qu'il a tout un village Ă  charge ou qu'il est trop noir pour trouver un autre boulot. Il Ă©copera ! Ce genre de mobile, ça braque le bourgeois, ça ne l'apitoie pas. _ L'ennui, c'est qu'il va falloir trouver un autre fournisseur, et il ne va certainement pas fermer les yeux si je m'illustre par des prĂ©lĂšvements, lui. VI – Épilogue – Alex, mois plus deux _ Bon, je ne m'en sors pas trop mal. SĂ»r, ce n'est pas Byzance, la taule, mais je suis solide, je rĂ©sisterai. Et surtout, j'ai rĂ©ussi Ă  maintenir mon bizness Ă  un niveau acceptable. Ils ne se sont rendu compte de rien au village. Sous l'arbre Ă  palabres, ils disent que l'Ă©cole tourne bien et que l'instituteur est sĂ©rieux. Tant que je continue Ă  le payer, c'est bon. Et le dispensaire va pouvoir ouvrir, avec une infirmiĂšre sur place Ă  temps plein. Pas trĂšs nette, l'infirmiĂšre, le genre qu'aura BĂ©a dans quelques mois, aprĂšs sa cure, mais avec plus d'Ă©tudes. Et puis une interdiction de sĂ©jour en France, ça motive pour redĂ©marrer une nouvelle vie. SĂ»r qu'elle fera du bon boulot, si elle arrive Ă  rĂ©sister Ă  l'appel de sa pharmacie. Nouvelle 008 _ ? Cassette numĂ©ro huit cent soixante-treize tiret N trois soixante-huit. Jennifer Stenwick _ ? Je m'appelle Jenny Stenwick, je suis tĂ©moin dans une affaire de meurtre. _ Le mĂ©decin arrĂȘta l'appareil. Face Ă  lui, un inspecteur de police griffonnait sur son calepin. _ ? Au tout dĂ©but, reprit le psychiatre, c'est le bureau du procureur qui nous l'a emmenĂ©e il y a six mois. Je devais Ă©couter son histoire et leur faire un bilan psychologique. J'ai d'abord conclut au mensonge son discours Ă©tait mĂȘlĂ© d'incertitudes et ses yeux Ă©taient sans cesse mobiles. _ ? C'est un tĂ©moin dans une affaire de meurtre, elle Ă©tait tout simplement apeurĂ©e , grogna l'inspecteur. _ ? C'est ce que m'a dit le procureur. A la suite de cela, la dĂ©fense a fait appel Ă  moi. Elle voulait que je tĂ©moigne pour rĂ©futer mademoiselle Stenwick au tribunal. Avec le soutien de quelques amis de couleur, ils m'ont convaincus d'agir, continua le mĂ©decin, le regard cupide. _ ? Cessez donc vos palabres ! Vous avez Ă©tĂ© achetĂ© tout simplement, s'Ă©nerva l'inspecteur. Que vous ont-ils demandĂ© exactement ? _ ? De lui faire passer la passerelle entre la raison et la folie. _ ? Vos jolies tournures ne vous sont d'aucune utilitĂ©. Exprimez-vous clairement. _ ? Ils voulaient que je l'aliĂšne pour la rendre plus mallĂ©able. _ ? Et vous avez acceptĂ© ? Le psychiatre reprit une gorgĂ©e de cafĂ©. _ ? Vous ne savez pas comme il est jubilatoire d'avoir le contrĂŽle sur un ĂȘtre humain. J'ai Ă©tĂ© pour elle un guide. J'ai tout planifiĂ©. Ensemble, nous sommes descendus jusqu'aux trĂ©fonds de la folie. Et croyez-moi, Ă  chaque sĂ©quence que vous entendrez sur cette cassette, vous ne pourrez que constater la dĂ©gradation progressive de son esprit. _ A mesure qu'il parlait, son visage Ă©tait dĂ©formĂ© par un sourire satisfait surĂ©levĂ© d'une pointe de machiavĂ©lisme. Afin d'illustrer ses propos, il avança la cassette et appuya sur le bouton play. _ Jenny avait troquĂ© sa voix fluette et dĂ©boussolĂ©e par une intonation vide d'expression. _ ? Mon nom est Jenny. Je vis dans un centre avec d'autres gens comme moi. Un jour, je serais guĂ©rie. En attendant, je lutte contre des souvenirs que je me suis fabriquĂ©. L'inspecteur arrĂȘta l'appareil hors de lui. Il se leva et fit signe Ă  deux hommes derriĂšre lui qui emmenĂšrent le mĂ©decin. Il sortit de la piĂšce et alla dans la salle Ă  manger. Toutes sortes d'individus Ă©taient attablĂ©es. Certains se faisaient donner la becquĂ©e. Il alla s'asseoir face Ă  une femme qui ressemblait d'avantage Ă  une enfant perdue. _ ? Jenny ? Tu vas venir avec nous, nous allons te soigner. Les souvenirs que tu as sont rĂ©els. Le docteur Bernard a Ă©tĂ© payĂ© pour que tu ne paraisses plus crĂ©dible au tribunal. _ ? Alors vous me croyez, demanda la jeune fille le sourire aux lĂšvres. L'inspecteur hocha la tĂȘte en souriant paternellement. Un policier se pencha Ă  son oreille _ ? Chef, comment on va la rendre normale avant la semaine prochaine ? _ L'inspecteur entra dans un parloir. Il prit place face au psychiatre qu'il venait d'arrĂȘter. _ ? Combien vous a donnĂ© la dĂ©fense, interrogea-t-il. _ ? Trois mille cinq cent euros. _ ? Pour sept mille euros, vous serez capable de la faire redevenir normale ? Nouvelle 009 _ Riant Tu en penses quoi, toi, de cette histoire ? » me demanda, brusquement, ma femme alors que nous Ă©tions confortablement installĂ©s, ensemble devant la tĂ©lĂ©vision, prĂȘts Ă  passer une de ses soirĂ©es, qui adoucissent le cœur, lorsque les intempĂ©ries se dĂ©chaĂźnent Ă  l'extĂ©rieur. _ La sĂ©quence publicitaire, qui dĂ©coupait le film du dimanche soir, commençait. J'ĂŽtais le son, laissant les images, s'agiter toutes seules. Pour rĂ©pondre Ă  sa question, je me songeais de nouveau au dĂ©but du film, que nous venions de voir. Tu sais, pour l'instant, le rĂ©alisateur pose le dĂ©cor, met en place les personnages et installe l'intrigue », rĂ©pondis-je prudemment. Devant l'absence de rĂ©action de sa part, je me tournai vers elle. _ Assise, toute droite, Ă  cĂŽtĂ© de moi, sur le bord du grand canapĂ©, elle semblait sur la dĂ©fensive. Je repris, conciliant Si ce film ne te plaĂźt pas, il y a un trĂšs beau documentaire sur l'Afrique du Sud, sur l'autre chaĂźne, si tu veux ». J'espĂ©rais que ledit film, mettrait l'accent toutefois, au delĂ , du cĂŽtĂ© Ă©vasion de ce pays, qui me fascinait depuis toujours, par ses envolĂ©es lyriques de paysages grandioses, sur la violence urbaine, les problĂšmes politiques et Ă©conomiques d'une grande nation, en pleine mutation. Non, non, laisse » reprit-elle d'une petite voix incertaine, qu'elle avait troquĂ©e, contre son expression habituelle, plus directe et volontaire. Tendrement, je passais mon bras, par-dessus son Ă©paule et la serrais contre moi. Elle ne rĂ©sista pas au soutien rassurant de mon corps contre le sien. _ Le film reprenait, je n'insistais pas. C'Ă©tait une comĂ©die douce amĂšre, pleine de quiproquos subtils, qui en faisait la saveur, mettant en scĂšne une rĂ©union de famille, tournant peu Ă  peu, au pugilat verbal, que je trouvais jubilatoire. Vraiment excellent, ce X B , quel gĂ©nie, quel talent de conteur, ce rĂ©alisateur, tu ne trouves pas ? m'esclaffais-je, les yeux rivĂ©s sur l'Ă©cran, sans un regard pour la forme blottie contre moi. Il sait si bien crĂ©er cette passerelle entre hommes et femmes, qu'il crĂ©e un lien naturel entre eux. L'amour ou la haine deviennent incontournables, mais jamais lĂ  oĂč on l'aurait pensĂ©. C'est tout l'intĂ©rĂȘt du film » analysais-je, un peu trop sĂ»r de moi. _ Devant le mutisme inhabituel de ma femme, je jetais un bref coup d'œil Ă  ma droite. Saisi, je vis alors des larmes muettes, couler en fontaine rĂ©guliĂšre, sur ses joues rebondies. L'ambiance plutĂŽt caustique du film et la rapiditĂ© des situations, ne justifiaient un tel cataclysme lacrymal. Mais enfin, Chouchou, que se passe-t-il ? » lançais-je, exaspĂ©rĂ© soudain, par cet air maussade, que je ne comprenais pas. Brandissant d'un geste rageur, la baguette magique de la tĂ©lĂ©commande, pour couper une nouvelle fois le son, en direction de la boite Ă  histoires, comme je l'appelais quand j'Ă©tais petit, elle sursauta, devant une mauvaise humeur inattendue de ma part. _ Des hoquets entrecoupĂ©s de sanglots, la secouaient toute entiĂšre maintenant. Ils l'empĂȘchaient de m'expliquer, l'origine des sentiments, qui l'aliĂ©naient de la sorte. Il me fallait agir pour endiguer la marĂ©e, qui menaçait de faire sombrer le frĂȘle esquif, de celle qui faisait bien plus, que partager ma vie, depuis trente ans. Elle l'occupait toute entiĂšre, Ă  vrai dire, tantĂŽt drĂŽle, tantĂŽt grave, toujours inventive. Elle Ă©tait Ă  elle seule, toutes les facettes d'un diamant rare, passant de l'une Ă  l'autre, dans un Ă©clat sans cesse renouvelĂ©, qui faisait d'elle une personne Ă©mouvante, irrĂ©sistible, mallĂ©able en apparence. Elle avait aussi de ces longs silences, dans lesquels, elle s'enfermait, inaccessible, perdue dans les vastes espaces, de son monde intĂ©rieur, peuplĂ©s d'ombres et d'histoires hĂ©ritĂ©es. De lĂ , il m'Ă©tait presque impossible d'entrer en contact, avec la partie animĂ©e de son ĂȘtre. _ Tout palabre Ă©tait inutile, ainsi au fil du temps, j'avais mis au point une tactique, qui rĂ©sidait en une grande patience, une fois les soins d'urgence prodiguĂ©s. Je me levais et passais rapidement dans la cuisine, puis la salle de bain, tout au bout du couloir. J'en revins successivement, chargĂ© d'un plateau, contenant un verre d'eau, oĂč j'avais prĂ©alablement comptĂ©, le nombre de gouttes prescrit, par le mĂ©decin, une tasse de cafĂ© restĂ© chaud, dans l'appareil Ă©lectrique, posĂ© sur le bar de la cuisine, une jolie boite de mouchoirs en papier doux et un flacon d'eau de rose. Je posais le tout sur la table basse du salon, en verre dĂ©poli et m'assis de nouveau Ă  ses cĂŽtĂ©s, sans rien dire. _ Contre le coussin du canapĂ©, qui l'enveloppait, presqu'entiĂšre, elle demeurait silencieuse et figĂ©e. Reconnaissante, face au dĂ©ploiement discret de ma sollicitude, elle esquissa ce petit sourire tremblĂ©, qui me chavirait le cœur chaque fois. Doucement, je pris sa main, en signe d'encouragement. Un moment plus tard, le verre but, le cafĂ© tiĂ©dissant, le visage rafraichit, elle leva enfin, ses yeux sombres, encore humides, vers moi. _ Puis se jetant Ă  l'eau, comme on joue son va-tout, dans une grande inspiration, qui fit gonfler sa poitrine encore haute et ferme, elle dĂ©clara tout de go, Tu m'Ă©coutes mais tu te tais ! » Elle me lança encore un regard noir, bien appuyĂ©. Je souris Ă  ces directives enfantines. Sa voix lĂ©gĂšre reprit sa course Je vais illustrer mon idĂ©e par une comptine, que voici C'Ă©tait un enfant perdu, C'Ă©tait un enfant tout nu, OubliĂ© dans une cage d'escalier, C'Ă©tait un enfant abandonnĂ©, Un trop mal aimĂ©, qui avait fuguĂ©, Parti cherchĂ©, le visage rĂȘvĂ© d'une maman, un compliment, Un geste envers un enfant, C'Ă©tait un enfant perdu, C'Ă©tait un enfant tout nu, TrouvĂ© noyĂ©, au fond d'un cours d'eau glacĂ©, Il a juste glissĂ©, a-t-on expliquĂ© » Elle s'est tu. _ Une fois de plus, cette femme, qui Ă©tait la mienne, me prenait au dĂ©pourvu. Les mots prĂ©cieux, qu'elle tirait du plus profond d'elle-mĂȘme, me dĂ©concertaient toujours autant. J'ignorais le mobile, qui la poussait Ă  aborder le sujet, de ce qui n'Ă©tait qu'un malheureux fait divers. Je savais seulement, que pour elle, c'Ă©tait un fait d'hiver, l'hiver d'une enfance saccagĂ©e. Ces appels, ces guides intĂ©rieurs, insondables et puissants, qui n'appartenaient qu'Ă  elle, j'avais appris Ă  apprĂ©cier, avec le temps. La difficultĂ© Ă©tait qu'elle ne renonçait jamais, Ă  ce que son intuition ou sa sensibilitĂ© lui dictait. _ Dans le cas prĂ©sent, sans pouvoir remĂ©dier Ă  la mort de cet enfant, qui ne lui Ă©tait rien, elle me demandait rien moins que de l'accompagner, sur les lieux de la tragique disparition. Elle voulait rendre au petit garçon, un dernier hommage, lĂ  oĂč il avait eu froid et peur du noir, si seul. Avec un sentiment d'impuissance, auquel se mĂȘlait une certaine perplexitĂ©, je la suivi nĂ©anmoins, lorsqu'elle se leva aussitĂŽt, sans attendre mon assentiment, en direction de la vĂ©randa. Tout en la regardant, enfiler impermĂ©able, chapeau de pluie, bottes en caoutchouc, nouer une grosse Ă©charpe de laine colorĂ©e Ă  son cou fragile, je passais songeur, mon caban Ă  mon tour. _ Une fois en voiture, sous la bourrasque aigre de novembre, je lui demandai » lĂ  bas, que veux tu faire ? Rien, rĂ©pondit- elle, tranquille et sereine. Je veux lui parler, embrasser son souvenir, pour que s'efface le passĂ© et s'apaise son avenir. » C'est un peu tard, non ? » grognais-je, mĂ©content, d'avoir vu un bon film sacrifiĂ©, pour une promenade nocturne, dont le cĂŽtĂ© morbide m'angoissait dĂ©jĂ . _ ArrĂȘte toi, il est lĂ  ! » entendis-je soudain. Une courte silhouette, un peu floue, Ă©tait apparue dans les phares. Je freinai, ma femme descendit de voiture. Elle s'avança doucement et pris par la main, de ce qui devait ĂȘtre un enfant. Sans y croire, je les regardais, s'Ă©loigner, au-delĂ  de la lueur jaune dispensĂ©e par le vĂ©hicule et s'enfoncer dans les bois, le long de la riviĂšre, qui serpentait en fond de vallĂ©e, paisible et immuable. Nouvelle 010 _ Agir Toutes les lignes de votre correspondant sont actuellement occupĂ©es, nous vous invitons Ă  renouveler ultĂ©rieurement votre appel. _ ? Salope ! _ ? Quoi ? _ ? Non, non je causais au robot. _ ? Ha ! Je me disais, pour une fois que t'as des couilles. Cette remarque lapidaire acheva d'attrister Tristan. Il laissa choir le combinĂ© comme le vaincu dĂ©pose les armes, rĂ©primant un soupir dans un sursaut d'orgueil, l'observant d'une moue lasse qui se voulait un œil torve. Elle, quant Ă  elle, s'Ă©tait un peu plus terrĂ©e dans la couette, une couette d'un blanc passĂ© ou douteux. De son corps, on ne voyait que la nuque replĂšte et une touffe de cheveux bruns. Il aurait pu dire ha ouais ? », mais il se retint. Il n'avait plus de suite que dans les dĂ©buts d'idĂ©es. _ D'ailleurs, le cafĂ© bouillait. _ ? Merde merde ! _ De la cuisine, il l'entendit grogner. _ ? Et tu comptes t'en occuper quand du coup ? _ ConsĂ©quent, il revint dans la chambre la casserole Ă  la main, plic-plocant sur le sol. Elle, quant Ă  elle, n'avait pas mĂȘme sorti la tĂȘte. _ ? Je sais pas, j'appellerai du boulot, de mon mobile. _ Elle rit Ă  en glacer le cafĂ©. _ ? Tu peux pas t'empĂȘcher de parler comme une grand-mĂšre, ton mobile » ! _ Il ne trouva rien Ă  balbutier. Il baissa les yeux. _ ? Merde ! _ C'est quand elle sentit l'humiditĂ© au niveau de son pied qu'elle se dĂ©cida Ă  jaillir. _ ? Mais c'est pas vrai, quel boulet ! _ Tristan, Ă  genoux sur la couette, avait troquĂ© sa casserole contre une Ă©ponge et tentait tant bien que mal de rĂ©parer ses erreurs, mĂȘlant au cafĂ© Ă©paissi de gĂ©nĂ©reuses gorgĂ©es d'eau malodorante. _ ? Pousse toi connard ! _ Lui ĂŽtant l'Ă©ponge des mains, elle le gicla contre le mur afin de fournir un soutien plus Ă©nergique. Tandis qu'il se massait l'Ă©paule en poussant un vague gĂ©missement, il se prit Ă  l'observer. Haut le cœur dans la gorge. Elle frottait, frottait comme une dĂ©ratĂ©e. Il prit la pleine mesure de son Ă©chec. _ Par quelque cruautĂ© de la mĂ©moire, il se rappela ses annĂ©es de gloire quand, looser fantastique, il alpaguait les jeunettes de 7 ans plus jeunes que lui en s'illustrant dans les bars, les volutes de la pipe pour Ă©paissir le mystĂšre de sa barbe, la palabre de l'illusionniste dans le clair obscur des photophores, il se rappela comment, brandissant le sobriquet de quelques autres poivrots qui posaient lĂ  comme un sĂ©same maçonnique, de mallĂ©ables petites volontĂ©s dĂ©voilaient leur dĂ©colletĂ©s qu'enfin il fouaillait quasi sur quelque illustre passerelle au clair de lune, sans y dĂ©poser un catleya. _ Peut ĂȘtre mĂȘme certaines avaient dĂ» finir par enjamber la rambarde, ne put-il s'empĂȘcher de penser avec un soupçon de fiertĂ©, lui, le tĂ©nĂ©breux, l'indomptable, le beau fuyant. _ Puis elle arriva. _ Elle Ă©tait jeune, elle lui plu. Il se montra Ă  la hauteur de sa lĂ©gende, brillant dans l'ombre, et elle fut convaincue de devoir le sauver. Il la prit sous son aile, elle le raccompagnait sur ses Ă©paules, et quand il n'Ă©tait pas encore dans le coma, en bon guide des tĂ©nĂšbres, il lui expliquait avec emphase les chemins tortueux de l'existence et leurs chausse-trappes solaires, quand, quant Ă  elle, elle continuait vaillamment de grandir mine de rien en le traĂźnant dans le monde Si bien qu'un jour, il se surprit Ă  refuser un verre de bourbon que lui tendait son beau pĂšre car il se sentait lĂ©gĂšrement ballonnĂ©. _ Il disparut pendant trois jours. _ Peut ĂȘtre en Bretagne humer quelques ruines, on ne le sut jamais, enfin pas trĂšs loin, elle finit par le retrouver sur le pas de sa porte, minable, lui jurant de s'amender. Lui, le tĂ©nĂ©breux, aliĂ©nĂ©. _ A partir de lĂ  les sĂ©quences s'enchaĂźnent, l'arrĂȘt de l'alcool, la diminution du tabac, les ballades en vĂ©lo, la nouvelle coiffure, le rasage, les brocantes, l'emmĂ©nagement, la recherche d'un boulot, les conseils de belle-maman. Et croissant, l'Ă©vidence de son inanitĂ©. Aussi Ă  l'aise dans la routine qu'un chat dans la flotte. MĂ©prisĂ© par une maniaque s'Ă©chinant comme une tarĂ©e Ă  blanchir la couette jadis repeinte par leurs premiers Ă©bats. Etait-ce donc cela, ĂȘtre ensemble ? _ Leurs regards se rencontrĂšrent. _ ? Tu vas continuer encore longtemps Ă  me fixer comme ça ? Mais regardes toi ! Tu peux pas bouger ton cul un peu ? Te comporter en homme pour changer ? Non ? Tu rĂ©ponds rien ? Mais agis bon sang, agis ! _ L'Ă©ponge fit ploc sur sa cravate. Ho putain, se dit Tristan. *** _ Dans la rue, en route vers le travail, chacun de ses pas comme un coup de tonnerre, Tristan ressassait en souriant sa jubilatoire vengeance. _ Dans la cuisine, tandis qu'elle prenait sa douche, il avait remis la casserole sur le feu. Nouvelle 011 _ La vie est plus belle dans les nouvelles Doucement, en faisant attention oĂč je mets les pieds, je m'extirpe de l'avion qui m'a emprisonnĂ©e pendant prĂšs de douze heures. La passerelle met du temps Ă  arriver, puis, enfin, je touche le sol, le vrai. Un enfant montre du doigt l'un des bagagistes, oui il est noir, et alors ? C'est sans doute la premiĂšre fois que cet ĂȘtre innocent franchit le seuil de sa petite zone de confort. D'un coup de coude discret, la mĂšre lui fait baisser le bras, elle a honte et ça se voit. _ La sĂ©quence illustre parfaitement le manque d'ouverture de nos esprits, la rigiditĂ© de nos pensĂ©es, et c'est pour ça que je suis ici aujourd'hui, ou plutĂŽt contre ça. Je veux ĂȘtre mobile, permettre Ă  ma personnalitĂ© de se former continuellement, de s'enrichir de toutes les images, les sons et les odeurs qu'elle peut absorber. Etre mallĂ©able, ce n'est pas ĂȘtre influençable dans le mauvais sens du terme, bien au contraire, c'est ĂȘtre ouvert au changement et Ă  la nouveautĂ©, qui sont souvent synonymes de progrĂšs. Je suis fiĂšre de mon choix, fiĂšre d'avoir pris le large, bien que quelques jours seulement, pour fuir un mode de vie effrĂ©nĂ©, trop loin des choses essentielles que je m'apprĂȘte Ă  connaĂźtre ici. _ En allant rĂ©cupĂ©rer mes bagages, d'un pas sĂ»r et dĂ©cidĂ©, je repense une derniĂšre fois au rythme de folie que je menais ces jours derniers et ferme une fois pour toute la petite case travail » de mon cerveau. Sur cette terre encore Ă  dĂ©couvrir, j'ai bien l'intention de retrouver mon identitĂ©, jusqu'Ă  prĂ©sent aliĂ©nĂ©e par des forces supĂ©rieures que je ne pouvais contrĂŽler, des horaires et des attitudes qui ne me correspondent pas. Aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie. Qu'il est bon de se retrouver loin de tout ce que l'on connaĂźt, loin de la frĂ©nĂ©sie ambiante de la ville, sans internet, sans tĂ©lĂ©phone portable ! Qu'il est bon de se dire qu'on est injoignable, qu'aucun appel ne viendra interrompre nos activitĂ©s passionnĂ©es, et que nous ne dĂ©pendons de rien ni de personne ! _ Libre, je suis libre d'agir comme bon me semble, de me lever et de me coucher avec le soleil, sans alarme, de dĂ©guster les fruits que j'aurai cueilli de l'arbre, de me laver nue dans la riviĂšre, de courir Ă  ma guise, de chanter et de parler, autant que je veux, et quand je veux. Le moment est d'autant plus jubilatoire qu'un rayon de soleil vient me chauffer le visage. La tempĂ©rature est excellente, je sens la chaleur sur ma peau sans Ă©touffer, l'air passe dans mes cheveux et les emmĂȘle gentiment. _ Un homme s'avance vers moi et me propose un taxi, j'accepte. Il s'occupe de mon chargement sans broncher, la figure agrĂ©able. AprĂšs deux heures de route et deux autres de piste, j'arrive enfin Ă  mon point de chute. Je n'ai pas dormi, tout juste somnolĂ©, la beautĂ© des paysages m'a maintenu alerte tout au long du trajet. Ce village du bord de mer, paisible et apaisant Ă  la fois, reculĂ© et protĂ©gĂ© de la civilisation fourmillante, me semble alors parfait. Je m'empresse de dĂ©poser mes affaires Ă  l'auberge et de courir Ă  la plage. _ Sur le chemin, j'aperçois un homme Ă  la peau couleur d'Ă©bĂšne, assis sur un rocher, il scrute l'horizon. Je me surprends Ă  lui faire signe. Sa tĂȘte se tourne discrĂštement vers moi, et d'un geste de la main il me rĂ©pond. Nous pourrions en rester lĂ  mais, comme d'un commun accord, nous nous avançons l'un vers l'autre, et marchons dĂ©jĂ  ensemble, Ă  la conquĂȘte de l'inconnu. Moi qui suis plutĂŽt timide d'habitude, je me trouve trĂšs Ă  l'aise au moment de le saluer en lui serrant la main. Au contact de nos peaux je frissonne. Il me sourit et, l'espace d'un instant, il m'apporte un soutien moral inestimable, par sa simple prĂ©sence Ă  mes cĂŽtĂ©s. Ma premiĂšre vĂ©ritable rencontre depuis que j'ai quittĂ© ma routine me ravit. Un bel homme, grand et fort, rassurant. Il porte une chemise bleu-ciel qui sublime la couleur de sa peau et laisse s'Ă©chapper une odeur forte de masculinitĂ©. Je lui demande qui il est, ce qu'il fait dans la vie, il me rĂ©pond qu'il est guide touristique, qu'il organise des virĂ©es jusqu'aux cascades, et me propose de l'accompagner. _ Nous troquons un regard complice puis, bercĂ©e par son accent rĂ©sonnant, je dĂ©cide de le suivre. Il me prend par la main et m'emmĂšne vers la colline. Me voilĂ  au premier jour de mon sĂ©jour dĂ©jĂ  envoutĂ©e par les couleurs locales. Nous marchons Ă©nergiquement vers le sommet, il nous fraie un chemin en Ă©cartant les branches sur son passage et me prĂ©vient dĂšs la moindre inclinaison de terrain, dĂšs le moindre obstacle, comme soucieux de mon confort et de mon bien ĂȘtre. Il paraĂźt surpris de me voir le suivre avec autant d'aisance. _ Il s'arrĂȘte et me montre du doigt une plante que je n'ai jamais vue. C'est en m'approchant que je reconnais les grains de cafĂ© encore verts qu'il me fait toucher et sentir, je ferme les yeux. Il ne parle pas, le temps s'est arrĂȘtĂ©. LĂ , je sens sa main lourde qui touche mon visage avec dĂ©licatesse. Puis, un baiser. J'ouvre les yeux. Il sourit. Ses dents blanches et alignĂ©es se veulent rassurantes. Il repart en avant, nous continuons Ă  marcher, je languis le prochain arrĂȘt. Finalement, sous un arbre Ă©norme que je ne saurais identifier, il prĂ©pare le terrain. Je le vois qui se met Ă  arracher d'une main les plantes Ă©pineuses, jeter les cailloux, Ă©loigner les bouts de bois et tout autre Ă©lĂ©ment naturel qu'il serait mal venu de sentir en bas du dos ou derriĂšre la nuque. Je comprends bien ce qu'il fait, et j'attends patiemment. Enfin, il dĂ©noue le parĂ©o que j'avais autour de la taille et l'Ă©tend Ă  mĂȘme le sol, juste Ă  l'endroit oĂč, innocemment, il a crĂ©e un nid d'amour pour la satisfaction simple d'un dĂ©sir charnel. Je regarde autour de moi. Pas un nuage dans le ciel, un soleil resplendissant, une nature luxuriante, et lui. C'est ici que, sans aucune hĂ©sitation, nos corps vont se mĂȘler Ă  l'infini. Mes mains parcourent son corps lisse et tendu, serrĂ©e contre lui je sens la densitĂ© de son torse, son regard ne me quitte pas. Je lĂšve un instant les yeux, et je crois reconnaĂźtre l'image d'un arbre Ă  palabres, celui que l'on voit dans les illustrations des contes pour enfants, autour duquel le sage du village rĂ©unit ses semblables pour soulever une problĂ©matique ou rĂ©soudre un conflit. C'est ici qu'il a choisi de prendre possession de moi. Sous cet arbre presque magique, ce sont tous les conflits du monde que nous avons l'impression de rĂ©soudre par notre acte d'amour. Nos sexes se rencontrent, nos substances s'Ă©changent, nos identitĂ©s fusionnent. _ Puisque je dois mourir un jour, que ce soit ici et maintenant. Nouvelle 012 _ Le rendez-vous de l'espace DĂ©cembre pluvieux, grisaille de fin d'automne. Une femme sort de la librairie Decitre. DĂ©jĂ  la nuit descend, mais elle ne veut pas rentrer chez elle. Il est trop tĂŽt pour s'enfermer dans ce studio oĂč personne ne l'attend. L'enfant qui aurait 2 ans ce mois-ci n'a jamais vu le jour. Triste anniversaire d'un deuil programmĂ© oĂč elle perdit et ses derniĂšres illusions et l'enfant qu'elle aurait appelĂ© Philippe. Elle rĂȘvait d'un petit garçon pour prononcer ce prĂ©nom jubilatoire. _ Machinalement, elle s'allume une cigarette, comme on s'aliĂšne. La pluie mouille sa royale green, alors, sans mĂȘme y songer, elle entre Ă  l'Espace, ce cafĂ© coincĂ© entre les deux Decitre et la dĂ©jĂ  ancienne librairie des nouveautĂ©s. _ Elle se trouve une table, prĂšs de la fenĂȘtre. Elle a Ă©crasĂ©, comme il se doit, sa cigarette mentholĂ©e avant d'entrer. Elle se commande un verre de vin de paille du Jura, soutien Ă©phĂ©mĂšre Ă  son vague Ă  l'Ăąme chronique. Elle pose sur la table, ses lunettes Ă  la monture extra-souple. La voilĂ  dans son cocon, sĂ©parĂ©e des autres par les 5 dioptries protectrices de sa myopie. Il n'y a plus qu'elle et son vin de paille qui lui rappelle celui qu'elle ne peut oublier. Elle feint d'ignorer l'homme qui l'observe Ă  l'autre bout de la salle. Elle ne peut distinguer ses traits, mais elle sent son regard sur elle. _ Il se lĂšve et vient Ă  elle. Le voilĂ  maintenant Ă  portĂ©e de sa myopie. Remonte alors, un passĂ© vieux de cinq ans, une histoire toujours prĂ©sente, qu'elle ressuscite Ă  chaque rĂ©veil, comme un enfant tĂ©moigne malgrĂ© lui de ses parents. Ils esquissent, l'une autant que l'autre, un sourire timide, quand leurs regards sont dĂ©jĂ  ou encore complices. Les voilĂ  assis l'un en face de l'autre et cette situation les dĂ©route. Avant, ils n'avaient pas besoin de se voir pour se savoir ensemble ». Un silence Ă©trange se tisse, qui les unit. Lentement, ils s'accordent dans la confusion des bruits qui les entourent, comme un orchestre avant le lever de rideau. _ Le temps d'un aller-retour Ă  sa table, le revoilĂ  avec son thĂ© froid et sa rondelle de citron qui boit la tasse. _ ? Vous dĂ©sirez autre chose ? _ ? La mĂȘme chose. _ ? Du vin de paille ? Vous ne devriez pas. Enfin c'est moins fort que le Macvin. » _ Ces vins, il les connaĂźt. MĂȘme si c'est Ă  Lyon qu'il vit, il demeure originaire de Besançon. Il a gardĂ© la rigueur et la droiture des gens de lĂ -bas. » Un homme troisiĂšme rĂ©publique », comme elle se plaisait Ă  nommer cet homme si peu mallĂ©able. _ ? Un thĂ© vert, ça vous convient ? demande-t-elle _ ? C'est surtout Ă  vous que ça va mieux. » _ Une douce chaleur monte en eux. _ ? Ca va ? » demande-t-il entre deux gorgĂ©es de thĂ© chaud. _ Il l'observe par-dessus sa tasse. Elle le sait attentif Ă  la rĂ©ponse qu'elle va donner. Elle cherche comment reprendre ses confidences dans lesquelles il n'y avait pas de place pour les palabres inutiles. _ ? Pas vraiment, en fait. » _ Cinq annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es depuis sa rupture, si peu une sĂ©paration. _ ? Qu'avez-vous Ă  me dire ? » demande-t-il, sans la moindre rancune pour celle qui agit sans rĂ©flĂ©chir et partit sur le coup d'un accĂšs de colĂšre. Il connaissait ses petites crises, il pensait que celle-ci passerait, que sa raison reprendrait le contrĂŽle. _ Il avait souri On en parlera Ă  mon retour de vacances. On se revoit le 2 septembre. » _ Il voulait lui signifier qu'il demeurait son guide au-delĂ  de ses trois semaines de repos bien mĂ©ritĂ©es. _ Elle ne revint pas, ni en septembre, ni en octobre, ni jamais et ne passa pas d'appel. _ ? J'aurais tellement Ă  vous dire Pardon dĂ©jĂ . » _ Il sourit encore. Son sourire n'a pas vieilli, mĂȘme si quelques rides ont tracĂ© leur chemin sur son visage _ ? Cela vous me l'avez dĂ©jĂ  dit. J'ai lu tous les romans que vous m'avez envoyĂ©s. » _ Leurs Ă©changes n'ont sans doute jamais cessĂ©. DĂšs qu'elle terminait un roman, elle le lui postait. Il demeurait son 1er lecteur, celui pour qui elle exigeait ce que, par faiblesse ou par paresse, elle se serait refusĂ©e. _ ? Vous ĂȘtes heureuse ? demande-t-il encore _ ? Non, je ne suis pas heureuse, mais j'ai appris Ă  me passer du bonheur. C'est peut-ĂȘtre cela la sagesse. C'est du moins lĂ  oĂč m'ont menĂ©e mes cogitations sur votre divan marine. » _ A-t-il toujours le mĂȘme ? Elle n'ose cette question de peur, de se sentir Ă©trangĂšre Ă  un dĂ©cor qu'elle n'habite plus. Sans qu'elle comprenne encore pourquoi, la curiositĂ© se mĂȘle Ă  la crainte. Ils retrouvent leurs habitudes. Tout semble tel qu'en leur souvenir. Pourtant, il suffirait d'un rien pour que basculent leurs Ă©changes contenus _ ? Vous avez prĂ©vu quelque chose pour ce soir ? _ ? Non et vous ? _ ? Si peu » _ Fiasco de leur vie privĂ©e Ă  moitiĂ© avouĂ©, Ă  demi- voilĂ©. Elle ne cherche pas Ă  en savoir plus. Elle prĂ©fĂšre laisser du flou, une marge d'espoir Ă  son fantasme. _ Ils seront bientĂŽt amants dans le regard du garçon qui prend la commande. Ils le devinent tous deux et peut-ĂȘtre en est-il plus troublĂ© qu'elle . Se serait-il montrĂ© plus indulgent avec celles qui ont traversĂ© sa vie, s'il ne l'avait pas rencontrĂ©e ? Leurs chemins solitaires sont sans doute similaires Peuvent-ils oublier le pacte de dĂ©part pour autant ? Ne perdrait-elle pas plus qu'elle ne gagnerait en troquant son psy contre un homme ? _ ? Et si on prenait quelques crevettes avec ça ? » _ C'est elle qui propose maintenant. Sans doute cherchent-ils l'une autant que l'autre, des mobiles pour prolonger ce tĂȘte Ă  tĂȘte inespĂ©rĂ©. Peut-ĂȘtre tout Ă  l'heure, bientĂŽt dĂ©jĂ , se sĂ©pareront-ils dans le brouillard des nuits lyonnaises. Une poignĂ©e de main Ă  peine appuyĂ©e, un regard tout juste insistant. _ Fin de la sĂ©quence. _ Il partira en direction des quais de SaĂŽne pour rĂ©cupĂ©rer sa yaris au parking de la passerelle, elle prendra celle des quais du RhĂŽne et rentrera chez elle Ă  pied par les berges. Ils continueront leur chemin, en se persuadant que c'Ă©tait mieux ainsi. Plus tard, elle lui enverra le livre qui illustrera leur rencontre, si elle l'Ă©crit _ La nuit est tombĂ©e sur Lyon lorsqu'ils sortent de l'Espace. Ils restent debout l'un faisant face Ă  l'autre. C'est elle qui rompt ce silence maintenant pesant. _ ? Ce serait possible que je revienne, que je reprenne le travail lĂ  oĂč je l'ai bĂȘtement arrĂȘtĂ©. _ ? Et bien, il vous en aura fallu du temps.. _ ? J'espĂ©rais que vous me le demanderiez _ ? Vous ĂȘtes gonflĂ©e ! C'est vous Miss Laigre qui ĂȘtes partie, hein .Ils sont contents l'un de l'autre et ne cherchent pas Ă  se le cacher. _ ? Attention, plus de repas en tĂȘte Ă  tĂȘte, crevettes champagne, sinon divorce, la prĂ©vient-il gaĂźment _ ? Vous savez ce n'est pas si important que ça les crevettes et le champagne ! » _ ? C'est bien ce que je pense aussi. » _ Ils se serrent la main, lĂ©gers _ Comme l'air leur semble doux, et comme cette pluie est lĂ©nifiante. C'est un beau mois de dĂ©cembre sur Lyon. Nouvelle 013 _ Loups La nuit commençait Ă  tomber, et les loups s'approchaient de la voiture. Mais comment en Ă©tais-je arrivĂ©e lĂ  ? D'abord, le panneau Route interdite ». Avec le 4×4 et les pneus neige, je m'Ă©tais dit que je ne craignais rien; ça devait passer. Effectivement, aucun problĂšme. Mais quand, aprĂšs au moins dix kilomĂštres, le panneau RĂ©serve protĂ©gĂ©e – Animaux dangereux » m'a avertie, le bon sens aurait du me dicter de faire demi-tour. J'aurais du rebrousser chemin, et en ce moment, je serais dans ma chambre d'hĂŽtel, ou avec les autres Ă  bavarder autour d'un vin chaud ou un bon cafĂ© bien noir. Mais non, ma colĂšre m'a poussĂ©e Ă  continuer. RĂ©sultat, je suis lĂ , dans la neige, dans une voiture en panne, le froid pĂ©nĂ©trant tout doucement dans l'habitacle, comme de l'eau glacĂ©e qui remplit une baignoire. C'est bizarre que je sois tombĂ©e en panne d'essence, je pense toujours Ă  faire le plein, c'est bien la premiĂšre fois. Peut-ĂȘtre la derniĂšre, je vois une dizaine de loups qui tournent tout autour. Leur regard m'Ă©vite. Pas de rĂ©seau. Quelle conne ! Son coup de fil m'a Ă©nervĂ©e, toutes ces palabres inutiles, il fallait que je roule pour me calmer, il fallait que je m'isole ! C'est rĂ©ussi ! J'ai soif, et je ne peux pas sortir, dĂšs que je fais mine d'ouvrir la porte, ils s'approchent encore un peu. _ Il fait nuit. Je ne distingue qu'Ă  peine leur ronde. Ah, non, ils sont tous immobiles, ils attendent, Ă  plat ventre. J'ai peur
 Les phares, le klaxon, ils ne bougent mĂȘme pas, ironiques, comme s'ils Ă©taient plus lucides que moi sur la situation. J'ai peur
 _ Il fait froid, j’ai faim, j'ai soif, et malgrĂ© la lune, toute cette neige blanche est trĂšs sombre; les loups ne bougent pas. Ils dorment, et moi je dois agir, alors, de temps en temps, je klaxonne. SĂ©quences de trois points, trois traits, trois points. C’est bizarre, ça m’est revenu tout de suite, et pourtant ça date de longtemps, quand je lui faisais rĂ©viser l’alphabet morse, pour son brevet de pilote, quand nous Ă©tions encore heureux, insouciants, l’avenir devant » comme disait ma grand-mĂšre, que des bonnes choses en perspective, avant la trahison, cette abjection aliĂ©nant notre avenir, qui nous fait tout le temps regarder en arriĂšre, comme si le plus important, maintenant dans notre vie se trouvait derriĂšre nous, dans notre passĂ© commun, et que rien d’autre dans le futur n’aurait une saveur assez forte pour pouvoir effacer un jour cette amertume. _ Je klaxonne des sĂ©ries de SOS rĂ©guliĂšrement, non seulement pour essayer de lancer un appel Ă  l’aide, les sons portent plus loin la nuit, mais aussi, et de plus en plus je troque ma peur contre le plaisir de rĂ©veiller les loups, les dĂ©ranger, leur montrer que moi l’ĂȘtre humain, je suis la plus forte, que je ne serai pas leur victime passive et mallĂ©able, qu’ils ne sont que des animaux, et que oui, bien sĂ»r je suis chez eux en quelque sorte, mais que je reprĂ©sente la culture contre la nature, l’intelligence, la rĂ©flexion contre l’instinct, et que l’ordre des choses ne peut ĂȘtre changĂ©, mĂȘme cette nuit de pleine lune. _ Effectivement, ils sursautent Ă  chaque SOS, mais petit Ă  petit, ils ne s’allongent plus, ils restent assis et ils se regardent, j’ai l’impression qu’ils sont surpris et amusĂ©s. Quelle prĂ©tention, quelle naĂŻvetĂ©, quel manque de luciditĂ© ! » semblent-ils me dire de leur œil ironique. Eux aussi, de temps en temps se mettent Ă  hurler. Alors, arrivent d’autres loups en soutien, et maintenant, ils sont trĂšs nombreux, tout autour de la voiture. _ Pourtant, un seul dort toujours, ou tout au moins reste allongĂ©, ne rĂ©agissant pas aux coups de klaxon, et ne mĂȘlant pas ses hurlements aux autres. C’est le plus grand, le plus vieux, sans doute, son pelage Ă©tant bien plus gris que celui des autres, Ă  ce que je peux en voir dans cette lumiĂšre blafarde. Seules, ses oreilles, trĂšs mobiles, pivotent, Ă  l’affut. Je ne sais pas pourquoi, mais bientĂŽt je ne vois plus que lui. Il est le seul que je regarde. Je suis persuadĂ©e qu’il va bouger, qu’enfin il va me regarder, et j’attends tout de ce regard, la vie, le bonheur, la paix, comme une renaissance, comme si ce loup, cette louve peut-ĂȘtre, doit changer ma vie, comme si la dispute de ce soir, la colĂšre qui s’en est suivie, ma fuite au hasard, ma panne d’essence, tout cela a Ă©tĂ© prĂ©vu, calculĂ©, dĂ©cidĂ© par une sorte de puissance invisible, et Ă  l’instant, je sais dans mon for intĂ©rieur que je n’ai vĂ©cu jusqu’à prĂ©sent que pour ce moment, oĂč cet animal allongĂ©, aux aguets, n’attendant qu’un signe du destin, me regardera enfin. _ Comme Jean Marais dans La belle et la bĂȘte », par la magie du film projetĂ© en marche arriĂšre, de bĂȘte couchĂ©e, abattue, se redresse jeune homme vaillant et charmant – Mes parents ne croyaient pas aux fĂ©es
 » – le loup, le grand loup, sous mes yeux ahuris se transforma, en un instant qui semblait ne jamais vouloir finir, en un beau jeune homme, la moustache brune bien taillĂ©e, portant chapeau de feutre, dont le regard bleu, si clair, me fit fondre immĂ©diatement. Mon pĂšre Ă©tait devant moi, me tendant la main, comme jamais de son vivant. Ce qui m’étonnait le plus, me stupĂ©fiait, c’était son regard si doux, posĂ© sur moi, avec cette pointe d’ironie que je lui voyais souvent, mais aujourd’hui, le regard Ă©tait bienveillant, affectueux, il ne me menaçait pas, je n’avais pas peur. J’accrochai ma main dans la sienne, et tous les deux, nous nous enfonçùmes dans la forĂȘt. Rien n’existait plus que mon Papa, me servant de guide, ma main dans la sienne, et ce pas lourd et rassurant Ă  cĂŽtĂ© du mien. Jamais je ne l’avais intĂ©ressĂ©, les seules fois oĂč j’avais semblĂ© compter pour lui, c’était quand je le dĂ©rangeais, quand il me disait d’aller ailleurs. Dans cette forĂȘt, j’existais enfin Ă  ses yeux. Bien qu’il ne m’eĂ»t point parlĂ©, il m’avait regardĂ©e, il tenait ma main, et il m’emmenait avec lui. Combien de fois, enfant, je l’avais vu partir seul ou avec un de mes frĂšres. Papa j’ai envie d’aller avec toi, Papa ! » Il ne se retournait mĂȘme pas. _ Ensemble, nous traversĂąmes une passerelle au-dessus d’un ruisseau, et au bout de quelques minutes, une cabane, fumante, Ă©clairĂ©e, entourĂ©e de loups assis nous ouvrit sa porte. LĂ , un grand lit, comme dans le Chaperon rouge. Mon pĂšre me regarda, et, enfin, me parla. Mon Dieu, ces paroles, cette voix, aprĂšs tant d’annĂ©es. Il me dit gentiment, que je devais m’allonger sur ce lit, et qu’il allait me lire une histoire. Moi, telle la petite fille que j’étais redevenue, jubilatoire Ă  l’idĂ©e de cette lecture, je me suis couchĂ©e, mon pĂšre amena une chaise prĂšs du lit, ouvrit un livre illustrĂ© et commença Ă  lire. Il ne fallut que quelques pages pour que le sommeil arrive, et je m’endormis, heureuse comme jamais, pour toujours. Nouvelle 014 _ Les rĂ©fugiĂ©s climatiques Bonjour chez vous, _ nous sommes tous des rĂ©fugiĂ©s climatiques
 _ L'action de cette nouvelle se dĂ©roule Ă  l'issue de l'un des conseils des ministres sous-marin », sur l'un des petits atolls du Pacifique, condamnĂ© Ă  disparaĂźtre, sous l'effet de l'Ă©lĂ©vation du niveau des mers en raison des changements climatiques. Dans la Grande Salle des Pattes PalmĂ©es, le ministre d 'État, chargĂ© des ÉvĂ©nements Climatiques ExtrĂȘmes ECE Ă©tait absolument dĂ©bordĂ© et n'avait vraiment plus un orage Ă  lui , il lui fallait dĂ©sormais agir au plus vite, efficacement, sans recourir une nouvelle fois Ă  d' interminables palabres. _ L'urgence Ă©tait Ă  son comble urgence climatique en premier lieu, bien entendu les tempĂȘtes Ă©taient devenues plus frĂ©quentes et terriblement violentes ; urgence mĂ©dicale les Ă©pidĂ©mies se succĂ©daient les unes aux autres et le paludisme faisait actuellement rage sur l'Ăźle, urgence sociale la rĂ©volte populaire grondait ainsi que l'urgence politique d'interminables conflits Ă©clataient rĂ©guliĂšrement. Toutes les urgences Ă©taient finalement entremĂȘlĂ©es les unes aux autres. _ Le PrĂ©sident de l'atoll ,qui leur servait nĂ©anmoins de guide avait bien tentĂ© d'exprimer son point de vue, avant d'ĂȘtre lui mĂȘme, Ă  son tour, englouti, sous des torrents d'eaux . Il s'exprima ainsi avant _ ? Mes chers concitoyens, la situation est grave et insoluble ! la montĂ©e du niveau de la mer aura raison de nous si nous n'agissons pas de concert, tous ensemble, nous sommes condamnĂ©s Ă  disparaĂźtre irrĂ©mĂ©diablement, sous les flots
 _ En effet, ne l'oublions surtout pas les flancs de nĂŽtre jolie petite Ăźle culminent , dans le meilleur des cas, Ă  cinquante centimĂštres au dessus du niveau de la mer ; vulgairement parlant, si l'eau monte, nous coulons avec elle ! Nous n'aurons aucune sĂ©quence de rattrapage, aucune passerelle nous permettant d'embarquer vers un quelconque refuge, nous assurant un avenir plus radieux ne pourra ĂȘtre Ă©chafaudĂ©e. Le constat est sans appel, c''est du soutien de l'ensemble des iliens dont nous avons dĂ©sormais impĂ©rativement besoin. _ Les habitants ne sont ni mobiles , ni mallĂ©ables ou corvĂ©ables , Ă  merci. _ Avant que d'ĂȘtre moi-mĂȘme, englouti par les eaux, le peuple doit s'exprimer librement, il a toutefois le droit et l'ultime devoir d'exprimer une derniĂšre fois, son ressentiment, vis-Ă -vis d'une situation qui , hĂ©las, ne dĂ©pend pas du tout de lui. _ Il nous faut impĂ©rativement trouver une solution de repli. » _ Il eut un petit rictus jubilatoire en prononçant ce discours, oh combien rĂ©aliste et vraisemblable, mais, pour le moins, alarmiste. La gravitĂ© de la situation rĂ©elle expliquait certainement qu'un politique », habituĂ© d'ordinaire, de par sa fonction et son rĂŽle au sein de la sociĂ©tĂ© ilienne, Ă  plus d'optimisme et de clĂ©mence, commenta la situation d'un ton volontairement dramatique et alarmiste. _ Pour illustrer son propos, assis tranquillement, derriĂšre son petit cafĂ© – commerce Ă©quitable- , et comme s'il se parlait Ă  lui-mĂȘme, Ă  grand renfort de moulinets de bras, le PrĂ©sident s'Ă©cria, Ă  court d'arguments intelligents _ ? Il me faudrait trouver une solution miracle, avant que la population ne finisse pas par m'enfermer dans un asile d'aliĂ©nĂ©s
 Ai-je besoin une fois encore, d'illustrer mon propos, Ă  coup de mĂ©taphores oiseuses ??? rajouta – t' il, perplexe. _ Une seule chose m'amuse, s'Ă©cria alors le PrĂ©sident Rodolphe si nous sommes amenĂ©s Ă  disparaĂźtre sous les eaux, je n'aurais enfin plus besoin de mobile !!! Je le troquerais alors volontiers contre une paire de palmes !!!! _ Le peuple savait pourtant parfaitement qu'une autre solution alternative s'offrait Ă  lui trouver enfin un l'endroit totalement isolĂ©, oubliĂ© oĂč bĂątir son propre jardin planĂ©taire, ni trop en dessous, ni trop au dessus du sol. Un autre monde, juste Ă  cotĂ© du nĂŽtre,sans cave, ni tours, juste Ă  la mĂȘme hauteur
 Presque le mĂȘme, en moins souillé  La terre n'est pas extensive et elle est tellement plus forte que nous, il appartient donc Ă  l homme de continuer Ă  prospecter afin de vĂ©rifier si un minuscule bout de terre n'a, au hasard, pas Ă©tĂ© oubliĂ© , Ă  mille lieux de toutes terres habitĂ©es, un endroit oĂč l'homme pourrait, sans revenir Ă  l'age de pierre, rĂ©apprendre Ă  vivre plus sainement, plus sĂ»rement et plus joyeusement. Le monde des rĂȘves n'est qu'un refuge, mais rien n'y est interdit
 » poursuivit l'ExĂ©cutif Rodolphe. _ Du fond de la salle des Pattes palmĂ©es, se fit alors entendre une petite voix fluette, toute droit sortie d'un dessin animĂ© de Tex Avery, la voix magique des songes
 _ ? Il nous faudrait trouver une, LA solution efficace. » _ Une voix nouvelle , la voie providentielle celle qui s'Ă©tait toujours fait attendre, il nous faut la trouver, tenter de l'esquisser
 Mais finalement, au bout du compte, que voulez-vous ? _ Monsieur le PrĂ©sident, s'Ă©cria alors le reprĂ©sentant des insulaires, finalement nous ne sommes mĂȘme pas trop exigeants, le mĂȘme espace nous suffirait, avec cependant certains changements d'habitude fondamentaux moins de dĂ©chets et ce trop plein de gaspillage Ă©vitĂ© , ce ne serait dĂ©jĂ  pas si mal !! Vous ne trouvez pas ? _ ? Retroussons-nous les manches, nous ne sommes pas des benĂȘts, et tous ensemble, nous finirons bien par trouver le remĂšde. L'espoir ne pourra plus venir de l'Ăźle, elle a coulĂ©. Nous faudra-t -il maintenant tout recommencer ? Il nous reste encore les hommes qui ont, en grande partie, tout dĂ©truit, pour tout rĂ©parer. Bon courage ! Nouvelle 015 _ Opre Rrromas Esmeralda On aurait pu croire, dans la lueur blafarde du soir, Ă  un cortĂšge funĂšbre, fantasmagorique, composĂ© de grandes silhouettes aux contours indistincts. _ Elle observait Ă  la fenĂȘtre du cafĂ©, Ă©treinte par une sourde angoisse, l'Ă©trange dĂ©filĂ© aux ombres inquiĂ©tantes pendant que d'interminables palabres dans l'arriĂšre-salle envoyaient leurs Ă©chos s'entrechoquer dans sa tĂȘte. L'extrĂȘme fatigue aidant, elle se figurait les images, les bruits et les odeurs faisant partie du mĂȘme spectacle et se laissait aller Ă  une douce torpeur comme Ă  l'orĂ©e d'un sommeil
elle rĂȘvait donc et, bien qu'il l'eut fallu, n'avait plus envie d'agir
 _ Partie l'angoisse ! Elle fut petit Ă  petit envahie d'un sentiment jubilatoire qui la ramenait des annĂ©es en arriĂšre, un soir peu avant NoĂ«l oĂč il lui avait Ă©tĂ© permis de se promener dans le village et oĂč les lumiĂšres enjouĂ©es, floutĂ©es par la nuit descendante, et l'atmosphĂšre fĂ©erique lui avaient procurĂ© une telle sensation de bonheur et de libertĂ© qu'elle n'avait eu de cesse depuis de la retrouver. Enfin, elle y Ă©tait parvenue !
 Elle fut de nouveau la petite fille Ă©blouie. _ RĂ©pondant Ă  un appel dont elle ne comprenait ni le sens ni l'origine, elle franchit la petite passerelle rouge du jardin japonais. _ Étaient lĂ , allongĂ©s sur la pelouse ou assis sur le muret bordant le jardin, les garçons du village, ceux qu'on voyait chaque soir sur la place entourĂ©s de leur mobylettes et reluquant sournoisement le moindre jupon qui passait. Elle marqua un temps d'arrĂȘt, soudain inquiĂšte, elle se sentit trĂšs seule et leur en voulut de casser ainsi sa joie toute nouvelle. Puis, rassemblant courage et volontĂ©, passa trĂšs fiĂšre parmi leurs rangs, sautillant quelque peu dans ses pauvres sandales, comme dans une sĂ©quence de cinĂ©ma, ce qui lui rendit joie et bienveillance. Elle en fut toute Ă©tourdie et alla mĂȘme jusqu'Ă  se retourner vers les garçons, un peu aguichante, un peu starlette. Ils n'Ă©taient pas si terribles, mĂȘme un peu paumĂ©s, comme elle en fin de compte. Son cœur se gonflait et s'envolait dans une bouffĂ©e de bonheur sauvage, elle eut l'impression de virevolter, de danser parmi eux, ensemble et heureux. _ Ce fut de courte durĂ©e car sa famille arrivait comme il Ă©tait prĂ©vu pour la ramener au camp mais cette nuit lĂ , elle fut comblĂ©e, Ă©panouie
 _ Dans le cafĂ©, les bruits se firent tout Ă  coup plus proches, plus clairs, perforant son cerveau. Ils s'Ă©taient rendu compte qu'il se passait quelque chose dehors. Encore dans son rĂȘve, elle ne comprit pas de suite qu'ils l'apostrophaient, haineux. Ils commencĂšrent Ă  la secouer, d'abord avec un peu de tact, puis trĂšs brutalement. _ Mais qu'est-ce que tu fais encore lĂ  ? T'es pas avec eux ? Vas donc les rejoindre, c'est ta tribu, non ? » _ HĂ©bĂ©tĂ©e, elle regarda Jean-Claude qui la secouait plus fort que les autres
mais, n'Ă©taient-ils pas ensemble, l'instant d'avant, dans le jardin japonais. Il l'avait approchĂ©e doucement pendant qu'elle dansait dans leur cercle, lui avait relevĂ© sa mĂšche pour l'embrasser furtivement avant que sa famille ne fut trop proche
Maintenant, il avait un sourire torve et mĂ©chant, il lui serrait le bras en lui faisant trĂšs mal et l'obligeait Ă  se lever du siĂšge
Mais que se passe-t-il ?
Elle voulait retourner dans sa torpeur, sous son baiser, dans les lumiĂšres colorĂ©es, dans la fĂȘte, elle voulait
Laissez-moi, laissez-moi !
Je ne veux pas, je ne veux pas !
Elle avait envie de se blottir dans ses bras, de son soutien, qu'il fĂ»t son guide
 _ Mais tout se brisait, tout explosait dans sa tĂȘte, il y eut un grand fracas, comme une rupture hĂ©morragique
 _ Il y avait maintenant beaucoup plus de lumiĂšre dans le petit cafĂ©, la pĂ©nombre ne la protĂ©geait plus, ne l'isolait plus
Elle devait se rĂ©veiller, sortir et rejoindre le cortĂšge dehors maintenant agglutinĂ© devant la porte, elle le savait. Son peuple s'Ă©tait enfin rĂ©veillĂ©, elle se devait d'ĂȘtre Ă  leur cotĂ©, elle se devait d'ĂȘtre fiĂšre et droite
 Opre Rrroma !* »  _ Comme elle s'Ă©tait redressĂ©e, les hommes du cafĂ© ne la bousculaient plus. Ils attendaient, avec encore la lueur vindicative dans leurs yeux, simplement aux aguets, chasseurs
Il fallait qu'elle s'en aille, qu'elle aille rejoindre sa famille, son peuple qui s'Ă©tait remis en marche. Comme cette fois, au jardin japonais, oĂč ils Ă©taient arrivĂ©s pour interrompre son rĂȘve si doux, mĂ©contents de la trouver parmi les gadjĂ©s
 _ AprĂšs leur baiser volĂ© ce soir lĂ , Jean-Claude s'Ă©tait montrĂ© distant, la fuyait mĂȘme. Jusqu'Ă  ce jour oĂč ils s'Ă©tait frĂŽlĂ©s dans un couloir du collĂšge et oĂč il avait rĂ©pĂ©tĂ© ce geste relever sa mĂšche pour l'embrasser. Mais cette fois il l'avait serrĂ©e et embrassĂ©e Ă  pleine bouche, avec sa langue, et elle avait retrouvĂ© cette fougue dans son cœur et dans tout son ĂȘtre. Elle s'Ă©tait dit qu'elle ne voulait plus vivre que dans ce bonheur là
 Ça avait durĂ© un an ou deux, le temps avait passĂ© vite. Jean-Claude n'Ă©tait pas bavard, pas trĂšs disponible, leurs rencontres avaient gardĂ© leur caractĂšre furtif, leurs Ă©changes se limitaient Ă  ces baisers fougueux, quelques attouchements timides, quelques tentatives pour aller plus loin» de sa part, difficilement rĂ©primĂ©s de son cotĂ© Ă  elle
Elle se doutait bien de la raison de ce manque de chaleur et de communication, de ce cotĂ© clandestin de leur relation, mais elle restait sur son nuage, vaporeuse, douce, belle. Il lui arrivait de l'appeler son Esmeralda » et cela lui suffisait pour des jours et des jours de rĂȘve heureux. Puis il s'Ă©tait Ă©loignĂ© doucement, sans qu'elle s'en rende compte au dĂ©but. Un jour, il lui dĂźt qu'il en aimait une autre, une blonde, toute en blancheur et bon teint. Elle avait voulu mourir, elle s'Ă©tait sentie aliĂ©nĂ©e, complĂštement dĂ©boussolĂ©e. Les annĂ©es qui suivirent ne furent que comme une longue peine. _ Le groupe dehors lui faisait signe de les rejoindre. Ils ne voulaient pas entrer, ne voulaient pas se mĂȘler aux gadgĂ©s. Ils Ă©taient venus nombreux, de toute la rĂ©gion. Elle se sentit fiĂšre de leur appartenir, elle reprenait ses esprits. Aujourd'hui Ă©tait un grand jour pour eux, aprĂšs les rĂ©centes expulsions, aprĂšs toutes ces persĂ©cutions au cours des siĂšcles, aprĂšs les camps de concentration, les exterminations, ils s'Ă©taient levĂ©s !
 »Opre Rrroma !* ». _ Elle ne pouvait pourtant se rĂ©soudre Ă  laisser tomber son rĂȘve retrouvé  Mais Jean-Claude n'Ă©tait plus le mĂȘme, si jamais il avait Ă©tĂ© celui de ses rĂȘves. Et, comme pour illustrer ce qu'elle pensait, il se remit Ă  l'invectiver Alors, Esmeralda, vas donc les retrouver, tes gitans, ta putain de race de crasseux ! Va falloir encore vous supporter, pas moyen de se dĂ©barrasser de vous, alors qu'y a des lois pour ça maintenant ! Fous le camp !». Sur le moment, elle aurait bien troquĂ© sa place contre celle de la petite blondeur qui Ă©tait sa femme, pouvoir entendre des mots doux de sa bouche, sentir ses lĂšvres
elle trĂ©bucha sous le coup de la douleur, prenant conscience que cela ne serait jamais, si ça l'avait jamais Ă©té  Et elle se redressa face Ă  lui Mon pauvre petit gadjo, tu ne sauras jamais la joie d'ĂȘtre libre, mobile, toi qui est encroĂ»tĂ© dans ce bistrot de pochtrons, dans ce village d'arriĂ©rĂ©s, dans cette vie Ă©triquĂ©e, sans avenir, sans rĂȘve, sans voyage ! Ce n'est pas de partir qui nous met en colĂšre, c'est votre immense bĂȘtise, votre pauvretĂ© d'esprit ! Tu aurais pu avoir Esmeralda comme compagne, belle, libre, heureuse, et tu n'as qu'une petite blondasse boulotte, fadasse et mallĂ©able que tu fuis tous les jours dans ce bistrot ! Je te plains ! À moi la libertĂ© ! Opre Rrroma ! » Et elle alla rejoindre les gĂ©ants debout. _ -Motho, manqe, Rrome ! a _ Kaj si amari phuv, _ Amare plaja, amare lena _ Amare umala thaj amare vesa _ Kaj si amare limora ? _ -Ande lava tale, _ ande lava amare chibaqere ! » _ -Dis-moi, _ Dis-moi, le Rrom, _ OĂč est notre terre, _ Nos montagnes, nos fleuves, _ nos champs et nos forĂȘts ? _ -Ils sont dans les mots, _ dans les mots de notre langue ! » _ Eslam DRUDAK Dardanie _ *En langue rromani Debout les Rroms ! Nouvelle 016 Cela faisait tout au plus une semaine que je travaillai comme archiviste adjoint, deuxiĂšme Ă©chelon, Ă  la bibliothĂšque Saint-Simon, rue de Grenelle, quand Monsieur LĂ©ventail, mon responsable, m'appela dans son bureau. _ ? Ah ! Monsieur Moignon. J'ai un petit travail pour vous, m'annonça-t-il rayonnant, comme si cela avait Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement extraordinaire. Il exhiba sous mon nez une feuille manuscrite. _ ? Voici une liste de seize mots et pas un de plus. Vous voyez ! Ce n'est pas bien compliquĂ© ! Pour vous faciliter la tĂąche, je vous les ai mĂȘme classĂ©s par ordre alphabĂ©tique. Je lui pris la liste des mains et la lut Ă  voix basse Agir, AliĂ©ner, Appel, CafĂ©, Ensemble, Guide, Illustrer, Jubilatoire, MallĂ©able, MĂȘler, Mobile, Palabre, Passerelle, SĂ©quence, Soutien, Troquer. Aucun lien apparent ne semblait les rĂ©unir quelques verbes du premier et du second groupe ; quelques substantifs ; un adverbe ; deux adjectifs. On n'allait pas loin avec ça ! Monsieur LĂ©vantail s'enfonça confortablement dans son fauteuil de skaĂŻ noir. Je crus percevoir comme un lĂ©ger sourire voleter sur ses lĂšvres minces. De sa voix de fausset, voici ce qu'il m'annonça. _ ? À partir de ces seize mots, mon cher Moignon, vous allez chercher dans le fond de notre belle bibliothĂšque tous les livres qui les contiennent. Je dis bien tous ! Je me pensais ĂȘtre dans un mauvais rĂȘve. J'allais me rĂ©veiller et me retrouver assis derriĂšre mon petit bureau, en pleine digestion des tagliatelles au pesto que j'avais mangĂ©es Ă  la cantine ce midi-lĂ . _ ? VoilĂ  ! C'est tout ! conclut mon responsable en se replongeant dans le dĂ©chiffrage d'un incunable merveilleusement enluminĂ©. Avez-vous des questions ? _ ? Euh Mais qu'est-ce Et si Ăąnonnais-je, littĂ©ralement sonnĂ©. _ ? Au fait ! m'interrompit-il. J'ai omis de vous prĂ©ciser un dĂ©tail le ministre de la Culture en personne attend le rĂ©sultat de votre travail pour demain soir. Au plus tard. _ ? Au plus tard ! Ah ! bien parvins-je Ă  articuler. _ ? Et il va sans dire que votre notation de fin d'annĂ©e en dĂ©pend. Je travaillai d'arrache-pied pendant les douze heures suivantes. Je ne mangeai ni ne dormis. A bout de forces, je parvins Ă  sĂ©lectionner deux livres seulement Les choses » de Georges Perec et Paroles » de Jacques PrĂ©vert. Dans ce dernier livre, Ă  mon grand dĂ©sespoir, je ne trouvai pas un des seize mots imposĂ©s AliĂ©ner. Le lendemain, je dĂ©missionnai. Nouvelle 017 _ Histoire d'Imad le Peul Je le vis pour la premiĂšre fois Ă  Paris sur le quai de la gare d'Austerlitz. Difficile de ne pas le remarquer. Il m'observait du haut de ses deux mĂštres silhouette svelte, visage noir comme l'Ă©bĂšne, Ă©clairĂ© par un regard plein de malice qui semblait lancer un appel Ă©coute-moi. J'ai des choses Ă  te dire. » _ Excusez-moi, madame. Je cherche un train pour Toulouse. » _ J'y vais aussi Suivez le guide ! » lui rĂ©pondis-je _ Nous nous installĂąmes ensemble l'un face Ă  l'autre dans le silence d'un compartiment vide. Ca ne valait pas l'ombre de l'arbre Ă  palabre, mais nous nous sentĂźmes vite complices. En effet, une passerelle nous rĂ©unit, lui, le Peul et moi la Basque, quand nous Ă©changeĂąmes tous les deux des Ă©pisodes de notre passĂ©, relatifs au mĂ©pris de ceux qui considĂ©raient nos langues minoritaires comme des signes de retard culturel et intellectuel _ Je m'appelle Imad. Je viens du Mali. TrĂšs tĂŽt, ma famille me confia la garde de notre petit troupeau de chĂšvres et de brebis. Depuis l'Ăąge de dix ans, j'allai de pĂąturage en pĂąturage, berger sans terre, nomade et heureux de l'ĂȘtre. Mes bĂȘtes fertilisaient les sols des propriĂ©taires d'alentour, mĂȘlant leurs excrĂ©ments Ă  la terre de leurs champs. En retour, elles avaient le droit de brouter l'herbe des jachĂšres. RassasiĂ©s, nous dormions au clair de lune, observant les Ă©toiles filantes et leur course jubilatoire, le cœur dĂ©bordant de paix et d'allĂ©gresse. » _ Pourquoi avoir abandonnĂ© ce paradis? » lui rĂ©torquai- je, surprise. _ Un jour des Ă©trangers dĂ©barquĂšrent chez nous. Ils confisquĂšrent toutes les terres, chassĂšrent les paysans et plantĂšrent des milliers d'hectares de riz et de soja destinĂ©s Ă  l'exportation. Je pensais d'oĂč viennent-ils ces voleurs ? Je veux en avoir le cœur net. Mon sang de nomade me poussa Ă  marcher, les pieds nus, le ventre creux, sur nos chemins de latĂ©rite. Ma peau prit la couleur rouge de notre terre, striĂ©e de lignes plus claires tracĂ©es par la sueur qui dĂ©goulinait de mon front. Je calmai ma faim en mĂąchant des bulbes et des racines, ainsi que quelques fruits chapardĂ©s au passage, Ă  la faveur de l'obscuritĂ©. Parfois des chauffeurs de camion m'acceptaient dans leur cabine et m'offraient un cafĂ©, mĂȘlĂ© avec du lait. On m'avait dit que ces Ă©trangers avaient traversĂ© le grand lac qui baigne Bamako notre capitale et qu'on l'appelait ocĂ©an ». Je demeurai longtemps stupĂ©fait devant cette masse d'eau bleue toujours en mouvement, comme nous les nomades ! Ce lac avançait, reculait, revenait pour repartir encore. Il me dit Viens ; je te prends avec moi ; je peux t'amener loin, trĂšs loin » Je lui rĂ©pondis OcĂ©an, tu es l'ami des voyageurs et des nomades. Un jour je partirai avec toi. » _ Un missionnaire blanc me trouva endormi sous le porche de son Ă©glise. Il me donna du travail. Quand ma bourse fut assez pleine, j'embarquai pour l'Europe. Et me voilĂ  devant vous ! On m'a dit que le soleil brille plus longtemps et plus fort Ă  Toulouse. J'ai besoin de sa lumiĂšre et de son rĂ©confort » _ Avez-vous un visa ? » demandai-je avec indiscrĂ©tion. _ J'en ai un pour trois mois ; mais je resterai chez vous peut-ĂȘtre pour toujours » _ Je le regardai avec compassion. Je pensai il ne sait pas ce qui l'attend. Il perdra vite ses illusions ! Il aura besoin de soutien ! » Il me quitta pour un foyer du Centre-Ville. Une fois par semaine, on se retrouvait dans un bar. Il me parlait des emplois prĂ©caires qu'il dĂ©nichait, des patrons profiteurs qui le croyaient mallĂ©able Ă  souhait , qui agissaient avec sĂ©vĂ©ritĂ© pour pouvoir l'aliĂ©ner, des policiers qui semblaient l'Ă©pier et qu'il Ă©vitait en changeant de rue s'il le fallait, car son visa avait expirĂ©. Quelle sera la prochaine sĂ©quence du film de sa vie tourmentĂ©e ? me disais-je chaque fois que je le quittais. _ Il ne vint plus Ă  notre rendez-vous hebdomadaire. Je soupçonnai le mobile de cette infidĂ©litĂ©. Je pris contact avec la Cimade qui, hĂ©las, me confirma son internement au camp de rĂ©tention de Cornebarrieu. _ Je le vis un jour qui marchait dans la cour de sa prison, surveillĂ© par des gardiens en uniforme qui scrutaient ses moindres mouvements. Il marchait en traĂźnant les pieds, courbĂ© en deux, un illustrĂ© entre les mains. Son beau regard dĂ©sormais Ă©teint parcourait des pages de dessins, des croquis rappelant sa lointaine patrie qu'il avait dĂ» troquer contre des barbelĂ©s. On m'interdit de lui parler. _ L'association ne put empĂȘcher l'arrĂȘtĂ© d'expulsion. Le matin prĂ©vu pour le dĂ©part, le garde le trouva pendu dans sa cellule. Imad, le nomade, partit une nuit d'Ă©tĂ© pour un dernier voyage, vers le pays d'oĂč l'on ne revient plus. Nouvelle 018 _ Braquage Ă  l'italienne _ ? On va encore rester lĂ  longtemps Ă  poireauter ? demanda petit boucher en faisant couler de sa thermos un cafĂ© tiĂ©dasse. _ ? On vĂ©rifie une derniĂšre fois les dĂ©placements de la cible » et on rentre rĂ©pondit VĂ©lib d'un ton fatiguĂ©. Depuis quinze jours que durait cette filature, les membres de l'Ă©quipe avaient pris pour habitude de ne plus s'appeler que par des surnoms. DiscrĂ©tion oblige ! Outre les deux protagonistes actuellement en planque, il y avait Ă©galement dans la bande Gibson, Doc, Gri-gri, La bĂ»che, Cowboy et Renard. Chacun avait choisi son pseudo en fonction d'une caractĂ©ristique physique, d'un mĂ©tier exercĂ© Ă  un moment de sa vie ou d'une passion dĂ©vorante. Rien de bien original, juste du prĂ©visible ! _ Lorsque Le Guide avait fait appel Ă  eux, il n'avait pas eu besoin de tenir des palabres pour les convaincre d'accepter car chacun avait une dette envers lui. Depuis, Ă  cause de la pression qu'il faisait peser, il s'Ă©tait aliĂ©nĂ© toute sympathie de leur part mais ce qui comptait avant tout c'Ă©tait qu'ils reconnaissent en lui un vĂ©ritable chef. Ensemble ils l'avaient assurĂ© de leur soutien inconditionnel. Maintenant ils s'en mordaient les doigts car il les faisait vivre sur un rythme dĂ©mentiel auquel ils n'Ă©taient pas habituĂ©s. _ Il avait fallu tout d'abord constituer des Ă©quipes mobiles, chargĂ©es du repĂ©rage. Puis les positionner aux divers points stratĂ©giques du parcours utilisĂ© par la cible ». Pour cela, ils avaient troquĂ© leur costume de ville contre des tenues moins seyantes, plus dans le style camouflage urbain et ainsi se mĂȘler Ă  la foule. Chaque tronçon du parcours Ă©tait quadrillĂ© de telle sorte que les moindres faits et gestes de la cible » Ă©taient filmĂ©s, chronomĂ©trĂ©s, dissĂ©quĂ©s. Chaque sĂ©quence Ă©tait analysĂ©e pour identifier et prĂ©venir le moindre alĂ©a. _ Trois fois par jour, ils devaient fournir un rapport dĂ©taillĂ©, illustrer et commenter chaque situation sur la carte murale affichĂ©e au fond du local louĂ© pour l'occasion et, opĂ©ration la plus dĂ©licate de cet exercice, proposer des solutions quand un problĂšme apparaissait. Chaque nouvelle idĂ©e Ă©tait prĂ©sentĂ©e et discutĂ©e. Celles retenues par Le Guide dĂ©clenchaient un sourire jubilatoire sur le visage de son auteur. Mais c'Ă©tait plutĂŽt rare car il avait l'art de trouver la faille dans chaque proposition et de la dĂ©monter point par point jusqu'Ă  ce que son dĂ©fendeur se sente ridicule et abandonne. _ Il leur faisait vivre un tel enfer que plus personne n'osait faire de suggestion. Chacun se rangeait aux idĂ©es du Guide. Il avait rĂ©ussi Ă  en en faire une Ă©quipe mallĂ©able Ă  souhait. _ Enfin, tout Ă©tait bouclĂ©. Le moindre dĂ©tail Ă©tait ancrĂ© au plus profond de la mĂ©moire de chacun des membres du gang. _ DĂšs que la cible quitterait son Ă©tablissement, elle serait prise en chasse par l'Ă©quipe numĂ©ro un, chargĂ©e de la suivre jusqu'au rond point de la CitĂ© des fleurs. LĂ , l'Ă©quipe numĂ©ro deux prendrait le relais afin de ne pas attirer l'attention. Pendant ce temps, l'Ă©quipe numĂ©ro trois bloquerait la rue du petit ruisseau avec la fourgonnette dĂ©robĂ©e la veille afin de contraindre la proie Ă  se diriger vers la rue du Quai pour enfin dĂ©boucher sur l'avenue Soussa oĂč l'attendait le reste de l'Ă©quipe. A cet endroit, ils bloqueraient la cible » contre le trottoir, l'obligerait Ă  ouvrir le coffre arriĂšre du vĂ©hicule et s'emparerait de prĂ©cieux chargement. Il convenait d'agir vite, car le secteur Ă©tait particuliĂšrement surveillĂ©. _ Le Guide s'Ă©tait montrĂ© intraitable sans arme, sans haine et surtout sans violence » _ Ce n'Ă©tait plus maintenant qu'une question de secondes. _ Soudain, au niveau de la passerelle du RER au bout de l'avenue Soussa, surgit l'objet de toutes leurs convoitises, sur sa mobylette rouge le livreur de pizzas. Nouvelle 019 _ Hasardeux Avançant dans la nuit prodigieusement sombre, son regard cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment une lueur. Comme Ă  son habitude, Simon a besoin que le Destin lui fasse un signe. Le Destin est son guide, il se sent incapable de vivre, d’agir sans son aide, il est insatiable des coĂŻncidences de la vie qu’il interprĂšte comme des paroles cĂ©lestes. _ Du haut de la passerelle il aperçoit un groupe dans une lumiĂšre festive. Les fĂȘtes ne sont pas l’endroit oĂč Simon se sent le plus Ă  l’aise, il est gĂ©nĂ©ralement inhibĂ© en compagnie de ses congĂ©nĂšres. NĂ©anmoins Ă  cet instant, il se sent irrĂ©sistiblement attirĂ© par l’ambiance. Il descend Ă  toute allure, portĂ© par le souffle du Destin. Il se mĂȘle Ă  la soirĂ©e et observe les participants, se joint Ă  leur discussion, rit avec eux, Ă©coute avec langueur leurs palabres. Il attend un Ă©vĂ©nement, il ne sait pas encore lequel, mais s’il s’est retrouvĂ© prĂšs de cette fĂȘte ce n’est pas par hasard, rien n’arrive jamais par hasard, quelque chose va se produire, quelque chose doit se produire. L’attente semble interminable, elle le rend terriblement nerveux, l’idĂ©e de ne pas recevoir sa dose d’aventure apportĂ©e par le Destin le fait suer Ă  grosses gouttes et trembler de tous ses membres. _ Seul au sein de cette masse d’inconnus, personne ne le remarque, rien ne se passe ; la dĂ©livrance n’arrive pas, il se sent flĂ©chir. _ Le lendemain, il se rĂ©veille difficilement, sa tĂȘte lui semble prise dans un Ă©tau, lui-mĂȘme entourĂ© d’un brouillard Ă©pais. L’appel du cafĂ© est irrĂ©sistible, il dĂ©ambule de sa silencieuse chambre pour atteindre sa silencieuse cuisine, dans laquelle sa cafetiĂšre avait pris soin de lui garder du cafĂ© fait la veille. Alors qu’il tente de se remĂ©morer les pĂ©ripĂ©ties de la nuit, il se sent trahi par son cher ami, sur qui il comptait grandement. Et cela depuis ce jour d’automne qui a marquĂ© sa vie pour toujours, il y a six ans, au cours duquel le Destin l’a mis nez Ă  nez avec Juliette, une camarade d’école qu’il n’avait pas vu depuis 20 ans, alors qu’ils Ă©taient tout deux en voyage Ă  New York. Ce jour a marquĂ© le dĂ©but de leur histoire. Cette rencontre fortuite, Ă  presque 6000 km de leurs rĂ©sidences respectives, puisqu’ils vivaient Ă  Paris, dans le mĂȘme quartier qui plus est, s’en est suivie de sĂ©quences d’évĂ©nements imprĂ©visiblement Ă©tonnants, qui ont rendu Simon dĂ©pendant de ses sensations jubilatoires. Ensemble ils ont vĂ©cu des Ă©motions intenses, comme jamais le solitaire Simon n’en avait ressenties. Mais aprĂšs trois ans d’amour invraisemblable, la magie a cessĂ© d’opĂ©rer. Le Destin se faisait de plus en plus avare de ses cadeaux et Juliette voulait apporter seule les Ă©motions Ă  Simon. La place occupĂ©e par le complice de Simon fut trop importante et Juliette se sentit rejetĂ©e. La servitude de Simon l’aliĂ©na de l’amour de Juliette. _ MalgrĂ© tout, Simon ne troquerait son don contre aucun autre trĂ©sor ; le soutien de son cher ami, son seul ami, Ă©tait tout ce dont il semblait avoir besoin dĂ©sormais. Cet ami qui pourtant l’utilisait comme l’ĂȘtre mallĂ©able qu’il Ă©tait. _ Ce soir, comme Ă  chaque fois que le ciel est noir, Simon dĂ©cide de sortir et espĂšre rejoindre son ami. Cela fait bien longtemps qu’il ne s’est pas montrĂ© ; Simon se sent de plus en plus seul. Il dĂ©cide de marcher. Il n’erre pas car il marche avec un but. Toujours le mĂȘme but depuis tant de semaines, de mois, d’annĂ©es. Celui de retrouver les sensations qu’il vĂ©cut avec Juliette. L’espoir de connaitre Ă  nouveau les palpitations, celles prĂ©cisĂ©ment, qu’engendre l’amour mĂȘlĂ© au hasard. Sa marche semble sans fin, la nervositĂ© augmente. Simon refuse d’accepter que son ami tire les ficelles, qu’il n’est jamais lĂ  oĂč on l’attend, et encore moins quand on l’attend, il a Ă  cœur de dĂ©montrer que le Destin est digne de confiance. Il s’avance dans un bois. Son vide intĂ©rieur l’assaille. Il sait que cette soirĂ©e lĂ  sera spĂ©ciale, c’est une nĂ©cessitĂ©, le manque lui est insoutenable. Un ultime dĂ©sir se faufile en lui, il sort son mobile et compose le numĂ©ro de Juliette. Il tenait Ă  ce que Juliette vive avec lui le dernier message de son ami comme elle a vĂ©cu avec lui le premier. Elle dĂ©croche au moment oĂč le train arrive Ă  toute allure alors que la marche hasardeuse de Simon l’avait menĂ© au milieu des rails. Le tĂ©lĂ©phone est projetĂ©, pourtant Juliette, pĂ©trifiĂ©e, comprend la scĂšne sans qu’on ait besoin de la lui illustrer lorsqu’elle sent la main glaciale du Destin remonter le long de son dos. Nouvelle 020 _ La fĂ©e des fleurs Elle Ă©tait nĂ©e FĂ©e des fleurs » pour son parfum et sa fraĂźcheur. Elle s'ajustait aux saisons sur le modĂšle de la lumiĂšre et la pĂ©nombre s'entremĂȘlant. _ Sa palabre Ă©tait aromatique et tempĂ©rĂ©e, offrant Ă  l'un la rosĂ©e du matin, Ă  l'autre la belle de nuit. _ Mobile au grĂ© des vents, des temps, des gens, elle traquait la viduitĂ© pour doucement l'embaumer. Ainsi du dĂ©but Ă  la fin et l'inverse, des jours et des vies, elle s'aliĂ©nait le temps, pour qu'il la guide vers son encens l'Ă©ternitĂ©. Elle troquait Ă  la vitesse de la lumiĂšre, Ă  tire d'aile, d'elle, passant, effleurant, courant, se faufilant, cherchant, elle passerelle, du temps, des senteurs, pour d'autres. _ Pas de sĂ©quence, pas de cĂ©sure, plus d'accident. Seul ce fil volatil tissĂ© par son passage, une tige, une baguette, une mesure, pour qu'ensemble – magie ? – soient orchestrĂ©es les paroles d'un cafĂ© non littĂ©raire celui de la vie mĂȘlĂ©e de vies Ă  l'infini, odeurs perturbĂ©es de tous les Ă©tages, puis son pas sage silence. _ Ruche incessante, imaginaire ? Effluve couronnĂ©e ? IllustrĂ©e de pĂ©tales ? Eloges ? Courant flammes ? Fleurs ? Non. Juste une histoire un soutien quotidien pour se rendre plus mallĂ©able aux feux multicolores citadins. _ De la fĂ©e se souvenir, de la fleur – que reste-t-il ? – sinon leurs commencements leurs F », celui du Firmament l'appel Ă  la lumiĂšre. _ Ainsi elle agissait jubilatoire. Nouvelle 021 _ Six-Pions l'africain Le guide nous fit signe d'avancer. C'Ă©tait en fait un encouragement Ă  franchir ensemble la passerelle de cordes qui nous sĂ©parait du village. La sĂ©quence se dĂ©roula sans encombre. Il suffisait de ne pas trop regarder le torrent tumultueux qui grondait en contrebas. _ Avec le soutien de Six-Pions, je savais que rien ne pouvait m'arriver. Nos expĂ©riences de vie Ă©taient tellement mĂȘlĂ©es depuis quelque temps qu'il devenait incontournable. Six-Pions l'africain ! Ce surnom illustrait Ă  lui seul l'emprise que Paul avait prise sur nous depuis le lycĂ©e. AprĂšs avoir notamment poussĂ© Ă  bout pas moins de six surveillants ! MĂ©lange de pouvoir et de puissance, de libertĂ© et d'exotisme. La couleur de sa peau n'Ă©tait pas un handicap ici, bien au contraire _ Les cases se faisaient face de part et d'autre de la piste et j'avançais en tĂȘte du groupe. Personne pour nous accueillir. Les habitants Ă©taient massĂ©s Ă  proximitĂ© d'un contrefort rocheux, prĂšs de ce qui ressemblait Ă  un arbre Ă  palabre. Je me devais d'agir au plus vite pour entrer en contact avec les autochtones. Mon premier appel en direction du groupe d'hommes, de femmes et d'enfants se dispersa avec le vent chaud qui soulevait la poussiĂšre ocre de la terre dessĂ©chĂ©e. Que faire ? _ Paul comprit trĂšs vite que la population n'Ă©tait pas aussi mallĂ©able que cela, et qu'un simple cri de notre part ne suffirait pas Ă  les faire s'intĂ©resser Ă  nous. Un groupe de touristes en pleine savane, quel intĂ©rĂȘt ? FauchĂ©s, en plus ! Soucieux de ne vouloir en aucun cas les aliĂ©ner par un quelconque rapport de pouvoir, ce fameux rapport qu'engendre l'usage de l'argent, il fit preuve de plus de subtilitĂ©. _ S'approchant d'un homme ĂągĂ© qui devait ĂȘtre le sage du village, il lui fit don de son tĂ©lĂ©phone mobile. Plusieurs paires d'yeux s'intĂ©ressaient vivement Ă  l'appareil qui eut alors la bonne idĂ©e de sonner. Message publicitaire de l'opĂ©rateur, SMS jubilatoire qui annonçait sur ce continent une promotion exceptionnelle, l'usage illimitĂ© du tĂ©lĂ©phone pendant les prochaines vingt-quatre heures ! Je mesurais l'Ă©cart culturel qui nous sĂ©parait les uns des autres _ Le vieil homme enfonça lentement la main dans un sac de jute posĂ© Ă  ses pieds et en sortit une poignĂ©e de grains de cafĂ© qu'il tendit Ă  Paul. Celui-ci la recueillit dans le creux de ses mains, ouvertes en forme de coupe, et salua avec respect le vĂ©nĂ©rable donateur. _ Nous venions sans le savoir de troquer ce qui ressemblait assez bien Ă  nos cultures respectives. La technologie d'un cĂŽtĂ©, l'Ă©phĂ©mĂšre et le bruit. Le fruit de la terre de l'autre, avec son caractĂšre, son parfum et sa couleur trĂšs locale ! Aucun triomphe dans cet Ă©change silencieux, l'Ă©ventualitĂ© tout au plus qu'un premier contact venait de se nouer. _ Entre un groupe de touristes Ă  la peau Ă©carlate et quelques villageois Ă  peine intriguĂ©s par notre prĂ©sence auprĂšs d'eux, ce n'Ă©tait dĂ©jĂ  pas si mal ! Nouvelle 022 _ Pas de cadavre dans la BibliothĂšque Quand Nicole Villier reprit sa fonction de responsable de la BibliothĂšque de Lyon, un mardi matin, Ă  l'issue de son congĂ© maternitĂ©, elle constata avec satisfaction que le nombre d'Ă©tudiants, venus lĂ  pour rĂ©viser, avait augmentĂ© de façon significative. _ Assise Ă  son bureau, elle consulta la fiche des acquisitions rĂ©centes, surtout des ouvrages illustrĂ©s, consacrĂ©s au Moyen-Ăąge et Ă  l'archĂ©ologie. Sa remplaçante, CĂ©line, une jeune diplĂŽmĂ©e de l'Ecole des Chartes, pensa t-elle, Ă©tait probablement Ă  l'origine de la sĂ©lection de ces bouquins. Avant d'ouvrir l'ordinateur et d'enregistrer demandes et appels, elle se leva et se prĂ©para un cafĂ©. _ Le lendemain, Nicole se sentit fatiguĂ©e et mit cela sur sa nouvelle activitĂ© de mĂšre. Les jours suivants, elle se plaignit de maux de tĂȘte rĂ©currents que ni l'aspirine ni le paracĂ©tamol ne parvinrent Ă  aliĂ©ner. Le repos du week-end lui fit du bien mais dĂšs le mardi, les cĂ©phalĂ©es recommencĂšrent, assorties de douleurs stomacales si bien que le jeudi soir, elle Ă©tait hospitalisĂ©e en urgence, pour un dĂ©but d'empoisonnement par l'arsenic. _ PrĂ©venus discrĂštement, le maire et les gendarmes crurent d'abord Ă  une mauvaise farce car personne ne pouvait en vouloir Ă  Nicole, une femme dĂ©vouĂ©e et compĂ©tente, ayant le soutien de l'ensemble des Lyonnais pour ses quinze annĂ©es de bons et loyaux services Ă  la BibliothĂšque. _ Le commissaire divisionnaire Eloi fut chargĂ©e de l'affaire et se mit aussitĂŽt au travail. En vieil habituĂ© des enquĂȘtes prĂ©liminaires, il savait tout de l'affaire jubilatoire de la Bonne Dame de Loudun et du lent empoisonnement de NapolĂ©on. _ L'Ă©poux de Nicole confirma que sa femme ne se droguait pas et n'avait point utilisĂ© de lotion arsenicale pour combattre une acnĂ© Ă©ventuelle, durant sa grossesse. _ Eloi dĂ©cidĂ© Ă  agir, se mit alors Ă  Ă©tudier les menus du couple Villier durant la semaine prĂ©cĂ©dent l'hospitalisation et n'y put trouver aucune information significative. L'Ă©tude approfondie de l'entourage de la victime, famille, voisins et relations de travail n'apporta pas davantage d'Ă©lĂ©ment ou d'indice pouvant servir de guide Ă  l'enquĂȘte. D'oĂč pouvait donc venir l'arsenic ingĂ©rĂ© ? _ Si les symptĂŽmes de l'empoisonnement s'Ă©taient d'abord manifestĂ©s Ă  la BibliothĂšque, il convenait de chercher de ce cĂŽtĂ©-lĂ . Le lieu Ă©tant exceptionnellement fermĂ© ce samedi, le commissaire rĂ©cupĂ©ra la clef de la BibliothĂšque auprĂšs de la femme de mĂ©nage puis tĂ©lĂ©phona au Maire pour lui demander de convoquer CĂ©line Dites lui de se rendre, aujourd'hui Ă  quatorze heures, Ă  la BibliothĂšque, au titre d'invitĂ©e Ă  une manifestation culturelle, par exemple ! . _ Eloi pĂ©nĂ©tra alors dans la salle de lecture oĂč il se promena pensif, entre les tables et les rayons de livres. Avisant le bureau de Nicole, il s'assit sur la chaise de cuir puis dĂ©tailla le contenu du tiroir du bureau deux crayons, de la colle mallĂ©able, un tĂ©lĂ©phone mobile, deux tasses Ă  cafĂ© et un paquet entamĂ© d'arabica moulu du commerce Ă©quitable. _ Cherchant la cafetiĂšre, il la dĂ©nicha derriĂšre le bureau, sur une petite Ă©tagĂšre, entre une boĂźte de filtres et une clochette que la bibliothĂ©caire devait agiter pour rĂ©clamer le silence. NettoyĂ©e, la cafetiĂšre Ă©lectrique d'un modĂšle ancien ne rĂ©vĂ©lait rien de suspect. NĂ©anmoins, par routine, Eloi emporta le paquet de cafĂ© aux fins d'analyse et quitta la salle. _ AprĂšs avoir dĂ©jeunĂ© avec le Maire, il prit la passerelle enjambant la voie ferrĂ©e, et rejoignit la BibliothĂšque. Il allait pousser la porte d'entrĂ©e, lorsqu'un bruit de talons le fit se retourner. Il vit alors une jeune femme, aux cheveux roux, vĂȘtu d'un ensemble vert comme ses yeux, qui s'avançait vers lui. Vous ĂȘtes CĂ©line, n'est ce pas ? » murmura Eloi, impressionnĂ© par le charme de cette apparition soudaine. Je suis le Commissaire Eloi, veuillez me suivre Ă  l'intĂ©rieur, s'il vous plaĂźt . _ Le commissaire qui avait troquĂ© sa gabardine usagĂ©e contre un Burbery's tout neuf, dĂ©tailla la sĂ©quence des faits connus Ă  ce jour, devant CĂ©line, au comble de la stupeur. A la question de savoir si des Ă©tudiants avaient eu un comportement particulier Ă  son Ă©gard, elle dĂ©clara que l'un d'entre eux, Philippe, lui avait adressĂ©, par deux fois, un petit mot gentil au milieu d'un livre Ă  rendre mais elle avait feint de ne rien apercevoir. Un autre, prĂ©nommĂ© RenĂ©, plutĂŽt collant, lui demandait frĂ©quemment de contrĂŽler sur l'ordinateur l'existence de livres qu'elle savait ne pas possĂ©der. Il lui avait mĂȘme offert des fleurs. Ce n'Ă©tait qu'enfantillage, pensa le Commissaire qui imaginait cependant que cette beautĂ© rousse Ă©tait de nature Ă  perturber voire enflammer l'un de ces jeunes coqs. _ Lorsque quarante huit heures plus tard, l'analyse du paquet de cafĂ© moulu rĂ©vĂ©la la prĂ©sence d'arsenic sous forme d'une fine poudre brune, Eloi, persuadĂ© que le coupable devait faire partie des admirateurs de CĂ©line, se fit remettre la liste des Ă©tudiants inscrits Ă  la BibliothĂšque pour Ă©tudier le cursus et les motivations de chacun d'eux. Pour Philippe, attirĂ© par l'Histoire grecque et les Beaux Arts, CĂ©line pouvait reprĂ©senter une attirante Junon moderne. Quant Ă  RenĂ©, Ă©tudiant en gĂ©ologie, il sortait d'une semaine de stage de minĂ©ralogie Ă  Salsigne, dans l'Aude. Cherchant, sur Internet, oĂč se trouvait Salsigne, Eloi dĂ©couvrit que la mine d'or allait fermer et que le minerai exploitĂ©, le mispickel, Ă©tait un sulfure complexe de fer, de cuivre, de bismuth mĂȘlĂ© Ă  de l'arsenic. _ DĂšs lors, il ne fut pas difficile de confondre RenĂ© qui, sans palabre inutile, expliqua qu'il avait prĂ©levĂ©, incognito, de l'arsenic sur le site de stockage, comme souvenir original. TraumatisĂ© par le prochain dĂ©part de CĂ©line, il avait cru bon, la veille du retour de la bibliothĂ©caire titulaire, d'ajouter une pincĂ©e d'arsenic au cafĂ© moulu pour hĂąter ainsi le retour de la remplaçante, CĂ©line, son idole. Nouvelle 023 _ Tom le bit Le bit est une unitĂ© de mesure informatique dĂ©signant la quantitĂ© Ă©lĂ©mentaire d'information reprĂ©sentĂ©e par un chiffre du systĂšme binaire. Il ne peut prendre que deux valeurs 0 ou 1 _ ? Eh, dit Tom, regarde, c'est ouvert ! Il se dresse derriĂšre l'Ă©cran, qui vient d'ĂȘtre allumĂ©. Kim Ă©merge lentement de sa torpeur. Il a du mal Ă  rĂ©pondre Ă  l'appel de son ami. Trois jours sans sortir, des heures et des heures dans le noir, Ă  ne rien faire. Le retour Ă  la lumiĂšre est plutĂŽt rude. _ ? Quoi, grogne-t-il, il est lĂ  ? _ ? Ecoute, dit Tom, un doigt sur la bouche, pour l'empĂȘcher d'entrer dans des palabres inutiles. _ On entend le cliquetis du clavier, le PC ronronne doucement. Tom s'avance au bord de l'Ă©cran. Il a juste le temps de comprendre la raison de ce rĂ©veil intempestif. Les fenĂȘtres s'ouvrent Ă  toute volĂ©e. Internet Explorer tourne Ă  plein rĂ©gime la mĂ©tĂ©o, Facebook, les pubs et les infos dĂ©boulent. La messagerie dĂ©charge des dizaines de mails, les fichiers attachĂ©s passent en rafale, aussitĂŽt jetĂ©s Ă  la poubelle ou rigoureusement classĂ©s dans les dossiers du disque dur _ ? Ça y est ! dit Tom, sans se retourner, il est rentrĂ© ! PrĂ©pare-toi, Kim. _ Les deux compĂšres sont ancrĂ©s dans la note de synthĂšse, que leur hĂŽte avait enregistrĂ©e sous Word, juste avant de partir en week-end. A deux clics de l'icĂŽne W », dans la barre des tĂąches. Une position pas forcĂ©ment facile Ă  conserver, mais un endroit idĂ©al pour apercevoir ce qui se passe dehors. _ Kim rĂ©prime un bĂąillement. Il aurait volontiers pris un cafĂ©, mais il n'en aura pas le temps. Il s'accroche, lui aussi, Ă  la barre des tĂąches. Pas question de rater l'Ă©vĂ©nement ! Pas question surtout d'ĂȘtre sĂ©parĂ©s. Deux petits bits, un 0 » et un 1 », ça ne va pas l'un sans l'autre, ça vit ensemble. Ils appartiennent Ă  cette espĂšce bizarre qu'on appelle des Binary digit . On dit bit . Ça va plus vite, et ça permet de ne pas se mĂȘler les pinceaux dans le jargon informatique. Tom, c'est un zĂ©ro ». Une bonne tĂȘte brune. Des yeux noirs qui roulent dans tous les sens. Il est toujours le premier Ă  savoir ce qui se passe. Il connaĂźt toutes les passerelles des disques durs, il ne rate jamais une occasion de partir Ă  l'aventure. Par contre, Kim, c'est un 1 . Un gentil petit 1 », bien blond, bien droit, toujours souriant. Il ouvre de grands yeux bleus. Pas vraiment rapide, plutĂŽt nonchalant, mallĂ©able aussi. Il ne se prĂ©cipite pas, il se laisse aller sur la toile. _ Mais la loi de la sĂ©quence informatique est ce qu'elle est. Sans Kim, pas de Tom. Sans Tom, pas de Kim. En Ă©lectronique, on dit aussi que le 0 » est ouvert, et que le 1 » est fermĂ©. En magnĂ©tique, on trouve que le 0 est un pĂŽle positif, et que le 1 » est nĂ©gatif. Par contre, en logique le 0 » a toujours faux ! Ce qui ne veut pas dire que Tom est un menteur. Et le 1 » dit toujours vrai. Ce qui ne veut pas dire que Kim a toujours raison. On s'y perd. Mais pour nos deux amis, c'est une confusion jubilatoire ! Ils Ă©clatent de rire, et ils en remettent une louche ils se racontent l'histoire du Ying et du Yang. En chinois, dans le texte. Ils parlent d'ailleurs toutes les langues. Ils sont toujours Ă  l'aise, que ce soit Ă  Paris, Ă  ShangaĂŻ ou Ă  Rio de Janeiro. _ Tiens, Rio, justement Le carnaval. Tom s'y verrait bien tout de suite, mais il va devoir attendre. C'est au mois de mars. Il l'a dĂ©jĂ  fait, il adore ça. La samba, ça le connait. On lui a mĂȘme demandĂ© un jour de servir de guide Ă  Copacabana pour un car entier de touristes des bits » du Danemark ! Mais, pour le moment, ce n'est pas du tout lĂ  qu'ils se rĂ©veillent. Ils sont Ă  Paris. Au 4° Ă©tage dans bel immeuble de la rue de Vaugirard. Il est dix heures du soir, et le propriĂ©taire de l'ordinateur qui les hĂ©berge vient de rentrer. _ ? Kim, dĂ©pĂȘche-toi, enfin ! _ Comme toujours, Tom est excitĂ©, et Kim est Ă  la traĂźne. Il se passe la main dans les cheveux, il rassemble son bric-Ă -brac, son mobile et ses crayons, il fourre le tout dans son mini sac Ă  dos. La note oĂč ils sont fixĂ©s, ligne 8, douziĂšme mot, est destinĂ©e Ă  un supĂ©rieur hiĂ©rarchique. C'est Ă©crit en haut Ă  gauche Ă  Herbert Spandauer, 138, Karl Liebknecht-strasse, Berlin » _ ? Vite, Kim, vite ! _ Tom insiste. Il voit le regard tendu du jeune cadre en chemise, qui vient d'allumer le PC. Les messages surgissent toujours les uns derriĂšre les autres. Il y a bien eu une courte pause, pour envoyer de la musique dans les baffles. Mais, cette fois, ça ne va pas tarder. Un mot gentil, une brĂšve explication pour illustrer son propos nous avons le soutien des associations de consommateur , un salut laconique en fin de message. Il va transfĂ©rer la note Ă  Berlin ! _ Kim arrive enfin au bord de l'Ă©cran. Il a voulu troquer son petit gilet gris, contre un grand pull bariolĂ©. C'est du plus bel effet. Sauf que, maintenant, c'est tout sauf une valeur binaire c'est un arlequin Ă  tĂȘte blonde ! _ ? Tu exagĂšres, dit Tom. Ça va faire classe, Ă  Berlin, tiens ! _ Mais il n'insiste pas. Pas question d'aliĂ©ner leur solide amitiĂ©, pour une querelle de bouts de ficelle. Le cliquetis du clavier est de plus en plus rapide. Pas de souris. C'est le frĂŽlement de l'index qui guide le pointeur. L'homme est concentrĂ©, c'est le type mĂȘme du cadre dynamique, impatient d'agir. DerriĂšre lui, un immense tableau d'art moderne lance des lignes bleues et rouges sur fond blanc. ColorĂ©, mais incomprĂ©hensible. Le plateau du bureau, lui, est quasiment vide, soigneusement dĂ©poussiĂ©rĂ©. Pas de crayons, ni de stylos. Le blackberry est Ă  portĂ©e de main. On est en wi-fi. Tout va trĂšs vite. _ ? Ça y est, dit Tom ! _ Ils s'agrippent l'un l'autre, ils s'arc-boutent Ă  leur ligne 8, dans la note de synthĂšse. Une jeune femme appelle dans la piĂšce voisine Tu viens, chĂ©ri ? » Un clic, l'adresse mail est posĂ©e. Un autre clic la note est attachĂ©e. _ ? Waaaooouuuuhhh ! lance Tom, c'est parti ! _ Kim regarde autour de lui. Il observe les lettres, les mots, qui les prĂ©cĂšdent. _ ? Tout est en ordre, pense-t-il, pas de bug, pas de bizarrerie dans le message. C'est bon. _ Il se crispe sur le dos de Tom. Un dernier clic, ils sont basculĂ©s. _ Le web dĂ©file Ă  la vitesse de la lumiĂšre. Pas le temps de regarder le paysage. _ Un grand choc. Ils sont arrivĂ©s. _ ? Ça va Tom ? _ Ils sont un peu sonnĂ©s. Pour le coup, c'est Kim qui prend l'initiative. C'est qu'il l'aime bien, son Tom. Il ne voudrait pas le perdre. Il scrute son visage. _ ? Ça va, rĂ©pond Tom, le regard brusquement tendu. Mais c'est quoi, ce bazar ? _ Il a repris ses esprits, il voit les autres bits » se mettre en place dans le nouveau disque dur. L'espace est ici bien plus grand. Mais quel capharnaĂŒm ! Il y a des lustres que la dĂ©fragmentation n'a pas Ă©tĂ© lancĂ©e. Ils cĂŽtoient des morceaux de dessin, des bouts de vidĂ©os mal enregistrĂ©s, des photos de plage, des programmes esquintĂ©s qui ne servent plus Ă  rien. Leur note reste pendue au message, elle risque bien de ne pas ĂȘtre ouverte de sitĂŽt. Ils s'approchent de l'Ă©cran. Et tous les deux ouvrent des grands yeux, ronds comme des soucoupes Du diable si ce qu'ils voient ressemble Ă  Berlin _ La suite au prochain concours Nouvelle 024 _ Maladie contagieuse MalgrĂ© les rĂ©ticences de mes parents, j'avais obtenu, de haute lutte, la permission de partir avec les guides de France, en camp de vacances, l'Ă©tĂ© de mes seize ans. _ HĂ©las, le matin du jour J, je me rĂ©veillai fiĂ©vreuse. Un bouton bizarre, au sommet nacrĂ©, pointait dans mon cou. Il fut bientĂŽt rejoint par quelques autres sur mes bras et mes jambes Le diagnostic fut rapidement portĂ© par ma mĂšre j'avais attrapĂ© la varicelle ! A son appel le mĂ©decin se dĂ©plaça jusqu'Ă  chez nous, il confirma ses dires et ajouta mĂȘme, d'un air admiratif, que c'Ă©tait une belle » varicelle. Ma vie s'Ă©croulait, j'allais ĂȘtre dĂ©figurĂ©e Ă  tout jamais et cet homme osait prononcer ce qualificatif avec une sorte de jouissance! Je crus un instant qu'il allait me prendre en photo pour illustrer un prochain livre de mĂ©decine ! _ Naturellement, cela entraĂźna immĂ©diatement l'annulation de mon dĂ©part. Certaines de mes amies me plaignirent sincĂšrement mais je n'obtins aucun soutien psychologique de la plupart d'entre elles. M'imaginer couverte de boutons colorĂ©s en rouge par l'Ă©osine provoqua chez plusieurs dĂ©testables filles une vision jubilatoire! Heureusement pour elles, je ne sus que plus tard qu'elles s'Ă©taient amusĂ©es ensemble et sans retenue de mon malheur ! _ J'avais seize ans, mon Ă©tĂ© Ă©tait gĂąchĂ©, je sombrai donc dans le dĂ©sespoir le plus profond. J'infligeai Ă  ma pauvre mĂšre quelques sĂ©quences mĂ©lo dramatiques mĂ©morables ! _ Je portais sur mes Ă©paules toute la tristesse du monde. Maman qui endurait jusque lĂ  mes Ă©tats d'Ăąme pensa, au bout de quelques jours, qu'il convenait d'agir. Une adolescente grincheuse plĂ©onasme ? qui s'ennuie et tourne en rond cela devient rapidement insupportable. MalgrĂ© mon caractĂšre difficile et peu mallĂ©able elle me proposa assez fermement une solution Ă  mes problĂšmes. _ ? Lis et cela ira mieux, tu verras, m'affirma-t-elle. _ ? Bof ! fut la seule rĂ©ponse qu'elle obtint. _ De quoi se mĂȘlait-elle, me rĂ©voltai-je intĂ©rieurement. _ La lecture, si elle ne me rebutait pas totalement, Ă©tait, dans mon esprit, davantage synonyme de travail scolaire que de plaisir. Lire » et Ă©tĂ© » me semblaient deux termes totalement antinomiques. Cependant, je vivais Ă  une Ă©poque oĂč la tĂ©lĂ©vision ne fonctionnait pas vingt quatre heures sur vingt quatre, oĂč Internet n'existait pas et oĂč les jeunes ne s'envoyaient pas des SMS Ă  longueur de journĂ©e, faute de tĂ©lĂ©phone mobile Le choix des distractions Ă©tant limitĂ© je m'inclinai et aprĂšs maints palabres j'acceptai de mauvaise grĂące cette idĂ©e. _ ? Mais c'est toi qui va me chercher des livres Ă  la bibliothĂšque car il est hors de question que je sorte avec une tĂȘte pareille, lui demandai-je d'une voix geignarde. _ ? D'accord, me rĂ©pondit-elle, certainement soulagĂ©e par mon consentement. Qu'est-ce qui te fait envie? _ ? Je ne sais pas, ce que tu veux _ Maman partit donc Ă  la recherche de romans susceptibles de redonner un peu de joie de vivre Ă  une pauvre dĂ©primĂ©e. Elle me rapporta La gloire de mon pĂšre » et Le chĂąteau de ma mĂšre » de Marcel Pagnol. Toujours aussi aimable, je ronchonnai en marmonnant que c'Ă©tait des livres pour gamins et que cela ne me plairait pas. Elle me planta lĂ  sans autre commentaire. Je feuilletai les bouquins nonchalamment puis commençai sans mĂȘme m'en apercevoir la lecture du premier. _ Quatre heures plus tard, j'entendis mes parents m'appeler pour le dĂźner. Je n'avais pas vu le temps passer. Le roman Ă©tait quasiment achevĂ© et je n'avais plus qu'une idĂ©e en tĂȘte entamer le suivant. Je quittai la table sans attendre qu'ils aient bu leur cafĂ©, trop impatiente de retrouver les aventures du jeune Marcel ! _ Le lendemain, je terminai le deuxiĂšme livre vers quinze heures. _ Or, durant les vacances, la bibliothĂšque n'ouvrait que le jeudi et le samedi. Nous Ă©tions dimanche, il me faudrait attendre quatre jours pour avoir le plaisir de troquer ces livres contre de nouveaux. Cela me parut impossible ! Heureusement, ma mĂšre Ă©tait une grande lectrice. Elle m'ouvrit un placard oĂč je dĂ©couvris des richesses insoupçonnĂ©es et abondantes. Sur ses conseils j'emportai finalement VipĂšre au poing » d'HervĂ© Bazin et je m'installai dans le jardin, un verre de grenadine Ă  portĂ©e de main. J'attaquai la premiĂšre page .. _ A partir de ce jour, la passerelle surplombant la voie ferrĂ©e, raccourci vers la bibliothĂšque, me vit dĂ©ambuler frĂ©quemment, le sac Ă  dos rempli de trĂ©sors vite dĂ©vorĂ©s. _ Je passai toutes ces semaines sur un petit nuage. Je ne vivais plus que pour lire. J'Ă©tais tellement insatiable qu'il m'arriva de m'Ă©tonner de l'absence du personnage principal du roman, dans le chapitre en cours, pour m'apercevoir soudain que celui-ci appartenait au livre prĂ©cĂ©dent !! _ Finalement, Ă  aucun prix, je n'aurais aliĂ©nĂ© ce mois de lecture contre le camp de vacances initialement prĂ©vu! _ A tel point que, sur l'agenda de 1966, dans la case notes de juillet » j'ai Ă©crit ces quelques mots Mois extra beaucoup lu ! Nouvelle 025 _ Inspiration _ Un cafĂ© noir fumait devant moi. Les volutes odorantes du moka flattaient mes narines avant d'aller s'enrouler langoureusement autour de reproductions de mobiles de Calder suspendues au plafond. L'une d'elles reprĂ©sentait un poisson multicolore, Ă©trange, mais amusant dont j'enviais Ă  son auteur la fantaisiste crĂ©ativitĂ©. En tout cas, ça mettait de la couleur dans le gris de mes pensĂ©es. J'Ă©tais donc lĂ , assis depuis un bien long moment et j'en Ă©tais Ă  ma troisiĂšme tasse. DĂ©jĂ . _ J'Ă©tais sorti de l'appartement quelques heures auparavant. Je n'en pouvais plus de courir en rond aprĂšs des idĂ©es qui ne voulaient pas montrer le bout de leur nez. Il fallait que j'agisse, que je bouge, que je fasse quelque chose et vite. _ Alors, j'avais enfilĂ© la veste de mon vieil ensemble de tweed Ă©limĂ© que j'affectionnais tout particuliĂšrement lorsque l'arriĂšre-saison estivale et ses premiĂšres brises fraĂźches commençaient Ă  faire tomber des feuilles jaunies annonçant la proximitĂ© de l'automne. Je m'Ă©tais mis Ă  divaguer au hasard, Ă  me mĂȘler dans la foule des gens, Ă  la recherche d'un graal hypothĂ©tique. J'avais toujours cru que ma matiĂšre grise Ă©tait suffisamment prolixe pour me sortir de situations de dĂ©sespĂ©rante bĂ©ance. Puis de guerre lasse, je m'Ă©tais rĂ©fugiĂ© dans ce cafĂ© de la rue Blanche en espĂ©rant m'Ă©claircir les idĂ©es lors d'un tĂȘte Ă  tĂȘte avec un petit noir. _ J'en Ă©tais donc Ă  mon troisiĂšme et rien ne venait. J'avais l'impression que la doucereuse fumĂ©e pĂ©nĂ©trait mon esprit pour mieux l'aliĂ©ner. Moi qui espĂ©rais trouver un soutien rĂ©confortant dans ce breuvage chaud et fort, j'en Ă©tais pour mes frais. J'aurais troquĂ© n'importe quoi contre un dĂ©clic salvateur qui aurait enfin dĂ©congestionnĂ© mon imagination. Mais rien, dĂ©sespĂ©rĂ©ment rien. Je n'Ă©tais pas Faust et MĂ©phisto n'Ă©tait pas au rendez-vous. Diable ! _ Pourtant, Ă  la table d'Ă  cĂŽtĂ©, un groupe s'Ă©talait en palabres jubilatoires. Je les Ă©coutais en espĂ©rant qu'une de leurs anecdotes dĂ©coincerait mes synapses ankylosĂ©s. L'histoire de cette pauvre demoiselle qui s'Ă©tait retrouvĂ©e coincĂ©e au beau milieu d'une passerelle aux planches vermoulues parce qu'un guide Ă  moitiĂ© fou leur avait fait prendre un chemin de traverse lors d'un trek dans les Andes m'avait un temps sĂ©duit. Mais je restais inexplicablement sec. Et aucun appel Ă  un ami possible. Quant Ă  mon dernier mot Il eĂ»t d'abord fallu que je trouve le premier. _ Pour couronner le tout, la radio diffusait une chanson de circonstance illustrant bien mon Ă©tat d'esprit du moment. C'Ă©tait la derniĂšre sĂ©quence, c'Ă©tait la derniĂšre sĂ©ance, et le rideau sur l'Ă©cran est tombĂ© . J'Ă©tais au dĂ©sespoir. J'avais le moral au fond de mes chaussettes noires et Monsieur Eddy m'y enfonçait un peu plus. Oui. J'avais dĂ©cidĂ©ment l'impression que le rideau s'Ă©tait dĂ©finitivement abattu sur ma pauvre imagination. Et je demeurais immobile, attablĂ© devant ce vaste dĂ©sert blanc au format A4 posĂ© Ă  cĂŽtĂ© de ma tasse. ImmensitĂ© vierge d'une platitude infranchissable Et les mots que je trouvais habituellement si dĂ©licieusement mallĂ©ables sous la plume de mon stylo ne voulaient pas venir. _ Et puis, soudain ! Elle me vint, limpide, Ă©vidente ! Pourquoi n'y avais-je pas pensĂ© plus tĂŽt. Mon sujet Ă©tait lĂ  depuis le dĂ©but. Il me tendait les bras de son infini nĂ©ant la terrible angoisse de l'Ă©crivain face Ă  sa page blanche ! Nouvelle 026 _ A vouloir entrer dans le monde du net A vouloir entrer dans le monde du net, forcĂ©ment on doit franchir la passerelle d'une certaine rĂ©alitĂ© pour en rejoindre une autre. On agit ainsi dans une sorte de brouillard Ă©trange oĂč l'on se perd trĂšs vite sans un guide aguerri dans l'art de vous perdre plus vite encore _ Me voila donc ce matin lĂ  avec la boite miracle qui allait me permettre de prendre toute la mesure des nouvelles dimensions du virtuel, virtuel dites-vous ? Je la regarde perplexe, elle est toute blanche et porte le nom de tout est possible » oui Ă©videmment, quel autre nom aurait on pu lui donner ? _ Je sors trĂšs lentement le mode d'emploi et tout un tas de chiffres, de codes, d'adresses Ă©tranges me sautent a la figure, l'air de dire – Ah tu l'as voulu et bien sers toi maintenant, si tu l'oses, surtout si tu peux ! _ DĂ©cidĂ©e Ă  agir contre cette sensation de dĂ©sespoir qui nous saisit parfois devant l'infinie complexitĂ© de cette simplicitĂ© dĂ©routante vous me suivez toujours la ? je rĂ©torque – Yes I can ! et je feuillette une a une les pages auxquelles bien sur je ne comprends rien _ C'est lĂ  qu'on imagine le plaisir jubilatoire des auteurs de ces notices, en pensant aux visages dĂ©composĂ©s des postulants au net. _ Vous me direz bien sur que je suis particuliĂšrement nulle dans le domaine, ce Ă  quoi je vous rĂ©pondrai – Je le sais, mais ne suis-je pas ici pour apprendre ? Comme quoi on a beau avoir l'intention on n'en a pas forcĂ©ment les moyens _ Le temps me parut bien long ce jour lĂ  L'appel que je lançai via l'opĂ©rateur dont je dĂ©pendais me parut comme une descente aux enfers, nouvelle version. _ ? Vous branchez la fiche XY et vĂ©rifiez que le routeur est bien dans position axiale correspondant Ă  l'alignement de votre rĂ©fĂ©rence premiĂšre _ ? Oui mais comment savoir si cela correspond Ă  l'interface dont vous me parliez tout Ă  l'heure ? _ Nous en sommes au stade oĂč je griffonne tout et n'importe quoi, dans une sorte de frĂ©nĂ©sie mĂȘlant, mots, dessins pour illustrer du mieux que je peux les explications incantatoires de ce monsieur rĂ©pondant au doux prĂ©nom de Mathieu _ ? Avez-vous compris madame, ce n'est vraiment pas compliquĂ©, il suffit de suivre le mode d'emploi, je sais que cela peut paraĂźtre un peu rĂ©barbatif au premier abord, mais je vous assure, ensemble nous parviendrons sans nul doute Ă  dĂ©passer l'apprĂ©hension bien comprĂ©hensible gĂ©nĂ©rĂ©e par ce nouveau mode de communication. _ J'avalai d'un trait la quatriĂšme tasse de cafĂ© de la matinĂ©e, le dĂ©nommĂ© Mathieu continuait de me dĂ©livrer ses directives, prĂ©cises certes, mais totalement mystĂ©rieuses pour moi. _ Dites moi pourquoi quand on cherche quelque chose on ne le trouve jamais, des cĂąbles jonchaient mon bureau, je lorgnai d'un œil noir la magnifique boite blanche qui restait stoĂŻque dans son refus d'allumer les bonnes couleurs je suis sure que vous comprenez ce dont je parle _ ? Ça clignote rouge ! Dis-je un rien Ă©nervĂ©e aprĂšs plus d'une demi-heure de palabres insensĂ©es _ ? Ça devrait marcher, si vous avez suivi mes indications _ ? Vous devriez vous adresser directement a la boite miracle, elle saurait surement comment faire les branchements elle ! _ Bon c'est vrai je dois reconnaitre que je commençais lĂ©gĂšrement Ă  perdre le contrĂŽle. J'aurais fait n'importe Ă  ce moment pour troquer mon ordinateur et toutes mes ambitions pour le mode d'emploi, mĂȘme en chinois d'un four micro ondes _ Mais bon j'avais voulu tenter l'aventure, alors foi de femme moderne dussĂ©-je aliĂ©ner les derniĂšres pensĂ©es lucides que mon cerveau contenait encore, j'irai sur la toile, je l'aurai ma connexion, je l'aurai ! _ Heureusement l'heure de midi arriva et le technicien en question me dit gentiment de le recontacter dans l'aprĂšs midi, me recommandant de reprendre du dĂ©but, tout en m'aidant du livret. _ Et je m'acharnais Ă  lire, a relire, encore et encore les instructions, mĂȘlĂ©es a celle de la feuille qui a cette heure ressemblait a un monstre de lettres furieuses galopant en tous sens _ Je dĂ©branchai, vĂ©rifiai la sĂ©quence de la fameuse interface dont le mot seul restera a jamais gravĂ©e dans ma mĂ©moire quand a 13h49 malgrĂ© tous mes efforts le clignotant resta rouge et mon Ă©cran afficha – Cette connexion, a une connectivitĂ© limitĂ©e ou inexistante, je crus vraiment entendre dans mon crĂąne la phrase suivante _ ? Le compte a rebours est lancĂ©, dans 3 minutes le systĂšme interne de cet humain connaitra une implosion impliquant la destruction instantanĂ©e de toutes les connections neurales permettant un fonctionnement normal de l'organisme. _ Une vision fulgurante s'imposa Ă  moi, je vous jure je le vis, lĂ  devant moi, Ă©cran ironique qui en plus parlait anglais. Mon moi virtuel alors se leva, prit l'Ă©cran dans ses mains et le pressa, jusqu'Ă  le rendre mallĂ©able comme une pĂąte Ă  modeler, lui donna la forme d'un visage humain. J'entendis une voix sortie de ce monde que je venais Ă  peine d'aborder et qui dĂ©jĂ  me dĂ©doublait _ ? Connecte toi ou je t'explose la tronche » jusqu'Ă  ce que tu ne connaisses plus ton nom !! _ Quand je recouvrai un peu mon calme l'Ă©cran Ă©tait toujours lĂ  La boite aussi, mais elle je ne la regardai pas . Beaucoup trop dangereux, le rouge peut avoir des effets nĂ©fastes sur la santĂ© _ 14 heures pile je rappelle. Cette fois une certaine Lydie me rĂ©pond _ ? Je suis dĂ©solĂ©e madame mais Mathieu est en dĂ©placement a l'extĂ©rieur _ ? Passez moi quelqu'un d'autre dans ce cas, j'ai besoin d'un soutien logistique immĂ©diatement, question de survie comprenez vous ? _ Vous vous rendez bien compte, que j'avais largement dĂ©passĂ© les limites de la courtoisie, j'Ă©tais comme une enragĂ©e qui veut manger une glace Ă  4h du matin et qui ne trouve rien d'ouvert, je suis sure que vous connaissez cette sensation. _ Finalement on me mit en contact avec un certain Patrick, d'une politesse exemplaire, d'un calme non moins remarquable compte tenu de l'Ă©tat dans lequel je me trouvais. _ AprĂšs avoir revu tout du dĂ©but Ă  la fin il s'exclama soudain – Mais avez-vous branchĂ© la fiche N2AT dans l'interstice prĂ©vu Ă  cet effet ? _ ? Ah pour brancher oui j'ai branchĂ©, mais on ne m'a pas parlĂ© de ça
 _ ? Regardez dans le quit d'accompagnement, elle y est surement
 _ Ce que je fis, et elle Ă©tait bien la, encore emballĂ©es dans son film plastique J'entendis comme un grand soupir Ă  l'autre bout du fil. – Branchez le et attendez, je pense que ca devrait marcher Ă  prĂ©sent
 _ J'exĂ©cutais religieusement ses instructions et posai mes yeux sur la boite blanche d'un coup tout s'alluma vert avec juste un point bleu en bout de ligne puis tout s'Ă©teignit
 un point vert apparu, puis un autre, vint le moment ou le point rouge abhorrĂ© entra en scĂšne, clignotant comme un phare destinĂ© a couler les bateaux en perdition, en l'occurrence moi, puis d'un coup il devient orange, clignotant toujours comme un clin d'œil sournois. Et lĂ  ce fut miraculeux, il devint vert et fixe. _ ? Voila madame, vous ĂȘtes connectĂ©e Ă  internet. _ Je restais Ă  fixer mon Ă©cran qui dĂ©sormais m'ouvrait la porte du monde, Ă©puisĂ©e. _ Ce jour lĂ  fut un grand jour, j'installai Messenger, je vous Ă©pargnerai les dĂ©tails et mon premier mail fut pour mon mari, en dĂ©placement professionnel. Je terminai celui-ci en concluant _ ? Je t'envoie un sms sur le mobile pour savoir si tu as reçu mon mail, bisous. Nouvelle 027 _ Elle et Lui Ils se sont reconnus longtemps avant les maĂźtres. Bien Ă©levĂ©s, rĂ©pondant facilement aux injonctions, ils ont le privilĂšge des promenades libres de laisse. Aujourd'hui, le hasard du vagabondage les a amenĂ©s sur le mĂȘme trottoir. _ Alors que Venga, labrador femelle au poil noir ras et luisant, fuit l'Ă©troitesse du trottoir de la rue Fouchet et pointe son museau dans la rue Jack London, Nemo, berger allemand mĂąle, pelisse aux tons dĂ©gradĂ©s du cafĂ© au cafĂ© crĂšme, quitte avec nonchalance la rue Tristan et Yseult. Son objectif, le lampadaire prĂšs de l’abribus de la rue Jack London et ses effluves toujours renouvelĂ©s. Une bonne centaine de mĂštres les sĂ©pare. Sur cette portion, le trottoir est large, divisĂ© en une bande bitumĂ©e et une allĂ©e de sable et de graviers. Tous les dix mĂštres, un buisson de chĂšvrefeuille Ă  l’odeur envahissante, qu’un canevas de fils mĂ©talliques protĂšge. _ Dans un ensemble parfait, Nemo et Venga lĂšvent la tĂȘte et la tournent dans la direction de l'autre. Le croisement des regards claque comme le pistolet au dĂ©part d'une course. Une course toute en muscles qui les jette l'un vers l'autre. »Venga ! » »Nemo ! »Appels parallĂšles, semonces dĂ©risoires. Un dernier saut pour le freinage, l’arrĂȘt instantanĂ© arc-boute leurs pattes de devant. Corps parallĂšles, tĂȘte bĂȘche, les narines se dilatent pour une vĂ©rification superflue. Il y a des odeurs qui ne trompent pas ! Puis ils se font face, les haleines se mĂȘlent, les respirations s'accĂ©lĂšrent, les joues se frĂŽlent et les pattes tremblent. _ Florence et Arnaud n'ont pas bougĂ© depuis que Nemo et Venga les ont quittĂ©s. PassĂ© l'effet de surprise – Nemo, Venga d'ordinaire si mallĂ©ables, si obĂ©issants – ils ont identifiĂ© le camp d'en face et mesurĂ© l'embarras de la situation. Feignant l'indiffĂ©rence, ils demeurent un instant Ă©trangers Ă  la scĂšne avant de renoncer Ă  l'espoir d'un retour spontanĂ©. Ils concentrent alors leur regard sur la danse. »Venga, viens, dĂ©pĂȘche-toi ! » Nemo, vite, on rentre ! » Les danseurs restent sourds, enlacĂ©s comme jadis dans l’allĂ©e du jardin de la maison de banlieue. Ils n’ont pas oubliĂ©. Trois ans d’exil, trois ans dĂ©jĂ  ! Ils projettent leurs pattes de devant, se maintiennent en position debout sur les pattes arriĂšre. Ils prennent appui chacun sur la poitrine de l'autre, la soumettent Ă  un dĂ©luge de caresses rapides. Balancement jubilatoire du sur-place de la danse. A intervalles rĂ©guliers, comme rĂ©pondant Ă  un signal connu d'eux seuls, les deux corps s'immobilisent, tendus, solides. FraĂźcheur des coups de langue comme Ă©tait fraĂźche la pelouse d'avant les palabres, d’avant la peur d’aliĂ©ner sa libertĂ©, d’avant la sĂ©paration et le dĂ©mĂ©nagement loin de la maison de banlieue Florence et Nemo Ă©taient partis d'un cĂŽtĂ©, Arnaud et Venga de l'autre. _ Les mentons se relĂšvent. Par des coups d'oeil Ă  la dĂ©robĂ©e, Arnaud et Florence exercent cette autre maniĂšre de mesurer le temps qui illustre l’absence. »Il a minci ! » Elle se maquille maintenant ! » Nemo tourne sur lui-mĂȘme en reculant devant Venga qui avance. Puis ils troquent les rĂŽles et c'est son tour Ă  elle de pirouetter devant Nemo, dont les pattes mobiles semblent applaudir. Florence tape dans ses mains »Nemo, je m'en vais, viens ! ». L’annonce du dĂ©part tire Arnaud de sa torpeur. Il tourne brusquement la tĂȘte et regarde Florence droit dans les yeux. »Reviens ! »Il frissonne dans la douceur des paroles simples, croit percevoir un mouvement de tĂȘte. Serait-ce le signe d'une oreille attentive ? Et ce bouquet de rides, s’agit-il de l’éclosion d’un sourire ? Il baisse les yeux puis chuchote comme pour lui seul »Reviens, Venga, reviens ! » _ Florence pivote, tourne le dos Ă  la scĂšne, seul son regard s'attarde pour juger de l'effet produit par les appels. »Non ! C'est pas vrai ! »Elle n’en revient pas. C’est Venga qui, en quelques enjambĂ©es, l'a rejointe et se colle Ă  ses jambes. Nemo, son soutien des jours difficiles, a optĂ© pour le chemin inverse. Elle pense aux sĂ©quences risibles des feuilletons de SĂ©rie B auxquels elle succombe certaines fins d'aprĂšs-midi frileuses. Elle se rappelle Nemo, Ă©tendu Ă  ses pieds sur le tapis, des ondes de chaleur traversent son corps. Florence se penche sur Venga, lui caresse doucement le museau, le cou, le flanc. Venga, d’un mouvement de la tĂȘte, lui signifie qu’il est temps de partir. Florence se redresse, embrasse des yeux la rue Tristan et Yseult, son asphalte Ă©corchĂ©, son dos d’ñne, sa passerelle pour piĂ©tons et le virage en Ă©pingle Ă  cheveux. Sans se retourner, elle se remet en marche. Venga, son nouveau guide, n'en a pas oubliĂ© le rythme. Nouvelle 028 _ Invitation Bonjour Madame, _ Monsieur, _ Le temps des palabres est rĂ©volu, rejoignez-nous; il ne manque plus que vous. Il est maintenant temps d'agir, nous avons besoin de vous pour la construction d'un monde juste. Troquez votre ancienne vie dans laquelle vous Ă©tiez mallĂ©able contre une vie oĂč vous serez proactif. _ Nous ne vous illustrerons pas l'Ă©tat du monde, vous le connaissez trĂšs bien. La sociĂ©tĂ© dans laquelle vous vivez est aliĂ©nante, ressaisissez-vous! MĂȘlez-vous au monde, vous en faites partie tout de mĂȘme! _ Vous ĂȘtes votre propre guide, n'attendez pas qu'on vous dise quoi faire. _ Nous sommes une passerelle, servez-vous de nous pour crĂ©er un monde dans lequel la justice rĂšgnera. N'oubliez pas que tout est en constant mouvement, et soyez mobiles, puisque lorsque les changements se feront sentir, vous devrez ĂȘtre prĂȘt. Vous verrez, ce Nouveau Monde sera littĂ©ralement jubilatoire. Il sera Ă©quitable pour chacun d'entre nous. _ La sĂ©quence des Ă©vĂšnements qui s'ensuivront, une fois que vous aurez fait votre choix ou non, est imprĂ©cise. Sachez simplement que cette lettre est un appel Ă  changer le monde dans lequel vous vivez. Ensemble, nous rĂ©ussirons. _ Merci pour votre soutien. _ Je dĂ©posai mon cafĂ© et la lettre dont je venais de terminer la lecture. MalgrĂ© le peu de mots de la lettre, j'avais Ă©tĂ© sĂ©duit par le message. Par contre, je me demandais qui avait bien pu me l'envoyer. C'est alors que je remarquai la prĂ©sence d'un petit logo sur le coin supĂ©rieur droit de la page. Un tout petit logo sur lequel je lis six lettres Oxfam. Nouvelle 029 _ Balade nature Sur les pas du guide ensemble nous partirent, le cœur vaillant certes, _ mais non trop point au courant du parfum sublime de cette aventure. _ L'ascension ne comportait pas de difficultĂ©s particuliĂšres _ certains d'entre nous avaient dĂ©jĂ  troquĂ© le short au pantalon. _ Le soleil Ă©tait au rendez vous, qui mĂȘlait ses rayons aux sous bois _ encore de brume matinale emplis. _ Grandiose impression presque jubilatoire que de nous sentir _ nous enfonçant dans ce matelas de coton transpercĂ© nous entourant. _ La colonne avançait aux dĂ©tours de lacets mallĂ©ables _ tronquĂ©s de raccourcis abrupts imprĂ©vus. _ A la sortie de la forĂȘt nous apparurent les rochers Ă©lancĂ©s nus. _ Envoutant Ă©tait le buste accueillant de cette sirĂšne naturelle. _ Au fur et Ă  mesure de notre progression le grondement d'un torrent se faisait insistant ; _ je me sentais aliĂ©nĂ© par l'appel de cette beautĂ© ainsi dĂ©nudĂ©e. _ Comme pour mieux en apprĂ©cier d'en haut la splendeur _ une passerelle de bois ajustĂ©e avait Ă©tĂ© posĂ©e. _ Il m'arrive d'imaginer cette sĂ©quence et je voudrai pouvoir l'illustrer ; _ seule comparaison possible que le galbe de votre poitrine _ n'ayant pour seul soutien Ă  titre de passerelle _ que ce bustier de dentelle brodĂ©e qui vous sied Ă  merveille _ Cet artifice mobile nous permit d'avancer pour suivre _ dĂ©sormais cette courbe de niveau tant attendue. _ Nos pieds endoloris par quatre heures de marche s'aventurĂšrent dĂ©sormais _ pour un doux massage dans le creux de vos reins. _ Point de palabre ; il fallait nous aventurer plus avant _ tandis qu'au loin, d'ensoleillĂ©e, je ne distinguais plus qu'une silhouette _ sublimĂ©e par les tourments de l'orage grandissant. _ Le cafĂ© nous attendait Ă  vos pieds ; nous devions agir _ et quitter votre douce peau pour nous enfoncer _ dans votre jupe pourpre de feuillage frĂ©missant dĂ©jĂ  au souffle du vent. Nouvelle 030 _ La passerelle C'est quand elle fut sur la passerelle que le doute l'assaillit de nouveau. _ DerriĂšre elle le boutre qu'elle quittait, les cargos rouillĂ©s, la mer rouge, les Ăźles Dahlak, leurs fonds sous-marins et ces quelques jours de camping avec des connaissances d'Asmara, des expatriĂ©s comme elle. Une pause jubilatoire. La premiĂšre depuis bien longtemps. _ Devant elle le quai, la ville de Massawa, la montagne et tout lĂ -haut le plateau, Asmara, Afabet, le regard encourageant des femmes, le cĂ©rĂ©monial des trois jus de cafĂ©, les palabres sous le manguier, la fraicheur du centre de santĂ©, mais aussi l'insalubritĂ©, les cris, les accouchements dans le couloir, la mĂ©chancetĂ© parfois mĂȘme le racisme entre ethnies. _ Elle Ă©tait venue en ErythrĂ©e pour agir ; les horreurs que Massimo lui avait contĂ©es de cette dictature oubliĂ©e avaient rĂ©sonnĂ© comme un appel. Elle Ă©tait de ceux qui croient que chaque geste compte, que l'accumulation des petits cailloux forme une montagne et que chaque vie est importante. Et plus que tout, elle Ă©tait rĂ©voltĂ©e par l'injustice et l'arbitraire. Ce premier poste en ErythrĂ©e lui permettrait de s'illustrer, enfin. De troquer sa vie insignifiante et routiniĂšre contre une vie pleine d'action et d'imprĂ©vus. _ Massimo avait Ă©tĂ© bien plus qu'un guide. DĂšs le dĂ©but, il l'avait prise sous son aile, lui avait dĂ©cryptĂ© les rouages du centre de santĂ©, les personnes ressources, les non-dits, les rĂ©actions des patients qui semblaient si singuliĂšres pour qui vit en dĂ©mocratie. Il Ă©tait Ă  ses cĂŽtĂ©s dans les coups de bourre comme de blues ; ensemble, ils Ă©taient une Ă©quipe, une vraie. Mais maintenant qu'il Ă©tait parti au bout du globe, elle n'avait plus de soutien personne pour dĂ©compresser le soir, pour partager les petits plats et refaire le monde sous les Ă©toiles. _ Elle s'en rendait bien compte maintenant, depuis qu'il n'Ă©tait plus lĂ , elle s'Ă©tait acharnĂ©e Ă  son travail, quitte Ă  s'y aliĂ©ner. Elle avait perdu ce recul si prĂ©cieux pour une infirmiĂšre humanitaire. Il faut dire que l'agonie de Maria avait Ă©tĂ© particuliĂšrement Ă©prouvante. Savoir qu'elle aurait pu ĂȘtre en vie si l'ErythrĂ©e n'avait pas Ă©tĂ© une dictature. Cette sĂ©quence restait gravĂ©e dans sa mĂ©moire. DĂšs qu'elle fermait les yeux, elle voyait le regard implorant de Maria, un regard doux auquel se mĂȘlait une force, un courage. Maria. La belle Maria. La tĂȘte haute, les traits fins, le nez droit, une taille de guĂȘpe, un sourire Ă©tincelant et le regard fier de la vĂ©ritable tigrinyane. Maria, son amie. Maria qui avait dĂ©jĂ  connu l'inacceptable son mari retrouvĂ© mort en plein dĂ©sert dans un container pour avoir voulu quitter ce pays, puis la prison et son lot d'horreurs oĂč elle avait croupi en guise de reprĂ©sailles. Maria ne lui avait pas tout racontĂ©, elle n'en avait pas eu la force et puis c'Ă©tait sĂ»rement trop dangereux. Ils sont partout, ils t'espionnent, ils savent. Ne pas trop parler, ne pas trop se montrer, ne pas se faire connaĂźtre. C'est pour ça que je ne viendrai pas accoucher dans ton centre pas de recensement du bĂ©bĂ© donc pas d'existence lĂ©gale et pas d'enrĂŽlement. Mon enfant ne sera jamais rĂ©quisitionnĂ©, ni pour mourir au front, ni pour nourrir le systĂšme de la dictature pendant 50 ans. Il ne sera pas de la chair Ă  canon, mallĂ©able Ă  la moindre dĂ©cision de ce gouvernement. Il restera avec moi et mon lopin de terre. » Complications Ă  l'accouchement. Sa rĂ©sistance lui avait coutĂ© la vie. _ La sonnerie de son mobile la sortit brutalement de ses souvenirs. Paul, le responsable de mĂ©decin du monde Ă  Asmara. SĂ»rement Ă  propos de la rĂ©union sur les bilans, se dit-elle. _ Elle fit un pas vers le quai. Devant elle des containers de toutes les couleurs, des grues marrons, des cuves de gaz, des remorqueurs, un navire militaire, des baraques de bois, bric, broc et tĂŽles, des hangars rouillĂ©s, quelques hĂŽtels en construction et au fond, comme une trame bleutĂ©e, la montagne. Tout lĂ -haut, elle y devinait Asmara et ses jacarandas, sa cathĂ©drale et ses glaces italiennes, Afabet et ses acacias, ses cases et son centre de santĂ©, l'ErythrĂ©e et son cafĂ©, ses peuples fiers et sa dictature. Elle sentit qu'elle n'avait plus la foi, qu'elle n'avait plus l'Ă©nergie suffisante pour retourner travailler au centre de santĂ©. Il Ă©tait peut-ĂȘtre temps de changer. Paul comprendrait bien. _ Elle prit une grande inspiration et dĂ©crocha. Nouvelle 031 _ Myco-rĂȘve _ Enfin ! L'heure de la grande migration avait sonnĂ© ! Tous les champignons marins devaient se rendre dans la mer du Plaisir pour s'y reproduire. Les champignons mĂąles vivaient dans l'hĂ©misphĂšre nord, tandis que les femelles prĂ©fĂ©raient regagner l'hĂ©misphĂšre sud aprĂšs la ponte. La mer du Plaisir, vĂ©ritable passerelle jetĂ©e entre les deux sexes, restait donc le seul endroit de la planĂšte oĂč la reproduction des champignons Ă©tait possible. Cependant, le pĂ©riple Ă©tait parsemĂ© d'embĂ»ches les champignons devaient parcourir plusieurs milliers de kilopieds, chasser un gibier souvent trop rare, Ă©chapper Ă  toutes sortes de prĂ©dateurs fĂ©roces avant de pouvoir s'Ă©battre ensemble dans la mer du Plaisir. _ Ce jour-lĂ , la larve champignon Bob ressentit l'Appel dans toutes les fibres de son pied. Bien sĂ»r, les champignons ne se donnent pas d'autres noms que Moi, Elle, ou l'Autre. Comme nous n'arriverons pas Ă  les distinguer ainsi, pour la bonne cause, nous les baptiserons de noms bien humains. Mais reprenons _ Ce jour-lĂ , la larve champignon Bob ressentit l'Appel dans toutes les fibres de son pied. Il freina immĂ©diatement, au grand soulagement de la feuille de laurier qu'il poursuivait. Un instant, il s'interrogea sur la nature de ce message que ses mycormones lui envoyaient, puis comprit. Bob se laissa envahir par l'excitation, qui se traduisit aussitĂŽt par une nage circulaire et jubilatoire. Le Grand Voyage allait enfin commencer ! À lui les vastes ocĂ©ans, Ă  lui les tomates papillons bien juteuses, les grains de cafĂ© sauvages et surtout, Ă  lui les petites femelles champignons. Mais, Ă  quoi pouvaient bien ressembler ces derniĂšres ? Lors de la palabre d'automne, un Ancien lui avait racontĂ© que les femelles ressemblaient assez aux mĂąles, hormis un long voile translucide qu'elles traĂźnaient derriĂšre elles Ă  la saison des amours. Cette description relevait, de l'avis de Bob, de la pure affabulation, mais les Anciens Ă©taient quelque peu connus pour leur sĂ©nilitĂ©. Bob, lui, voyait plutĂŽt les femelles petites, gracieuses, avec un long pied recourbĂ©, ondulant lascivement dans l'eau. Mais entre lui et ces derniĂšres se trouvait tout un hĂ©misphĂšre. _ D'ailleurs, pourquoi attendre ? Autant agir tout de suite ! De son pied mobile, Bob se propulsa vers le sud, choisissant un mĂ©ridien comme guide. Direction, la mer du Plaisir. _ Bob progressait Ă  bonne allure et entrevoyait parfois au loin d'autres larves champignons qui voyageaient en groupe. Il lĂącha un petit nuage de mycormones dĂ©daigneuses il n'avait pas besoin de leur soutien. DĂ©tendu et sĂ»r de lui, il ne vit pas la courgette tueuse fondre sur lui, toutes pĂ©pins acĂ©rĂ©s dehors. Inconscient du danger, Bob contourna une bulle inopportune et les pĂ©pins claquĂšrent dans le vide. AlertĂ© par les remous soudains, le champignon marin accĂ©lĂ©ra brutalement, au risque de mĂȘler son mycĂ©lium aux rĂ©cifs de poireaux voisins et laissa le prĂ©dateur sur place. _ ÉchaudĂ© par cette expĂ©rience, Bob jugea qu'il avait eu tort de s'illustrer en voyageant en solitaire. Mieux valait troquer le prestige qu'il aurait gagnĂ© aux yeux des femelles en parvenant, seul, dans la mer du Plaisir contre l'assurance d'arriver en un seul morceau. Était-ce la peur Ă©prouvĂ©e devant la courgette tueuse ou l'eau se rĂ©chauffait-elle graduellement ? _ Bob rejoignit le premier banc de champignons qu'il rencontra. Celui-ci Ă©tait organisĂ© selon une sĂ©quence bien particuliĂšre les larves se dĂ©plaçaient en un triangle compact qui, soudain, Ă©clatait pour se reformer un peu plus loin, avec de nouveaux champignons Ă  sa tĂȘte. Bob se lia rapidement d'amitiĂ© avec l'autre Bob qui avait un chapeau mallĂ©able qu'il façonnait Ă  volontĂ© pour imiter les fraises carnivores ou tomates bedonnantes qui Ă©talaient dignement leur grand Ăąge. Mais ils s'aliĂ©nĂšrent bien vite les autres champignons par leurs facĂ©ties et furent priĂ©s de dĂ©guerpir sĂ©ance tenante. _ Nageant dans une eau de plus en plus chaude, les deux Bob en prirent leur parti et dĂ©cidĂšrent de gagner les premiers la mer du Plaisir. Ils imaginaient dĂ©jĂ  le chapeau dĂ©confit des autres lorsqu'ils verraient que les deux Bob avaient sĂ©duit les plus belles femelles. _ Ne s'accordant que le minimum de repos, grignotant un peu de persil par-ci ou un peu de curcuma par-lĂ , ils se hĂątĂšrent vers le sud. _ Alors que la chaleur devenait insoutenable, la mer du Plaisir se profila, Ă©tendant ses eaux foisonnantes de verdure dans toutes les directions. Et lĂ -bas ! N'Ă©tait-ce pas une femelle ? L'Ancien avait raison, un long voile translucide flottait derriĂšre elle et exhalait des mycormones dĂ©licieuses. Rendu fou par l'odeur, Bob se prĂ©cipita vers la femelle et entama une danse de sĂ©duction, jouant de son mycĂ©lium avec virtuositĂ©. La femelle, faussement farouche, rĂ©tracta son voile avant de se laisser timidement effleurer. Bob, au comble de la bĂ©atitude, se prĂ©para Ă  vider sa gonade sur le filet ainsi tendu _ ? À la soupe ! cria une voix lointaine. Nouvelle 032 _ AdversitĂ© A cette Ă©poque de ma vie, il me manquait un guide. Je n'avais pas fait les bons choix, et je le savais. En attendant, j'Ă©tais en contrat de qualification dans une parapharmacie parisienne, aliĂ©nĂ©e par mon travail. Heureusement, mon boulot aurait une fin. Je le considĂ©rais donc comme une passerelle vers un poste que j'imaginais jubilatoire. J'aurais troquĂ© ma modeste blouse blanche contre un tailleur Ă©lĂ©gant et provoquant. Ainsi vĂȘtue, je me pavanerais dans les couloirs de ma luxueuse entreprise oĂč je partagerais des moments inoubliables Ă  glousser prĂšs de la machine Ă  cafĂ© avec mes collĂšgues dĂ©lirants. Cependant, cet avenir qui m'apparaissait idyllique n'Ă©tais pas encore pour moi. Pour l'instant, j'arpentais les sous-sol de la maudite boutique, sautillant au-dessus des cadavres de cafards. Tout en hissant les cartons de canettes protĂ©inĂ©es sur les Ă©tagĂšres, j'Ă©chafaudais des plans, j'essayais de mettre en place une stratĂ©gie pour me sortir de cet enfer Ă©pidermique. Je refusais de me rĂ©signer, et, tel un soldat attendant l'appel de son GĂ©nĂ©ral, je me prĂ©parais en silence Ă  l'affrontement. En effet, j'avais enfin la possibilitĂ© d'agir, mais il ne fallait pas compter sur le soutien de mon Ă©cole de dermo-cosmĂ©tiques. Pour tout dire, la directrice de mon Ă©tablissement me proposait bien un poste mĂ©diocre d'animatrice mobile en pharmacie sur la France entiĂšre, mais, pour accepter cette remarquable promotion, je devais me dĂ©patouiller moi-mĂȘme avec ma patronne hargneuse pour rompre mon contrat actuel. Cette tĂąche s'annonçait dĂ©licate. Il allait falloir que j'use de palabres face Ă  cette vieille femme acariĂątre qui me menait la vie dure mais pour qui j'Ă©prouvais des sentiments mĂȘlĂ©s. Je me souviens de sĂ©quences assez Ă©vocatrices qui illustrent magnifiquement son personnage. Elle guettait les clientes derriĂšre la porte entrebĂąillĂ©e de son bureau en marmonnant Qu'est-ce qu'elle fait celle-lĂ ? Elle va finir par l'acheter cette crĂšme?
 Depuis le temps qu'elle la regarde! ». Puis, elle finissait par s'Ă©lancer dans le magasin Ă  l'assaut de sa proie. Alors, de son meilleur argumentaire enrobĂ© d'un ton mielleux, elle commençait Oui, alors, cette crĂšme de jour, elle est trĂšs trĂšs trĂšs bien. ». De toute Ă©vidence, sa voix doucereuse ne pouvait couvrir son regard teigneux et agressif. Toutefois, le plus surprenant, Ă©tait que, mis Ă  part quelques femmes braves et courageuses, l'ensemble de la clientĂšle finissait, comme un petit enfant Ă©pouvantĂ©, par acheter sa camelote. Pourtant, ma patronne avait quelque chose d'attachant ou plutĂŽt de pitoyable. Ce sentiment s'associe dans ma mĂ©moire au souvenir de ses 4 enfants, maintenant adultes, qui la traitaient avec mĂ©pris. J'avais l'occasion de temps de temps de travailler avec l'une de ses filles, DĂ©borah, et donc de connaĂźtre des journĂ©es placĂ©es sous le signe de la terreur et de l'humour glacĂ© mais pas sophistiquĂ© !. Celle-ci s'aperçut bien vite que je n'Ă©tais pas aussi mallĂ©able qu'elle le supposait et qu'au contact de sa mĂšre, je m'Ă©tais dĂ©jĂ  endurcie. De ce fait, elle dĂ©cida, Ă  ma grande surprise, de me considĂ©rer comme son amie
 mais moi, je dĂ©cidais de fuir ! Nouvelle 033 _ La raison de vivre Chienne de vie ! » _ Bougonne Luce en s'extirpant de son profond fauteuil. _ Fichues douleurs, fichue vieillesse, fichu hiver ! » _ Marmonne t-elle en se tenant le dos. Elle allonge le bras et Ă©claire le lampadaire du salon. Il n'est que dix sept heures et il fait dĂ©jĂ  si sombre. Luce a envie d'un cafĂ©. Elle se sert, puis, sa tasse Ă  la main, vient se regarder dans le miroir, offert jadis par son fils. L'image qui lui est renvoyĂ©e est celle d'une vieille dame, Ă  la frimousse toute ridĂ©e, dont les grands yeux noirs dĂ©vorent le visage. Elle troquerait bien ses soixante quinze ans contre vingt de moins. Mais, elle a beau invoquer les fĂ©es du rajeunissement, son appel reste sans rĂ©ponse. A propos d'appel, il y a bien longtemps, qu'elle n'a plus eu de nouvelles de son fils unique Mathieu, parti vivre en AmĂ©rique, au pays de Walt Dysney. IL voulait mettre en scĂšne des films d'animation ou illustrer des livres pour enfants et souhaitait en faire sa profession. Il a rencontrĂ© lĂ  bas une charmante jeune femme et ensemble ils ont fondĂ© une famille. Luce est grand-mĂšre mais ne connaĂźt pas ses petits enfants. C'est si loin l'AmĂ©rique ! _ Elle rĂȘve parfois d'une longue passerelle qui enjamberait les continents et les mers, pour lui permettre de retrouver les siens. Peter Pan et la fĂ©e Clochette seraient ses guides. Mais, hĂ©las, ce n'est qu'un songe. _ La rĂ©alitĂ© est toute autre. Elle est trĂšs seule, surtout depuis la mort de Charles, son Ă©poux. Au dĂ©but de la maladie de celui-ci, des amis, des voisins lui ont apportĂ© leur soutien et un peu de rĂ©confort. Toutefois, petit Ă  petit, elle a fait le vide autour d'elle. C'est que, bien qu'elle soit sociable, son caractĂšre n'est pas trĂšs mallĂ©able. Elle ne souhaite pas que l'on vienne se mĂȘler de ses affaires ! Elle s'est refermĂ©e comme une huĂźtre et Ă  prĂ©sent ne voit que peu de monde. _ Elle a bien essayĂ© au dĂ©but de son veuvage de s'inscrire Ă  un club. Cependant, elle s'est vite lassĂ©e de ces contacts rituels, de ces discussions qui lui ont semblĂ© futiles et dĂ©nuĂ©es d'intĂ©rĂȘt. Que de palabres pour avoir l'illusion d'un peu de chaleur et d'amitiĂ© ! Son univers s'est donc rĂ©duit Ă  son modeste trois piĂšces, au facteur qui lui apporte son courrier, Ă  sa voisine de palier qu'elle salue bien poliment lorsqu'elle la rencontre mais qu'elle n'invite jamais chez elle et aux quelques commerçants chez lesquels elle s'approvisionne. _ Elle reprend du cafĂ©, se rassoit dans son fauteuil et laisse son esprit divaguer. Elle revoit sa vie, le dĂ©filĂ© des souvenirs, sĂ©quences heureuses ou douloureuses, tout est lĂ , bien classĂ© dans sa mĂ©moire. _ C'Ă©tait hier, sa rencontre avec Charles. Il Ă©tait Ă  l'Ă©poque dans les Gardes Mobiles. Le magnifique bouquet de roses rouges qu'il lui avait offert lors de leur premier rendez-vous, la naissance de Mathieu, tout ce grand bonheur Ă  trois. Puis l'adolescence de Mathieu, ses Ă©tudes, le spectacle jubilatoire qu'il offrait Ă  ses parents lorsque avec ses amis il organisait des soirĂ©es costumĂ©es. C'est que c'Ă©tait un joyeux drille son Mathieu ! Il aimait la fĂȘte et savait s'entourer de jeunes fous comme lui. _ Puis, le dĂ©part de ce fils adorĂ©, le premier choc, la premiĂšre dĂ©chirure dans ce qui semblait ĂȘtre une longue destinĂ©e finement tissĂ©e. _ Enfin, bien des annĂ©es aprĂšs, le dĂ©cĂšs de Charles. LĂ , encore, elle a dĂ» lutter contre son dĂ©sespoir, ne pas se laisser aliĂ©ner l'esprit par ce nouveau coup du sort. _ Et sa solitude ! Aujourd'hui, c'est la grande dĂ©prime. Elle n'a plus aucune raison de vivre ! Elle songe parfois Ă  la mort, ce grand sommeil qui la dĂ©livrera. Elle pense aussi Ă  la provoquer. Ce soir, en particulier Il faut agir, ne pas flĂ©chir. Elle a dans sa table de nuit les petits comprimĂ©s qu'il lui suffira d'avaler, d'un seul coup, sans rĂ©flĂ©chir davantage. Elle est dĂ©cidĂ©e. _ Soudain, un lĂ©ger bruit sur le palier attire son attention et la sort de ses sombres pensĂ©es. Elle se lĂšve, entrebĂąille la porte. Il n'y a personne mais elle dĂ©couvre sur son paillasson une boĂźte Ă  chaussures sans couvercle et dans la boĂźte une petite boule de poils roux dont les yeux verts la fixent avec attention. C'est un chaton. Elle se saisit du tout et rentre prĂ©cipitamment. _ Elle prend avec prĂ©cautions dans sa main la soyeuse boule de poils et se met Ă  la caresser. VoilĂ  le chaton qui ronronne. Elle caresse, caresse. Une petite langue rĂąpeuse lui lĂšche la main et deux petites dents s'emparent de son doigt et le mordillent. Dieu que c'est bon ! Elle fond de tendresse. _ Qui, mais qui, a eu l'idĂ©e de me faire ce merveilleux cadeau ? » _ Elle se pose tout haut une question Ă  laquelle elle n'aura pas de rĂ©ponse. _ Puis, le chaton se met Ă  miauler trĂšs fort. _ C'est qu'il a faim, le chĂ©ri ! » s'exclame t-elle. _ Elle repose l'affamĂ© dans son lit de fortune et se prĂ©cipite vers le buffet dans lequel elle farfouille avec frĂ©nĂ©sie. Toute Ă  son occupation, elle a oubliĂ© ses douleurs. _ Elle a trouvĂ© ! Victorieuse, elle brandit un biberon de poupĂ©e qu'elle s'empresse de remplir de lait. _ Demain, il faudra que j'aille chez le vĂ©tĂ©rinaire. Ce lait pourrait ne pas convenir Ă  un si petit animal. » _ Tenant le chaton d'une seule main, elle lui glisse la tĂ©tine du biberon entre les dents. _ Ce geste lui rappelle une chanson de son Georges bien aimĂ© _ Quand Margot dĂ©grafait son corsaage _ Pour donner la gougoutte Ă  son chat » _ Cela l'amuse beaucoup. _ Vieille Margot, que je suis ! Vieille bĂȘte ! Je divague complĂštement. Si Mathieu Ă©tait lĂ , il me dirait que je pĂšte les plombs ! » _ Un grand sourire illumine son visage. L'enfant s'est mis Ă  tĂ©ter. Nouvelle 034 _ Retraite anticipĂ©e Lundi, une annonce typiquement A-haiNePĂ©istE, noire sur fond blanc, me saute aux yeux. Cet aveuglant incident s'est produit au petit matin, alors qu'une Ă©paisse Ă©charpe de neige enveloppait les cols savoyards. _ Feignant ardemment l'intĂ©ressement, je flĂąnai sans fainĂ©antise dans les lugubres locaux allouĂ©s aux demandeurs d'emploi alpinois, lorsque je fus violemment attaquĂ©e par la 055014C l'Ă©motion m'a fait oublier le code ROM. _ Le choc Ă©tait irrĂ©versible, je ne me contrĂŽlais plus. En transe, sueurs froides, genoux tremblant, un mobile Ă  l'oreille, un crayon dans la main, la corde au cou J'Ă©tais foutue, le sort avait Ă©tĂ© lancĂ©, plus rien ne pouvait l'arrĂȘter, il fallait agir. _ Bonjour je suis Julie Voughtyroi, je vous appelle au sujet de l'annonce que vous avez posĂ© Ă  l'ANPE pour le poste de serveuse et j'aurai voulu savoir si il Ă©tait toujours disponible » _ Ouf, inspiration, expiration, j'avais dit la phrase d'une traite, sans point ni virgule, en insistant la suspension sur la fin. Se ressaisir, demeurer aimable, mallĂ©able, ne pas Ă©courter l'appel, ne pas l'envoyer chier, rester souriante Le reste de la conversation se dĂ©roula sans encombre grĂące Ă  mon inimitable sourire blond et ma capacitĂ© essentielle Ă  conserver la positivitĂ©. _ J'avais dit oui Ă  tout, y compris au rendez-vous. _ 12h17, -3C°, indiquaient les cristaux liquides verts fluo. 13 minutes en poudreuse blanche Ă  attendre, tremblotante, devant les portes en bois sombres de l'hĂŽtel. Je rentre, j'avais trop froid. A l'intĂ©rieur, dans un silence macabre, une douzaine d'autres supposĂ©s candidats se trĂ©moussaient sans palabre. _ On nous amena dans une salle de confĂ©rence sans fioriture ni couverture zut. Treize chaises Ă©taient disposĂ©es en cercle isocĂšle. Vous pouvez vous assoir. » nous annonça une voix SNCF. Je pris l'hypotĂ©nuse, ma passerelle vers la rĂ©ussite, trĂšs inconfortable mais stratĂ©gique dans un entretien de la sorte. _ L'heure qui suivit se dĂ©roula en anglais. Je soupçonnais la plupart de mes adversaires d'ĂȘtre nĂ© dans une monarchie parlementaire. J'espĂ©rais secrĂštement leur incapacitĂ© Ă  communiquer en français. _ On nous guida ensuite vers une salle de classe oĂč les chaises, bureaux et tableau noir firent rejaillir les tendres souvenirs de mon enfance. PĂ©riode de vie oĂč les questions sans rĂ©ponse n'Ă©taient pas les plus importantes. _ Notre guide au tailleur strict distribua les copies avec sa voix halle-de-gare en prĂ©cisant les consignes habituelles. Le sujet Ă©tait en Chinois _ En quoi la mĂ©thode HACCP est un systĂšme qui identifie, Ă©value et maĂźtrise les dangers significatifs au regard de la sĂ©curitĂ© des aliments ? Vous prĂ©ciserez ainsi les 7 principes sur laquelle est basĂ©e la mise en place de la mĂ©thode HACCP en suivant une sĂ©quence logique de 12 Ă©tapes et en illustrant vos propos de schĂ©mas explicatifs. » _ J'avais deux heures pour raconter comment Hors Accalmie, Chacun Compare le PrĂ©sent en 12 Ă©tapes et 7 principes. _ A la fin de la premiĂšre heure et des 19 machins Ă  rĂ©diger, j'avais bien mĂ©ritĂ© un petit soutien moral en cafĂ©-clop. Pour ne pas m'aliĂ©ner toutes les sympathies avec d'Ă©ventuels partenaires, je simulai une conversation avec une petite anglaise. OrnĂ©e d'un mini sac Ă  main en chaussures pointues, elle me chuchota HACCP = Hazard Analysis Critical Control Point » comme on offre un cadeau emballĂ© dans un accent jubilatoire en satin rose. Oups je me suis un peu mĂȘlĂ©e. _ L'Ă©tape suivante se dĂ©roulait entassĂ©s dans le hall d'accueil. Nous Ă©coutions ensemble la femme, dont la voix avait dĂ©cidemment ratĂ© sa vocation, qui Ă©grainai les noms des candidats dans l'ordre alphabĂ©tique. S'assurant que j'Ă©tais bien la derniĂšre dans la salle d'attente interminable, le tailleur pervenche s'exclama sans jingle Melle Voughtyroi est attendue d'urgence pour le check in, voie 1 ». Au moins une bonne nouvelle, elle ne m'avait pas envoyĂ© aux objets perdus. _ Le bureau ressemblait aux salles d'interrogation russes pendant la guerre froide. Une chaise droite posĂ©e sur un ciment froid m'attendait en face de deux espions de la CIA infiltrĂ©es. La lumiĂšre nĂ©on clignotait par intermittence Ă  la mode tectonik. _ Il faisait une chaleur insoutenable. Je m'excusai et enlevai mon joli manteau rouge dont le poids avait doublĂ© aprĂšs la pause cigarette et la fonte des neiges. Je portais pour l'occasion une chemise blanche troquĂ©e contre quelques cookies au gros voisin du dessus. _ La piĂšce, malgrĂ© le miroir sans teint dans le fond, semblait petite, Ă©troite, je suffoquais. Je profitai nĂ©anmoins de l'opportunitĂ© pour vĂ©rifier mon apparence. _ C'est alors que j'eu une vision terrible, horrible, cauchemardesque Mon col de chemise pour homme avait dĂ©teint, sans doute Ă  cause du manteau et du rĂ©chauffement climatique, il Ă©tait rose ! _ Le chamboulement esthĂ©tique de mes pensĂ©es vestimentaires avait Ă©vincĂ© de mon esprit perturbĂ© la premiĂšre question de mes assaillants. Dans le coup, je ne savais plus s'il fallait parler anglais, français, japonais ou russe Heu Sorry, pardonnez-moi, ??????, dhzjeidh ?? ». _ Ils me rĂ©pondirent en français, je me dĂ©tendis. _ Pourquoi voudrais-je travailler pour cette entreprise ?
Heu L'argent, la sĂ©curitĂ©, le bonheur, les droits Assedic ? Je ne savais que rĂ©pondre. Je n'avais mĂȘme pas envie de travailler, surtout en temps de crise Ă©conomiquement conflictuelle. _ Le conflit s'Ă©talait jusque dans mon ventre oĂč certains de mes organes avaient dĂ©clarĂ© la guerre Ă  d'autre, moins vitaux. Une armĂ©e s'Ă©tait dĂ©jĂ  constituĂ©e et commençait une marche sur l'intestin grĂȘle. _ Plus les bruits incontrĂŽlĂ©s du combat imminent courraient, plus l'odeur des hostilitĂ©s se ressentait. J'entendais mes examinateurs-agresseurs se racler secrĂštement la gorge, rĂ©action discrĂšte probablement liĂ©e au vacarme olfactif de mes entrailles. _ J'Ă©tais pĂ©trifiĂ©e, mortifiĂ©e, horrifiĂ©e et surtout trĂšs gĂȘnĂ©e. Une partie de mon petit bataillon stomacal s'Ă©tait fait la malle Les tireurs d'Ă©lite cachĂ©s dans les boyaux avaient littĂ©ralement Ă©jectĂ© leurs adversaires de la zone de bataille. Sans un mot, empourprĂ©e par l'effort de guerre et la mobilisation sociale et industrielle visant Ă  subvenir aux besoins militaires de mon Ă©tat, je me levai et quittai cette salle malodorante et tortueuse en serrant mon postĂ©rieur sali. Nouvelle 035 _ Le Zombi Le Zombi », c'Ă©tait lui Sans doute Ă  cause de ses grosses lunettes rondes, retenues par un large Ă©lastique rouge vif lui passant au dessus des oreilles. Peut-ĂȘtre aussi pour son teint pĂąle, son air Ă©garĂ©, sa dĂ©marche pataude, et son manque de vivacitĂ© qui n'arrangeait rien Ă  l'affaire. Pourtant sa maman l'avait prĂ©nommĂ© ‘ThĂ©ophile'. En souvenir de son grand-pĂšre Ă  elle, ou de son oncle, il ne se rappelait plus exactement l'histoire. Elle lui avait aussi expliquĂ© ThĂ©o-Phile; ThĂ©o, c'Ă©tait Dieu. Phile, c'Ă©tait aimĂ© ». Il devait bien aimer Dieu, ou alors c'Ă©tait Dieu qui devait l'aimer ? Il faudrait qu'il lui redemande. _ Mais pour l'instant, il avait des affaires plus importantes Ă  rĂ©gler. Ce matin, encore, en classe, ils avaient bourdonnĂ© ThĂ©o, tu dors » sur l'air bien connu du Meunier, et Mademoiselle Clavet avait Ă©tĂ© obligĂ©e de crier. Cela se produisait presque tous les jours maintenant. DĂšs que son attention se relĂąchait et qu'il repartait dans ses rĂȘveries, Steed le repĂ©rait, et ça dĂ©marrait. L'autre chantait l'air du Meunier, tu dors, ton moulin ton moulin va trop vite ». Il en changeait les paroles. Si cela se passait en cour de rĂ©crĂ©ation, Steed lui hurlait dans les oreilles, adaptant Ă  chaque fois les mots ; ça pouvait ĂȘtre » ton ballon va trop vite, ou ton crayon, ton bonnet » et ThĂ©o, sous les quolibets, rentrait la tĂȘte dans les Ă©paules, s'Ă©loignait du tyran en courbant le dos, essayant de se faire oublier. _ Ce matin, c'est son cahier, qui allait trop vite. Il Ă©tait tombĂ©. ThĂ©o l'avait ramassĂ© par terre dans l'allĂ©e, au milieu des gloussements de toute la rangĂ©e. Mais ça commençait Ă  bien faire. Surtout qu'il ne s'Ă©tait plus senti tout seul face aux autres, ce matin. Devant lui, au premier rang, c'Ă©tait le bureau de Sofia, et elle s'Ă©tait baissĂ©e en mĂȘme temps que lui, elle avait pris le cahier, et lui avait tendu. Ce soutien inattendu avait provoquĂ© une bouffĂ©e d'Ă©motion et il s'Ă©tait senti devenir tout rouge, mais comme mademoiselle Clavet criait, personne n'avait remarquĂ©. Seulement depuis ce moment-lĂ , il restait un petit noyau jubilatoire au creux de son ventre, qui irradiait. _ A l'entrĂ©e de la cantine, il s'Ă©tait mĂȘlĂ© au groupe des filles, mine de rien, et elles n'avaient pas eu l'air de le remarquer. Le dĂ©jeuner s'Ă©tait passĂ© normalement. Quand les dames, leur service fini, commençaient Ă  se regrouper au fond de la salle avec leur cafĂ©, et Ă  faire des palabres en les regardant de cĂŽtĂ©, il avait entendu un appel, derriĂšre lui C'Ă©tait Sofia. Elle lui demandait s'il avait apportĂ© sa pĂąte Ă  modeler pour faire un pot de glu » Ă  la rĂ©crĂ©. C'Ă©tait le jeu Ă  la mode. On faisait une boule avec la pĂąte, et on la posait par terre. On se plaçait Ă  quelques mĂštres, et il fallait lancer ses billes le plus fort possible, de façon Ă  se qu'elles se collent dans la pĂąte. Le gagnant, le premier Ă  rĂ©ussir Ă  coller sa bille, remportait toutes celles qui avaient Ă©tĂ© jouĂ©es depuis le dĂ©but de la manche. _ Le soleil faisait des taches luisantes dans la cour, la pluie s'Ă©tait arrĂȘtĂ©e, le jeu Ă©tait possible. ThĂ©o avait sa boule de pĂąte au fond de la poche, elle Ă©tait chaude, bien mallĂ©able, et prĂȘte Ă  l'emploi. Il sortit la pĂąte Ă  modeler de sa poche, et l'agita en direction des filles pour leur faire signe de le rejoindre. Plus tard, dans la cour, lui, Sofia, deux de ses copines, et un garçon de la classe des petits qui voulait jouer, ils s'Ă©taient mis ensemble le long du muret. Sa pĂąte Ă  modeler Ă©tait toute neuve, et il avait mĂ©langĂ© toutes les couleurs de la boĂźte. Il l'avait placĂ©e au pied du muret. Elle ressemblait Ă  un petit arc-en-ciel et les filles l'avaient fĂ©licitĂ©. Alors un large sourire avait Ă©clairĂ© son visage, pour la premiĂšre fois de la journĂ©e. _ Tous s'Ă©taient reculĂ©s, Ă  prĂ©sent ils jouaient, chacun Ă  leur tour. Les billes partaient comme des fusĂ©es. Il avait dĂ©jĂ  gagnĂ© une fois, et troquĂ© trois poils de chat » contre une sanguine » avec le petit. C'Ă©tait Ă  Sofia maintenant Elle ne jouait pas trĂšs bien, et une de ses copines lui montrait comment fermer un œil et se servir du pouce de l'autre main comme guide pour viser. Pendant quelle se prĂ©parait, recommençant plusieurs fois le geste avant de tirer, Steeed avait surgi. Il courait, poursuivi par Robin et Marvis. Il fonçait en direction de leur petit groupe. En voyant ThĂ©o, il avait fait un bond de cĂŽtĂ©, et aprĂšs l'avoir regardĂ© droit dans les yeux, il avait dirigĂ© sa course de façon Ă  pouvoir lancer son pied droit au dessus de la boule de pĂąte multicolore, et l'avait laissĂ© retomber dessus. Elle Ă©tait restĂ©e collĂ©e sous sa semelle, il avait continuĂ© de courir, agitant comiquement son pied et faisant des petits bonds Ă  travers toute la cour. Et quand la boule, aplatie, s'Ă©tait dĂ©tachĂ©e, ThĂ©o avait couru, couru pour la rĂ©cupĂ©rer avant les autres, elle Ă©tait sale, pleine de graviers, de brindilles et de morceaux de feuilles, inutilisable _ Puis, peu aprĂšs, l'appel de la maĂźtresse, le retour en classe, la sĂ©quence de mathĂ©matiques, ensuite l'EPS. Le sport, son cauchemar. Dans les jeux collectifs, le volley ou le foot, il n'Ă©tait pas assez mobile et personne ne voulait de lui dans les Ă©quipes. Et ça n'avait pas ratĂ©, il Ă©tait restĂ© le dernier de la file, sous les lazzis des enfants. Pour la seconde fois de la journĂ©e, la chanson du meunier avait retenti, avant que la maĂźtresse ne rĂ©agisse ThĂ©o, tu dors, ton ballon ton ballon va trop vite, ThĂ©o, tu dors, ton ballon ton ballon » _ Et le pire, c'est que Steed habitait le mĂȘme immeuble que lui. Le matin et le soir, pour aller Ă  l'Ă©cole et en revenir, ils suivaient le mĂȘme chemin. Il fallait passer au dessus de la voie de chemin de fer, tourner au coin de la clinique, le long du bĂątiment des aliĂ©nĂ©s, l'asile, comme on l'appelait dans le quartier. LĂ , il ne fallait pas traĂźner des fois, des objets passaient par les fenĂȘtres et venaient s'Ă©craser sur le trottoir, Parfois jaillissaient des cris longs et stridents que ThĂ©o ne supportait pas, il en avait les cheveux tout hĂ©rissĂ©s. _ Les enfants qui suivaient cet itinĂ©raire pour regagner leur immeuble couraient dĂšs le bas de la passerelle du chemin de fer, prenant les virages le plus vite possible. Ils arrivaient ensuite au passage piĂ©ton du square en bas de leur immeuble, et si le feu Ă©tait au vert ils ne ralentissaient pas, car au passage de la grille d'entrĂ©e du square se trouvait un poteau. Il fallait l'attraper tout en courant, et sur sa lancĂ©e, dĂ©coller les deux pieds du sol, monter les jambes le plus haut possible pour tournoyer en l'air presque Ă  l'horizontale, et franchir ainsi la rambarde, avant de retomber de l'autre cĂŽtĂ© sur l'allĂ©e sablonneuse entre les deux pelouses. LĂ , les arrivĂ©es brutales des enfants avaient peu Ă  peu dĂ©gagĂ© le sable, creusĂ© un creux, une lĂ©gĂšre cavitĂ© emplie de feuilles mortes depuis quelques jours. Steed Ă©tait trĂšs fort Ă  ce jeu lĂ . Il s'illustrait par des dĂ©collages foudroyants suivis de longs vols planĂ©s accompagnĂ©s de cris victorieux Ă  la Tarzan, croyant impressionner tout le quartier. _ A l'Ă©cole, ThĂ©o faisait tout pour partir le premier, et rentrer seul, le plus vite possible. Il Ă©chappait ainsi aux insultes et aux moqueries, inĂ©vitables lorsqu'il avait le malheur de faire la route en mĂȘme temps que Steed. Et ce soir-lĂ , sans avoir pris le temps de se changer aprĂšs le sport pour ĂȘtre sĂ»r de partir le premier. Il trottinait, la tĂȘte basse, la tĂȘte encombrĂ©e de pensĂ©es tristes et confuses ; ça ne pouvait plus durer, il n'allait pas laisser ce Steed de malheur lui gĂącher la vie, lui pourrir ses meilleurs moments, aliĂ©ner sa libertĂ©, peser sur lui comme un gros nuage toujours menaçant, qui pouvait lĂącher ses grosses gouttes d'eau glacĂ©es Ă  tout moment et le laisser transi, Ă  sa merci Il devait faire quelque chose, agir! _ Il arriva devant le poteau du square, mais aujourd'hui il n'avait pas le cœur Ă  s'Ă©lancer dans les airs. Il passa normalement entre la rambarde et le portillon. Et lĂ , sur le bord de la pelouse, le chien de Monsieur Gaspar, le concierge, Ă©tait accroupi, en train de faire ses besoins c'Ă©tait un molosse, Ă©norme et baveux, mais pacifique. La crotte qu'il posa lĂ  avant de repartir en trottinant tranquillement, accrocha le regard de ThĂ©o, et soudain l'idĂ©e jaillit avec la nettetĂ© d'un Ă©clair avant l'orage. Il vit que la chose, monumentale, Ă©tait posĂ©e sur quelques feuilles mortes. Il saisit dĂ©licatement le pĂ©doncule de la plus grande, qui se trouvait dessous. Il fit glisser lentement le tout vers le milieu du sentier, lĂ  ou les atterrissages des enfants avaient formĂ© une dĂ©pression. Il rajouta quelques dĂ©bris de feuilles dessus, puis il rejoignit l'espace des jeux un peu plus loin, s'assit sur la balançoire, et attendit, oscillant doucement, la tĂȘte penchĂ©e, les yeux fermĂ©s. _ Lorsque le calme du square vola en Ă©clat, pulvĂ©risĂ© par d'affreux hurlements, suivi de vocifĂ©rations dĂ©goĂ»tĂ©es et larmoyantes, sur la face lunaire aux yeux toujours clos du petit garçon qui se balançait, on vit, pour la deuxiĂšme fois de la journĂ©e, Ă©clore un sourire. Il s'Ă©loigna du portique de sa dĂ©marche rĂȘveuse, son sourire s'Ă©largissant petit Ă  petit jusqu'Ă  se transformer en un grand, irrĂ©pressible et bienfaisant Ă©clat de rire. Nouvelle 036 _ La boussole _ I am the best in the world ! » _ Ce sont les mots que je me rĂ©pĂ©tais de façon jubilatoire en dĂ©valant une ruelle d'un vieux quartier de Caen. Je venais de quitter quelques amis aprĂšs une sacrĂ©e palabre dans un cafĂ© du quartier de Vaucelles. Nous avions refait le monde et j'en Ă©tais trĂšs fiĂšre dĂ©sormais, je n'Ă©tais plus une femme mallĂ©able ni aliĂ©nĂ©e par la sociĂ©tĂ© de consommation. De surcroit, je n'Ă©tais plus seule pour agir et transformer ce monde dominĂ© par les multinationales et les lobbys financiers nous Ă©tions ensemble et chacun de nous serait pour l'autre un guide dans la voie de la Justice et de la SolidaritĂ©. De bien grands mots, mais j'y croyais! _ A toute allure, je grimpai la passerelle qui enjambe les voies ferrĂ©es proches de la gare. De l'autre cĂŽtĂ© des voies, j'aperçus un pauvre homme passablement sale et avinĂ©. J'Ă©tais vaguement inquiĂšte quand j'entendis son appel _ Une petite piĂšce s'il-vous-plait ? » _ C'Ă©tait un homme jeune au visage Ă©trange dĂ©jĂ  marquĂ© par la misĂšre. AttachĂ© Ă  la sacoche qu'il portait, un petit ours en peluche attira mon attention
 _ » C'est mon fils, articula-t-il avec Ă©motion, c'est Gaspard. » _ Un fils, un jouet de son fils, un symbole de son fils ! Que voulait dire cet homme dans son errance , dans sa folie ? Et moi, que devais-je faire ? Cet homme n'avait pas besoin uniquement d'argent mais davantage d'un soutien, d'une oreille attentive
 Je lui demandai son prĂ©nom. _ Bruno mais on m'appelle le Bobo
rapport Ă  ce que j'Ă©tais avant. » _ » Moi, c'est Florence. » _ J'avais un peu de temps et dĂ©cidai d'illustrer mes bonnes rĂ©solutions en l'invitant au troquet pour qu'il me confie ses problĂšmes. Bruno s'emporta _ Quoi ! Vous vous payez ma tĂȘte ! Une nouvelle sĂ©quence de bibine et je suis dans le caniveau. Et pourquoi vous mĂȘlez-vous de mes affaires ? Ce que je veux, moi, c'est une piĂšce pour dormir ce soir Ă  La Boussole et aussi
 un sourire, c'est ça, un sourire, ça m'ira
 » _ Ce sourire que je lui fis, jamais je ne m'en remis
 _ Le lendemain, je prenais contact avec La Boussole, centre d'hĂ©bergement oĂč bien sĂ»r, on demandait des personnes pour assurer chaque soir l'accueil des gens de la rue, des SDF comme on dit. L'Ă©quipe me plu ; j'y rencontrais des hommes et des femmes vrais
MalgrĂ© la difficultĂ© des rencontres avec les sans-abris, je me sentais utile, je n'avais plus peur. _ Quels furent mes mobiles ? Bruno m'avait attirĂ©e,c'est sĂ»r
avec son petit Gaspard. A vrai dire je n'ai pas encore tout compris
 Ma vie est devenue lĂ©gĂšre et colorĂ©e. Les amis de Vaucelles passent parfois me dire bonjour Ă  la Boussole; je n'aime pas quand ils se bouchent le nez
 J'ai troquĂ© ma personnalitĂ© de bourgeoise compliquĂ©e contre celle d'une femme plus simple, plus vivante peut-ĂȘtre
 et c'est bien. Nouvelle 037 _ L'ancienne _ LĂ©a ! Attends-moi ! _ La jeune enfant Ă©clata de rire et s'engouffra dans la rue principale sans Ă©couter l'injonction de son frĂšre. Celui-ci s'Ă©lança derriĂšre elle, dans le dĂ©dale des ruelles endormies. L'aube se levait Ă  peine que la ville commençaient Ă  s'Ă©veiller. Le silence ayant rĂ©gnĂ© toute la nuit, laissait enfin sa place au doux tintement des cloches, annonçant le dĂ©but d'une rude journĂ©e. Les lumiĂšres s'allumaient peu Ă  peu, le bruit se faisait grandissant, et la ville reprenait vie doucement. Le cafĂ© de la place ouvrait ses portes, les employĂ©s s'appliquaient Ă  nettoyer les tables, en vue d'accueillir les foules de touristes, attirĂ©s par la tour des Anges. _ ? Aujourd'hui il va faire beau ! s'exclama Maryse Boineau. _ La vieille femme aux cheveux grisonnant pressa son visage sillonnĂ© de rides, contre les carreaux, pour mieux apercevoir les quelques nuages qui parsemaient le ciel. -Oui ! Une belle journĂ©e ! rĂ©pĂ©ta-t'elle . _ Maryse se dĂ©tourna de la fenĂȘtre, condamnĂ©e, pour allumer le feu sous la bouilloire. Que ferait-elle aujourd'hui ? Comme d'habitude. Elle s'assiĂ©rait Ă  cĂŽtĂ© de la fenĂȘtre, sa tasse de thĂ© brĂ»lante Ă  la main, seulement aprĂšs avoir accompli son petit rituel nourrir Delorto, le chat, prononcer sa priĂšre et sa sĂ©quence avant de manger un peu, prendre son traitement, et surtout, bien vĂ©rifier que le feu est Ă©teint sous la bouilloire. _ De petites habitudes qu'elle ne devait pas oublier pour ne pas perdre la tĂȘte » comme elle disait. _ Maryse observait la fenĂȘtre. La fumĂ©e s'Ă©chappait de sa tasse pour se raccrocher Ă  la vitre, formant une fine buĂ©e. Il Ă©tait neuf heures sur le clocher de la tour des anges et le soleil apparaissait dĂ©jĂ  entre les diffĂ©rentes villas. Les premiers prospectus illustrant le spectacle qui devait se passer Ă  la tour des anges, voletaient dans les airs, emportĂ©s par le vent qui s'engouffrait doucement dans les rues. _ ? Hum ! Encore de la publicitĂ© ! Quelle idĂ©e ! Comme si les gens en avaient besoin pour se pointer ici ! continua-t'elle. _ Une heure passa et Maryse ne changea pas de place. Le premier guide, suivi de prĂšs par ses touristes mobiles, entamait ses palabres sur la construction de la tour, si bien que les enfants les moins mallĂ©ables commençaient Ă  perdre patience et Ă  s'agiter. _ La vielle femme essaya de leur faire signe de la main, mais ils ne relevaient pas la tĂȘte. Ils lui faisaient tellement penser Ă  ses petits enfants. Elle voulu attirer leur attention en tapotant sur la vitre, mais aucun d'eux ne redressaient la tĂȘte, tous concentrĂ©s sur les mouettes qui envahissaient la place, attirĂ©es par les odeurs des poissons exposĂ©s sur les nombreux Ă©talages. _ Le regard de l'octogĂ©naire se posa sur un jeune homme en train de troquer une veste contre un parapluie. Bien que l'affaire fĂ»t mal engagĂ©e, l'adolescent qu'elle avait vu Ă  plusieurs reprises, rĂ©ussit tout de mĂȘme Ă  s'emparer de la jaquette, non sans avoir cĂ©dĂ© quelques biens en supplĂ©ments. Il se dirigeait en direction de Maryse, quand son regard s'attarda sur une affiche placardĂ©e sur le mur voisin. Les yeux de l'adolescent se remplirent de tristesse et il passa son chemin le plus rapidement possible, son visage tournĂ© vers la vieille dame. Il s'enfonça dans le ventre de la citĂ©, se mĂȘla Ă  la foule, et disparut. _ De quelle information s'agissait-il ? se demanda Maryse. Elle Ă©tira le plus possible son cou vallonnĂ©, sans pouvoir pour autant entrapercevoir le moindre mot. Vaincue par la vitre, elle se rassit en buvant quelques gorgĂ©s encore tiĂšdes de son breuvage. Elle vit passer deux amants si serrĂ©s l'un contre l'autre que leur amour irradiait la place. Mais cette image jubilatoire aliĂ©nait Ă©galement certains esprits, simplement parce qu'un tel amour leur semblait irrĂ©el. Ou encore que leurs diffĂ©rentes et douloureuses histoires avaient ancrĂ© cette souffrance au plus profond d'eux, faisant ressurgir des souvenirs intolĂ©rables. Le couple d'adulte regarda dans sa direction et sourit tristement. _ Quelle Ă©tait la raison de cette tourmente envers elle ? Etait-elle si repoussante ? Les caprices du temps l'avaient-ils tant changĂ©e que mĂȘme un miroir prĂ©fĂšrerait devenir une simple vitre, pour ne avoir Ă  lui montrer un reflet net de son visage ? Eux mĂȘme savaient-ils qu'ils ne resteraient pas ensemble Ă  tout jamais ? Qu'ils vieilliraient, et que leurs Ăąmes si Ă©troitement liĂ©es, finiraient un jour par se dĂ©tacher. Certes, la mort ne devait pas forcĂ©ment ĂȘtre terrible. Le paradis ou rien selon les croyances. Une nouvelle vie, ou simplement le fait de cesser d'exister. Rien de bien terrifiant finalement. _ Maryse ressenti un lĂ©ger pincement au niveau du cœur, une Ă©trange sensation. Le couple avait dĂ©tournĂ© les yeux. La vielle dame chercha Ă  les interpeller en tapant contre la fenĂȘtre, et les appela. Ne sentaient-ils pas cet impĂ©rieux appel ? Ne voyaient-ils pas cette ancienne qui se dĂ©menait pour attirer leur attention. ? _ Ce n'est que lorsque le couple disparut qu'elle se mit pleurer. Si peu d'attention Si peu d'Ă©coute et de soutien Seulement de la pitiĂ©. Elle ressentit de nouveau ce pincement, comme si son corps ne lui rĂ©pondait plus. _ Elena et Marc Ă©taient tous les deux enlacĂ©s au centre de la place des anges. La tour qui leur faisait de l'ombre ne semblait pas les dĂ©ranger dans leur intense relation. Ils dĂ©tachĂšrent leur regard l'un de l'autre et se tournĂšrent face Ă  une masse sombre. Devant eux s'Ă©tendaient les ruines d'une maison qui avait brulĂ© il y a quelques jours. Si l'endroit ne semblait pas dangereux, le bois imprĂ©gnait encore cette odeur de souffrance qui avait ravagĂ© les lieux. A l'arriĂšre des dĂ©combres, une silhouette immobile semblait s'effacer peu Ă  peu, prenant enfin conscience de l'incroyable vĂ©ritĂ©. Elle disparut. _ Sur la poutre qui tenait encore debout sans ĂȘtre bancale, Ă©tait suspendu un Ă©criteau _ Hommage Ă  Madame Boineau qui a pĂ©rit le 19 octobre 1996, dans cet incendie » _ Douleur immense de la perte d'un ĂȘtre cher _ Qui emporte la joie sur son passage _ Hommage _ Seul ce panneau maintenait la passerelle entre ces deux mondes si diffĂ©rents. Nouvelle 038 _ Le tourbillon de la vie Elle se tient sur le bord du trottoir, prĂȘte Ă  s'Ă©lancer au signal d'appel. Devant elle, le long passage Ă  piĂ©tons, mire rayĂ©e de noir et de blanc, se dĂ©roule comme une sĂ©quence nouvelle. _ Il tombe des cordes sur la ville. Des rideaux de pluie battent la vitrine du cafĂ©, crĂ©pitent sur les capots des voitures. Les caniveaux s'emplissent d'une eau grasse et lourde qui hĂ©risse de bulles Ă©phĂ©mĂšres les flaques. Les bourrasques plaquent les vĂȘtements des passants arc-boutĂ©s sous leurs parapluies luisants, affinent les jambes de ces corps en mouvement, tels les bronzes de Giacometti. _ La jeune femme, elle, ne marche pas. Elle est enfermĂ©e dans ses pensĂ©es. Elle ressasse la mauvaise nouvelle arrivĂ©e hier au soir. _ ? Ta grand-mĂšre, Paula. C'est fini. » _ Et voilĂ  qu'elle n'est plus qu'une grosse boule de chagrin. La mĂ©tĂ©o illustre sa peine, force le trait. Le col relevĂ© haut de son trench gris ne la protĂ©ge plus, mais Ă  quoi bon ? Elle secoue ses boucles blondes qui dĂ©goulinent, mĂȘlant les gouttes d'eau aux larmes de son visage. _ Une longue silhouette en impermĂ©able s'est placĂ©e Ă  cĂŽtĂ© d'elle. La buĂ©e du rĂ©troviseur d'un vĂ©hicule en stationnement renvoie l'image d'un visage carrĂ© aux yeux bruns en amande. Paula est songeuse. Elle sursaute en quittant le reflet un peu flou quand il s'adresse Ă  elle _ ? Acceptez-vous de partager un petit coin de parapluie ? » _ Le jeune homme l'observe avec un regard pĂ©nĂ©trant en souriant. Et comme elle ne rĂ©agit pas, c'est lui qui agit, comme un guide, lui saisissant le bras joyeusement. _ ? Allons, vous avez l'air d'un chien mouillĂ© ! » _ Ils s'Ă©lancent ensemble sur la chaussĂ©e, pataugent en cadence. Le bitume noir est une tranche de temps noyĂ© dans la peine, le temps s'y ralentit. Le jeune homme a enroulĂ© son bras autour des Ă©paules de Paula comme un tendre soutien sur la passerelle de la vie. _ Les nuages s'effilochent peu Ă  peu. Une trouĂ©e illumine les visages. Un rayon de lumiĂšre ranime les couleurs. Le dĂ©gradĂ© des ocres dĂ©trempĂ©es des façades vibre sous la chaleur qui revient. _ GuidĂ©s par les rayons du soleil qui joue avec les rayures diagonales, ils atteignent la premiĂšre bande blanche du passage Ă  piĂ©tons. C'est lui qui s'arrĂȘte, lui prenant doucement les mains _ ? C'est le passĂ©, Paula, nous devons penser Ă  nous maintenant. » _ Paula s'abandonne, toute mallĂ©able Ă  ce tendre contact _ ? » ProtĂšge-moi toujours, Antoine ! » _ Comme le font les enfants, par jeu, ils allongent leurs pas pour franchir d'un coup le vide sombre d'asphalte jusqu'Ă  la bande blanche suivante. On dirait que le temps s'Ă©tire encore. _ Devant et derriĂšre eux, les autos, mobiles, bondissent en les frĂŽlant et ils se maintiennent en Ă©quilibre sur un pied en riant malgrĂ© leur effroi. _ LĂ -haut, tantĂŽt d'une blancheur de nacre, tantĂŽt noirs, les nuages glissent, galopent, pommelĂ©s comme la robe d'un cheval. Antoine et Paula, blottis l'un contre l'autre, tournoient sous le ciel changeant qui s'Ă©claircit et s'opacifie Ă  toute allure. C'est le temps du rĂȘve, celui des mille projets, celui de la dĂ©couverte du monde et de l'autre. _ Tout s'accĂ©lĂšre soudain. Une musique remplit l'espace, la valse n°2 de Chostakovitch, sol mi rĂ© do, do rĂ© mi La nostalgique romance rythme les pas des passants. La vie tourbillonne. _ Comme un refuge de caoutchouc blanc, la troisiĂšme zĂ©brure les accueille, penchĂ©s sur le landau du bĂ©bĂ©. Il faut de la place pour un petit d'homme ! Les nuits deviennent plus courtes et les journĂ©es trĂ©pidantes. Comment ne pas s'Ă©merveiller devant cette petite vie fraĂźche, joyeuse et bruyante ? _ Poussons les murs, la famille s'est agrandie. La benjamine sautille jusqu'Ă  la ligne rayĂ©e suivante. Elle grandit Ă  vue d'œil, en accĂ©lĂ©rĂ©. Les enfants courent de la maison Ă  l'Ă©cole, au lycĂ©e. C'est l'Ăąge de l'adolescence, des palabres pour s'aliĂ©ner leur libertĂ©. Antoine et Paula les regardent, attendris et fiers, tiraillĂ©s entre la confiance en l'avenir et l'angoisse de la fuite du temps. _ Un coup de vent balaie les cheveux de Paula. Dans un long travelling, on voit son visage, les rides fines sur ses tempes, les cernes mauves sous les yeux rougis. Immobile sur la ligne sombre de la voie, elle sourit Ă  ses enfants qui partent, la main crispĂ©e sur un mouchoir. Encore un pas, entre noir et blanc, entre bitume et peinture. _ Depuis quelques temps, Antoine n'est plus si fringant, il se voĂ»te, s'affaiblit. Une mĂ©chante maladie a envahi son univers. Jours sombres, jours de goudron, suspendus Ă  l'espoir qui s'amenuise. Son visage fiĂ©vreux, Ă©maciĂ©, semble se dissoudre dans l'asphalte. Paula est lĂ , qui le soutient, rĂ©siste, les femmes sont souvent fortes quand ça tangue. Mais il n'en peut plus de cette longue traversĂ©e et lĂąche prise. Une longue voiture noire l'emporte un matin d'automne. _ A petits pas usĂ©s, Paula chemine du noir au blanc lors des visites de ses enfants, du blanc au noir lorsqu'ils repartent. Le bonheur revient avec l'arrivĂ©e des tout-petits. _ Paula recouvre un peu de sĂ©rĂ©nitĂ© dans ce nouvel Ăąge de la maternitĂ©, celui d'ĂȘtre grand-mĂšre. _ Ils sont si beaux ! Les yeux de leur grand-pĂšre, la blondeur de l'enfance, leur innocence pleine de gaietĂ© ! Parvenue sur la derniĂšre bande blanche de la chaussĂ©e, Paula respire, s'apaise. _ La traversĂ©e s'achĂšve pour elle aussi, elle le sait, elle le sent. Elle a troquĂ© son petit sac contre une canne au pommeau d'argent et se retourne. L'autre bord est si loin ! Sa main ridĂ©e tremble un peu dans les boucles grises de ses cheveux. Le temps est si vite passĂ© ! _ Une jeune fille blonde et bouclĂ©e est apparue sur le trottoir d'en face. _ Elle aperçoit Paula. Leurs regards se croisent, se reconnaissent et s'allument d'un doux sourire. La rue se fige. La musique s'est arrĂȘtĂ©e. Le silence s'installe _ Coupez ! » crie le rĂ©alisateur d'un ton jubilatoire. C'est la meilleure prise, on ne la refait pas ». Nouvelle 039 _ Une semaine pour vivre LUNDI J'ouvre mes yeux de nouveau-nĂ© et j'affronte la lumiĂšre. C'est au prix de ce difficile effort que je vais m'habituer Ă  cette clartĂ© qui, dĂ©sormais, va rythmer mon existence. Si j'ai la chance de naĂźtre dans une famille accueillante et aimante, je ne vais pas tarder Ă  apercevoir le sourire et les yeux d'un gĂ©ant » qui se penche sur moi avec ravissement. Quelques heures plus tard, une autre expĂ©rience Ă©prouvante m'attend il me faut lĂącher la main protectrice qui m'accompagne lors de mes premiers pas, pour m'Ă©lancer bravement vers les bras tendus. J'ai dĂ©jĂ  essayĂ© Ă  plusieurs reprises, mais cette aventure me parait vraiment trĂšs pĂ©rilleuse Ă  entreprendre seul et sans soutien. Enfin, j‘ai rĂ©ussi et on m'a applaudi, alors, j'ai recommencĂ©. Ouf ! GrĂące Ă  ma tĂ©mĂ©ritĂ©, je suis devenu un petit bonhomme indĂ©pendant. _ MARDI Aujourd'hui encore, il me faudra prendre des risques, si je veux grandir tout d'abord, quitter la main rassurante de maman qui d'habitude me sert de guide, pour entrer dans la cour de l'Ă©cole oĂč d'autres petits attendent comme moi
. Oui, me sĂ©parer d'un visage connu, pour faire confiance Ă  une tĂȘte inconnue qui me sourit et qui m'appelle par mon prĂ©nom. Je dois serrer les dents et retenir mes larmes, car maman est partie, mais, c'est promis, elle reviendra. Elle me l'a dit
. Jouer avec d'autres sans me bagarrer, partager mes jeux, cela n'est pas toujours si facile, et j'ai pleurĂ© plus d'une fois, mais heureusement je suis un enfant au caractĂšre mallĂ©able. Plus tard dans la journĂ©e, les difficultĂ©s vont s'accroĂźtre apprendre Ă  lire pour accĂ©der tout seul comme un grand, aux belles histoires que maman me racontait, avant de m'endormir, lorsque c'Ă©tait encore lundi
. Que d'efforts pour y parvenir! L'Ă©cole, c'est donc mon univers du mardi, et lorsque j'y suis entrĂ© le matin, je n'imaginais pas que j'y resterais jusqu'au soir. Heureusement, les copains et aussi les vacances y apportent la fantaisie et la diversitĂ©! Mais, en y rĂ©flĂ©chissant bien, je m'y suis prĂ©parĂ© Ă  entrer avec plus d'assurance dans la journĂ©e de mercredi. _ MERCREDI Je suis tout excitĂ© en m'Ă©veillant, car je dois prendre un sacrĂ© tournant, je dois troquer mes habits d'adolescent pour endosser ceux du monde des adultes. Et oui, c'est l'heure de choisir un mĂ©tier, de fonder une famille, et cela demande une bonne dose de patience, de courage et de tĂ©nacitĂ©. Mais c'est tellement passionnant! Bien sĂ»r, il y a des minutes oĂč je suis dĂ©couragĂ©, tant d'Ă©cueils sont placĂ©s sur ma route, et j'ignore comment les contourner; alors, je suis heureux de trouver sur mon chemin mes copains rencontrĂ©s mardi et mes parents qui me soutiennent depuis lundi. _ JEUDI Je me lĂšve de trĂšs bonne humeur mon premier petit homme a, lui aussi, ouvert les yeux et quittĂ© le nid douillet du ventre maternel, et je me sens empli de fiertĂ© et de joie mĂȘme si j'aliĂšne un peu de ma libertĂ©. Mais trĂšs vite, il pleure, ce petit, et je ne comprends pas toujours l'origine de ces pleurs, cela me laisse un peu dĂ©semparé  Dur, dur, d'ĂȘtre parents! _ Je prends conscience que durant les deux jours qui viennent, j'ai mille chantiers Ă  entreprendre, mille passerelles Ă  crĂ©er avant qu'il ne soit trop tard, car le temps passe vite nous sommes dĂ©jĂ  jeudi ». C'est vrai, je dois encore dĂ©couvrir de nouveaux horizons, me soucier de mes proches, rĂ©pondre Ă  leurs appels, leur faire plaisir ou prendre part Ă  leurs peines. De plus, les journaux, la radio, la tĂ©lĂ©vision dĂ©versent leurs flots d'informations oĂč se mĂȘlent ensemble le bien et le mal que puis-je faire, pour que chacun se sente mieux Ă  sa place, pour que ce beau texte de la DĂ©claration des Droits de l'Homme dont on m'avait parlĂ© mardi, devienne une rĂ©alitĂ©, et non un idĂ©al qui Ă©chappe encore Ă  beaucoup d'hommes sur la planĂšte
? Que faire pour que le monde soit plus paisible, plus harmonieux
? La rĂ©ponse est difficile Ă  trouver, mais je dĂ©cide de verser ma petite goutte de bonne volontĂ© dans ce grand ocĂ©an
 Je dois aussi me distraire et m'amuser c'est si bon de rire! Je dois aussi flĂąner, humer les senteurs et les parfums du jardin, admirer les ciels changeants au grĂ© du jour et des saisons, contempler les couchers de soleil sur l'horizon infini de la mer. Je suis vraiment dĂ©bordĂ©, je cours, je cours et la journĂ©e de jeudi s'achĂšve dĂ©jĂ , et j'ai l'impression qu'il me reste tant Ă  faire pour vendredi
 _ VENDREDI Je m'aperçois que j'ai besoin de plus de sommeil, que mes pas sont moins rapides, mais que je suis parfois encore trĂšs performant dans de nombreux domaines je peux encore piquer un sprint, plonger dans une piscine, me concentrer sur un rapport urgent Ă  rendre Ă  mon directeur. De temps en temps, une petite douleur dans le dos, une autre aux articulations me rappellent que nous sommes dĂ©jĂ  vendredi, et je regarde ma montre avec affolement j'ai envie d'arrĂȘter un peu les aiguilles du temps, mais, hĂ©las, c'est impossible. Je regrette alors d'avoir Ă©tĂ© trop timide les jours prĂ©cĂ©dents, de ne pas avoir assez agi. _ SAMEDI Je n'ai plus besoin de me presser, je peux flĂąner au lit, puisque je suis en retraite, je n'ai plus de contraintes. Je me sens Ă  la fois libre et un peu inutile ». Mais je rĂ©alise que ce temps libre, je peux l'employer autrement une multitude de moins privilĂ©giĂ©s que moi, m'attendent
 _ SAMEDI MIDI je commence Ă  trouver le temps long, Ă  soupirer, Ă  espĂ©rer la visite ou le coup de tĂ©lĂ©phone d'un enfant, des petits enfants ou d'un ami hĂ©las, ils ne sont plus trĂšs nombreux, car certains n'ont pas achevĂ© leur semaine. Mon emploi du temps est maintenant trĂšs rythmĂ© le cafĂ© du matin, les repas que l'on m'apporte Ă  domicile, le passage du facteur, la sieste aprĂšs le dĂ©jeuner car mes yeux sont si lourds, mon Ă©mission prĂ©fĂ©rĂ©e de jeu Ă  la tĂ©lĂ©vision. Les souvenirs envahissent mon esprit et quand je suis dans mon fauteuil, puisque je ne suis presque plus mobile, je fais le compte Ă  rebours des heures qui restent avant d'atteindre dimanche, et, selon le moral du moment, soit je savoure Ă  l'avance le bon goĂ»t de celles qui ne se sont pas encore Ă©coulĂ©es, soit j'ai hĂąte d'arriver au dimanche. _ DIMANCHE Pas un nuage, grand soleil, un bulletin mĂ©tĂ©o qui vous donne chaud au coeur. C'est le repos complet, celui qui ne finira jamais. LibĂ©rĂ© de tout souci matĂ©riel, je vis en plĂ©nitude, un peu comme avant ma naissance, quand ce n'Ă©tait pas encore lundi, et, je contemple avec un sourire jubilatoire toute cette foule qui s'agite et qui court sur la Terre d'oĂč je viens et je me coule dans un bien-ĂȘtre indĂ©finissable et je goĂ»te Ă  l'ultime bonheur de l'EternitĂ©. _ Ami lecteur, si vous m'avez suivi tout au long de mes palabres durant cette semaine quelque peu particuliĂšre dĂ©coupĂ©e en sĂ©quences, vous avez, bien sĂ»r, compris qu'elle illustre cette aventure formidable qu'est la Vie. Nouvelle 040 _ L'oiseau du dĂ©sert C'Ă©tait au dĂ©but du mois d'avril. Nous avions rĂ©pondu tous les trois avec enthousiasme Ă  l'appel du dĂ©sert, non pour illustrer une thĂ©orie quelconque sur la survie dans un milieu hostile, ni pour une sĂ©quence de bravoure, mais pour dĂ©couvrir des sensations inconnues, Ă©prouver des sentiments nouveaux, avant tout vivre une aventure intĂ©rieure. AprĂšs plusieurs palabres avec un guide soufi pas trĂšs mallĂ©able, chez lui autour d'un cafĂ© serrĂ©, nous Ă©tions convenus que ses deux dromadaires porteraient bagages et provisions et que nous irions Ă  pied, comme lui, Ă  travers les dunes pour un circuit de huit jours. Contre une rĂ©munĂ©ration qui a paru Ă©quitable aux deux parties, nous nous en Ă©tions remis Ă  lui en aliĂ©nant totalement notre libertĂ© pour ce trajet qui aurait Ă©tĂ© pĂ©rilleux sans un accompagnateur averti. Il serait notre passeur entre deux oasis, il Ă©tablirait pour nous une passerelle sĂ©curisĂ©e d'un rivage Ă  l'autre de cette mer de sable dans laquelle Ă©taient plongĂ©s ces Ăźlots de verdure. _ Et nous Ă©tions partis ensemble directement Ă  travers l'Erg, habillĂ©s d'une gandourah blanche lĂ©gĂšre et coiffĂ©s d'un chĂšche pour nous prĂ©server du soleil et Ă©ventuellement du sable. Notre guide avançait avec assurance, droit devant lui, en tenant un dromadaire par la bride, l'autre Ă©tant reliĂ© au premier par une longe. Il avait ses propres repĂšres, des repĂšres qui nous Ă©chappaient totalement dans ce qui nous apparaissait comme une ondulation infinie de vagues immobiles quasiment toutes semblables et dont l'aspect changeait aux diffĂ©rentes heures de la journĂ©e dans le jeu imperceptible mais continu des ombres avec la lumiĂšre. Chaque jour, nous faisions plusieurs haltes soit pour nous reposer, soit pour nous restaurer. Bien avant la nuit qui, elle, tombait trĂšs vite, notre guide choisissait un emplacement pour bivouaquer et nous l'aidions Ă  rĂ©colter pour ses bĂȘtes un peu de ces plantes herbacĂ©es qui poussent on ne sait comment parmi les dunes, ainsi que des brindilles qui gisaient par ci par lĂ . Ensuite, il prĂ©parait la galette de semoule qu'il faisait cuire, aprĂšs avoir creusĂ© le sable, sur les braises des brindilles et que nous mangions sans que le moindre grain ne vienne se glisser entre nos dents. A la fin du repas, toujours frugal, il nous offrait non plus un cafĂ© mais un thĂ© bien chaud et sucrĂ©. Enfin, nous allions nous allonger dans nos sacs de couchage pour assister, avant de nous endormir, au spectacle statique de la nuit saharienne oĂč chaque Ă©toile vous semble si proche que vous voudriez la cueillir. _ C'est le troisiĂšme jour que l'Ă©vĂšnement est arrivĂ©. Au milieu de la matinĂ©e, nous avions fait une courte halte au pied d'une dune, en plein soleil, pour nous dĂ©saltĂ©rer. Nous avons soudain tendu l'oreille. Non, nous ne rĂȘvions pas, il s'agissait bien d'un chant d'oiseau ! Comment Ă©tait-ce possible dans cette immensitĂ© dĂ©sertique ? Nous avons cherchĂ© d'oĂč il venait, un long moment. Nous avons enfin remarquĂ©, posĂ© sur la crĂȘte d'une dune, Ă  une distance qui ne nous permettait pas de bien l'observer, un oiseau pas plus gros qu'une tourterelle, dont le plumage jaunĂątre se confondait plus ou moins avec le sable. Sans beautĂ© particuliĂšre, il n'avait rien pour attirer le regard. Son chant, intermittent, Ă©tait fait de deux notes sur le mĂȘme ton puis d'une autre un peu plus Ă©levĂ©e. Fa fa sol, fa fa sol. » C'Ă©tait comme une plainte versĂ©e sur ce royaume de la mort. _ Quand nous sommes repartis, il nous a suivis, seul Ă©lĂ©ment mobile, Ă  part nous et les mouches, dans ce monde minĂ©ral figĂ© oĂč il ne se passait rien. Sans doute le faisait-il depuis le dĂ©but. Mais sa prĂ©sence Ă©tait si discrĂšte que nous ne l'avions pas remarquĂ©e. Chaque matin, ensuite, notre premiĂšre prĂ©occupation Ă©tait de vĂ©rifier s'il Ă©tait bien au rendez-vous. Son chant, triste comme son corps, devenait un chant jubilatoire nous n'Ă©tions pas seuls ! Il Ă©tait pour nous comme un soutien dans cette Ă©preuve initiatique, il agissait comme un talisman, et jamais, contre tout l'or du monde, nous n'aurions troquĂ© notre place. _ Mais lui, il Ă©tait toujours seul. PlutĂŽt farouche, ou simplement timide peut-ĂȘtre, car peu habituĂ© Ă  une compagnie comme la nĂŽtre, il se tenait Ă  distance. Jamais il ne s'approchait. Quand nous arrivions Ă  une oasis, il disparaissait. Quand nous Ă©tions de nouveau loin de toute vie, inondĂ©s de sable, de lumiĂšre et de silence, il rĂ©apparaissait. Il ne servait Ă  rien, ne se mĂȘlait de rien. Il n'indiquait pas la route. Il ne soulageait pas les gorges assoiffĂ©es ni les pieds meurtris. Il ne demandait rien pour lui. Il accompagnait la caravane. Seulement. Nouvelle 041 _ Absolution Il croisa son regard dans le brouhaha d'un cafĂ© oĂč ses pas l'avaient guidĂ© pour oublier cette rupture et insupportable trahison. Il l'observa sans y prĂȘter rĂ©ellement attention, tant il avait peine Ă  Ă©merger de ce brouillard qui avait pris d'assaut son esprit et rendu prisonniĂšre toute forme de pensĂ©e cartĂ©sienne. La dĂ©marche fĂ©line, provenant du fond de la salle, elle prit place non loin de lui devant le comptoir oĂč le barman lui apportait un cafĂ©. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Comment Ă©tait-ce possible ? Ça n'avait aucun sens ! Il prit conscience, quelque peu gĂȘnĂ©, qu'elle soutenait avec douceur son regard arborant un sourire dĂ©tachĂ©. Il plongea son regard dans son verre de whisky qu'il but d'un trait. Son malaise Ă©tait-il si palpable pour qu'une inconnue en Ă©prouve une telle compassion Ă  son encontre ? Il dĂ©testait l'idĂ©e qu'on lise en lui comme dans un livre ouvert. Pour cette raison, il Ă©vitait scrupuleusement de se mĂȘler Ă  toute rĂ©union et discussion nonobstant le fait que les interminables palabres de ses contemporains lui Ă©taient insupportables. Il rageait Ă  l'idĂ©e de ne pas avoir su anticiper les Ă©vĂšnements. Il pensait pourtant diriger sa vie toute entiĂšre vouĂ©e Ă  sa passion. Une passion jubilatoire oĂč il excellait, oĂč il Ă©tait le meilleur et oĂč il se sentait libre. Il se refusait d'ĂȘtre un citoyen mallĂ©able, il ne voulait pas subir sa vie, il voulait agir sur sa vie ». Ce qu'il avait parfaitement rĂ©ussi jusqu'Ă  ce jour. Quel Ă©tait donc ce maudit grain de sable qui avait tout dĂ©traquĂ© ? Il se surprit Ă  observer avec plus d'attention cette belle inconnue s'emparer de son mobile qui la prĂ©venait d'un appel par le truchement d'une mĂ©lodie contemporaine. Il fronça lĂ©gĂšrement les sourcils puis la fixa avec intensitĂ© comme pour zoomer au plus prĂšs de son visage. Il constata avec Ă©moi la finesse de son grain de peau sans aspĂ©ritĂ© aucune. Son regard se porta sur le mouvement de ses lĂšvres, parfaitement dessinĂ©es, comparable Ă  un battement d'ailes de papillon laissant paraĂźtre par intermittence l'Ă©mail de ses dents immaculĂ©es. Lentement, il continua son exploration jusqu'Ă  son petit nez dessinĂ© en trompette qui lui donnait, pour sĂ»r, un petit air coquin. Quant Ă  ses yeux quelque peu amende dans leur forme, ils l'Ă©taient pleinement dans leur couleur. L'arrondi de son visage aux courbes parfaites, comme si Michel-Ange lui-mĂȘme les avait dessinĂ©es, lui donnait un air angĂ©lique. Il percevait cependant chez elle une dualitĂ© douce amer. Elle raccrocha et le surprit dans sa contemplation. TroublĂ© plus que de raison, ses joues semblant s'ĂȘtre transformĂ©es en plaque de cuisson tellement elles lui chauffaient, il commanda dans un rĂ©flexe puĂ©ril un double whisky et se surprit Ă  observer, d'un regard distant, l'ensemble de ses congĂ©nĂšres prĂ©sents qui ne lui inspiraient aucune sympathie. Ils Ă©taient pour lui tous coupables de quelque chose, hormis, peut-ĂȘtre, cette femme, dont il devait bien admettre qu'elle le troublait. Il ressentit une bouffĂ©e de tristesse en constatant sa disparition. Il aurait aimĂ© faire sa connaissance, Ă©changer quelques mots. Il refoula, non sans regret, cette Ă©motion. Ce n'Ă©tait pas d'une aventure dont il avait besoin mais d'un soutien. Le barman le servit. Les yeux rivĂ©s sur le liquide brunĂątre de son breuvage, il se remĂ©morait cette funeste sĂ©quence oĂč il devait retrouver son contact. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer. EntourĂ©e d'une forĂȘt de buildings dont les sommets touchaient presque les cieux, la place bondĂ©e de monde ressemblait Ă  une fourmiliĂšre. Il scannait ce dĂ©ferlement humain illustrant Ă  ses yeux l'acceptation de son espĂšce Ă  aliĂ©ner son intelligence au service de toute croyance ou ordre Ă©tabli reconnu comme tel. C'est alors qu'il l'aperçût traversant la passerelle surplombant un rĂ©seau routier plongeant telles des racines sous cette vĂ©gĂ©tation de bĂ©ton. Il but une gorgĂ©e, le regard perdu dans ses pensĂ©es. Il s'en voulait d'avoir troquĂ© le guide de ses convictions et certitudes tranchĂ©es sur le genre humain pour celui d'une approche plus empathique. Était-ce l'Ăąge qui avait semĂ© en lui cette enzyme destructrice. Il ne se reconnaissait plus. Il fallait Ă  tout prix qu'il se reprenne avant qu'il ne soit trop tard. D'un geste vif, il finit son verre, paya et se dirigea vers la sortie. Alors qu'il marchait d'un pas mesurĂ©, la dĂ©sagrĂ©able sensation de se sentir vulnĂ©rable dĂ©ferla tel un tsunami dans son esprit pour ensuite parcourir son corps. Il s'arrĂȘta et scruta la rue. Tout semblait normal. C'Ă©tait bien lĂ  le problĂšme ! Car ce qui semble n'a toujours Ă©tĂ© Ă  ses yeux que le contraire de ce qui est. Il fit demi-tour et se dirigea vers les toilettes. La chance lui souriait. Une porte donnait sur une arriĂšre cour. Il la traversa et s'engouffra dans un couloir d'immeuble d'habitations donnant sur la rue. Il se figea ! Immobile sur le trottoir d'en face, elle le dĂ©fiait de son regard envoĂ»tant. Tout devenait clair. Ce contrat, le dernier qu'il s'Ă©tait promis d'exĂ©cuter, n'Ă©tait rien d'autre que sa propre condamnation. Les bruits discrets qui lui parvenaient dans son dos, ne laissaient aucun doute quant Ă  son sort. Maintenant, il se souvenait ! Il se souvenait parfaitement de cette lĂ©gĂšre inflexion dans la voix de son interlocuteur quand il lui annonça qu'il prenait sa retraite. D'un coup d'œil circulaire, il dĂ©termina le nombre de barbouzes, comme il aimait Ă  les nommer, dont il Ă©tait la cible avant de plonger Ă  nouveau son regard dans celui de cette inconnue. Il n'Ă©prouvait aucune colĂšre Ă  son encontre. Personne ne l'avait jamais Ă  ce point troublĂ©. Était-ce celle qu'il espĂ©rait depuis toujours. Si tel Ă©tait le cas, la vie n'Ă©tait Ă  l'Ă©vidence qu'une indomptable garce. Il lui sourit. Elle dĂ©tourna fugacement son regard comme pour dissimuler son Ă©motion. Il dĂ©gaina son arme qu'il braqua sur elle. Il ne perçut aucune peur dans ses yeux, uniquement cette compassion qu'il dĂ©testait par dessus tout, mais qu'il accepta telle une absolution. L'image de ses parents lui souriant avant de s'Ă©crouler Ă  terre sous les tirs d'un dĂ©ment venu au hasard dans ce centre commercial, fut sa derniĂšre vision de ce monde de bruits et de fureur. Nouvelle 042 _ Un jour d'automne d'entre les mondes. Comme chaque annĂ©e depuis sa conversion Ă  l'Islam, Hamed s'Ă©tait rendu Ă  la mosquĂ©e pour la priĂšre du matin. Volontiers mallĂ©able aux rĂšgles de la tradition pourvu qu'elles n'entravent pas le sens profond de la rencontre, il s'Ă©tait attardĂ© chez les parents de son Ă©pouse pour leur souhaiter une trĂšs bonne fĂȘte. Au volant de sa voiture, soulagĂ© de s'ĂȘtre dĂ©robĂ© aux rites familiaux qui l'auraient obligĂ© Ă  dĂ©jeuner, il se dirigeait vers Saint-Ouen, ville ouvriĂšre aux abords de Paris, quand son tĂ©lĂ©phone mobile sonna. Une de ses amies lui apprenait que la sĂ©ance de cinĂ©ma, qu'elle avait organisĂ©e pour l'aprĂšs-midi avec quelques militants de lutte contre l'exclusion, venait d'ĂȘtre annulĂ©e en raison de l'AĂŻd El Kebir. _ A l'idĂ©e d'ĂȘtre libĂ©rĂ© quelques heures, Hamed abandonna toute vellĂ©itĂ© d'irritation malgrĂ© qu'il se souvĂźnt lui avoir exprimĂ© sa surprise quant au choix de la date en terre d'immigration musulmane. Quelques mots de regret plus tard, il engagea son vĂ©hicule vers le pĂ©riphĂ©rique intĂ©rieur sans dĂ©finir sa destination. Le plus souvent, ce vagabondage automobile sans but prĂ©cis lui donnait le temps de contempler les multiples visages de la ville et l'horizon changeant des toits qui variaient sous les couleurs du ciel. Les gris surtout, dont la flamboyance quelques fois jubilatoire des tons sur ton le tenait si bien Ă  distance de la passion dĂ©vorante de ses engagements envers les plus exclus. _ Porte de Vincennes, il s'Ă©chappa du pĂ©riphĂ©rique et pĂ©nĂ©tra dans Paris. A la vue des quelques rares arbres qui bordaient sa route, il s'aperçut que l'automne Ă©tait bien lĂ  avec ses jaunes et ses rouges dans tout leur Ă©clat. A l'Ă©vocation des saisons, sa pensĂ©e dĂ©riva vers son enfance oĂč pendant de nombreuses annĂ©es, la nature avait Ă©tĂ© son seul refuge. Instinctivement il recala son dos sur le siĂšge de conduite comme si, au seul souvenir des nombreux affĂ»ts sylvestres, il devait Ă  nouveau lover son corps entre l'humus et le feuillage d'un des nombreux taillis de la forĂȘt de Bondy. Cela faisait longtemps qu'une sĂ©quence de son passĂ© ne vĂźnt plus Ă©clairer son prĂ©sent. Il voulut s'en rĂ©jouir mais d'autres arbres aux couleurs plus sombres, des ocres et dĂ©jĂ  des bruns, lui rappelĂšrent avec tristesse que sa mĂšre avait Ă©tĂ© hospitalisĂ©e en urgence voici plusieurs jours pour un dĂ©but de dĂ©mence sĂ©nile. _ AprĂšs avoir garĂ© sa voiture dans une des rues qui dĂ©bouche sur la place de la Nation, il s'installa au Dalou, la grande brasserie Ă  l'angle de l'avenue du TrĂŽne, se roula une cigarette et commanda un cafĂ©. Pour Simon, c'est ainsi que sa mĂšre avait chargĂ© son pĂšre de le prĂ©nommer Ă  l'Ă©tat civil, lire, Ă©crire, Ă©couter, voir Ă  la terrasse d'un bistrot agissaient en lui comme un puissant sĂ©datif qui l'isolait de la fureur du monde. La terrasse du Dalou Ă©tait clairsemĂ©e. Ce jour-lĂ , aucun voisin de table n'engagerait avec lui ces interminables palabres oĂč la politique, l'Ă©conomie et le changement climatique se disputaient la paternitĂ© de l'incertitude des temps. Il sourit. PrĂ©occupĂ© par l'Ă©tat de santĂ© de sa mĂšre, il ne prendrait pas ce malin plaisir Ă  provoquer ces hypothĂ©tiques voisins en leur lançant la faute Ă  qui, je vous le demande ! ». Il sortit son tĂ©lĂ©phone, alla sur le net et s'arrĂȘta aux actualitĂ©s. Il lu qu'une Ă©quipe de chercheurs avaient pu crĂ©er un peu d'anti-matiĂšre, des atomes d'anti-hydrogĂšne, tandis qu'une autre avait dĂ©couvert une nouvelle galaxie qui baignait dans la matiĂšre noire. Il ferma les yeux et se pris Ă  rĂȘver qu'aux confins de l'univers, qui continuait de s'Ă©tendre, existait un autre monde qui avait Ă©tĂ© mĂȘlĂ© au notre avant le big-bang, parallĂšle et identique d'oĂč Ă©taient bannies Ă  jamais toute guerre, toute haine et toute souffrance. _ A l'heure de la sortie des bureaux, calĂ©s devant leur ballon de blanc ou de rouge, les vieux de la terrasse n'en finissaient pas d'observer ces trĂšs jeunes femmes qui arboraient des pantalons moulants ou des collants sans pantalons qu'elles avaient glissĂ©s dans des bottes ou des bottines. La mode conviait Ă  la surenchĂšre de la sĂ©duction en une exposition et une explosion des corps qui s'affranchissaient ainsi des saisons. Il sembla Ă  Simon que les vieux, devenus impassibles devant tant d'ostentation, avaient rejoint l'autre monde du bout de l'univers. Un homme longea le premier rang de tables de la terrasse. Il vendait le Journal des Sans-Logis. A l'appel de Simon, il se retourna. Voulez-vous boire un cafĂ© », lui dit-il. L'homme acquiesça et s'assit prĂšs de lui. Le garçon du Dalou, furieux, pesta d'arriver trop tard pour refouler celui qu'il considĂ©rait comme un intrus. Il est avec moi », dit Simon. Ce n'est pas trĂšs sympa », poursuivit-il Ă  l'adresse de son invitĂ©. Ils ne sont pas tous comme lui. Certains garçons m'apportent leur soutien en me laissant vendre mon journal parmi les tables ou en me glissant un sandwich dans la poche ». Il s'appelait Hamid et venait d'un monde au-delĂ  de la MĂ©diterranĂ©e, oĂč disait-il, tous les guides politiques, militaires et religieux avaient fait main basse sur les richesses. Dans son pays, il avait Ă©tĂ© professeur d'universitĂ© et depuis qu'il l'avait quittĂ©, la rue Ă©tait devenue sa nouvelle patrie. Les regards s'Ă©changĂšrent ensuite sans un mot. Simon-Hamed entrevit la bĂ©ance du mal-ĂȘtre. Hamid sourit, comme pour lui signifier qu'il voyait aussi sa profonde tristesse. Si vous voulez jeter une passerelle entre deux mondes, lui murmura-t-il, ne vous laissez pas envahir par votre souffrance battez-vous pour la repousser. Moi, je n'ai pas pu aprĂšs l'assassinat de mon Ă©pouse ». Il avala d'un coup le verre de vin qu'il avait troquĂ© contre le cafĂ©, remercia Simon et disparut. Le garçon du Dalou, prĂ©textant un changement de service, vint rĂ©clamer l'addition. Il est complĂštement aliĂ©nĂ©, fou Ă  lier », lança-t-il comme pour illustrer l'excuse qu'il ne parvenait pas Ă  exprimer pour justifier sa conduite. _ Non, il n'est pas fou, bien au contraire », pensa Simon qui, apercevant l'horloge de l'avenue du TrĂŽne, trouva qu'il Ă©tait temps de rendre visite Ă  sa mĂšre. Ce soir, ensemble, elle et lui affronteraient les dĂ©mons en les priant de bien vouloir rester dans leur monde ! Nouvelle 043 _ Matin de brouillard Un matin de brouillard, me promenant sur les bords de l'Orne, aprĂšs avoir traversĂ© la passerelle, je rencontrai un vieil homme. Il portait de fines lunettes Ă  montures d'acier. Son regard accrocha le mien comme un appel. _ Au niveau de sa taille, un chat se pelotonnait, blotti au chaud entre chemise et veste, boule noire dont les yeux verts et mobiles m'intriguĂšrent. Cette sĂ©quence de vie s'installa en moi et agit sur le dĂ©roulement de mes pensĂ©s tout au long de cette journĂ©e. L'ensemble de cette apparition mobilisa mon Ă©nergie au point d'aliĂ©ner mon cerveau. Quand je fermais les paupiĂšres, j'Ă©tais Ă©blouie par l'Ă©clat Ă©meraude des yeux du fĂ©lin. _ Le lendemain, au cœur de la vieille ville je revis l'homme et son chat, rue Froide, derriĂšre l'Abbaye aux Hommes, juste en face du bar-tabac. Il mendiait sous un porche. Aucun guide n'avait conduit mes pas, il me reconnut. En me voyant, l'homme rangea prĂ©cipitamment dans sa poche la main qu'il tendait Ă  ceux qui voudraient y dĂ©poser une piĂšce. _ Allez savoir pourquoi, je lui proposai de boire un cafĂ©, il accepta d'un air jubilatoire Avec plaisir – me dit-il – assis Ă  cĂŽtĂ© de vous, une femme, je me sens redevenir un homme. Merci. Dans la rue, est un mot neutre. » En retirant son bonnet de marin, il libĂ©ra une masse de cheveux gris qui se mĂȘla Ă  sa barbe. Ses lĂšvres Ă©taient fines, ses pommettes rosies par le froid et l'alcool. _ Il me raconta sa vie, Ă  la façon des Africains sous l'arbre Ă  palabres comme si il avait troquĂ© sa panoplie de pauvre pour le boubou du grillot. J'appris qu'il venait du Canada oĂč il avait enseignĂ©. Puis, perte de compagne, abandon de maison, ses pas l'avaient conduit jusqu'Ă  cette ville matraquĂ©e par la guerre et mal reconstruite, tout comme lui. Il m'avoua J'aime les chats car ils ne font que ce qu'ils veulent, dans l'instant, animĂ©s par le seul dĂ©sir de se faire plaisir, ils s'accouplent uniquement pour prolonger l'espĂšce, ils illustrent l'insouciance, presque la sagesse. Nous, nous avons besoin de rĂȘves, de sentiments, si nous gagnons un peu de bonheur, nous rĂ©coltons tellement de douleur Ă  ce jeu. Schopenhauer, vous connaissez ? D'aprĂšs lui, la vie fonctionne comme un balancier de droite Ă  gauche, de la souffrance Ă  l'ennui. GrĂące au soutien de ses propos, la souffrance m'a quittĂ© en devenant mon habitude, l'ennui demeure encore, quoique, je reste mallĂ©able J'ai l'impression que depuis notre rencontre, aprĂšs la souffrance, l'ennui serait lui aussi en train de me lĂącher. » Nouvelle 044 _ Le malentendu Le recueil ornĂ© d'un bandeau rouge Ă©tait posĂ© sur la table et semblait attendre depuis toujours. _ Elsa avait choisi cet endroit calme plutĂŽt que son petit studio sur le port oĂč les odeurs de fritures se mĂȘlaient Ă  celles de mazout des bateaux et les cris des mouettes aux interminables palabres des commerçants ambulants. Ici c'Ă©tait tout Ă  la fois paisible et chic. Elle avait longuement cherchĂ© le lieu adĂ©quat pour cette rencontre tant attendue et finalement optĂ© pour cet ancien entrepĂŽt devenu bar branchĂ©, trĂšs prisĂ© des trentenaires. Le dĂ©cor Ă©tait sobre mais original, les poutres de fer et la passerelle mĂ©tallique qui entourait l'espace en hauteur avaient Ă©tĂ© peintes en rouge. Sur les murs de briques blanchis Ă  la chaux, l'histoire du lieu Ă©tait retracĂ©e en quelques phrases Ă©crites au pinceau, illustrĂ©es de photos anciennes. Un astucieux systĂšme de cloisons mobiles garnies de plantes offrait des coins plus intimes et propices Ă  la conversation. _ MalgrĂ© la sĂ©rĂ©nitĂ© de l'endroit encore peu frĂ©quentĂ© en cette fin d'aprĂšs-midi et l'ambiance musicale apaisante, Elsa commençait Ă  se sentir fĂ©brile, sa sœur Ă©tait en retard. Elle commanda un troisiĂšme cafĂ© pour se donner une contenance et l'aider Ă  patienter. _ Elle avait troquĂ© aujourd'hui son vieux blouson contre une petite veste neuve plus fĂ©minine. Chaque dĂ©tail comptait pour ces retrouvailles avec Louise qu'elle n'avait pas vue depuis si longtemps. _ Cette sœur, de huit ans son aĂźnĂ©e, n'avait pas Ă©tĂ© d'un grand soutien durant ces difficiles derniĂšres annĂ©es. Pourtant, Ă  la mort de leurs parents, Louise aurait bien voulu devenir son guide sur le chemin de l'adolescence, la former Ă  son image, mais, n'ayant pas grandi ensemble, elles se connaissaient mal et Elsa n'avait pas un caractĂšre mallĂ©able. Louise lui reprochait de rĂȘver au lieu d'agir, et Elsa refusait de se laisser aliĂ©ner par son conformisme bien pensant. Elles avaient ainsi fini pas s'Ă©loigner vraiment l'une de l'autre, Elsa le regrettait car elle sentait l'indiffĂ©rence et mĂȘme le mĂ©pris de sa sœur qui ne lui faisait pas confiance. _ Enfin, cette fois, Louise avait rĂ©pondu Ă  son appel quand Elsa avait Ă©voquĂ© une nouvelle importante et mĂȘme annoncĂ©, avec une intonation mystĂ©rieuse, la prĂ©sentation de Jehan ». Elle allait enfin pouvoir prouver Ă  son aĂźnĂ©e qu'elle avait Ă©tĂ© capable de rĂ©ussir quelque chose dans sa vie. _ Elsa fixait les carreaux de verre colorĂ©s de la porte d'entrĂ©e lorsque celle-ci s'ouvrit brusquement. En voyant enfin apparaĂźtre sa sœur, elle sentit aussitĂŽt monter en elle une fiertĂ© jubilatoire qu'elle n'avait jamais imaginĂ©e, elle en tremblait d'Ă©motion. _ Louise entra rapidement, essoufflĂ©e. Elle regarda Elsa en Ă©bauchant Ă  peine un sourire, et chercha aussitĂŽt du regard autour d'elle une autre personne. Visiblement, elle avait couru et semblait dĂ©jĂ  regretter sa prĂ©cipitation. Constatant l'unique chaise vide Ă  cĂŽtĂ© d'Elsa, elle cachait mal sa dĂ©ception et son agacement. Elle s'assit en soupirant tout en vĂ©rifiant les messages de son tĂ©lĂ©phone, et posa nĂ©gligemment son sac sur la table. _ D'un seul coup, Elsa compris qu'elle ne pourrait jamais lui prĂ©senter Jehan ». Sa fĂ©brilitĂ© joyeuse se transforma en angoissante solitude. Elle se sentit prise au piĂšge d'un trĂšs mauvais film, et se mit Ă  souhaiter de toutes ses forces la fin de cette sĂ©quence. _ Elle rangea discrĂštement le livre dans le grand sac posĂ© Ă  ses pieds. Nouvelle 045 _ une passerelle en forĂȘt Je l'ai amenĂ©e dans ce lieu qui offre un magnifique point de vue et oĂč son amour des arbres aurait pu la conduire. J'ai Ă©tĂ© une guide parfaite. Nous sommes ensemble, nous les deux sœurs, Ă  quelques pas l'une de l'autre, sur la passerelle, au cœur de la forĂȘt de feuillus. Nous admirons les branches, les Ă©corces, les verts infinis des feuillages. Elle est en confiance. Je suis sĂ»re qu'elle goĂ»te chaque seconde qui s'Ă©coule comme elle goĂ»terait un vin rare ou un cafĂ© serrĂ©. Je parie qu'elle me remerciera d'un baiser ou d'un sourire, si je lui en laisse le temps. _ Je la regarde. Elle reste bouche bĂ©e, admirative de cette nature luxuriante Ă  laquelle elle aliĂšne sa rĂ©serve et sa pudeur. Elle semble s'Ă©tourdir des senteurs vĂ©gĂ©tales. Je suis certaine qu'elle a oubliĂ© le mauvais tour qu'elle m'a jouĂ©, il y a plus de vingt ans. Moi, je n'ai pas oubliĂ©, mĂȘme si ma vie semble avoir suivi un cours plutĂŽt heureux. Je n'ai pas l'esprit mallĂ©able ni le pardon facile. Je ne me suis jamais illustrĂ©e par une tendance naturelle Ă  excuser les fautes. Mon mobile est la vengeance. J'ai rĂ©pondu Ă  l'appel de la rancune. Il me fallait agir et je m'apprĂȘte Ă  le faire une nouvelle fois. _ Je la regarde. Femme bĂ©ate devant des merveilles naturelles. Femme vieillissante et fragile. J'entends sa voix aigrelette, ses 'oh', ses 'ah', ses 'fantastique, Mimie'. Je vois son index trembler en dĂ©signant un Ă©cureuil qui grimpe sur un tronc. J'ai froid, je frissonne. Combien de fois faudra-t-il que je lui dise encore que j'ai horreur de ce surnom de 'Mimie' que je trouve tellement ordinaire ? _ N'est-ce pas fantastique, Mimie ? Aussi fantastique que les marmottes dans la montagne ? » J'acquiesce d'un petit oui », assorti d'un hochement de tĂȘte. J'attends mon heure pour passer Ă  la sĂ©quence suivante de mon scĂ©nario. Je considĂšre la patience comme le plus grand trĂ©sor qui m'appartienne et je ne la troquerais contre aucune autre qualitĂ©. Je la regarde encore, je ne m'en lasse pas. J'essaye de m'imprĂ©gner au mieux des dĂ©tails de cet instant. Mon cœur bat plus vite, ma bouche est plus sĂšche. Elle lĂšve la main. Elle montre un tronc dĂ©formĂ©. On dirait un ours » Elle ajoute Approche-toi. Viens voir d'ici, Mimie » _ Je n'ai rien oubliĂ©. Pendant toutes ces annĂ©es, j'ai pris des acomptes sur ma revanche, sans jamais me dĂ©courager. J'ai omis de l'informer du poste qui s'ouvrait Ă  la banque, j'ai rĂ©pĂ©tĂ© Ă  une amie commune toutes les calomnies qu'elle propageait Ă  son propos. C'Ă©taient lĂ  des effets de ma rancune et non de mon Ă©tourderie. Jamais, pourtant, je n'ai voulu m'engager dans des palabres ! Je ne bronche pas. J'Ă©value. Je pĂšse mes mots. Je parle enfin Quel est le prix d'un moment comme celui-ci ? » Interrogation perfide et jubilatoire. _ Mais qu'est-ce que tu me chantes lĂ  ? » _ Je rĂ©plique Oui, quel est le prix Ă  payer pour de tels instants ? Dans la vie, tout a un prix » Il y a un silence. Un silence d'insectes bourdonnant, de vent lĂ©ger. Je redis Quel est le prix de ces instants ? » Elle sourit. Elle n'a pas saisi oĂč je voulais en venir. Nous sommes deux, seules avec les arbres, les insectes, les Ă©cureuils. Je m'approche d'elle comme elle me l'a demandĂ©. Je fais ce que j'ai pensĂ© faire. Je feins de trĂ©bucher, je la pousse violemment et elle bascule dans l'escalier. Une scĂšne que j'ai imaginĂ©e des dizaines de fois depuis que je connais cet endroit ! Ça a juste fait plok » _ Durant quelques secondes, je prends le temps de savourer le spectacle. Je la vois remuer comme une souris qui tenterait d'Ă©chapper Ă  un chat, trembler de tous ses membres, puis au bout d'un temps interminable s'immobiliser. Elle a payĂ© ! Je suis apaisĂ©e comme je peux l'ĂȘtre aprĂšs un bain tiĂšde. Je vais vers elle. Je la prends sous les bras pour tenter de l'asseoir contre la rambarde. Elle ne bouge plus ! Je la regarde. Elle est pĂąle et son visage est fermĂ©. Je lui masse le bras. Je murmure Françoise, Françoise ! » Aucune rĂ©action, mĂȘme pas un soupir ou un petit mouvement des paupiĂšres. Au bout de quelques minutes, je dis Reste lĂ  Françoise. Ne bouge surtout pas. J'appelle les secours ». Une voix posĂ©e de mĂšre bienveillante qui offre un soutien Ă  son enfant. Je mĂȘle l'apparence de la bontĂ© Ă  ce fond de mĂ©chancetĂ© qui m'a poussĂ©e Ă  l'action. _ Je descends en courant vers le parking. On n'arrĂȘte pas une femme meurtrie dans ses sentiments. Françoise, ma grande sœur, me viennent alors plein d'images de toi, de mauvais souvenirs de nous deux. En l'absence de Papa et de Maman, tu n'avais pas le droit d'exiger que je recopie mes devoirs, que je mange mes repas jusqu'Ă  la derniĂšre bouchĂ©e ! Puis, vient seulement une pointe de regret faute de pouvoir pardonner, j'aurais dĂ» couper tout contact avec toi ! _ Mon regard fixe un point lointain, la clairiĂšre oĂč j'ai laissĂ© la voiture et passage obligĂ© pour l'ambulance. Pour moi, l'important est d'ĂȘtre allĂ©e jusqu'au bout de ma vengeance, de l'avoir fait souffrir comme elle m'a fait souffrir quand elle a prĂ©sentĂ© GĂ©rard, le prince charmant de mes vingt-cinq ans, Ă  sa trop jolie copine. Pas un jour de ma vie, en effet, sans que je ne vive avec des si », sans que je ne m'y cramponne Ă  la moindre querelle avec Claude, mon Ă©poux. Si j'avais Ă©pousĂ© GĂ©rard, ma vie ne serait-elle pas plus passionnĂ©e, plus amoureuse, plus douce ? _ À bout de souffle, j'arrive Ă  l'entrĂ©e de la clairiĂšre. Je reste un bon moment Ă  haleter, appuyĂ©e contre un vieux chĂȘne. Lorsque l'ambulance apparaĂźt, je reprends contact avec la rĂ©alitĂ© et me mets Ă  espĂ©rer que Françoise survive. J'agite les bras pour montrer que c'est bien moi qui ai appelĂ©, je monte Ă  bord et j'indique aux ambulanciers la direction Ă  prendre. J'imagine qu'ainsi les apparences seront sauves ! AprĂšs quelques minutes, quand je croise le regard des ambulanciers, je comprends que mon jugement a Ă©tĂ© juste et que leur intervention a Ă©tĂ© inutile. C'est fini. Elle est dĂ©cĂ©dĂ©e sur le coup. » _ Ce jour-lĂ , pour la premiĂšre fois, je suis allĂ©e trop loin dans l'assouvissement de ma vengeance et j'en Ă©prouve une sorte de remords obsĂ©dant. Nouvelle 046 _ C'que j'aime C'que j'aime? Mon p'tit cafĂ© qui n'paye pas de mine, coincĂ© entre la passerelle du marchĂ© et la rue du grand Charles. On s'y retrouve avec les poteaux, Ă  jouer au TiercĂ© et qu'ça cause et qu'ça palabre tout azimut les cotes des canassons, le PSG qui sombre ou le JT du 13h. Nous, qu'on prĂ©fĂšre la Ferrari au Pernaud car comme dit Toine Mieux vaut un bon rouge clinquant qu'un p'tit jaune diluĂ©! » Oh le Toine, un vrai personnage, Ă  raconter les anecdotes comme personne, avec son phrasĂ© des grandes Ă©coles, il rĂ©pĂšte Ă  tout-va Jubilatoire! Jubilatoire! » pour se faire mousser. Agaçant! Avec Toine, on n'est pas des lumiĂšres mais on sait d'quel bled on s'cause. On est parti ensemble Ă  la guerre des Yougo. J'n'y ai pas gagnĂ© grand chose mais le Toine, il y a laissĂ© sa main gauche. D'ailleurs qu'le toubib, il lui a troquĂ© contre un crochet mobile. Pauv' Toine, deux semaines durant, il n'imprimait pas qu'sa main c'Ă©tait du vent! Il souffrait le martyre. Et le Doc qui jacassait C'est le syndrome des membres fantĂŽmes, mais ne vous bilez pas les gars, le cerveau est plastique et mallĂ©able. » Pff, j'lui en foutrais du mallĂ©able, c'est son grappin qu'est devenu plastique! _ Ah! Les barres de rire avec les copains quand il harponne son demi et qu'ça bling-bling dans tout le troquet Bah Toine! tu nous mĂȘles le glas et l'angĂ©lus? Ou p't-ĂȘtre ben qu'c'est les Ă©pousailles
 T'es avec la rousse ou la blonde? ». Et puis Fred qui y rajoute Jubilatoire! Jubilatoire ! » juste pour l'faire rager. Alors, pour n'pas paraĂźtre misĂ©rable, il la raconte la sĂ©quence. Agir ou pĂ©rir » qu'il commence toujours. J'nichais au quatriĂšme Ă©tage d'un immeuble Ă  Dobrinja, les balles sifflaient dans les esgourdes, piĂ©gĂ© comme un rat dans l'embuscade. Le temps Ă©tait salement lourd, mon guide avait dĂ©guerpi et j'Ă©touffais sĂ©vĂšre. Mais Ă  rester trop longtemps r'nifler l'air pur, c'est un plomb assurĂ© en pleine caboche, canardĂ©e par un coyote slave. Alors, j'faisais l'essuie-glace entre les lucarnes et les senteurs putrides des arriĂšre-salles, quand je vis le gosse ou p't-ĂȘtre ben d'abord la grenade. J'allais pour prendre le mĂŽme mais j'ai saisi la bombe. Et Boum! J'ai illustrĂ© rouge cramoisi toute la bicoque. Fausse donne! Le gamin Ă©tait sauf et j'ai perdu la main ». _ Brav' Toine, il l'mĂ©rite son quart d'heure d'exploit, j'sais bien que c'est foutaise mais quoi? C'est mon pote, j'n'vais tout de mĂȘme pas dĂ©baller qu'le Toine y s'est broyĂ© la main tout seul pour s'esquiver de cette saloperie de conflit. Et quoi encore? Qu'la gangrĂšne a pris dedans et qu'on lui a coupĂ© la paluche! T'inquiĂšte Toine, soutien sans faille! Moi, j'l'entends ton appel au silence et j'sais qu'Ă  chaque fois qu'tu choppes trop la pinte, c'est pour la fois oĂč t'as cisaillĂ© ta pogne. Tu n'voulais pas t'aliĂ©ner Ă  la boucherie, t'voila accoutumĂ© Ă  la picole. Mais comme tu l'jases si bien J'm'aime mieux 'Ă  croc' que canĂ© chez les Yougo. » Jubilatoire! Jubilatoire! Nouvelle 047 _ Maman dĂ©raille A tous les enfants du monde entier. NoĂ«l approche, Sophie, 13 ans, se fait offenser par sa mĂšre pour avoir rĂ©clamĂ© son cadeau. La scĂšne se passe tĂŽt le matin Ă  la table du petit-dĂ©jeuner. _ ? BientĂŽt c'est NoĂ«l maman, que vas-tu m'offrir cette annĂ©e ? _ ? Quoi ? _ ? C'est bientĂŽt NoĂ«l ! _ ? Et ? Et ben il fait encore trĂšs tĂŽt pour aborder des palabres Sophie. Mange. Il y a aussi du lait si tu en veux pour ton cafĂ© ; aprĂšs le repas je vais mettre un peu d'ordre dans cet appartement. Tu sais, tes grands parents doivent nous rendre visite demain dimanche ; hier ils avaient plusieurs tĂ©lĂ©phonĂ© fois Ă  notre absence sans laisser aucun message, mais par coup de chance je suis tombĂ©e sur leur dernier appel quand je rentrais du parking. C'Ă©tait ta mamie qui Ă©tait Ă  l'autre bout du fil » et elle voulait me prĂ©venir de leur visite. Tu vois bien que mes deux parents m'adorent encore ! Et tu disais quoi du noĂ«l, si c'est Ă  propos des cadeaux je te jure que tu n'en auras pas cette annĂ©e. _ ? Et pourquoi maman ? _ ? Il n'y a pas de pourquoi Sophie. A l'Ăąge de 13 ans tu agis encore comme une enfant de 5 ans. N'es-tu pas encore consciente de notre condition de vie dĂ©sastreuse. L'Ă©lectricitĂ©, le gaz, le loyer, tes Ă©tudes et ton habillement, c'est moi seule qui les paie tous en tant que simple gĂ©rante de parking. Tu ne sais pas que toutes ces dĂ©penses aliĂšnent l'Ă©conomie. Tout allait mieux encore en harmonie quand ton pĂšre et moi vivions ensemble sous le mĂȘme toit, car c'Ă©tait lui qui prenait tout en charge, les plages, les piscines et mĂȘme les restaurants. Mais un beau matin cette sĂ©quence a pris fin. Il s'est enfui quand tu avais encore deux ans, et personne ne sait oĂč il est parti, il ne tĂ©lĂ©phone pas et n'envoie pas de lettres non plus. Et dĂšs ce jour j'ai bien su que j'allais ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă  de telles difficultĂ©s tĂŽt ou tard. C'est pourquoi je voulais t'envoyer Ă©tudier la musique Ă  l'institut des arts, car je voyais en toi une future vedette dont le talent allait illustrer le monde entier mais finalement j'ai Ă©tĂ© trĂšs convaincue que tu n'as ni le courage ni cet esprit aussi mallĂ©able pour conquĂ©rir la cĂ©lĂ©britĂ© _ ? Ça va maman. Ça ne vaut pas le coĂ»t d'exhumer vos sinistres histoires Ă  toi et Ă  papa. Ce n'est pas de ma faute que tu n'as pas de soutien pour nourrir la famille, c'est la faute Ă  papa, lui qui nous a abandonnĂ©es dans cette merde ; lui qui devait nous servir d'exemple et surtout de guide pour fonder le plus beau foyer du monde _ ? Voila que tu commence Ă  comprendre ma fille. Si tu veux vraiment avoir un cadeau Sophie tu vas devoir troquer un de tes anciens jouets avec une amie pour en avoir un nouveau, tu n'as pas encore ton truc mobile, je ne sais pas comment vous l'appelez entre enfants, ce que je t'ai achetĂ© le PĂąques dernier. Ou il n'y a pas encore ton ancienne marionnette, celle qui ressemble Ă  un vieil humoriste au visage plein de sourire jubilatoire. Elle me plaĂźt celle-lĂ , surtout quand tu la mettais en marche, on dirait un vieillard courbĂ© le long d'une passerelle _ ? Oui je comprends maman. On n'en parlera plus ! Nouvelle 048 _ Shorts Messages SĂ©quence SMS Clem, je garde en mĂ©moire joyeux souvenirs, _ Dans l'avion retour vers le vieux continent. _ De palabres futiles en dĂ©bats passionnants _ Ne trouvez-vous pas au monde un bel avenir ? » _ Monsieur William, mercis de ce mignon MMS. Mon mobile et ma mobilitĂ© mallĂ©ables m'amĂšnent Ă  imaginer mille moments mĂȘlĂ©s sur le mĂȘme moule. » _ Agissons Belle Camarguaise. Disons En Face Galerie Hector Ivry. Jean Kaki, Le Monde, Nouvel Observateur Pour Que Reprennent Souvenirs du Temps d'Un Voyage. William. Xxx » _ Troquez ce rendez-vous imaginaire et votre jean kaki, _ Reprenez vos esprits et votre agenda _ Et illustrez-moi un plan Mappy et vous dans un acte de bravoure _ Que diriez-vous de partager de nouveau l'actualitĂ© et un cafĂ© ? » _ Non. Comme les passerelles de Minneapolis Ă  un ensemble de gratte-ciel, je suis juste aliĂ©nĂ© Ă  vos deux messages et Ă  mes nombreux souvenirs de vous. Je veux rester au septiĂšme Ă©tage et au ciel du mĂȘme nombre. » _ Consulte ta raison ; prends sa clartĂ© pour guide. MoliĂšre » _ Dois-je considĂ©rer mon cœur vaincu ? Soit pour un rendez-vous ClĂ©mentine ; je vous laisse le choix dans la date. » _ Galabiat, j'ose espĂ©rer encor ceans que votre missive contra pesteries d'Hui n'est qu'une farcerie lacrimable, une estourderie fumeuse ou une coquardie maldisante. Si non, vous n'ĂȘtes qu'un valdenier et un sottard. A la revĂ«oire. Ou A-Dieu. » _ DĂ©placĂ©es excuses pour ces mille messages. _ RĂ©sister avec les mots est pour moi longtemps douteux que je n'aie su jouer tellement Ă  cette plaisanterie d'un goĂ»t jubilatoire. » _ William, Assez ras le bol marre basta c'est fini trop c'est trop je jette l'Ă©ponge j'arrĂȘte je n'en peux plus j'arrive Ă  satiĂ©tĂ© Ă  saturation totale je suis gavĂ©e de vos EXERCICES DE STYLE . Vou ne pouvĂ© pa envoyĂ© un texto bourĂ© de fĂŽte ou en françé parlĂ© com tou le monde ? Ou me tĂ©lĂ©phoner tout simplement ? » _ Clem DĂ©solĂ©. Je vais avoir besoin de soutien. Je me cache sans cesse derriĂšre ces messages car dans toutes nos conversations, nos Ă©changes, nos Ă©clats de rire, il y a une chose que je n'ai encore jamais osĂ© vous dire ou Ă©crire. Je vous aime. » _ Mais moi aussi imbĂ©cile !! J'attends ton appel. ClĂ©mentine. » Nouvelle 049 _ InfĂąme une femme Mon mec devra aimer Godard. Enfin, quand je dis ça, je veux plutĂŽt dire qu'il devra envisager la vie comme un enchaĂźnement de sĂ©quences godardiennes. Style, on sera posĂ©s ensemble au cafĂ©, il me prendra la main, on ira danser le madison avec pour bande-son celle d'un vieux jukebox sixties, sous le soleil exactement. Ou alors, toujours au cafĂ©, il aura le goĂ»t des palabres et moi je l'Ă©couterai, je poserai des questions et il rĂ©pondra, et puis clac, silenzio, on aura troquĂ© la rĂ©alitĂ© pour un moment de cinĂ©ma. _ J'aime me perdre dans des considĂ©rations idĂ©alistes. Au moins, je corresponds Ă  mes propres attentes, Moi s'en trouve flattĂ©. L'appel de la rĂ©alitĂ© ne tarde jamais. Le matin je me lĂšve, je prends le mĂ©tro, le ciel est grimaussade, plaisir de mon pied qui s'Ă©crase sur la feuille morte, tout est cyclique et je me fais chier, je me mĂ©prise de coller parfaitement Ă  l'image de la prose adolescente. Mais je continue, tout est mobile alors il doit y avoir du sens, m'enfin comme dit Camille, j'ai remarquĂ© que plus on est envahi par le doute, plus on s'attache Ă  une fausse luciditĂ© d'esprit, avec l'espoir d'Ă©claircir par le raisonnement ce que le sentiment a rendu trouble et obscur. » A bon entendeur, quoi. _ Aujourd'hui j'ai abordĂ© un mec dans la rue, j'aime le faire parfois. Physiquement, il correspondait Ă  mon genre, quoi qu'un peu trop lippu. On est allĂ©s boire un verre, c'est lui qui m'a emmenĂ©e dans un endroit ; j'aime quand c'est pas moi qui choisis, c'est bien d'avoir un guide. On a traversĂ© une passerelle. C'est pas juste un dĂ©tail, parce que quand on s'imagine la scĂšne, on a juste Ă  penser au long travelling oĂč j'aurais les cheveux au vent et la moue de profil de la fille qui sait pas oĂč elle va. L'inconvĂ©nient de l'Ă©criture, et lĂ  je me pose dĂ©jĂ  en vieille conne pontifiante, c'est que quand on exprime sa pensĂ©e en mots, mĂȘme si l'idĂ©e est belle, le mot tombe difficilement juste. Je prĂ©fĂšre le cinĂ©ma. Bref. C'Ă©tait jubilatoire de voir ce mec en face de moi, l'anxiĂ©tĂ© et le verbe gicler de son corps de maniĂšre plĂ©thorique pour contrer l'Ă©ventuel blanc. J'ai pas de problĂšme avec ça. Je me sens assez confortable avec les blancs. Je regarde la personne intensĂ©ment, elle croit que je pense Ă  quelque chose en particulier alors que j'ai cette grande facultĂ© de pouvoir agir sans penser. C'est pas donnĂ© Ă  tout le monde. Et donc, alors qu'il commençait Ă  s'empourprer de ne rien trouver Ă  dire, je lui ai demandĂ© _ Pourquoi est ce qu'il faut toujours parler », _ il a rien dit, c'Ă©tait une bonne rĂ©ponse. _ Alors, Ă  ce moment prĂ©cis, je me suis dit qu'il n'y avait encore une fois aucune cohĂ©rence Ă  ce qui Ă©tait en train de se passer. J'ai eu envie de faire pause, freeze, de regarder autour, lĂ  oĂč on Ă©tait, voir si les gens pensaient comme moi. J'ai du les regarder pendant une minute, sans les juger parce qu'il faut pas, boire leur coca et se draguer, se contant fleurette/s'Ă©changeant leurs 06 barrer la mention inutile, le sourire prĂ©dateur et le corps puant le dĂ©sir alĂ©atoire, tous aliĂ©nĂ©s qu'ils Ă©taient, et puis j'ai essayĂ© d'en revenir Ă  lui. C'Ă©tait mĂȘme pas une rencontre, juste un agrĂ©gat de solitudes. Le mec avait l'air de plus en plus mal Ă  l'aise mais sous le charme, aussi. Enfin je dis ça, j'en sais rien. Il m'a fait penser Ă  un vieux bout de patafix, je l'ai senti mallĂ©able, capable de se coller, random poster, Ă  n'importe quel mur. Lui aussi a besoin d'un soutien, parce qu'il est dans le doute comme moi, alors Ă  quoi bon. _ On est sortis et il pleuvait. Non, en vrai, il ne pleuvait pas. Il a cherchĂ©, et objectivement c'Ă©tait touchant, Ă  me prendre la main. J'ai pas voulu donc ; il a pas Ă  se mĂȘler de ma vie plus que ça. Je lui ai demandĂ© quelle ambition il avait dans la vie, illustrer des albums pour enfants, j'ai trouvĂ© ça nul. Il m'aurait dit, devenir immortel et mourir », je l'aurais embrassĂ©, mais lĂ  je me suis juste dirigĂ©e vers la passerelle. Il a du rester plantĂ©, _ fondu enchaĂźnĂ©. Nouvelle 050 _ Rencontres Elle gisait lĂ  avec l'Ăąme en peine _ Elle, c'Ă©tait Marine. Elle Ă©tait partie de bon matin pour aller boire un cafĂ© avec Sarah, une amie. Elle avait essayĂ© en vain de troquer ses pantoufles de femme enceinte pour des bottines Ă  talons. Mais elle avait dĂ» se rĂ©signer Ă  sortir avec des vieilles chaussures de sport. AprĂšs tout, cela illustrait bien sa condition de femme en fin de grossesse ! Elle se rassura. Il lui restait moins de trois semaines Ă  tenir. AprĂšs neuf longs mois passĂ©s ensembles, ils se sĂ©pareraient bientĂŽt pour vivre une toute autre relation. Pendant la grossesse elle Ă©tait Ă  la fois si proche et si loin de son bĂ©bĂ©. Elle avait hĂąte de le rencontrer pour de vrai ». _ Son amie Sarah revenait d'un voyage d'un an en Australie et ne l'avait donc pas encore vu enceinte. Ces retrouvailles allaient ĂȘtre jubilatoires et mĂȘme plus que cela. Leur euphorie allait sĂ»rement atteindre des sommets ! Cette annĂ©e fut longue pour les deux femmes qui ne s'Ă©taient presque pas quittĂ©es depuis l'enfance. Marine se remĂ©morait leur derniĂšre soirĂ©e, transformĂ©e en palabre, oĂč l'une essayait de retenir l'autre et l'autre argumentait sur son besoin de partir. _ Marine marchait aussi vite que son gros ventre le lui permettait. Elle venait de traverser la passerelle piĂ©tonne, quand elle la vit de l'autre cotĂ© de la route. Elle lui fit signe puis traversa, faisant confiance au feu piĂ©ton vert. Elle Ă©tait trop impatiente et oublia de regarder Ă  droite puis Ă  gauche. Elle entendit le crissement des pneus, vit son amie se pĂ©trifier, senti le choc de la voiture contre elle et perdit connaissance. _ Elle gisait lĂ  avec l'Ăąme en peine, reprenant connaissance. Son ventre Ă©tait vide. Elle ne ressentait pas grand-chose tant son corps Ă©tait douloureux. Mais, ça, elle le savait. Son bĂ©bĂ© n'Ă©tait plus dans son ventre. Elle en Ă©tait sĂ»re. On lui avait enlevĂ©. Son corps et sa facultĂ© Ă  mettre au monde son bĂ©bĂ© venait d'ĂȘtre aliĂ©nĂ©s par un J'aurais envie de dire » par un monstre », mais ce n'Ă©tait pas du tout le cas. C'Ă©tait une personne banale se croyant invincible. Un homme, comme vous et moi, persuadĂ© que rien de grave ne pouvait lui arriver. Il avait dĂ©crochĂ© son tĂ©lĂ©phone mobile et n'avait pas fait attention au feu qui lui indiquait de s'arrĂȘter. Il n'avait pas vu Marine qui traversait la route. _ Elle gisait lĂ  et personne n'avait encore vu qu'elle se rĂ©veillait. Elle n'avait pas entendu l'appel de son bĂ©bĂ©. Ce petit ĂȘtre dont elle ne connaissait pas encore le sexe. Elle et son mari, Olivier, avaient voulu garder la surprise. Elle n'avait pas entendu cet appel. Ce cri qui dit Je suis en vie ! Prends-moi contre toi. » OĂč Ă©tait son bĂ©bĂ© ? Etait-il vivant ? _ Soudain un visage se pencha au dessus de sien. _ ? Bonjour, je suis Catherine, une sage-femme. Vous m'entendez ? _ ? Oui. _ ? Vous ĂȘtes en salle de rĂ©veil. Nous avons dĂ» vous faire une cĂ©sarienne d'urgence. Vous aviez une hĂ©morragie au niveau du ventre. L'Ă©quipe mĂ©dicale a dĂ» agir. Vu que vous Ă©tiez dans le neuviĂšme mois, le bĂ©bĂ© ne risquait presque rien. _ ? Il va bien ? _ ? Oui. Il n'a rien eu pendant l'accident. C'est un petit miracle. Vous aussi, vu les circonstances, vous vous en sortez bien. En ce moment, il est avec son papa. _ ? Je veux le voir. » _ Catherine parti. Elle revint quelques minutes plus tard accompagnĂ©e d'Olivier. Il avait d'immenses cernes, le visage humide de larmes et tenait un bĂ©bĂ© dans les bras. _ ? C'est une petite fille » dit-il avec Ă©motion. _ Il lui tendit sa fille, mais Marine eu un mouvement de recul. Tout Ă©tait si irrĂ©el. La naissance qu'on lui avait volĂ©e et l'accident se mĂȘlaient. Cette premiĂšre aurait du ĂȘtre heureuse et mĂ©morable ; hors il n'en restait rien, exceptĂ© peur et souffrance. Quant Ă  ce dernier, il lui revenait par flashs, comme des sĂ©quences d'un film oubliĂ© qui resurgiraient brusquement. Elle ne pouvait pas prendre ce bĂ©bĂ©. Elle n'arrivait pas Ă  se rendre compte que c'Ă©tait le sien. Catherine lui attrapa les mains et lui dit _ ? C'est dur. Je sais. Mais elle a besoin de vous et vous avez besoin d'elle. » _ Marine la regarda droit dans les yeux et se mis Ă  pleurer. La sage-femme la prit dans les bras. Marine avait l'impression d'ĂȘtre une petite chose fragile et mallĂ©able. A cet instant, quiconque aurait pu finir de la dĂ©truire irrĂ©mĂ©diablement. Mais Catherine ne lui voulait aucun mal. Elle Ă©tait comme un guide bienveillant qui ramenait les Ăąmes Ă©garĂ©es chez elles. GrĂące Ă  son soutien, elle pouvait laisser partir ses peurs, sa douleur et sa colĂšre. GrĂące Ă  son soutien, elle sĂ©cha ses larmes et tendit les bras vers son bĂ©bĂ©. Olivier lui dĂ©posa contre son torse. _ Catherine proposa Ă  Marine de prendre sa fille en contact peau contre peau. Elle lui expliqua que cela serait bĂ©nĂ©fique pour tisser des liens avec elle. Marine hĂ©sita puis fini par accepter. _ La petite se rĂ©veilla et s'agita. Elle vint se coller contre le cou de sa mĂšre. Puis, animĂ© par son instinct, elle essaya de ramper sur le corps de sa mĂšre. Marine entendit Catherine lui murmurer Quelle force de vie ! Laissez-la faire ! On voit souvent ça chez les bĂ©bĂ©s nĂ©s naturellement, mais rarement dans de telles conditions. Laissez-la faire ! Elle cherche votre sein. » _ Et elle le trouva. Elle ouvrit la bouche et se mit Ă  tĂ©ter. A ce moment prĂ©cis, Marine comprit que personne ne pourrait plus lui voler d'instant avec sa fille. Nouvelle 051 _ L'avenir, c'est maintenant ? FrigorifiĂ© mais obstinĂ©, il est emmitouflĂ© dans une Ă©paisse parka rĂąpĂ©e qu'il a dĂ» troquer contre une corvĂ©e. Le printemps dĂ©bourre des bourgeons d'avril, on est dĂ©jĂ  loin des fortes gelĂ©es, mais t'as froid quand t'as faim. On ne voit que lui sur la dune. Il ausculte le ciel et intĂ©riorise le vol en saint esprit » de la sterne criarde suspendue dans le vent. Drones de l'imaginaire, les oiseaux considĂšrent la dĂ©tresse de plus haut. _ Devant lui, l'Angleterre, cicatrice calcaire sur l'horizon. Si prĂšs. Si loin. Il ira. Il doit y aller. Ou mourir. De temps Ă  autres, par sĂ©quences machinales, il dĂ©clame des bribes de conversation pĂȘchĂ©es dans son guide kabĂŽli-anglais une vingtaine de feuillets, pliĂ©s, dĂ©pliĂ©s, mĂąchĂ©s par une fiĂšvre quotidienne. Son tailleur n'est pas riche mais, lui, tient son passeport pour la fortune Full-time job ? Yes ? » Des expressions vitales ont traversĂ© les frontiĂšres dans sa poche. Elles ont parcouru combien ? dix mille kilomĂštres au bas mot si tu comptes les ratĂ©s, les hĂ©sitations, les erreurs de road-book sur les sentiers de l'errance. Et les kilomĂštres de surplace, les passeurs indĂ©licats, les polices zĂ©lĂ©es, les bakchichs, les palabres interminables. Les dĂ©trousseurs. _ Il s'exclame dans le vent. Slow but sure 
 des formules toutes faites qui l'amusent. Sure ! » Les goĂ©lands n'y pigent rien. L'anglais ne les fait pas rire
 Contrairement Ă  ce que pensent les gens heureux, les goĂ©lands ne rient pas. Ils hurlent, menacent, dĂ©noncent. On leur a volĂ© quoi ? Ils crient leur frĂ©nĂ©sie. Le ballet agressif de ces rapaces palmĂ©s, hautains, moqueurs et sans pitiĂ©, illustre le combat perpĂ©tuel pour la pitance. _ J'aurais pu me payer une retraite pĂ©pĂšre sur la cĂŽte », au bord de toute la bleue, bordĂ©e de sable dorĂ© lavĂ© Ă  la main tous les matins ; comparer les yachts dĂ©daigneux des nababs du pĂ©trole et chercher l'ombre exotique des palmiers de la baie. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© les galets, les dunes, le vent qui te transperce les abattis, les chars Ă  voile, les cerfs-volants. Et les mouettes avides qui se balancent, assises sur la bosse des vagues. Et les Ă©pagneuls bretons qui puent le chien mouillĂ© Ă  l'eau de mer. Et les gros popotins de la boulonnaise – la race – qui galopent Ă  marĂ©e basse. Et la chaleur au charbon des bistrots du nord oĂč t'as toujours l'impression d'avoir une famille en rab' et un cafĂ© qui t'attend. _ J'ai choisi les furies du Pas-de-Calais et le sable grossier qui roule sous le pied du malin les jours d'intempĂ©ries. C'est lĂ  que je l'ai trouvĂ©, essayant de conjuguer son futur en anglais. Il a pris peur. J'Ă©tais l'inquiĂ©tude. Un peu gĂȘnĂ©, je lui ai fait un signe complice, genre coucou, j'suis pas flic. » À peine rassĂ©rĂ©nĂ©, le sourire hĂ©sitant, il s'est rassis. Moi aussi. J'ai sorti un sandwich que j'ai dĂ©chirĂ© Ă  pleines dents, puis je l'ai partagĂ©. C'est tellement mieux Ă  deux. On est restĂ©s une heure Ă  rien – Ă  tout – se dire. En silence. Il nous manquait les mots et on s'en passait
 Ă  quoi ça sert les mots ? À se taper dessus ? On n'a pas les bons verbes mais je crois qu'on s'entendait fort, lui et moi, dans le ressac roulant de la mer qui soĂ»le. _ Elle commençait Ă  grossir, d'ailleurs. _ Il s'est mis Ă  pleuvoir Ă  gros grains mouillants. D'une bourrade dans le dos, je lui ai indiquĂ© la direction. Il est allĂ© chercher son sac Ă  dos camouflĂ© dans le sable. On a longĂ© la plage ensemble, cĂŽte Ă  cĂŽte, longtemps. ––– _ Si la marĂ©e haute s'Ă©nerve, on sera pile poil devant l'aquarium en officier de quart averti, il s'est installĂ© d'autoritĂ© Ă  la passerelle, derriĂšre la grande vitre, chez Marinette. Les paquets sautent la digue. Il boit la mer furieuse avec la soif jubilatoire des gosses qui s'Ă©crasent le nez sur la vitrine du Bhv Ă  NoĂ«l. L'Angleterre disparaĂźt au-delĂ  d'un brise-bise de buĂ©e et de herses cafardeuses qui transpercent les nuages. Il y a la queue sur le rail. Ma parole, si tu traverses, tu te fais Ă©craser par le train des tankers. C'est pas aujourd'hui qu'il la verra la reine d'Angleterre, ni la garde poilue de Buckingham, mais tu sais, elle s'en fout, la Queen au lait fraise avec son chapeau vert guimauve
 elle s'en fout que tu claques du bec. C'est pas pour rien qu'elle campe sur une Ăźle, l'Angleterre, c'est justement pour ne pas se laisser arraisonner par des flibustiers de ton espĂšce. T'as pas compris ça ? _ Indexe pointĂ©, je lui fais le coup du moi Tarzan, toi
 ? » Moi Rahim !
 – Moi Paris, et toi ? – Moi Kaboul. – Kaboul ? – Yes, Kaboul, but no Taliban... » _ On mĂȘle nos rires sans paroles et ça vaut un bifteck
 quoique
 Sur son dico rachitique je cherche un mot en anglais que je reconnaĂźtrais par hasard
 Ah voilĂ  ! Hungry
 Are you hungry ? » je lui montre du doigt. Il riboule des prunelles ; me jauge d'un regard mobile et incrĂ©dule. Rahim secoue la tĂȘte No
 thank you . No ? Mon œil ! Marinette, tu peux nous faire deux moules frites ? Oui, mariniĂšre, s'te plait, bien servies, Marinette, et deux ambrĂ©es sans faux-col...» _ Ça me rend flou de penser Ă  ces clandestins ». Ils viennent de ce moyen-orient lointain s'aliĂ©ner dans la brĂ»lure de l'espoir. Ils s'imaginent qu'ils vont pouvoir vivre ce qu'ils connaissent de notre vie. Si j'avais les mots, je lui expliquerais que l'avenir n'est pas aussi mallĂ©able qu'il croit. Qu'il serait Ă©videmment mieux chez lui, avec les siens. Il a une femme ?
 De quoi je me mĂȘle ? Il m'objecterait, bien sĂ»r, que sans doute mais qu'il s'en fout, avec l'Ă©tonnante et vorace vivacitĂ© de l'homme qui joue son histoire Ă  la roulette. Il ne sait pas qu'il fuit ; il est Ă  la conquĂȘte de la survie, pour lui, pour sa famille qui a financĂ© son voyage ». Il tente de s'emparer de son existence et s'invente des lendemains au ketchup. Rahim prĂ©fĂšre dĂ©jĂ  les fish and chips. _ Il n'avait pas faim mais il est musclĂ© des mandibules ; elles n'ont pas eu le temps de respirer, les moules. Thank you, thank you ! very nice ! » Rahim se suce les doigts, Ă©ponge son fond de biĂšre, s'essuie les moustaches dans la manche, me catapulte un sourire Ă©toilĂ© et revient dare-dare Ă  son poste d'obsession. Si prĂšs. Il ira. Il doit y aller. Il va tenter cette nuit, j'en suis persuadĂ©. Il n'a pas acceptĂ© le lit que je lui ai offert. Thank you, but
 » Pas grave, Rahim. Good luck . ––– _ Ce matin Ă  l'aube, je suis allĂ© sur le parking poids lourds. Il n'y Ă©tait pas. Ou plus. _ Au fond, ça ne me regarde pas ; il a probablement traversĂ©. J'arpente la dune. Il pleut. Il fait froid. S'il est lĂ , il va attraper la crĂšve. Je ne suis pas du genre pĂšre adoptif ou soutien de famille, pourtant ça me ferait mal qu'il lui arrive quelq ue chose. Un besoin viscĂ©ral d'agir me submerge. Je le sens en danger. J'ai la certitude lancinante et coupable que sa carcasse est mise Ă  prix par l'inhumaine connerie des hommes. Et puis
 s'il restait un moment, je me mettrais Ă  l'anglais pour lui dire tu peux compter sur moi. » Pas plus il n'a peut-ĂȘtre pas envie. _ Le vent a tournĂ© ! Je n'entends plus la mer. Ni les goĂ©lands. Une musique sournoise me harcĂšle les tympans. Je presse le pas et j'arrive essoufflĂ© au sommet de la dune. Ah
 il est lĂ  ! adossĂ© au talus. Je respire. Il bachote son lexique ? De ce temps-lĂ  ? il est dingue ou quoi ? Rahim ! » Je hurle mais la bourrasque m'emporte la voix qui s'arrache comme un parapluie. Il n'entend pas mes appels. Je lui fais des grands signes. Et j'accours. _ Oh, merde ! Merde ! Il a la bouche ouverte. Son regard est rivĂ© sur l'Angleterre et dĂ©chiffre, dans l'imaginaire du ciel sombre, quelques mots de lumiĂšre Future is now » peut-ĂȘtre
 SaletĂ© de misĂšre ! Je m'agenouille et lui ferme les yeux. Rahim est encore tiĂšde. Un terrible coup sur la tĂȘte. Du sang poisseux diluĂ© par la pluie lui coule de l'oreille sur une joue bleue mal rasĂ©e. Son poing serre les prĂ©cieux feuillets. Son sac Ă  dos Ă©ventrĂ© gonfle au vent. Nouvelle 052 La main fĂ©brile de Jacques se posa sur le papier – ses doigts nerveux se mĂȘlaient et se tordaient. Il reprit un instant le porte-plume
 le reposa, et essuya la larme qui venait poindre Ă  la commissure de ses paupiĂšres. Il appuya ses coudes sur le bureau, et son visage s'effaça entre ses paumes. _ Comment faire ? Comment faire de ces quelques phrases l'esquisse d'une vie – l'esquisse d'une vie perdue – l'Ă©pitaphe d'une vie aimĂ©e les mots, ces beaux et chers mots qui, jadis, lui Ă©taient si familiers, Ă  lui, l'Ă©crivain ! aujourd'hui fuyaient vers d'autres lieux, d'autres temps ; les premiers jours lui venaient Ă  la mĂ©moire, ces premiers jours simples et tendres comme la joue de la femme chĂ©rie. Le tictac de la pendule se penchait sur minuit, Ă  la fenĂȘtre le vent agitait les feuillages qui frappaient le carreau. _ Jacques troqua sa vieille veste de velours contre un pardessus bleu, verrouilla la porte et s'Ă©lança d'un pas rapide sur l'avenue. Au premier croisement il tourna Ă  gauche et suivit le boulevard sur quelques centaines de mĂštres. Il entra au Bistrot rouge et l'aperçut dans le fond de la salle obscure. Elle lui sourit. Il s'assit en face d'elle, commanda un verre de vin blanc. AppuyĂ©e sur la banquette, bras croisĂ©s, la tĂȘte lĂ©gĂšrement inclinĂ©e, elle le fascinait, et il tentait de saisir son regard mobile qui sans cesse le fuyait. Ce n'Ă©tait pas la premiĂšre soirĂ©e qu'ils passeraient ensemble, mais jamais jusqu'alors elle ne s'Ă©tait osĂ©e Ă  quitter sa rĂ©serve ; parlant avec finesse, des gestes dĂ©licats lorsqu'elle soulevait sa tasse de cafĂ© ou qu'elle passait ses doigts dans ses cheveux sombres, elle gardait cette distance tacite qui, sans frĂ©mir, illustrait la fragilitĂ© de la nature sauvage de cette femme intĂšgre. _ Ce soir-lĂ , elle lui parla de Rome. Elle lui dit le souvenir de son pĂšre italien, qui dans le silence de sa casa de la vieille ville lui racontait Ă  voix basse comment il luttait, dans le temps, contre les Chemises noires, comment ils se rĂ©unissaient, Ă  la nuit, en palabres secrĂštes ou comment l'on ferait sauter un pont, surinerait un ennemi, dĂ©livrerait un camarade. Il fallait agir ! disait-il alors Ă  sa fille, qui voyait dans sa face parcheminĂ©e la sourde et jubilatoire fiertĂ© d'avoir perdu les jambes, mais gagnĂ© la guerre. _ Elle racontait son pĂšre en sĂ©quences successives qui illuminaient ses yeux. Toutefois ses traits s'Ă©taient durcis lorsqu'elle avait parlĂ© de sa mort – durant quelques annĂ©es elle avait Ă©tĂ© le soutien journalier de sa vie, l'aidant dans ses tĂąches, causant avec lui ; sur la fin il disait, je suis remis Ă  celui qui me guide, et cet athĂ©e de toujours prenait dans son discours des Ă©lans mystiques. _ Les mĂ©decins le croyaient aliĂ©nĂ©, et dans ses derniĂšres semaines on lui avait administrĂ© des sĂ©datifs qui, disait-il, rendaient mallĂ©able le pain rassis de l'existence. _ Elle ne voulait pas pleurer, et ils avaient convenu de marcher vers le centre-ville. À ses cĂŽtĂ©s, elle semblait affectĂ©e, et se raccrochait au bras de Jacques comme Ă  cette bouĂ©e que l'on tient farouchement pour Ă©viter de sombrer. _ C'est alors qu'ils flĂąnaient qu'il avait ressenti la premiĂšre occurrence de ce sentiment nouveau. Il voyait en elle cette exhortation suprĂȘme, cet appel de la vie Ă  se consacrer Ă  une tĂąche, – Ă  un but, – Ă  une ambition. Elle Ă©tait la rĂ©ification de ce dĂ©sir ancien qui le voulait placĂ© dans le monde ; elle Ă©tait cette place et la passerelle vers cet Ă©quilibre qu'il convoitait. IntĂ©rieurement il Ă©laborait ces projets d'une vie nouvelle, lui le misanthrope, le seul, le dĂ©solĂ©. _ La pendule, depuis plusieurs minutes, avait dĂ©passĂ© minuit ; Jacques se renversa sur sa chaise, leva ses yeux mouillĂ©s au plafond et gĂ©mit amĂšrement. Nouvelle 053 _ AprĂšs Il habitait rue de la sĂ©quence mobile, juste Ă  cĂŽtĂ© du cafĂ© des palabres. _ Nous avions rendez-vous le mardi et le jeudi Ă  19 heures sur les tatamis du quartier latin. _ C'Ă©tait mon guide, ma passerelle vers le ciel. _ Quand il arrivait au cours de kung-fu, un sentiment jubilatoire m'envahissait. Je me sentais voler et rire, danser et chanter depuis le bout des orteils ! _ Quand il est mort, j'ai basculĂ© dans le vide et la chute a Ă©tĂ© vertigineuse. _ Lorsque nous Ă©tions ensemble, rien ne pouvait m'arriver. Je marchais, les yeux fermĂ©s, heureuse et libre. GrĂące Ă  lui, j'ai dĂ©couvert l'univers de la conscience. Le cerveau a des capacitĂ©s immenses et Ă©tranges qui se mĂȘlent et s'entremĂȘlent. Leur exploration est une quĂȘte de toute la vie. Il m'avait dit nous nous connaissons dĂ©jĂ  » et aussi je vais bientĂŽt partir », telles des Ă©nigmes Ă  rĂ©soudre. _ ArrivĂ©e au fond du trou, il m'a fallu agir rĂ©pondre Ă  l'appel de la vie, troquer mon costume de pleureuse pour celui de survivante et remonter la pente, petit Ă  petit. _ Mais comment ne pas rester aliĂ©nĂ©e Ă  son fantĂŽme, dĂ©mĂȘler les sentiments qui durent de ceux qui passent ? _ J'ai cherchĂ© dans les histoires des autres, lu des livres, Ă©coutĂ© des histoires, encore et encore. La plupart s'arrĂȘte lĂ  ils s'aiment, partagent une tranche de vie et patatras, il ou elle meure. Et aprĂšs ? _ AprĂšs, la vie continue, c'est vrai. _ La souffrance Ă  hurler s'arrĂȘte aussi. L'unitĂ© de souffrance passe de la journĂ©e, Ă  la semaine, puis doucement au mois et enfin Ă  l'annĂ©e. J'en suis lĂ  aujourd'hui. _ Mais il faut aussi retrouver une protection et s'appuyer sur des soutiens pour se reconstruire, sans rester cette boule mallĂ©able de douleur Ă  vif. _ Je ne suis pas morte et pourtant je suis re-nĂ©e. Il reste la toile de fond sur laquelle s'illustrent les Ă©pisodes de ma nouvelle vie. _ Tous les jours, un Ă©vĂ©nement, un clin d'œil, petit ou grand, renvoie Ă  ces souvenirs, Ă  cette histoire. Comment cela se serait-il passĂ© avec lui ? J'aurais aimĂ© partager ce moment avec lui. Je revois son visage en surimpression, je remarque une silhouette ou une dĂ©marche qui lui ressemble. RĂ©guliĂšrement, en voiture, j'entends les sirĂšnes des pompiers qui sont intervenus suite Ă  notre accident. _ Cela me rappelle qu'il faut profiter des petits bonheurs de chaque jour. _ Retrouver dans un sourire, une gentille attention, un regard mĂȘme la jubilation de le voir arriver sur le tatami, il y a tant d'annĂ©es. Nouvelle 054 _ La chaleur des livres Marguerite, bĂ©nĂ©vole de la premiĂšre heure Ă  la bouquinerie de la ville, avait une tendresse particuliĂšre pour le jeudi ; c'est que ce jour-lĂ  lui ramenait son protĂ©gĂ©. Quand il poussait la porte, elle dĂ©laissait les autres clients, mĂȘme au milieu d'une des ces palabres oiseuses et interminables que les solitaires se plaisent Ă  infliger Ă  tout ce qui tient boutique, et pour qui c'est une rĂšgle d'or de ne jamais montrer au chaland qu'il vous ennuie. Marguerite commençait par offrir un cafĂ© puis ils passaient un peu de temps ensemble. _ Elle lui donnait des nouvelles de son immeuble. Avec force dĂ©tails. _ ? Ma vieille voisine est encore tombĂ©e Les petits jeunes qui habitent sur mon palier vont divorcer Mon pauvre Fifi a Ă©tĂ© malade _ Il lĂąchait quelques mots sur la mĂ©tĂ©o. Avec parcimonie. _ ? Pas bon pour les livres, l'humiditĂ© ! _ Les autres bĂ©nĂ©voles les observaient de loin. Ils n'aimaient pas la prĂ©sence du sans-abri dans la boutique. Quand il entrait, son apparence et surtout son odeur chassaient les autres acheteurs. _ Il avait bien Ă©tĂ© dit, lors de la rĂ©union mensuelle, mais avant l'arrivĂ©e de Marguerite, qu'il fallait agir mais personne n'avait osĂ© l'affronter. Un autre soir, Jean, professeur Ă  la retraite, dont la sage expertise en matiĂšre de littĂ©rature leur servait de guide lorsque qu'arrivaient en magasin de nouveaux livres, avait bien fait une tentative _ ? Marguerite, votre protĂ©gĂ© nous aliĂšne une bonne partie de notre clientĂšle ! _ ? Il nous quoi ? s'Ă©tait-elle insurgĂ©e. _ Et de raconter, une fois de plus, comment elle avait rencontrĂ© le vagabond. La scĂšne avait eu lieu deux mois auparavant, un lundi ; il faisait dĂ©jĂ  trĂšs froid. Elle et quelques autres avaient passĂ© le week-end Ă  sortir des rayons les livres invendables, ceux qui empĂȘchaient les nouvelles acquisitions de trouver leur place sur les Ă©tagĂšres. Ils les avaient dĂ©posĂ©s sur le trottoir en attendant que le peintre qui habitait la mĂȘme rue passe avec sa camionnette pour les dĂ©poser Ă  la dĂ©chetterie. C'Ă©tait sa façon Ă  lui d'apporter son soutien Ă  l'association. Marguerite arrivait au cœur de la sĂ©quence Ă©motion qu'elle se plaisait Ă  revivre _ ? Je vois un gars qui ne fouille pas dans la poubelle comme les autres, mais dans la cagette de livres Ă  cĂŽtĂ© ! Il est reparti avec le plus grand, je m'en souviens bien, un livre cartonnĂ© sur les mobiles de Calder, trop abĂźmĂ© pour qu'on puisse espĂ©rer le vendre. La semaine suivante, il est revenu devant la boutique mais, forcĂ©ment, il n'y avait plus de livres sur le trottoir
 Je l'ai fait entrer et je lui ai dit qu'il pouvait choisir l'ouvrage qu'il voulait et que je le lui offrirais. Il a ouvert de grands yeux et j'ai dĂ» lui rĂ©pĂ©ter ce que je venais de lui proposer. Il a pris son temps ; son choix s'est portĂ© sur un grand format, trĂšs bien illustrĂ©, sur la construction des moulins en Hollande au XVIII° siĂšcle. Nul doute que nous avons affaire Ă  un connaisseur ! _ LĂ , elle prenait invariablement le mĂȘme ton jubilatoire quand elle parlait du bonheur qu'elle avait Ă©prouvĂ© de pouvoir apaiser la faim de culture de cet homme affamĂ©. Un homme, transi de froid et de faim, Ă©tait reparti avec un livre qui lui avait procurĂ© autant de chaleur que le cafĂ© qu'elle lui avait servi Et de lancer une fois de plus son vibrant appel Qui, Ă  part la bouquinerie, pouvait offrir des livres aux SDF ? D'ailleurs, ce n'Ă©tait pas la bouquinerie qui offrait de temps en temps un livre, mais elle, Marguerite, et qui plus est, de sa poche ! D'ailleurs, il ne s'agissait pas d'en donner Ă  tous, mais juste au sien, le seul qui venait en chercher. _ Jean n'avait pas insistĂ© et personne d'autre n'avait osĂ© s'en mĂȘler. Marguerite n'Ă©tait pas quelqu'un de mallĂ©able et ce n'est pas elle qui aurait troquĂ© ses convictions Ă  elle contre le prĂȘt-Ă -penser de tous les autres, juste pour profiter de la tiĂ©deur rassurante du troupeau. Les choses en Ă©taient restĂ©es lĂ  et, jeudi aprĂšs jeudi, il revenait. _ Une fois le cafĂ© sirotĂ© et la conversation Ă©puisĂ©e, Marguerite lui tendit un petit livre – Cette fois-ci, c'est moi qui _ Sa phrase ne trouva pas assez d'espace pour se dĂ©ployer. _ ? Trop petit çui-lĂ  ! On voit bien qu' vous logez pas sous la passerelle ! Fait froid par terre ! Peux pas m'asseoir lĂ -d'ssus quand j'fais la manche ! Nouvelle 055 _ Agir ? Agir, agir se dit-il – aux limites de mes forces – jusqu'Ă  l'impossible qui me sortira de l'horreur, me sortira de l'Ă©preuve. Si seulement j'Ă©tais mobile au lieu d'ĂȘtre aussi stupidement couchĂ©, la jambe et l'Ă©paule brisĂ©es, sans nul soutien ! Si de la vallĂ©e j'avais entrepris une tout autre aventure que celle-ci qui vient illustrer mon habituelle pĂ©danterie, l'orgueil que je mets dans la plupart des dĂ©fis que je me lance ; je ne serais pas lĂ  seul guide d'une folie qui m'a rompu et m'aveugle Ă  mesure que neige et froid rendent la matiĂšre aussi peu mallĂ©able que peut l'ĂȘtre mon ressentiment. Stupide, idiot, crĂ©tin ; c'est ce que je suis et le verdict, hĂ©las est sans appel. Autour de moi, plus rien qu'une luminositĂ© sur le dĂ©clin, qu'une nuit qui trĂšs vite, en un sinistre plan-sĂ©quence, effacera de moi toute prĂ©sence et en moi la plus minime espĂ©rance. Aurais-je soudainement peur ? M'en irais-je troquer les inutiles oripeaux du blessĂ© que la douleur tĂ©tanise Ă  peine et que la folie envahit au contraire avec rapiditĂ©, trouvant la passerelle juste – et stable celle-ci -pour atteindre Ă  ma conscience du dĂ©sespĂ©rĂ© de la situation contre la jubilatoire ivresse du hĂ©ros inconnu que charrieront les Ă©lĂ©ments et transformeront les fureurs du ciel, tout comme Otzi ? _ Oui j'ai peur, la vallĂ©e ne sait pas que je suis Ă  proximitĂ© du ciel ; que je m'en vais dans quelques heures Ă  peine mĂȘler mon fragile souvenir Ă  la cohorte de ceux qui au fur et Ă  mesure des modes et des dĂ©fis, des paris et besoins de se dĂ©couvrir et trouver se sont frottĂ©s Ă  elle la montagne ! Et dire qu'hier encore, assis face Ă  ma planche Ă  dessin, ma tasse de mauvais cafĂ© froid abandonnĂ©e dans un fatras de papiers froissĂ©s – dans un bordel diraient certains qui ne me connaissent pas – je lisais les derniĂšres Ă©preuves du long travail que mes amis de Tombouctou et moi devions publier grĂące au soutien de la Fondation Palabre et Culture. Que n'aurions nous fait ensemble pour que soit promue la richesse de l'oralitĂ© qui Ă©duque sans aliĂ©ner et vĂ©hicule cette force extraordinaire et magnifique du souffle crĂ©ateur – le son est le miroir du mot et l'oral est la chaleur du verbe, avancions nous en introduction de notre Ă©tude – du souffle qui m'abandonne et que je ne peux mĂȘme plus pleurer tant mes yeux sont secs et brulĂ©s par le froid. _ Agir, agir songea t'il ; mais quelle utopie que ceci. Agir comment ; je n'ai pratiquement plus de luciditĂ© ? C'est facile de vouloir et si complexe de rĂ©aliser, et rĂ©aliser quoi ? RĂ©aliser que je me meurs sans secours, sans soutiens, sans regrets et sans amertume. Pourquoi en aurais-je, la Passerelle lĂ -bas esquissĂ© par l'effacement des arbres, de l'horizon, de la vie, de la chaleur et du gris de la vallĂ©e, je vais l'atteindre dans le dĂ©doublement hallucinatoire de l'agonie ; j'y suis dĂ©jĂ , elle est Ă  prĂ©sent douce et je suis immobile, les membres gelĂ©s, le cerveau embrumĂ©. Ca y est Otzi, mon vieux, je suis comme toi l'enveloppe figĂ©e, cristallisĂ©e et inerte d'un esprit qui Ă©migre. Je vais Ă  mon tour illustrer que l'intrĂ©piditĂ© a d'implacables limites quand de l'horloge du temps le rĂ©el s'en vient aliĂ©ner le conscient. Et inconscient je l'ai Ă©tĂ©. Gravir ainsi les sommets mystĂ©rieux et fĂ©roces Ă  peine couvert, mal chaussĂ©, sans un ami, un guide, un raisonneur, qui m'aurait assistĂ©, qui m'aurait aidĂ© Ă  agir avec prudence. Mais, que tout cela est loin. Je meurs de froid, d'une immobilitĂ© que j'ai sollicitĂ©e, voulant je le rĂ©alise maintenant troquer le banal d'un quotidien banal contre l'appel du large, Ă  jamais pour moi censĂ© illustrer la belle, la juste, la noble mort. J'y suis parvenu, amis de l'Arbre aux Palabres ; votre soutien me manque mais, j'y suis. J'y reste ! Nouvelle 56 _ De la maĂźtrise des codes Depuis plusieurs jours, il faisait trĂšs chaud Ă  Paris. Et lĂ , nous Ă©tions surpris par le froid. Avant mĂȘme que les matelots ne relĂšvent la passerelle du ferry, nous nous Ă©tions rĂ©fugiĂ©s au cafĂ© du pont supĂ©rieur. Il y avait un Ă©pais brouillard comme c'est parfois le cas Ă  Calais, mĂȘme en juillet, et les mugissements des sirĂšnes des bateaux rentrant au port se mĂȘlaient aux piaillements aigus des goĂ©lands. DĂšs que nous avions embarquĂ©, Bernard avait troquĂ© le pantalon de toile et la chemisette qu'il portait au dĂ©part de Paris pour une tenue dĂ©contractĂ©e plus chaude et confortable. J'essayais de me concentrer sur la lecture du guide du Routard, mais son air maussade me prĂ©occupait. J'essayais sur un ton volontairement jubilatoire Alors, tu n'es pas content que nous partions ensemble en week-end ? Ce n'est pas si frĂ©quent ! ». Il murmura un Oui, bien sĂ»r » peu convaincant. _ A notre arrivĂ©e Ă  Londres, vers 15 heures, il faisait encore plus froid. Le soir mĂȘme, nous Ă©tions invitĂ©s au Royal Opera House par James, le boss de Bernard. On y donnait Don Giovanni ». C'Ă©tait une soirĂ©e habillĂ©e » comme les Anglais en raffolent. J'avais emportĂ© une robe longue bien trop lĂ©gĂšre, il allait falloir me trouver une Ă©tole chaude et Ă©lĂ©gante, et rapidement car les magasins ferment tĂŽt ici. Bernard, comme chaque fois qu'il devait assister Ă  une cĂ©rĂ©monie protocolaire Ă  Londres, avait rĂ©servĂ© son smoking chez le loueur habituel. La premiĂšre fois, le tailleur lui avait envoyĂ© une fiche Ă  remplir avec 38 mesures Ă  prendre Il avait consenti de mauvaise grĂące Ă  se laisser calibrer par mon mĂštre ruban, mais nous avions bien ri ensuite devant la sĂ©quence des rĂ©sultats qu'il avait fallu convertir en inches ! _ SitĂŽt les valises dĂ©posĂ©es, nous sommes donc partis Ă  la recherche d'un vĂȘtement pour moi ; la chance Ă©tait avec nous, j'ai trouvĂ© dĂšs le second magasin une veste de demi-saison dont la couleur se mariait Ă  celle de ma robe ! Le smoking de Bernard devait ĂȘtre livrĂ© Ă  l'hĂŽtel Ă  17 heures. Mais Ă  17h15, toujours rien. Coup de fil au loueur personne. Coup de fil Ă  la rĂ©ception pour demander l'adresse d'un autre loueur impossible, Ă  cette heure, ils sont tous fermĂ©s ». C'Ă©tait une catastrophe. James Ă©tait du genre psychorigide, peu mallĂ©able, il serait impossible de lui faire l'affront de venir en tenue de week-end. Impossible aussi d'invoquer un retard dans les transports et de ne pas nous rendre Ă  cette invitation Bernard et lui s'Ă©taient tĂ©lĂ©phonĂ©s dans la journĂ©e, et il savait que nous Ă©tions Ă  Londres. _ C'est alors que nous recevons un appel du rĂ©ceptionniste il a peut-ĂȘtre une solution. Il demande Ă  Bernard de le rejoindre dans le hall d'accueil. Une demi-heure plus tard, le voilĂ  de retour, portant triomphalement un smoking sur un gros cintre en bois, et une paire de souliers vernis ! Il me raconte qu'aprĂšs de longues palabres avec le maĂźtre d'hĂŽtel, ils Ă©taient tous les trois descendus dans les sous-sols de l'Ă©tablissement. LĂ  se trouvait une quantitĂ© inimaginable de smokings suspendus Ă  des portants les tenues des serveurs pour les repas de gala ! Le maĂźtre d'hĂŽtel avait le coup d'œil, et il eut vite fait de trouver un vĂȘtement de bonne taille pour Bernard. Quant aux chaussures, c'Ă©tait encore plus simple car elles Ă©taient rangĂ©es dans des boĂźtes avec une Ă©tiquette mentionnant la pointure. _ Nous arrivons Ă  l'OpĂ©ra Ă  18h45 et James me prĂ©sente sa femme, Maggy, que je ne connaissais pas. A peine quelques Ă©changes polis, et la reprĂ©sentation commence. Les paroles des chanteurs dĂ©filent dans une traduction anglaise au-dessus de la scĂšne. Comme nous sommes dans les premiers rangs de l'orchestre, je dois rejeter la tĂȘte loin en arriĂšre pour pouvoir lire et cela devient vite douloureux. La mise en scĂšne est terriblement traditionnelle, et les chanteurs figĂ©s ; je les aurais voulus plus mobiles. Ils donnent l'impression d'illustrer les pĂ©ripĂ©ties de l'action, et non de les vivre. Je lutte pour ne pas m'endormir. _ A la fin du premier acte, les lumiĂšres fusent et tous les spectateurs se prĂ©cipitent en courant vers la sortie. C'est la bousculade, nous sommes sĂ©parĂ©s de nos hĂŽtes, ahuris. Mais arrivĂ©s dans le corridor qui fait le tour de la salle, nous comprenons la raison qui avait poussĂ© les spectateurs Ă  agir de la sorte le long des murs, sur de petites Ă©tagĂšres, des bouteilles de vin blanc frais avec des verres attendent ceux qui les avaient commandĂ©es. Chacun s'Ă©tait prĂ©cipitĂ© Ă  la recherche du bristol portant son nom. Nous rejoignons enfin James et Maggy. Le vin blanc est servi sec, sans rien Ă  manger. Dur, dur quand on s'est levĂ© Ă  5h du matin et qu'on n'a pris qu'un petit dĂ©jeuner rapide, puis un en-cas sur le bateau J'ai du mal Ă  saisir les propos dans le brouhaha des conversations et la tĂȘte me tourne. Bernard sourit bĂ©atement. Au moins est-il de meilleur humeur que lors du voyage ! _ Nous reprenons place pour le second acte. Le temps s'Ă©tire lentement. Soudain, je perçois un changement dans la respiration de Bernard plus profonde, plus rĂ©guliĂšre. Dort-il ? Je me tourne vers lui pour voir. Et avant que j'aie pu faire un geste, dans un silence de l'orchestre, un ronflement Ă©norme sort de sa bouche !!! J'ai l'impression que le silence se prolonge anormalement. Personne ne se tourne vers nous. Chacun regarde droit devant soi, moi comprise. Je donne un discret coup de coude dans les cĂŽtes de Bernard pour le rĂ©veiller, et passe toute la fin du spectacle Ă  le surveiller. _ Aucune allusion Ă  l'incident ne fut faite, ni pendant le dĂźner qui fit suite au spectacle, ni les jours suivants. Mais quelques semaines plus tard, la sociĂ©tĂ© oĂč travaillait Bernard a Ă©tĂ© restructurĂ©e, et il a appris qu'il Ă©tait virĂ© en constatant qu'il ne figurait pas dans le nouvel organigramme de la direction ! Je me suis toujours demandĂ©e si lors de cette soirĂ©e, Bernard ne s'Ă©tait pas aliĂ©nĂ© le soutien de James. Nouvelle 057 _ Féérie Ce matin-lĂ  une brume jubilatoire flottait au-dessus de la passerelle. J'attendais en regardant la citĂ©, mon ancienne citĂ©, cachĂ©e par le brouillard comme un rĂȘve d'enfant. Sous mes pieds grouillait le fleuve des bagnoles en partance pour la ville, la vraie, la city », loin de ces tours dĂ©labrĂ©es oĂč nous avons grandi plus ou moins droitement. Rachid est arrivĂ© et m'a traitĂ© de bourge. Il ne comprend pas pourquoi je continue Ă  aller au lycĂ©e Gabriel PĂ©ri avec eux. Pour lui je devrais profiter du fric de mon nouveau beau-pĂšre, troquer mon vieux sweet gris contre un duffle-coat bleu marine et suivre les petites blondes des cours privĂ©s. Moi, les petites blondes, ça ne m'avait jamais vraiment intĂ©ressĂ©. Jusqu'Ă  ce matin-lĂ , sur la passerelle. _ On allait bientĂŽt ĂȘtre en retard, et Monsieur Guillois nous aurait encore menacĂ© de ses heures de colle qu'il ne nous met jamais, quand deux ombres ont surgi, pas vraiment ensemble, mais avec la brume on n'Ă©tait sĂ»r de rien. C'Ă©tait Abdou, cachĂ© entre une chapka noire et une Ă©charpe de laine. Lui et moi on est comme deux frĂšres, mĂȘme couleur cafĂ© serrĂ©, mĂȘme sourire sans appel, mais pas pour tout le monde, mĂȘmes poings au fond des poches, mĂȘmes silences, sans commentaires, fin du plan sĂ©quence. _ Ce matin-lĂ , juste derriĂšre Abdou, une fĂ©e. Tout ce que je peux dire c'est que ce fut comme une apparition ». Je sais, c'est pas de moi, mais les mots il paraĂźt qu'on peut les emprunter, que c'est pas du vol et qu'il sont Ă  tout le monde, que c'est de la vie. Et c'est vrai qu'elle avait l'air sortie de nulle-part cette fille. Ses cheveux clairs mĂȘlĂ©s d'or et de cuivre disparaissaient dans le gris du dĂ©cor, ses yeux brillaient comme deux Ă©meraudes, et alors j'ai compris c'Ă©tait elle. Elle serait Ă  la fois ma faiblesse et mon espoir, elle aurait le pouvoir, celui de m'attacher, de m'envoler, de m'aliĂ©ner. _ Rachid n'a pas pu s'empĂȘcher de jouer au petit con. Alors on s'est perdue Princesse ? Faut pas traĂźner dans la citĂ© sans son body guard, ça pourrait ĂȘtre dangereux », il a commencĂ©. Je l'avais dĂ©jĂ  vu Ă  l'œuvre avec les filles et j'aimais pas trop ça. Quand il s'est approchĂ©, la fĂ©e a tressailli imperceptiblement. J'ai vu les Ă©meraudes sauter la rambarde et disparaĂźtre sous la passerelle entre les pneus sales ; et j'ai eu peur. J'ai grommelĂ© Allez, fous-lui la paix. Magnez-vous, on va ĂȘtre en retard. » Mais Ă  l'intĂ©rieur je flippais grave. C'est sĂ»r, j'allais la perdre pour toujours. Je ne l'avais jamais vue, ni dans la citĂ©, ni dans ces beaux quartiers auxquels j'appartenais dĂ©sormais. Elle n'Ă©tait pas d'ici, oui, elle avait dĂ» se perdre. Elle est passĂ©e devant nous et m'a jetĂ© un coup d'œil. J'ai vu les Ă©toiles sur sa peau. Elle avait l'air d'une Anglaise, peut-ĂȘtre une Irlandaise. Il paraĂźt qu'il y a beaucoup de fĂ©es dans ces pays-lĂ . J'aurais dĂ» lui sourire, la prendre par la main et me mettre Ă  courir. On aurait sĂ©chĂ© les cours, on aurait bu des biĂšres dans les brasseries de la city, elle se serait appelĂ©e Ashley ou Wendy, on aurait rigolĂ©, on aurait Ă©tĂ© heureux. J'ai baissĂ© la tĂȘte et suivi les copains. Pas fier. InfortunĂ©. J'Ă©tais certain de ne jamais la revoir. Deux mondes que tout sĂ©pare, on ne peut pas lutter. _ Ce soir-lĂ , la brume avait laissĂ© place Ă  un large foulard bleu nuit parsemĂ© de broderies jaunes et rouges. J'Ă©tais restĂ© au cours de soutien, les maths c'est pas mon truc. Sous la passerelle, la bande molle des autos klaxonneuses formait une parade animĂ©e. BientĂŽt ce serait NoĂ«l, les vacances avec ma pauvre mĂšre trop mallĂ©able et ce type que je n'appellerais jamais papa. J'ai levĂ© le visage et c'est lĂ  que j'ai vu l'ombre, une ombre libre, Ă©chappĂ©e, comme dans le Peter Pan illustrĂ© que je lisais petit. Je l'ai tout de suite reconnue. C'Ă©tait celle de la fĂ©e, ma fĂ©e irlandaise. Elle Ă©tait Ă  cheval sur la rambarde, en Ă©quilibre prĂ©caire, son sac Ă  dos jetĂ© sur le bitume. Le moment n'Ă©tait pas aux palabres, il fallait agir, vite. Mais comment on attrape une ombre, Peter ? J'ai oubliĂ©. A peine le temps de courir vers elle, de jeter un cri ArrĂȘte ! » Il est trop tard. Ma fĂ©e s'est envolĂ©e. Les voitures redoublent de bruit, les portiĂšres claquent, l'incomprĂ©hension, le journal du soir prĂ©pare son accroche, quelqu'un sort un tĂ©lĂ©phone mobile, une ambulance hurle au loin. _ Aujourd'hui il n'y a personne prĂšs de la passerelle. C'est les vacances flocons blancs et cache-nez. Ma fĂ©e n'est pas anglaise. Elle s'appelle Fatiha. Elle vient de sortir du coma. A l'hĂŽpital, sa mĂšre m'a expliquĂ© qu'ils sont originaires d'un petit village du nord du Maroc, colonisĂ© par les Vandales au moyen-Ăąge. Une fĂ©e berbero-scandinave, c'est drĂŽle, les apparences sont parfois joueuses, l'histoire aussi. La famille vient d'arriver dans la citĂ©. Un premier hiver en France, c'est toujours difficile. Ça et deux trois autres choses. _ DĂ©sormais je suis lĂ  pour ma fĂ©e, je serai son guide et elle sera ma foi. Elle ne savait pas que la vie, c'est comme les mots, faut pas avoir peur de prendre, c'est pas du vol. On peut la saisir par les cheveux et ne plus la lĂącher, la vie, elle rue et se cabre parfois, mais c'est du cinĂ©ma, elle veut avoir le denier mot, la vie. _ Le dernier OK, mais pas les autres. Nouvelle 058 _ Ma bonne Ă©toile Jubilatoire. C'est jubilatoire ! VoilĂ  ce que j'ai ressenti tout de suite. _ Le jour oĂč je suis devenu propriĂ©taire du soleil, je me suis dit que plus rien de mal ne pouvait m'arriver. Nous allions vieillir ensemble, quoi qu'il arrive. J'Ă©tais dĂ©sormais son maĂźtre, son guide, il m'appartenait. _ C'Ă©tait si simple finalement, personne n'y avait pensĂ© avant moi, personne pendant ces 4,6 milliards d'annĂ©es. Je me suis prĂ©sentĂ© chez mon notaire, je me suis dĂ©clarĂ© l'unique possesseur de l'astre, et comme ça, d'un trait de stylo, je l'ai aliĂ©nĂ©. Je suis propriĂ©taire du soleil, Ă©toile de type spectral G2, qui se trouve au centre du systĂšme solaire, Ă  une distance moyenne de la Terre d'environ 149,6 millions de kilomĂštres. » _ JE SUIS PROPRIETAIRE DU SOLEIL. J'ai encore du mal Ă  y croire. _ Il existe bien une convention internationale qui interdit Ă  un pays d'ĂȘtre propriĂ©taire des planĂštes, mais je ne suis pas un pays, je m'appelle Ange Durand. Ange, c'est pour le cĂŽtĂ© cĂ©leste. Durand, c'est pour le cĂŽtĂ© chĂŽmeur en fin de droit. Et me voilĂ  dĂ©sormais le glandeur le plus en vue de l'univers, le seul demandeur d'emploi nanti d'une passerelle vers le Divin, le sans domicile vraiment fixe qui possĂšde un balcon sur la voie lactĂ©e, pas plus grand Ă  l'œil qu'un grain de cafĂ©, mais source de richesse sans commune mesure. _ ? Je suis votre notaire, » me rappelle la moustache Ă  complet veston que j'ai honorĂ©e d'un gros chĂšque pris sur mes indemnitĂ©s de licenciement, Ă  ce titre je vais me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas. Je ne connais pas le mobile qui vous pousse Ă  agir de la sorte, mais sachez que vous allez vers de terribles dĂ©convenues. Cette propriĂ©tĂ© est incommensurable, et les droits que vous aurez Ă  payer le seront tout autant. _ ? Vous n'ĂȘtes qu'un jaloux, je n'ai pas besoin de votre soutien. Contentez-vous de rĂ©diger l'acte, et mettez-y les formes. » _ Je n'ai pas tardĂ© Ă  comprendre le sens de ses palabres. _ Les services fiscaux ne se sont jamais illustrĂ©s par leur patience et leur gĂ©nĂ©rositĂ©. Avant mĂȘme que j'aie pu tirer le premier bĂ©nĂ©fice de ma divine entreprise, j'ai reçu un appel de mon trĂ©sorier gĂ©nĂ©ral, m'indiquant que, sur la base de l'acte notariĂ© rĂ©fĂ©rencĂ© ci-dessous, je devais m'acquitter auprĂšs de l'administration fiscale de l'impĂŽt sur le foncier non bĂąti correspondant Ă  une surface de 6,09 fois 10 puissance 12 kilomĂštres carrĂ©s. _ La sĂ©quence de chiffres qui gravitaient autour de la virgule m'a englouti dans son trou noir. C'Ă©tait tout simplement un montant astronomique. _ J'ai alors entrepris de faire valoir mes droits, auprĂšs de tous les fabricants de panneaux solaires et cellules photovoltaĂŻques, auprĂšs de la tour solaire de Manzanares et de la centrale de Miami, auprĂšs des utilisateurs aussi, les particuliers, les entreprises, tous ceux qui avaient fait installer des capteurs, mais Ă©galement tous les pays qui appĂątaient les touristes en leur vendant des jours d'ensoleillement bref, j'ai contactĂ© tous ces usurpateurs, ces voleurs qui tiraient un profit illicite de MA propriĂ©tĂ©. J'ai menacĂ© de tarir la source, j'ai attaquĂ© en justice, j'ai taxĂ© les photographes adeptes de couchers de soleil, j'ai mĂȘme fait dresser des procĂšs-verbaux sur les plages contre des vacanciers en maillot. J'aurais voulu mettre un compteur pour facturer ma lumiĂšre naturelle, un thermostat pour mesurer la chaleur que je distribuais au monde depuis des millĂ©naires, j'aurais aimĂ© crĂ©er un impĂŽt sur la photosynthĂšse. _ Quelques-uns ont payĂ©, les plus craintifs ou les plus mallĂ©ables. Mais la grande majoritĂ© de l'humanitĂ© a prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre hors-la-loi. Certains extrĂ©mistes ont mĂȘme mis ma tĂȘte Ă  prix. La SĂ©cu m'a prĂ©sentĂ© la facture de tous les cancers cutanĂ©s dus Ă  l'irradiation. Je suis devenu responsable des cataractes et du vieillissement de la peau, redevable pour les mauvaises rĂ©coltes de sĂ©cheresse, coupable des morts de la canicule. _ Je suis retournĂ© voir mon notaire. _ ? Je n'ai jamais voulu cela Comment aurais-je pu deviner que cette propriĂ©tĂ© contenait tant de vices cachĂ©s ? Est-il possible aujourd'hui, Monsieur le Notaire, de renoncer Ă  mes droits, d'annuler, de revendre, de troquer peut-ĂȘtre cette planĂšte contre une autre moins exposĂ©e _ ? Je ne vois qu'une solution le legs. Vous devez lĂ©guer le soleil. Le donner Ă  quelqu'un. _ ? Mais qui voudrait aujourd'hui d'un truc pareil ? Qui pourrait ĂȘtre aussi sot et cupide que moi _ ? Rendez-le simplement Ă  ceux Ă  qui vous l'avez pris. » _ Et j'ai vu la grosse moustache sourire en rĂ©digeant le nouvel acte. _ Je lĂ©guais le soleil aux arbres et aux fleurs, aux poissons, aux forĂȘts, aux ocĂ©ans, aux oiseaux, aux marĂ©es, aux vents, Ă  la pluie, aux nuages, aux insectes, aux champignons, aux rĂ©coltes, aux vendanges, au plaisir, Ă  l'ivresse, Ă  la poĂ©sie, Ă  l'amour Je n'omis rien de ce que le soleil faisait vivre gratuitement depuis des milliards d'annĂ©es. Mais je ne citais personne. Nouvelle 059 _ PrĂȘte Ă  tout _ C'Ă©tait au cafĂ© du coin enfin ce qu'il en restait de ruines, Ă  8 heures 03 exactement, qu'ils avaient reçu l'appel, et connaissant ma situation, l'avaient renvoyĂ© sur mon implant. _ J'avais rĂ©pondu Ă  l'offre sans aucun espoir, comme ça, pour m'occuper, pour dĂ©conner. Quand on est chĂŽmeur ou chĂŽmeuse, on se trouve des choses Ă  faire, on s'invente des activitĂ©s. Il convient d'agir chaque jour pour continuer Ă  vivre sans tomber dans la dĂ©prime. AprĂšs cinquante annĂ©es, aliĂ©nĂ©e de travail, c'Ă©tait naturel. Et ça avait marchĂ©, incroyable, j'Ă©tais convoquĂ©e pour un entretien ! J'allais troquer mes allures d'acheteuse de multinationale en perdition contre celles d'employĂ©e mobile, efficace, mallĂ©able et plaisante de surcroĂźt. _ Pas besoin de palabres, j'Ă©tais dĂ©jĂ  en mon for intĂ©rieur prĂȘte pour le job, intimement convaincue du soutien que je pourrais apporter Ă  leur public. J'en rajoutai une couche en pensĂ©e avec la sĂ©quence suivante Pour mieux les convaincre de travailler ensemble, eux et moi, pour illustrer ma motivation sans faille, je serai disposĂ©e comme dans les anciens rituels d'acceptation mafieuse Ă  mĂȘler mon sang au leur. _ Et peu importe la couleur de la peau, la mienne blanche au service de la leur, glauque. Je serai attendue par un guide au pied de la passerelle de la navette, qui me conduirait vers mon nouveau parc de travail, jubilatoire, n'est-ce pas ? _ Peu importe puisqu'enfin, j'aurais trouvĂ© du taf jusqu'Ă  la retraite en correspondant parfaitement Ă  l'annonce _ La planĂšte Osiris 2952 recherche vieilles femelles qualifiĂ©es en culture et alimentation terrestres pour gardiennage en zoo de faune humaine » Nouvelle 60 _ Agir, Guide, Appel, Passerelle, Ensemble, Jubilatoire, AliĂ©ner, Palabre, CafĂ©, MallĂ©able, Soutien, SĂ©quence, Illustrer, MĂȘler, Mobile, Troquer. Les lĂącher, s'en dĂ©barrasser de suite. Peut-ĂȘtre qu'il rĂ©ussira Ă  replacer ces mots une seconde fois mais il n'en est pas convaincu. Ce serait trop facile de les laisser ainsi et de ne pas y revenir. Tout de mĂȘme. _ Notre hĂ©ros aurait voulu ĂȘtre Ă©crivain mais ne s'est pas acharnĂ© pour le devenir. Alors il s'est rĂ©signĂ©. Ce n'est peut-ĂȘtre pas exactement cela. Il n'a pas cherchĂ© plus que ça Ă  l'ĂȘtre, soyons honnĂȘte. Il aurait pu acheter un guide L'Ă©criture pour les Nuls » mais il ne l'a pas trouvĂ© Ă  la FNAC. Il aurait aimĂ© ĂȘtre Ă©crivain se dit-il, et ça, il n'en doute pas trop. Vivre une vie dans les cafĂ©s, se mĂȘler aux piliers de bars et discuter de la modernitĂ© ou de ces gens aliĂ©nĂ©s par leur argent et qui ont troquĂ©s leur Ăąme pour un confort superficiel. Et puis Ă©crire tout cela, pendant quelques heures de la nuit. Peut-ĂȘtre réécrirait-il une version moderne la NausĂ©e. Ou pas. _ Il. Lui. Cet homme qui serait incapable de se dĂ©crire. Il a bien un prĂ©nom mais ce ne sont que des lettres sur une carte d'identitĂ© et le son par lequel ses proches l'appellent. Quelle valeur peut-on accorder Ă  cela ? Il serait exactement le mĂȘme s'il s'appelait Maxime, JĂ©rĂ©my, Alban ou Thibault. Mais disons, puisque cela nous permettra de l'identifier, qu'il s'appelle Hans. _ Il ne servirait Ă  rien d'en savoir beaucoup plus sur notre hĂ©ros et puis ce serait difficile, nous n'avons que deux pages pour Ă©crire la nouvelle. Nous pouvons dire que Hans parle peu. Il considĂšre qu'il vaut toujours mieux Ă©couter les autres pour apprendre et la parole n'est Ă  ses yeux que pour exprimer ses nĂ©cessitĂ©s. Ou presque. Il ne se limite heureusement pas aux phrases J'ai faim » ou J'ai soif ». La parole est spontanĂ©e lĂ  ou l'Ă©criture est rĂ©flĂ©chie. Bien sĂ»re, pour des entretiens d'embauches ou des oraux, notre hĂ©ros a Ă©tĂ© capable de s'illustrer avec des phrases prĂ©mĂąchĂ©es du meilleur effet. Il a compris ce qu'il faisait un jour en dĂ©couvrant ce mot anglais, bullshit, qui n'a pas d'Ă©quivalent en français. Hans est un bullshiter nĂ©. Il aurait Ă©tĂ© un trĂšs bon footballeur l'essentiel, c'est les trois points ». Notre vie sociale est le fruit de nos paroles et non de nos Ă©crits a-t-il toujours pensĂ©. Pour ça, Hans a son catalogue de bullshit et sait s'en servir. Heureusement, les sons disparaissent aussitĂŽt qu'ils sortent de notre bouche. La vitesse du son propulse nos paroles dans le vide. Pour ĂȘtre propulsĂ© dans le vide, qu'importe que ses mots sonnent creux. Les mots Ă©crits, eux, ont cet avantage de ne disparaĂźtre que quand l'autre le veut. _Hans est trop jeune pour savoir s'il gardera ses lettres d'amours et ses bulletins scolaires mais rien ne l'en empĂȘche se dit-il. Quant Ă  ce qu'ont pu lui dire tout ses proches, il aura presque tout oubliĂ©. Des milliers d'heures Ă  Ă©couter ces palabres pour si peu. Pour maintenir sa vie sociale. Quoi qu'il en pense, notre hĂ©ros ne supporterait pas la solitude et a besoin du soutien de ses amis, parfois. Amis sur lesquels, souvent, il a Ă©crit. _ Parce qu'il garde un bon souvenir de ces moments oĂč il Ă©crivait, Hans voudrait Ă©crire cette nouvelle pour ce concours. Il n'aime pas la direction qu'on voudrait lui imposer par ces trop nombreux mots mais reconnaĂźt quand mĂȘme qu'il faut des rĂšgles. Il pourrait dire qu'il s'en fiche, qu'il est libre et qu'il n'Ă©crira pas sur le commerce Ă©quitable. Mais c'Ă©tait cela ou le concours de discours du ministĂšre de l'IntĂ©rieur oĂč il fallait placer les mots sĂ©curitĂ©, violence, roms, charter, identitĂ©, Hortefeux. Bon grĂ©, mal grĂ©, il a choisi le concours d'Oxfam. _ Pour Ă©viter un discours altermondialiste, il a trouvĂ© une passerelle ; comme une sorte d'Ă©chappatoire. Il n'est pas un rebelle, seulement impertinent et ne veut pas ĂȘtre dĂ©classifiĂ©. _ Il n'a pas peur de la feuille blanche, ce mythe. Il a pris son crayon et Ă©crit facilement ses premiĂšres phrases. Facilement, trop facilement. Il se demande s'il ne devrait pas faire plus d'efforts pour ce concours. Il pourra toujours retoucher son texte des centaines de fois. Il en a l'habitude. Oter, remplacer, replacer, dĂ©placer, réécrire. Comme si le texte Ă©tait un Ă©quilibre et qu'Ă  chaque changement de mots, la structure Ă©tait sans dessus dessous et qu'il fallait lui trouver un nouvel Ă©quilibre. Tout est mallĂ©able in fine, se dit-il, et c'est un ensemble, n'est ce pas ? Pas une addition d'idĂ©es ou une addition de belles phrases. D'ailleurs ça l'arrange, aucune de ses phrases ne sont belles. _ Hans serait le pire des contremaitres. Il commencerait les travaux de construction d'une maison sans plan, sur une intuition et ferait tout modifier une fois celle-ci construite. Agir avant de rĂ©flĂ©chir serait sa devise. Peut-ĂȘtre simplement oublie-t-il que le plan et la sĂ©quence sont dans sa tĂȘte et qu'il n'a jamais commencĂ© Ă  Ă©crire sans avoir imaginĂ© les premiĂšres phrases et les Ă©lĂ©ments clĂ©s de son texte, au calme dans le noir et le silence, blotti sous sa couverture, prĂȘt Ă  se coucher. _ Hans s'est souvent questionnĂ© sur l'analogie entre un texte et une maison. Les plans lui rappellent trop l'Ă©cole, ses dissertations en histoire oĂč il ne restait plus de place Ă  une quelconque libertĂ© aprĂšs l'Ă©criture de son plan. Mais comme on ne pouvait pas réécrire l'histoire, c'Ă©tait peut-ĂȘtre mieux ainsi. Ce n'est pas l'Ă©cole qui lui a donnĂ© le goĂ»t de l'Ă©criture. Cela ne vient pas non plus d'un quelconque appel. Hans a entendu des milliers d'histoires de ces personnes qui avaient reçu un appel avant de devenir prĂȘtre, bonne sœur ou mauvais pĂšre. Mais non, il n'y a pas de place au doute quand il regarde sur son mobile, Dieu ne l'a pas appelĂ© et n'a pas non plus envoyĂ© de texto Ta voKtion Ă© dĂȘtr Ă©kriv1 ». Et comme il ne sait que peu de choses sur lui, il ne saurait pas dire d'oĂč lui vient ce goĂ»t pour l'Ă©criture. _ Hans va donc commencer Ă  Ă©crire et Ă  cet instant jubilatoire, tout est dĂ©jĂ  Ă©crit. Il voit dĂ©jĂ  les autres lui dire que son histoire n'a pas commencĂ©. Nouvelle 061 _ Concours Le rĂšglement du concours lui a Ă©tĂ© donnĂ© il y a deux jours Ă  peine par son ami Albe. Kirx qui aime particuliĂšrement Ă©crire s'est jetĂ© dessus comme la misĂšre sur le peuple. Non qu'il soit en panne d'idĂ©es novatrices, mais cette opportunitĂ© propice Ă  crĂ©er encore une autre histoire, ne peut que lui plaire. Albe en son temps, lui aussi Ă©crivait puis, pris par le tourbillon de sa vie si intense et fourmillante, a peu Ă  peu abandonnĂ© ce divertissement qui reste Ă  dire vrai plus un Ă©tat qu'une simple occupation. _ De temps en temps, Kirx lui envoie quelques textes Ă  lire et Albe lui donne son avis, reconnaissant Ă  juste titre son talent Ă  manier les mots, la subtilitĂ© du dĂ©roulement inattendu des intrigues ainsi que son imaginaire parfois dĂ©bridĂ© amenant une spontanĂ©itĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment maitrisĂ©e. _ Cette fois-ci, le concours Ă  rendre d'ici une huitaine de jours comporte non pas un thĂšme Ă  respecter mais, outre des astreintes typographiques, des mots Ă  insĂ©rer dans le texte. Un vrai dĂ©fi pour Kirx qui a pour habitude d'Ă©crire librement sans s'imposer quoi que ce soit. _ Il se met Ă  la tĂąche immĂ©diatement et commence Ă  jongler avec les contraintes. _ Il fait plusieurs essais, aussi hasardeux que loufoques mais aucun ne lui sied pour commencer une histoire dont il n'a pas la moindre idĂ©e du sujet qu'il pourrait traiter. Finalement il se lance Ă  l'eau sans trop rĂ©flĂ©chir. Le lĂącher-prise est encore le mieux. _ L'appel de la Passerelle Ă  l'angle du CafĂ© le guide en un Ă©lan jubilatoire. Sans palabre ni prĂ©ambule aussi mallĂ©able qu'incertain, il s'Ă©lance un peu comme le bĂ©lier qu'il est. Agir reste l'essentiel. Sans soutien ni mobile apparent, il troque ses sĂ©quences intĂ©rieures aussi secrĂštes qu'Ă©tranges contre une bonne introduction qui tient la route s'appuyant sur ses acquis d'Ă©cole primaire. Le personnage, Kadrouss, nĂ© de ces contraintes illustre un aliĂ©nĂ© de premiĂšre classe qui se mĂȘle sans trop savoir pourquoi Ă  des passants pressĂ©s d'emprunter Ă©galement la Passerelle. Ensemble, ils iront revendiquer leurs droits d'hommes bafouĂ©s
 » _ Le reste va de soi. Kirx achĂšve sa nouvelle de deux pages, relit, peaufine, enregistre, laisse son clavier et sa souris. Il s'habille chaudement, s'en va faire un tour, histoire de se changer les idĂ©es. _ Kirx maintenant marche vers la Passerelle Ă  l'angle du CafĂ©, l'emprunte. Elle est dĂ©serte Ă  cette heure tardive et juste Ă©clairĂ©e par quelques lampadaires diffusant un Ă©clairage plutĂŽt orangĂ©. Il poursuit, solitaire, sa balade vers la rue des Embranchements qui donne sur le Grand Boulevard des GĂ©nĂ©raux. Au loin, le Pont Mireau traverse le fleuve. Il aime ce cĂŽtĂ© de la ville qui donne un air d'ailleurs. Il parcourt le Pont quand il voit arriver en face de lui un personnage en manteau noir avec un chapeau rond et une longue Ă©charpe flottant au vent du soir. _ Ils se croisent sans mot mais se regardent intensĂ©ment. Kirx a la drĂŽle impression de le connaĂźtre sans toutefois pouvoir l'identifier. Il se retourne mais le quidam a dĂ©jĂ  disparu comme une ombre s'Ă©vanouissant dans la nuit. _ Il fait demi-tour et rentre Ă  son logis. Il est las, dĂ©cide d'aller se coucher. Rien de tel qu'une bonne nuit. Il rĂȘve du personnage rencontrĂ© sur le Pont, de cette tĂȘte Ă  peine visible emmitouflĂ©e dans sa longue Ă©charpe qui flotte au vent. L'homme lui crie quelque chose comme s'il lui en voulait mais Kirx ne peut comprendre tant les mots restent inaudibles. _ Il s'Ă©veille de fort mauvaise humeur, repense Ă  ce rĂȘve absurde. _ Il ouvre son ordinateur, cherche parmi ses fichiers, la nouvelle Ă©crite la veille. Enfin, au bout d'un certain temps, elle s'affiche Ă  l'Ă©cran. Il la relit attentivement. _ Kadrouss, ce fou, avait disparu. Nouvelle 062 _ Fait divers insolite Par une douce soirĂ©e d'Ă©tĂ©, Ninon terminait de dresser la table pour un petit dĂźner entre amis. Ceux-ci allaient arriver d'une minute Ă  l'autre. La jeune femme, Corinne et Louis profitaient tous trois de leur rĂ©union mensuelle pour jouer des scĂ©nettes et rĂ©citer quelques poĂšmes aprĂšs avoir pris leur repas ensemble dans une ambiance amicale et souvent animĂ©e. _ Soudain, Ninon fut interrompue par un appel au secours. En face de chez elle, une femme secouait un homme brutalement. Elle ne resta pas figĂ©e bien longtemps. Il fallait agir. Attrapant au vol son mobile et ses clefs, elle se rua sur la passerelle qui enjambe la route sĂ©parant la citĂ© en deux blocs de bĂątiments. La jeune femme se mĂȘla au groupe de badauds qui observaient la scĂšne, glana quelques informations. Elle apprit ainsi qu'il s'agissait d'un couple mariĂ©, dont les scĂšnes de mĂ©nage se rĂ©pĂ©taient Ă  une frĂ©quence de plus en plus rapprochĂ©e. La femme avait frappĂ© son homme Ă  coups de poings dans le ventre et au visage. _ Qu'il est rĂ©voltant de voir de quelle maniĂšre certaines femmes peuvent amener un homme Ă  aliĂ©ner son indĂ©pendance ! Ce constat lui Ă©tait insupportable. Inacceptable aussi l'hilaritĂ© gĂ©nĂ©rale des tĂ©moins qui trouvaient la situation de l'homme battu dĂ©sopilante ! Ninon se sentit immĂ©diatement solidaire. Il lui fallait apporter son soutien Ă  la victime, et vite ! Mais seule, qu'allait-elle pouvoir faire face Ă  cette furie ? Une nana taillĂ©e comme un boxeur, toute en muscles ! _ Scrutant l'autre cĂŽtĂ© de la rue, elle vit que Louis arrivait Ă  leur rendez-vous et lui envoya un message sur son portable. Il regarda autour de lui, hĂ©sitant. Ninon l'appela au tĂ©lĂ©phone pour lui servir de guide car, manifestement, il ne connaissait pas le passage. Sur ses indications, il s'engagea sur la passerelle. Quand il comprit la situation, il accĂ©lĂ©ra le pas et finit le trajet en courant. Louis intervint sur le champ pour stopper les coups et neutraliser la violence de cette femme. DĂšs qu'Yvon fut libĂ©rĂ© des griffes de sa tortionnaire, Ninon troqua sa position de badaud pour celle de secouriste-amateur et s'occupa de lui. La police, appelĂ©e par un tĂ©moin de la rixe emmena la coupable, aprĂšs d'interminables palabres. Cette situation leur paraissait tellement invraisemblable que les policiers voulaient embarquer la victime, la prenant pour le coupable. _ Dans l'action, Louis avait reçu des coups de pied. Il se frottait la jambe droite. Sur le tibia, une enflure apparaissait dĂ©jĂ  et il en garderait le souvenir pendant un certain temps ; un bel hĂ©matome en perspective ! _ Ninon proposa d'accompagner Yvon chez un mĂ©decin. Son Ă©tat nĂ©cessitait des soins. De plus il aurait tout intĂ©rĂȘt Ă  faire constater ses blessures. Un certificat mĂ©dical lui servirait de preuve si un jour, il souhaitait faire appel Ă  la justice. Pour le moment, il n'y songeait pas. C'Ă©tait un homme d'aspect plutĂŽt frĂȘle, qui paraissait complĂštement apeurĂ©. _ Ninon n'insista pas. Pas ce soir-lĂ  ! Elle prĂ©fĂ©ra ne pas le brusquer, pensant qu'il Ă©tait dĂ©jĂ  assez choquĂ© par ce qu'il venait de vivre. Yvon voulait plutĂŽt aller se terrer seul chez lui, se cacher. Par contre, lĂ -dessus, Ninon ne cĂ©da pas. Pas question de le laisser rentrer chez lui, vu l'Ă©tat Ă©motionnel dans lequel il se trouvait ! Elle s'y opposa avec tact mais fermement, et aprĂšs une longue discussion, l'homme, Ă  courts d'arguments, accepta de se joindre au groupe pour le reste de la soirĂ©e. _ Pendant que les amis de Ninon servaient l'apĂ©ritif, celle-ci passa doucement une compresse sur l'œil tumĂ©fiĂ© d'Yvon et tenta de le faire parler. Il commença Ă  se dĂ©tendre, mais livra peu de lui-mĂȘme. Ce n'est qu'au cours du repas qu'il parvint Ă  exposer des bribes de sa situation. Il expliqua qu'au quotidien, il se surveillait en permanence, qu'il faisait son possible pour ne pas contrarier sa compagne, essayait d'ĂȘtre le plus mallĂ©able possible. Et malgrĂ© cela, elle explosait sans raison, le malmenait rĂ©guliĂšrement, lui faisait des scĂšnes de plus en plus violentes. D'autres sujets vinrent alimenter leur conversation, notamment le pourquoi de ces rencontres. Si bien que lorsqu'ils en furent au cafĂ©, Yvon savait tout sur leurs petites rĂ©unions. A leur grand Ă©tonnement, leur invitĂ© de derniĂšre minute demanda timidement Ă  participer Ă  la sĂ©ance théùtrale de ce jeudi. Yvon leur confia qu'il souhaitait illustrer le calvaire qu'il vivait dans son couple par une petite sĂ©quence d'improvisation. Heureux de partager leur divertissement avec lui, ils acceptĂšrent avec enthousiasme. Corinne se proposa pour endosser le rĂŽle de la femme jalouse, mais refusa de dire pourquoi elle avait tant envie de l'incarner. A cette occasion, Yvon leur apprit qu'il avait Ă©tĂ© un enfant battu et qu'il avait Ă©tĂ© hospitalisĂ© Ă  plusieurs reprises suite aux mauvais traitements subis. Dans ce rĂŽle oĂč il se mettait lui-mĂȘme en scĂšne, Yvon rĂ©gla des comptes avec sa mĂšre, qui fut incarnĂ©e par Ninon, et avec son Ă©pouse en exprimant Ă  leurs substituts ce qu'il avait dĂ» taire toute sa vie. Il surprit les trois compĂšres par son ton jubilatoire et par son humour dĂ©capant. Aucun des quatre n'oublierait cette soirĂ©e mĂ©morable ! _ Le lendemain, Yvon dĂ©cida d'aller chez le mĂ©decin, puis de se rendre au commissariat pour dĂ©poser une plainte. Il prit mĂȘme rendez-vous avec un psychologue dont Ninon lui avait communiquĂ© les coordonnĂ©es. Elle savait d'expĂ©rience que, pour lui, de grandes difficultĂ©s viendraient s'ajouter aux prĂ©cĂ©dentes. C'Ă©tait un passage obligĂ© pour qu'il reprenne sa vie en main! Nouvelle 063 _ Lucien Nous Ă©tions les enfants de ce nouveau siĂšcle et sommes partis ensemble en train dans des wagons bondĂ©s avec la joie et l'insouciance aveugle de nos vingt ans. Nous avions rĂ©pondu comme un seul homme Ă  l'appel. Sans mobile, certains par devoir. Beaucoup d'entre nous y sommes restĂ©s, et les survivants, s'ils n'Ă©taient pas affreusement mutilĂ©s, la peau brĂ»lĂ©e par les gaz de combat ou la tĂȘte cassĂ©e, gardaient en souvenir les horreurs qu'ils avaient vues de leurs propres yeux, daguerrĂ©otype de l'enfer Ă  jamais graver Ă  mĂȘme l'iris au point de leur refuser les rĂȘves du sommeil. _ Les premiers jours on ne faisait que marcher. Long convoi humain silencieux dĂ©chirant le rideau des brumes matinales, sĂ©quence interminable, la tĂȘte basse, sans Ă©changer la moindre parole. AliĂ©nĂ©s par toutes ces heures, on finissait par attendre la nuit comme la promesse future du repos, en dĂ©posant sac et fusil pour soulager de nos frĂȘles Ă©paules le poids d'une vie devenu trop Ă©crasante. Au loin on entendait le vacarme sourd des obus. Il pleuvait sans interruption depuis des semaines. On regardait la campagne sous un voile de gouttelettes d'eau, comme tombant d'une gouttiĂšre percĂ©e qu'Ă©tait devenu le bord de nos casques. Des cauchemars me hantaient tout le jour. A croire que la fin du monde, dont le curĂ© de mon village natal nous parlait durant les dimanches lointains de l'hiver, Ă©tait proche les tranchĂ©es serpentant dans la plaine, qui faisaient comme une course d'intestins Ă©talĂ©s Ă  la surface des choses, s'inonderaient. Un dĂ©ferlement de furie emporterait dans des riviĂšres de boue des hommes Ă  l'agonie, sans nul soutien, comme des pantins noyĂ©s sur la terre ferme sans avoir combattu. _ Il ne faut pas croire mais sĂ©rieux nous avions nos jours de bonheur. Un sourire pouvait s'arracher de nos faces terreuses. Si la mort nous surprenait subitement, elle nous emporterait avec ce rictus clownesque figĂ© sur nos faciĂšs de pauvres automates. De toute la compagnie, je ne garde nettement que la mĂ©moire d'un visage encore poupin malgrĂ© sa grossiĂšre moustache d'avaleur de sabres. Il faut que je vous parle de Lucien. Fils de boucher dans le civil, il venait de la ville. On dit qu'il Ă©tait allĂ© voir ce que certains appelaient dĂ©jĂ  du cinĂ©ma dans des salles enfumĂ©es sur les boulevards parisiens. Lui me parlait de magie, d'une locomotive fracassĂ©e prĂšs d'un kiosque Ă  journaux de la gare Montparnasse. Films enchanteurs d'une poignĂ©e de minute projetĂ©s dans des foires oĂč la pellicule illustrĂ©e imprĂ©gnait la rĂ©tine des spectateurs de rĂȘve d'opium et leur faisait prendre leur tĂȘte pour du caoutchouc mallĂ©able. Enthousiaste et jubilatoire, Lucien m'en rapportait comme d'une des quatre cents farces du diable. C'Ă©tait du rĂȘve qu'il me donnait, une passerelle vers un monde inconnu, c'Ă©tait comme du pain. Ses paroles agissaient sur mon cœur comme la pĂ©nicilline. Autour de nous, les couches de cendres, les arbres dĂ©capitĂ©s lui rappelait les paysages de lune qu'il avait vus dans les films de MĂ©liĂšs. Tout donnait lieu Ă  de merveilleuses palabres. Il n'Ă©tait pas le vieux brisquard de la compagnie, nulle mĂ©daille dorĂ©e accrochĂ©e Ă  la boutonniĂšre de son uniforme, mais on l'Ă©coutait quand il pĂ©rorait, la pipe au bec, un cafĂ© Ă  la main et la barbe fleurie. Il Ă©tait escamoteur il avait troquĂ© sa vie de soldat contre celle d'artiste. On l'imaginait poĂšte. Il Ă©tait notre guide. _ Aujourd'hui Lucien n'est plus qu'un nom gravĂ© dans le marbre d'un monument aux morts Ă  la mĂšre Patrie, non loin d'une Ă©cole communale, quelque part dans un village au Nord de l'Aisne. Son Ă©toile s'est mĂȘlĂ©e Ă  la mienne. La terre a finit par nous engloutir tous et de la chaire de nos Ăąmes a jailli les racines des arbres Ă  la sĂšve de sang. Nouvelle 064 _ Ascension vers le bonheur AgrippĂ©e Ă  la paroi rocheuse au-dessus du vide, je commençais Ă  regretter d'avoir fait ce pari stupide Qu'est-ce qui m'avait pris de soutenir Ă  cet imbĂ©cile de Ruben que je pouvais grimper le mont Ribier, moi qui n'avais jamais fait d'alpinisme ? Sans doute ai-je voulu garder la face devant BĂ©rangĂšre, elle qui rivalise avec les hommes au snowboard et que Ruben semble tant admirer En attendant, je n'en menais pas large et la crise de panique me guettait. Mon guide m'encourageait patiemment. Il avait dĂ©jĂ  eu tant de mal Ă  me faire prendre la passerelle en corde qui tremblait Ă  chacun de nos pas. La nuit allait bientĂŽt tomber et il fallait agir. Ses mots rĂ©sonnaient comme des palabres tant je redoutais d'avancer. Mes bras et mes cuisses tĂ©tanisĂ©s, mon cerveau embrumĂ©, je n'avais plus la notion du temps ni de la situation. Puis j'ai pensĂ© Ă  Ruben, au sourire jubilatoire qu'il aurait en apprenant que mon guide avait dĂ» faire appel Ă  des secours pour me sortir de cette impasse. Quelle humiliation ce serait et quelle aubaine pour BĂ©rangĂšre de me ridiculiser. Je sentis la colĂšre monter en moi et finalement, cette idĂ©e me ragaillardit. Je retrouvai mes esprits et rĂ©ussis Ă  continuer la progression. Je troquai ma peur contre un nouvel Ă©lan, bien dĂ©cidĂ©e Ă  redescendre victorieuse de mon Ă©popĂ©e montagnarde. Un peu plus bas, mon pied reconnut la terre plus mallĂ©able que la roche et je me sentis rassurĂ©e. J'Ă©tais en sueur, rougie par les efforts, griffĂ©e par les rochers, mais contente d'ĂȘtre allĂ©e jusqu'au bout. Mon guide avait filmĂ© quelques sĂ©quences avec son mobile aussi, je lui demandai gentiment de supprimer le passage de mon dĂ©shonneur, je ne tenais pas Ă  m'illustrer en poltronne et mon guide m'affirma que j'avais tout son soutien. Pour le remercier, je proposai de prendre un cafĂ© ensemble au bar du Bellevue, le repĂšre de mon cher Ruben. _ Nous Ă©tions entrain de discuter lorsque Ruben arriva. J'eus tout de suite l'impression qu'il me cherchait. Je l'invitai Ă  se mĂȘler Ă  nous et il vint s'assoir prĂšs de moi. Je sentis alors immĂ©diatement mon cœur battre plus fort. Mon guide lui parla de mon courage, de mon aisance sur la roche et je devinai un nouveau regard de Ruben sur moi, on aurait dit qu'il avait une sorte d'admiration. _ Plus tard, dans la soirĂ©e, Ruben m'offrit mon premier baiser, si tendre, si troublant que je me demandais comment j'avais pu m'aliĂ©ner l'esprit pendant tant de mois, persuadĂ©e qu'il ne s'intĂ©ressait pas Ă  moi Il m'avoua qu'il m'aimait depuis le premier jour et qu'il considĂ©rait BĂ©rangĂšre comme une petite sœur. Finalement, en dĂ©passant mes limites, j'avais dĂ©passĂ© mes peurs, mes complexes, j'avais enfin confiance en moi, et j'avais surtout gagnĂ© l'amour de Ruben. Nouvelle 065 _ La derniĂšre cartouche CachĂ© derriĂšre un cromlech improvisĂ© sous mon lit superposĂ© avec des couvertures et autres matĂ©riaux mallĂ©ables, je sortis brusquement vĂȘtu d'un dĂ©guisement de cowboy, arme au poing. Le seul dĂ©tail qui ne collait pas dans mon accoutrement c'Ă©tait le turban de touareg que je m'Ă©tais enroulĂ© en guise de chapeau. Un cowboy ne doit jamais ĂȘtre pris au dĂ©pourvu, et j'avais malencontreusement Ă©garĂ© mon couvre-chef ! _ Fils unique et donc bien souvent seul pour jouer, je m'Ă©tais inventĂ© un univers chaotique et jubilatoire oĂč, tantĂŽt les indiens remportaient la bataille, tantĂŽt les cowboys massacraient quelques milliers de peaux rouges. Quoiqu'il en soit les uns et les autres avaient toujours un excellent mobile ! _ Pour l'instant rien n'Ă©tait gagnĂ© et mĂȘme si, fort de mon courage et de ma tĂ©mĂ©ritĂ© j'avais devancĂ© l'appel, j'essayais avant tout de sauver ma peau compte-tenu que j'Ă©tais le seul survivant dans cette contrĂ©e hostile. Plus qu'une balle dans le rĂ©volver et dans la poche de mon gilet, un peu de poivre mĂȘlĂ© Ă  quelques grains de sel que je gardais prĂ©cieusement pour surprendre l'adversaire si besoin Ă©tait. J'avais vu ça dans les films. Quand on se retrouve Ă  terre, rien de plus efficace que d'envoyer de la poudre dans les yeux de son ennemi jurĂ©. J'Ă©tais parĂ© !! _ Je guettais la porte d'entrĂ©e de ma chambre, qui Ă©tait en fait l'entrĂ©e du canyon, seul passage Ă  dĂ©couvert par lequel les indiens viendraient me rĂ©gler mon compte. Cela ressemblerait sans nul doute Ă  un meurtre, vu qu'ils Ă©taient des centaines et moi tout seul. _ Ne dit-on pas que la meilleure dĂ©fense est l'attaque ? Il fallait agir ! Je pris 2 longues respirations et m'Ă©lança en direction de la passerelle qui surplombait le canyon, en lançant mon terrible cri de guerre qui me valait mon surnom de vocifĂ©ror ». Au mĂȘme moment l'ennemi avait donnĂ© le signal pour la sĂ©quence extermination finale » et je dĂ©cidais Ă  la hĂąte de rebrousser chemin pour me mettre Ă  l'abri derriĂšre un rocher. Vue la situation dĂ©sespĂ©rĂ©e et faute de soutien d'aucune part, je dĂ©cidais en tout Ă©tat de cause de capituler sans autres palabres. J'attrapais la carte illustrĂ©e qui me servait de guide et de plan d'attaque que je brandissais tel un drapeau blanc. _ Les deux chefs sioux, totalement aliĂ©nĂ©s, firent ensemble leur entrĂ©e, un cafĂ© Ă  la main LĂ©o c'est toi qui as troquĂ© notre feuille d'impĂŽt contre cet Ă©tendard chiffonnĂ©, cela fait prĂȘt d'une heure que nous essayons en vain de mettre la main dessus ! » Nouvelle 066 _ Charlie Grain de cafĂ© » _ Charlie a travaillĂ© dur encore cette annĂ©e. _ Sa famille a travaillĂ© dur, elle s'est Ă©chinĂ©e.   ; _ On le dit mallĂ©able, il est mobile l'Ă©thiopien. _ On lui dit d'agir, on le guide, c'est du soutien.   ; _ Tous ensemble, Ă  l'appel, pour la journĂ©e _ Formez une passerelle bien ordonnĂ©e.   ; _ Pas de palabre sous l'arbre, trop ancien, _ Juste des sĂ©quences illustrĂ©es d'Ă©picurien.   ; _ Quand Oxfam s'en mĂȘle, l'affaire est bien menĂ©e, _ Pas une graine n'aliĂšnera la maisonnĂ©e.   ; _ C'est jubilatoire le cafĂ©, c'est ambrosien _ Charlie est au comptoir, il troque le sien. Nouvelle 067 _ Incarnation. Une boule de lumiĂšre bleue fusa du concert de voix cĂ©lestes et plongea dans les couches infĂ©rieures de l'univers. Elle traversa l'aurore borĂ©ale d'une minuscule planĂšte et se posa prĂšs d'une cascade tourbillonnante d'Ă©cumes et de rires alors qu'une colonne d'eau soulevait un enfant Ă  plusieurs mĂštres de hauteur. La gerbe se brisa brutalement en mille pĂ©tales de roses et Le garçon retomba dans le bassin en poussant un cri de surprise. Une petite fille aux cheveux d'or se jeta sur lui pour l'entraĂźner au fond puis elle se rua ensuite sur les autres enfants. _ Un bel EphĂšbe se matĂ©rialisa sur la berge. Il plongea ses yeux turquoise dans ceux de la fillette. Elle le dĂ©visagea Ă©tonnĂ©e et courut vers lui pour sauter dans ses bras. Leurs Ă©nergies se mĂȘlĂšrent en crĂ©pitant, faisant fuir les papillons qui volaient autour d'elle. _ ? Je t'aime et j'adore ce nouveau corps, il est trop chou, hi, hi, hi. _ ? Je t'aime LoĂŻne et la rĂ©crĂ©ation est finie. _ ? Oh non, je n'ai pas envie. _ ? Il le faut. _ ? Ou cela se passe-t-il ? _ ? Sur la terre. _ ? Encore ? _ ? Oui, c'est le meilleur endroit pour que tu grandisses. _ ? Mais je suis grande ! _ Elle s'Ă©chappa de ses bras, monta en flĂšche vers les Ă©toiles, explosa en un bouquet de feux d'artifice dont les flammes se rassemblĂšrent pour former un monstre cornu qui remplissait le ciel. Il lui tomba dessus dans un hurlement d'Ă©pouvante en faisant vibrer l'univers. _ TempĂ©rance fut pulvĂ©risĂ© en une multitude de particules lumineuses; Il se rassemblĂąt aussitĂŽt et l'enfant bondit Ă  nouveau dans ses bras en riant. _ ? C'Ă©tait quoi cela ? _ ? Une petite sĂ©quence pour illustrer le dernier cours. Une image remplace mille mots. _ ? Si c'est la seule chose que tu as retenue de la derniĂšre leçon, il y a de quoi s'inquiĂ©ter. _ ? ArrĂȘte, c'Ă©tait jubilatoire, je veux encore un job dans le cinĂ©ma ! _ ? Non, cette fois-ci il s'agit d'une pĂ©riode plus ancienne dans l'espace-temps de la terre. Une civilisation brillante mais sans gadgets. Fini les effets spĂ©ciaux ! _ ? Soit, Je veux bien y retourner, mais alors je ne veux plus ĂȘtre une femme. J'en ai ras le bol. _ ? Je veux, je ne veux pas Tu n'as pas trop le choix, tu dois encore travailler cette polaritĂ©. _ ? S'il te plait? _ Il la contemplait avec ce sourire qui voulait tout dire. Elle souffla de dĂ©pit et lova sa tĂȘte dans son cou. Elle avait beau user de tout son charme, rien y faisait. TempĂ©rance Ă©tait moins mallĂ©able que les autres guides, mais elle n'aurait voulu en changer pour rien dans l'univers. _ ? J'en ai bavĂ© la derniĂšre fois, tu le sais bien. _ ? A qui la faute ? Rentre tes griffes, soit pleine d'amour, de joie et de compassion pour ton prochain. L'amour est une passerelle au-dessus des tourments, un pont reliant le ciel Ă  la terre. Fais les bons choix et tu seras l'actrice de ta vie au lieu de la subir. _ ? Palabre, palabre que tout cela ! Sur terre il y a la douleur et le temps. La douleur, ça fait mal et le temps, c'est long. Je troquerais bien ma place pour la tienne, mon biquet. _ ? A toi d'agir en consĂ©quence et tu l'auras bientĂŽt. Ton ami SĂ©bias t'aidera, il fait partie de la leçon. Elle jeta un coup d'œil derriĂšre elle. Il n'y avait plus personne dans la cascade. _ ? Heureusement parce que si je devais compter sur ton soutien! Je ne te vois plus, je ne t'entends plus. _ ? C'est parce que tes pensĂ©es font trop de bruits. Tu t'agites en tout sens et tu dĂ©penses ton Ă©nergie Ă  accumuler des possessions qui t'aliĂšnent. Tu oublies ta vraie nature. Fies-toi Ă  ton intuition. Ton intuition c'est ton Ăąme et c'est Ă©galement moi, ne l'oublie pas. Il n'y a pas de sĂ©paration entre nous, il n'y a que l'amour. _ La terre apparaissait maintenant au milieu de l'espace Ă©toilĂ© et l'enfant prit son envol. Il resta assis dans le vide Ă  la regarder s'Ă©loigner. Sans la pensĂ©e crĂ©atrice des enfants, le petit paradis avait disparu. * _ MilikĂą fit une roulade souple, trois pas de danse et se dĂ©tendit dans une figure de style d'une grĂące aĂ©rienne. Elle tourbillonna et se campa devant lui, l'arrĂȘtant net dans sa progression. _ ? EtumĂškes, Franchement, tu y crois Ă  la vie Ă©ternelle aprĂšs la mort ? — Surveille ton langage, petite idiote, tu t'attaques aux fondements de notre civilisation ; si le grand prĂȘtre d'Amon t'entendait Il la repoussa doucement du bout des doigts Ce serait vraiment dommage de gĂącher toute cela dans le ventre d'un crocodile ». Il reprit sa marche et la petite esclave nue au corps de liane se mit Ă  gambader Ă  ses cotĂ©s. _ ? C'est vrai que les Rois Ă©gyptiens sont illuminĂ©s, c'est vrai qu'ils sont en contact permanent avec RĂą ? _ ? C'est ce que l'on dit, maintenant je ne suis pas Pharaon et j'ai peu de chance de le devenir. _ ? Mais tu es son deuxiĂšme fils
 — De sa septiĂšme Ă©pouse. Il y a du monde devant et RamsĂšs semble indestructible. _ ? J'ai besoin de savoir ce qu'il y a ensuite. J'ai peur de mourir et de disparaĂźtre dans le nĂ©ant. _ ? Tranquillises-toi, Lorsque nous mourrons, je veillerai Ă  ce que tu sois embaumĂ©e plutĂŽt qu'enfermĂ©e vivante dans mon tombeau. Elle se figea sur son pied d'appel, fit une grimace et bondit sur son dos. _ ? Tu me rassures! N'empĂȘche, Si vous Ă©tiez vraiment convaincu de l'Ă©ternitĂ© de l'Ăąme, vous ne vous prĂ©occuperiez pas tant de vos dĂ©pouilles mortelles. Ce ne sont que des enveloppes vides, aprĂšs tout. C'est Ă©trange quand mĂȘme, toi qui est dans le secret des Dieux, Tu ne sais vraiment rien ? _ Il la fit passer par-dessus son Ă©paule et la reposa sur ses pieds pour la contempler avec tendresse. Ses yeux d'ingĂ©nue Ă©taient immenses et reflĂ©taient tant de promesses d'amour. Ensemble c'Ă©tait divin, leur union avait quelque chose de mystique
 Il joignit ses mains devant son visage pour cacher son amusement puis rĂ©pondit avec sĂ©rieux. _ ? Je n'ai pas de contact direct avec RĂą en songe. Par contre, j'ai croisĂ© un ange un peu rustique avec ses ailes de poulets dĂ©plumĂ©s. Il m'a assurĂ© que comparĂ© Ă  notre Ă©ternitĂ©, une existence humaine reprĂ©sentait Ă  peine l'ombre d'une crotte de pou constipĂ© dans la touffe d'Hathor. Tu sais bien, Hathor, la dĂ©esse de l'amour. Il Ă©clata de rire devant sa mine hĂ©bĂ©tĂ©e. _ ? Tu te moques de moi, ce n'est pas gentil. Elle se pelotonna contre lui. Fais-moi l'amour » _ ? Je dois rejoindre pĂšre. Les soldats sont dĂ©jĂ  alignĂ©s dans la cour. Elle haussa le ton. _ ? Je m'en fous et toi aussi. Tu n'es pas comme tes frĂšres, Pharaon n'a pas besoin de toi pour passer en revue les brutes Ă©paisses de sa garde personnelle. C'est moi qu'il faut passer en revue ! _ ? Tais toi, tu es folle de crier cela ! On va encore avoir des ennuis. Il faut que j'y aille. — Non je ne suis pas folle, j'ai quinze ans et toi seize. Tu es beau comme un dieu ; je t'aime et quand tu me sers dans tes bras, j'ai les poils au garde Ă  vous. _ ? Et si tu tombais enceinte ? _ ? Impossible en ce moment. _ ? En es-tu bien sĂ»r ? _ ? C'est moi la femme ! Elle agita un bras en l'air et tourna sur elle-mĂȘme en dĂ©hanchant sensuellement. Elle lui fit un clin d'œil coquin. Et moi, je n'ai aucun pou dans la touffe, hi, hi. » * _ LoĂŻne plongea vers la planĂšte bleue Ă  une vitesse vertigineuse. Elle troua l'atmosphĂšre et arrondit sa trajectoire au-dessus d'un pĂŽle immaculĂ© doucement Ă©clairĂ©e par la rĂ©flexion d'une petite lune ronde. Elle survola un OcĂ©an, Le soleil la salua en illuminant des collines verdoyantes qui firent place Ă  un dĂ©sert de sable aux dunes impressionnantes, ponctuĂ© d'oasis et de pyramides majestueuses. Elle longea le Nil et dĂ©passa les remparts d’une ville dĂ©jĂ  endormie. Au sein d’un palais, dans une alcĂŽve fleurie et parfumĂ©e, deux corps s’enlaçaient. Elle resta un moment Ă  les contempler. Le garçon savourait le plaisir propre Ă  la communion des corps, synchronisĂ© au mouvement de la jeune fille dans leur extase commune. C'Ă©tait ZanĂ©e. Elle lui avait dĂ©jĂ  piquĂ© SĂ©bias dans une chambre de la butte Mont martre aprĂšs avoir droguĂ© son cafĂ©. Elle lui envoyait des SMS torrides. Elle lui avait fait avaler son mobile. Il Ă©tait tout petit, mais L'exercice s'Ă©tait quant mĂȘme mal fini. _ Qu'est-ce qu'ils avaient ri pendant la correction ! Maintenant elle allait ĂȘtre sa mĂšre, cela promettait. Elle lui prĂ©parait un de ces œdipes. _ Elle avait choisi de s’incarner au moment de la conception. Elle n’en Ă©tait pas Ă  son premier corps de dĂ©sir. Elle Ă©tait joueuse ; une partie d’elle se glissa dans l’enveloppe du mĂąle depuis le sommet du crĂąne, parcouru ses flux et ses pensĂ©es, vibra aux rythmes de ses pulsions et vĂ©cut son orgasme. Dans un torrent de vie et de plaisir, elle plongea dans la matrice de la femme. Une bulle se forma, Elle se fondit en elle. Elle imprĂ©gnerait ce fœtus puis cette enfant au cours de ses premiĂšres annĂ©es en oubliant peu Ă  peu sa vraie nature, alors que la petite humaine s’éveillerait Ă  la rĂ©alitĂ© physique de ce monde. Condition indispensable pour une leçon efficace. Nouvelle 068 _ Rencontre Souviens-toi
 _ Tu avais ton guide sans le sac de voyage et tu avais suivi le plan. Mais pour accĂ©der Ă  ce manoir, loin de tout, tapi dans son parc et la brume de dĂ©cembre, il eĂ»t fallu une boussole. A l'arrivĂ©e, la clartĂ© de l'intĂ©rieur te fit chaud au visage. _ Un visage qui s'ajouta aux autres. Visages inconnus. Visages aux yeux perplexes, en quĂȘte de repĂšres. _ C'est alors qu'avec tact, Ă©lĂ©gance et de belles sonoritĂ©s dans la voix, un dramaturge britannique fit un discours fĂ©dĂ©rateur, lançant des passerelles entre les diverses cultures prĂ©sentes en ce lieu. Les Ă©tudiants, Ă©trangers pour la plupart, Ă©coutaient avec la plus grande attention. A l'unanimitĂ©, ils applaudirent. _ Ensuite, on s'attabla. Échanges timides et sourires polis. _ Face Ă  toi, deux Espagnoles s'embarquĂšrent dans un dialogue effrĂ©nĂ©. Avec tes connaissances dans la langue de CervantĂšs, tu croyais pouvoir les suivre. Mais bientĂŽt emportĂ©es dans le flot des palabres, elles s'Ă©loignĂšrent ensemble et tu perdis pied. Tu saisis Ă  temps la perche que je te tendais dans notre langue maternelle et tu me remercias de ce soutien inattendu. J'Ă©tais assise prĂšs de toi. La rencontre fut forte. Je ressens les ondes qui nous mirent en phase sur le politiquement correct du sĂ©jour culturel. Notre conversation intriguait l'entourage, tout en le subjuguant. C'est pourquoi Isabel et Maria s'y joignirent. William ne tarda pas. Soy » et I am » devinrent Nous sommes ». _ La langue de MoliĂšre s'Ă©tala comme une tache d'huile, gagnant toutes les tables, prenant plusieurs reflets, s'enrichissant de mots, de sons. Souple, vivante et mallĂ©able, elle se modela en belles courbes, apprivoisant les uns et les autres, allumant dans les yeux des brasiers jubilatoires. _ Souviens-toi
 _ Quand on nous proposa du thĂ© ou du cafĂ©, tu choisis le cafĂ© pour ce qui n'Ă©tait qu'un mĂ©lange de Maxwell et d'eau bouillante; je rĂ©pondis favorablement Ă  l'appel de la boisson nationale, plus adĂ©quate Ă  la situation et prĂ©parĂ©e selon les rĂšgles, la boisson vertueuse qui rĂ©jouit les Britanniques sans cependant les enivrer. Tu me dis ton prĂ©nom et c'Ă©tait Olivier ; tu me parlas de tes pas incertains pour arriver jusque – lĂ , jusqu'Ă  ce lieu Ă©trange oĂč, peut-ĂȘtre, je t'attendais. Tes yeux sombres se posaient sur moi comme des caresses rassurantes. Ta main se confondait avec la mienne et elles Ă©taient de mĂȘme teinte. Mates. _ Tu Ă©tais Parisien et je venais du Sud. _ Peut-ĂȘtre dans nos arbre gĂ©nĂ©alogiques aurions -nous trouvĂ© une rĂ©gion oĂč vivaient autrefois nos ancĂȘtres, un point commun venu du fond des temps, mais ces soucis identitaires n'Ă©tait pas Ă  l'ordre du jour. Le passĂ© ne nous intĂ©ressait pas. Et l'avenir 
 trĂšs peu sans doute. Seul comptait le prĂ©sent qui peut s'inscrire dans la durĂ©e sans aliĂ©ner, sans connaĂźtre l'usure. _ Par la suite, il y eut d'autres sĂ©quences comme la visite de Londres, sortie collective. La visite du Parlement Ă©tait au programme de la matinĂ©e. Avec vif intĂ©rĂȘt, j'Ă©coutais les explications donnĂ©es par la guide dans un anglais sublime, m' intĂ©ressant aux navettes du projet de loi entre la chambre des Communes et celle des Lords. _ Soudain quelqu'un me tapa Ă  l'Ă©paule, je me tournai vers ton sourire et tu me dis _ – C’est toi la dame en noir ? _ CirĂ© noir, jupe noire, pull noir, gants noirs, chaussures noires. J'Ă©tais la dame en noir. _ L'aprĂšs midi Ă©tait libre, ce temps creux nous appartenait. FlĂąner dans les rues, main dans la main et mĂȘlĂ©s Ă  la foule, nous paraissait merveilleux. Les dĂ©corations lançaient des cris d'appels signĂ©s Christmas qui nous poussaient au lĂšche- vitrine. Tu me parlais avec respect et dĂ©licatesse, quelquefois Ă  voix basse ; j'admirais ton accent diffĂ©rent de celui mes flirts habituels, et toi, tu disais que le mien Ă©tait porteur d'un soleil qui te faisait rĂȘver ; quand tu me quittas, tu m'offris en cadeau de NoĂ«l, ce baiser qui mĂȘla nos lĂšvres hors du temps et dont j'allais garder le goĂ»t. _ Quant aux projets immĂ©diats ? _ Je devais poursuivre mon sĂ©jour outre-Manche alors que tu allais le terminer ; tu rentrais chez toi, Ă  Paris, Ă  NoĂ«l pour ne plus revenir ; je rentrais chez moi, Ă  NoĂ«l, dans mon midi, mais j'allais revenir ; notre rencontre s'arrĂȘta lĂ . Se revoir ne nous vint pas Ă  l'esprit, le hasard nous avait rĂ©unis et nous rĂ©unirait peut -ĂȘtre. Que nous importait, la vie Ă©tait devant nous. _ Je dĂ©ambulais dans les rues, seule et sans toi. Et dans le mĂ©tro, dur de revenir le soir. Et puis il y avait cette histoire de serial killer », l'amateur de brunettes qui faisait la une des journaux ; mĂȘlĂ©e aux voyageurs impassibles qui plongeaient la tĂȘte dans leur Daily Mirror, je captais des bribes d'information effrayantes sur la future victime qui serait Ă©tranglĂ©e le soir – mĂȘme ; je n'en menais pas large et l'angoisse montait au fur et Ă  mesure que le mĂ©tro se dĂ©peuplait, que le vide s'installait prĂšs de ma solitude. Alors je me disais Plus brunette que moi, tu meurs ! J’ai le profil de la future victime. Un long cou, dĂ©tachĂ©. Comme il serait facile de le saisir, de mettre la main dessus, de presser. Une main ? Non deux mains. Des mains rosĂątres, avec des taches rousses sur les poignets. Des mains de gens immobiles qui peuvent brusquement devenir mobiles, fĂ©briles et assassines. Je regarde autour de moi les derniers Anglais assis, les yeux baissĂ©s, ces Anglais qui n'ont l'air de rien- mais c’est pour mieux t’étrangler mon enfant . Oui ce sont des frustrĂ©s, des refoulĂ©s, ces fans de l’humour noir, du polar intimiste, des histoires sordides. Ils sont introvertis et quand la coupe est pleine, ils se mettent Ă  disjoncter, Ă  lĂącher leurs fantasmes. » _ Allons pas de paranoĂŻa ! _ Je suis revenue de lĂ -bas, saine et sauve. _ Souviens – toi 
 _ Nous avions troquĂ© nos adresses. _ Je reçus de toi une carte postale ravissante, illustrĂ©e de la tour Eiffel alors que j'Ă©tais encore Ă  Londres ; un peu plus tard, une lettre arriva avec ta photo dont j'observais les dĂ©tails pour ne rien perdre de toi. Je te fis une rĂ©ponse que je glissai dans le pilier rouge, au bout de la rue ; tu me rĂ©pondis avec un poĂšme de Keats pour cĂ©lĂ©brer la photo que j'avais, moi aussi, incluse dans mon courrier. _ Pendant des annĂ©es je reçus ta carte de Londres, repĂšre de tes sĂ©jours dans ce lieu oĂč nous avions fait des pas ensemble. Je n'oubliais pas d'agir de la mĂȘme maniĂšre lorsque je revenais dans cette ville oĂč j'avais laissĂ© un peu de nous. _ Et c'est ainsi que le temps passe. _ Mais ton visage n'a pas pris une ride. Dans ma boĂźte Ă  secrets, j'ai gardĂ© ta photo comme une estampe, un prĂ©sent immobile et figĂ© qui revient Ă  la vie sur l'Ă©cran de mon cinĂ©ma personnel. Nouvelle 069 _ Agir, je viens _ Agir, agir, tu en as de bonnes » _ Il repose son verre sur la table, essaie de calmer les spasmes qui agitent ses mains, ne me regarde pas. Reprend son verre, le finit d'une traite, puis se lĂšve et sort du bar, sans un regard. _ Je sais que j'ai atteint mon but. Je l'ai troublĂ©. Fait vacillĂ© ses certitudes. Il ne peut plus, dĂ©sormais, se considĂ©rer comme un guide. Il va devoir faire face Ă  ses contradictions et entendre cet appel, cette voix intĂ©rieure, tue depuis si longtemps. Je suis la passerelle entre son moi profond et l'homme d'influence qu'il est devenu, le personnage public qu'il a construit avec acharnement, jusqu'Ă  Ă©touffer l'homme en lui. _ Mais ce sont ces deux facettes, ensemble, dont j'ai besoin. L'homme de pouvoir et l'enfant rĂȘveur. En lui, j'ai rĂ©veillĂ© l'enfance ; j'ai soulevĂ© les voiles, l'un aprĂšs l'autre. C'Ă©tait jubilatoire. DĂ©couvrir, derriĂšre le roc, la tendre pousse. Et la faire vivre. AliĂ©nĂ© depuis si longtemps aux forces qui Ă©loignent de soi-mĂȘme, le rĂȘve Ă©tait de retour _ Je suis tirĂ©e de mes rĂ©flexions par les palabres de mes voisins de table, pesant les avantages et les inconvĂ©nients de cultiver son jardin. Je souris. Repousse la tasse de cafĂ©, lĂ©gĂšrement Ă©brĂ©chĂ©e, et me dĂ©cide Ă  sortir, aprĂšs un lĂ©ger signe de tĂȘte en direction de mes candides voisins. _ Dehors, l'air me semble avoir acquis une douceur semblable Ă  mon humeur, les visages une tendresse rare. La vie est mallĂ©able. Les blessures que le monde inflige peuvent cicatriser. Pour cela, un lĂ©ger inflĂ©chissement de l'ĂȘtre est nĂ©cessaire. Un tuteur, en guise de soutien Ă  la pousse tendre qui voudrait s'Ă©panouir. _ Je serai, pour lui, la lĂ©gĂšre baguette de bois. Toutes les sĂ©quences de sa vie, je les connais. Tout ce qu'il a rĂ©ussi Ă  cacher aux autres, qu'il a fini par se cacher Ă  lui-mĂȘme. Les failles, les doutes, les espoirs aussi. Les lui faire retrouver d'un coup. Raviver en lui les couleurs qui illustraient ses rĂȘves, la flamme qui nourrissait son Ăąme. Et mĂȘler le passĂ© au prĂ©sent pour en faire un ĂȘtre entier, humain. _ Je sais qu'en ce moment-mĂȘme, il se retourne et, que, parmi la foule mobile, il trouve le repĂšre, le point fixe qui lui manquait. Je suis lĂ , attendant simplement qu'il troque son armure de certitudes et de pouvoir contre le voile lĂ©ger de la libertĂ©. _ Je suis lĂ  et le voilĂ , et sa voix est comme une caresse, et son regard comme un souffle qui nous relie enfin. _ Agir. Nous allons agir, mon amour » Nouvelle 070 J'attends dans un cafĂ©. Je ne sais pas ce que j'attends mais j'avais besoin de sortir, de prendre l'air. Mais il fait froid
alors je suis lĂ , une tasse de cafĂ© Ă  la main, essayant de me rĂ©chauffer. Je n'ai mĂȘme pas pris le temps de retirer ma veste. _ Je sors mon livre que je lis d'habitude dans le mĂ©tro, mais lĂ  tout de suite, je n'ai pas envie de lire. _ Je pense Ă  lui, Ă  l'Ă©poque oĂč on Ă©tait encore ensemble. Je sors mon tĂ©lĂ©phone mobile. Pas de message. Pas d'appel en absence. Je souris ironiquement. Comme si il allait demander de mes nouvelles
 je sais que ça n'arrivera pas. Pas aprĂšs ce que j'ai fait. Mais j'attends toujours. C'est complĂštement stupide. _ J'essaye alors de chasser ces souvenirs de mon esprit. Tout en regardant par la vitre, je me dis, Alors maintenant, tu fais quoi? ». _ Je rĂšgle alors la note, range mes petites affaires et sors de la brasserie. Je vais emprunter la passerelle qui rejoint l'autre cĂŽtĂ© du quai. En marchant, je vois des touristes, super courageux de visiter cette ville, en ce temps glacial
ils ont l'air perdu mais je n'ai pas la force de leur indiquer le chemin
et puis ils ont un guide Ă  la main, qu'ils s'en servent. _ Je ne sais pas ce qui m'a pris de vouloir sortir, j'ai les mains et le visage gelĂ©s, ça me tue de voir aussi ces couples s'enlacer, en public. J'ai presque envie de leur jeter des pierres. _ ArrivĂ©e sur la passerelle, une sĂ©quence diffĂ©rente, des parents et leurs enfants. Papas et mamans en train de discuter et les petits en train de troquer leurs derniĂšres images de je ne sais quel manga du moment. _ Mais qu'est-ce qu'ils ont tous Ă  ĂȘtre dehors? _ J'arrive bientĂŽt chez moi. Je suis frigorifiĂ©e. Cette petite virĂ©e Ă©tait censĂ©e me faire du bien mais je reviens encore plus remontĂ©e qu'avant. _ Le temps de mettre le radiateur en marche, j'attrape le combinĂ© de mon tĂ©lĂ©phone et j'appelle une copine. _ Elle dĂ©croche et avec un air jubilatoire m'annonce que ça tombait bien parce qu'elle allait m'appeler. Oh, grande nouvelle, je le sens bien. Elle m'annonce alors qu'elle a reçu son augmentation, et que dans la foulĂ©e, elle a rĂ©servĂ© un super voyage avec son homme pour le nouvel an. Ok, j'Ă©vite donc de lui dire que j'appelais pour compter sur son soutien moral, que j'avais besoin de parler, que j'aurai aimĂ© qu'on se casse loin pour le rĂ©veillon, mais j'avais pas un rond pour le faire. _ Non, je ne peux pas sincĂšrement me rĂ©jouir pour elle car j'Ă©tais mal. Mais comme d'habitude, je sais agir en tant que bonne amie et partage sa joie au tĂ©lĂ©phone. _ Ah c'est cool, je suis super contente pour toi, ça va te faire du bien et puis tu l'as mĂ©ritĂ© cette augmentation! » _ Au bout de dix minutes, elle me demande comment je vais. C'est alors que je lui mens. _ Oui, aussi, je n'arrive pas Ă  casser une ambiance joviale avec mes problĂšmes de gamine. _ Mais elle l'a sentie. Elle me connaĂźt depuis tellement longtemps. Elle me pose alors la question Me dis pas que tu l'as appelé si? » _ Que veux-tu rĂ©pondre Ă  ça. Que j'en meurs d'envie dĂ©jĂ . Mais je me l'interdis. Et elle va me dire que c'est bien, qu'il faut que je sois forte et que je tienne bon. _ On finit par changer de sujet. _ La conversation d'une heure m'a quand mĂȘme changĂ© les idĂ©es. Le temps d'une heure. _ J'ai envie de l'appeler. _ Oui mais pour lui dire quoi? Il faut que je pense Ă  autre chose. _ Dans ma petite tĂȘte, je liste Ă  haute voix mes prochains projets. Changer de mĂ©tier, voyager, voir une aurore borĂ©ale, partir en Australie, lire tous les livres qui sont dans ma bibliothĂšque depuis des lustres, repasser mon permis, acheter un appartement. Et lĂ , je repense Ă  ma mĂšre qui me rĂ©pĂšte de temps Ă  autre qu'elle veut m'aliĂ©ner son F5 le jour oĂč
Si j'avais eu ma propre acquisition, elle arrĂȘtera peut-ĂȘtre de me dire de telles bĂȘtises. _ J'ai vraiment envie de hurler, je n'en peux plus de cette oscillation entre pensĂ©es positives et nĂ©gatives! Il me faut un changement, penser Ă  autre chose. De la musique, oui, de la musique, bonne idĂ©e. _ AllongĂ©e sur mon lit, j'Ă©coute les palabres de cette chanson qui illustrent Ă©trangement bien ma situation mĂȘler ma culpabilitĂ© d'avoir trahi un ami et l'espoir qu'il me pardonne un jour, et penser Ă  un stratagĂšme pour qu'il me revienne. Malheureusement, il n'est pas aussi mallĂ©able. _ Je soupire longuement, je regarde l'heure. J'attrape mon tĂ©lĂ©phone et me lĂšve. Tout en baissant le volume de la musique, je cherche son nom sur le rĂ©pertoire du combinĂ©. J'appelle
ça sonne. _ – Oui! Allo! _ – Euh oui bonjour, je suis bien sur le portable de Gabriel? _ – Il ne peut pas vous rĂ©pondre! _ Une voix au fond criait Vous n'avez pas le droit! Rendez-moi mon portable! » _ Plus de tonalitĂ©. _ Il m'a raccrochĂ© au nez. Mais c'Ă©tait quoi ça? _ Je suis restĂ©e stoĂŻque quelques instants. _ Assise maintenant par terre, je ne sais pas quoi penser, ni quelles questions me poser. Je n'ose pas rappeler, et si mon simple rappel le mettrait dans le pĂ©trin? Je ne reconnais pas celui qui a dĂ©croché sa voix ne m'est pas du tout familiĂšre. _ Quelques minutes plus tard, un bip retentit Je suis Ă  l'aĂ©roport, arrĂȘtĂ© Ă  la douane, mais tout va bien, rejoins-moi, je t'attends. Tu me manques, Gabriel ». _ Ce message m'a tuĂ©e. Je suis passĂ©e d'un Ă©tat de panique Ă  un Ă©tat de grand soulagement et de joie. Il ne m'a pas fallu plus de dix minutes pour rassembler quelques vĂȘtements, mon passeport, et mon sac Ă  main. _ Et c'est parti
 je ne sais pas oĂč, ni pour combien de temps, mais j'y vais. Nouvelle 071 _ Rendez-vous au cafĂ© S. F. Berggasse 19, Wien. _ Cher ami, _ J'aimerais te rencontrer pour que nous puissions Ă©changer quelques palabres sur un cas que je tiens Ă  te prĂ©senter. Lors de ton prochain sĂ©jour Ă  Vienne, pourrais-tu me retrouver dans ce cafĂ© oĂč j'ai mes habitudes ? C'est le cafĂ© Korb, Tuchlauben 10 ; tu dois le connaĂźtre. _ Le patient dont je veux te parler est mon guide autant que je suis son guide sur la voie de l'inconscient. Son histoire est inĂ©dite, il n'est pas aliĂ©nĂ©, mais ses phobies le gĂȘnent considĂ©rablement et l'empĂȘchent d'agir comme un homme sensĂ© le ferait. Pour illustrer cela au cours de la derniĂšre sĂ©quence je veux dire sĂ©ance, voilĂ  c'est moi qui ne contrĂŽle pas mes lapsus, je vais devoir les analyser ! Il me raconte donc qu'il est restĂ© paralysĂ© sur une passerelle qu'il n'osait pas traverser. La nuit suivante, il fait un rĂȘve dans lequel il mĂȘle des souvenirs d'enfance et des sensations de vertige. Son corps devient mallĂ©able, il se dĂ©double et une partie de lui-mĂȘme s'envole en fumĂ©e alors qu'il reste tĂ©tanisĂ©. Cette histoire jette un trouble en moi. Je sens que cet homme a besoin de mon Ă©coute et de mon soutien, autant que j'ai besoin de toi, pour troquer mon rĂŽle d'Ă©coutant contre celui d'Ă©coutĂ©. _ Voici donc, cher ami, le mobile de cet appel que je te lance au nom de notre vieille amitiĂ©. Notre rencontre pourra ĂȘtre jubilatoire si nous nous accordons le plaisir d'un Strudel Ă  la pomme et d'un bon cigare accompagnĂ©s d'un moka. _ Bien Ă  toi, Sigmund _ Sigmund, tout joyeux, entre dans le cafĂ©, il contourne la forĂȘt de chaises et s‘installe Ă  sa place habituelle. Seul, un peu dans l'ombre, assis devant le grand miroir, il attend son ami. Le temps s'Ă©tend, Wilhelm n'arrive pas, il surveille la porte d'entrĂ©e en regardant dans la glace ; cependant la salle se remplit d'hommes qui se ressemblent Ă©trangement, quelques uns le reconnaissent et lĂšvent leur chapeau pour le saluer. Il appelle un garçon pour demander du feu et un moka brĂ»lant. Il allume un cigare, un Soberano, c'est son vice il le sait. Lorsqu'il sera lĂ , Wilhelm lui conseillera, une fois de plus, d'arrĂȘter de fumer. Les lustres s'allument, la nuit tombe. La salle s'emplit de fumĂ©e, Sigmund immobile observe son propre visage dans le miroir, peu Ă  peu il troque sa gaitĂ© contre une expression plus mystĂ©rieuse. La fumĂ©e qui s'Ă©chappe de son cigare dessine des volutes, passerelles vers un monde onirique. Le temps s'Ă©tend, devient mallĂ©able. Un autre Sigmund est dans le miroir, il peut analyser les mots que dessine la fumĂ©e malle hĂ© able sous tien sec quand anse semble il lustre mot bile jus bile lait café  _ Arrive un homme, portant chapeau melon noir et costume sombre, il heurte une chaise, en dĂ©place une autre. Il l'interpelle _ – Il s'agit de rĂ©pondre, Herr Doctor, nous avons besoin d'un guide qui nous Ă©coute. Sigmund fixe son portrait dans le miroir, cet homme salue-t-il son reflet ? Il ne sait plus Ă  qui est adressĂ© son salut, l'enchaĂźnement d'effets de miroirs crĂ©e un doute. Il ne rĂ©pond pas Ă  l'appel. _ Un autre individu, melon noir et costume gris, s'installe, pose ses gants sur le marbre du guĂ©ridon prĂšs de lui ; c'est le patient de la passerelle ! Il commande un cafĂ©, puis il troque la tasse apportĂ©e contre celle du docteur. Chacun boit la tasse de l'autre. Sigmund lui demande pourquoi il agit ainsi. _ – Je voudrais que nous restions ensemble Il semble que l'anse de cette tasse est fendue. Je crains fort d'ĂȘtre maladroit et de renverser le cafĂ© bouillant, cela me donne le vertige. Il faut que je vous raconte un rĂȘve rĂ©cent encore plus vertigineux que celui de la passerelle. _ Un homme Ă©lĂ©gant, chapeau noir et costume anthracite, souliers vernis, vient s'asseoir sur une chaise voisine. Il porte une petite malle en cuir marquĂ©e de ses initiales AS. _ – Docteur, je pense que je vous ai Ă©vitĂ©, par une sorte de crainte, de rencontrer mon double. » Il s'approche. Sigmund lui adresse un sourire de connivence. _ Arrive un petit homme soulevant son chapeau en poussant des cris de joie, il trĂ©buche et fait tomber une chaise. _ HĂ©, Monsieur Joie, je suis trĂšs heureux, je jubile de vous retrouver ici. _ Les autres se joignent maintenant Ă  cet hurluberlu pour apporter leur soutien, ils se rassemblent autour de Sigmund. Avez-vous le temps d'Ă©couter nos palabres ? Quel est ce liquide qui coule quand on presse les mots ? De l'eau, du lait, de la bile, du sang, de l'encre _ – C'est parfaitement jubilatoire de vous trouver ici, ne restez pas isolĂ©, mĂȘlez-vous Ă  notre assemblĂ©e, proposent-ils. _ Sigmund s'interroge sur le mobile de cette intrusion. Il lui semble qu'ici sont rassemblĂ©s autant d'aliĂ©nĂ©s qu'il n'en compte dans sa salle d'attente du Berggasse 19 Ă  une heure pareille. _ Dans la sĂ©quence suivante, c'est Wilhelm qui apparait, il s'approche de l'illustre psychiatre, lequel semble perdu dans d'intenses rĂ©flexions. _ – Il est tard, je suis dĂ©solĂ© de t'avoir fait attendre. Je n'ai pas pu me libĂ©rer plus tĂŽt. Comme tu sembles seul dans cette salle pleine. Nous voilĂ  enfin ensemble. Eteins-moi ce cigare. _ Freud se retourne alors et se rend compte qu'ils sont seuls, les autres ont disparu, le miroir ne reflĂšte que le lustre et les chaises vides. Nouvelle 072 _ Quand Lili rencontre
 Elle venait d'avoir vingt ans. Elle dĂ©couvrait la fac, la folle vie parisienne, le bonheur de s'asseoir Ă  une terrasse de cafĂ© et de regarder les gens passer. C'Ă©tait simplement jubilatoire. Elle imaginait leur vie, plaquait sur eux ses rĂȘves, en se disant que si eux avaient pu les rĂ©aliser, pourquoi pas elle ? Lili voulait ĂȘtre Ă©crivain. Le modeste blog qu'elle avait créé pour raconter ses rencontres et ses aventures commençait Ă  avoir son petit succĂšs. Mais elle se rendait compte que ce n'Ă©tait pas ça, Ă©crire. Et ses yeux aussi bleus qu'un lagon oĂč elle ne mettrait jamais les pieds se perdaient dans le vide. Elle cherchait une passerelle. Entre ses rĂȘves et sa rĂ©alitĂ©. Entre ses rĂȘves mallĂ©ables Ă  merci et sa rĂ©alitĂ© si figĂ©e. Elle venait d'avoir vingt ans et elle Ă©tait dĂ©sespĂ©rĂ©e. _ Quand il vint s'installer Ă  une table prĂšs de la sienne, elle ne remarqua pas qu'il la regardait. Elle fit avec lui ce qu'elle faisait avec les autres elle imagina sa vie. Il devait avoir 38 ou 40 ans, devait ĂȘtre mariĂ©, malgrĂ© l'absence d'alliance, avoir deux enfants, un garçon, l'aĂźnĂ©, et une petite fille, sa poupĂ©e. Il s'appellerait Alexandre. Et serait journaliste. Sa vie dĂ©fila dans la tĂȘte de Lili, comme les sĂ©quences d'un film rĂ©alisĂ© Ă  la va-vite. Le matin, il se levait trĂšs tĂŽt. Trop tĂŽt pour voir ses enfants avant de partir au travail. Son cafĂ© Ă  la main, il passait les embrasser sur le front avant de filer. Sa femme Ă©tait encore en pyjama, non, en nuisette, et glissait un baiser langoureux sur ses lĂšvres pendant qu'il saisissait d'une main ferme mais tendre un sein ou une fesse. Ensuite, il s'engouffrait dans le mĂ©tro, prenait les journaux gratuits qu'il lisait presque en intĂ©gralitĂ© le temps de son trajet sans correspondance. C'Ă©tait son moment Ă  lui. Le moment oĂč il pouvait ĂȘtre avec lui-mĂȘme, oĂč il pouvait critiquer cette presse qu'il mĂ©prisait, quand lui se prenait pour une fine plume. ArrivĂ© Ă  la rĂ©daction, il invitait sa collĂšgue Ă  partager un cafĂ© et lui racontait ce que sa femme lui avait fait Ă  dĂźner la veille. Judith, la collĂšgue, un brin allumeuse, Ă©voquait ses parties de jambes en l'air qu'elle illustrait de gestes sans Ă©quivoques et qui le faisaient hurler de rire. Un appel sur son mobile les affaires reprenaient AllĂŽ ? AllĂŽ ? _ AllĂŽ ? Excusez-moi, auriez-vous du feu s'il vous plaĂźt ? » Cette fois il lui parlait vraiment. Elle remarqua Ă  quel point il Ă©tait beau. Enfin, pas vraiment beau, mais tellement charmant. Ses rides naissantes au coin de ses yeux noirs, sa barbe de trois jours faussement nĂ©gligĂ©e, son nez droit, son sourire un peu tachĂ© par le tabac et ses mains. Mon dieu, ses mains. Fines et fortes Ă  la fois, comme il devait l'ĂȘtre lui-mĂȘme, dĂ©liĂ©es, aux ongles impeccables. Qu'elles devaient ĂȘtre douces, ses mains. Lili eu subitement envie de le savoir. Elle troqua son mutisme contre le plus joli sourire dont elle Ă©tait capable et une plaisanterie sur son air absent. Il Ă©tait temps d'agir. Il Ă©clata de rire. Elle lui tendit son briquet. Il l'invita Ă  le rejoindre Ă  sa table. Et les voilĂ , ensemble, en train de raconter des bĂȘtises, de se perdre dans d'interminables palabres qui les menĂšrent jusqu'Ă  20 heures. Plus de deux heures avaient passĂ©. Comme s'il s'agissait d'une minute. Comment une telle rencontre pouvait-elle ainsi se produire ? Comment deux ĂȘtres inconnus l'un pour l'autre il y a encore deux heures pouvaient ainsi avoir l'impression de se comprendre aussi bien ? De se connaĂźtre ? De se reconnaĂźtre ? Lili ne s'Ă©tait pas trompĂ©e il Ă©tait bien mariĂ©. Il avait deux enfants, mais deux garçons. Il s'appelait Olivier, il avait 37 ans. Il sentait en elle une confidente. Elle sentait en lui un soutien. Il serait pour elle un guide. Elle n'Ă©tait plus seule. Elle lui aliĂ©nait toutes ses rĂ©sistances. Il en oubliait qu'il Ă©tait mariĂ©. Jusqu'au coup de fil de sa femme le rappelant Ă  l'ordre. Il n'eut pas le courage d'inventer une quelconque rĂ©union tardive pour prolonger ce dĂ©licieux moment et annonça donc Ă  Lili qu'il devait partir. Mais avant, il tenait Ă  la raccompagner. Dans la rue, il lui prit la main. Elle avait raison, la sienne Ă©tait si douce. Leurs regards se croisĂšrent et, pour la premiĂšre fois, elle fut intimidĂ©e par son insistance. A quoi jouait-il ? Rien ne serait possible, entre eux. Rien. A part ce qu'ils Ă©taient en train de vivre lĂ  et qu'ils ne devraient jamais oublier. Il l'attira dans une ruelle et la plaqua contre le mur. Son regard se planta dans le sien, ils ne bougeaient plus. Leurs visages se touchaient presque. Elle pouvait sentir son souffle chaud caresser sa peau. Le mĂ©lange des odeurs de cafĂ© et de cigarette se dĂ©gager de sa bouche. Son ventre Ă©tait traversĂ© d'Ă©clairs de dĂ©sir. Elle dĂ©couvrait cette sensation. Elle avait envie de lui. De lui tout entier. Mais elle savait dĂ©jĂ  qu'elle n'aurait rien de plus que ce qu'il voudrait bien lui offrir. Elle imagina trĂšs vite quelle pourrait ĂȘtre sa vie en tant que deuxiĂšme, celle qu'on cache, celle qu'on baise. Elle eut un mouvement de recul. Mais ses lĂšvres Ă  lui se posĂšrent sur sa bouche et l'effleurĂšrent lentement. Lili ferma les yeux. Elle allait se donner. Elle courait Ă  sa perte mais elle allait se donner. Sa langue vint doucement lĂ©cher les lĂšvres de celui qu'elle appelait dĂ©jĂ  son homme » puis vint se mĂȘler Ă  la sienne. Elle l'embrassa comme si sa vie en dĂ©pendait. Jamais elle ne mit autant de fougue et de passion dans un baiser. Elle gĂ©missait, il bavait, elle prit sa main et la posa sur son sein. Il s'accrocha Ă  son corps comme s'il n'avait pas croisĂ© de femme depuis des annĂ©es. A travers la toile de son pantalon, elle sentait son dĂ©sir se dresser vers elle. Elle avait peur. Elle voulait reculer. Revenir en arriĂšre. Oublier. Se contenter de discuter. Mais c'Ă©tait trop tard. Il Ă©tait entrĂ© dans sa bouche comme on entre dans une vie. Pour ne plus la quitter sans y laisser le goĂ»t amer du vide. Nouvelle 073 _ Bonne vie Lise Je suis venu te dire que je m'en vais. Oui c'est ça, comme la chanson. Tant mieux si ça te fait sourire. Ça m'arrange en fait, mĂȘme s'il est jaune, continue donc de sourire jusqu'Ă  ce que mes pieds franchissent le seuil du cafĂ©, si cela m'aide Ă  truquer mon image de toi ça me mĂšne tout droit au mobile. Il est sĂ»r que tu prĂ©fĂ©rerais un mensonge, l'invention d'une femme rencontrĂ©e au travail, comme la nouvelle commerciale que tu dĂ©testes sans raison depuis des mois. Tu me demanderais depuis combien de temps ça dure, si je l'ai dĂ©jĂ  ramenĂ© chez nous Et puis quitte Ă  trinquer, autant troquer. Tu me jetterais Ă  la gueule que toi aussi tu l'as dĂ©jĂ  fait avec un autre, la colĂšre colorant l'aveu d'une certaine fiertĂ© et tu poursuivrais sur le fait que tu as su cesser les conneries avant de mettre en pĂ©ril notre couple. La belle histoire quoi! Ça se serait passĂ© comme ça, je te connais par cœur, mais vois-tu je ne veux pas t'Ă©pargner ma vĂ©ritĂ©, pas aujourd'hui. _ Alors voilĂ  je vais te le dire simplement Lise .la vie est triste avec toi, triste Ă  en mourir. Je choisis en mon Ăąme et conscience de dĂ©truire tout ce qu'on Ă  bĂątit ensemble pour rire de nouveau. _ Je pense que tu as toujours Ă©tĂ© comme ça et la seule chose qui ait changĂ© depuis toutes ces annĂ©es c'est moi. Ne pense pas que j'ai Ă©tĂ© faux tout au long. Je t'ai aimĂ© pour ce que tu as fait pour moi. Je ne peux pas te retirer ça, tu as Ă©tĂ© ma bouĂ©e de sauvetage, quand ça partait dans tous les sens pour moi. Quel merveilleux calme je me disais. Vu dans quoi j'ai grandi, tu Ă©tais une extraterrestre dans un premier temps, puis un guide. J'Ă©tais mallĂ©able Lise, quand tu me semblais si ferme. Et puis un jour, dans ton ombre j'ai distinguĂ© ce qui te tenait si droite, ton tuteur la raison. La raison, ton Ă©pouvantail Ă  Ă©motions, ta cage Ă  surprises. Tu es morte le jour oĂč tu es parvenu Ă  te dĂ©finir. Le rationalisme est un dogme, il aliĂšne, aucune foi ne s'y trouve. Vois-tu oĂč je veux en venir ? Non Lise, je ne pense pas que le rire, ni l'amour d'ailleurs, ne sauveront la planĂšte, mais c'est ce qui nous reste de mieux, et je me contenterai amplement de mon propre sauvetage. Ah toi et tes grandes phrases tu illustres encore une fois ce que je pense, tu frĂŽles la perfection dans ton auto caricature. Enfin tu pleures pour quelque chose. Ne me dis pas que tu ne pleures jamais, tu pleures tout le temps, tu pleures quand tu parles, quand tu penses. Tu pleures en arguments, en Ă©prouvettes, en sondages. À cĂŽtĂ© les larmes sur tes joues sont jubilatoires, non ? Je te parle d'Ă©motions fortes Lise, de lĂącher-prise. C'est parfois bon de ne pas comprendre. La palabre est devenue ta prison. L'illusion de contrĂŽle peut fonctionner en sociĂ©tĂ©, parfois mĂȘme en couple, mais pas avec moi, plus maintenant en tout cas. Ma dĂ©cision est sans appel et je ne prĂ©tends mĂȘme pas faire ça pour t'aider, c'est pour moi que je pars. Tu vas finir par me tuer sinon. _ Je te remercie sincĂšrement une fois pour toutes pour le soutien que tu m'as apportĂ© au dĂ©but, mais ça ne suffira pas. C'est au-dessus de mes forces de vivre avec une personne qui pense, parce qu'elle l'a lu chez monsieur Freud, que l'humour n'est qu'une passerelle pour fuir nos pulsions. Et bien tant mieux si c'est vrai! Ma nĂ©vrose me fait rire madame ! Peu importe pourquoi. Toutes les raisons sont bonnes. Je ne sais pas si ça Ă  toujours Ă©tĂ© comme ça, mais le monde est absurde. Ne pas rire de cette absurditĂ© c'est s'exclure. Oui je sais, je semble plein de certitudes aujourd'hui, j'ai pris ta place on dirait. Ne t'inquiĂšte pas je compte te la rendre trĂšs vite, elle ne me sied pas. _ Je vais me lever de cette chaise et tu ne me reverras plus. Il faut savoir agir pour son bonheur. Non ce n'est pas que tu passes ton temps Ă  faire Lise; tu subis le bonheur dĂ©fini par d'autres. Le problĂšme de la raison c'est qu'elle est mĂȘlĂ©e des dires du professeur Ă©mĂ©rite, de ta meilleure amie et du magazine pour femmes. Sauf que c'est le cœur qui doit trancher. Oui, c'est ce qui chez toi s'appelle le myocarde. Sur le plan anatomique auquel tu t'intĂ©resses tant tu constateras que le cœur fait bloc avec les poumons, sur le plan mĂ©taphorique qui te parle si peu, j'en dĂ©duis que nos Ă©motions ont besoin de respirer. Le rire est l'outil Ă©vident. Je suis dĂ©solĂ©, je n'ai pas la sĂ©quence molĂ©culaire du rire pour appuyer mes thĂ©ories. _ Ce qui me navre surtout c'est de constater que, bien que ma dĂ©cision soit prise, et que j'espĂšre sauver mon Ăąme par lĂ  mĂȘme, je ne suis encore capable que de cynisme. Tu as dĂ©teint sur moi au fil du temps. Mon Dieu, il va m'en falloir, du temps, pour reprendre des couleurs. Je n'en ai plus Ă  perdre. J'y vais. Je souhaite que les rires des enfants du monde te contaminent. Bonne vie Lise. Adieu. _ Anthony inspire et expire Ă  fond une derniĂšre fois, vĂ©rifie la soliditĂ© de son regard dans le miroir, puis quitte la salle de bain en oubliant d'Ă©teindre la lumiĂšre. Il marche Ă  vive allure. Il sera Ă  l'heure au rendez-vous. C'est voulu. Nouvelle 074 _ Truc Cela commence toujours ainsi, comme sans raison. _ C'est un sentiment jubilatoire plus besoin de se perdre en vaines palabres sans signification. Le monde n'a pas bougĂ©. Pourtant, c'est comme s'il changeait entiĂšrement, cessait d'ĂȘtre terne et dĂ©terminĂ© pour devenir un ensemble lumineux. Il devient possible de tendre une vraie passerelle vers ses semblables, imprĂ©vue, spontanĂ©e. Entendre un appel heureux ou angoissĂ©, y rĂ©pondre de sa propre volontĂ©, agir et rĂȘver librement
 _ Communiquer commence Ă  signifier quelque chose. _ Les carcans de mĂ©tal et de plastique deviennent soudain mallĂ©ables, un soutien plutĂŽt qu'une prison. L'esprit cesse d'ĂȘtre aliĂ©nĂ©, se mĂȘle Ă  la conscience universelle. Oh, comme elle apparaĂźt clairement en cet instant, illustrant tant de pensĂ©es secrĂštes et cachĂ©es. Elle ne demande qu'Ă  ĂȘtre leur guide, Ă  libĂ©rer tous ses enfants. _ Cela ne dure pas. Cela ne dure jamais assez. _ Le sentiment de plĂ©nitude s'estompe. La frustration bouillonne d'avoir encore une fois dĂ» le troquer contre toujours les mĂȘmes sĂ©quences de lettres, de chiffres. _ Mais un jour – un jour, cela ne s'arrĂȘtera pas. Cela ne s'arrĂȘtera plus jamais. _ Au mĂȘme instant, un Ă©tudiant soupire, accoudĂ© au comptoir d'un cafĂ©. _ Mon mobile a encore envoyĂ© un message vide Ă  quelqu'un que je ne connais pas. Cela lui arrive de plus en plus souvent, ces jours-ci. Je ne comprends vraiment pas ce qui lui prend. » Nouvelle 075 _ Une porte claque Une porte claque, les murs tremblent, les cadres dansent la java
 l'un d'eux tombe et le son cristallin du verre apporte la touche finale. _ Que s'est-il passĂ© ? Pourquoi est-il parti ? il », car le pas lourd sur le gravier ne peut qu'appartenir Ă  un homme en colĂšre. _ Pourquoi en colĂšre ? _ D'habitude la rue est calme
 les maisons se soutiennent les unes les autres, comme les habitants,tout le monde se connaĂźt, mais vivre ensemble n'empĂȘche pas, le chacun chez soi. _ D'oĂč je suis, j'observe
 Les va-et-vient de ce quartier qui se rĂ©veille. A Monsieur Vasseur fait dĂ©marrer son diesel, Ă  il part, merci Monsieur Vasseur pour cette sonate ponctuelle quotidienne
 Mais vous n'ĂȘtes pas le premier ! En effet, le chauffeur de la presse parisienne dĂ©pose dans la boite aux lettres des Leclerc leur journal Le Monde » Ă  Allez dormir aprĂšs çà ! _ Je vous passe les dĂ©parts en couple, les jeunes en mobylette, les poubelles sorties tĂŽt le matin, avec en prime les bouteilles de la veille qui pourraient attendre, mais qui n'attendent pas
 _ Tout çà ne me dit pas pourquoi il » a claquĂ© la porte
 _ Vous allez dire mais vous devriez le savoir puisque vous ĂȘtes tout proche ! », ce serait trop facile ! Je suis proche, mais pas assez, j'ai l'ouie trĂšs fine
mais il m'est difficile d'Ă©valuer la distance, rien ne me guide dans mon enquĂȘte. Heureusement que je suis mobile ! _ Quelle heure Ă©tait- il dĂ©jĂ  ? _ D'habitude, l'heure je m'en fous !, mais dans le cas prĂ©sent, çà pourrait m'aider
 Je dirai
 entre l'heure Leclerc » et l‘heure Vasseur »,
 donc une heure oĂč il y a personne dans la rue, trop tard pour Leclerc », trop tĂŽt pour Vasseur »  _ Un peu de mĂ©thode
 _ La maison la plus proche est celle des Verbecke. Monsieur est parti avec un peu de retard
 il aime prendre son petit cafĂ© calmement, c'est un artisan plombier, trĂšs sollicité  il est son propre patron, quelques minutes de retard ne portent pas Ă  consĂ©quence, il n'avait donc pas de raison d'ĂȘtre Ă©nervĂ© comme l'autre ostrogoth
 _ La suivante, celle des Lemaire. Monsieur Lemaire est home – based » formule anglo – saxonne pour dire qu'il travaille Ă  la maison. Il a la libertĂ© de commencer quand il veut
 mĂȘme s'il ne sait plus oĂč il est, Ă  la maison ou au boulot ! _ La troisiĂšme, Ă  gauche, est vide
 en indivision. Des herbes poussent dans les chĂ©neaux, la peinture des fenĂȘtres s'Ă©caille
 bref, rien Ă  voir avec notre homme ». _ Mais il y a la maison derriĂšre ! Oui ! DerriĂšre
 ah là
 pas loin de la passerelle, c'est possible, la maison de la Veuve
 on ne l'appelle plus que comme çà, on en oublie son nom ! _ Bon 
 il me faut agir, c'est comme un appel
je vais faire un tour de ce cotĂ© là
 _ Soyons discret
 Je n'ai pas que des amis dans le quartier
 La Reine Dessaux par exemple, cette face de morue n'aime que les chats
 c'est la Reine des Sottes oui ! DĂšs qu'elle me voit, elle m'engueule
 Je lui joue la scĂšne numĂ©ro 4 du mĂ©pris
 Tous les jours, c'est lassant ! _ Revenons Ă  la maison de la Veuve
 _ Pour une maison oĂč il n'y a plus de mec, elle est bien tenue
 Monsieur La Veuve » avait une bonne situation parait-il, mais c'Ă©tait quelqu'un de trĂšs mallĂ©able, elle en faisait ce qu'elle voulait. Le con ! _ La maison a un double garage plus un parking, dans le quartier, çà se remarque ! Un jardin de devant plus grand que les autres, idem pour l'arriĂšre
 de quoi faire des jaloux
 de quoi s'aliĂ©ner des voisins
 La jalousie, une affaire qui marche ! On jalouse le voisin et on achĂšte Gala » ou Point de Vue » va comprendre ! _ La Veuve est 
 veuve, donc vit seule
 et plus longtemps que son mari comme l'avez finement remarquĂ© un ancien premier ministre !. Ben oui
 j'Ă©coute la radio ou la tĂ©lĂ©, difficile d'y Ă©chapper quand on a l'ouie fine
 _ Si elle vit seule, pourquoi y aurait-t-il eu un homme chez elle ? Je vous vois venir
 Veuve joyeuse ? Trop facile ! Quoique
 _ Les gens sont compliquĂ©s ! Tout le monde rĂȘve de s'envoyer en l'air et chacun critique celui qui le fait
 pas besoin d'illustrer mon propos, vous avez compris ! Et puis vous savez
 se mĂȘler de la vie des autres, c'est dĂ©licat
 Je n'attends aucun soutien ! _ Bon
 elle est seule, et pourtant, il y avait un homme
 et un homme en colĂšre de bon matin
 _ Moi le matin, je n'aime pas qu'on me cherche
 et vous ? _ Mais j'y pense ! Le pas lourd sur le gravier
 il n'y a pas de gravier devant la porte de Madame Veuve ! _ Il va me falloir continuer mes recherches
 peut-ĂȘtre de l'autre cotĂ© de la rue, car avec les Ă©chos les sons s'amusent Ă  ricocher sur les murs en parpaings
 allez retrouver leurs origines !. _ Et puis, pourquoi en colĂšre ? Parce que la porte a Ă©tĂ© claquĂ©e ou s'est claquĂ©e avec violence ? _ Mais
 imaginons une femme lourde, trĂšs lourde, comme la MĂšre Deltour, ce n'est pas un tour de taille qu'elle a, mais une taille de tour ! Je sais, blague Ă  2 balles c'est facile, mais çà m'amuse ! Elle se lĂšve Ă  enfin, si je la laisse tranquille
 Ce matin, c'Ă©tait le cas, ses volets sont clos
 Non, c'est ailleurs
 _ Bon
 rĂ©flĂ©chissons
 _ Eliot !!! » Eliooot !!! » _ Eliot c'est moi
Ce n'est pas facile Ă  porter, mais je n'ai pas choisi
 Eliooot !!! » Bon lĂ , faut que je vous quitte
 car quand son maĂźtre l'appelle, un chien policier çà obĂ©it surtout quand le maĂźtre est un gendarme ! _ Je reprendrai l'enquĂȘte plus tard, mais avant
 je laisserai bien une petite virgule sur la pelouse de la Reine Des sottes
 C'est jubilatoire ! Demain, pas de palabre ! Je lui mordrais peut-ĂȘtre les fesses 
 ce sera en quelque sorte comme troquer un vieil os contre un dessert , en tous cas, une belle opportunitĂ© pour chanter une sĂ©quence ! _ Cao ! Nouvelle 076 _ Le sang du pavot ReĂŻza rĂȘve encore un peu, l'aube se lĂšve sur les massifs de l'Hindukush. Un soleil rouge monte Ă  l'horizon. Le vent est dĂ©jĂ  fort, elle l'entend soulever le sable. Des cailloux ricochent sur les volets de bois qui battent lourdement. La cacophonie monte de l'enclos aux bĂȘtes, les chĂšvres et les poules attendent qu'on les libĂšre. Il faut agir, ReĂŻza doit se lever, raviver les cendres, chercher le bois et chauffer l'eau. C'est ainsi chaque matin de sa jeune existence, les sĂ©quences de travail se succĂšdent immuablement. La mĂšre est dĂ©jĂ  aux champs avec les garçons, le pĂšre est au loin, dans les montagnes, il combat. Il arrive parfois la nuit sans un bruit et disparaĂźt aux aurores dans le silence et le mystĂšre. La petite fille a compris qu'elle ne doit pas en parler, Elle a trop Ă  faire d'ailleurs, pour communiquer avec qui que ce soit. D'aprĂšs ses frĂšres, elle ne devrait mĂȘme pas penser, leur sœur est l'Ă©gale d'une chĂšvre, elle n'est qu'une pĂąte mallĂ©able dont ils feront ce qu'ils voudront le moment venu. _ AprĂšs l'eau, il y aura la toilette, la lessive, les galettes de lĂ©gumes et le riz Ă  prĂ©parer et puis les bĂȘtes Ă  nourrir, Ă  traire, Ă  sortir. Il lui faudra encore entretenir la maison, la poussiĂšre envahissante et obstinĂ©e reprenant chaque jour ses marques. Peut-on affirmer que cette ruine de pierres sĂšches au toit trouĂ© et aux fenĂȘtres arrachĂ©es est encore une maison ? La fillette en doute parfois. Cette masure reprĂ©sente bien ce qui reste d'un foyer quand se taisent les canons. La guerre meurtrit les ĂȘtres, les Ăąmes et les choses. Autour d'elle, il n'y a que cicatrices des corps, des cœurs et du dĂ©cor. L'Ă©ducation Ă  la paix prend du temps et la petite fille trĂ©pigne. Elle a compris que seule, la fin des combats rendrait plus forts les habitants de ce pays tribal et rural. ReĂŻza sait d'instinct que la culture de la guerre engendre le dĂ©sastre mais le pĂšre s'obstine, il s'est aliĂ©nĂ© tout espoir de bonheur pour mieux combattre. Ce pĂšre rebelle un jour en mourra. _ L'enfant se hĂąte de terminer ses tĂąches domestiques et prend le chemin de pierres qui mĂšne au cœur du village. Elle se fait discrĂšte, effacĂ©e. Il ne fait pas bon aller en classe, elle n'est qu'une fille aprĂšs tout ! Des occupations plus utiles l'attendent Ă  la maison, mais la gamine est curieuse et aime apprendre. Voici deux ans que l'ONG de Mary a ouvert l'Ă©cole et ReĂŻza s'y faufile dĂšs qu'elle le peut. Elle n'est dĂ©jĂ  plus une petite paysanne analphabĂšte, elle sait dĂ©sormais lire, Ă©crire et compter. Sa mĂšre semble bien l'avoir devinĂ©, elle est devenue sa complice. Il n'est pas question que ses trois frĂšres l'apprennent, ils la battraient. Ils prennent un malin plaisir Ă  l'humilier et Ă  la rudoyer sans motif particulier, mais s'ils savaient que chaque jour, elle troque le balai pour les livres, ils l'enfermeraient Ă  jamais. La petite les avait entendus discuter une nuit avec le pĂšre. Ils lui cherchaient dĂ©jĂ  un mari et souhaitaient lui voir la tĂȘte couverte. Les palabres n'en finissaient pas mais la mĂšre Ă©tait intervenue bientĂŽt avait-elle dit, je le promets, lorsqu'elle deviendra femme
 ». ReĂŻza craint cette dangereuse passerelle de l'Ă©tat de fillette Ă  celui de femme. AprĂšs l'Ă©tape du voile viendrait le mariage et puis la burqĂą, le cachot Ă  vie, la prison mouvante de tissu bleu
 La petite court donc vers le chemin de la connaissance, elle va retrouver ses compagnes, petites filles, attentives, avides de comprendre le monde. Aujourd'hui encore, elles seront toutes lĂ , dans cette Ă©cole de fortune. Ensemble, elles se sentent plus fortes. Mary, leur institutrice, leur modĂšle, leur soutien, Mary, avec son savoir, sa pĂ©dagogie, sa compassion et les si jolis dessins qu'elle faisait, Mary, leur guide et leur lumiĂšre commence par l'appel des noms. Elle tentera pendant quelques heures, de transmettre Ă  ces fillettes des connaissances de base, des bribes de culture, et les bourgeons de la rĂ©volte. Mary voudrait les rendre plus fortes, les sauver de la toute puissance misogynie des talibans qui sĂ©vit encore en Afghanistan. La jeune institutrice leur a longuement expliquĂ© les femmes Ă  qui l'on ne donne pas d'armes intellectuelles et culturelles, retourneront Ă  leur unique rĂ©fĂ©rence, leur mĂšre. ReĂŻza a compris depuis longtemps. Elle aime sa mĂšre mais ne portera jamais le tchadri. Un jour peut-ĂȘtre, elle verra le monde sans barreaux, sans grillage. Elle sentira le soleil et le vent sur ses bras et ses jambes. Elle chantera, voyagera, s'amusera, travaillera, vivra pleinement
 Un jour peut-ĂȘtre, elle sera libre et forte, elle dansera et laissera le vent filer dans sa longue chevelure dĂ©ployĂ©e. _ La fillette rĂȘve encore un instant mais reprend vite le chemin de la maison. Elle doit prĂ©parer le thĂ©, les galettes, le riz et le fromage, ses frĂšres vont rentrer des champs, ils auront faim. _ Le pavot donne bien cette annĂ©e, sa culture en est interdite mais ici tout est interdit ! Respirer et se taire sont leurs seuls droits. L'enfant aime ces fleurs de la perversion, fleurs du mal, fleurs froissĂ©es si dangereusement belles. Rien de plus pathĂ©tique, qu'un champ de pavot aux corolles mobiles bercĂ©es par le vent. Sa famille vit de cette culture. Le pavot peut tuer celui qui le consomme, il fait tout juste vivre celui qui le cultive. Contradiction saisissante qu'elle assimile pourtant. Elle doit faire de gros efforts dĂ©sormais pour se taire et ne rien contester devant ses frĂšres ignares et violents. Mais avant l'envolĂ©e, il lui faut encore attendre, apprendre, comprendre et grandir. Elle court, les jupes au vent, elle ne doit pas se mettre en retard. Les pierres Ă©corchent ses pieds nus mais elle file, la joie au cœur, des idĂ©es nouvelles plein la tĂȘte. Aujourd'hui elle a appris le sens des mots jubilatoire et cafĂ© viennois. Elle a l'impression de dĂ©tenir des trĂ©sors et ose Ă  peine les prononcer. Elle a mĂȘlĂ© le plaisir Ă  la culpabilitĂ©, elle a encore volĂ© trois heures Ă  l'ignorance et Ă  la tradition. Demain elle recommencera. Aujourd'hui, ReĂŻza a dix ans. Un jour peut-ĂȘtre, entourĂ©e d'amis, elle soufflera en riant, les bougies d'un gĂąteau d'anniversaire, comme dans les livres que Mary illustre si joliment. Nouvelle 077 _ Le Bouton Chambre petite mais confortable. VoilĂ  trois semaines que Rose a emmĂ©nagĂ©. Les Ă©vĂšnements se sont vite enchaĂźnĂ©s. Tout a commencĂ© par la disparition de Martin. Une maladie qui ne s'est pas moquĂ©e. Hop – en un seul mouvement – Martin a Ă©tĂ© balayĂ©. A suivi le problĂšme de la succession. Il n’y avait pas de mariage. Rose a troquĂ© sa panoplie de jeune sĂ©nior Ă©panouie et dĂ©vouĂ©e contre celle de pauvre retraitĂ©e dans la galĂšre. Inutile d'espĂ©rer un soutien de la part des enfants de Martin. La maison a Ă©tĂ© mise en vente. Un an plus tard, l'acte de vente signĂ©, voilĂ  Rose entourĂ©e de quatre valises et de quelques morceaux de vie dans des cartons. A aucun moment Rose n'avait pensĂ© vieillir sans Martin. Rose doit maintenant improviser. Alors que Rose s'apprĂȘte Ă  rendre les clĂ©s de la maison, une femme sur le trottoir lui fait signe. Rose a beaucoup vu cette femme lorsqu'elle militait pour des associations. A son salut chaleureux, Rose rĂ©pond par un sourire. Suivent quelques questions. Cette femme, Marielle, raconte. InstallĂ©e depuis peu dans une colocation de seniors, elle l’invite Ă  passer. C’est Ă  deux pas. Tu vois la belle maison des chocolatiers Grangins. Pour information, on cherche d’autres locataires. » C’est Ă  ce moment que le cerveau de Rose est sorti de son engourdissement. Colocation. Rose cherchait a s’entourer pour envisager la suite de sa vie. De fil en aiguille et d'aiguillĂ©e en aiguillĂ©e, Rose stylo en main, signe son contrat de co-location. Les quelques affaires que Rose a gardĂ© trouvent vite leur place dans sa nouvelle chambre. A son Ă©tage, une autre chambre, occupĂ©e par Michelle. Rose et Michelle partage salle de bain et wc. La cuisine est commune tous. Pour l'instant, chacun prĂ©pare ses plats. Les rĂ©serves de l'ensemble des locataires sont stockĂ©es dans un placard au garage. Rose et ses anciennes habitudes, rappent pour ses repas un kilo de carottes, juste au cas oĂč. Mais Rose le guide s'Ă©parpille. Reprenons la visite. La maison Ă  donc deux Ă©tages. Au rez de chaussĂ©e, une piĂšce trĂšs grande pourra ĂȘtre louĂ©e Ă  une Ă©tudiante. Au premier trois chambres – celle de Marielle au fond du couloir, et l'une en face de l'autre celles de Jean et de Marie – la cuisine, piĂšce aux palabres – le salon avec tĂ©lĂ©vision, table de jeu, bibliothĂšque, canapĂ©. Au deuxiĂšme dĂ©jĂ  expliquĂ©. Les rĂšgles de la maison sont simples – vivre le plus possible en autonomie, sans se faire trop aliĂ©ner par le collectif. Mais Rose ne sait pas vivre s'en s'occuper des autres. Rose a proposĂ© Ă  Michelle Les mardi soir, je peux te prĂ©parer ton repas quand tu rentres de ton activitĂ©. » Non merci – un sachet de soupe ça me va trĂšs bien » Rose a essayĂ© avec Marielle – Marielle prĂ©fĂšre faire appel Ă  des femmes dans le besoin pour ses travaux de couture. Il y a bien Jean, mais Rose n'ose pas encore tendre de passerelle entre eux. Pour ce qui concerne Marie, Rose ne la trouve tout simplement pas sympathique. A chacune de ses remarque, Rose pense Quelle arrogance -..Non mais de quoi je me mĂȘle » Ce midi, Rose devant ses carottes rappĂ©es, remplit son verre de vin. Marie en face, lĂšve le nez Tu veux que je t'en serve un fond. » Non merci, j'en suis au cafĂ©, tiens mais Jean tu n’es pas encore parti ». Jean entre dans la cuisine et s'assoit. Rose, Marie, Marielle et Michelle finissent leur repas. Jean pose une petite boite recouverte de tissus et une chemise bleue sur ses genoux. Je viens de perdre un bouton, je vais essayer de le recoudre. Si quelqu'un veut m'aider ». Rose est prĂȘte Ă  se jetter sur la boite, la chemise, le bouton. Ce besoin presque jubilatoire est dĂ©tournĂ© par Marielle Jean, ne pense pas qu'ĂȘtre le seul homme de la maison te donne le droit d'exploiter de pauvres femmes que tu sembles considĂ©rer comme mallĂ©ables ». Rose ne peut pas supporter cette sĂ©quence. Elle dĂ©barrasse sa place et quitte la cuisine. Cette nuit, Rose est entourĂ©e de boutons elle fabrique un merveilleux mobile pour les enfants de Martin, elle coud des boutons Ă  la place des yeux de ses anciens collĂšgues. Rose rĂ©veillĂ©e en sueur, a des picotements terribles aux bras. Rose essaye de chasser l’image de Jean, assis sur sa chaise, cherchant Ă  enfiler le fil dans le chat de l’aguille. Ce matin, trĂšs vite Rose file. Rose sait ce qu'il lui faut. Aux mille et une aiguilles » Rose cherche un modĂšle, n'importe lequel. Rose veut troquer chaque rang de son tricot contre un bouton de son rĂȘve. L'image de Jean s’estompe, le malaise de Rose se dissipe. Une semaine passe. Les aiguilles protĂšgent Rose de ses envies. Un soir Jean entre dans le salon. Il n’y a pas assez de lumiĂšres dans ma chambre. Toujours le mĂȘme bouton qui tombe ! » Rose Jean, vous devriez prendre un fil de la couleur de votre chemise, ça ferait plus soignĂ©. » C'est vrai Rose, mais je n’en ai pas d’autres
 » Rose se reconcentre sur son augmentation de mailles. Le samedi suivant grand mĂ©nage. La maisonnĂ©e s'est donnĂ©e rendez-vous Ă  10h au pied de l'escaliers. Rose tablier Ă  fleur et foulard assortis attend. Arrive Jean Dites-moi Rose, j'ai un souci avec un pantalon que je viens d'acheter. La retoucheuse m'a fait un ourlet, mais j'ai l'impression que les deux jambes ne sont pas pareilles. Je pourrai vous le montrer Ă  l'occasion 
 » Ecoutez Jean, Marielle a raison. Ne comptez pas sur nous pour vos travaux de couture. Je passerai en fin d'aprĂšs-midi voir ce pantalon, mais juste pour donner mon avis. » Rose n'en revient pas. Toute l'aprĂšs-midi elle repense Ă  sa nouvelle attitude. Trois de semaines de vie communes et Rose illustre dĂ©jĂ  le pouvoir de contamination des pensĂ©es fĂ©ministes. Trois rangs Ă  l'endroit, trois rang Ă  l'envers, Rose s’est dĂ©cidĂ©e ; elle n'ira pas voir Jean – qu’il se dĂ©brouille avec ses ourlets et ses foutus boutons. MĂȘme jour, heure du thĂ©. Rose dans la cuisine avec Marielle. Qu'est ce que tu tricotes – un pull non ? » Oui – j’ai presque fini. » C’est pour qui ? » Je ne sais pas 
” MĂȘme jour, 20h30. Rose et son tricot, se glissent jusqu'au canapĂ© du salon. Jean n'est pas lĂ . De retour dans sa chambre, Rose sent remonter en elle son envie. Juste faire un tout petit quelque chose pour un autre. Rose se dĂ©cide. Elle va aller voir Jean pour s'excuser. La porte de la chambre de Jean est entrouverte. Rose jette un oeil Jean, excusez-moi 
 » Rose est arrĂȘtĂ©e par un spectacle saisissant. Rose incapable d’agir, assiste Ă  la scĂšne. Jean assis sur son lit, tĂȘte versĂ©e vers l'arriĂšre, pantalon baissĂ© est en train de se Rose est fascinĂ©e une femme lĂ , Marielle ? accroupie aux pieds de Jean Rose reste jusqu’au dĂ©nouement qui secoue le corps de Jean. Rose tourne les talons. En remontant dans sa chambre, elle a envie de rire. Rose repense au bouton de Jean. Nouvelle 078 _ Une de perdue, l'humanitĂ© retrouvĂ©e ! Depuis une heure je m'enterre dans ce silence sans illusions. Elle ne veut plus de moi. Je ne pourrais plus me lever Ă  ses cĂŽtĂ©s. J'ai cru comprendre son je te quitte » mais mon esprit ne peut songer Ă  la suite. _ Je suis parti. J'ai errĂ© pendant plusieurs minutes dans les rues. J'agissais comme un vagabond sans guide, sans raison. Je croisais des visages, des silhouettes sans noms. Mes jambes ne pouvaient s'arrĂȘter. Je me rĂ©vĂ©lais mobile sans rĂ©flexion. _ AprĂšs la passerelle du Pont d'Ornay, je me retrouve lĂ , stoppĂ© net. Les flots me semblent si paisibles en cette saison. Ils coulent en harmonie, mĂȘlant brindilles et feuilles marron. Au calme, mon cœur s'emballe, je me suis aliĂ©nĂ© Ă  cette relation stĂ©rile. Sans elle, je ne suis qu'une de ces brindilles qui se jette Ă  corps perdu dans l'horizon. _ Ensemble nous Ă©tions forts, l'avenir me semblait jubilatoire. Pas de peines Ă©perdues, nous sentions l'amour autour de nous. Il nous enrobait de son velours. Nous avions confiance l'un en l'autre. Jamais elle n'aurait pu avoir peur de moi. Nous nous aimions simplement. Trois annĂ©es entiĂšres Ă  nous unir contre l'univers. _ Si seulement elle n'avait pas prononcĂ© ces mots morbides qui illustraient la mort de notre idylle. Je pourrais encore tenir sa main fĂ©brile, sentir sa peau contre moi, son corps, ses lĂšvre. Nos langues ne pourront plus jamais se mĂȘler. Je serais devenu mallĂ©able. J'aurais tout donnĂ© pour redevenir frĂ©quentable. Pour elle, je fusionnerais sans palabres. Elle deviendrait ma muse adorĂ©e par qui l'aube vient achever des nocturnes minables. _ Mais elle n'a rien Ă©coutĂ©, ni mes pleurs, ni mes jĂ©rĂ©miades. Elle a hurlĂ© la chute de notre amour, sur ce sol misĂ©rable. Notre flamme s'est Ă©teinte, soufflĂ©e par son rĂąle improbable. Aucune solution ne pouvait rĂ©parer l'irrĂ©mĂ©diable. _ Alors sur ce pont, je sens un mal qui me ronge. Jamais je ne pourrais revenir auprĂšs d'elle, pour qu'on s'allonge. Elle est rentrĂ©e dans l'hiver. Je ne la reverrai qu'Ă  travers mes songes. Ma seule envie Ă  prĂ©sent et que dans cette eau trouble je plonge. J'aurais beau troquer mes idĂ©es noires pour de pales subterfuges, m'enfermer au CafĂ© l'Olympique pour une ivresse de dramaturge. Jamais plus je ne sentirais ses caresses. Jamais plus je ne pourrais lui donner de tendresse. Marie me laisse. _ – Une jeune femme alertĂ©e par ma dĂ©tresse, m'interpelle de sa sagesse. _ – Ne sautez pas ! Calmez-vous, dit-elle la peur au bord des lĂšvres. _ – Je n'ai jamais Ă©tĂ© aussi calme voyez vous, je rĂ©ponds d'un ton acerbe. _ – Pourquoi ĂȘtre montĂ© sur ce parapet, descendez ! m'ordonne-t-elle d'un ton plus affirmĂ©. _ – Que m'offrez-vous en Ă©change, ma vie ne vaut rien. _ A ces mots, la jeune femme hĂ©roĂŻque, me tend sa main. _ – Je vous prĂ©viens. Je n'ai peur de rien. Je suis dĂ©sespĂ©rĂ©. _ – Rien ne vaut de se prĂ©cipiter vers une mort certaine. Prenez ma main et revenez vers la vie. _ Je songe alors Ă  la suivre. Peut-ĂȘtre a t-elle raison ? Me jeter dans l'infini n'est pas la solution Ă  un amour perdu, sans retour. _ Alors je prends sa main gantĂ©e. Je reviens sur terre, Ă  sa portĂ©e. Je devine dans ses pensĂ©es un soulagement intime, comme une intention profonde, infime. _ – Merci, pour votre courage. Je sais comme parfois la vie est dure envers ceux qui sont sages. Presque un an plus tĂŽt j'ai moi-mĂȘme voulu me jeter dans cette eau sans tenter la nage. Je suis revenue Ă  la raison. J'ai affrontĂ© le malheur pour accepter de remonter Ă  la surface de mes maux. J'ai embarquĂ© sur un autre paquebot. _ – Mais vous ne savez rien de ce qui me prĂ©occupe ? _ – Oui mais je sais que votre dĂ©sespoir pourrait se changer en rage de vivre. Comme moi vous ne seriez plus un bateau ivre. Aujourd'hui, je suis une femme libre sans l'entrave de peines Ă©goĂŻstes qui m'habitent. Pensez aux autres tout simplement. Il y a tant de bonheur Ă  apporter autour de soi, de soutien adĂ©quat. Vous pouvez choisir d'aider n'importe qui. Voyez ces sans-abris qui du coin de l'œil demandent un peu de rĂ©pit, quelques bouchĂ©es ou chaudes nuits. Pensez aussi Ă  tous ces enfants orphelins dans d'autres pays que le votre, le mien, ceux qui n'ont que la peau sur leurs corps et ne peuvent vivre bien longtemps encore. _ A cet instant, je recule. Je m'en prends plein les yeux de sĂ©quences de pellicules, comme ces images qu'on essaye d'oublier, ces messages de don et de bontĂ© recherchĂ©s, que les associations vĂ©hiculent. On zappe alors. On ignore. On recule. Et si je pouvais vraiment aider ! Profiter de mes peines pour plonger tĂȘte baissĂ©e ! Une autre voie vient de s'Ă©clairer, comme un appel. L'issue est maintenant claire. Je me sens libĂ©rĂ©. _ – Je vous suis si vous le voulez pour toute cause qui vous semble dĂ©sespĂ©rĂ©e, je lui affirme, le cœur dĂ©jĂ  prĂȘt Ă  oublier ses cicatrices. _ – Venez donc avec moi rejoindre l'Oxfam. Nous aiderons les peuples Ă  requĂ©rir leurs pleins droits d'hommes et femmes. _ Je me retourne alors sans mots, sans rĂ©ponse vĂ©ritable. Et je choisis de la suivre, cette inconnue Ă  la belle Ăąme. J'oublie Marie dans sa mare de larmes. AprĂšs tout elle a mis fin Ă  nos trois ans de bonheur sans Ă©gards ni regards. Je reviendrai chez nous quand elle aura quittĂ© notre territoire. Je l'effacerai de ma mĂ©moire, pansant mes plaies d'amours illusoires. Un nouveau but dans ma vie trouvĂ©, j'aiderai autrui Ă  vivre dans la dignitĂ©. Je croyais mon univers effondrĂ© mais il vient de s'ouvrir sur l'humanitĂ©. Nouvelle 079 Je devais partir, quitter cette ville oĂč les gens ne me laissaient plus croire en la bontĂ© de l'espĂšce humaine. _ Une seule question me revenait sans cesse Ă  l'esprit qu'est-ce que je fais lĂ ? _ Changer le cours des choses et agir, enfin, apparaissaient comme une Ă©vidence tant pour mon bien ĂȘtre que pour la construction de ma vie. _ L'idĂ©e de rester figĂ©e dans une telle obscuritĂ© m'effrayait. Je me sentais oppressĂ©e par la vie. _ A quoi bon rĂ©sister lorsque tout nous laisse croire que l'ailleurs ne peut ĂȘtre que meilleur? _ EspĂ©rer des jours plus chaleureux bercĂ©s par la simplicitĂ©. Tout quitter, ne serait-ce que temporairement, pour mieux revenir. _ Les Ă©conomies accumulĂ©es ces deux derniĂšres annĂ©es, grĂące au premier roman que j'avais publiĂ© et qui avait Ă©tĂ© aliĂ©nĂ© Ă  un nombre inespĂ©rĂ©, dans le seul but de concrĂ©tiser, le jour venu, ce dĂ©sir de prendre la route, me paraissaient suffisantes. _ Stan savait parfaitement Ă  quel point cette expĂ©dition me tenait Ă  coeur. Depuis que nous Ă©tions ensemble, nous avions maintes fois abordĂ© nos projets et nos rĂȘves et il m'avait toujours encouragĂ© Ă  aller au bout de mes envies. A l'instar du soutien que je lui portais pour mener Ă  bien sa carriĂšre de musicien, je savais qu'il serait lĂ  pour moi. _ Ce voyage me permettrait Ă©galement de pouvoir Ă©crire la deuxiĂšme sĂ©quence de mon roman, celle qui amenait l'hĂ©roĂŻne Ă  parcourir l'Afrique. L’emploi du temps mallĂ©able que je comptais adopter une fois sur place me laisserait l'opportunitĂ© de travailler, de profiter de toutes les richesses de ses contrĂ©es et surtout d'apporter concrĂštement mon aide, sur le terrain, Ă  l'association humanitaire que j'avais créée. Je me voyais dĂ©jĂ , Ă  l'ombre d'un arbre Ă  palabre, Ă©couter les dĂ©bats des villageois, telle une enfant qui dĂ©couvre les secrets d'une communautĂ©. _ J'Ă©tais sur le point de toucher du bout des doigts mon rĂȘve mais un pincement au coeur, une douleur aigĂŒe me paralysa et vint troubler mon esprit, une sensation Ă©trange de joie mais aussi de vide profond. _ Tout tournait autour de moi, mon corps se dĂ©roba sous le poids de mes pensĂ©es. _ Une partie de mon inconscient cherchait Ă  me dissuader de mener Ă  terme ce but ultime. _ L'amour que je lui portais, la force des sentiments qui emplissaient mon ĂȘtre, la place qu'il occupait dans ma vie primaient sur le reste et je ne pouvais y renoncer. _ Pourtant, je me devais de rĂ©sister et m'armer du courage nĂ©cessaire pour me sĂ©parer de lui durant cette pĂ©riode. _ Lorsque Stan arriva pour le dĂźner, il vit immĂ©diatement que je n'Ă©tais pas en forme. J'avais encore le regard hagard, complĂštement perdu. _ AprĂšs de longues minutes restĂ©e sans rien dire, je brisa le silence et lui fis part, non sans mal, de mon dĂ©part imminent. Pris de court par cette dĂ©cision qui n'aurait pas dĂ» voir le jour si rapidement, il se contenta de me serrer dans ses bras. Je me sentais tellement coupable de le laisser ainsi. Ses larmes coulaient sur mes joues puis les miennes vinrent s'y mĂȘler. _ Je t'attendrais jusqu'Ă  ton retour. Fonces et vis chaque seconde Ă  fond, tu le mĂ©rites », me murmura-t-il Ă  l'oreille, aprĂšs avoir repris un peu ses esprits. _ J'avais rĂ©ussi Ă  trouver un billet Ă  prix discount pour le SĂ©nĂ©gal, avec un dĂ©part dĂšs le lendemain. Stan prĂ©fĂ©ra partir pour me laisser faire ma valise. Le moment de la sĂ©paration fut atroce et prĂ©cipitĂ©, moi qui comptais passer encore un peu de temps prĂšs de lui. _ AprĂšs une nuit des plus brĂšves, je me retrouva profondĂ©ment seule, les yeux cernĂ©s, dans le hall de l'aĂ©roport. J'eus le temps de me commander un grand cafĂ©, rien d'autre ne me faisait envie avant de quitter mon pays. _ Ce moment tant attendu Ă©tait censĂ© ĂȘtre un des plus jubilatoires de ma vie, pourtant
 _ Au creux de ma main je serrais de toutes mes forces un de ses colliers, une piĂšce cubaine qu'il avait trouĂ©e pour en faire un pendentif, j'avais rĂ©ussi Ă  lui troquer le veille contre un recueil de textes, illustrĂ© de photos de nous deux, que j'avais composĂ© spĂ©cialement pour lui. _ Les hauts-parleurs retentirent et invitĂšrent les passagers Ă  se diriger vers la salle d'embarquement. J'Ă©teignis mon tĂ©lĂ©phone mobile, espĂ©rant avoir ne serait-ce qu'un message, mais il n'en fut rien puis j’avançai sans rĂ©flĂ©chir, il n'Ă©tait plus question de reculer. _ Les billets et les bagages furent enregistrĂ©s sans difficultĂ©s. Une hĂŽtesse fit signe aux voyageurs de la rejoindre, puis chacun dut traverser la passerelle acheminant aux portes de l'appareil. Mon tour arriva et je pris enfin place au siĂšge qui m'Ă©tait attribuĂ©, Ă  cĂŽtĂ© d'un couple de septuagĂ©naire fort sympathique et accueillant. _ Un appel de derniĂšre minute retentit dans la radio de l'avion et une hĂŽtesse prononça mon nom afin de savoir si je me trouvais Ă  bord. Je me leva et me dirigea vers le cockpit d'oĂč elle envoyait le message. _ Une main se posa sur mon Ă©paule, cette prĂ©sence, je l'aurai reconnu parmi toutes. _ – Je ne peux pas sans toi, je t'accompagne
 enfin si tu es d'accord? » Me susurra-t-il dans le creux de l'oreille. _ J'Ă©clatai en sanglot dans ses bras. MĂȘme si je ne savais pas encore ce que j'allais trouvĂ© au bout de mon voyage, mon rĂȘve Ă©tait rĂ©alisĂ©, toutes les peurs et apprĂ©hensions qui me hantaient s'Ă©taient dissipĂ©es, je ne craignais plus rien. Il serait mon guide. Une belle route s'offrait Ă  nous. Nouvelle 080 _ Pourquoi pas FatiguĂ© par cette longue sĂ©quence, il but un cafĂ© et fort de ce soutien liquide, sorte de passerelle entre l'extinction et la rĂ©surrection, il troqua sa dĂ©froque humaine contre cette force quasi spirituelle qui permet d'agir de nouveau, Ă©tant Ă  l'Ă©coute de son propre appel , irrĂ©pressible appel vĂ©ritable guide, net, sec, sans palabre
 _ En Ă©tat de grĂące, il replongea dans l'architecture d'un rĂȘve qu'il illustrait sans cesse. _ Il stoppa dĂ©finitivement les nuages qui, au-dessus de la caravelle, semblaient avoir trouvĂ© leur place. Oui, c'Ă©tait lĂ  et pas ailleurs, l'Ă©quilibre des choses. _ TrĂšs au loin, Ă©mergeant de taches vertes et bleues, toutes ensemble vĂ©ritable patchwork impressionniste, un Christ clouĂ© sur des volumes cubiques transparents, semblait vouloir rappeler qu'il Ă©tait lĂ  pour , ne disons pas sauver, mais amĂ©liorer le monde , ce monde qui ne sait que dominer..Oui, l'homme aliĂšne l'homme
.. _ Oui, mais est-ce si facile ? _ L'esprit humain est tellement mallĂ©able. Versatile. Directif. Intransigeant. Blanc. Noir. Bancal. Raide. Mou. Sec. Chemin de terre. Chemin de pierre. Chemin mĂ©andresque. Chemin de droiture. Vibrant aux souffles. RĂ©sistant aux souffles. PĂ©nĂ©trable. ImpĂ©nĂ©trable. SauvĂ©. NoyĂ© tout s'y mĂȘle pour faire naitre la difficultĂ© d'ĂȘtre. _ Le commandant de la caravelle savait-il tout cela ? Y pensait-il seulement ? Mais non, bien sĂ»r. Un poisson volant mais immobile le regardait droit dans les yeux tandis que d'irrĂ©elles vagues s'embrassaient avec fougue, sous le souffle puissant et jubilatoire d'?ole. _ La barre ne bougeait pas. Ses poignĂ©es de chĂȘne rutilaient, usĂ©es cependant par tant et tant de miles parcourus de mĂ©ridien en mĂ©ridien. _ Le gouvernail faisait sa sieste entre deux courants chauds. Les hublots semblaient yeux de vaches attendant sans fin que quelque chose se passĂąt dans leur vie. _ Le drapeau ne savait plus s'il devait flotter. Parfois mobile, parfois de glace. Un astrolabe souriait, accrochĂ© Ă  un palmier figure de proue. Les cordages, soigneusement enroulĂ©s, paraissaient digĂ©rer un boa. _ Sur le pont, une sirĂšne Ă©vanescente, allongĂ©e sur un lit de roses marines, se miraient dans le ciel. _ Un soleil invisible inondait d'or, les voiles gonflĂ©es d'orgueil. Il regarda longuement ce spectacle. D'abord tendus, ses yeux se remplirent progressivement d'acquiescement, de satisfaction. HĂ©sitant d'abord puis, sereinement, il sourit pleinement. _ Alors le peintre surrĂ©aliste signa sa toile et s'endormit, comptant bien embarquer sur son rĂȘve . _ Oui, mais les rĂȘves nous rĂ©servent souvent d'Ă©tranges surprises, de funestes apparitions, et ainsi, du bonheur idiot, on passe au drame sans savoir ni pourquoi ni comment. _ Des voix venues de nulle part vous susurrent, s'Ă©lĂšvent, grognent, s'envolent, vous harcĂšlent et le cerveau est flagellĂ© de coups de dictionnaires desquels tombent, en impacts maudits, des mots, des mots, toujours des mots agir, guide, appel, passerelle, ensemble, jubilatoire, aliĂ©ner, palabre, cafĂ©, mallĂ©able, soutien, sĂ©quence, illustrer, mĂȘler, mobile, troquer! Nouvelle 081 _ Une spirale vertigineuse Allez, trĂȘve de palabre ! Ici, on n'a pas besoin de connaĂźtre ton histoire. Finis ton cafĂ© et va voir Jean. Tu pourras troquer tes nippes contre un bleu de travail. On se retrouve Ă  l'atelier. _ Michel Ă©prouve le mĂȘme vertige que lorsqu'il franchissait la passerelle pour aller chez son grand-pĂšre. Le courant l'attirait et l'effrayait tout Ă  la fois. _ Il se tait et obĂ©it. Lui dont la devise Ă©tait quand on veut, on peut » se sent aujourd'hui mallĂ©able entre les mains du grand barbu qui lui fait face. Il n'a pas le choix. Il doit laisser derriĂšre lui les diffĂ©rentes sĂ©quences de sa vie passĂ©e. Barrer d'un trait la plus rĂ©cente n'est pas difficile. Mais les autres Michel aimerait comprendre. _ Il avait Ă©tĂ© un enfant unique choyĂ©. A seize ans, il avait quittĂ© l'Ă©cole. Il avait depuis toujours une obsession dresser des chiens. Il Ă©tait douĂ©, de lĂ  Ă  en faire son mĂ©tier
 Ses parents ne lui avaient jamais rien refusĂ©. Une fois encore, ils lui apportĂšrent leur soutien. _ Les dĂ©buts en apprentissage furent d'emblĂ©e prometteurs. Michel rĂ©ussissait d'autant mieux que les chiens Ă©taient rĂ©calcitrants. Il savait et aimait les mater. Le patron l'admirait. Il lui servirait de guide dans ce monde fermĂ©. Mais un matin Michel se rebiffa et disparut. _ CĂ©libataire, il Ă©tait mobile. Il trouva du travail ailleurs, loin. Le scĂ©nario se rĂ©pĂ©ta. Plusieurs fois. Sa vie sentimentale ressemblait Ă  son parcours professionnel. Il s'attachait difficilement Ă  une femme. Toujours des questions. Comme sa mĂšre. Quand l'une d'elle lui plaisait, c'Ă©tait elle qui le quittait, ne supportant pas de se sentir surveillĂ©e, harcelĂ©e par ses appels incessants. _ Il crĂ©a une entreprise de gardiennage. Des camions, des bonshommes, des chiens. Etre son propre patron, dresser lui-mĂȘme ses chiens, donner des ordres, agir selon ses impulsions. C'Ă©tait jubilatoire. Au bureau, il avait embauchĂ© Solange. Chaque samedi, ils faisaient ensemble un bilan de la semaine. Ils complĂ©taient le tableau illustrant la prospĂ©ritĂ© de l'entreprise, buvaient un cafĂ©. Aucun ne se mĂȘlait de la vie privĂ©e de l'autre. _ Jusqu'au soir oĂč Michel invita Solange. Un autre soir. Tous les soirs. Elle vint habiter chez lui. Le regretta aussitĂŽt. Michel cherchait Ă  la dresser, comme il dressait ses chiens. Elle n'Ă©tait pas une femme soumise. _ Elle fut prudente. Un matin, Michel ne trouva pas Solange au bureau, mais une lettre d'elle lui annonçant qu'elle n'habitait plus chez lui et qu'elle avait trouvĂ© du travail ailleurs, trĂšs loin. Comme s'il avait accumulĂ© pendant des annĂ©es colĂšre et violence, il cassa tout, mĂ©thodiquement, dans les bureaux, dans la maison. _ AlertĂ© par ses hurlements inhumains, un employĂ© appela les secours. Michel se retrouva Ă  l'asile d'aliĂ©nĂ©s d'oĂč il s'enfuit dĂšs qu'il en trouva l'occasion. Il dĂ©couvrit qu'il Ă©tait plus facile de se cacher en ville qu'Ă  la campagne, mais ne s'adapta pas au monde souterrain des errants. _ HantĂ© par son passĂ©, ne supportant pas son prĂ©sent, n'entrevoyant aucun avenir, il a franchi le seuil de la communautĂ© EmmaĂŒs. Nouvelle 082 Le froid vif et piquant de l'une de ces longues journĂ©es d'hiver au cours de laquelle, visitant le bord de mer, j'errais, m'a fait pĂ©nĂ©trer dans cette antre encore inconnue pour moi. Je poussais la lourde porte de l'Ă©tablissement et m'installais a cette table. J'avais troquĂ© mon blouson de cuir pour une grosse veste matelassĂ©e que j'ĂŽtais de mes Ă©paules pour la dĂ©poser sur le dossier d'une chaise voisine. l'enceinte fleurait une bonne odeur de cafĂ©. Le patron, derriĂšre son comptoir illustrait totalement l'endroit. Le visage rougeot comme le nectar des bouteilles qu'il dĂ©bite Ă  ses clients et une immonde chemise Ă  carreaux Ă©voquant la tapisserie des cloisons du lieu. un tour d'horizon de l'ensemble m'a fait apparaitre quatre autres individus. L'un Ă©tait pansu comme un moine bien nourri. Ses comparses Ă©taient plutĂŽt fins comme des bĂątons de pĂšlerin alignĂ©s sur la passerelle qui mĂšne Ă  st Jacques de Compostelle. _ Tendant l'oreille, je devinais que les frĂšres bibine avaient entamĂ© un palabre tournant autour de leurs divins exploits de boisson. La rigueur hivernale nĂ©cessitait surement une grosse dose d'antigel pour leurs gosiers assoiffĂ©s au vu des chopes de biĂšres que nos braves amis ingurgitaient. _ L'intrigue de mon nouveau roman allait se dĂ©rouler dans un endroit semblable a ce bistrot et, durant mon sĂ©jour je comptais bien m'imprĂ©gner de l'ambiance de ces lieux et, qui sait, si ce patron joufflu n'allait pas me servir de guide. _ Mobile derriĂšre sa buvette, Rouge de mine » remarquait enfin ma prĂ©sence et se dĂ©cidait enfin a me consacrer quelques minutes au cours desquelles je lui commandais un grand cafĂ© crĂšme. _ Assit sur de grands tabourets et alignĂ©s comme des enfants de cœurs un matin de messe les quatre Ă©ponges se sont tous retournĂ©s ensembles pour me dĂ©visager. Mon imagination puisait en eux un caractĂšre, et j'imageais ce qu'ils pouvaient ĂȘtre. _ Le musclĂ© des joues et gras du bide semblait plus ĂągĂ© que ses frĂšres de comptoir. Il paraissait Ă©galement plus fourni cotĂ© matiĂšre grise, plus posĂ© et mieux vĂȘtu. _ Parmi les trois ablettes, l'un me paraissait fourbe Ă  sa façon jubilatoire de me regarder. Il avait le teint jaune, l'œil jaune assortis a son incontournable col roulĂ© qui lui aussi avait surement des kilomĂštres au compteur. Son voisin de droite, affublĂ© d'une combinaison de travail verte avait le regard tombant et je devinais rapidement qu'il voyait Ă  mes cotĂ©s un frĂšre jumeau. Il n'avait pas du sucer que de la glace le julot! Sans le soutien des Ă©paules de ses camarades il y a longtemps que monsieur le comte de la vinasse aurait culbutĂ© de son perchoir. _ Plus Ă©lectrique, nerveux comme un pinson un matin de printemps, le troisiĂšme mousquetaire me faisait l'effet d'ĂȘtre le joyeux luron de la bande. Bouille amaigrie certes mais un air fort sympathique aux premiers abords. Les piles pleines d'Ă©nergie ZĂ©bulon semblait ĂȘtes montĂ© sur ressorts, gesticulant et mallĂ©able comme un jouet de fĂȘte foraine qu'on accroche dans une voiture. _ Les quatre avaient fini de me dĂ©visager. L'inconnu que je reprĂ©sentais dans la petite bourgade en en l'occurrence dans cet endroit devait dĂ©lier leurs langues imbibĂ©es de toutes sortes de boissons alcoolisĂ©es. Ils ne le savaient pas mais ils allaient inspirer mes neurones, me servir de guide et dans quelques semaines leurs images allaient sortir de mon esprit et venir noircir mes pages d'Ă©critures. _ Ce sĂ©jour Ă  la mer Ă©tait pour moi le stage idĂ©al afin de m'imprĂ©gner de cette ambiance qui tourne autour et Ă  l'intĂ©rieur des bars, cafĂ©s, troquĂ©s et autres endroits ou fourmille cette population de boit sans soif ». _ Un Ă©niĂšme roman allait naitre dans ce cadre que j'ai choisi. Une Ă©nigme mĂȘlant intrigue et humour , ou, tous les acteurs se retrouveront jours aprĂšs jours, ici, dans un lieu semblable. Le lecteur y dĂ©couvrira une plĂ©iade de quidams et chacun aura a cœur de deviner qui d'entre eux aura assassinĂ© paulo, un vieux marin, la veille d'un noĂ«l sanglant. De quoi en aliĂ©ner plus d'un. _ Peu habituĂ© a frĂ©quenter ces endroits de rencontres et avec la ferme intention de faire Ă©diter mon roman avant le nouvel an prochain, je devais agir rapidement afin de me mĂȘler et familiariser avec les dĂ©bits de boissons. une fois rentrĂ© chez moi je ferais appel a tous ces souvenirs. _ Je quitte l'endroit, qui constitue pour moi une premiĂšre mais pas derniĂšre sĂ©quence en ces lieux. Nouvelle 083 _ Courrier Ă  Mr TWISTAGAIN _CABINET DE PEDIATRIE _ 2 Rue du dĂ©sert mĂ©dical _ 98200 Les GUINGUETTES _ Dr Willy COTTE _ Ancien Interne _ XX212CPC299Ăč _ courriel appeldesalienes _ Le 24 novembre 2020 Ă  Mr Fredy TWISTAGAIN _ PrĂ©sident Directeur GĂ©nĂ©ral de l'ADPAM _ Agence de Privatisation de l'Assurance Maladie _ Cher Monsieur, _ Je me vois dans l'obligation de refuser votre dernier envoi datĂ© du 10 novembre dernier et arrivĂ© au cabinet par colis recommandĂ© avec accusĂ© de rĂ©ception . _ Il s'agit, comme vous le savez d'un AMEVADDET de troisiĂšme gĂ©nĂ©ration automate mobile enregistreur vidĂ©o d'aide Ă  la dĂ©cision diagnostique et thĂ©rapeutique. Cet outil, merveille de technologie que vous qualifiez de passerelle entre les praticiens et votre entreprise est censĂ© enregistrer et filmer en continu mes consultations,et si besoin protester soit par un grognement si je m'Ă©carte des recommandations consensuelles et des sacro-saintes » sĂ©quences de l'ETP Ă©ducation thĂ©rapeutique du patient soit par un grondement si ma consultation dĂ©borde les vingt minutes autorisĂ©es. _ Égard Ă  ma pratique pĂ©diatrique? cet automate Ă©quipĂ© d'une tĂ©lĂ©-commande peut chanter des comptines, se dĂ©placer. Il est vĂȘtu d'une pelage d'ours avec accessoires et prĂ©nommĂ© WINNIE. Vous m'Ă©crivez que c'est Ă  la fois une allusion personnalisĂ©e Ă  mon prĂ©nom et aussi un clin d'œil convivial, rĂ©fĂ©rence Ă  un trĂšs vieux dessin animĂ© de Walt Disney qui a enchantĂ© notre enfance. _ A ce propos, le rĂ©pertoire de l' APDAM n'est toujours pas Ă  jour et s'obstine Ă  m'adresser des courriers au nom du Dr. Winnie COTTE. Je vous rappelle Ă  toutes fins utiles pour vos services que le praticien anglais homophone qui s'est illustrĂ© dans la psychanalyse d'enfant, se prĂ©nommait lui Donald Donald WINNICOT, qu'il est dĂ©cĂ©dĂ© en 1971, enfin que cette pratique la psychanalyse d'enfants a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e obsolĂšte et donc Ă  ce titre interdite dans votre guide des bonnes pratiques 2015. _ Vous m'Ă©crivez aussi que j'ai beaucoup de chance d'avoir Ă©tĂ© tirĂ© au sort, vous me dites que c'est un cadeau gratuit sans engagement et que mon refus Ă©ventuel de l'utiliser n'aliĂšnera pas la qualitĂ© de mes relations ultĂ©rieures avec l'Assurance Maladie. Vous me prĂ©cisez que je pourrai troquer WINNIE contre un autre animal de mon choix. PORCINET, BOURRIQUET ou TIGROU. Si j'acceptais votre offre, j'aurais personnellement une prĂ©fĂ©rence pour BOURRIQUET plus en rapport avec mon caractĂšre d'opposant rĂ©calcitrant peu mallĂ©able, toujours enclin Ă  se mĂȘler de ce qui est censĂ© ne pas le regarder. C'est en tous cas la derniĂšre analyse de mon profileur local de l'APDAM qui trouve en outre que mes consultations s'apparentent je le cite Ă  des palabres de cafĂ© du commerce» et donc deviendraient Ă  ce titre trĂšs prochainement non remboursables pour les assurĂ©s non munis de trĂšs bonnes assurances complĂ©mentaires de niveau un. _ Au delĂ  du propos dĂ©sobligeant Ă  mon endroit que je me permets de vous transmettre, je trouve cette mesure particuliĂšrement discriminatoire pour mes petits patients. _ Depuis la disparition de la CMU en 2013, c'est donc bien une SantĂ© Ă  trois vitesses qui se profile. _ Votre politique est maintenant transparente elle vise Ă  crĂ©er ou plutĂŽt accentuer les clivages au sein des soignants et Ă  terme, conduit Ă  la disparition des professionnels de santĂ© les moins bien rĂ©munĂ©rĂ©s dont les gĂ©nĂ©ralistes, les psychiatres et les pĂ©diatres ambulatoires dinosaures comme moi, font partie . Tout ceci au profit d'une santĂ© rendue enfin rentable» grĂące au dĂ©remboursement, Ă  la prĂ©carisation et Ă  l'assomption jubilatoire des assureurs privĂ©s qui trouvent en vous un soutien dĂ©cidĂ©ment indĂ©fectible et permanent. _ Je ne peux donc que refuser votre offre. Consacrant dĂ©jĂ  plus de trois heures quotidiennes aux taches administratives et Ă  la tĂ©lĂ© transmission, je refuse d'assurer en plus la maintenance de Winnie qui serait, si j'ai bien compris entiĂšrement Ă  la charge du praticien. Vous imaginez mes instables psychomoteurs shootant dans cette petite merveille Ă©lectronique
 _ Je vous renvoie par le mĂȘme colis tous les produits dĂ©rivĂ©s Winnie » sucettes, baby-relax, illustrĂ©s publicitaires, trotteurs parlants, packs musicaux, peluches interactives, aires d'Ă©veil Ă©volutives, tickets d'entrĂ©e Mac Do et prĂ©servatifs, pourquoi des prĂ©servatifs?
 Je refuse de passer sous les fourches Caudines de la vidĂ©o surveillance et lance un grand appel Ă  tous mes collĂšgues qu'ils aient ou non reçu le mĂȘme colis cadeau » de l'APDAM. _ Il faut enfin agir ensemble , il n'est pas trop tard!! _ Je vous prie de croire, monsieur Ă  l'expression de mes sentiments les meilleurs _ Dr Willy COTTE Nouvelle 084 _ Palabre de ThOrg Depuis mon arrivĂ©e sur Terre, j'ai beau tout savoir, patinĂ© d'une infinie connaissance, comme mes prĂ©dĂ©cesseurs, je ne comprends pas
 Quelle motivation est guide pour l'humain, son agir ? _ Pour nous Öhmiens, dire c'est faire, pensĂ©e et action ne peuvent ĂȘtre diffĂ©rentes ! _ Je me mĂ©lange aisĂ©ment de villes en citĂ©s. Je vais de pays en pays, sautant d'un continent Ă  l'autre sans difficultĂ© aucune Ă  la recherche de ce qui est l'objet de ma mission comprendre, Ă©valuer. _ Si je laisse ce tĂ©moignage, pour vous humains qui tomberez dessus, voyez le comme mise en garde et invitation au changement. Trop d'inĂ©galitĂ©s, d'injustices pavent le sol de vos existences. Entendez le et accordez vos paroles avec vos actes, je vous en prie. _ Le temps d'un cafĂ© tout se dit, se prĂ©pare, rien ne se fait pourtant l'envie y est BĂȘler dans la mĂȘlĂ©e, se mĂȘler en l'idĂ©e. Le temps d'un pot, pour l'apĂ©ro, vous refaites le monde » sĂ©quences, flattant vos Ă©gos dans liesse et fĂȘte le plus souvent en testant gens et Ă©motions. _ Les rĂ©unions que je vampirise quelles que puissent ĂȘtre leurs formes et raisons d'ĂȘtre, sont quĂȘte, recherche avec souvent coeur pour soutien, Ă©tai et remblai Ă  des pensĂ©es se chevauchant mais pouvant mieux faire Agir respectueusement. _ Il suffit de l'aliĂ©nation de vos Ă©motions ; j'entends, je vois, je ressens ton appel Terre si belle, passerelle dans l'univers, Arche bleue. Vous aussi mes lointains cousins mallĂ©ables parfois entendez vous le chant multicolore dans vos structures mentales. Mais handicapĂ©s par votre humanitĂ©, pour nous une maladie, vous ĂȘtes aliĂ©nĂ©s par des ressorts Ă©nigmatiques pour nous. _ Notre architecture psychique est rigide, froide, taillĂ©e au scalpel laser dans la masse de nos sentiments, de nos esprits. Forts de votre inadaptation, vous passez Ă  cĂŽtĂ© ». _ Votre chaleur, candeur est jubilatoire de mon point d'observation mais au lieu de vous guider dans l'action, vous vous fourvoyez en elle, en ailes devrais-je dire tant votre propension au vol rĂ©el ou stimulĂ© en cerveaux rĂ©fractĂ©s, endormis ou exhaussĂ©s caractĂ©rise votre pathologie qui est bizarrement votre force, entendez votre humanitĂ©. _ Pouvoir, volontĂ©, contrĂŽle prennent tellement d'espaces qu'en nappes ou couches ces motions vous mĂšnent par le bout du nez », oubliant trop souvent vos intuitions, pour nous siĂšge des libertĂ©s menant aux vĂ©ritĂ©s libres les livĂ©ritĂ©s. _ Pour illustrer mon propos Point de respect ou trop peu en vos actes dont une consĂ©quence sociĂ©tale Ă  base d'individualitĂ© vous pousse Ă  polluer, vous Ă©loignant du respect que votre planĂšte vivante elle aussi attend de vous. Vous troquez vos idĂ©es, vous dĂ©froquez vos positions pour des mobiles ou selon des raisons douteux laissant une grande majoritĂ© de vos concitoyens en marge. _ Vous en ĂȘtes Ă  l'Ăšre du sĂ©quençage gĂ©nĂ©tique, ce qui justifie ma mission d'Ă©coute. Vous jetez une partie de vos forces en exploration du cosmos, appelĂ©s par l'univers, ce stade d'Ă©volution explique aussi ma venue. _ En effet, nous Öhmiens, Ă©valuons comment aider votre sol sacrĂ©, comment du coup vous orienter vers plus de respect de votre planĂšte. A l'heure ou j'Ă©cris ceci, appel Ă  vous qui me dĂ©couvrirez lĂ  oĂč j'aurais dĂ©posĂ© mon tĂ©moignage, je n'ai aucune leçon en bouche Ă  vous enseigner tant j'ai compris ce que libertĂ© et crĂ©ativitĂ© signifiaient pour vos peuples. _ NĂ©anmoins, sans vouloir ĂȘtre alarmiste, dans votre Ă©volution si Tout, je dis bien Tout n'est pas orientĂ© durablement vers le respect du principe du vivant sur votre globe ; alors vous ne connaitrez pas l'envol vers d'autres galaxies et vous ne pourrez saisir les lois gĂ©nĂ©tiques. _ Il n'y a pas a voir en cela d'autre rapport de cause Ă  effet que celui qui va suivre Vous ne pourrez continuer Ă  ainsi Ă©voluer car nous nous y opposerons de toute notre force avec nos mentales vagues armes subtiles, inodores, indolores. MĂȘme les imaginer votre crĂ©ativitĂ© ne peut. _ Nous, Öhmiens, sommes issus du grand Tout, respiration du petit rien qui Ă  l'aube des temps immĂ©moriaux se sont contractĂ©s, ensemble nous nous sommes mis Ă  respirer, onduler, vibrer semant ça et lĂ , ce que nous aĂŻeuls impermanents osĂšrent poser. _ Nous vous avons guidĂ©, parfois aidĂ©. Maintenant votre action doit tenir compte de notre soutien sans renouveler le vieux modĂšle lorsque vous nous fĂźtes dieux. _ Les prophĂ©ties initiĂ©s par nos soins, arrivent Ă  terme comme votre gestation. L'illumination n'appartient pas Ă  votre passĂ© mais vous devance, elle vous attends dans des couloirs temporels ou seuls les ĂȘtres dignes pourront se hisser. _ La justice se tient en amont de ces portes, elle a pour nom respiration de votre planĂšte bleue, elle est Öhm, principe vibrionnant et certains, gardez l'espoir, le sentent, le vivent, l'expĂ©rimentent au quotidien aux contreforts de l'Himalaya ou immergĂ©s en Selva. _ D'un souffle Ă©clairĂ© parvient la lumiĂšre, de mon propos chuinte la pensĂ©e des miens, jardiniers de l'univers, acteurs indolents des devenirs, rĂȘveurs pour des mondes cohĂ©rents, Ă©tayĂ©s s'ils en sont autour du principe premier Justice pour tous. _ Ce message, laissĂ© en une de vos derniĂšres crĂ©ations, la toile », s'ouvrira le moment venu, se rĂ©pandant librement et en toutes langues. _ Alors vous redeviendrez les acteurs potentiels avec pour choix entre les mains ĂȘtre asservis par notre pensĂ©e ou rebondir en une respiration ultime, seule apte Ă  vous propulser en sauts quantiques dans l'espace et le temps, seule apte Ă  vous instiller gĂ©nĂ©tique comprĂ©hension. _ L'oubli vous a Ă©garĂ© en chemin, l'oubli vous guette comme jamais. _ Moi ThOrg, je vous en conjure, pour un bonheur sans fard, rĂ©agissez ensemble, sans fiĂšretĂ© ou l'oubli deviendra Ă©ternel. ThOrg, Ă©missaire Öhmien Nouvelle 085 _ Copains d'avant, ennemis d'aprĂšs Avant de faire les mots croisĂ©s du Monde, Odile parcourt la page d'Ă  cĂŽtĂ©, celle des morts. Un nom lui saute aux yeux, celui de Louis, son premier fiancĂ©. L'annonce trĂšs brĂšve ne permet pas d'Ă©carter un homonyme, alors elle s'adresse Ă  Google, son guide habituel, qui lui indique le rĂ©seau Copains d'avant. Elle se mĂ©fie des rĂ©seaux, mais pour avoir accĂšs Ă  sa fiche, elle s'inscrit prudemment Ă  son nom de jeune fille, prĂ©cisant juste les Ă©tablissements frĂ©quentĂ©s et la ville oĂč elle rĂ©side. Louis a Ă©tĂ© discret aussi. Elle voit oĂč il vit et consulte l'État civil il s'agit bien de son Loulou ». _ TrĂšs vite, Copains d'avant lui transmet le message d'une sexagĂ©naire bien en chair qu'elle ne reconnaĂźt pas. Elle rĂ©pond que oui, elle se rappelle, mais elle n'habite plus dans la rĂ©gion. Et elle se garde bien d'ajouter son nom Ă  la liste des amis. Au printemps, Odile a une correspondance avec Pierre Ă  12 ans, ils Ă©taient pensionnaires tous les deux et ils s'apercevaient parfois le jeudi quand la promenade du collĂšge de garçons croisait celle du collĂšge de jeunes filles. Ils s'Ă©crivaient des lettres trĂšs fleur bleue sur des feuilles perforĂ©es pastel. Il arriva que, lors d'une sortie cinĂ©ma, il soit assis prĂšs d'elle elle fut trĂšs perturbĂ©e par cette proximitĂ© et n'eut pas l'impression que c'Ă©tait vraiment Ă  lui qu'elle envoyait des mots doux. _ Pierre ne fait aucun commentaire sur le dĂ©cĂšs de Louis. Ils Ă©taient pourtant dans la mĂȘme classe. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il ignore ce qu'elle Ă©crit, et ses messages pourraient ĂȘtre adressĂ©s Ă  n'importe quel copain d'avant » de la mĂȘme tranche d'Ăąge. Le jour oĂč elle lit Je vais tondre la pelouse 5000 m2 », elle montre de la froideur. AprĂšs 50 ans de silence, ĂȘtre si prosaĂŻque
 L'Ă©change se rarĂ©fie puis cesse. _ Au dĂ©but de l'Ă©tĂ©, elle reçoit un message de Patrick, un camarade de 3Ăšme d'un autre Ă©tablissement dont elle avait Ă©tĂ© vaguement amoureuse jusqu'Ă  ce qu'il lui rĂ©vĂšle une petite amie, Josiane, qui serait au lycĂ©e Ă  la rentrĂ©e suivante. Elle avait revu Patrick en mai 68, Ă  la sortie d'un meeting il avait Ă©pousĂ© Josiane. Les mains enfoncĂ©es dans les poches et le regard mauvais, il avait marmonnĂ© que, jolie comme il la voyait, elle ne devait pas s'ennuyer ! _ Dans ses messages, il se montre d'emblĂ©e agressif et envahissant, l'appelle la vieille » et, bien qu'ils aient le mĂȘme Ăąge, se prĂ©sente comme un bel homme encore jeune et sĂ©duisant. Il lui demande comment elle se remet de l'Ă©motion de l'avoir retrouvĂ©, veut savoir ce qu'elle a fait de sa vie
 Elle ne rĂ©pond pas. Un jour, il annonce qu'il part pour cinq semaines aux States » et s'Ă©nerve l'avion lui fait peur, elle pourrait au moins lui souhaiter bon voyage. Elle se dit Bon dĂ©barras ! Ce sera l'occasion d'en rester lĂ  ! » _ Mais, dĂšs son retour, il la contacte. Il a repĂ©rĂ© qu'elle vit dans un bled de Bretagne » et justement, il va souvent dans le secteur. Ils pourraient se rencontrer pour une 'tite bouffe » c'est son style. Elle pense qu'un 'tit cafĂ© serait encore trop et rĂ©pond qu'elle n'est pas dans son bled. Elle vit aussi sur la CĂŽte d'Azur avec son mari. _ Un mari !!!!!!! Ça existe encore ? Et le quantiĂšme ? La cĂŽte d'Azur !!! Un mari riche apparemment !!!! Et gentil, ajoute-t-elle, c'est si rare
 Ah bien ! Et il va sans doute avoir 80 ans !!!!!!!!!! » Elle entend ses ricanements Ă  travers les averses de points d'exclamation qui hachent ses messages. C'est insupportable ! De quel droit vient-il s'immiscer dans sa vie ? Par contre, le message suivant est plutĂŽt jubilatoire. Il lui a Ă©crit au milieu de la nuit qu'il est tellement heureux de l'avoir retrouvĂ©e qu'il n'en dort plus. MĂȘme si elle n'y croit pas, elle en est troublĂ©e. Alors, elle consent Ă  donner son adresse Ă©lectronique personnelle et le courrier ne passe plus par Copains d'avant. _ Un jour, il la somme de rĂ©pondre sans dĂ©tours Ă  une seule question a-t-elle eu parfois une pensĂ©e pour lui ? Elle avoue que oui, quand elle avait 14 ans, avant de savoir qu'il y avait Josiane
 Cette rĂ©vĂ©lation insignifiante dĂ©clenche un dĂ©lire inattendu. Quel con il Ă©tait ! Toute sa vie, il avait rĂȘvĂ© d'elle sans espoir alors qu'elle lui Ă©tait tout acquise ! C'Ă©tait vache pour Josiane en qui il avait vu une femme plus mallĂ©able, plus facile Ă  vivre, ce qu'entre parenthĂšses elle n'Ă©tait pas !!!! mais tant pis
 Quel beau couple il aurait fait avec Odile, elle Ă©tait si belle et lui aussi !! DĂ©couvrir ça Ă  65 ans !!! On ne rattraperait pas le temps perdu mais ils allaient se voir
 une 'tite bouffe ensemble
 rien que se voir
 Elle essaie de calmer le jeu, suggĂšre qu'elle n'est pour lui qu'un fantasme. _ Le lendemain matin, pas de rĂ©ponse. Il laisse passer quelques heures avant de proposer un sondage a-t-elle consultĂ© son mail une fois
 deux fois
 trois fois
 davantage
 ? Est-elle déçue
 un peu
 beaucoup
 pas du tout ? Pas tout Ă  fait sincĂšre, elle rĂ©pond qu'il manque la case Je ne sais pas », voire Je m'en fiche ! ». Inutile d'avouer ici qu'aliĂ©nĂ©e comme elle l'est Ă  sa machine, elle regarde son courrier dix fois par jour. _ Il s'Ă©tonne de son indiffĂ©rence si elle savait comme il est beau et bien fait ! Curieusement, il n'a pas mis de photo sur le site et lui a juste demandĂ© une fois si elle est toujours aussi belle. Elle a haussĂ© les Ă©paules quel goujat ! Et comme elle n'a pas d'image de lui pour illustrer sa pensĂ©e, elle en a inventĂ© une. Elle l'imagine un peu chauve, mince mais plutĂŽt mou, pas franc du collier. Il ne comprend pas pourquoi elle s'est inscrite sur un site de retrouvailles si elle ne joue pas le jeu. Visiblement, le jeu consiste Ă  le retrouver, lui ! Alors elle explique la rubrique nĂ©crologique et le fiancĂ© supposĂ© dĂ©cĂ©dĂ© mais bien vivant sur Copains d'avant. En fait, elle cherchait seulement un mort et elle l'a trouvĂ© ! _ LĂ , il se dĂ©chaĂźne elle regarde la nĂ©crologie comme les vieux, elle vit sur la CĂŽte d'Azur avec les vieux !!! Elle est une vraie bourge pleine de fric !!! Et les points d'exclamation pleuvent. Il faut en finir et elle intitule le message suivant Basta ». Libre Ă  lui de penser ce qu'il veut, elle ne rĂ©pondra plus. Et comme il n'a pas l'air de comprendre, elle traduit basta signifie ça suffit » ! Nouvelles palabres elle ne va pas lui apprendre l'italien alors qu'il est allĂ© quinze fois Ă  Venise, cinq fois Ă  Rome
 _ On est Ă  la veille des vacances de Toussaint il arrive en Bretagne avec les gamins » et elle va garder sa petite-fille dans le Nord oĂč il vit. Ils vont se croiser quelque part en Picardie. Ouf, plus de mails ! _ Le 5 novembre, il rompt un silence de quinze jours T oĂč ? » C'est le dĂ©but d'une longue sĂ©quence d'appels Ă  rĂ©ponses en tous genres. Il arrive un message tous les jours. Menaçant RĂ©ponds-moi, merde alors ! » MystĂ©rieux Tiens, ce soir on a parlĂ© de toi ! » Suppliant Allez, sois gentille. » Objectif Vendredi, toujours rien. » PuĂ©ril Un pitit coucou, si si un pitit tout pitit coucou ». Admiratif Quelle volontĂ© ! » Redoutable J'espĂšre que tu ne pensais pas ĂȘtre oubliĂ©e d'un coup de baguette magique ! » Celui-lĂ  a failli faire mouche ! Elle sait qu'il n'y a rien ni personne derriĂšre ces paroles, que c'est une relation virtuelle, on peut le dire, pourtant elle est tentĂ©e de rĂ©pondre non, ne m'oublie pas, faisons comme si nous avions 15 ans
 Mais basta ! Il faut s'y tenir et couper les ponts, si on peut parler de ponts entre eux, allons, Ă  peine une passerelle ! Elle sait aussi que s'il lui arrive de troquer la griffe contre la patte de velours, ce n'est jamais pour longtemps
 Fin novembre, il annonce qu'il part en ThaĂŻlande et qu'elle aura donc la paix pendant deux mois. Pour la troisiĂšme fois, le rĂ©pit vient de son naturel mobile ce mec a la bougeotte ! Josiane ne doit pas s'ennuyer non plus. Odile la plaint cinquante ans avec ce tyran
 Elle a droit Ă  son soutien moral mais pour l'instant, pas question de la mĂȘler Ă  ce conflit sur le rĂ©seau. * _ Ça alors ! s'Ă©crie Odile, regarde Patrick est mort ! Ce n'est pas possible, ce n'est pas lui, ça ne paraĂźtrait pas dans Le Monde ! _ Laisse tomber, conseille son mari, ce n'est sĂ»rement pas lui, et surtout, ne va pas voir sur Google
 Nouvelle 086 Chico Ă©tait le deuxiĂšme fils de la famille. Il y a encore quelques mois, c'Ă©tait un garçon insouciant qui jouait avec les autres enfants dans les flaques saumĂątres qui entouraient le village. _ Un jour de pluie, son pĂšre avait emmenĂ© son frĂšre aĂźnĂ© dans la forĂȘt, il disait qu'il Ă©tait dĂ©sormais temps que son fils apporte un soutien au bien-ĂȘtre du foyer. Ils Ă©taient donc partis Ă  l'aube, Ă  l'heure oĂč le soleil trop bas n'a pas encore franchi la canopĂ©e, et oĂč l'obscuritĂ© est encore le refuge des animaux nocturnes. Ils devaient revenir avant la nuit, les sacs de toile remplis de baies et de plantes mĂ©dicinales. Leur absence le soir mĂȘme ne tourmentait personne, les excursions dans la nature se prolongeaient souvent en bivouac improvisĂ©. _ Le lendemain, la mĂšre de Chico s'Ă©tait alarmĂ©e. _ Le troisiĂšme jour, les hommes du village avaient effectuĂ© une battue, sans succĂšs. Ce soir lĂ , les anciens avaient racontĂ©, autour de la place, une vieille lĂ©gende indienne celle de l'esprit terrifiant de la forĂȘt. Une bĂȘte dĂ©vorait les hommes pour venger les animaux massacrĂ©s, aliĂ©nĂ©s, braconnĂ©s par ces bipĂšdes. Avant d'ĂȘtre dĂ©chiquetĂ©e, la misĂ©rable proie entendait un rugissement dĂ©chirer le ciel, un cri assourdissant, saisissant, irrĂ©el le cri jubilatoire du Jaguar. Les deux disparus avaient certainement croisĂ© sur leur chemin l'appĂ©tit insatiable du grand fauve. _ Le quatriĂšme jour, le deuil de la famille avait commencĂ©, sans cĂ©rĂ©monie, sans sĂ©pulture. Le chagrin des enfants avait Ă©tĂ© terrible. L'inquiĂ©tude de leur mĂšre la rongeait Ă  petit feu. Leur dĂ©nuement Ă©tait complet. _ AprĂšs cet Ă©vĂ©nement, Chico avait changĂ©. Il n'Ă©tait plus le petit garçon gentil, mallĂ©able, un peu mou mais d'une gĂ©nĂ©rositĂ© rare. Il avait grandi. On ne voyait plus jamais les fossettes sculpter ses bonnes joues dodues. Chico ne souriait plus jamais. Le jeune adolescent devait maintenant remplacer les deux mĂąles de la maison. Il fallait nourrir ses frĂšres et sœurs. Plusieurs fois, il avait entendu les vieux du village, dans leurs palabres quotidiens Ă  l'ombre des fougĂšres arborescentes, parler de la rĂ©colte du cafĂ©, du bon prix qu'on pouvait en tirer, ou des objets de la ville contre lequel on le troquait au marchĂ©. _ Un matin moite et brumeux, Chico s'Ă©tait alors levĂ© trĂšs tĂŽt. Il avait agi avec prĂ©caution pour ne pas rĂ©veiller sa famille qui dormait encore. Tous ensemble, regroupĂ©s autour du foyer, ils rĂȘvaient dans les hamacs, suspendus comme des cocons de bombyx Ă  un mĂ»rier. Il avait posĂ© la casserole en aluminium, noire de suie et cabossĂ©e, sur les braises crĂ©pitantes. L'eau une fois chauffĂ©e, il y avait mĂȘlĂ© du matĂ©, puis filtrĂ© le tout avant de verser l'infusion dans sa bombilla. Un panier tressĂ© en forme de nasse sur le dos et une machette Ă  la taille, il partit dans la forĂȘt, pour rĂ©colter les grains verts des cafĂ©iers sauvages. C'Ă©tait une nouvelle expĂ©rience pour lui. Il n'avait jamais pĂ©nĂ©trĂ© sans guide dans le ventre lugubre de l'Amazonie. MalgrĂ© les dĂ©fis que ses camarades lui lançaient parfois, il n'avait jamais osĂ© aller plus loin que l'orĂ©e de la forĂȘt. En vĂ©ritĂ©, avant ce matin lĂ , Chico ne s'Ă©tait jamais illustrĂ© par son courage. Finalement, il avait pris, au dĂ©but, un certain plaisir Ă  traverser la passerelle suspendue au-dessus des torrents boueux. Sautant de lame en lame comme Ă  la marelle, et faisant osciller le tablier mobile comme les vagues derriĂšre les pirogues Ă  moteur, il mimait alors un singe hurleur tombĂ© au sol pour ramasser des fruits. _ AprĂšs une heure et demie de marche, il commençait Ă  fatiguer, il s'inquiĂ©tait surtout car il Ă©tait dĂ©sormais bien loin du village. Il n'entendait plus les chiens aboyer, il ne percevait plus les chants mĂ©lancoliques des femmes faisant la lessive. _ Chico prit conscience de sa vulnĂ©rabilitĂ©. Tout autour de lui, les mĂȘmes sĂ©quences vĂ©gĂ©tales l'encerclaient, lui donnaient la nausĂ©e. Il Ă©touffait maintenant. _ Les parades mĂ©lodieuses des toucans, des callistes et des ibis rouges n'avaient plus rien de distrayant. Il Ă©tait perdu. Dans sa dĂ©tresse, il essaya de crier, de lancer des appels au secours vers le village. Mais dans quelle direction se trouvait le village ? _ Son pĂšre lui avait donnĂ© une fois un conseil durant une promenade d'initiation. S'il Ă©tait perdu, il ne devait plus marcher, au risque de s'enfoncer encore un peu plus dans cet ocĂ©an de vĂ©gĂ©tation. Il devait au contraire s'appuyer contre un arbre, se calmer, Ă©couter, et au moindre bruit suspect, prĂ©parer sa machette. Surtout, il devait attendre qu'une Ă©quipe du village vienne Ă  sa rescousse. _ Chico se laissa donc tomber d'Ă©puisement sur un petit tertre de feuilles mortes, le dos contre un hĂ©vĂ©a. Le regard perdu dans ses pensĂ©es funestes. Il s'effondra soudain, pleurant de grosses larmes qui dessinaient sur son visage crasseux des sillages pareils aux deltas du grand Amazone. _ Au bout d'un long moment, ses sanglots s'arrĂȘtĂšrent brusquement. Ses sens Ă©taient alertĂ©s par un danger imminent. La forĂȘt Ă©tait devenue silencieuse, attentive. Elle retenait son souffle. Chico scrutait tout autour de lui. Sa vue Ă©tait brouillĂ©e par ses rĂ©centes larmes. _ Soudain, son regard se fixa sur un point, et son corps se figea dans une posture glacĂ©e par la peur. Il apercevait trĂšs nettement, dans les fourrages, immobiles, deux sphĂšres Ă©meraudes. Autour d'elles, comme des satellites, des tĂąches noires et fauves. _ Un rugissement cataclysmique fit s'envoler en dĂ©tresse des nuĂ©es d'aras bleus. Chico, abasourdi, pensa Ă  son pĂšre et Ă  son frĂšre. Puis il referma la main droite sur sa machette en pensant Ă  cette veillĂ©e macabre, et Ă  la lĂ©gende du cri jubilatoire du Jaguar Nouvelle 087 _ Jalousie meurtriĂšre _ LĂ©on Drapier, ouvrier qualifiĂ© dans une tĂŽlerie bretonne se dĂ©cida a agir, Ă  la suite d'un banal reportage tĂ©lĂ©visĂ©, mentionnant des crimes crapuleux dĂ©guisĂ©s en cambriolage, dans le quartier asiatique de Paris. _ A la fin de sa semaine de travail, le vendredi Ă  midi, c'est d'un pas alerte qu'il traversa la passerelle reliant l'atelier au parking des ouvriers, pour se rendre en direction de son vĂ©hicule, dont le plein Ă©tait fait. _ Muni d'un simple guide de la route et aprĂšs avoir ingurgitĂ© un cafĂ© amĂšre, il se mit en route. _ Un peu plus de 350 kilomĂštres, un peu moins de 4 heures de route et il serait Ă  pied d'œuvre, il rĂ©aliserai enfin, ce qu'il aurait du faire il y a des annĂ©es ; tuer sa mĂšre, son immonde gĂ©nitrice. _ Une famille, une mĂšre en particulier, devrait se caractĂ©riser en terme de soutien Ă  ses enfants, d'amour inconditionnel, quelque soit les choix de vie de tel ou tel enfant _ Celle ci, n'Ă©tait pas comme cela, elle mĂȘlait admiration sans borne pour son deuxiĂšme fils et indiffĂ©rence totale pour son ainĂ©. LĂ©on le savait, et Ă©tait enclin a accepter cet Ă©tat de fait, il avait encaissĂ© pendant des annĂ©es les remarques acerbes, prononcĂ©es sur un ton jubilatoire par cette pseudo mĂšre. _ Un Ă©vĂ©nement avait cependant prĂ©cipitĂ© les Ă©vĂ©nements et Ă©tait bien le dĂ©clencheur, le mobile de cette Ă©quipĂ©e meurtriĂšre. _ Une semaine avant son dĂ©part pour Paris,LĂ©on avait reçu un courrier des pompes funĂšbres lui apprenant la mort de son pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© des suites d'une maladie grave, l'enterrement avait dĂ©jĂ  eu lieu une quinzaine de jours avant rĂ©ception de ce funeste courrier. Aucun appel tĂ©lĂ©phonique, ni de la part de sa mĂšre, ni de la part de son frĂšre, l'ensemble de la famille avait assistĂ© aux obsĂšques, lui le fils ainĂ© maudit par cette mĂšre acariĂątre venait d'ĂȘtre prĂ©venu. _ Connaissant bien Paris, c'est sans difficultĂ© qu'il se rendit Rue de Tolbiac, arrivĂ© devant la porte de l'appartement de sa mĂšre, il inspira un grand coup et sonna. _ Une vieille femme tremblotante ouvrit la porte sans prĂ©caution particuliĂšre, son regard fourbe et interrogateur illustrait bien la non reconnaissance de son fils qu'elle n'avait pas vu depuis 20 ans au moins. _ Afin d'Ă©viter les palabres, LĂ©on se prĂ©senta sommairement, Salut Maman, je suis LĂ©on ton fils ainĂ©, tu me reconnais ? » Une grimace pleine de dĂ©goĂ»t rĂ©pondit Ă  cette prĂ©sentation. _ Prit d'un accĂšs de colĂšre incontrĂŽlable, il poussa la porte, se rua sur la chose informe et ridicule qu'Ă©tait devenue sa mĂšre et commença Ă  frapper avec une violence inouĂŻe. _ Il frappa sans discontinuer, sans retenue, avec une rage folle, bien dĂ©cidĂ© Ă  faire passer de vie Ă  trĂ©pas cette femme qui avait aliĂ©nĂ© sa vie depuis toujours. _ Lorsqu'il entendit les vertĂšbres du coup craquer et qu'il vit le corps de sa mĂšre tomber Ă  la renverse, il comprit qu'il venait de donner le coup de grĂące. _ Il contempla une derniĂšre fois le corps rabougris et mallĂ©able de la chose qui gisait Ă  ses pieds et ne put s'empĂȘcher de sourire avec tristesse. _ Quelques minutes plus tard, aprĂšs avoir dĂ©vastĂ© l'appartement bourgeois, pour faire passer cet acte de folie en cambriolage ayant mal tournĂ©, il quitta les lieux, regagna son vĂ©hicule garĂ© Ă  proximitĂ© et se mit en route. _ Le trajet de retour se dĂ©roula sans encombre, son esprit Ă©tait ailleurs, il se repassait en boucle certains Ă©pisodes de sa vie ayant trait aux rapports avec sa mĂšre, comme la fois ou sa mĂšre l'avait invitĂ© lui et son Ă©pouse Ă  un repas d'anniversaire dĂ©diĂ© aux 25 ans de son frĂšre, repas au cours duquel il avait reçu les clefs d'une voiture neuve, alors que lui, avait achetĂ© une voiture d'occasion au prix fort, sans aucune aide. Il se rappelait aussi certain repas de famille durant lesquels les paroles de sa mĂšre rĂ©sonnaient encore Ă  ses oreilles, » Toi, mon fils qui ne m'a jamais déçu 
 », c'est ainsi qu'elle s'adressait Ă  son frĂšre lorsqu'elle parlait. _ Son esprit divaguait et c'est en prenant la sortie FougĂšres qu'il aperçu les silhouettes fantomatiques de deux gendarmes. LĂ©on blĂȘmit, se repassa les sĂ©quences de son pĂ©riple meurtrier et _ stoppa son vĂ©hicule. Il s'agissait d'un simple contrĂŽle d'identitĂ©; il chercha fĂ©brilement les documents demandĂ©s par la marĂ©chaussĂ©e, mais ne les trouva pas dans la poche arriĂšre de son jean. _ Il s'en tira avec une petite amende et obligation de prĂ©senter ses papiers le lendemain Ă  la gendarmerie la plus proche. _ LĂ©on passa un excellent Weekend avec sa femme et ses 4 enfants, il ne pensait plus rien, son esprit Ă©tait enfin serein, ce qui devait ĂȘtre fait Ă©tait fait, c'est le cœur lĂ©ger qu'il reprit le travail le Lundi matin Ă  5 heures. _ Il troqua ses habits civils contre ses habits d'ouvriers, c'est vĂȘtu d'un bleu propre, de ses chaussures de sĂ©curitĂ© et de ses protections auditives qu'il se rendit Ă  son poste de travail pour entamer une dure semaine de labeur. _ Raymond, son meilleur collĂšgue de travail lui dit vers 9h00, » Tu sais quoi LĂ©on ?, Y a les gendarmes qui discutent avec le patron
 », il n'avait pas fini sa phrase que deux gendarmes accompagnĂ© du chef d'atelier se dirigeait vers le secteur soudure, secteur dans lequel officiait LĂ©on. _ LĂ©on fut arrĂȘtĂ© et c'est menottes aux poignets qu'il traversa l'atelier sous le regard mĂ©dusĂ© et interrogatif de l'ensemble des ouvriers. _ La police Parisienne n'avait pas eu a fournir beaucoup d'effort pour retrouver l'assassin de la grand mĂšre du 13Ăšme, puisque dans la bagarre et la mise Ă  sac de l'appartement, le parricide avait tout bonnement fait tomber ses papiers d'identitĂ©. _ A la suite d'un procĂšs relativement rapide, LĂ©on Drapier aprĂšs avoir avouĂ© le meurtre Ă©copa d'une peine relativement clĂ©mente eu Ă©gard aux faits reprochĂ©s, il expliqua aux jurĂ©s les raisons de son acte odieux et rĂ©ussi Ă  tirer quelques larmes aux dits jurĂ©s. _ Son esprit Ă©tait libre enfin, et c'est avec sĂ©rĂ©nitĂ© qu'il quitta le tribunal. Nouvelle 088 _ RĂ©solution Nous Ă©tions quatre, Ă  cette terrasse chargĂ©e d'Histoire, et le boulevard St-Germain paraissait bien Ă©troit pour notre ambition commune. _ Unis, motivĂ©s, galvanisĂ©s par l'Appel, Ă  prendre les rues et les avenues, Ă  faire rĂ©sonner dans la ville les Ă©chos de notre rĂ©solution
 Ces quelques phrases lancĂ©es dans la nuit, par-delĂ  les mers et l'adversitĂ©, agissaient comme un phare pour les masses aliĂ©nĂ©es, un sĂ©maphore laissant entrevoir la lumiĂšre et l'espoir Ă  la communautĂ© des faibles qui commençait tout juste de s'Ă©brouer sous le joug. _ Plus de palabres ni de nĂ©gociations, foin de tiĂ©deur et d'attentisme, assez d'engagements prĂ©caires et de serments mallĂ©ables ! Nous voulions signer, dans le marbre de l'histoire qui s'Ă©crivait, de nos noms au bas d'actions inoubliables. _ Ivres de nicotine et de belles paroles, nous nous Ă©chauffions de notre propre audace. _ Ensemble nous voulions agir, illustrer notre soutien indĂ©fectible Ă  ce guide si brillant par des actions pleines de panache. Nous projetions d'unir les sĂ©quences de fourberies puis d'hĂ©roĂŻsme tapageur dans une stratĂ©gie grandiose, d'abreuver notre sillon de sang-bleu et de sang-mĂȘlĂ©. Nous allions troquer poing vengeur contre main sur le coeur, les pulsions les plus viles contre les mobiles les plus nobles. Et enfin, au soir de la bataille, le roi terrassĂ© par le fou, Babel abolie, nous pourrions jeter des passerelles entre les continents dans un Ă©lan retrouvĂ© de communion jubilatoire, sous l'empire des droits naturels. _ Mais avant de se mettre en route, on allait se payer une troisiĂšme tournĂ©e de pousse-cafĂ©. Nouvelle 089 _ Passerelle vers une libertĂ© C'est sur la passerelle qui enjambait la voie de chemin de fer qu'Amine et LĂ©a avaient pris l'habitude de se retrouver aprĂšs les cours. Il faut dire que c'Ă©tait juste Ă  cĂŽtĂ© du collĂšge et que la plupart des jeunes qui en sortaient s'y arrĂȘtaient avant de rentrer chez eux. C'Ă©tait devenu un lieu assez stratĂ©gique pour toutes sortes de raison et le meilleur pour la palabre, d'autant qu'on ne voyait pas de cafĂ© Ă  l'horizon. Et lorsque les plus grands, ceux du lycĂ©e, faisaient grĂšve, c'Ă©tait aussi par lĂ  qu'ils passaient pour tenter de bloquer les grilles de l'Ă©tablissement. _ Ce jour-lĂ , il ne se passait rien de particulier, juste les collĂ©giens qui sortaient, entraient, chahutaient un peu, couraient dans tous les sens ou s'arrĂȘtaient pour discuter avant d'aller plus loin ou de rentrer chez eux. Amine et LĂ©a Ă©taient assez tranquilles Ă  cet endroit, pour se retrouver et passer un moment ensemble. Ça ne se voyait pas trop qu'ils Ă©taient un peu plus que copains, qu'ils s'apprĂ©ciaient vraiment. Ils avaient l'air de tous les autres et c'Ă©tait bien comme ça. Personne ne les remarquait plus que d'habitude. Pourtant, pour eux, se rencontrer le soir aprĂšs les cours Ă©tait devenu plus qu'une habitude, mais une habitude qu'ils attendaient toujours le cœur battant. _ Ils Ă©taient en troisiĂšme et ils ne savaient pas trop ce qu'ils feraient l'annĂ©e prochaine, ni s'ils se retrouveraient dans le mĂȘme lycĂ©e, ou ailleurs. En mĂȘme temps, ils ne voulaient pas que l'amour les aliĂšne l'un Ă  l'autre et s'avouaient assez peu leurs sentiments. Alors, ils parlaient un peu de tout et de rien, de leur avenir, mais aussi des moyens qu'ils pourraient trouver pour agir un peu sur un monde qu'ils trouvaient injuste, et discriminatoire. Ils avaient envie de rĂ©aliser un film qui illustrerait leur propos, mais il leur manquait encore des idĂ©es. Ce qu'ils voulaient, c'Ă©tait dĂ©crire ce qu'ils appelaient la folie » des gens qu'ils pouvaient observer autour d'eux et qu'ils trouvaient intolĂ©rants. Parce que c'est vrai, qu'est-ce que ça pouvait leur faire de voir une jeune fille blanche » avec un jeune homme d'origine maghrĂ©bine » ? En quoi est-ce que ça les concernait ? Et pourtant certains, qu'ils rencontraient parfois quand ils allaient se promener ensemble, ne se privaient pas de faire des remarques. Mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ??? » Genre. _ Ce film, c'Ă©tait aussi une maniĂšre de rĂ©pondre Ă  une sorte d'appel, Ă  une sorte de voix intĂ©rieure qui ferait sans doute office de guide s'ils trouvaient comment commencer le film. Evidemment, ils auraient besoin d'un peu de soutien, y compris financier, ne serait-ce que pour trouver une camĂ©ra. A moins qu'ils ne rĂ©ussissent Ă  troquer quelques CD contre celle du voisin de LĂ©a ? ça pourrait peut-ĂȘtre marcher, assura LĂ©a. Il adore collectionner les CD, et tu en as de bons. Et puis sa camĂ©ra, il l'a eue pour son anniversaire, mais il ne s'en sert pas. _ Ok, c'est dĂ©jĂ  un problĂšme de rĂ©solu, rĂ©pondit Amine. Ensuite, il faudrait se mĂȘler de trouver comment raconter l'histoire, non ? Tu as dĂ©jĂ  tournĂ© un film, toi ? _ Non, dut admettre LĂ©a, mais bon, en s'y mettant Ă  deux, ça peut ĂȘtre plutĂŽt drĂŽle, non ? Voire mĂȘme jubilatoire, ajouta-t-elle en riant aux Ă©clats ! _ TrĂšs dĂ©cidĂ©s, ils continuĂšrent Ă  discuter ainsi pendant quelques jours, jusqu'au moment oĂč ils eurent suffisamment d'idĂ©es pour commencer l'Ă©criture du scĂ©nario, dans lequel ils avaient volontairement laissĂ© des scĂšnes approximatives pour qu'il reste mallĂ©able. Ils avaient trĂšs envie de pouvoir improviser _ Alors, ça commencera par un plan sĂ©quence, d'accord ? _ – D'accord. _ – Tu auras ton mobile Ă  la main et on te verra un long moment comme ça, sur la passerelle, sans entendre ce que tu dis. Puis, quand on entendra le son, progressivement, on comprendra que tu racontes ce qu'il s'est passĂ© Ă  une copine et que tu es dĂ©semparĂ©e, mais que tu as envie de faire comprendre Ă  quel point c'est idiot de juger quelqu'un sur les apparences
 » _ Ils continuĂšrent Ă  discuter un peu plus tard que d'habitude, ce soir-lĂ . D'ailleurs, il commençait Ă  faire nuit et il Ă©tait encore possible de distinguer leurs silhouettes tout au bout de la passerelle. Il n'y avait plus grand monde autour et ils se tenaient, doucement, mais avec confiance, la main. Nouvelle 090 _ Promotions Elle avait reçu sur son mobile un appel d'une voisine qui l'informait d'une vente de certains produits 100 % remboursĂ©s. Cette amie lui avait rĂ©servĂ© un exemplaire du catalogue, son guide illustrĂ© » comme elle disait, qui n'avait Ă©tĂ© distribuĂ© que dans certains bĂątiments du quartier. Une sĂ©quence d'une semaine sĂ©parait ces ventes on achetait le produit et on bĂ©nĂ©ficiait d'un avoir de 100 % ou de 10 % suivant le cas sur sa carte fidĂ©litĂ© et chaque jeudi les promotions changeaient. _ Elle s'Ă©tait donc rendue chez son amie, son principal soutien en cette pĂ©riode difficile, pour le rĂ©cupĂ©rer. Il s'agissait de faire un choix prĂ©alable dans ce catalogue oĂč tout Ă©tait mĂ©langĂ© et oĂč l'on trouvait des articles Ă  100% ou Ă  0 % dans la mĂȘme page. Il fallait surtout ne pas se tromper. De retour chez elle, elle avait troquĂ© son manteau contre une robe de chambre douillette et, installĂ©e dans le salon, avait passĂ© un bon moment Ă  le feuilleter en sirotant un cafĂ©. Les caractĂšres trĂšs petits utilisĂ©s dans le dĂ©pliant lui donnaient mal Ă  la tĂȘte mais elle insistait ne sachant pas bien lire. Elle ne voulait surtout pas que ses enfants la voient avec le catalogue. A chaque fois, ils la traitaient avec un bel ensemble d'aliĂ©nĂ©e de la consommation. Elle ne comprenait pas bien ce que cela voulait dire mais elle savait que ce n'Ă©tait pas un compliment. De toute façon, son caractĂšre mallĂ©able lui permettait de supporter les moqueries de ses deux grands garçons qu'elle adorait. En outre, elle Ă©prouvait beaucoup de plaisir Ă  feuilleter les revues en solitaire. Les palabres incessantes menĂ©es par ses voisines de la citĂ© la fatiguaient chaque jour davantage car elle entendait de plus en plus mal. Elle devenait renfermĂ©e ; le bruit, en particulier les discussions Ă  plusieurs, lui occasionnaient des bourdonnements dans les oreilles et des nĂ©vralgies, et les bagarres de ses jumeaux Ă©taient pour elle une vĂ©ritable torture. _ AprĂšs avoir cochĂ© en rouge les produits retenus, Ă  savoir des gĂąteaux fourrĂ©s Ă  la confiture, des pizzas surgelĂ©es aux 3 fromages et du camembert, elle s'Ă©tait rhabillĂ©e et rendue Ă  la grande surface. En effet, elle allait toujours la veille de la promotion repĂ©rer la place sur les rayons des articles sĂ©lectionnĂ©s. _ Si les produits frais ne pouvaient pas ĂȘtre enlevĂ©s des Ă©tals rĂ©frigĂ©rĂ©s, en revanche, les biscuits Ă  la confiture pouvaient ĂȘtre dĂ©placĂ©s. Elle en avait donc pris deux boites et les avaient cachĂ©es derriĂšre des bouteilles de boissons gazeuses en prĂ©vision du lendemain et en faisant attention de ne pas ĂȘtre vue par un employĂ©. Elle rangea soigneusement les bouteilles en cercle autour des boites pour les dissimuler en faisant semblant de chercher une marque de soda. Elle savait qu'il y avait des camĂ©ras de surveillance dans ce magasin. Elle dĂ©ambula ensuite longuement dans les allĂ©es et s'attarda dans le rayon de parfumerie ; elle se parfuma furtivement les mains et l'Ă©charpe et essaya plusieurs teintes de rouge Ă  lĂšvres. _ Le lendemain matin vers 10 heures, elle retourna au grand magasin. Elle descendit du bus en prenant appui sur son caddie et traversa la voie rapide en empruntant la passerelle mĂ©tallique soutenue par des piliers en bĂ©ton de chaque cotĂ© de la voie. Elle dĂ©testait cette passerelle glaciale mais ne pouvait pas faire autrement pour se rendre au centre commercial. _ La foule des grands jours Ă©tait dĂ©jĂ  lĂ  car on Ă©tait au dĂ©but du mois mais elle savait que les produits en gĂ©nĂ©ral Ă©taient disposĂ©s sur les rayons vers les 10 heures. Elle prit tout de suite une allĂ©e presque dĂ©serte car elle dĂ©testait se mĂȘler Ă  la foule et se rendit au rayon des surgelĂ©s _ Elle commença par les pizzas ses fils en consommaient des quantitĂ©s industrielles. Elle prit 3 boites de 2 pizzas Ă  4,40 E la boite et se rendit ensuite au rayon des camemberts. Ceux-ci n'avaient pas encore Ă©tĂ© placĂ©s dans les grands bacs. Elle se dirigea alors vers le rayon des gĂąteaux. Celui-ci Ă©tait dĂ©jĂ  envahi de femmes en train de chercher les biscuits fourrĂ©s Ă  la confiture car ils Ă©taient trĂšs bons et plaisaient aux petits comme aux grands. Elle essaya de se faufiler mais il n'y en avait dĂ©jĂ  plus. Elle retourna au rayon fromage. Les employĂ©s avec des cartons pleins de camemberts Ă©taient passĂ©s entre temps et les bacs Ă©taient pleins. Elle en prit 3 puis 4 puis 5 boites Ă  1,90 € car les enfants emmenaient avec eux des casse-croĂ»te au lycĂ©e. Elle revint ensuite au rayon gĂąteaux toujours pas de biscuits fourrĂ©s Ă  la confiture. Elle chercha un des employĂ©s qu'elle connaissait de vue. Celui-ci lui affirma qu'il n'y avait plus de gĂąteaux. Elle alla chercher son pain et revint par derriĂšre au rayon des boissons gazeuses. Elle ne voulait pas ĂȘtre vue par celles qui attendaient encore les biscuits. Elle dĂ©plaça les bouteilles de soda les deux boites de biscuits Ă©taient toujours lĂ . Elle les rangea prestement au fond de son caddie sous les pizzas et les camemberts et se dirigea vers la caisse. Un sentiment jubilatoire l'envahit en voyant la rĂ©ussite de son stratagĂšme. Elle se promit de prendre en rentrant un chocolat trĂšs chaud avec des biscuits Ă  la confiture malgrĂ© son rĂ©gime qui lui interdisait le sucre. Nouvelle 091 _ Le rendez-vous Insomniaque, chaotique Istanbul
. _ Tout proche, l'appel du muezzin, ce symbole de recueillement, ce guide spirituel qui traverse les Ăąges, retentit. CaressĂ©e par la brume de chaleur matinale, l'ancienne Constantinople, mĂ©galopole Ă  cheval sur deux continents, se rĂ©veille doucement et Ă©tire langoureusement ses bras tentaculaires. Alors que les infrastructures de la rive asiatique sont quasi-inexistantes, le cĂŽtĂ© europĂ©en se sur-dĂ©veloppe. La reprise des taxis jaunes sur les avenues rĂ©pond aux bruits lointains des trains de banlieue et tramway. _ Vite, Il faut agir maintenant, profiter de l'agitation qui rĂšgne dĂ©jà
..pour y dĂ©pĂȘcher l'indice. A tout prix
.se diriger vers le point de dĂ©part. _ D’un pas assurĂ©, la jeune femme traverse la passerelle d’accĂšs Ă  la rotonde en bois tapissĂ©e de coussins d’un cafĂ© traditionnel. Sans une hĂ©sitation elle se dirige vers le narghilĂ© en Ă©cume de mer qui semble l’attendre au fond de la salle. Elle jette un rapide coup d'œil autour d'elle. Personne ne lui prĂȘte attention
Son regard revient vers le narguilĂ© qu’elle soulĂšve d’une main prudente et retourne. _ Ensemble, c'est tout/rendez-vous au 2Ăšme banc avant le portail du grand jardin de la mosquĂ©e aux six minarets ». Elle mĂ©morise le message, repose le narguilĂ© d’un geste nonchalant et quitte les lieux pour rejoindre la mosquĂ©e toute proche. Son cœur bat violemment. A quoi peut-elle s'attendre? Etrange, cette sensation jubilatoire d'aliĂ©ner sa libertĂ©, ce dĂ©licieux supplice d'osciller entre son goĂ»t prononcĂ© de l'aventure, l'excitation de la dĂ©couverte et le danger qu'implique le mystĂšre qui se rĂ©vĂšle quand le secret est dĂ©voilĂ©. _ Un appel anonyme hier soir
.une voix Ă©trange venue de nulle part
..la poussent sur le fil tendu du funambule sans filet
.lui donnent le top dĂ©part du futur numĂ©ro Ă  jouer ..Mais comment a-t-elle pu se laisser prendre au piĂšge, ĂȘtre aussi mallĂ©able, indiffĂ©rente aux lieux oĂč la conduisent ses pas ? Est-ce par curiositĂ© ? Par amour ? Par rĂ©action Ă  l'ennui ? Ou quoi d'autre qu’elle n’ose s’avouer? _ AbsorbĂ©e par ses pensĂ©es, elle ne remarque pas sur son trajet le palabre de 2 hommes, l'un turc, l'autre armĂ©nien -pluralitĂ© des cultures- plantĂ©s au beau milieu de l'allĂ©e sĂ©parant Sainte-Sophie de la mosquĂ©e qui, tous deux, la dĂ©visagent. Elle les bouscule, s'excuse, confuse, et profite de l'arrivĂ©e opportune d'un groupe de touristes pour s'y mĂȘler. Elle Ă©coute d’une oreille distraite les commentaires du guide et, peut-ĂȘtre par sĂ©curitĂ©, reste immergĂ©e dans cette cohĂ©sion chaleureuse. _ Flashback. Dans sa tĂȘte, une pĂ©riode de sa vie qui l'a anĂ©antie. Elle n'aurait pas pu continuer sans le soutien d'Abdullah. Elle avait beaucoup rĂ©flĂ©chi Ă  cette sĂ©quence d'Ă©vĂ©nements, qui avait Ă©veillĂ© son attention et mis son sixiĂšme sens en alerte, avant de se persuader que cette rencontre n'avait pas Ă©tĂ© le fait du hasard. _ Oui, Abdullah, son Ă©trange dĂ©contraction quand il l'avait abordĂ©e, sa maniĂšre de lui laisser l'initiative du contact, cette attirance qui les avait enflammĂ©e, leur dĂ©sir de vivre ensemble ; et puis son travail trĂšs prenant, ses absences prolongĂ©es, injustifiĂ©es. Elle n'avait jamais osĂ© poser trop de questions. Elle l’avait bien tentĂ© Ă  plusieurs reprises, mais un mur se dressait instantanĂ©ment entre eux. Alors, elle avait capitulĂ©. _ Un coup de coude dans les cĂŽtes la ramĂšne au prĂ©sent et Ă  sa recherche du lieu de rendez-vous qu’elle doit repĂ©rer. S’écartant du groupe, elle se met sur la pointe des pieds et dĂ©couvre le fameux siĂšge. Personne
Que faire ? Attendre quelqu'un ? Un signe ? Ou partir avant qu’il ne soit trop tard ? Dans son sac, elle sent le vibreur de son tĂ©lĂ©phone mobile. Un coup d'œil lui rĂ©vĂšle un texto. PĂ©nĂ©trez dans l'enceinte de la mosquĂ©e, vous me reconnaĂźtrez ». _ Le compte Ă  rebours s'enclenche. Bien qu’il ne figure pas dans son rĂ©pertoire, il ne s’agit apparemment pas d'un inconnu puisqu’il possĂšde son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone. Alors, qui s'amuse de la sorte ? Dans quel but ? Une drĂŽle d'intuition la submerge. Aie confiance, que veux-tu qu'il t'arrive? Probablement une surprise d'une personne qui t'estime. » pense-t-elle. _ Machinalement, elle prend la direction du jardin qui entoure l'Ă©difice religieux. Des couleurs vives Ă©clatent devant ses prunelles. Du rose, du rouge, du jaune, du vert. Le jardin d'Éden illustré  Dans la cour centrale pavĂ©e de marbre une fontaine hexagonale fait entendre le doux murmure de sa gerbe d’eau cristalline. Impatient d'ĂȘtre manipulĂ©, le portail en bois veille jalousement sur les dizaines de chaussures qui garnissent sa devanture. A peine une hĂ©sitation avant qu’elle le pousse. Un grincement se fait entendre. Elle entre, aperçoit le dos courbĂ© de nombreux fidĂšles en priĂšre et s’immobilise, Ă©merveillĂ©e par la beautĂ© de l'ornementation intĂ©rieure des murs et des piliers revĂȘtus de carreaux de faĂŻence bleu-vert jusqu'Ă  mi-hauteur. Elle n'arrive pas Ă  se rassasier du spectacle d’autant qu’un second jardin d'Éden vient de faire son apparition offrant, Ă  profusion, les tulipes, les roses, les œillets, les fleurs de lilas des faĂŻences d'Iznik qui composent une palette d'une variĂ©tĂ© infinie. Elle pense que c’est Ă  cela que doit ressembler le paradis dans la religion islamique. _ Soudain, une ombre fugitive prĂšs du minbar en marbre blanc capte son attention. Elle lui semble familiĂšre. Elle se dirige vers elle mais, saisie tout Ă  coup d’une angoisse indescriptible, elle se met Ă  hurler. IncrĂ©dule, elle a reconnu Abdullah dans son khalat, ornĂ© d'un turban. Ce n'est pas possible que ce soit lui, habillĂ© dans ce vĂȘtement traditionnel. »Lui, l'homme moderne, anti-traditionnaliste. Sa part d'ombre vient de se rĂ©vĂ©ler, dans la pleine lumiĂšre des 260 fenĂȘtres de ce lieu apaisant. Elle n'a pas le temps de rĂ©flĂ©chir Ă  nouveau. Une dĂ©flagration retentit. EffrayĂ©s, des gens hurlent de toutes parts. Un Ă©clair blanc lui Ă©clate en plein visage. Le sol se dĂ©robe sous elle Trou noir
Elle se soulĂšve doucement. Trou noir
.Elle ruisselle de sueur. Trou noir
.. Elle ne distingue pas l'endroit. Trou noir
.. A tĂątons, elle se met Ă  chercher un interrupteur. Soudain, un son qu'elle connaĂźt, vaguement. Toujours ce trou noir. Sursaut
Une chaleur l'inonde. Un poids sur elle lui fait prendre conscience de son corps, intact. Est-elle en train de rĂȘver ? Et toujours ce bruit. Elle tend le bras vers le point lumineux. C’est un objet familier ! Son tĂ©lĂ©phone mobile qui vibre
 Mais oĂč est-elle ? Elle a l'impression d'halluciner. Elle repousse ce poids qui pĂšse sur elle, se redresse et se retrouve assise sur le bord
.. Le bord de son lit douillet qui l'accueille tous les soirs. Elle en pleurerait de joie ; elle a Ă©tĂ© la victime d'un terrifiant cauchemar. Quelque peu rassurĂ©e, la secousse intĂ©rieure sismique se calme lentement la laissant vidĂ©e. Et, tandis que la persienne se soulĂšve et que pĂ©nĂštre la lumiĂšre dans son appartement cossu, Zeynep se dit que, pour rien au monde, elle n'aurait troquĂ© la rĂ©alitĂ© pour le rĂȘve. Nouvelle 092 _ Et si Ce regard 
 _ Je l'aperçois, je me perds, _ Je m'approche et trĂ©buche, _ Elle respire, j'Ă©touffe, _ Elle bouge, je m'emprisonne, _ Mon cœur devient permĂ©able laissant s'Ă©chapper l'encre sensĂ©e Ă©crire ma vie en rythme, _ 
 me dĂ©boussole. _ Elle est encore non loin de moi. Assise Ă  la mĂȘme table, mĂȘme chaise sans doute, mes mots sans voyelle se noient dans mon ocĂ©an timiditĂ©. Il manque une petite passerelle qui me permettrait de m'approcher d'elle cachĂ© et en silence. _ Une salle flashes lumiĂšres dĂ©barrassĂ©e des nuages de fumĂ©e causĂ©s par les droguĂ©s du tabac, j'oublie mon prĂ©nom, j'aime dĂ©jĂ  le sien. Et si c'Ă©tait elle ! Je troquerais volontiers ma vie pour la sienne ; enfin, je pense. _ Quel Ă©clat avec son mĂȘme profil d'hier, sans doute les mĂȘmes teintes aux visages, mon corps est captivĂ© et mon cœur enchaine mille palabres sans ponctuation. _ Elle discute et les va et vient de ses lĂšvres me laissent pantois. Je me sens dĂ©semparĂ©. » _ Pour la seconde soirĂ©e en deux jours, son allure le surprend des cheveux brillants, des yeux clignotants qui semblent verts, son regard le fascine tout en le fragilisant. _ Se faire remarquer par elle en chantant pour tous les prĂ©sents, pourquoi pas. AprĂšs tout, il a franchi l'entrĂ©e d'un karaokĂ© que je donne de la voix ». _ Mais il n'agit pas. Son erreur, selon lui, est d'ĂȘtre rĂ©apparu sans ami, sans personne avec qui trinquer et rigoler. J'ai peur ». Il s'imaginait armĂ© du guide de l'amour. La veille, il Ă©tait simple accompagnateur et Ă  cet instant, seul au milieu de tous, Ă  affronter le regard de la femme karaokĂ©, timiditĂ©, la terreur ». _ Il endosse l'image d'un homme mĂȘlĂ© Ă  une histoire louche, Ă  l'affut du moindre mouvement fĂ©minin, l'obsĂ©dĂ© aliĂ©nĂ© du coin. MalgrĂ© une tempĂ©rature fraiche, il transpire prĂ©fĂ©rant fuir et espĂ©rer que demain soir et si j'allais la revoir. Miss solitude, tu as eu si peur, rentrons Ă  prĂ©sent ». _ Une nuit Ă  ne penser qu'Ă  elle. Une nuit Ă  rĂȘver Ă©veillĂ© assis sur sa mĂȘme table Ă  boire un cafĂ© avec elle et assister de prĂšs, tel le tĂ©moin Ă  charge, aux battements des lĂšvres coupables de rendre un cœur Ă  terre. _ Une nuit aussi Ă  regretter en revivant la scĂšne de sa rĂ©alitĂ© d'un cĂŽtĂ© l'estrade pour chanter, de l'autre la femme karaokĂ©, j'ai prĂ©fĂ©rĂ© me retourner et fuir pour plaire Ă  dame timiditĂ©, que je sois le plus beau pour elle ». Des nuages gris, le tonnerre comme mĂ©lodie, les heures d'avant cette troisiĂšme soirĂ©e, devenaient lourdes d'impatience et d'inquiĂ©tude. Pour se libĂ©rer, chapeau pour parapluie, il se mit Ă  courir d'une maniĂšre jubilatoire, et Ă  boire les gouttes de pluie. Pendant, il chante fort mais faux surtout. Tant pis, l'important est ce soir elle me verra, j'y serai, elle tombera folle de moi ». _ Sans suspens ni surprise finalement cette ultime soirĂ©e, j'Ă©tais le premier client Ă  entrer, le dernier Ă  sortir ». Il respirait deux airs celui de l'espoir qui gonflait ses poumons mais bien plus Ă©touffant, celui du brouillard du nĂ©ant car elle n'y Ă©tait pas enfin, je crois ». Il n'Ă©tait finalement qu'un mec mallĂ©able et paumĂ© ; que le hĂ©ros d'une vie aux quotidiens illustrĂ©s d'uniformitĂ©. J'ai ratĂ© ma vie ? » _ La massue de la dĂ©ception l'assomme. Quelle dĂ©sillusion ! Il ne sait plus quoi faire, quoi penser et si tout avait Ă©tĂ© Ă©crit, mon prĂ©nom est bien Mektoub ». _ Il se rassure il n'y a donc que moi qui ai cĂ©lĂ©brĂ© notre nouvelle vie, elle n'a pas encore compris, quelle joueuse. Alors, je rentre seul n'Ă©tant que le seul passager du train aux murs colorĂ©s de mes ennuis et tĂąchĂ©s par l'absence ! » _ Les jours qui suivent grisent le calendrier. Huit au compteur, il n'est toujours pas parvenu Ă  passer la vitesse de sa routine. Elle Ă©tait l'unique Ă  pouvoir colorer avec gaietĂ© mes quotidiens ». Que de regrets, j'aurais dĂ» me transformer chanteur le temps de quelques minutes, juste crier un tu me plais tant. Les yeux fermĂ©s, genoux Ă  terre, la sensation de la soirĂ©e, elle serait mĂȘme venue prĂšs de moi, je me serais penchĂ© chatouillant son cou et puis 
 et puis, je ne sais plus mais j'aurais tant aimĂ©, tant aimĂ© qu'on respire ensemble . _ J'ai mal, son visage. Je bave, ses lĂšvres. J'ai soif, sa bouche. J'ai froid, j'aurai dĂ». J'ai chaud, j'ai perdu. L'amour, mon eau. Demoiselle solitude fait des appels, je dĂ©croche encore et on discute longtemps, trop longtemps ». L'imagination le surprend il s'endort enfin. Hop, il fait dĂ©jĂ  jour et se rĂ©veille l'aprĂšs-midi avec elle en soutien dĂ©boutonnĂ© Ă  ses cĂŽtĂ©s. Quelle est belle, je suis le plus heureux. Comme mon chat, elle me caresse ; telle ma serviette, elle se frotte Ă  moi, c'est bon » mais trop court Ă  cause des voisins qui font trop de bruit ! Sur la table Ă  manger, Ă  repasser, la mĂȘme qui fait table de nuit de son unique piĂšce, les factures forment un chĂąteau de papier. Ni son fixe, ni son mobile ne sonnent. Et si je me rendormais, sans doute elle reviendra sans bruit et puis », il rĂȘve Ă©veillĂ© encore mais ne se souvient que des sĂ©quences de ses cauchemars. _ Si je perdais la mĂ©moire, je ne penserais plus Ă  elle. Je vais demander Ă  l'inventeur de la machine Ă  remonter le temps de me renvoyer Ă  deux jours avant, elle serait heureuse. Et si j'Ă©tais moins dĂ©bile pour une fois, j'apprendrais Ă  aimer ce que j'ai ». Avec les et si » rĂ©alisĂ©s, le monde serait bien diffĂ©rent, et si 
 Nouvelle 093 _ Elle s'appelait Minuit Une magnifique mĂ©lodie venait parfumer l'air nocturne et silencieux de ce cafĂ© luxueux, vide de prĂ©sence de par son heure tardive la belle et antique horloge du fond affichait dĂ©jĂ  minuit passĂ©. J'Ă©tais assis Ă  une table du fond, parmi celles qui bordaient les grandes fenĂȘtres. Voir la rue de dehors subir la colĂšre de la pluie me laissait un sentiment d'abri chaleureux, ma main se posant au-dessus de mon cafĂ© encore brĂ»lant pour sentir la fiĂšvre qui s'en Ă©manait, me rĂ©chauffant la peau dans un lĂ©ger frisson. L'endroit avait des airs princiers de par sa fine moquette rouge, ses murs tapissĂ©s de blanc et ornĂ©s de lampes semblables Ă  de petits soleils dorĂ©s, sa pianiste qui jouait de son instrument brillant de noir au fond de la piĂšce L'odeur qui rĂ©gnait savait mĂȘler la senteur du tabac froid et celui des boissons chaudes, une chose que je n'aimais pas tout particuliĂšrement. Rares Ă©taient les personnes prĂ©sentes Ă  cette heure-ci, une heure oĂč le propriĂ©taire se chargeait d'ĂȘtre le barman et essuyait ses tasses de porcelaine blanche Ă  l'effigie de son enseigne. Mis Ă  part cet homme, la pianiste et moi, seules quatre autres Ă©taient Ă©parpillĂ©s parmi les nombreuses banquettes moelleuses disponibles autour de ces fameuses tables de bois foncĂ©. L'une d'entre elles, retenait particuliĂšrement mon attention. Assise deux tables en face de moi, elle aussi aux cĂŽtĂ©s de la fenĂȘtre, je la voyais penchĂ©e sur son dessin qu'elle crayonnait avec une Ă©blouissante lĂ©gĂšretĂ©, rajustant parfois l'une des ses longues mĂšches brunes et ondulĂ©es derriĂšre son oreille, lui donnant un air parfaitement adorable. Elle leva le regard, je me tournais rapidement vers la vitre pour ne pas le croiser. La timiditĂ©, tout simplement. Dehors, un lampadaire adressait une lumiĂšre dans la nuit, un Ă©clat qui voulait nous servir de guide dans l'obscuritĂ©. Comme si le chemin traversant les tĂ©nĂšbres Ă©tait mallĂ©able, Ă©rigĂ© ou mĂȘme voulu ce qui m'avait conduit ici n'Ă©tait que le simple soutien donnĂ© d'un abri face Ă  ces cordes qui tombaient sans cesse. En vĂ©ritĂ©, le cafĂ© n'Ă©tait qu'un mobile pour rester. _ Je tournais Ă  nouveau mon attention vers elle, sa main s'Ă©tait remise Ă  illustrer son imagination sur son cahier de croquis. Il m'Ă©tait difficile de voir ses yeux, elle les laissait vers le bas, penchĂ©s sur ses gestes gracieux. Je les devinais plutĂŽt clairs, ils s'harmonisaient avec son visage fin et perdu d'Ă©motions. Parfois il lui venait de sourire, un sourire qui enjolivait son visage d'une joie si intense qu'il pouvait se propager sur les lĂšvres de n'importe quel malheureux. J'aurais aimĂ© troquer mes yeux fuyants contre un regard semblable Ă  un appel, parler sans utiliser le moindre mot, et ainsi, lui faire comprendre que j'aurais aimĂ© la connaĂźtre. Elle me semblait si mystĂ©rieuse, si seule, si Ă©trangĂšre, si isolĂ©e _ Elle leva Ă  nouveau la tĂȘte, j'esquivais comme si la fenĂȘtre Ă©tait ma seule passerelle de secours vers oĂč me tourner. Comme si la moindre palabre avec elle m'Ă©tait impossible, car le courage n'Ă©tait absent que pour m'empĂȘcher d'agir. Je l'entendais tracer un trait fort, j'allais porter une autre attention vers elle si je n'aurais pas Ă©tĂ© surpris de la violence soudaine dont commençaient Ă  faire preuve les gouttes de pluie envers la vitre. Les notes de piano s'intensifiaient, devenant plus dramatiques et plus agressives, je les entendais aliĂ©ner la douceur comme si je me trouvais dans l'un de ces films Ă  sĂ©quences dramatiques, voir lĂ©gĂšrement horrifiques. _ Horrible oui, car je dĂ©couvrais qu'elle Ă©tait en train de se lever, partant en mĂȘme temps que la pianiste qui venait de taper les derniers moments de sa mĂ©lodie. Lorsqu'elles passĂšrent ensemble Ă  cĂŽtĂ© de moi pour franchir la porte de sortie, la pianiste avançant sous les applaudissements enthousiastes du barman pour le dramatique jubilatoire, je remarquais leur Ă©trange similitude au niveau des traits fins de leurs visages. Elles Ă©taient sœurs, j'en Ă©tais plus que certain, et avec de la chance j'allais peut-ĂȘtre pouvoir les recroiser un soir dans ce fameux cafĂ© chaleureux. J'aurais aimĂ© pouvoir lui demander de rester, que je voulais lui parler, mais
 _ Je n'Ă©tais pas dans une romance, il fallait donc que je revienne Ă  ma rĂ©alitĂ© j'allais la laisser partir, traverser la rue pour monter dans cette petite voiture rouge qui allait la ramener chez elle, loin d'ici. Elle s'en alla. Avec surprise, je dĂ©couvrais que la magnifique jeune femme Ă©tait en partie restĂ©e son dessin trĂŽnait encore sur sa table, sa gomme laissĂ©e par-dessus. Je me levais pour m'en approcher, sĂ»rement allait-elle venir le rĂ©cupĂ©rer lorsqu'elle allait s'en rendre compte sous peu. Je m'asseyais Ă  la place chaude qu'elle avait occupĂ©e pendant des heures, balayant les copaux pour pouvoir admirer convenablement son œuvre de carbone. Il s'agissait simplement de ce cafĂ©, cet endroit, mais magnifiquement rĂ©aliste et rĂ©alisĂ© jusqu'au moindre dĂ©tail, elle n'avait absolument rien omis. Tout, y compris la pluie Ă  travers la fenĂȘtre. Je dĂ©couvrais qu'elle avait aussi dessinĂ© les gens je m'Ă©merveillais de me dĂ©couvrir dans le lot, dessus j'adressais le regard vers la fenĂȘtre. Pour donner un signe plus heureux Ă  son dessin, je dĂ©cidais d'enlever un Ă©lĂ©ment dĂ©primant qui le rendait peut-ĂȘtre bien trop dramatique. M'emparant de la gomme, j'effaçais avec le plus grand soin les traits de pluie visibles par la vitre. Choses magnifique dehors la pluie s'arrĂȘta brusquement au moment-mĂȘme oĂč je sĂ©parais dĂ©finitivement la gomme du papier. Nouvelle 094 _ Il fallait agir Assise devant son ordinateur, Claire lisait avec effroi le dossier du sĂ©isme d’HaĂŻti, oĂč se mĂȘlaient photos et articles de presse. Sans quitter l’écran des yeux, elle saisit sa tasse de cafĂ© bouillant, la porta Ă  ses lĂšvres avec prĂ©cipitation, et la reposa dans un tel mouvement d’humeur que la moitiĂ© de son contenu se dĂ©versa sur la table. La jeune femme ne s’en soucia guĂšre, autrement plus alarmĂ©e par les images qui dĂ©filaient devant ses yeux, que par ce petit incident de moindre importance. _ DĂ©cidĂ©ment, murmura-t-elle, ils ont vraiment tout perdu
 » Comme pour illustrer ses propos, elle dĂ©couvrit en fin de page une sĂ©quence vidĂ©o, oĂč tĂ©moignaient plusieurs victimes de la catastrophe. A la vue de ce peuple aliĂ©nĂ© par la misĂšre, sur lequel s’abattaient tous les malheurs du monde, Claire, n’y tenant plus, se resservit brusquement une seconde tasse qu’elle engloutit rapidement. Cette situation dramatique, elle le savait, Ă©tait un appel. VoilĂ  3 mois qu’elle s’était installĂ©e Ă  Paris, et, de nature active et mobile, cette soudaine tranquillitĂ© lui donnait la dĂ©sagrĂ©able sensation de stagner, comme une eau sale dans un marĂ©cage. Elle comparait facilement le monde Ă  une passerelle qui menaçait Ă  tout instant de tomber, et participer Ă  sa sauvegarde lui procurait un sentiment jubilatoire. Il lui faudrait du soutien, elle devait prendre contact avec tous ses alliĂ©s pour le combat qui s’annonçait. Elle serait leur guide, comme toujours lorsqu’ils agissaient ensemble, car son caractĂšre, tout sauf mallĂ©able, se dressait comme un bloc indestructible face aux multiples difficultĂ©s qu’ils rencontraient. Ne perdons pas de temps en vaines palabres », songea la jeune femme, qui troqua immĂ©diatement sa veste contre une parka bien chaude, et s’engouffra dans la nuit. _ La bataille commençait. Nouvelle 095 _ Voulez-vous ajouter Homo Sapiens Ă  votre liste d'amis ? Au fond qu'auront nous Ă  y gagner, ok nous auront certainement une vie remplie de moments heureux partagĂ©s avec les gens qui nous sont chers, parents, amis, amants, psychologues et prĂȘtres ; mais quel sera le prix Ă  payer aux yeux de toutes les merdes qui nous tomberont dessus. _ Mon nom n'a aucune importance et de toute maniĂšre n'est traduisible dans aucune des langues terrestres. Mes semblables ont jugĂ©s opportuns de m'envoyer sur terre pour observer les Hommes. Depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ  je vie parmi eux, mange, dors, sors au cinĂ©ma et invite mes amis au cafĂ© oĂč je suis considĂ©rĂ© comme habituĂ©. DĂ©sormais je suis comme tout le monde, pense et agis de la maniĂšre attendue par la sociĂ©tĂ© moderne. Bien des choses me sont parus incroyables tout au long de ces annĂ©es. Pourquoi les hommes, par exemple, s'enthousiasme-t-il autant devant un match de foot. Avec le recul il ne s'agit que d'une Ă©niĂšme forme de politique. Vingt deux types illettrĂ©s en short qui agissent comme s'ils sortaient d'une Ă©cole de théùtre et d'une balle au milieu de tout ça pour justifier la sensation jubilatoire que cela provoque chez les supporters. _ Il m'a pourtant fallu m'intĂ©grer, devenir normal ».J'ai donc du m'inventer un nom, une histoire, passerelles entre ma vie extraterrestre et actuelle. Malheureusement ma vie ici m'a rendu aussi inerte et mallĂ©able que de la pĂąte Ă  pain. Je n'aspire pas plus qu'un autre Ă  changer le cours de ma vie, je ne cherche aucunement Ă  m'illustrer dans tel ou tel discipline. Bien sur j'ai eu quelques loisirs, un tennis parfois le dimanche, un cours d'arts plastiques vite abandonnĂ©, un appareil photo Ă  sĂ©quence de dĂ©clenchement ultra rapide achetĂ© d'occasion en fait rien de rĂ©ellement significatif. Je me suis rĂ©signĂ© Ă  travailler huit heures par jour, cinq jours par semaines pour gagner mille-cent euros par mois. Assez pour m'acheter une Xbox, un tĂ©lĂ©phone mobile forfait appels longues durĂ©s dernier gĂ©nĂ©ration et une connexion internet assez puissante pour que le porno soit de qualitĂ© acceptable. Nous sommes tous pareils, nous sommes effrayĂ©s Ă  lÂŽidĂ©e de nous mĂȘler Ă  la foule, peur des langues que nous ne comprenons pas et n'avons aucune intention d'apprendre. Il est plus simple de rester chez soit et de tisser de pseudos relations sur le chat ou de troquer son deux piĂšces pour une semaine avec l'appartement d'un inconnu irlandais. Certains s'en sortent et connaissent la rĂ©ussite sociale et Ă©conomique grĂące bien souvent un bon job ». _ Je suis l'un des types les plus paumĂ© que je connaisse. Comme 75 % de la population des pays dits dĂ©veloppĂ©s » je dĂ©teste mon travail, non pas parce que mes collĂšgues de boulot sont des crĂ©tins, mon salaire ridicule et les possibilitĂ©s d'ascension inexistante. La vrai raison est simple, je n'ai aucune ambition, aucun rĂȘve, ma vie future ne constitue chez moi aucune source de rĂ©flexion. La lutte est vains, le systĂšme dans lequel nous vivons est bien rodĂ©, les puissants nous tiennent par les tripes et nous font remuer la queue en nous offrant des scenarios interprĂ©tĂ©s par Tom Cruise. Impossible d'y Ă©chapper, essayer et vous vous retrouverez montrĂ© du doigt. Alors tous les matins il me faut me lever pour rejoindre cet enfer terrestre qui me donne la possibilitĂ© d'acheter de la bouffe surgelĂ©, de l'alcool et des fringues H&M. Parfois il me faudra trouver une femme, chercher un endroit propice pour mener ma quĂȘte. Le lieu de travail semble ĂȘtre le premier terrain de jeux Ă  Ă©tudier. Malheureusement le comportement fĂ©minin y est bien souvent insupportable. Les femmes sont ici trĂšs sournoises. Les attaques entre collĂšgues ne sont jamais physiques, ces derniĂšres utilisent les mots et palabres pour dĂ©crĂ©dibiliser leurs rivales. Facebook, myspace, regardez mes photos de vacances comme je suis bonne sur la » sont autant plus d'outils qui permettront d'Ă©changer, partager tous ensemble sur la derniĂšre coupe de cheveux de Brigitte ou du dernier type par qui s'est fait sauter GĂ©raldine. L'intĂ©rĂȘt et exactitude de ces informations ne sera pas remis en question. Ces multiples sites internet poussent encore plus nos sociĂ©tĂ©s vers le culte du physique de star et de la connerie. JĂ©sus, bouddha, allah et autres guides ont Ă©tĂ©s remplacĂ©s par la tĂ©lĂ©vision qui Ă©met en boucle des programmes aliĂ©nants. Pas de panique disent ils, pourtant tous cela nous laisses aussi dĂ©bile que les diffĂ©rentes prĂ©sentatrices de jeux TV oĂč l'on peut gagner un voyage pour deux en Bretagne et qui semblent toutes mystĂ©rieusement ne pas savoir ce qu'est un soutien gorge. _ Certains semblent avoir vue le truc venir et dĂ©cident d'aller s'isoler du reste du monde en se construisant une cabane au fond des bois. TrĂšs souvent ces types ou femmes, je ne tiens Ă  exclure personne sont pris pour des fou dans le meilleur des cas ou bien sont tout simplement incarcĂ©rĂ©s. Quelle en est la raison ? Le reste de la sociĂ©tĂ© craint elle que ces personnes dĂ©couvrent le vrai sens de la vie ? De la libertĂ© humaine ? La vĂ©ritĂ© est que cela nous fait royalement chier de voir quelqu'un survivre en tuant des sangliers et buvant l'eau du ruisseau. Finalement que feriez vous si il vous Ă©tait possible de vivre seul sur Terre ?La sensation de libertĂ© peut elle existĂ© si nous la partageons avec nos semblables ? _ La rĂ©ponse est non. Nouvelle 096 _ Cauchemar en Namibie Finis les palabres, nous devons partir maintenant, c'est une question de vie ou de mort, cela fait deux heures que nous attendons le soutien de Marcande, et au vu de la situation, je crois qu'il ne reviendra plus. Mais avant ca, je dois vous raconter cette histoire d'aliĂ©ner. _ J'avais un guide, hĂ© oui, il est mort, pas de sa plus belle mort, mais froidement abattu d'une balle. Il s'appelait Jocasse, nous l'avions engagĂ© ma femme et moi pour nous mener dans un safari en Namibie. Il connaissait bien le parcours nous avait-on dit Ă  l'agence, et nous avons donc fait appel Ă  ses connaissances du terrain pour nous mener hors des sentiers battus, sauf que je me suis aperçu, trop tard, qu'il n'Ă©tait pas celui que je croyais. _ L'agence nous a dit que l'on pourrait le trouver dans un cafĂ© prĂ©s de Windhoek Central Prison, sur Pietersen Street. Le jour du rendez-vous, je devais le contacter par tĂ©lĂ©phone, mais ce jour lĂ  mon mobile est en panne de batterie, alors j'ai utilisĂ© la cabine public. Je n'aurais pas du, car les ennuis ont commencĂ©s au moment oĂč j'ai dĂ©crochĂ© le combinĂ©, Ă  l'autre bout du fil, un homme se prĂ©sente et me demande si l'appel est pour moi ? Non !, enfin oui ? », rĂ©pondis-je Ă©tonnĂ©, j'essaie de contacter monsieur Jocasse, et vous, pourquoi ĂȘtes-vous au bout du fil ? ». Il n'est pas lĂ  ! » me rĂ©pondit cette voix digne des romans les plus noirs, vous ĂȘtes sur une ligne unique, vous dĂ©crochez, et moi, PĂŽlentin, je rĂ©ponds Ă  vos souhaits ». Quoi !, vous ĂȘtes en train de me dire que c'est la lampe d'Aladin ? ». On peut dire ca comme-ca, quel est votre souhait monsieur ? ». Ecoutez, je dois parler Ă  monsieur Jocasse pour ». Quelle visite souhaitez-vous, celle qui vous rendra heureux ? Celle qui vos rendra riche ? Celle qui rendra beaux ? » me lança t-il. Aucune des trois ! » rĂ©pondis-je, je veux parler Ă  Jocasse ». Sachez monsieur que si vous dĂ©crochez ce tĂ©lĂ©phone je dois rĂ©pondre Ă  ces trois souhaits, sinon la passerelle en verre blanc se dĂ©truira, attention, il vous reste deux minutes pour vous dĂ©cider, et je ne veux pas me mĂȘler de ce qui ne me regarde pas, mais vous devez agir vite, sinon ». Sinon quoi ? » rĂ©pondis-je d'un ton agressif. Ne vous Ă©nervez pas » me rĂ©pondit-il, je vais voir ce que je peux faire ? » _ AprĂšs quelques secondes, la voix revient et me demande Combien vous pouvez mettre pour la visite ? ». Quoi !, mais j'ai dĂ©jĂ  payĂ© ! ». D'accord mais si vous ne voulez pas mettre de supplĂ©ment c'est Ă  vos risques et pĂ©rils, dĂ©pĂȘchez-vous !, il ne vous reste plus que trente secondes pour vous dĂ©cider ». C'est quoi mes risques et pĂ©rils ? » demandais-je, je veux juste le safari ». Bien monsieur, une fois que vous aurez raccrochĂ©, monsieur Jocasse vous emmĂšnera au safari, ne restez pas trop prĂšs de lui, sinon vous pourriez rencontrer de terribles ennuis ». Vous me faites peur n'est-ce pas ? » Bip bip bip La ligne se coupe. _ Il est deux heures, assis au bar du cafĂ©, j'aperçois un homme tout de blanc vĂȘtu, une balle en caoutchouc noir Ă  la main. Je m'approche et lui demande vous ĂȘtes bien monsieur Jocasse ? ». C'est trĂšs mallĂ©able le caoutchouc ? » me rĂ©pondit-il. Oui mais qu'est que cela Ă  voire avec moi ? ». Rien, je l'ai troquĂ©e contre du plomb hier et j'ai moins mal Ă  la tĂȘte ». Oui mais qu'est ce que cela Ă  voire
 ? » Rien !, je vous l'ai dĂ©jĂ  dit ». Nous pouvons y aller maintenant ! » me dit-il sans autre forme d'explication. Bien quand partons-nous ? ». Tout de suite, mais d'abord je dois aller voir un de mes amis qui va illustrer votre visite, ca fait partie du contrat, Ă  la fin du safari vous aurez un joli livre reliĂ© avec du sang de votre capture et les photos du safari ». Pourquoi du sang ? » demandais-je. C'est pour moi un spectacle jubilatoire, de voir ces animaux se faire abattre et dĂ©pecer par les touristes ! » IntriguĂ©s, je me dis que cet homme est fou et que je dois faire attention oĂč je mets les pieds. AprĂšs un rapide trajet, nous arrivons dans un no man's land, monsieur Jocasse arrĂȘte la voiture devant l'unique case de ce village, un homme, noir, une grande djellaba blanche, sort, et nous accueillent sur le pas de sa porte, il dit s'appelait Marcande. _ A cet instant des coups de feu, Jocasse prend une balle en pleine tĂȘte, et meurt sur le coup. Marcande nous prends par le bras et nous fait vite rentrer dans sa case. Ici vous serez en sĂ©curitĂ© ! ». Mais que se passe-t-il ? » demandais-je. Vous avez parlĂ© avec PĂŽlentin ? » Oui mais qu'est que cela Ă  voire avec nous ? ». Qu'elle vœux avez-vous pris ? ». Rien !, j'ai demandĂ© un safari avec Jocasse ». Ha !, ce n'est pas bien ca, vous auriez du faire un choix, tant pis pour Jocasse, mais tant mieux pour vous, car maintenant la sĂ©quence des rĂ©ouvertures des boules de verre se remet en marche pour retrouver son cap initiale, mais vous auriez pu prendre la balle ». Je ne comprends pas qu'avons-nous Ă  voire lĂ  dedans ? ». Je vous le dis, vous auriez du faire un vœu, attendez-moi lĂ , je vais voir ce que je peux faire ? ». Il s'absente et nous voilĂ , seuls, au bout du monde, dans cette case, et les balles qui pleuvent Ă  l'extĂ©rieur, je n'y comprends plus rien ! _ ChĂ©ri, chĂ©ri, rĂ©veille-toi, ce n'est qu'un cauchemar, je t'ai entendu crier et tu t'agitais, tellement que cela m'a fait peur ». Transpirant et essoufflĂ©, je dis Ă  ma femme J'ai fait un horrible un cauchemar, tellement rĂ©el ». _ Plus tard, au petit dĂ©jeuner, ma femme me dit qu'elle Ă  gagnĂ©e un jeu en jouant sur le magazine femmes ensembles. Oh ! ma chĂ©rie comme tu es mignonne, j'espĂšre que cela vaut le coup ? ». Je suis sur que cela te plaira, j'ai gagnĂ© un safari en Namibie et l'on s'envole la semaine prochaine, yes ! ». Tu sais mon cauchemar de cette nuit ». Nouvelle 097 _Lettre Ă  Jin Cher ami, _ Me voici arrivĂ© en France depuis bientĂŽt trois mois et je t'avoue que les français m'intrigue toujours autant. Je n'arrive pas Ă  les comprendre ni a me faire comprendre d'eux, c'est comme si ils avaient peur de moi, c'est incroyable non ? Qui suis-je pour leur inspirer de la crainte, je suis chinois pas un monstre. Le peu de français qui viennent vers moi sont souvent eux mĂȘme Ă©tranger au pays, c'est dur a expliquer mais il quand mĂȘme deux personnes qui semble me comprendre. L'un s'appelle Thomas et l'autre Sophie. Thomas travaille dans une imprimerie depuis bientĂŽt 4 ans et suis des cours d'histoire de l'art pour avoir sa licence. _ Il m'a expliquĂ© avec des termes assez Ă©tranges que les français Ă  la fac sont aliĂ©nĂ©s. Je lui demanda de m'expliquer pourquoi les autres ont peur de moi et devine ce qu'il m'a rĂ©pondu Ils ont peur de toi parce qu'ils s'imaginent que tu vas piquer leurs place dans la sociĂ©tĂ©, et que si moi je devais aller dans un autre pays j'aurais le mĂȘme problĂšme que toi ». _ Sophie est trĂšs mignonne peu ĂȘtre plus que nos amies en chine mais ça c'est que mon avis tu verras par toi-mĂȘme quand tu viendras. Elle fait des Ă©tudes théùtrales et habite le mĂȘme appartement que moi mais l'Ă©tage en dessous. GrĂące Ă  leurs soutiens je me sens un peu plus intĂ©grĂ©. Thomas adore illustrer ses propos par des exemples simples et efficaces ce qui fait souvent rire Sophie. AprĂšs les cours quand j'arrive a trouver le temps je me promĂšne dans un immense parc, je vois souvent des gens courir prĂ©s du lac. Il y a une petite passerelle que j'affectionne beaucoup car elle passe au dessus lac, il m'arrive de passer des heures Ă  contempler le paysage. Il y a une chose a laquelle je devais te rĂ©pondre dans ta prĂ©cĂ©dente lettre, la plupart des français que j'ai interrogĂ© n'ont pas lu Balzac ou Victor Hugo, certains m'on dit qu'ils ne lisaient pas du tout. Thomas m'a expliquer que quand dans un apprentissage on t'oblige a lire des pavĂ©s forcement il faut s'attendre a ce que les gens ne lisent pas. Il a Ă©tĂ© surpris que j'aie lu quelques livres de ces auteurs car comme il le dit c'est pas le genre de bouquin que je ferais lire Ă  une personne qui apprend la langue française. ». D'aprĂšs Sophie Thomas devrait sortir son nez des livres et s'intĂ©resser Ă  d'autres choses. Thomas m'a expliquĂ© qu'il pouvait passer des heures plonger dans un livre et ça embĂȘte quelque peu Sophie. Je crois plutĂŽt qu'ils sortent ensemble ! Il m'a racontĂ© qu'il avait lu beaucoup de classique Ă©tranger pour pouvoir comprendre le pays et voir si il y avait des similitudes avec le classique français. Il y a quelques jours j'ai reçu un appel de sa part, il m'a averti que la fac Ă©tĂ© bloquĂ© ! Il y avait aussi une manifestation contre une loi du gouvernement. Je ne comprend pas pourquoi, les français choisissent un prĂ©sident et ils pas contents, le prĂ©sident s'exprime il se fait traitĂ© de tyran, non c'est Ă©trange. Je prĂ©fĂšre ne pas me mĂȘler de ce genre d'histoire. Un Ă©tudiant de la fac m'a interpellĂ© il m'a raconter pleins de truc incomprĂ©hensibles sur le fait d'agir et ne pas subir, heureusement Thomas est arrivĂ© et a vertement disputĂ© cet Ă©tudiant, c'est le genre de palabre que je dĂ©teste le plus. Il m'a expliquĂ© que cette Ă©tudiant voulait que j'adhĂšre Ă  sa cause, connaissant trĂšs bien le mobile et que cela ne me concerne pas du fait que je suis Ă©tranger au systĂšme français. Sophie nous a rejoins plus tard Ă  la cafĂ©tĂ©ria. Elle Ă©tĂ© parti troquer quelque chose, je n'arrive pas a me rappeler quoi. Je dois te dire que Sophie est un guide remarquable car elle connaĂźt tout les recoins de la fac ce qui n'est pas le cas de thomas qui se perd souvent dans ce labyrinthe, il faut dire qu'il ne frĂ©quente que 2 endroits la cafĂ©tĂ©ria oĂč le cafĂ© est bon selon ces critĂšres qui sont partagĂ©s par toute la fac et la bibliothĂšque. Une fois il m'a montrer comment faire pour crĂ©e un personnage de pĂąte a modeler mallĂ©able, j'avoues que ce fut jubilatoire car par la suite il m'a montrĂ© la sĂ©quence que j'avais crĂ©e. J'espĂšre que tout va bien pour toi car ici je m'amuse comme un fou, j'attends de tes nouvelles, au plaisir de te revoir, _ Ton ami _ Ma Su Nouvelle 098 _ Mon prĂ©sident a ses humeurs,,, Un lĂ©ger ronronnement rĂ©gulier vrombit dans la piĂšce, Ă©tendue gĂ©nĂ©reusement dans une mĂ©ridienne accueillante , Rosalie poursuit d'un œil captivĂ© le sillage des poussiĂšres Ă©parses comme agitĂ©s par des secousses dans le dernier rayon de soleil. _ La chaleur est accablante dans ce pays, seuls les insectes et les bruits rĂ©sistent encore, les hommes eux sont terrassĂ©s et lĂ  toujours omniprĂ©sente, cette poussiĂšre envahissante, parfois visible comme Ă  cet instant prĂ©cis. Le ronronnement s'installe, rĂ©gulier tel un bourdonnement d'abeilles, elle guette ses moindres rĂ©actions, le caressant souvent du bout des doigts, parfois mĂȘme elle lui parle, comme Ă  compagnon fidĂšle. _ – Alors tu es heureux? Tout va bien? Bouge pas! Je vais me faire un cafĂ© pas de bĂȘtises hein! _ Elle sait que tant qu'il ronronne comme ça tout va bien, elle le compare souvent Ă  un PrĂ©sident, c'est comme un homme Ă  lui tout seul, celui qui aurait le pouvoir de lui adoucir ou de lui pourrir l'existence. _ Dans l'Ă©troite cuisine, moment jubilatoire Ă  regarder le jus noir couler comme une promesse directement dans la carafe transparente, l'eau a fini de traverser la mouture, le rĂ©sultat est garanti, l'arĂŽme est annonciateur d'une grande saveur. Etrange paradoxe que cet or noir, issue d'une terre aride, cultivĂ© avec peine et rĂ©coltĂ© dans la joie, c'Ă©tait son quotidien du matin les plantations de cafĂ©ier et Ă  la morte saison, l'usine de torrĂ©faction. Elle ne comprenait pas pourquoi eux, les indigents devaient transiter toutes leurs ressources, vers des pays riches et en retour, au final le cafĂ© Ă©tait seulement troquĂ© contre quelques misĂ©rables piĂšces. _ Une chance d'avoir par ci par lĂ , rĂ©ussi Ă  rĂ©cupĂ©rer dans ses poches un peu de grains Ă©chappĂ©s des grands sacs de jute, elle savait quelle n'avait pas le droit, mais au moins elle pouvait elle aussi le dĂ©guster son trĂ©sor. _ Direction la piĂšce Ă  tout vivre, le bol fumant Ă  la main, le vrombissement a cessĂ©, l'air est surchargĂ© et irrespirable, elle s'approche de lui, le contemple un instant soupçonneuse et n'hĂ©site pas Ă  lui donner trois petites tapes. _ – Mais quel animal tu me fais PrĂ©sident! _ Nulle rĂ©action, l'appel Ă  l'ordre amical n'a aucun effet! _ DĂ©pitĂ©e, elle rejoint la mĂ©ridienne en s'asseyant sur l'unique accoudoir, ses deux mains se lĂšvent prĂ©cises, portant le nectar encore brĂ»lant Ă  ses lĂšvres, un regard perplexe fixĂ© sur Lui. _ – Comment agir pour qu'il se rĂ©veille? _ Toute la question Ă©tait lĂ , ce n'Ă©tait pas si simple de compter sur lui, cette bestiole Ă©tait vraiment imprĂ©visible, une fois en action, une autre presque inexistant et lĂ  carrĂ©ment silencieux. Elle eut envie de lui envoyer une rĂ©clamation, mais pouvait-il vraiment recevoir sa demande? Une fois la derniĂšre goutte de cafĂ© avalĂ©e, elle abandonna le bol Ă  ses pieds, pour retrouver sa position favorite, Ă©talĂ©e comme un sac en attendant un peu la supportable chaleur de la nuit. L'ignorant, les yeux rivĂ©s au plafond, elle tapotait en rythme le dessus de sa main, passablement agacĂ©e, se disant que le mieux Ă©tait d'attendre, il avait surement besoin de repos. Une mouche attrapa son regard, insecte dont la principale utilitĂ© Ă©tait de venir te chatouiller quand tu dormais, de marcher Ă  l'envers en parsemant le plafond de minuscules tĂąches sombres, elles se grimpaient sur le dos deux par deux, juste dans le but de faire un nombre incalculable d'asticots et de se prĂ©cipiter sur ta nourriture dĂšs quelle Ă©tait refroidie. _ – Et
 rrrrrrrrrrr
 rrrrrrrrrrrrrrr
 rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
 rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
 _ Au son monocorde et au dĂ©placement plus rapide des diptĂšres, elle comprit qu'il venait de se remettre en action, il Ă©tait mĂȘme plutĂŽt agitĂ©, incroyable ses variations d'humeur, son ronflement montait progressivement d'intensitĂ©, pour couvrir le silence mortelle de la piĂšce. _ – Mais ma parole PrĂ©sident, tu fais plus de bruit que les villageois sous l'arbre Ă  palabre! _ Aucune rĂ©ponse bien sur
 juste du vent! _ Il l'avait pourtant bien prĂ©venu Innocents-Juste, en le lui offrant avec son sourire Ă©dentĂ© jusqu'aux oreilles, ses bras bien trop encombrĂ©s du fardeau, ne sachant rĂ©ellement comment le tenir, il lui flanqua carrĂ©ment dans les bras. _ – Je te prĂ©viens Rosalie, il est comme moi, plus tout jeune et dĂšs fois il dĂ©raille un peu, mais tu verras-tu t'habitueras! _ EtonnĂ©e de l'empressement du vieille homme, elle s'Ă©tait demandĂ©e, s'il ne s'Ă©tait pas tout simplement aliĂ©nĂ© d'un encombrement de plus. D'un sourire affichant le remerciement, elle n'avait pas osĂ© refuser le prĂ©sent et d'ailleurs Innocents-Juste avait tournĂ© les talons aussi sec, empruntant le chemin le plus court pour rejoindre sa case. Elle l'entendait, en le regardant s'Ă©loigner, rire doucement dans sa barbe devenu blanche. La surprise passĂ©e, elle avait installĂ© son fameux PrĂ©sident sur l'unique meuble de la piĂšce. Un buffet branlant, dont le contenu hĂ©tĂ©roclite protĂ©geait sa stabilitĂ© prĂ©caire ou bien le contraire, disons que l'ensemble Ă©tait parfait, un soutien hors du commun en sorte! Et le prĂ©sident s'Ă©tait satisfait de cette place de choix, Ă  trĂŽner et dominer de tout son poid dans l'Ă©quilibre de cette fragile communautĂ©. _ PlongĂ©e dans ses rĂ©flexions, Rosalie ne perçut pas immĂ©diatement le brusque changement dans la physionomie mobile du PrĂ©sident, comme un rotor s'emballant, il se mit Ă  faire des tours sur lui-mĂȘme, rĂ©veillĂ© par on ne sait quelle esprit vaudou, elle se demandait oĂč il voulait en venir, Puis il se mit Ă  osciller de chaque cĂŽtĂ© en sĂ©quences rĂ©guliĂšres, comme frappĂ© d'un balancement de clocher, chaque impulsion rĂ©sonnait sourdement sur le bois du buffet. Au premier craquement, sa bouche s'ouvrit en un O de stupeur, mĂȘme son imagination n'aurait pu suffire Ă  illustrer la scĂšne offerte Ă  ses yeux; le PrĂ©sident tressautait comme un furibond incontrĂŽlable, son souffle devint hoquetant et saccadĂ©, le buffet impuissant, agitĂ© du bocal par les secousses en perdit son dernier pied, sous l'effet bancal les portes volĂšrent en Ă©clats, libĂ©rant le contenu trop longtemps retenu de son antre. Tous les Ă©lĂ©ments se dĂ©chainĂšrent, la passerelle exiguĂ« entre l'existence presque trop paisible de chacun et la fureur Ă  vouloir libĂ©rer un trop plein opprimant, venait de cĂ©der. Finalement effrayĂ©e par la puissance de l'emportement du PrĂ©sident, Rosalie fit appel en levant les bras au ciel, au seul guide dont elle connaissait le nom _ – Oh! Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu
 _ Elle savait qu'il n'avait pas l'esprit mallĂ©able son PrĂ©sident, mais que faire devant ce spectacle dĂ©solant? PaniquĂ©e, elle voyait bien qu'il allait finir par retomber comme un soufflet. Dans un vacillement final, il chuta de son piĂ©destal pour s'effondrer dans le fatras mĂȘlé  – _ – Rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr













. _ Dernier sursaut, ultime battement d'aile, un silence inhabituel et dĂ©finitif, son ventilateur n'aura plus ses humeurs, il venait de rendre l'Ăąme,,, Nouvelle 099 _ Ce n'est qu'un rite Quand Paul Monroe dĂ©cida de s'engager dans l'armĂ©e, il n'estimait pas encore avoir touchĂ© le fond. Et bien qu'il ai perdu son dernier emploi aprĂšs avoir dĂ©truit la machine Ă  cafĂ© du bureau, qu'il se soit fait virer de chez son pĂšre Ă  coups de pieds dans le derriĂšre et qu'il dorme dans sa voiture sur un parking de supermarchĂ© depuis deux mois, il avait toujours de l'espoir. À vingt-deux ans et aprĂšs plusieurs dĂ©parts contrariĂ©s dans la vie, il voyait l'armĂ©e comme une nouvelle chance, et c'Ă©tait la seule qui s'offrait Ă  lui, il n'Ă©tait pas en position de refuser une offre, qu'elle quelle soit. _ Il Ă©tait sur la base depuis quatre mois quand il accrocha sur la porte en bois de son placard un poster de Catherine Deneuve. Tous les deuxiĂšmes classes de son dortoir s'en Ă©taient mĂȘlĂ©s et s'Ă©taient foutus de lui. Eux avaient couverts leur porte de grands morceaux de bravoures pornographiques, oĂč ensembles, des madones aguichantes s'enfonçaient des ongles longs comme des dagues dans des cons imberbes et jubilatoires. Paul Monroe se disait qu'il y avait plus sympa pour se rĂ©veiller le matin, mais il Ă©tait presque le seul. L'armĂ©e avait beau ĂȘtre un nouveau dĂ©part, il tenait bon mais c'Ă©tait dur. Deneuve Ă©tait son soutien et il en avait bien besoin, il ne l'aurait troquĂ©e contre rien d'autre. Alors on l'avait vite traitĂ© de pĂ©dĂ©, et ça avait fait le tour de la caserne, c'Ă©tait sans appel, mais il s'en foutait pas mal, il n'avait pas encore touchĂ© le fond. _ On ne naĂźt pas soldat, on le devient ! _ Ce qui le tracassait par contre, c'est de penser Ă  ce que ces abrutis de PremiĂšres Classes allaient imaginer pour son rite de passage. Paul Monroe savait que ça lui tomberait dessus tĂŽt ou tard, pour ĂȘtre le seul Ă  ne pas y avoir encore eu droit, il Ă©tait le prochain sur la liste. Sans vouloir s'aliĂ©ner, il avait senti Ă  plusieurs reprises le regard des PremiĂšres Classes, rĂ©unis en conciliabules, Ă©voquant son cas. Ils avaient commencĂ© avec les recrues, avant de faire subir des sĂ©quences de conneries franchement pas drĂŽles aux autres DeuxiĂšmes Classes. Lui avait peur qu'on cherche immanquablement Ă  lui foutre un truc dans le cul. _ Chaque soldat est un combattant mais aussi un spĂ©cialiste dans son domaine ». _ Sa spĂ©cialitĂ© Ă  lui, c'Ă©tait l'informatique, et il avait profitĂ© de son arrivĂ©e dans l'armĂ©e pour suivre une formation qui l'avait promu analyste militaire. QualifiĂ© de tĂącheron par sa hiĂ©rarchie, son boulot consistait Ă  compiler et Ă  classer des renseignements. Il avait du coup accĂšs aux rĂ©seaux informatiques sĂ©curisĂ©s, sur lesquels militaires et diplomates Ă©changeaient des informations. Paul Monroe avait ainsi dĂ©couvert des donnĂ©es ultra confidentielles, qui auraient brĂ»lĂ©es comme des trainĂ©s de poudre si elles Ă©taient parvenues aux tonneaux des autres puissances Ă©conomiques et militaires du monde. Il y avait des preuves d'espionnage entre pays alliĂ©s, de la corruption tolĂ©rĂ©e dans des pays clients, des comptes-rendus d'actions punitives criminelles et du lobbying. Sous ses yeux, Paul Monroe voyait s'accomplir, Ă©ludĂ©s et protĂ©gĂ©s par les hautes instances diplomatiques, de vĂ©ritables crimes de guerre. _ Un soir, alors qu'il sirotait un cafĂ© lyophilisĂ© sur sa couchette, il se demandait ce qu'il allait faire de ces donnĂ©es, qu'il avait finalement compressĂ© et gravĂ© sur des Cd. Il savait qu'il prenait un risque Ă  faire ça, et sa nervositĂ© grandissait en consĂ©quence, mais participer Ă  cette mascarade Ă  grande Ă©chelle le rendait malade. En mĂȘme temps, il se demandait ce qui passerait si les documents Ă©taient divulguĂ©s. Une guerre ? Un verrouillage complet de l'information et un climat de suspicion permanent ? Il pensait Ă  ce hacker qu'il avait rencontrĂ© par le biais de forums, il se prĂ©sentait comme journaliste en rĂ©vĂ©lations et semblait bardĂ© de hauts faits d'armes dans le domaine. Monroe Ă©tait en train de jauger s'il devrait lui confier ses dĂ©couvertes, lorsque une dizaine de PremiĂšres Classes entrĂšrent dans le dortoir, coupant ainsi court Ă  ses considĂ©rations. SĂ»rs d'eux comme des pigeons mobiles fondant sur un bout de pain dans un square dĂ©sert, ils avaient entourĂ©s Paul Monroe, et selon des rĂšgles dĂ©finies Ă  l'avance, prit par les chevilles et les poignets pour l'emporter vers la salle de bain commune. La surprise l'avait rendu vulnĂ©rable mais quand il sentit son corps dĂ©collĂ© du matelas et son cafĂ© tiĂšde se renverser sur son tee-shirt et sur son short, Monroe perdit son cĂŽtĂ© mallĂ©able et se tendit comme un arc. Et il se cabra avant de se tendre de nouveau. Apercevant Catherine Deneuve qui lui souriait dans le coin, il bougeait ses jambes et ses bras violemment. Telle une passerelle luttant contre des secousses sismiques, il faisait perdre leurs prises aux militaires. Ils se ruĂšrent sur lui pour l'immobiliser. Et c'est quand ils le relevĂšrent qu'il aperçu dans les bras d'un des PremiĂšres Classes, un nain de jardin souriant, une grosse carotte orangĂ©e dans la poigne. Venez tenter l'expĂ©rience ! TerrorisĂ©, il fendit l'air de nouveau des pieds et des poings, poussant chacun Ă  lĂącher prise s'ils voulaient garder leur nez intact. Autour d'eux, ses camarades DeuxiĂšme Classe regardaient, mi- fascinĂ©s, mi- dĂ©goutĂ©s, Ă©tant justement dĂ©jĂ  passĂ©s par lĂ , Ă  peu de choses prĂšs. Aucun ne pensait Ă  intervenir et le renfort d'engagĂ©s pour porter Paul Monroe et lui faire subir son sort s'organisa sans guide. Sans plus de succĂšs toutefois, il se dĂ©battait tellement qu'il n'Ă©tait pas possible de l'accrocher. Le nain de jardin fut posĂ© au sol, il fallait dĂ©jĂ  maitriser le bonhomme, agir, il Ă©tait possĂ©dĂ©, piquĂ©. Les types se regardaient les uns les autres, ce n'Ă©tait pas prĂ©vu et il allait falloir rĂ©flĂ©chir vite. Alors un des gars baissa la tĂȘte et chargea Paul Monroe, l'attrapant par les genoux et le soulevant en l'air au dessus de ses Ă©paules. Monroe rĂ©ussit Ă  s'agripper aux bras et au tee-shirt du soldat, et ne bascula pas, suspendu, les jambes battant l'air. Les deux restĂšrent un instant dans cette position, prosaĂŻque. Quand Monroe glissa le long du corps du PremiĂšre Classe, en douceur, jusqu'Ă  se retrouver allongĂ© par terre, la joue contre le linoleum, rouge et transpirant. Son regard fixait le nain de jardin un peu plus loin sur le sol, entre les jambes des engagĂ©s. LĂąchĂ© par l'adrĂ©naline, Paul Monroe bavait. Il ferma les yeux. Alors, sans palabre mais rĂ©futant l'abandon, les PremiĂšres Classes se rĂ©unirent ensembles autour de lui, chacun ouvrit sa braguette et on lui pissa dessus, en se forçant Ă  rigoler fort, avant de se retirer du dortoir. Le lendemain matin, Paul Monroe commença par enlever Catherine Deneuve. Il roula soigneusement la photo et la mit dans son armoire. Il colla Ă  la place l'affiche d'un gars au sourire figĂ©, en train de se glisser un doigt dans l'anus. Avant d'aller se connecter sur internet avec les Cd d'informations confidentielles dans la main, il guetta la rĂ©action des autres, ce n'Ă©tait pas pour s'illustrer mais il estimait avoir fait le plus dur. Ensuite, il alla sur l'ordinateur, contacta le journaliste en question, fit les manipulations nĂ©cessaires, et sous couvert de dĂ©ontologie mĂ©diatique, envoya les secrets militaires Ă  la presse. Le reste, lĂ , il s'en foutait pas mal, il estimait avoir touchĂ© le fond. Bien qu'inspirĂ©e de l'histoire de Bradley Manning, cette nouvelle est une œuvre de fiction, dont les faits, les tenants, et les aboutissants sont inventĂ©s par l'auteur. Nouvelle 100 _ ANGUERA La brume matinale ne rĂ©sistait guĂšre aux gestes vigoureux et la respiration profonde de Joana travaillant son champ de cafĂ©. On ne sait par quelle magie, elle Ă©cartait les lambeaux de la brume qui dĂ©sertait du coup, doucement, le champ pour le bosquet d'en face. La terre imprĂ©gnĂ©e par l'eau de la brume Ă©tait trĂšs mallĂ©able, lorsque soudain, l'appel de l'Anum, l'oiseau de l'aurore, se mĂȘla Ă  un bruit fracassant et Ă©trange faisant frissonner Joana. Joana regarda dans la direction de la source du fracas mais de ce cĂŽtĂ© la brume Ă©tait encore plus dense et elle ne percevait que des formes indistinctes un grand rectangle rouge immobile et de plus petites formes verticales et mobiles. _ Elle tenta de s'approcher et aperçut une forme horizontale, bien plus proche de son horizon de vision ; elle semblait complĂštement inerte. Joana plissa les yeux et les Ă©carquilla simultanĂ©ment, il s'agissait du corps d'un homme d'oĂč s'Ă©chappait un morceau de brume ; celle-ci prenait doucement une forme humaine dĂ©formĂ©e, car elle se cabrait, s'allongeait, rapetissait, montant, montant dans l'espace. ANGUERA* ? ANGUERA ? » S'Ă©cria Joana et, l'Ă©cho retentit alentours d'arbre en arbre, comme le son de palabres s'entrechoquant, faisant voleter les insectes et oiseaux effrayĂ©s, parfois jubilatoires. Dans la semi-transparence d'Anguera un objet sombre, rectangulaire, une sorte de cahier, avait-elle conclut, avait pris la place du cœur. ANGABAETE** ! ANGABAETE ! » Joana suivait du regard l'Ăąme qui fut l'Ăąme » s'Ă©loignant doucement et se dirigeant vers le sud. Joana comprit donc qu'il n'Ă©tait pas nĂ© au village. _ PlongĂ©e dans sa quĂȘte, elle fut surprise par le bruit des sirĂšnes des ambulances. Des hommes et des femmes en blouses blanches, guidĂ©s par des policiers se penchaient sur les vivants. Ils agissaient avec cœur et professionnalisme donnant les premiers secours. Elle comprit qu'il s'agissait d'un accident de bus. L'un d'entre eux vint dans sa direction, s'arrĂȘta et examina l'ANGABAETE. Il se rendit compte de la prĂ©sence de Joana, la salua et lui demanda Est-ce quelqu'un de votre famille ? » Non, rĂ©pondit Joana. Je travaillais dans mon champ lorsque j'ai entendu le bruit de l'accident ». Le mĂ©decin appela un brancardier pour qu'il vienne chercher le corps et lui dit J'ai constatĂ© le dĂ©cĂšs, n'oubliez pas de prendre le dossier pour remettre Ă  sa famille, vu comme il le porte sur lui, il me semble qu'il y tenait trĂšs fortement. ». Joana commença Ă  lui dire Mais, l'Anguera l'a emportĂ© » mais elle s'est tue car le mĂ©decin lui lança un regard soupçonneux, comme si elle Ă©tait une aliĂ©nĂ©e ou pire malhonnĂȘte. Mais le brancardier vint Ă  son secours. Il expliqua au mĂ©decin qu'elle parlait d'une vieille coutume indigĂšne oĂč l'Ăąme des morts pouvait continuer Ă  vivre parmi les vivants. Le mĂ©decin conclut que cet Ă©vĂ©nement illustrait bien l'ignorance que les brĂ©siliens ont de la culture indigĂšne. _ Joana marcha lentement vers son champ car cette vision pesait lourd dans son cœur tant la question Vers oĂč Ă©tait partit ANGUERA ? » la taraudait. _ Loin de lĂ , Dalva se rĂ©veillait dans l'allĂ©gresse, elle se disait qu'il fallait se dĂ©pĂȘcher car son pĂšre revenait de la capitale oĂč il Ă©tait allĂ© reprĂ©senter la communautĂ© de petits paysans auprĂšs du gouverneur de l'Etat afin de solliciter son soutien financier Ă  leur projet de mini-fabrique. Ensemble, ils avaient conçu et Ă©laborĂ© ce projet pour ne plus avoir de pertes lors des rĂ©coltes. Dalva se leva Ă  tĂątons car sa chambre n'avait pas de fenĂȘtre. Elle s'appuya sur le tabouret qui faisait office de table de chevet et fit tomber un livre ou peut-ĂȘtre un cahier, pensait-elle. En ouvrant la porte elle ramassa le dossier qu'elle avait fait tomber et reconnut le classeur du projet que son pĂšre avait emportĂ©, elle chercha la page oĂč devait figurer la signature du gouverneur ; elle y Ă©tait. Dalva n'en croyait pas Ă  ses yeux car ce projet signĂ© reprĂ©sentait l'ultime sĂ©quence d'une grande lutte pour leur dignitĂ©. Serait-il revenu pendant son sommeil ? » Dalva se dĂ©pĂȘcha, fit rapidement sa toilette et sortit. Beaucoup de personnes se trouvaient dĂ©jĂ  lĂ  sous la passerelle qui liait le Village Ă  la route nationale car ils avaient prĂ©vu pour cette occasion de faire une fĂȘte oĂč ils allaient troquer et vendre des objets pour complĂ©ter le budget du projet. Avec le dossier contre son cœur, Dalva interpellait les personnes Avez-vous vu mon pĂšre ? » Tous s'Ă©tonnĂšrent de cette question, car son pĂšre n'arriverait que par le car de midi et il n'Ă©tait que 9 heures. * De la langue Tupi-Guarani l'Ăąme qui fut l'Ăąme, qui hante le monde vivant _ ** Idem, l'homme qui fut l'homme Nouvelle 101 _ Merry Christmas ouf' Douf'Douf' Douf' Douf' Douf' Douf' 
 _ la musique Ă©clairait aussi la rue de ses ondes mobiles et fluorescentes _ Diiing
dong _ Christmas regarda Claire un instant. _ Vas-y donne moi au moins une bouteille qu'on les porte ensemble ! Sois pas ridicule ! » _ Claire s'esquiva maladroitement, quatre bouteilles sous les bras. _ Raaah mais nan, pour une fois que c'est moi qui rĂ©gale ! » _ La porte s'ouvrit. _ Hellooo les amis ! ca roule !!? » _ Salut vieux ! » _ Salut Matt ! » Lança Claire. didon ca pĂšte chez toi on t'entend du bout d'la rue! » _ Salut Claire. HĂ©hĂ© allez come in ! Et faites comme chez vous ! » _ Grace au soutien d'une franche et entraĂźnante Hard-Tech, l'atmosphĂšre dans le hall laissait prĂ©sager un living fourni d'ĂȘtres vivants et dansants, illustrant tels des guides intemporels une frontiĂšre mallĂ©able entre le bien ĂȘtre ou le mal ĂȘtre d'une gĂ©nĂ©ration en proie Ă  l'ambivalence. Ils pĂ©nĂ©trĂšrent plus profondĂ©ment dans le royaume de la fĂȘte, en une sĂ©quence jubilatoire. _ Ch iiiaaouww !!
 Bienvenue chez les aliĂ©nĂ©s !!?? Et au fait il faisait quoi Bet' ce soir ? _ M Il avait une soirĂ©e poker ! J'ai reçu un appel il nous rejoindra plus tard ! _ Ch C'est vrai ? Cool ! Il reviendra certainement avec sa gagne comme l'autre fois ! _ C EspĂ©rons ! Mais il va peut-ĂȘtre tout perdre
 La chance, ca tourne ! Cela dit il est tellement malin qu'il arriverait mĂȘme Ă  troquer sa malchance ! C'est comme
 Hey ? Chris ? Ca va pas ? _ Chris s'Ă©tait arrĂȘtĂ©, en appui sur ses genoux, penchĂ© vers l'avant Ă  l'entrĂ©e du salon. Sa main droite prenait le pouls au niveau de sa gorge. _ Ch Ouais je sais pas mon cœur accĂ©lĂšre là
 J'me sens bizarre. _ C HĂ©bé  euh
 oui euh
 j'peux faire quelque chose ? _ Ch Nan nan c'est bon attends j'ai la gorge sĂšche j'vais aller prendre un verre d'eau. _ C Curieuse façon d'commencer la soirĂ©e ! _ M Remets toi vite mon gaillard j'ai une amie Ă  te prĂ©senter ! _ Chris reprit son souffle et entama son expĂ©dition vers la cuisine. _ Claire, elle, salua des amis et leur tint des palabres en secouant son corps. _ Chris, non sans difficultĂ©, se fraya un chemin dans l'assistance. Son cœur intensifia sĂ©rieusement ses caprices, sans raison apparente, alors qu'il Ă©tait au milieu de la piĂšce. Sa vision se brouilla, son thorax le faisait violemment souffrir mais il continua d'avancer dans l'incomprĂ©hension. _ Comme par magie, tout se calma peu Ă  peu en s'approchant de la cuisine. En s'Ă©loignant du salon. _ Il but au robinet. Se redressa. Respira. Essaya de comprendre. _ Hmaaahhlala » _ Il jeta un œil au salon. Il devait bien faire soixante mĂštres carrĂ©s, relativement spacieux, moderne, investit d'une bonne trentaine d'invitĂ©es. Matt avait enlevĂ© tous les meubles et installĂ© un Ă©clairage colorĂ©. _ Chris scruta ses congĂ©nĂšres. Et son regard se figea net. _ Il ne bougeait plus. Ne respirait plus. Ne sentait plus, ensorcelĂ© par un ĂȘtre vivant, femelle, tournĂ©e vers lui. Il Ă©tait en stase, en apnĂ©e. Puis, l'instinct de survie fit son apparition comme 20 bonnes secondes s'Ă©taient Ă©coulĂ©es
 _ Pffouah » fit il soudainement. AffolĂ©, Ă  bout de souffle, il regarda de tous cĂŽtĂ©s. Son cœur battait la chamade. _ Il ouvrit le frigo pour en sortir une biĂšre qu'il ingurgita en moins d'cinq secondes. Il planta nerveusement sa main dans un saladier bourrĂ© d'chips pour s'en fourrer plein l'gosier tout en constatant que la fille le tenait par les pupilles. A nouveau il sentit une pression cardiaque tout Ă  fait inexplicable ! Il mĂącha nerveusement les pommes de terre sĂ©chĂ©es, salĂ©es. _ L'idĂ©e d'inviter un jour cette fille boire une biĂšre ou un cafĂ© effleura son inconscient ! _ Chris suivit Matt du regard, surprit de le voir s'approcher de Merry. Il le vit faire un geste courtois, invitant Merry Ă  se dĂ©placer vers la cuisine. Matt regarda Chris d'un air complice. _ Christmas comprit instantanĂ©ment ! _ Nooon.. Ouww non pas ça ! » _ Soudainement, les palpitations revinrent, Chris sentit la pression de Merry monter, et monter, comme s'il Ă©tait dans l'espace sans combinaison s'approchant de Jupiter. Il sentait les radiations de son regard. Comme des jets d'Ă©lectrons solaires. Plus Merry s'approchait, plus son malaise s'intensifiait, plus son corps se ratatinait. Merry et Matt entrĂšrent dans la cuisine. Maintenant, vraiment, pliĂ© en deux, il suffoquait. _ Grrraaaahh » cria-t-il en se redressant, les deux mains sur le cœur, perdant l'Ă©quilibre. _ Matt fit deux pas en arriĂšre. hey mec !? » _ Merry, elle, continua d'avancer. _ Chris rrraaah !! éééé éloigne toi st..steuplé  _ Merry bras en avant Attends ma sœur est infirmiĂšre elle m'a apprit quelques trucs importants.. je sais pas ce que tu as mais je peux t'aider. Et je n'ai pas peur. _ Chris n'osait plus la regarder, il recula jusqu'au dernier mur, fixant le sol, blanc comme un linge, en sueur. Sa respiration Ă©tait aussi rapide que les dixiĂšmes de seconde. Il voulait bouger, courir, s'Ă©loigner, mais ne pouvait plus, l'attraction Ă©tait trop forte, Merry Ă©tait trop prĂšs. Son magnĂ©tisme s'Ă©tait mĂȘlĂ© au sien via une passerelle invisible, formant un cocktail dĂ©tonnant. _ mmaaaaaaarrhh » _ Claire entra dans la cuisine et constata la violence de la scĂšne. _ Heyyy mais
.Faut agir lĂ  !!!?? » _ Merry s'avança jusqu'Ă  lui, et attrapa sa main. _ La sensation qu'elle eut Ă  cet instant fut indescriptible. Si. Une synthĂšse de trois Ă©lĂ©ments peut-ĂȘtre _ ElectricitĂ©, fusion, jouissance. _ Merry fut projetĂ©e en arriĂšre dans un hurlement aussi court que tĂ©tanisant, et Chris s'Ă©tala comme une poupĂ©e d'chiffon, littĂ©ralement terrassĂ©. _ Chris !? Chriiiis!!? » Cria Claire qui se rua vers lui. Accroupie, elle essaya de le redresser. _ Chriiisssttmaaass !!!!?? » _ Merry se remis en poste, accroupie, d'un coup aussi pĂąle que Chris, et osa poser le pouce sur son poignet. _ Instinctivement, elle fit son possible pour le rĂ©animer, de plus en plus absente, fĂ©brile, comme si petit Ă  petit son corps ne lui appartenait plus. _ Personne ne comprenait la gravitĂ© de la situation. _ Claire en sanglots frappait encore Chris de dĂ©sespoir, sans prĂȘter attention Ă  Merry. _ CadavĂ©rique, Merry tomba sur le cĂŽtĂ©. _ Inerte. _ Matt Merryyyyyyy
 Christmaaaaaaaas !!!!!!??? Nouvelle 102 _ Arc-en-ciel sur le bitume A la descente du bus de l'aĂ©roport, j'Ă©vite de justesse une tache de sang sĂ©chĂ© sur le trottoir. Mon premier pas sur le sol taiwanais est donc de biais. Avant de partir Ă  la recherche d'un lit pour la nuit, je m'offre une canette de cafĂ© frappĂ© au distributeur automatique de la gare. Je pause mon sac sur un banc, pour ne pas le salire au contact de ces taches rouges dĂ©cidĂ©ment nombreuses sur le bitume, et observe ce qui m'entoure en sirotant l'insipide boisson. Je ne ressens pas de dĂ©paysement particulier Ă  la vue des constructions aux couleurs et matĂ©riaux passĂ©s de mode
. juste la curieuse impression d'avoir atterri dans les annĂ©es 1980. Nijiko, une jolie touriste japonaise rencontrĂ©e dans le bus, me rejoint et propose de chercher un hĂŽtel ensemble. Je la remercie intĂ©rieurement d'agir Ă  ma place, de rĂ©pondre Ă  mon appel muet de faire plus ample connaissance. _ Dans quelle direction va-t-on ? demande-elle avec son joli accent. _ Je ne sais pas. Tu es dĂ©jĂ  venue non ? Alors je t'engage comme guide et je te suis ! _ J'aimerais ajouter jusqu'au bout du monde si tu veux
 Elle ajuste la barrette arc-en-ciel qui retient ses cheveux noirs. Plisse les lĂšvres en une moue adorable, fronce les sourcils et tourne sur elle-mĂȘme. Deux fois. On va par lĂ  ! _ L'excitation qui m'envahit habituellement lorsque je pars Ă  la dĂ©couverte d'une nouvelle ville, fait dĂ©faut. ProblĂšme de concentration. Les trois bestioles souriantes qui se balancent Ă  la poignĂ©e du sac de Nijiko m'hypnotisent. Les Ă©tranges taches rouges sur les trottoirs me dĂ©goĂ»tent et m'obligent Ă  slalomer. Le grondement furieux d'une meute de dizaines de scooters couvre les mĂ©lodies des tubes de J-Pop crachĂ©s par les mauvaises enceintes des magasins. Je stoppe net Ă  la vue d'un buffet en plein-air. S'y mĂȘlent des lĂ©gumes multicolores, des champignons Ă©voquant du simili cuir, du tofu Ă  toutes les sauces
 Les mille odeurs qui s'en dĂ©gagent n'en font plus qu'une. Je salive. Mais Nijiko me prend par la main et m'entraĂźne dans son sillage. Hayaku ! _ Une passerelle qui enjambe un large boulevard nous permet de prendre de la hauteur. L'index de Nijiko pointe vers le bambou gĂ©ant qu'est la tour Taipei 101, vers les toits compliquĂ©s des temples et les arbres tropicaux qui s'immiscent dans les rares espaces disponibles. Mais je fixe surtout les bracelets arc-en-ciel enroulĂ©s autour de ses jolis poignets
 Juste en dessous, les trottoirs et la chaussĂ©e sont mouchetĂ©s de rouge. _ – Nijiko. Tu as remarquĂ© ce sang partout dans la rue ? _ – Du sang ? _ – Oui, regardes toutes ces taches. _ – Eto
 Non, ce sont des crachats. Rouges parce que les gens ont croquĂ© des noix de bĂ©tel qui font beaucoup saliver. C'est comme une drogue plus ou moins autorisĂ©e. Les hommes adorent. Ils en achĂštent des petits paquets, le soir surtout, Ă  des filles installĂ©es sur les trottoirs. C'est joli vu d'en haut, non ? On dirait un lĂ©opard rouge et gris. Enfin
 je me dis que ce serait encore mieux si
 _ – 
 _ – Tu sais
 j'ai une idĂ©e. _ Dans la moiteur de notre modeste chambre d'hĂŽtel nous mettons au point un plan, enfantin dans tous les sens du terme. Ensuite, tout va trĂšs vite. La recherche de magasins spĂ©cialisĂ©s. L'achat de tubes de peintures. La rĂ©cupĂ©ration de bouteilles plastiques vides. La prĂ©paration des mĂ©langes qui nous colorent les doigts. Son bisou bleu, puis jaune, puis rouge sur ma joue. _ Trois jours plus tard, nous contemplons satisfaits l'alignement d'une vingtaine de bouteilles remplies d'eau Ă©paissie par les peintures de diffĂ©rentes couleurs. Nijiko, avec ses hautes chaussettes rayĂ©es, Ă©clipse presque cet arc-en-ciel 100 % chimique. Un plan de Taipei Ă  la main et rĂ©primant un fou-rire, elle fait la pause pour la photo. _ – On est bĂȘte non ? _ – Un peu. Mais c'est pas grave. _ Les nuits suivantes, nous parcourons les rues du centre-ville, rapides, mobiles, dĂ©corant les trottoirs de milliers de taches colorĂ©es. La semi-obscuritĂ© nous permet d'agir discrĂštement, malgrĂ© l'animation permanente. Taipei ne dort pas. Ses habitants profitent des heures fraĂźches de la nuit pour envahir les boutiques de Ximen ou d'ailleurs, assumant sans complexe leur statut de consommateurs mallĂ©ables. Au lever du soleil, nous frĂ©quentons les night market pour avaler tout ce qui entre dans la catĂ©gorie qu'est-ce que ça peut-ĂȘtre ? C'est une rĂšgle que nous nous sommes imposĂ©e. Puis nous dormons jusqu'Ă  midi avant de marcher dans cette citĂ© Ă©trange dont les murs suintent d'humiditĂ©. AprĂšs une semaine Ă  ce rythme, je me suis attachĂ© Ă  la ville et surtout Ă  celle qui me la fait dĂ©couvrir. Son rire me fascine. Je le provoque en dĂ©taillant par exemple les candidats aux Ă©lections municipales qui pausent en tenue de base-ball ou nagent avec des dauphins sur les affiches qui couvrent les vitrines. Elle me guide vers des temples fabuleux sur lesquels s'enroulent des dragons gĂ©ants. Elle m'initie au plaisir culpabilisant de la dĂ©gustation des melon pan japonais, vendus dans les boulangeries locales. Elle ne se perd jamais dans le labyrinthe de ruelles thĂ©matiques bordĂ©es lĂ  d'ateliers de rĂ©paration de scooters, lĂ  de librairies oĂč l'on Ă©coute des chansons françaises d'un autre temps. _ Une semaine passe. Nous sirotons un Calpis Water en regardant des Ă©coliers rĂ©pĂ©ter une chorĂ©graphie compliquĂ©e sur l'esplanade du mausolĂ©e de Tchang KaĂŻ-chek. Elle m'annonce alors la fin de nos nuits d'errance colorĂ©es. Merci pour ton soutien murmure-t-elle. Le lendemain, du haut de cette passerelle que nous avions franchi ensemble le premier jour, nous contemplons une partie de notre œuvre. Un arc-en-ciel Ă©clatĂ© couvre les trottoirs. Je relĂšve sa casquette arc-en-ciel Ă©videmment et l'embrasse. Elle garde son sĂ©rieux. _ – Il faut rester lĂ  un moment dit-elle. Les gens ne se rendent compte de rien. S'ils voient que l'on regarde, que l'on photographie, ils regarderont aussi. Et puis
mets tes mains dans tes poches, elles sont encore toutes tachĂ©es ! _ Elle a raison. Une heure plus tard, les passants dĂ©taillent les trottoirs et immortalisent notre tableau sur leurs portables. Nous rentrons nous coucher, satisfaits. _ Nijiko passe dĂ©sormais ses journĂ©es Ă  suivre le buzz qui anime la toile locale, Ă  me traduire les journaux, Ă  dĂ©couper les photos de notre arc-en-ciel qui illustrent les unes. CuriositĂ©, inquiĂ©tude, polĂ©mique
Une rumeur se rĂ©pand. Des noix de bĂ©tel empoisonnĂ©es coloreraient la salive. Une nouvelle drogue pour pervertir la jeunesse ? En cette pĂ©riode d'Ă©lections certains y voient des manœuvres politiques. La Chine est montrĂ©e du doigt, puis les immigrĂ©s et les peuples indigĂšnes. D'autres devinent une campagne publicitaire pour un nouveau centre commercial ou un message en faveur de la paix. Mais quelle paix s'interrogent-ils ? Nijiko exulte devant ce spectacle. Je sens qu'elle s'Ă©loigne de moi. _ Puis des analyses sont faites. Il ne s'agit que de peinture. On crie au gĂ©nie, salue cette expression sans contrainte qui brise le carcan des programmes culturels subventionnĂ©s, ceux qui aliĂšnent la crĂ©ativitĂ©. Les consommateurs de noix de bĂ©tel se remettent Ă  mĂącher. Les palabres inutiles cessent, le soufflĂ© mĂ©diatique retombe peu Ă  peu. La premiĂšre violente averse de mousson nettoie notre arc-en-ciel. La peinture coule en riviĂšre colorĂ©e dans les caniveaux. Et un matin, Nijiko n'est plus lĂ . Un voile tombe sur cette brĂšve sĂ©quence de bonheur et je troque ma tenue d'amoureux transi pour celle, habituelle, de voyageur solitaire. _ Les annĂ©es passent. Je ne sais toujours pas pourquoi Nijiko et moi avons repeint les trottoirs de Taipei. Etait-ce juste une expĂ©rience jubilatoire ? Pour moi oui, accompagnĂ© du dĂ©sir de rester Ă  ses cĂŽtĂ©s. Mais elle, quel Ă©tait son message ? Je ne l'ai jamais revu. Restent des souvenirs – son rire, ses tenues arc-en-ciel. Ainsi qu'une attirance obsessionnelle pour tout ce qui touche au Japon. J'apprends sa langue. Enfin, j'essaye. Aujourd'hui, leçon 14. TroisiĂšme mot de la colonne de gauche du tableau de vocabulaire Niji = arc-en-ciel. Nijiko, l'enfant de l'arc-en-ciel. Un dĂ©but d'explication ? Nouvelle 103 _ Un pĂšre fantasmĂ© _ Cette soirĂ©e de fin novembre 1959, Marie va la passer en invitĂ©e chez des amis de sa grand-mĂšre, dans leur villa de Nancy, ville oĂč elle est Ă©tudiante ; c'est avec plaisir qu'elle a rĂ©pondu Ă  leur appel elle se sent un peu perdue dans cette grande citĂ© et se rĂ©jouit de retrouver une chaleureuse ambiance familiale. A la fin du repas, ses hĂŽtes ont allumĂ© la tĂ©lĂ©vision pour regarder les actualitĂ©s ». Marie est toute ouĂŻe, car cette tĂ©lĂ©vision est encore rare dans les foyers, et elle n'est pas habituĂ©e Ă  avoir Ă  domicile les nouvelles du monde, illustrĂ©es par des images. Tout en sirotant son cafĂ©, elle absorbe les informations _ Soudain, son cœur fait un bond inhabituel, puis semble s'arrĂȘter de battre ce journaliste grand reporter qui occupe tout le petit Ă©cran, oĂč il commente des Ă©vĂ©nements survenus en RFA, c'est lui, elle l'a reconnu, c'est son pĂšre, celui qu'elle attend depuis son enfance, c'est une Ă©vidence ! Elle entend un nom en fin d'Ă©mission Jack Salsberger. Sa soirĂ©e se termine dans une sorte de brouillard mĂȘme si elle parvient Ă  remercier ses amis et Ă  agir de façon Ă  ne pas susciter d'inquiĂ©tudes _ Son pĂšre ? Marie, pourtant, est orpheline son pĂšre est un hĂ©ros de la RĂ©sistance dont le sort malheureux n'a Ă©tĂ© connu que tardivement simplement, on n'a plus eu de ses nouvelles depuis aoĂ»t 44 oĂč son maquis a Ă©tĂ© investi par les troupes allemandes et il n'est pas rentrĂ© par l'un des trains de dĂ©portĂ©s de l'annĂ©e 45. Deux ans plus tard, des restes » ont Ă©tĂ© dĂ©couverts par des forestiers dans la montagne vosgienne ; aprĂšs des analyses complexes, l'un des squelettes a Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  son pĂšre et rendu Ă  sa famille. _ Marie a peu de souvenirs de son papa en a-t'elle seulement qui lui appartiennent ? Pense-t'elle Ă  lui ? Elle le voit tel que sur des photos, ou dans des attitudes rapportĂ©es dans des rĂ©cits de sa grand'mĂšre. Elle aussi a fini par quitter le monde, rongĂ©e par le chagrin et le cancer, et plus personne ne lui parle de son pĂšre sa mĂšre s'est remariĂ©e, elle essaie de vivre une nouvelle vie et on Ă©vite de raviver les blessures de cette jeune femme. _ Marie n'accepte pas cet Ă©pilogue comment imaginer sous les mots restes, dĂ©pouille, squelette », le jeune et solide papa qu'elle a eu ? MĂȘme si, en rĂ©alitĂ©, ils n'ont vĂ©cu que quelques semaines ensemble. Depuis longtemps, elle s'est créé, petit Ă  petit, une autre sĂ©quence de fin de guerre. _ Par une sĂ©rie d'Ă©vĂ©nements qu'elle imagine, son pĂšre a rĂ©ussi Ă  intĂ©grer l'armĂ©e Patton qui a libĂ©rĂ© l'Est de la France puis a pĂ©nĂ©trĂ© en Allemagne. Il a dĂ» ĂȘtre blessĂ© et rapatriĂ© aux USA, sous un pseudonyme inventĂ© pour poursuivre son parcours hĂ©roĂŻque avec l'armĂ©e des libĂ©rateurs AmnĂ©sique, il n'a pu retrouver son identitĂ© ni sa famille. Ce scĂ©nario est bien rĂŽdĂ© et il aide Marie Ă  vivre dans l'espĂ©rance ; mais ce soir, c'est le grand clash ce Jack Salsberger, c'est son pĂšre, elle n'a aucun doute ; il correspond si bien, physiquement, au pĂšre qu'elle attend, que l'allĂ©gresse a pris possession de son ĂȘtre, troquant le rĂȘve pour la jubilatoire vĂ©ritĂ©. _ AprĂšs une nuit d'intenses rĂ©flexions entrecoupĂ©es de courtes pauses de sommeil, elle est dĂ©cidĂ©e Ă  agir elle veut retrouver ce pĂšre qui ne la connait pas et recrĂ©er des liens. Avec le soutien de quelques amis, par d'innombrables manœuvres et autant d'Ă©checs qui ne font que renforcer sa dĂ©termination, elle parvient, aprĂšs des semaines de rage devant son impuissance, mais paradoxalement, de sĂ©rĂ©nitĂ©, mĂȘlĂ©e de joyeuse excitation -car elle connait la vĂ©ritĂ© – Ă  localiser le journaliste amĂ©ricain appelĂ© Ă  couvrir les cĂ©rĂ©monies du DĂ©barquement en juin 60. _ L'Ă©tudiante rassemble tous les moyens dont elle peut disposer et rallie – train, puis mĂ©tro- la capitale. Elle se rend Ă  l'ORTF avec une audace qu'elle ne se connaissait pas, elle se prĂ©sente en Ă©tudiante en journalisme, pĂ©nĂštre dans ce sanctuaire et, de couloirs en escaliers, parvient au studio attribuĂ© Ă  la tĂ©lĂ© amĂ©ricaine. AprĂšs une longue attente, elle voit enfin la haute stature de celui qui est le but de son escapade. Elle s'approche rapidement et bredouille un texte sans doute incomprĂ©hensible car le journaliste semble un peu surpris et continue son avancĂ©e sans s'intĂ©resser Ă  la jeune fille. Elle insiste en se plaçant en obstacle devant lui il s'arrĂȘte avec un sourire mi-dĂ©bonnaire mi-excĂ©dĂ© mais il l'Ă©coute ; son visage expressif se nuance de sentiments successifs et variĂ©s ; assez rapidement, cependant, il lui fait savoir que c'est un malentendu et qu'il n'est pas l'homme qu'elle recherche et il l'abandonne en plein couloir, dĂ©semparĂ©e, mais ni vaincue ni convaincue de son erreur. _ Les jours suivants, elle trouve mille stratagĂšmes pour croiser son chemin et se trouver Ă  son contact il semble agacĂ© par son insistance mais ne l'Ă©vite pas et mĂȘme s'intĂ©resse Ă  son histoire et Ă  ses raisons de croire en lui pourtant, il s'Ă©vertue Ă  lui prouver qu'elle a tort; une sorte de communication s'Ă©tablit le baroudeur est involontairement Ă©mu par la fragilitĂ© de cette toute jeune femme et en mĂȘme temps Ă©patĂ© par sa force de conviction. C'est aussi un homme qui aime sĂ©duire et il est flattĂ© de l'importance qu'il a dans la vie de la jeune et fraĂźche Marie. Il l'invite dans une brasserie, l'Ă©coute avec bienveillance, mais surtout, il lui raconte sa vie aventureuse, ses exploits de guerre, ses dĂ©couvertes de la LibĂ©ration. La palabre se prolonge car Marie est une auditrice parfaite, subjuguĂ©e et il se voit dans ses yeux en hĂ©ros -ce qu'il ne fut pas toujours ; c'est un sentiment trĂšs agrĂ©able de se voir ainsi valorisĂ© ! Il imagine mĂȘme un moment de profiter de cette Ă©vidente admiration pour sĂ©duire cette jeunesse » ! Avec quelque cynisme, il s'envisage en ogre dĂ©bonnaire se dĂ©lectant de chair fraiche ! _ Chaque marque d'attention et d'intĂ©rĂȘt confirme Marie dans son dĂ©lire son adulation filiale n'est nullement atteinte par les manœuvres de sĂ©duction du don Juan, elle ne les voit mĂȘme pas comme telles ! L'ancien GI a passĂ© toute sa jeunesse en combats guerriers, il a toujours Ă©tĂ© mobile et a acceptĂ© toutes les missions ; mais il n'a pas eu l'opportunitĂ© d'aliĂ©ner son indĂ©pendance et de bĂątir une famille et il est profondĂ©ment Ă©mu par cette fille qui se veut la sienne avec insistance et qui aurait pu l'ĂȘtre en d'autres circonstances C'est cette pensĂ©e, surgie involontairement de son moi profond qui lui fait oublier ses vellĂ©itĂ©s de tombeur. _ Si, finalement, il ressent sa capacitĂ© Ă  ĂȘtre un pĂšre de cœur, prĂȘt Ă  troquer son viril machisme pour endosser l'habit parental, il ne peut admettre d'ĂȘtre un usurpateur ; il s'emploie alors, bien qu'elle soit peu mallĂ©able, Ă  la convaincre qu'il n'est que lui-mĂȘme mais serait heureux de devenir son pĂšre adoptif, un guide prĂ©venant et affectueux. Il l'aide Ă  faire le deuil de ce pĂšre fantasmĂ©, qu'elle a tant voulu faire vivre ; le chemin est encore long pour qu'elle honore le souvenir de ce vrai pĂšre » qui a rĂ©ellement souffert le martyre et l'exĂ©cution par les SS ; il la persuade enfin que, dans son cœur, son pĂšre mort est plus vivant, ainsi reconnu, que faussement imaginĂ© en vie ! _ Pour l'un comme pour l'autre, cette pĂ©riode Ă©mouvante et souvent douloureuse est une passerelle vers une sĂ©rĂ©nitĂ© personnelle et une force pour aborder l'avenir un pĂšre choisi et une fille choisie. _ Que deviendront, au fil du temps, ces relations et sentiments nouveaux ? Ce point de convergence » qu'ils viennent de vivre ouvre Ă  une multiplicitĂ© de possibles » rien n'est encore Ă©crit de ce qu'ils pourront faire de cette rencontre qui a bouleversĂ© leurs vies antĂ©rieures ; mais ils l'ont vĂ©cue et celĂ  c'est indĂ©niable ! Nouvelle 104 _ Plus bas que terre Au loin, Ă  travers la fenĂȘtre empoussiĂ©rĂ©e, il voyait cette ombre remonter la ville et le soleil poindre. Cette sĂ©quence lui remĂ©morait la mort de toute sa famille. Tout ce qui l'avait fait vivre jusqu'ici s'Ă©tait Ă©croulĂ©. La sociĂ©tĂ©, vision Ă©trangĂšre pour lui, avait fait place Ă  une horde de morts-vivants. La fin du monde avait sonnĂ© depuis six mois. L'espoir ne faisait mĂȘme plus vivre ces quelques survivants d'une terrifiante apocalypse satanique. Il n'y avait plus rien de possible sur cette terre perdue, simulacre de l'enfer Ă©ternel, agir pour une solution relevait d'une naĂŻvetĂ© aliĂ©nĂ©e. _ Ce que ne savait pas Andrew, c'est que tout pouvait encore basculer autour de lui. Tenant dans sa main une tasse rouillĂ©e de cafĂ© il alla demander Ă  sa compagne Nikki qui, entraĂźnĂ©e dans un palabre avec l'instructeur Aron, ne lui prĂȘtait plus aucune attention. _ – Nikki !! Nous ne pouvons pas rester ici, ils vont arriver, dit-il en regardant vers le grillage de l'ancienne manufacture. Nous ne pourrons jamais lancer un appel radio depuis ici. _ – Partons alors, mais oĂč ? Tu sais pertinemment que nous n'avons nulle part oĂč aller, j'en discutais avec Aron, notre seule chance de survivre est de rester ici et de chercher du gaz dans le secteur. _ Aron, arborant son foulard de guĂ©rillero symbole de son esprit combatif d'ancien instructeur de l'armĂ©e, prit son fusil Ă  pompe et fixa ses deux uniques compagnons. _ – C'est ensemble qu'il faut prendre une dĂ©cision. Et si croire qu'il reste des endroits plus sĂ»rs qu'ici te paraĂźt jubilatoire Andrew, c'est en fait nous conduire directement Ă  la mort. Jusqu'ici j'ai fait attention Ă  vous, mais je perds patience et je n'ai aucunement envie d'arpenter cette passerelle pour vider ma rĂ©serve de cartouches. Ils sont mobiles et nous sentent, si jamais on passe cette porte, on va finir en pĂątĂ©e pour chien. _ – Ton soutien nous a fait survivre jusqu'ici Aron mais cela ne te donne pas le droit de nous guider sans cesse en croyant que nous pourrons trouver ce foutu gaz et brĂ»ler la ville entiĂšre. Nous devons trouver un hĂ©licoptĂšre ou un camion blindĂ© qui nous sortira de cette enclave ! _ – Andrew s'il te plait ! s'exclama Nikki. _ – Non ! Fini ces conneries !!!! Je ne suis plus mallĂ©able! Ma dĂ©cision est prise, je me casse !!!!! Hurle-t-il. Nikki, viens avec moi et laissons Aron jouer le hĂ©ros tout seul. _ – Tu bouges encore d'un mĂštre et je te fais sauter la tĂȘte Andrew, je ne te laisserais pas nous mettre en danger Ă  cause d'une simple crise de nerfs. Je ne troquerai pas ma vie contre ton imprudence juvĂ©nile. _ – Vas te faire foutre Aron !!! Crie Andrew le fixant avec haine et mĂ©pris. _ Tout d'un coup un bruit rĂ©sonne dans le hangar. Tous les trois se jettent un regard surpris et inquiet. Nikki d'un air affolĂ© dit _ – Oh non! Je n'ai pas verrouillĂ© la porte !!!!! _ Aron, sĂšchement, recharge son fusil et dans un Ă©lan assurĂ© se prĂ©cipite vers la porte. Andrew le suit en tenant bien fort dans sa main une arme Ă  feu, fidĂšle protection qu'il garde auprĂšs de lui depuis le dĂ©but de cette guerre contre les rĂŽdeurs. Il interpelle Nikki _ – Nikki, reste-lĂ  j'arrive. _ – Non !!! Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. _ Elle le suit aussi. Aron, surpris, se retrouve face Ă  face avec un commando de l'armĂ©e rĂ©sistante. L'homme, vĂȘtu d'un bandana kaki et d'un uniforme noir illustrant sa force hiĂ©rarchique, relĂšve la tĂȘte et sur un ton salutaire affirme _ – Amis de la rĂ©sistance, je suis le colonel Damik, nous recherchons des survivants dans la ville de Los Angeles depuis prĂšs de trois mois. Nous avons dĂ©tectĂ© votre prĂ©sence avec nos capteurs sonores et thermiques. _ Aron rĂ©pond _ – Colonel, je suis l'instructeur Aron Neilborn, nous sommes ici depuis un mois et nous ne pensions pas retrouver quelconques humains vivants. _ – Ne vous inquiĂ©tez pas, une rĂ©sistance s'est mise en place, cet enfer va bientĂŽt prendre fin, l'armĂ©e maintient un contrĂŽle permanent sur la situation. _ – Mais c'est impossible, dĂ©clare Andrew. Ils sont partout, vous les avez vus !!! Merde c'est quoi cette histoire ? OĂč allons-nous finir avec votre commando ? Dans un sas de l'armĂ©e ? OĂč allez-vous nous enfermer ? _ – N'ayez crainte ! Affirme le colonel Damik. Nous avons un QG central situĂ© au BrĂ©sil, nous pouvons vous escorter. Nous avons besoin de vous et vous aussi. Les zombies nous encerclent ici. Mais nous pouvons partir pour une base militaire au sein de laquelle vous ne serez mĂȘlĂ©s Ă  aucune guĂ©rilla. Nous avons un hĂ©licoptĂšre. _ Nikki, Andrew et Aron suivirent le colonel. Une foi Ă©mergea en eux celle de pouvoir croire en l'humain, mĂȘme si le danger persistait et Ă©tait encore gravĂ© dans leur mĂ©moire. _ Ce choc ne sera peut ĂȘtre jamais oubliĂ© mais ils savent finalement oĂč aller. Un semblant de protection les guide vers une autre suite, vers une Ă©volution dans leur parcours, vers une inĂ©luctable mort, dĂ©vorĂ©s par les humains ou par les vers. Nouvelle 105 _ Gayatri Cette fois, c'en Ă©tait trop. Je ne resterais pas indiffĂ©rente Ă  ce qui se passait au nord de l'Inde. Ce fut comme un appel retentissant, non seulement Ă  mon oreille mais parcourant tout mon corps d'une vibration nouvelle, presque jubilatoire. Un vent de changement soufflait, je ne serais plus cette personne mallĂ©able et passive. La sĂ©quence filmĂ©e que je me repassai en boucle sur l'Ă©cran, serait dĂ©cisive. Elle relatait le combat poignant d'une petite indienne qui, accrochĂ©e Ă  la force de son petit poignet Ă  une branche d'arbre, luttait tant bien que mal, pour rester en vie. Un fort courant d'eau boueuse passait et repassait sur elle, mais la tĂȘte hors de l'eau par intermittence, elle tentait de tenir bon. Elle paraissait singuliĂšrement stoĂŻque, ne pleurait ni ne criait mais les yeux fermĂ©s, semblait se concentrer pour mĂȘler sans doute force et volontĂ©, en attendant qu'arrivent les secours. Des hommes sur la rive encombrĂ©e de ronces, l'encourageaient en cheminant vers elle et
 le reportage s'interrompait. BientĂŽt une main attraperait celle de l'enfant et elle pourrait enfin franchir la passerelle qu'on distinguait un peu au dessus. C'Ă©tait un pont prĂ©caire, bĂąti de bois et de cordes qui s'Ă©branlaient encore sous les derniĂšres rafales, et d'oĂč la petite avait Ă©tĂ© emportĂ©e. Ce court extrait, n'illustrant qu'un seul instant de la rĂ©cente catastrophe me devint crucial. Mon psychisme, soudain pris d'effervescence connut un Ă©tat d'urgence, venant mettre un terme dĂ©finitif Ă  l'oisivetĂ© harassante qui avait emprunt ce dĂ©but d'aoĂ»t. Gabriel m'avait quittĂ©e Ă  la fin de l'hiver, nous venions de passer cinq annĂ©es ensemble, lorsqu'il avoua ne plus m'aimer. Il emmĂ©nagea avec Florence aussitĂŽt aprĂšs. Plus de six mois avaient passĂ©, je ne m'en remettais pas, ma vie semblait avoir perdu son sens. Me concentrer sur plus essentiel que cette banale trahison, tournant Ă  l'obsession me devint impĂ©rieux, salutaire. C'Ă©tait inĂ©luctable, j'avais pris la dĂ©cision d'agir et d'apporter mon soutien, si infime soit-il. Je me mis en quĂȘte de l'organisme pour lequel j'allais m'enrĂŽler et j'achetai mon billet, tout en me prĂ©parant Ă  subir les commentaires dĂ©courageants d'un entourage timoré  Je fis une collecte pour rassembler plusieurs valises de vĂȘtements et autres produits de soins d'urgence, j'emportai aussi ma trousse de secours amplement garnie. Et comme je l'avais prĂ©vu mes proches, bien qu'arguant de compassion ne manquĂšrent pas de m'envahir de palabres inutiles, auxquelles je coupais court en brandissant mon billet. Mais ma chĂ©rie, tu n'es pas bien en ce moment, tu as beaucoup maigri, il y a des virus terribles lĂ -bas, le cholĂ©ra
 » Tu oublies dis-je, que je suis infirmiĂšre dans l'Ăąme et que je n'y peux rien, j'ai besoin d'aller aider ». J'ajoutai persifflant aux oreilles de ma bigote de tante N'est-il pas Ă©crit aide-toi et le ciel t'aidera ? 
 » A l'aĂ©roport de Delhi un guide attendait notre petit groupe, formĂ© au dĂ©part de Roissy. Un voyage Ă©pique dĂ©buta et nous n'arrivĂąmes qu'aprĂšs 36 heures de route. Au fur et Ă  mesure de notre percĂ©e » Ă  travers le dĂ©luge, de nouvelles routes s'avĂ©raient inaccessibles
 Des heures durant nous fĂ»mes bringuebalĂ©s dans un bus de fortune, tentant de nous assoupir, conscients du labeur qui nous attendait. Nous arrivĂąmes Ă  notre point de chute, un petit dispensaire perchĂ© sur un roc. L'endroit avait Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©, mais en contrebas le spectacle de dĂ©vastation, sous un magnifique lever de soleil n'en demeurait pas moins pitoyable. Le travail commença immĂ©diatement, aliĂ©nant, et seule la consommation excessive de cafĂ© nous aida Ă  tenir bon. J'aurais voulu donner des nouvelles Ă  ma famille mais les tĂ©lĂ©phones mobiles ne passaient plus. Les gens affluaient vers nous en nombre. Ils Ă©taient blessĂ©s, pleuraient en se soutenant les uns les autres, grelottants. La plupart avait tout perdu du peu qu'ils possĂ©daient. Une femme, pour que je le prenne me tendait son bĂ©bĂ© et la bague qu'elle venait d'ĂŽter, dĂ©sireuse de la troquer contre mes soins
 Et tous ces pauvres gens qui s'agglutinaient Ă  nous patiemment et silencieusement, prenaient aussi le temps d'ĂȘtre reconnaissants, joignant leurs mains constamment en priĂšre ou en signe de remerciement. C'est ainsi que passai trente et un jours Ă  Gayatri, et puis je dus rentrer. Pierre avait Ă©tĂ© lĂ , Ă  mes cĂŽtĂ©s dans cette bataille contre le temps. Pompier volontaire, il dirigeait les secours sur cette zone sinistrĂ©e. Le combat nous avait rapprochĂ©s, nous nous aimions. De retour Ă  Paris Ă  l'Ă©tĂ© finissant, j'allai prĂ©senter ma dĂ©mission au Dr Marcquois, chef de la clinique High Tech pour laquelle je travaillais. Peu aprĂšs, je regagnai l'Inde pour m'engager plus rĂ©solument encore auprĂšs de Pierre dans l'action humanitaire. J'avais retrouvĂ© le sens vĂ©ritable de mon existence sur cette terre, dans l'entraide et le partage. Nouvelle 106 _ Le passage ! Je vĂ©rifie l'heure sur mon tĂ©lĂ©phone mobile. Je ne voudrais en aucun cas manquer ce moment. On l'attend tous, depuis si longtemps au moins jusqu'Ă  ce qu'il ait lieu. _ J'arrive Ă  l'endroit du rendez-vous. Je ne suis pas la premiĂšre. De nombreux convoquĂ©s, comme moi, sont dĂ©jĂ  lĂ . On est tous du mĂȘme Ăąge. Certains sont accompagnĂ©s de plus jeunes, ainsi que je l'ai fait le mois dernier pour ma copine Mary. J'y retrouve, d'ailleurs, ma cousine Lucie. _ A l'appel de mon nom, je pourrai m'avancer, avec les autres conviĂ©s du jour, au pied de la passerelle. Ensemble, nous seront autorisĂ©s, depuis le temps qu'on le souhaite, Ă  franchir cette riviĂšre qui sĂ©pare nos deux mondes. _ Tous bavardent sur l'Ă©vĂ©nement en cours. C'est un jour vraiment important pour nous tous. Il y en a mĂȘme qui crient. Il faut dire qu'on attend que le prĂ©posĂ© du ministĂšre finisse son cafĂ© pour commencer son palabre. C'est jouer avec notre patience ! _ Si quelqu'un ignorait ce que nous nous apprĂȘtons Ă  rĂ©aliser, il nous prendrait pour des dĂ©sĂ©quilibrĂ©s. Il n'aurait pas tord, je me sens d'ailleurs folle de joie et d'excitation, Ă  l'idĂ©e, enfin, de passer de l'autre cĂŽtĂ©. _ Nos noms sont Ă©noncĂ©s lentement. J'entends le mien, et avance. C'est jubilatoire de gravir, ainsi, cette passerelle ! _ LĂ -bas, je devrai y retrouver Mary, passĂ©e le mois dernier, elle m'a promis son soutien. J'aurai un mois, pour prendre mes repĂšres. Ensuite, je serai, moi aussi, guide, pour ma cousine qui traversera au prochain appel. C'est ainsi qu'est prĂ©parĂ© ce passage. On accompagne Ă  la passerelle, celui qui nous aidera, une fois traversĂ©, et on est entourĂ© lors de notre appel par celui qu'on soutiendra du mieux possible, Ă  notre tour, aprĂšs son passage. C'est pour ça que Lucie est lĂ , et qu'elle ne perd pas une bouchĂ©e de ce spectacle. _ J'ignore en quoi consiste cette autre vie qui nous attend. On sait juste qu'il faudra ĂȘtre mallĂ©able, et s'adapter. Logique, aussi, lorsqu'on arrive dans un nouvel endroit, il faut forcĂ©ment s'accommoder au fonctionnement dĂ©jĂ  en cours, et aliĂ©ner nos habitudes. _ Il est vrai qu'on n'en a jamais eu l'habitude, puisque ici, dans ce monde, tout nous est organisĂ© et planifiĂ©. On n'a aucun choix, ni aucune libertĂ© d'action. Ce qui Ă  notre Ăąge, 15 ans, devient difficile Ă  supporter. _ On rĂȘve tous de libertĂ©, pouvoir faire ce qu'on a envie au moment oĂč on le souhaite. Mais aussi, envisager les choses, selon notre perception et non uniquement suivant ce qu'on nous impose. Pouvoir vivre dans un monde qu'on aura façonnĂ© Ă  notre goĂ»t, tel qu'on souhaiterait qu'il soit, dans le respect de chacun, et pour le bien de tous. _ Cependant, serons-nous Ă  la hauteur, seul, Ă  devoir prendre les bonnes dĂ©cisions ? Personne ne le sait, et d'ailleurs, certains avouent ne mĂȘme pas vouloir y penser Ă  l'avance. Bon, ce sera nĂ©cessairement bien. On attend tous ça depuis si longtemps _ En classe, on ne nous en a pas expliquĂ© beaucoup plus. On sait juste que nous ne serons plus chaperonnĂ©s. Nous devrons nous mĂȘler Ă  l'autre monde, troquer notre vie d'enfant contre celle d'adulte. Nous serons dans une autre histoire ! _ On nous a seulement illustrĂ©, maintes fois, cette sĂ©quence de la vie du franchissement de la passerelle, par de nombreuses images. Mais, la vivre, je vous assure, c'est autrement mieux ! Je me sens la plus heureuse de la Terre au sommet de ce passage. _ Enfin adulte, je vais pouvoir agir Ă  ma guise, pour un monde nouveau _ Oh, mais il n'y a personne de l'autre cĂŽtĂ© Nouvelle 107 _ Quand une simple rose tient le premier rĂŽle Ce matin lĂ , je m'Ă©veillai tĂŽt avec une curieuse impression. J'Ă©tais dans ma chambre mais j'avais la sensation que quelqu'un y Ă©tait entrĂ© cette nuit. Un cendrier sur la table de nuit ne me semblait plus Ă  sa place et on apercevait des traces de doigt dans la poussiĂšre de la commode. AprĂšs rĂ©flexion, je me dis que j'avais sans doute rĂȘvĂ©. Rien ne manquait. Aucun tableau, aucun bijou. J'ouvris la fenĂȘtre pour aĂ©rer et en me penchant vers le jardin je m'aperçus qu'une rose avait Ă©tĂ© arrachĂ©e au rosier placĂ© en dessous. C'Ă©tait la plus belle, d'une couleur mordorĂ©e. Ce n'Ă©tait pas le vent il n'y en avait pas. Elle avait Ă©tĂ© coupĂ©e au sĂ©cateur. Qui donc pouvait bien en vouloir Ă  mes roses ? Je passais en revue tous mes voisins _ Les retraitĂ©s d'en face ? Ils n'en avaient pas besoin. Leur jardin regorgeait de fleurs en tout genre, toutes plus odorantes les unes que les autres. Le cafĂ© du coin de la rue ? Paulo le patron passait ses journĂ©es derriĂšre son comptoir Ă  servir des biĂšres Ă  des ivrognes pendant que sa femme s'affairait en cuisine avec la Chinoise du restaurant d'Ă  cĂŽtĂ© qui venait de faire faillite. Que ferait-il de ma rose ? Pendant que je menais ce long palabre avec moi-mĂȘme, j'aperçus une femme d'un certain Ăąge, brune, les cheveux longs et bouclĂ©s qui franchissait la passerelle au-dessus de la voie ferrĂ©e en face de ma fenĂȘtre. Elle tenait Ă  la main un bouquet de roses mordorĂ©es Je me sentis entrer dans un Ă©tat jubilatoire, de ceux que je ressentais quand j'Ă©tais encore flic et qu'une sĂ©quence d'enquĂȘte allait bientĂŽt se clore, Ă  la faveur d'un nouvel Ă©lĂ©ment. Je me senti rĂ©solu Ă  agir. J'enfilai ensemble un slip, un pantalon, un pull et je me jetai rapidement dans la rue. La femme ne marchait pas vite. Heureusement ! Et je n'eus pas de mal Ă  la rattraper. PlutĂŽt que de l'aborder, je dĂ©cidai de la suivre. Elle se dĂ©plaçait lourdement, comme si une arthrose sournoise l'empĂȘchait d'avancer. Elle longea un moment la voie ferrĂ©e puis s'engagea dans une impasse. J'hĂ©sitai un instant mais l'Appel fut plus fort. Je mettais mes pas dans son ombre jusqu'Ă  atterrir devant un pavillon de banlieue entourĂ© d'un jardin dissimulĂ© aux regards des passants par une haie de cannisses beiges. Ma guide avait disparu. A un endroit, quelques bambous avaient trouĂ© cette lĂ©gĂšre clĂŽture ; j'Ă©cartais les tiges mallĂ©ables et mobiles. La femme se trouvait lĂ , assise sur une chaise longue aux allures marines rayĂ©e de bleu et de blanc ; ses cheveux s'Ă©talaient sur le dossier en boucles soyeuses. Son visage semblait respirer le soleil du matin encore un peu pĂąlichon. Elle avait troquĂ© ses vĂȘtements contre sa simple nuditĂ© et sa peau blanche, laiteuse, aurĂ©olait la pelouse du jardin de sa lumiĂšre pĂąle ; Il se dĂ©gageait de son corps mou Ă©talĂ© sur la chaise longue, offert, une sensualitĂ© suave dont je ressentais l'appel qui allait m'aliĂ©ner. _ Je restai longtemps ainsi Ă  la regarder ; le temps passa ainsi que les passants ; je ne sais si elle m'avait vu mais cela ne semblait pas la gĂȘner outre mesure. Enfin l'heure avançant, je troquai mon activitĂ© de voyeur pour une autre plus prosaĂŻque aller manger au restaurant du coin. _ L'aprĂšs-midi se passa sans problĂšme ; je m'Ă©tais engagĂ© Ă  illustrer le livre d'un copain et je m'adonnai Ă  mon passe-temps favori l'aquarelle. Je mĂȘlais savamment l'eau et les couleurs afin de laisser passer un maximum de lumiĂšre ; mes portraits ressemblaient un peu Ă  des poupĂ©es de porcelaine mais cela collait tout Ă  fait au texte de mon ami. Le soir tomba. _ Je me mis Ă  la fenĂȘtre pour observer le coucher du soleil. Alors que le disque de feu allait disparaĂźtre derriĂšre la cheminĂ©e de la maison voisine, je l'aperçus devant la grille du jardin. Elle me regardai. J'eus besoin du soutien de la rambarde pour ne pas vaciller en avant ; des sentiments contradictoires se mĂȘlaient en moi. Que venait-elle encore faire ici ? Son regard sombre semblait m'implorer. Je lui fis un signe de la tĂȘte ; Elle poussa la grille, entra et se dirigea vers le perron, toujours de ce pas lourd et traĂźnant que j'avais remarquĂ©. Elle devait monter les trois Ă©tages. Une petite voix me disait n'ouvre pas mais ce fut plus fort que moi. Elle se retrouva sur le palier et je la fis entrer. Elle inspecta la piĂšce oĂč un chevalet traĂźnait . Elle me demanda de la peindre ce que j'acceptai. _ J'installai ma palette de couleur. Pour elle j'avais choisi la peinture Ă  l'huile qui rendrait mieux Ă  mon avis la densitĂ© de sa peau sensuelle. Elle se dĂ©shabilla ; elle ne semblait Ă©prouver aucune gĂšne et prit la pose le plus naturellement du monde sur le canapĂ© de cuir violet achetĂ© bon marchĂ© dans une brocante ; je me mis Ă  la dessiner .Les contours furent rapides et prĂ©cis. Sa blancheur me posait des problĂšmes. Comment rendre toutes les nuances de sa carnation et donner de la chaleur Ă  cette non-couleur qui Ă©tait la sienne et qui pourtant irradiait ? Le temps passa, fĂ©brile ; l'œuvre prenait forme ; je commençais Ă  en ĂȘtre content. Tout Ă  coup on frappa violemment Ă  la porte. _ – » Estrela, je sais que tu es lĂ . Ouvre ! » _ Son regard m'implora. Elle mit un doigt sur sa bouche chut ! » _ Je ne savais que faire ; c'Ă©tait sĂ»rement son mari qui venait la chercher. Il hurlait et tambourinait de plus en plus fort. _ J'hĂ©sitais encore lorsque le coup partit. Une violente douleur me saisit au thorax tandis que je m'affaissai sur la toile. Mon sang se mĂȘla au blanc de sa peau pour lui donner enfin cette couleur vivante que je n'arrivais pas Ă  rendre. Je quittai alors ce monde pour le paradis blanc. FIN Nouvelle 108 _ Le Chien Si un jeune chien africain s'Ă©brouait innocemment, il balancerait sur les murs alentour les tonnes de cette boue collante et aveuglante posĂ©e sur son Ă©chine plutĂŽt frĂȘle par les intĂ©rĂȘts financiers apatrides, les palabres pusillanimes des dirigeants politiques Ă©lus dĂ©mocratiquement, et par les nĂ©vroses totalitaires des Ă©glises et de leurs religions. Alors, juste avant qu'on lui bute la gueule dĂ©finitivement, des voix s'Ă©lĂšveraient pour dire que cela est tout juste le rĂ©cit d'une rĂ©colte On rĂ©colte ce que l'on sĂšme », dit-on. _ Pendant ce temps, le jeune chien qui n'aura pas eu loisir Ă  rĂ©flĂ©chir en aura foutu partout et de plus en plus. Et on dira de lui qu'il est sale, mal Ă©duquĂ©, primaire et dangereusement brutal, quand lui rĂȘvera d'un bout de barbaque ou d'un os juteux. Alors, il se rĂ©veillera de ses rĂȘves Ă©tranges oĂč il a des ailes, oĂč il vole, le Chien. Il se rĂ©veillera de ses rĂȘves oĂč il va tranquillement, sans coups de pieds dans les reins, sans hameçon Owner plantĂ© dans la truffe Ă  pĂ©daler derriĂšre des embarcations de pĂȘche. Il se rĂ©veillera de ses rĂȘves oĂč il chasse le mulot et la racine gouteuse, oĂč il va dormir contre les jambes d'un humain, et mĂȘme l'aimer cet humain, parce qu'il a lui aussi un crĂ©dit d'amour inemployĂ©. _ Et puis, vidĂ© aux as et lassĂ© de tant d'insĂ©curitĂ©, il fera preuve de cynisme. Il en est capable le Chien. Il sait la dĂ©cadence des Empires et celle des gamelles. Et comme il n'est pas oublieux, il sait aussi, souvent contre lui et tout avec lui pareillement, l'appel rythmĂ© du vent qui mĂȘle mille parfums et le scandale sans mobiles de la pluie qui ruisselle le long de ses flancs dĂšs septembre. Il sait les saisons, les extases et les affres de la libertĂ© solitaire. _ Alors il trottinera dans la poussiĂšre, en rĂ©servant ses forces, son ventre tremblant Ă  chacun de ses pas, et il ressentira comme une fatalitĂ©, venue de ses propres origines, robe cafĂ© au lait sur le sable, chien! kelb!, invisible et dĂ©finitivement seul Ă  surseoir Ă  un destin insignifiant pour tout ce qui semble ĂȘtre de ce monde en marche. _ Et pourtant, le sang qui bat et l'aviditĂ© des tendres gueules des petits qui tĂštent et suçotent ensemble dans le terrier sont bien lĂ , Ă  malmener les mamelles de leur gĂ©nitrice et Ă  planter leurs prunelles vitreuses dans la lumiĂšre, comme avec la rage de prendre leur place lĂ©gitime dans le cirque de la vie. Le Chien sera inquiet. Il grimpera souplement et sans fausse pudeur, et s'installera discrĂštement Ă  mi-hauteur de la passerelle qui surplombe le nouvel hĂŽtel blanc Ă©tincelant. Il semblera humer l'air, le museau humble, et il contemplera l'espace. Puis il remarquera et posera un regard tout neuf de jeune Ă©pousĂ© sur un chien blotti dans une serviette, sur une chaise-longue, un peu dĂ©cati et gĂątĂ© depuis trop longtemps. Il l'observera de loin, longuement et mĂȘme Ă  la fraĂźche, et il tentera la comparaison de ce qu'il voit Ă  ce qu'il croit ĂȘtre lui-mĂȘme. _ Au loin, les vagues suaves de ce dĂ©but d'aprĂšs-midi continueront Ă  dĂ©poser mĂ©thodiquement leurs soupirs gracieux sur le rivage, avec la course du soleil comme guide. Le Chien sait que bientĂŽt elles troqueront leurs couleurs, qu'elles se pareront d'un bleu mĂ©tallique, pour faire sonner les galets et mettre des claques vigoureuses, fraiches et imprĂ©visibles, aux cuisses charnues des filles mutines qui se seront attardĂ©es. Il s'endormira dans ce pays tourmentĂ© mais Ă©trangement bienveillant, et il encombrera de sa bave odorante son oreiller d'aiguilles de pin, discret vestige des arbres rĂ©cemment dĂ©racinĂ©s. Il dort. _ Puis il sursautera et sortira de cette sĂ©quence lĂ©thargique et sournoise – celle qui consiste Ă  devenir spectateur, Ă  s'aliĂ©ner, Ă  se sustenter du dĂ©corum de la vie des autres Ă©rigĂ©e en archĂ©type – aux couinements agacĂ©s de l'autre animal sous la main ornĂ©e et gĂ©nĂ©reuse de sa maĂźtresse qui lui tend de l'eau. De la viande aussi. Il observera plus attentivement, les babines frĂ©missantes. Et il ressentira Ă  nouveau le dilemme; sa survie ou sa libertĂ© ? _ Il lui faudra agir. Il imaginera et planifiera la rencontre. Alors, juste avant l'affrontement dĂ©sormais programmĂ©, il se dĂ©gourdira les pattes dans le terrain-vague attenant, qui a lui seul illustre la vie des nouveaux locataires, avec leurs boites de conserve Ă©ventrĂ©es, leurs sacs en plastique, leurs mĂ©gots, gerbes et autres pourritures. Il se fera Ă  nouveau des blessures en passant sous le grillage qui interdit depuis peu l'accĂšs Ă  la mer, pour raisons de nouvelle politique touristique » et de soutien au dĂ©veloppement du littoral ». Il sera colĂšre. Mais il se fera le corps mallĂ©able pour rĂ©pondre Ă  l'appel les flots qui palpitent dans le noir et qui bordent depuis toujours son pays bien aimĂ©. Il le fait pour l'Ă©cume qui vient rĂ©jouir ses moustaches, pour ce rayon de lune qui joue avec lui, bondissant d'une vague noire Ă  l'autre. Les vagues. La nuit. Comme il s'amuse le Chien. MĂȘme s'il sait aussi qu'avec ses balafres vilaines, il sera la cible des gens du pays. Un chien pelĂ©, mĂȘme citoyen, est mort dans cette Nation Ă©garĂ©e qui est la sienne. _ AprĂšs l'ivresse jubilatoire des Ă©lĂ©ments, il lui faudra rĂ©gler ses comptes. Il prendra son Ă©lan et il jaillira et traversera comme une fusĂ©e cet espace lisse et Ă©trangement brillant organisĂ© dans l'hĂŽtel. Il hurlera avant d'avoir mal et pour faire peur, tant il a peur. Il renversa les plats de semoule et les grains de raisins confits exploseront en perles dans la piscine. Il se jettera sur l'autre animal et il le blessera. Au sang! Il vibrera sous sa propre peur et il le meurtrira, l'autre. Pour goĂ»ter si leurs sangs sont les mĂȘmes. Pour comprendre. Et soudain, comme une litanie endiguĂ©e qui explose enfin et rebondit en Ă©chos contre les murs blanchis Ă  la chaux, les hommes crieront de plusieurs voix qu'un chien sauvage a attaquĂ© l'hĂŽtel! Et lui, dans la fureur de ses frustrations, dans sa peur Ă©lectrique d'ĂȘtre battu et assassinĂ©, il affirmera qu'ils n'ont pas le mĂȘme goĂ»t, les sangs. Il se plantera un instant face Ă  ce monde, silhouette maigre dans cet Ă©clairage pas tout Ă  fait normal. Il sentira la lumiĂšre stupĂ©fiante et le vent chargĂ© de musique beugler entre ses pattes. Il sentira son impuissance. Alors il dĂ©talera. Comme le voyou qu'il n'est pas. Comme le moins que rien » qu'il n'est pas. Il disparaitra dans l'obscuritĂ© de la nuit. Alors il croira que son propre sang est meilleur, le Chien ! _ On rĂ©colte ce que l'on s'aime », je dis. Nouvelle 109 _ La valeur du temps
 Au CafĂ© Pierre Loti », en surplomb sur le Bosphore, accrochĂ© Ă  la pente de la colline d'EyĂŒp, de rares visiteurs arrivaient en solitaires sur les traces de l'Ă©crivain fantasque et amoureux transi
 Ils avaient tous peinĂ© pour trouver leur chemin et s'installaient aux tables de la terrasse, guettant dĂ©sespĂ©rĂ©ment quelques visages turcs, en espĂ©rant se mĂȘler Ă  des palabres qui illustreraient leur soif de romantisme. Irfan suivait ces regards d‘étrangers un peu perdus, qui s'Ă©vadaient en scrutant l'horizon, du cotĂ© de la Corne d'Or. Ces touristes-lĂ  l'intĂ©ressaient tout particuliĂšrement, contrairement Ă  ceux qui dĂ©barquaient tous ensemble de leurs minibus, dĂ©jĂ  captĂ©s par les agences, et qui se laissaient mener en troupeaux mallĂ©ables vers les sites les plus rĂ©putĂ©s
 Les voyageurs isolĂ©s constituaient sa clientĂšle, Ă  condition de savoir les aborder, puis les convaincre. Irfan parcourait nonchalamment le tour des tables, sans se prĂ©cipiter avant d'agir. Il parlait un bon français, comme de nombreux Ă©tudiants turcs qui trouvaient encore prestigieux d'apprendre notre langue. Il les reconnaissait Ă  la tonalitĂ© de leurs mots, ou parfois simplement Ă  cause d'un livre posĂ© sur la table. _ Son ami Gamze, chauffeur de taxi Ă  la fausse licence, l'attendait patiemment au bout de la descente, prĂšs du cimetiĂšre musulman. Leur connivence datait de peu, mais elle leur permettait de troquer leurs nombreux temps libres, contre quelques billets qui les aidaient Ă  vivre. Au loin, deux nouveaux ponts embrumĂ©s constituaient les passerelles modernes reliant l'Europe Ă  l'Asie, avec une population de plus en plus mobile qui les franchissait en files ininterrompues. Gamze connaissait toutes les ruelles pittoresques qui permettaient de rejoindre ces Ă©difices gĂ©ants, et il offrait des gymkhanas jubilatoires Ă  ses clients en mal de conduite exotique! _ L'homme auquel Irfan s‘était adressĂ©, prit Ă  peine le temps de terminer son raki », sorte de pastis turc, et lui dit Je dois me rendre Ă  mon hĂŽtel
trĂšs vite! Plus vite qu'avec un autre taxi
 On m'attend avec mes bagages pour rejoindre l'aĂ©roport
 » Irfan et Gamze auraient voulu dire qu'ils n'Ă©taient pas Ă  proprement parler taxi », mais plutĂŽt accompagnateurs, pour des visites dĂ©contractĂ©es et originales. L'homme insista et voulait gagner du temps il comptait sur leur dĂ©brouillardise, sur leur soutien
 Ses vĂȘtements n'Ă©taient pas ceux d'un touriste, et la petite sacoche qu'il portait ressemblait davantage Ă  celle d'un homme d'affaires. Il parlait français, avec un accent particulier. Les deux jeunes n'allaient pas aliĂ©ner leur budget dĂ©jĂ  mince, du prix de cette bonne course, uniquement parce que tout ne paraissait pas complĂštement dans la norme! La dĂ©gringolade dans les rues escarpĂ©es commença, et Gamze enclenchait parfois une marche arriĂšre, s'il craignait de tomber sur un embouteillage. A l'arriĂšre, l'homme s'Ă©pongeait le front et ne parlait plus. Il avait donnĂ© le bristol de son hĂŽtel, un Ă©tablissement rĂ©putĂ© d'Istanbul. A l'arrivĂ©e, il s'extirpa de l'automobile Ă  la vitesse de l'Ă©clair, fouilla dans sa poche et sortit une liasse de billets verts Des dollars? Cela vous va? Il y a plus qu'il ne faut
 » Il glissa dans la main d'Irfan un paquet de billets qui dĂ©passait largement le prix de la course, puis se prĂ©cipita vers le hall de l'hĂŽtel. Un portier ventripotent, coiffĂ© d'un Ă©norme turban, leur fit signe de dĂ©gager en vitesse! _ Les deux jeunes gens dĂ©cidĂšrent d'aller manger du poisson grillĂ©, avant de retourner au cĂ©lĂšbre bistrot littĂ©raire d'EyĂŒp. Il prirent leur temps, et plaisantĂšrent joyeusement en ressassant la sĂ©quence de celui qu'ils nommaient en se moquant l'homme pressĂ© »  Une fois la note du restaurant rĂ©glĂ©e, il partagĂšrent la somme qui restait, et rejoignirent la voiture de Gamze. A son habitude, le chauffeur parcourut du regard sa guimbarde, comme on prend soin d'un vieil animal un peu fatiguĂ©. Ses yeux s'immobilisĂšrent Ă  la vue de la banquette arriĂšre la sacoche de l'homme pressĂ© » Ă©tait encore lĂ ! Il l'avait oubliĂ©e
 _ On a beau ĂȘtre dĂ©brouillard et culottĂ©, on doit rester honnĂȘte pour faire longtemps son mĂ©tier. Ils reprirent le chemin de l'hĂŽtel, et auprĂšs du gros portier qui les reconnut, il s'enquirent de leur passager, sans mentionner aucune raison. Dans ces villes d'Orient, signaler un objet perdu, c'est souvent l'offrir directement au policier chargĂ© de l'affaire! Le portier jura que l'homme Ă©tait aussitĂŽt reparti, et qu'il n'Ă©tait pas question de laisser pĂ©nĂ©trer deux va-nu-pieds comme eux. Ils apprirent juste qu'il ne s'agissait pas d'un habituĂ©, et qu'il avait choisi la suite la plus luxueuse avant de repartir pour MontrĂ©al
 Circulez maintenant! Ce n'est plus un client pour vous! » _ Irfan et Gamze se retrouvĂšrent Ă  Sirkeci, prĂšs de la gare et des quais d‘embarquement des ferries, lĂ  oĂč ils pouvaient stationner, et parfois trouver des clients. Irfan avait la pochette sur les genoux. Il faut l'ouvrir
 Nous aurons peut-ĂȘtre son adresse au Canada! » La pochette ne contenait rien d'autre qu'une enveloppe Ă©paisse, serrĂ©e par un Ă©lastique, avec un chiffre crayonnĂ© dans un coin 7 500
 Les deux garçons commençaient Ă  transpirer; ils sentaient bien les liasses qui se crispaient sous leurs doigts, Ă  travers le papier kraft. Ils ouvrirent et les billets apparurent, une somme astronomique pour eux
 Il dĂ©cidĂšrent qu'en attendant un hypothĂ©tique appel ou contact de l' homme pressĂ© », ils camoufleraient cet argent chez Gamze. Ils ne reprirent pas le travail cet aprĂšs-midi lĂ , mais Ă  partir du lendemain matin, on les revit tous les jours Ă  EyĂŒp, en quĂȘte de nouveaux visiteurs fatiguĂ©s. _ Deux semaines passĂšrent sans que personne ne se manifeste. Ils retournĂšrent Ă  l'hĂŽtel, oĂč mĂȘme le gros portier ne les reconnut plus. Ils Ă©taient terrassĂ© par l'idĂ©e que cette somme ne leur appartenait pas
 enfin, ne leur appartenait pas encore
 AprĂšs deux mois ils se rĂ©solurent Ă  investir l'argent, quitte Ă  le rendre plus tard, si un dĂ©tective les contactait. Ils purent changer la vieille automobile, et Gamze paya enfin sa licence de taxi. Irfan rĂ©gla sa derniĂšre annĂ©e d'Ă©tudes sur l'histoire Ottomane, afin d'obtenir son certificat de guide
 ComplĂštement Ă©mus, ils commencĂšrent leur travail officiel sous forme d'une petite sociĂ©tĂ©, et un ami leur Ă©tablissait la comptabilitĂ©. Ils avaient un avenir radieux, qui ne leur laissait que de temps Ă  autre, le petit goĂ»t amer de ne le devoir qu'au destin, mais leur travail les motivait de plus en plus. Ils chĂ©rissaient tellement chaque client, et prenaient soin de chaque argent qu'ils gagnaient. Ils n'imaginaient toujours pas, que l'on puisse perdre 7500 dollars sans jamais rĂ©apparaĂźtre
 Ils ne connaĂźtraient certainement jamais les affaires de l'homme pressĂ©, qui reprĂ©sentait l'image de l'occidental opulent, vivant de l'autre cotĂ© du monde
 pays des dollars fous, qui dansent et qui sont jouĂ©s sans souci
 qui permettent d'acheter tout, et mĂȘme ce dont personne n'a nul besoin
 _ Ils roulaient dans leur nouveau taxi, loin d‘ĂȘtre rutilant, mais tellement plus sĂ»r et confortable! Gamze jonglait avec son volant dans les petites rues, puis paradait lentement sur les grandes artĂšres fleuries de riches vitrines. Irfan parlait avec les clients qu‘il avait charmĂ©s. Pour une jolie parisienne, il baissa le pare-soleil afin qu'elle ne soit pas Ă©blouie. Elle s'exclama en lisant la devise qu'il avait gravĂ©e au verso
 Oh! Comme c'est drĂŽle
 votre petite phrase, là
 » Soyez rassurĂ©s, AMIS
 vous ĂȘtes entre de bonnes mains Car si vous, vous avez
 l‘argent
 Nous
 nous avons
 le temps! » _ Irfan et Gamse n'entendirent plus jamais parler de l'homme pressĂ© », et ils s'Ă©taient jurĂ© de ne jamais lui ressembler! Nouvelle 110 Je suis Gaby. Non, pas Gabrielle, juste Gaby. Je suis nĂ©e Ă  Lusaka, en Zambie, vingt annĂ©es et des poussiĂšres. Des poussiĂšres d'ange. Comme si le ciel avait fait de moi sa faveur. Comme s'il avait troquĂ© la misĂšre du monde contre un peu d'espoir. Ma vie. Mon espoir. Je suis Gaby, Ă©tudiante en art. Je peins. Je projette sur mes toiles d'interminables palabres, j'illustre d'indicibles instants de vie. _ Tout a commencĂ© lorsque j'ai soufflĂ© mes dix-huit printemps. Mon frĂšre, JosĂ©, me divulgua un doux secret au creux de mon oreille. Comme un appel Ă  la mer. Il m'a dit _ – Gaby, j'ai rĂ©uni assez d'argent. Nous pouvons partir. Maintenant. Ensemble. ». _ J'Ă©tais terrifiĂ©e. Nous parlions souvent de cette idĂ©e. Partir, tout quitter, s'envoler pour l'Europe. Mais cette fois-ci c'Ă©tait rĂ©el. Nous allions vĂ©ritablement laisser cette terre dĂ©pourvue d'avenir, pourvue de misĂšre dont la tristesse me faisait pitiĂ©. J'Ă©tais terrifiĂ©e. Mais nous sommes partis, un matin de juillet. Quelques t-shirts, une photo de famille, mon sac Ă©tait prĂȘt. L'aĂ©roport de Chipata m'illustrait une toute autre image de mon dĂ©part. J'ai pleurĂ©, au dĂ©collage. J'ai aussi pleurĂ©, Ă  l'atterrissage. Paris. _ J'ai priĂ© pour qu'un chĂ©rubin issu de nulle part me tende la main, me guide dans ce changement d'existence. Comme une Ă©vidence je l'ai trouvĂ©. Il s'appelait Francis. DĂ©couvert un soir dans le quartier de Belleville. Il est artiste peintre, professeur qui plus est. Nous avons beaucoup discutĂ©. Il me parlait de futilitĂ©s que je ne comprenais pas. Sa femme, son chien, son nouveau mobile dont il venait de fissurer l'Ă©cran. Il Ă©tait en colĂšre contre le monde entier. Cela dit, je lui dois Ă©normĂ©ment. Il fut la passerelle entre mon envie de transcrire mes idĂ©aux sur la toile, et les beaux-arts, cette Ă©cole qui faisait jaillir en moi un feu, me retournant le bas du ventre, Ă©clairant un peu plus le blanc de mes yeux. _ Ce fut une sĂ©quence dĂ©lirante de ma vie. J'oscillais entre le plaisir de peindre, celui de retrouver Francis dans un cafĂ© de Montmartre tard le soir, et celui de raconter tout ce qu'il m'arrivait Ă  JosĂ©. JosĂ©, lui, il se demandait ce qu'il foutait lĂ . Il versait des larmes et des larmes de regrets. Notre pĂšre lui manquait. Un soir, je l'ai vu passer Ă  l'acte. Agir. JosĂ© sortit une arme de la poche de son pantalon. Et il tira. Sans rĂ©flexion aucune. Quelques jours passĂšrent et je compris vite son geste. Paris n'est pas si jubilatoire que l'on ne l'imagine. Paris n'est pas idyllique. Paris n'est pas magique. Paris vend du rĂȘve Ă  chaque coin de rue, mais ce rĂȘve n'est pas mallĂ©able, il n'est pas palpable, juste imaginable. GrĂące au soutien de Francis, je suis parvenue Ă  me relever. Je ne suis pas une ratĂ©e. Je ne suis pas foutue. Je suis Gaby, aliĂ©nĂ©e de la vie. Une vie pas comme les autres. Demain, j'expose. Mes peines et mes joies mĂȘlĂ©es sur ces tissus de lin se dĂ©mĂȘlent et j'y vois plus clair. _ Je suis retournĂ©e Ă  Lusaka. Une fois. J'y ai vu d'Ă©tranges souvenirs. Comme celui oĂč nous Ă©voquions, JosĂ© et moi, la possibilitĂ© de partir pour la premiĂšre fois. J'avais onze ans. Dix ans plus tard je me reconstruis. L'assemblage de mes deux vies me donne l'impression de voler, je suis libre. Libre de rĂ©ussir en France, libre d'aimer la Zambie du plus profond de moi. _ La vie est une sublime peinture. Et je ne regrette rien. Nouvelle 111 _ Mon homme Ă  moi Ce matin, aprĂšs le dĂ©part de Robert, je me suis rendormie, ce qui m'arrive rarement. Mais hier soir il m'avait vraiment Ă©puisĂ©e, car c'est chaque annĂ©e la mĂȘme chose lorsque, aprĂšs la grisaille de l'hiver, le printemps pointe enfin le bout de son nez, Robert dĂ©cide que pour une fois, mĂȘme si nous avons des goĂ»ts totalement diffĂ©rents, nous passerons nos vacances d'Ă©tĂ© ensemble. Alors il se procure tout un tas de brochures d'agences de voyages et de guides touristiques, les entasse sur la table basse du salon, les feuillette, les commente interminablement ; je l'Ă©coute d'une oreille distraite, il dit et redit chaque annĂ©e les mĂȘmes choses, il en devient assommant
 _ Moi qui suis d'un caractĂšre plutĂŽt accommodant – souple mais pas mallĂ©able pour autant, j'ai ma personnalitĂ© – je laisse Robert agir ou plutĂŽt non-agir Ă  sa guise ; il soliloque Ă  voix haute, se rĂ©pĂšte, se perd en longs palabres. _ Oui, je sais, tu prĂ©fĂšres rester ici, Ă  la maison, tu aimes tellement le jardin, les arbres, les oiseaux, tu aimes surtout tes habitudes, pas vrai ? Mais moi, tu y as pensĂ©, Ă  moi ? Moi qui suis coincĂ© toute la journĂ©e au bureau, j'ai besoin de bouger, de voir de nouveaux paysages, comprends-moi
 _ De temps Ă  autre je lĂąche un soupir, lĂ©ger, juste pour qu'il sente que je suis lĂ , que je lui apporte mon soutien mais je me garde bien de m'en mĂȘler. _ D'accord, tu n'aimes pas l'eau
 Mais pourquoi n'irions-nous pas Ă  la montagne, par exemple, hein ? _ Aller Ă  la montagne ? Lui qui a le vertige sur la passerelle qui enjambe la voie ferrĂ©e, au bout de la rue ? Pfff Je sais bien qu'il rĂȘve de jouer les explorateurs, de s'illustrer dans de magnifiques aventures. Peut-ĂȘtre espĂšre-t-il m'Ă©pater, et ainsi me garder dans sa vie ; on dirait qu'il doute sans cesse de moi, de ma fidĂ©litĂ©, comme si j'Ă©tais prĂȘte Ă  succomber Ă  l'irrĂ©sistible appel d'un ailleurs
 Pourtant je peux vous dire que pour rien au monde je ne voudrais troquer Robert contre un autre homme, ça, non. Je ne suis pas prĂȘte Ă  aliĂ©ner ma vie avec un autre, aprĂšs tout ce qu'il m'a fallu dĂ©ployer de ruse et d'Ă©nergie pour avoir Robert tout Ă  moi, et les Ă©vincer , elles, les autres ; pour une fois que j'ai rĂ©ussi Ă  m'habituer Ă  un homme, Ă  ses mains sur moi, Ă  son odeur, Ă  ses horaires, Ă  ses manies, je ne vais pas maintenant en changer, surtout pas Ă  mon Ăąge
 _ La sĂ©quence de fiĂšvre touristique d'hier soir, bien que prĂ©visible, a Ă©tĂ© Ă©prouvante, et s'est prolongĂ©e jusque tard dans la soirĂ©e. Ensuite Robert a eu une nuit agitĂ©e, il grommelait dans son sommeil, se tournait et se retournait en tirant toute la couette, et pour moi qui dort toujours collĂ©e Ă  lui, c'est franchement dĂ©sagrĂ©able. _ Bref, ce matin Robert s'est rĂ©veillĂ© en retard, il a juste avalĂ© un cafĂ© et vite filĂ© Ă  son bureau, la cravate de travers. SitĂŽt qu'il a claquĂ© la porte, au lieu de sortir dans le jardin comme Ă  mon habitude, je suis venue m'installer sur le canapĂ©, et dans la maison silencieuse je me suis rendormie. _ Et lĂ  j'ai fait un drĂŽle de rĂȘve au lieu de vivre avec Robert, je vivais avec le voisin d'en face, une espĂšce de bĂ»cheron, ventripotent et moustachu, insĂ©parable de son chien – que dis-je, un chien ? – un molosse hirsute et fort mal Ă©levĂ©, qui prend un malin plaisir Ă  aboyer dĂšs qu'il m'aperçoit Ă  la fenĂȘtre de la cuisine. Dans mon rĂȘve, l'affreux cabot me poursuivait sur la pelouse mais, cette fois, au lieu de fuir, pleine de colĂšre je me suis retournĂ©e vers lui, il s'est arrĂȘtĂ© net, et soudain il s'est mis Ă  rapetisser, Ă  se ratatiner sur place ; il est devenu un animal de plastique colorĂ© avec quatre petites roulettes noires, comme ces jouets mobiles que les jeunes enfants prennent plaisir Ă  traĂźner derriĂšre eux dĂšs qu'ils commencent Ă  marcher
 Ah, voir ce bouvier hargneux rĂ©duit Ă  l'Ă©tat de joujou inoffensif, c'Ă©tait jubilatoire ! _ Mais ce n'Ă©tait qu'un rĂȘve, et j'aurai beau me souvenir de ce ridicule toutou Ă  roulettes, dans la rĂ©alitĂ© j'aurai, hĂ©las, toujours peur de lui
 Dehors le soleil printanier m'appelait. J'ai baillĂ©, je me suis longuement Ă©tirĂ©e et je suis descendue au jardin. J'ai clignĂ© des yeux dans la lumiĂšre presque tiĂšde ; il m'a mĂȘme semblĂ© voir voleter un papillon, le premier de la saison. _ Aujourd'hui, c'est mardi, jour de marchĂ©. Si Robert est de bonne humeur, ce soir il me rapportera un maquereau. Toute contente, je suis rentrĂ©e Ă  la maison, en balançant ma queue avec grĂące. Nouvelle 112 _ Devant la Grande Arche Ce vendredi je venais d'arriver par le mĂ©tro et me mĂȘlais Ă  la foule sur le parvis de La DĂ©fense devant la Grande Arche. Il Ă©tait midi moins 10 et j'ignorais si l'affluence Ă©tait habituelle Ă  cette heure. Beaucoup de cravates sous les pardessus et de tenues soignĂ©es devaient appartenir Ă  la faune locale. La manifestation aurait lieu Ă  12h30 mais le collectif avait appelĂ© Ă  venir un quart d'heure plus tĂŽt pour recevoir les consignes et se prĂ©parer. Le souci du dĂ©veloppement durable n'Ă©tait pas mon seul mobile, j'espĂ©rais aussi retrouver cette Ă©tudiante rencontrĂ©e il y avait trois jours. Je commençai ma recherche au pied des marches au cas oĂč elle ferait partie des organisatrices puis je continuais en traversant la place de plus en plus loin de l'escalier. _ Et si je ne la reconnaissais pas ? Je ne savais mĂȘme pas son prĂ©nom. Je me rappelais juste ses yeux de biche et son fourre-tout illustrĂ© d'une image qui pouvait Ă©voquer la mer en Ă©bullition. _ Nous nous trouvions dans la file d'attente de la bibliothĂšque Sainte GeneviĂšve. AprĂšs avoir Ă©changĂ© quelques banalitĂ©s sur notre expĂ©rience de la bibliothĂšque, je l'avais amusĂ©e en lui racontant la premiĂšre fois oĂč j'avais commandĂ© un livre, l'ordinateur indiquait qu'il serait disponible Ă  la passerelle. Ne voyant rien d'autre qui ressemblĂąt Ă  une passerelle j'Ă©tais montĂ© sur la galerie entourant la salle de lecture en dĂ©pit du panneau d'interdiction ; je fus rappelĂ© Ă  l'ordre rapidement et invitĂ© Ă  me rendre dans un lieu dont rien n'indiquait qu'il eĂ»t une fonction de passerelle entre deux bĂątiments, une sorte de couloir sĂ©parĂ© d'un magasin sommaire par une banque. _ Un macaron ? Un euro si vous pouvez nous apporter votre soutien, proposa une militante portant une chasuble verte. » _ J'achetai et collai le macaron sur mon anorak douillet, il portait l'inscription Ensemble agissons pour la maĂźtrise des changements climatiques. _ Je suis Ă©tudiante en droit m'avait dit l'inconnue de la bibliothĂšque. _ – Et vous trouvez beaucoup d'ouvrages juridiques ? _ – Ce n'est pas pour cela que je viens, je cherche de la documentation sur des problĂšmes Ă©cologiques, je suis membre d'une association pour le dĂ©veloppement durable. _ – J'ai pas mal rĂ©flĂ©chi Ă  ces questions mais je ne fais partie d'aucune association, ne voulant pas aliĂ©ner ma libertĂ© d'action ni troquer ma rĂ©flexion contre un guide de pensĂ©e, je suis parfois trop mallĂ©able. » _ Je me mis Ă  lui parler d'un systĂšme de quotas d'Ă©mission d'Ă©quivalent carbone, individuels, Ă©gaux, universels et nĂ©gociables qui permettrait de limiter le rĂ©chauffement climatique et de fournir des ressources aux populations dĂ©favorisĂ©es au moyen de la vente de leurs quota non utilisĂ©s. J'enchainai sans discontinuer sur le manque de hiĂ©rarchisation des problĂšmes. Fallait-il concentrer tous les efforts sur la lutte contre le rĂ©chauffement climatique et relĂącher par exemple la lutte contre la faim dans le monde ? _ Dans une des rares occasions oĂč elle put placer un mot, elle m'informa du freeze mob d'aujourd'hui. AprĂšs tous ces palabres ou plutĂŽt ce quasi monologue mon tour d'entrĂ©e arriva sans que j'aie senti le temps passer, je lui proposai de la retrouver dans la salle. Merci, rĂ©pondit-elle mais je crois que nous avons Ă©puisĂ© l'ordre du jour, Ă  vendredi peut-ĂȘtre. » _ Tout d'abord merci d'avoir rĂ©pondu Ă  notre appel, dit une voix dans un haut-parleur. Nous vous demandons maintenant toute votre attention. Voici la sĂ©quence des actions. Vous commencez par essayer de remplir toute la place. Quand je vous le dirai vous devrez marcher ou faire des mouvements. Si vous portez des macarons vous vous tournerez vers l'arche pour qu'ils soient visibles sur la vidĂ©o. Au premier coup de sirĂšne vous vous figerez, vous serez comme gelĂ©s
 sans jeu de mots ! Au deuxiĂšme la manifestation sera terminĂ©e. » _ Je pris le parti de m'approcher de la Grande Arche et continuai quand la consigne d'accentuer nos mouvements fut donnĂ©e. J'aperçus enfin son sac puis son visage et lui fis de grands signes dans un Ă©lan jubilatoire et me figeai ainsi quand la sirĂšne rugit quelques instants aprĂšs. _ Et dans le grand silence une voix se fit entendre Mais moi j'ai froid ! Un euro pour un cafĂ© ! » Nouvelle 113 _ Joyeuses PĂąques ! J'avais la sensation assez dĂ©sagrĂ©able que le morceau de langue dans mon assiette essayait de communiquer avec moi, de m‘exhorter Ă  agir. Elle me narguait, sournoise et silencieuse, sans que personne autour de la table n'en ait conscience. La situation Ă©tait jubilatoire pour elle, me voir, anxieuse et fĂ©brile, apprĂ©hender le moment fatidique. _ Tu n'as pas faim ma chĂ©rie ? Tu as Ă  peine touchĂ© Ă  ton assiette ». _ Ma mĂšre s'Ă©tait toujours beaucoup trop prĂ©occupĂ©e de mon alimentation. AprĂšs avoir lu un article dans un magazine fĂ©minin concernant les aliments anti-cancĂ©rigĂšnes, nous avions adoptĂ© pendant quelques semaines un rĂ©gime Ă  base de fruits rouges, de curcuma & de lentilles. C'Ă©tait l'Ă©poque oĂč, jeune et mallĂ©able, j'ingurgitais docilement toutes les graines et mixtures vĂ©gĂ©tales dont elle Ă©tait adepte. _ La dĂ©cision Ă©tait prise, j'allais leur annoncer la nouvelle entre le cafĂ© et le dessert. Au moment oĂč, repus, le choc de l'information serait peut-ĂȘtre attĂ©nuĂ© par la digestion. Ils Ă©taient tous lĂ , frĂšres et sœurs, grands-parents, oncles, tantes, tous rĂ©unis pour s'empiffrer gaiement en l'honneur de cette sacro-sainte fĂȘte de PĂąques, pendant que j'essayais de rĂ©gler le conflit qui s'Ă©tait instaurĂ© entre moi et mon bout de viande en le recouvrant de choux de Bruxelles. _ J'avais troquĂ© mon habituelle confiance en moi contre une rĂ©serve extrĂȘme mĂȘlĂ©e Ă  une nervositĂ© telle que des Ă©normes aurĂ©oles de transpiration avaient fait leur apparition sur mon chemisier. _ Les mots tournaient inlassablement dans ma tĂȘte en une ronde infernale qui m'aliĂ©nait et m'empĂȘchait de donner sens aux palabres incessants qui sortaient de la bouche de tante Odile et qui m'Ă©taient adressĂ©s. Je me ressaisis juste Ă  temps pour entendre _ Tu n'es pas d'accord Choupette ? » _ J'avais bien entendu toujours dĂ©testĂ© ce surnom mais l'entendre sortant de sa bouche m'horripilait davantage. _ Si, si, bien sĂ»r ». _ Tu vois Jean-Paul, Choupette pense aussi qu'on devrait les renvoyer dans leur pays ». _ Comme si la situation n'Ă©tait pas assez compliquĂ©e, j'Ă©tais devenue raciste en un quart de seconde. _ Quand papa annonça l'arrivĂ©e du plateau de fromage, mon cœur s'accĂ©lĂ©ra. Je n'allais pas survivre Ă  cette journĂ©e. Ma courte existence s'achĂšverait sur cette sĂ©quence tragique. Les journaux titreront Morte d'un arrĂȘt cardiaque avant de leur avoir rĂ©vĂ©lĂ© ! » _ J'avais besoin de soutien, de paroles rĂ©confortantes. Je sortis mon mobile de ma poche et envoya discrĂštement un message Ă  Alice. _ » Dis moi un truc gentil ou quelque chose de drĂŽle ! » _ J'eus pour toute rĂ©ponse _ Tu savais qu'on ne prononçait pas le L de aulne ? C'est fou non ?! » _ La profondeur et la justesse des propos d'Alice me fascinaient encore aprĂšs toutes ces annĂ©es d'amitiĂ©. _ Faute d'assistance psychologique suffisamment efficace sur le plan amical, j'en vins Ă  faire appel Ă  Dieu, dans son incroyable bontĂ©, pour qu'il m'apporte son aide dans cette Ă©preuve. Ma priĂšre intĂ©rieure pris la forme suivante _ Cher Dieu, ou Dieux je vous demande humblement d'ĂȘtre mon guide jusqu'Ă  la fin de ce repas. Je souhaiterais, s'il vous plaĂźt, que vous fassiez votre possible pour que je ne sois pas dĂ©shĂ©ritĂ©e Ă  la fin de cette journĂ©e. Merci d'avance pour l'attention portĂ©e Ă  ma requĂȘte. Amen ». _ C'est alors que ma mĂšre invita l'ensemble de la tablĂ©e Ă  rejoindre le salon et se tourna vers moi pour me demander de m'occuper du cafĂ©. Je pense que si elle avait su que sa cafetiĂšre Ă©tait le dernier obstacle Ă  mon aveu, elle aurait sans doute prĂ©fĂ©rĂ© un thĂ©. _ J'avais passĂ© ces derniĂšres annĂ©es sur une petite passerelle secrĂšte reliant mes deux mondes, mais il Ă©tait temps aujourd'hui qu'elle laisse la place Ă  une jolie autoroute. J'espĂ©rais simplement que le prix du pĂ©age ne pousserait pas ma famille Ă  renoncer au voyage. _ Les tasses disposĂ©es sur le plateau je pris mon courage Ă  bras le corps et entrai dans le salon les mains moites, les jambes flageolantes et le visage livide. SymptĂŽmes illustrant parfaitement mon Ă©tat d'angoisse. Je le posais sur la table basse quand d'une voix forte et assurĂ©e ma soeur annonça _ Je suis homo ! ». _ J'Ă©tais estomaquĂ©e. Des jours durant je m'Ă©tais entrainĂ©e devant mon miroir pour me faire voler la vedette Ă  quelques secondes prĂšs par ma cadette. Ne voulant pas que mon coming-out se rĂ©sume Ă  un bref Moi aussi », je me tus. Nouvelle 114 _ Article indĂ©fini C'Ă©tait l'automne. Les couleurs des feuilles dans les arbres mĂȘlĂ©es aux derniers rayons de soleil de novembre donnaient au paysage une beautĂ© Ă©poustouflante. Je me voyais dans ce tableau de Monet dont j'avais oubliĂ© le nom et que j'avais admirĂ© quelques annĂ©es plus tĂŽt dans une petite galerie de Londres. La sĂ©rĂ©nitĂ© du paysage me poussait Ă  la rĂ©flexion. Je pensais, aujourd'hui plus que d'habitude, Ă  ma lĂ©gendaire docilitĂ©. J'avais toujours Ă©tĂ© trop mallĂ©able et je l'avais toujours su. N'avais-je pas suivi la mĂšre de mon fils, 15 ans plus tĂŽt, dans ce minuscule coin d'Angleterre pour qu'elle puisse enseigner dans un lycĂ©e rĂ©putĂ© de Sherborne? Citadin convaincu et parisien depuis toujours, j'Ă©tais venu habiter Ă  la campagne loin de chez moi pour la carriĂšre de ma femme. Puis, quelques annĂ©es plus tard, lorsque nous nous Ă©tions sĂ©parĂ©s, j'avais gardĂ© la maison, trop grande pour moi, Ă  sa demande. Ce serait quand mĂȘme mieux que Charly garde des repĂšres, sa chambre et ses copains quand il vient chez toi. Ça ne doit pas ĂȘtre facile pour lui ». _ Au travail, je n'Ă©tais pas moins maniable Ă  l'envi. Je m'Ă©tais retrouvĂ© par hasard le spĂ©cialiste des faits divers aprĂšs avoir Ă©crit un article sur le suicide d'un enseignant du lycĂ©e oĂč enseignait ma femme. AprĂšs cet article, dĂšs qu'un homme se mettait Ă  trucider toute sa famille, qu'une femme se suicidait en laissant une lettre mystĂ©rieuse ou que des adolescents s'entretuaient sans raison, mon directeur de rĂ©daction m'envoyait sur les lieux. Des annĂ©es passĂ©es dans ma voiture ou dans un train Ă  rĂ©flĂ©chir sur ce que les ĂȘtres humains Ă©taient capables d'infliger aux autres et Ă  eux-mĂȘmes. _ Allez François, une semaine sur la cĂŽte sans ta femme et ton rejeton, ça ne se refuse pas ». _ Allez, François, vas passer un petit week-end dans le Kent. Ça a l'air bien sordide l'histoire de la guide touristique retrouvĂ©e dans sa valise ». _ Et j'y Ă©tais toujours allĂ©. Mais cette fois, je ne pouvais pas. Cela faisait une semaine que le corps de Tomas avait Ă©tĂ© dĂ©couvert dans la forĂȘt, non loin du lycĂ©e qu'il frĂ©quentait avec Charly. Tomas Ă©tait un gentil garçon que je connaissais depuis longtemps. Je l'avais vu grandir auprĂšs de mon fils. Je les avais emmenĂ©s Ă  la piscine, Ă  la mer ou Ă  l'Ă©cole des milliers de fois. Maintenant, il Ă©tait mort, je ne l'emmĂšnerai plus jamais nulle part et personne ne savait ce qu'il s'Ă©tait passĂ©. La police avait relevĂ© quelques hypothĂ©tiques traces de coups sur son corps mais l'enquĂȘte n'avait pour le moment menĂ© Ă  aucune piste. Il faut dire que Tomas Ă©tait du genre calme, trĂšs calme mĂȘme. On le voyait plus souvent sur les marchĂ©s aux puces essayer de troquer des bandes dessinĂ©es contre des livres d'histoire que dans un pub, se battant pour un rĂ©sultat de football une pinte Ă  la main. Avec Charly, ils aimaient se balader et quand la mĂ©tĂ©o le permettait, ils allaient s'asseoir sous la petite passerelle qui enjambait la riviĂšre Yeo Ă  la sortie d'Oborne. Et si on les Ă©coutait parler, on avait de grandes chances de les entendre s'interroger sur la date d'une bataille ou sur le sacre d'un roi. Je ne savais pas d'oĂč venait l'amour de Charly pour l'histoire, ni sa passion pour les balades Ă  la campagne d'ailleurs, mais j'aimais les entendre discuter. _ Pendant cette semaine, mon directeur avait essayĂ© de me convaincre d'Ă©crire un article sur Tomas sous le prĂ©texte que je le connaissais bien, mais c'Ă©tait justement parce que je le connaissais que je ne pouvais pas le faire. Il m'Ă©tait impossible de suivre de prĂšs l'enquĂȘte policiĂšre comme je l'avais toujours fait. Je savais que mes rapports avec Charly en seraient troublĂ©s. Je savais aussi que je serais confrontĂ© Ă  des questions auxquelles je ne voulais pas imaginer une Ă©bauche de rĂ©ponse. Et si c'Ă©tait arrivĂ© Ă  Charly? Cette si triste histoire illustrait prĂ©cisĂ©ment une crainte profondĂ©ment ancrĂ©e en moi et il Ă©tait hors de question que je me confronte Ă  cette peur jour et nuit pour en faire un article dans un petit journal. J'apprendrais peut-ĂȘtre un jour ce qui Ă©tait arrivĂ© Ă  Tomas par la presse mais dans un article que je n'aurais pas Ă©crit. Un fait divers sombrement banal pour presque tout le monde Ă©tait sur le point de mettre fin Ă  une longue sĂ©quence de ma vie. _ Hier, j'avais pu vivre ce que j'appelais mon cafĂ© jubilatoire » silencieusement installĂ© dans la cuisine, la chaleur de la tasse qui me rĂ©chauffe les mains et l'odeur dĂ©licieusement entĂȘtante du cafĂ©. _ Et surtout, aussi souvent que l'occasion m'avait Ă©tĂ© donnĂ©e depuis 16 ans, je regardais Charly grandir. Mon grand, mon gamin, mon petit Cha comme je l'appelais quand il Ă©tait enfant. Mon bĂ©bé d'1m78. Je l'ai vu tout faire dans ce salon quand je m'adonnais Ă  ce secret rituel. _ Ce dimanche, il Ă©tait assis sur le canapĂ©, son tĂ©lĂ©phone mobile dans une main, un stylo dans l'autre. Il s'est retournĂ© vers moi et j'ai cru voir un lĂ©ger Ă©lan de tendresse dans son regard. Comme s'il connaissait mon petit secret mais me laissait croire le contraire. _ Palabre
 » m'a t-il dit. _ 
en 9 lettres, qui commence par un b ? J'en sais rien moi ». _ Il passait son temps Ă  faire des mots flĂ©chĂ©s depuis les quelques jours qu'il avait passĂ©s chez sa grand mĂšre adorĂ©e aprĂšs avoir appris la mort de Tomas. Dans la stupĂ©faction de la dĂ©couverte, j'avais Ă©tĂ© rassurĂ© qu'il soit aux cĂŽtĂ©s de sa grand-mĂšre au moment d'apprendre l'insoupçonnable nouvelle, parce que moi, son pĂšre, je n'avais pas eu le courage de lui annoncer . J'avais parfois Ă©tĂ© bĂȘtement jaloux des liens qui unissaient Charly Ă  sa grand-mĂšre, du temps qu'ils passaient ensemble, des moments qu'ils partageaient et dont je me sentais Ă©cartĂ©. J'ai prĂ©fĂ©rĂ© appeler mon ex-femme en espĂ©rant qu'elle voudrait ĂȘtre celle qui lui apprendrait. Elle et sa mĂšre ont donnĂ© Ă  Charly tout le soutien dont elles Ă©taient capables pendant que les mots me manquaient. Ce qui peut aliĂ©ner un journaliste habituĂ© Ă  relater les faits divers les plus tristes, capable de le faire en deux langues mais muet devant le chagrin de son fils. Il Ă©tait donc temps pour moi de dire non ». Un non » ferme qui ne laisserait pas de place Ă  la nĂ©gociation. J'Ă©tais dĂ©cidĂ©, j'allais agir, monter dans ma voiture pour aller au journal et parler Ă  mon directeur, poussĂ© par la peur que cette nouvelle motivation ne me quitte rapidement. _ J'ai effectivement refusĂ© cet article et me suis mĂȘme offert quelques jours de congĂ©s pour passer du temps avec Charly. Nouvelle 115 _ Rencontre d'un troisiĂšme type Il y avait Ă  Paris, un excellent homme du nom de Morin. Il Ă©tait un humble employĂ© de bureau au ministĂšre des finances et gagnait convenablement sa vie. Chaque matin, il se levait Ă  six heures, se lavait, s' habillait, dĂ©jeunait. Et Ă  huit heures prĂ©cises, il arrivait Ă  son bureau et se mettait courageusement au travail. Il ne s'arrĂȘtait qu'Ă  midi pour dĂ©jeuner au cafĂ© situĂ© en face du ministĂšre. A six heures du soir, il s'en revenait chez lui. Sous ses allures anodines il cachait un grand secret. Il possĂ©dait un don fantastique celui de lire dans les pensĂ©es. _ Un jour, le directeur avec lequel Morin travaillait dĂ©cĂ©da brutalement. Il le regretta fort, d'autant plus qu'il apprĂ©cia fort peu son remplaçant. Il faut dire qu'il avait de sĂ©rieux mobiles de lui en vouloir. Celui-ci, un type nommĂ© Cazeneuve, Ă  peine arrivĂ©, se mit Ă  rĂ©organiser le service. Il changea les emplois du temps. Il dĂ©plaça Morin dans un espĂšce de cagibi obscur. Morin supporta l'humiliation sans palabre. Mais un autre Ă©vĂšnement le mit en rage. Un jour, Cazeneuve entra avec fracas dans son bureau en brandissant une lettre que Morin venait juste d'Ă©crire. _ Recommencez-moi cette immondice qui me dĂ©shonore ! » hurla-t-il. Sur ce, il dĂ©chira la feuille et jeta les morceaux dans la corbeille Ă  papier. Comme tous les hommes, Morin avait sa fiĂšretĂ© et Cazeneuve venait de la piĂ©tiner sans mĂ©nagement. Il dĂ©cida de mettre son don Ă  contribution. Dans les semaines qui suivirent, il fouilla dans les pensĂ©es de son supĂ©rieur dans l'espoir d'y trouver une faute quelconque. Il ne tarda pas Ă  la trouver. Cazeneuve faisait des prĂ©lĂšvements personnels dans les caisses du ministĂšre. Morin en avisa le supĂ©rieur de Cazeneuve qui, aussitĂŽt, convoqua celui-ci et le renvoya sans appel. _ AprĂšs le dĂ©part de son chef de bureau, Morin retrouva son ancien bureau. Mais Ă©trangement, l'envie d'utiliser son pouvoir se fit sentir en lui. AprĂšs quelques hĂ©sitations, il se laissa tenter et se rendit dans un casino. AprĂšs avoir troquĂ© quelques billets contre des jetons, il ne tarda pas Ă  trouver des gens pour jouer avec lui. Avec le soutien de son talent, il lui fut trĂšs facile de deviner le jeu de ses adversaires et de jouer en consĂ©quence. Lorsqu' il sortit de cet endroit de perdition, ses poches avaient considĂ©rablement grossi. La fiĂšvre du jeu s'empara alors de lui. Il se mit Ă  frĂ©quenter les tripots . Les partenaires de jeu, Ă©coeurĂ©s par sa chance, abandonnĂšrent le poker. Les propriĂ©taires des maisons de jeu, voyant leurs clients dĂ©serter leur Ă©tablissement par la faute d'un hurluberlu se rĂ©unirent et dĂ©cidĂšrent de s'en mĂȘler. Ils interdirent Ă  Morin de venir chez eux. La sagesse aurait voulu que Morin abandonnĂąt le jeu mais Morin n'Ă©tait pas la sagesse et il ne jouait dĂ©sormais plus pour l'argent mais pour le plaisir d'user de son pouvoir, son seul guide. Il quitta son emploi puis la capitale pour aller dans d'autres villes. En quelques mois, il s'illustra aux tables de jeu de diverses citĂ©s. Evidemment, il s'aliĂ©na tous les directeurs de casino qui tentĂšrent par tous les moyens de lui interdire l'accĂšs de leur salle. Mais Ă  chaque fois, Morin parvenait Ă  entrer. Il suffisait qu'il rencontrĂąt un gardien Ă  l'esprit mallĂ©able et le tour Ă©tait jouĂ© ! Tout cela aurait pu durer encore longtemps si le sort n'en eĂ»t dĂ©cidĂ© autrement. _ Un jour, Morin eut pour partenaire un joueur de rugby. Comme de bien entendu, Morin l'emporta. Malheureusement, le type Ă©tait mauvais perdant. De plus, l'air jubilatoire qu'avait le tĂ©lĂ©pathe l'exaspĂ©ra. Il agit donc avec violence. Il donna un coup de poing monumental Ă  ce dernier ce qui lui fit perdre connaissance. AprĂšs sa convalescence, il retourna dans un casino et retrouva des partenaires de jeu. Il s' apprĂȘtait Ă  plonger sans vergogne dans leurs pensĂ©es lorsqu'il s' aperçut qu' il en Ă©tait incapable! Stupeur! A la fin de la partie, pour la premiĂšre de sa carriĂšre », Morin perdit. Ses partenaires Ă©taient partis et il Ă©tait seul Ă  sa table de jeu, dĂ©pitĂ©. Un petit homme , en costume blanc, vint s' asseoir Ă  cĂŽtĂ© de lui _ – Vous avez l' air abattu. Remarqua- t-il. _ – Il y a de quoi, j' ai perdu pour la premiĂšre fois de ma carriĂšre. _ – Pour la premiĂšre fois! S' Ă©cria l' individu, vous deviez ĂȘtre trĂšs chanceux ? _ – Ho ! Ce n' Ă©tait pas de la chance. RĂ©pliqua Morin . _ Et Ă©trangement il se confia Ă  l' homme. Il lui raconta toute son histoire sans omettre aucune sĂ©quence. A la fin, le petit homme qui n'avait pas l'air surpris par cette incroyable histoire lui parla en ces termes _ – Je suppose que maintenant vous allez abandonner le jeu. _ – En effet, sans mon don, ce ne serait plus la mĂȘme chose, rĂ©pondit Morin. _ Soudain, le directeur de l'Ă©tablissement fit irruption dans la salle. Ayant appris que le joueur, tant redoutĂ© avait perdu, il Ă©tait venu avec la ferme intention de le battre. Il dĂ©fia Morin. Au dĂ©but, celui-ci refusa mais le directeur se montra si dĂ©sagrĂ©able qu'Ă  la fin, piquĂ© au vif, il accepta. Le petit homme tint Ă  servir d'arbitre et distribua les cartes. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu' il battit Ă  plate couture l' arrogant directeur ! Il sortit Ă©berluĂ©, suivi de son nouvel ami. AprĂšs avoir marchĂ© plusieurs minutes en silence, ils s'arrĂȘtĂšrent prĂšs d' un pont. Morin s'appuya sur la passerelle et se mit Ă  rĂ©flĂ©chir sur les Ă©vĂ©nements qu' il venait de vivre. Il Ă©tait lĂ , perplexe et incrĂ©dule, quand le type lui demanda s'il allait continuer Ă  jouer. Morin secoua la tĂȘte et rĂ©pondit qu'il allait renoncer aux jeux d'argent. _ Les deux amis cheminĂšrent encore un peu ensemble puis s' en allĂšrent chacun de leur cĂŽtĂ©. Avant de se quitter, Morin demanda Ă  son compagnon. _ – Au fait, comment vous appelez-vous ? _ – Toussaint, Toussaint Pierre. _ FidĂšle Ă  sa parole, Morin redevint l'employĂ© de bureau modĂšle. Il finit ses jours heureux. Son seul regret, ce fut de ne pas avoir revu Pierre Toussaint. Il eut beau le chercher, il ne le trouva jamais, enfin 
 pas de son vivant. Nouvelle 116 _ Ruines CondamnĂ©s Ă  la mort, condamnĂ©s Ă  la vie, voilĂ  deux certitudes. » Alfred de Vigny _ Un homme, vous pouvez l'apercevoir oui ! Approchez un peu plus prĂšs. Vous connaissez ces ruines n'est-ce pas ? Il semble y chercher quelque chose depuis plusieurs jours. Allons allons, regardons de plus prĂȘt, entrons dans l'omniscience, et ensemble dĂ©couvrons ce qui a pu aliĂ©ner son esprit Ă  ce point. _ Votre esprit mallĂ©able, dont l'Ă©crivain est le maĂźtre et guide, rĂ©pond lentement Ă  un appel d'immersion sans prĂ©cĂ©dent. Peu Ă  peu, dans une expĂ©rience qui vous semble Ă  la fois jubilatoire, intemporelle et terrible, votre misĂ©rable cervelle est connectĂ©e Ă  l'encĂ©phale de l'individu dĂ©rĂ©glĂ©. La passerelle psychique qui s'Ă©tablit dĂ©truira sans doute votre belle raison faite de diverses sĂ©quences toutes aussi banales les unes que les autres. _ Vous ĂȘtes lui, Ă  l'Ă©coute de son appel, vous avez dĂ©finitivement troquĂ© votre raison contre la comprĂ©hension des palabres autrefois inintelligibles du personnage _ Je suis rentrĂ©, certes Ă  l'improviste, la porte Ă©tait ouverte. Mes hĂŽtes cependant, vos tortionnaires mes chĂ©ries, Ă©taient dans un Ă©tat de fatigue profond. Ce fut une expĂ©rience assez traumatisante pour mes sens c'Ă©tait lĂ  un jardin en putrĂ©faction, une vĂ©ritable marĂ©e de mouches et de cloportes. Les petites bĂȘtes ne mouraient pas de faim et pondaient joyeusement leurs œufs dans le corps fleuri de pustules et de blessures anciennes du chĂąteau. Je devais pourtant agir, oui il le fallait bien, j'avais tout perdu pour la retrouver, les retrouver. _ C'Ă©tait une expĂ©rience, un traumatisme, un choix sans soutien. C'Ă©tait Ă  la maniĂšre d'un film un procĂšs, des tĂ©moins, une femme infidĂšle, une mĂšre alcoolique, de faux amis. Et toute cette petite fourmiliĂšre de bureaucrates, des blattes et des cafards, des colĂ©optĂšres en pagailles qui venaient frotter leurs mandibules sur mon sexe. En une terrasse je savourais mon dernier cafĂ© avant d'ĂȘtre dĂ©finitivement condamnĂ© et internĂ©. J'avais pourtant hurlĂ© Ă  la barre, j'avais bien usĂ© de mĂ©taphores et de figures de styles pour illustrer le fait que je n'Ă©tais pas un gastĂ©ropode. HĂ©las, ce n'Ă©tait pas suffisant, les coquilles de mon dossier se mĂȘlaient Ă  la bave de mon argumentaire mal prĂ©parĂ©. Expertise psychiatrique Cerveau et pensĂ©es trop mobiles, facultĂ©s mentales discutables, adaptation au monde actuel nulle. Le couperet tombe c'est l'internement. _ Mais ne vous en faĂźtes pas. Je ne comptais pas ĂȘtre l'esclave d'AndrĂ© Breton, ou le nĂšgre d'artistes et de poĂštes contemporains croyant trouver la vĂ©ritĂ© dans quelqu'un jugĂ© gastĂ©ropode. Je me suis enfui, et je suis retournĂ© Ă  mes ruines seigneuriales en Auvergne. Ils ne me retrouveront pas, c'est assurĂ©. Je les vois, cette fois encore. Des lettres entassĂ©es ça et lĂ , luttant contre le calcaire, des Ă©pitaphes Ă  moitiĂ© effacĂ©es. Et lĂ , au milieu de toute cette pagaille de stĂšles et de tombes d'un seul et mĂȘme Ă©difice, je la vois, cette œuvre d'art qui s'est retrouvĂ©e lĂ  par hasard. Elle m'agace, c'est une grande toile immense, bref, monumentale. Une femme y est attachĂ©e nue, sans aucune peinture, sans aucun procĂ©dĂ© numĂ©rique. Elle possĂšde un derme lĂ©gĂšrement bronzĂ©, des effets du cĂ©lĂšbre tailleur chinois hache et aime », et je crois Ă©galement discerner une chevelure ma foi trĂšs comestible. Et cette fois encore elle se lĂšve, sort du tableau et se met Ă  courir vers moi en retirant ses guĂȘtres. Avenante, le regard brĂ»lant d'un dĂ©sir profond, elle me poursuit ! _ Vous comprenez bien alors pourquoi j'ai dĂ» la jeter aux ordures. J'ai du la convaincre de se remettre sur la toile, dans l'encadrement prĂ©vu. Et je me suis efforcĂ© d'appliquer l'esthĂ©tique de Fontana Lucio l'argentin bandes d'imbĂ©ciles ! pour Ă©viter qu'un parvenu la ramĂšne chez lui en observant le contenu de ma poubelle. MĂȘme si le nouvel aspect de la toile apportait un certain intĂ©rĂȘt supplĂ©mentaire Ă  l'œuvre, je ne pouvais plus supporter ses gesticulations et encore moins ses bavardages corporels incessants. _ Une fois l'œuvre jetĂ©e, je retournais sur le site. Cette fois-ci, je pourrais lire et percer les secrets de ses lettres. Je me saisissais de l'une d'entre elle et je me mettais Ă  lire Ă  haute voix son contenu. Catastrophe ! Soudain une Ă©norme fĂ©e obĂšse apparut, elle dit qu'elle s'appelle Mary, et possĂšde des couleurs et un physique d'une carte postale kitsch. Je sors mes instruments de Fontana et je m'occupe de son cas rapidement. Mais alors qu'elle tombe au sol dans une pose de cucurbitacĂ©e, je remarque soudain que toutes les lettres ont disparu. Il n'y a plus rien, et ne reste que les ruines du chĂąteau de jadis. Je suis seul et confus, et forcenĂ© tous les jours je retournais sur les lieux pour retrouver quelque chose, un indice, une formule ! _ Je trouvais finalement une feuille de papier en piteuse Ă©tat. Petite sœur fragile et innocente, Ă©talĂ©e un beau jour de printemps en plein milieu de l'endroit. Je la pris, avide d'en savoir plus, mais je n'y trouvai rien d'Ă©crit. Elle Ă©tait d'une blancheur insolente, et elle avait conservĂ© sa virginitĂ© malgrĂ© tout. _ Je pris la dĂ©cision de la ramener chez moi et de la conserver cupidement dans un tiroir secret. Depuis cette rencontre impromptue, je suis devenu un colĂ©optĂšre comme les autres Nouvelle 117 _ Lucie Capitaine Le ciel qui recouvrait les Grandes Eaux des Vastes Mers Venteuses Ă©tait chargĂ©, ce soir-lĂ , d'un cumulonimbus noir prĂȘt Ă  exploser. La tempĂ©rature dĂ©gringolait depuis la fin de l'aprĂšs-midi. On approchait du zĂ©ro. Accompagnant le grondement sourd du tonnerre, le nuage lĂącha soudain en grosses gouttes ses rĂ©serves de pluie. Certaines d'entres elles vinrent s'Ă©craser quinze mille mĂštres plus bas sur le pont du Grand Navire de Guingois dont la proue fendait avec la vigueur d'une lame les flots excitĂ©s par le vent. Tous les marins se tenaient Ă  l'abri dans la cantine et houspillaient le cuisinier Ă  cause de la fadeur de ses mets, se perdant dans des palabres qui ne les empĂȘchaient cependant pas de tout engloutir d'un trait et d'arroser gĂ©nĂ©reusement de grog brĂ»lant leurs gosiers assĂ©chĂ©s. En effet, les marins Ă©taient heureux et ils cĂ©lĂ©braient quelques jours auparavant, ils avaient vaincu le Grand Navire Droit Comme Une Frite et avaient jetĂ© son Ă©quipage aux requins. Toutefois leur enthousiasme les avait rendus nĂ©gligents, aussi ignoraient-ils que quatre de leurs ennemis de l'espĂšce la plus coriace avaient Ă©chappĂ© Ă  l'assaut et tenaient, sept ponts au-dessous d'eux, un conciliabule clandestin sans doute cette information leur aurait rendu le souvenir de la bataille bien moins jubilatoire. _ Plusieurs jours maintenant que la passerelle avait Ă©tĂ© repliĂ©e et qu'on avait quittĂ© la terre ferme. Plusieurs jours que les quatre complices voyageaient en secret dans ce grand navire dĂ©glinguĂ© dont les voiles dĂ©chirĂ©es pendaient misĂ©rablement Ă  un mĂąt biscornu, sans voir la lumiĂšre du soleil, ballottĂ©s par le rythme des vagues vigoureuses du grand large, avec tout juste de quoi boire et de quoi manger pour survivre. Mais ces quatre-lĂ  en avaient vu d'autres. Enfin, surtout Lucie. Il n'y a pas si longtemps elle Ă©tait encore capitaine et il Ă©tait hors de question qu'elle s'avoue vaincue. DĂšs l'abordage qu'ils avaient subi, elle avait su fĂ©dĂ©rer ses compagnons d'infortune autour de son projet il fallait se rĂ©volter contre ces marins d'eau douce, leur montrer que la race sanguinaire des corsaires ne se laisserait pas aliĂ©ner et mĂȘme, les renverserait. Lorsqu'elle avait lancĂ© son appel au rassemblement un peu plus tĂŽt, elle avait senti que ces Ăąmes mallĂ©ables accepteraient sans rechigner qu'elle leur servĂźt de guide dans cette mĂ©saventure. Elle leur faisait part Ă  prĂ©sent de son plan dont elle avait dĂ©jĂ  imaginĂ© chaque sĂ©quence. Si l'imagination faisait cruellement dĂ©faut Ă  Marcel, Igor et Jojo, ils n'avaient toutefois jamais manquĂ© de prouver leur courage inĂ©branlable et restaient d'excellents alliĂ©s pour l'exĂ©cution de ce scĂ©nario on disait que Marcel s'Ă©tait illustrĂ© autrefois dans une belle action de bravoure oĂč il avait mis en dĂ©route une poignĂ©e de pirates des plus cupides grĂące Ă  sa maĂźtrise des attaques au fer ; qu'Igor avait Ă©tĂ© le plus grand pilleur de nourriture de Saint-PĂ©tersbourg on disait mĂȘme qu'il avait fomentĂ© la rĂ©volte au sein des milieux pauvres de cette grande ville de Russie en participant Ă  leur affamement dans les annĂ©es bissextiles ; et enfin, que Jojo jouait magnifiquement de l'accordĂ©on, malgrĂ© sa tendinite indĂ©logeable. Il va sans dire qu'au-delĂ  de tout plan, ils avaient tous vraiment besoin de Lucie elle Ă©tait la seule Ă  savoir faire correctement le cafĂ© ! Vous voyez, dit Lucie pour conclure, il n'y a qu'ensemble que nous pourrons rĂ©ussir Ă  troquer notre statut de vaincu contre la libertĂ© de sillonner les Grandes Eaux des Vastes Mers Venteuses Ă  bord du Grand Navire de Guingois ! » _ Il Ă©tait l'heure d'agir. Pour que le rituel du rendez-vous secret soit parfait, chacun mĂȘla son sang Ă  celui de l'autre en signe de soutien inconditionnel et de fraternitĂ© Ă©ternelle. Les dĂ©s Ă©taient jetĂ©s. Lucie, Marcel, Igor et Jojo se regardĂšrent avec l'intensitĂ© d'une derniĂšre fois la moindre faille ferait Ă©crouler toute leur combine et ils mourraient. Des pas lourds qu'ils n'attendaient pas firent rĂ©sonner l'antre mĂ©tallique de la soute. Lucie cria Soyez mobiles ! » Et tous se dispersĂšrent. _ De la cantine, les marins un peu ivres commencĂšrent Ă  entendre le son insolite d'un accordĂ©on. AttirĂ©s sur le pont glissant, se tenant les uns aux autres de peur de tomber, ils ne distinguaient ni Jojo jouant dans l'obscuritĂ©, ni Marcel qui dĂ©tachait Ă  coups assurĂ©s d'Ă©pĂ©e les cordages retenant une embarcation de sauvetage. Les marins formaient Ă  prĂ©sent une masse tremblant dangereusement prĂšs du bord. L'accordĂ©on cessa brusquement sa musique enjĂŽleuse et fit rĂ©sonner les notes discordantes d'une cacophonie inquiĂ©tante. Pris d'un mĂȘme sursaut, tous les marins dĂ©rapĂšrent et se retrouvĂšrent vingt-sept mĂštres plus bas, les fesses coincĂ©es dans la petite embarcation que Marcel leur avait prĂ©parĂ©e. Marcel et Jojo retrouvĂšrent Igor attablĂ© dans la cantine il savourait sans gĂȘne aucune les restes du dĂźner laissĂ©s par l'Ă©quipage Ă©vincĂ©. Puis le doute les prit le capitaine avait-il Ă©tĂ© Ă©jectĂ© avec ses marins ? Ils n'Ă©taient pas sĂ»rs de l'avoir vu Mince, Lucie ! Elle devait ĂȘtre en danger ! ArmĂ© de son Ă©pĂ©e, Marcel courut jusqu'Ă  la salle de pilotage du bateau en criant son nom Ă  plein poumon. Lucie Ă©tait Ă©tendue au sol, assommĂ©e, la carte de navigation dans une main, la boussole dans l'autre. Marcel s'apprĂȘtait Ă  appeler les autres Ă  l'aide quand une voix cria Lucie ! A table ! » _ ExcitĂ©e par son jeu, Lucie n'avait pas vu le temps passer. Avant de rejoindre ses parents, elle rangea soigneusement sa figurine de mousquetaire, son ours en peluche portant l'inscription russe mais nĂ©anmoins Ă©quivoque ? ???? ???? »* sur son estomac et sa boite Ă  musique sur laquelle tournait un petit singe au son des mĂ©lodies rayĂ©es d'un vieil accordĂ©on.   ; * J'ai faim Nouvelle 118 _ La vengeance est un plat qui se mange froid
 Un homme entra dans la piĂšce. Une lampe de chevet Ă©clairait une feuille disposĂ©e au milieu de la table. _ J'Ă©cris cette lettre pour expliquer mon geste et exprimer mes plus sincĂšres pardons Ă  celle que j'aimais
 _ Les indices Ă©taient de plus en plus frĂ©quents. Son dernier appel avait confirmĂ© mes soupçons. Pourquoi ce numĂ©ro l'appelait toutes les semaines en sa prĂ©sence mais surtout pourquoi ne rĂ©pondait-elle jamais ? Il devait forcĂ©ment savoir qu'ils dĂźnaient ensemble depuis le temps ou elle aurait trouvĂ© un prĂ©texte. A moins que
 _ Oui, c'Ă©tait sĂ»rement cela. C'Ă©tait pour se crĂ©er un faux alibi, pour faire croire justement Ă  son innocence mais je n'Ă©tais pas idiot. J'avais attendu longtemps avant de cĂ©der Ă  mes doutes. Ces appels m'aliĂ©naient de plus en plus chaque semaine. Je repoussais ma paranoĂŻa mais le doute Ă©tait trop fort. Je n'avais plus d'autres choix que de me laisser guider par mes soupçons. Il Ă©tait temps que j'agisse. Elle me prenait pour quelqu'un de trop docile, trop mallĂ©able faisant ce qu'elle veut de moi. Mais elle avait tort. _ Chaque matin, ayant la chance de commencer Ă  la mĂȘme heure, on prenait notre cafĂ© ensemble devant le journal du matin, mais ne parlant guĂšre, elle, me reprochant mes palabres. L'idĂ©e de ma vengeance m'Ă©tait venue en lisant mes fidĂšles illustrations. Depuis tout petit, elles Ă©taient mes plus fidĂšles compagnes et dans ma douleur, je trouvais toujours rĂ©confort en elles et cette fois, leur soutien. J'avais l'impression qu'elles essayaient de me transmettre un message comme pour me montrer que j'avais raison. Leur soutien me poussa Ă  franchir le pas. _ C'Ă©tait un dimanche matin, lors de notre brunch habituel, une sĂ©quence, ce chant religieux, passait Ă  la tĂ©lĂ©vision. Je me mis alors Ă  prier silencieusement. _ J'avais fait du cafĂ©, auquel j'avais mĂȘlĂ© un soupçon de caramel, sachant qu'elle y Ă©tait allergique. _ La veille, j'avais troquĂ© mon vieux pyjama pour un simple boxer Ă  l'occasion de notre derniĂšre nuit. Le sentiment de vengeance qui m'envahissait me rendit plus jubilatoire que jamais. Au moins, je savais qu'elle passerait la passerelle pour rejoindre le monde des morts, satisfaite
 _ On conclut Ă  l'accident. Ne soupçonnant aucun mobile puisque tout le monde voyait en nous un couple modĂšle et discret. Il devait s'agir d'un oubli si bĂȘte mais si mortel
Je feignais la douleur et ma faute comme ne pouvant me pardonner. _ Le lendemain, alors que je dĂźnais seul pour la premiĂšre fois depuis longtemps, le tĂ©lĂ©phone sonna comme Ă  son habitude. Je n'avais pas encore rĂ©pandu publiquement la nouvelle exprĂšs. J'avais prĂ©parĂ© ma rĂ©ponse mais pas l'interlocuteur. Il s'agissait en fait de sa sœur avec laquelle elle s'Ă©tait fĂąchĂ©e au point de nier son existence. MalgrĂ© tout sa sœur avait toujours essayĂ© de reprendre contact. Et ces appels incessants ces derniers temps avaient une bonne raison elle avait un cancer. Et la prĂ©sence de sa sœur lui Ă©tait plus que indispensable. Il Ă©tait temps de pardonner. _ Je laissais tomber le tĂ©lĂ©phone. Mon mobile Ă©tait faux. MallĂ©able, je l'Ă©tais. InfluencĂ© par des indices aussi minimes, j'avais dĂ©truit deux vies ou plutĂŽt trois car si vous lisais ses mots, cela signifie que je ne suis plus de ce monde
 » _ A la fin de la lettre, les inspecteurs, curieux, ont essayĂ© de trouver de quelles illustrations le jeune homme parlait. Ils n'ont trouvĂ© que des pages ou un amateur avait illustrĂ© un meurtre, son meurtre. Il n'avait Ă©tĂ© que le guide de lui-mĂȘme. Nouvelle 119 _ Scotch Sully clĂŽturait sa semaine de labeur par un petit scotch. Torse-nu. Poitrine poilue bombĂ©e au vent. La pause Ă©tait jubilatoire, les yeux, pĂ©tillants le week-end, enfin ! Balcon en guise de promontoire, il toisait l'univers entier du haut de son appartement au deuxiĂšme Ă©tage d'une petite rĂ©sidence sĂ©curisĂ©e. Il levait son verre Ă  la santĂ© d‘interlocuteurs imaginaires. Un vrai comĂ©dien A la tienne ! . Sully rit aux Ă©clats, leva les bras au ciel et, tout en me fixant, se laissa tomber dans son transat et feint de dĂ©cĂ©der d'une mort subite. Puis, vida le contenu de son verre d‘un trait. Se rassit, l'air satisfait. C'Ă©tait sa façon Ă  lui de pratiquer le non agir ». La sagesse de Lao-Tseu s'Ă©tait tout Ă  coup muĂ©e en un prĂ©texte pour ne rien branler . Avec lui, la puĂ©rilitĂ© Ă©tait toujours au rendez-vous. L'ivresse le rendait grossier. Et sa grossiĂšretĂ© me distrayait. Tant d'inconvenance m'impressionnait ; moi, dont les paroles Ă©taient quotidiennement sous-pesĂ©es. SapĂ©es par des annĂ©es d'hygiĂšne mentale. Mes mots Ă©taient transparents. AseptisĂ©s. Des mots thĂ©rapeutiques, des carcans intellectuels, propres et beaux. Mon petit-vendeur-de-portables me rĂ©clamait la sagesse orientale comme l‘on rĂ©clame des friandises. Il pouvait ensuite la resservir Ă  sa clientĂšle. Restons zen, Madame, tout va s'arranger ! LĂ  est-ce que vous recevez l‘appel ? Ben voilĂ , il marche, votre mobile ! Zen ! » Ă  vendre ses machins toute la journĂ©e. Il n‘aimait pas son travail. Et ces clients, qui n'Ă©taient pas fichus de lire correctement un guide, illustrĂ© en plus ! Sully Ă©tait aussi mon neveu. Je m'efforçais de le soutenir. Le malheureux n'avait pas pu faire d'Ă©tudes - faute de thunes » – et se voyait condamnĂ© Ă  patauger dans des problĂšmes mercatiques, attendant la sacro-sainte passerelle professionnelle pour un autre poste. Un nouveau poste. Toujours aussi barbant que le reste de sa petite existence. Chasse cette pensĂ©e ! » hurla-t-il soudain, Le boulot, c‘est out ! Ce soir, c‘est l‘week-end ! . Il se permettait toutes sortes de gamineries. Chasse cette pensĂ©e ! » cria-t-il de nouveau, appliquant une vieille mĂ©thode d'apaisement que je lui avais enseignĂ©e. Sully m‘attendrissait par ses partis pris, alors qu'entre mes mains, je le sentais mallĂ©able. Le sujet de son ex refit surface. Une semaine qu'ils n'Ă©taient plus ensemble. Elle aurait eu besoin d'estime, de soutien ; lui dĂ©testa son cĂŽtĂ© intello. Elle Ă©tait en proie Ă  l'angoisse et me consultait chaque semaine. Lui ne sentit pas sa dĂ©tresse. Monsieur Sully Fouquet ne s'Ă©tait pas Ă©ternisĂ© pour la larguer. LĂ  oĂč d'autres auraient usĂ© des palabres usuelles pour rendre les choses moins douloureuses, il avait tranchĂ© dans le vif Si tu veux partir, va ! Je ne te retiens pas ! » mais avait espĂ©rĂ© qu'elle reste. CĂ©line avait pris la poudre d'escampette, pour mieux l'oublier et se reconstruire. Ne voulant plus entendre parler des hommes Pour quelques jours. Elle l'avait aimĂ©, ce con. L'avait cru droit et bon. Je me la reprĂ©sentais encore toute niaise d'amour Ă  ses cĂŽtĂ©s. Une petite femme modĂšle, occupĂ©e Ă  mitonner des petits plats, pendant que je discutais avec son homme ». Elle ne voyait que lui, s‘était mĂȘme coupĂ© le doigt en tranchant des poivrons, distraite par ses rĂȘveries. Et pourtant, il l'avait trahie. N'ayant rien trouvĂ© de mieux Ă  faire que de regarder des films pornos en son absence et de soutenir mordicus que ce n‘était pas lui, mais bien le voisin qui piratait l‘ordi, ce voyeur » Du trash, de l'insupportable, du cuir noir, du cru, des choses glauques. D'autres filles auraient passĂ© l‘éponge. Pas elle. A propos, tu sais je n'ai pas de nouvelles de CĂ©line » renchĂ©rit-il. Elle n'a pas rappelĂ© ? » demandai-je, feignant de m'intĂ©resser Ă  son histoire. Non . Elle doit morfler, j‘en suis sĂ»r ! Toute seule au fond de son trou ! » dit-il, cherchant mon approbation du regard. Je faisais dĂ©jĂ  figure de pĂšre compatissant ! Le vioc que la quarantaine assagit et rend meilleur ! Ha ! Evidemment, je n'arborais pas sa gueule de jeune premier, ni son petit rire intermittent et commercial. Quel naĂŻf. Quel con. Je le rassurais quand mĂȘme d'une remarque bien banale C'est la vie, mon grand ! T'en trouveras une autre ! . Ouais ! » dit-il. Sa bouche quitta le rebord de son verre qu'il leva comme pour trinquer Ă  nouveau, esquissant un sourire faussement dĂ©tachĂ©. L'avait-il dĂ©jĂ  oubliĂ©e ? Non. Son visage hagard et ses yeux cernĂ©s en disaient long. Il fixait ses chaussures, ne disant mot. Puis il balaya la rue du regard, pensif. Sous le balcon, les passants
 Beaucoup de petits mecs comme lui affluaient vers la fameuse rue MassĂ©na » . Celle des pubs Ă©tudiants, des rencontres mĂ©lancoliques, de la chair fraĂźche imbibĂ©e d'alcool, aliĂ©nĂ©e par les fantasmes. Des jeunots venus troquer leurs savantes Ă©tudes contre les mystĂšres du sexe ! Mais que pensait vĂ©ritablement Sully? Il demeurait trop fier pour prendre son portable et la rappeler. Quelque chose lui intimait de ne pas le faire l'orgueil, la virilitĂ©, un sentiment d‘échec ? Un incroyable thĂšme de blues retentit dans le living. Les sons se firent chaleur, chassant les beats saccadĂ©s de cette satanĂ©e techno. Je le regardai avec de gros yeux, Ă©tonnĂ© d'entendre du Melody Gardot chez lui, moi qui m'Ă©tait rĂ©signĂ© Ă  subir son Ă©ternelle compile. Il sourit, gĂȘnĂ©. C'est elle qui avait mis ça . Je souris Ă  mon tour. Change ou Ă©teins alors ! Il faut l‘oublier ! » lui dis-je. Il alla arrĂȘter le programme de l'ordinateur dans le salon. Un calme salvateur fit Ă©cho au noir de la nuit. Je trouvai le temps long. Sully m‘enjoigna de rentrer nous asseoir dans le living. Tout Ă  coup, il sanglota. Les larmes cisaillĂšrent son visage. Il explosa. J'espĂšre qu'elle morfle bien, cette pouf ! Tu te rends compte, elle ne rappelle pas ! . Et dire qu'il Ă©tait un pro de la com'. Je restai de marbre, ne sachant comment Ă©courter sa sĂ©quence Ă©motion . Il se servit un scotch Ă  nouveau, tenant son verre comme un biberon. Je lĂąchai alors un Je comprends » pour faire Ă©cho Ă  sa dĂ©tresse. Qu'est-ce que tu comprends ? Elle va toujours te voir Ă  ses sĂ©ances de thĂ©rapie ? » questionna-t-il, en levant compulsivement la tĂȘte. Je ne rĂ©pondis pas. Une immense gĂȘne m'envahit. Je regardai la fumĂ©e de mon cigare se mĂȘler aux poils de ma barbe rase. Je le savais toujours intĂ©ressĂ© par ma vision des problĂšmes de la vie. J'avais souvent pansĂ© ses blessures Ă  l'aide des mots scientifiques et rassurants. Mais lĂ , rien de convaincant ne me vint Ă  l'esprit. Que dire ? Je ne connaissais que trop bien son problĂšme. Non, il se rĂ©veillerait plus Ă  ses cĂŽtĂ©s. Non, il ne sentirait plus la chaleur de son souffle. Sa longue chevelure rousse ne lui caresserait plus le visage. Il ne verrait plus son corps rougis par la douche chaude qu'elle prenait le soir. Ni les gouttes ruisseler le long de ses seins charnus et ses jambes douces et potelĂ©es. Non, il ne la verrait plus pester contre le miroir quand ce mascara dĂ©goulinant et inutile lui dĂ©figurerait le visage. Il ne serait plus asphyxiĂ© par son parfum sucrĂ© de cocotte juvĂ©nile. Ne la verrait plus prendre du chocolat dans l'armoire de la cuisine alors qu'elle se disait au rĂ©gime. Ne se verrait plus refuser un cafĂ© car il n'avait qu'Ă  le faire lui-mĂȘme ». Ne l'entendrait plus pleurer son stress Ă  l'approche de ses examens. Ni sentir Ă  quelle point elle Ă©tait fragile. Non, il n‘aurait plus Ă  la prendre dans ses bras pour l‘empĂȘcher de trembler. Tout cela et bien d'autres secrets encore, il ne les connaitraient jamais. Et pour cause. CĂ©line n'Ă©tait plus seulement ma patiente. Nouvelle 120 _ Dans le mĂ©tro AmĂ©lie est assise en face d'elle, la tĂȘte plongĂ©e dans la carte touristique du mĂ©tro. Elle se sent lĂ©gĂšrement entraĂźnĂ©e en avant – le mĂ©tro vient de s'arrĂȘter et Ă  travers les vitres sales, Marcelle lit Bastille. Le touriste Japonais qui est montĂ© en mĂȘme temps qu'elles Ă  la gare de Lyon se rue contre les portes, et avant que la rame ne redĂ©marre, mitraille la station avec son appareil photos. Marcelle et AmĂ©lie viennent d'arriver Ă  Paris, leur avion dĂ©colle dans trois heures Ă  Roissy-Charles de Gaulle, et elles ont dĂ©cidĂ© de s'arrĂȘter voir Notre-Dame avant d'aller Ă  l'aĂ©roport. _ Marcelle regarde les stations dĂ©filer et imagine la ville au-dessus – elles auront Ă  peine le temps de sortir du mĂ©tro, voir la cathĂ©drale et repartir aussitĂŽt pour prendre l'avion. Elle aurait tellement aimĂ© avoir le temps de flĂąner un peu, de s'installer Ă  la terrasse d'un cafĂ©, de revoir la ville. Mais la municipalitĂ© a bien fait les choses, elle a mis en place dans le mĂ©tro tout un rĂ©seau touristique pour ceux qui comme elles, n'ont pas le temps de visiter. Les touristes sont guidĂ©s dans les galeries du mĂ©tro grĂące Ă  des panneaux flĂ©chĂ©s et les stations qui ponctuent le parcours permettent d'accĂ©der Ă  un centre d'intĂ©rĂȘt parisien. La balade dure une journĂ©e, et pour ceux qui ne peuvent sortir, Ă  chaque station les sites remarquables ont Ă©tĂ© reconstituĂ©s. Ainsi des monuments connus sont reproduits en miniature, des affiches illustrent en trompe l'œil les façades des immeubles. Et le touriste japonais agrippĂ© Ă  son appareil photos continue de mitrailler. _ Au moment oĂč Marcelle commence Ă  s'impatienter, AmĂ©lie lĂšve le nez de sa carte et annonce Ă  son amie qu'elles descendent au prochain arrĂȘt. Et Ă  peine les portes s'ouvrent-elles que Marcelle est rejetĂ©e contre une grosse dame, puis, bien malgrĂ© elle, serrĂ©e entre le touriste japonais et un petit monsieur qui sent la biĂšre, elle est emportĂ©e dans le flot des voyageurs. Elle tourne la tĂȘte et lance un appel dĂ©sespĂ©rĂ© Ă  AmĂ©lie, mais celle-ci a disparu. Marcelle est furieuse et commence Ă  donner des coups de coudes tout autour d'elle, et quand elle voit sur la droite un couloir vide elle s'y engage. Elle marche vite et atteint bientĂŽt une intersection au bout du couloir. LĂ , elle voit une femme, un homme et trois enfants plongĂ©s tous ensemble dans la lecture d’une carte que la femme tient grand ouverte devant elle. Ils portent tous des shorts, des chaussures de marche et surtout des chapeaux de pĂȘche. Marcelle ne peut rĂ©primer un sourire en passant devant eux. La scĂšne est proprement jubilatoire et elle aurait aimĂ© se moquer d'eux avec AmĂ©lie – oh elle doit retrouver son amie! Les panneaux touristiques indiquent Louvre » dans quelques mĂštres ; elle suit donc les indications et se rend compte qu'elle marche sur une passerelle posĂ©e Ă  mĂȘme le sol, le Pont des arts »  et dessous, un jeu de lumiĂšre donne l'illusion que l’eau s’écoule, et entre les planches elle imagine la Seine
quelque chose remue au fond d'elle – une sĂ©quence de sa mĂ©moire – mais elle n'a pas le temps d'y prĂȘter attention, elle est bousculĂ©e de nouveau. Devant elle, des dizaines de touristes vont et viennent, ils regardent en passant des reproductions de tableaux, les prennent en photo et dans le fond, Marcelle voit une guide touristique agiter dĂ©sespĂ©rĂ©ment son parapluie rose. Son groupe s'est dispersĂ©. Durant la visite la guide a senti l’exaspĂ©ration enfler au sein des rangs et Ă  un certain moment son autoritĂ© a cessĂ© d’agir et le groupe n’en a fait qu’à sa tĂȘte. La guide a peur, se serait-elle dĂ©finitivement aliĂ©nĂ© les touristes ? Elle regarde autour d’elle Ă  la recherche d’un soutien, mais personne ne lui prĂȘte attention, ils sont tous obnubilĂ©s par les reproductions. Marcelle dĂ©passe la guide et dĂ©couvre des escaliers, elle voit la lumiĂšre dorĂ©e s'Ă©couler doucement sur les marches, elle sent presque la chaleur de l'Ă©tĂ©. Elle commence Ă  monter, cependant les Ă©chos des souterrains s'affaiblissent, se mĂȘlent au brouhaha de la ville, elle distingue les jambes des passants, mais une main l'agrippe bientĂŽt et l'entraĂźne de nouveau dans les mĂ©andres du mĂ©tro. C'est AmĂ©lie qui l'a retrouvĂ©e – elles sont en retard maintenant et doivent se dĂ©pĂȘcher de prendre le rer. _ AmĂ©lie tient son amie fermement par la main et la tire. Marcelle voit alors dĂ©filer la foule mobile des touristes, elle aperçoit la guide de tout Ă  l'heure qui a troquĂ© son parapluie contre un sifflet, mais elle disparaĂźt bien vite, et les couloirs, les galeries filent Ă  toute vitesse, et lĂ  dans un Ă©clair elle voit la famille agenouillĂ©e autour de la carte dĂ©sormais Ă©talĂ©e sur le sol, se perdant en palabre sur la direction Ă  prendre, Marcelle ne sait pas oĂč elle se trouve, elle ne distingue plus rien jusqu'Ă  ce qu'AmĂ©lie se retourne, et lui dise avec un sourire, on y est ! » Elles sont arrivĂ©es sur le quai du rer B, dĂ©passent un wagon bondĂ©. Dedans, un vieux monsieur est plaquĂ© contre la vitre, son nez est dĂ©formĂ©, sa bouche est agrandie, et tout autour de lui ils sont des dizaines Ă  s'Ă©craser contre les parois du wagon. Marcelle croit voir la cuisse d'un chien, une femme est Ă  l'envers ; et les agents de la ratp aident les derniers voyageurs Ă  entrer, en les poussant Ă  l'aide de perches. Celles-ci s'enfoncent dans la masse mallĂ©able avant de se retirer rapidement au moment oĂč une sonnerie retentit. Le train va bientĂŽt partir. Marcelle et AmĂ©lie volent dĂ©sormais et s'engouffrent finalement dans le rer. _ Heureusement leur wagon est presque vide, une dame Ă©coute de la musique et un adolescent lit le journal. Les deux jeunes filles s'affalent essoufflĂ©es sur des fauteuils – et quelque chose remonte soudain Ă  sa conscience, Marcelle se rappelle le pont des arts, c'est un soir de Septembre, elle regarde ses amies, puis l'eau qui semble remuer au ralenti tout en bas, elle devine les groupes de jeunes gens qui pique-niquent, elle les entend et son regard se tourne vers la Tour Eiffel et vers le ciel brumeux, immobile, rose et orange, _ et le train s'Ă©branle et file vers l'aĂ©roport. Nouvelle 121 _ Le Centre des Hirondelles Dans ce vieux chĂąteau d'une campagne reculĂ©e du pays basque, Carole agite doucement son cafĂ© froid. A la mĂȘme place devant sa petite table, cela fait deux heures qu'elle bat inlassablement son paquet de cartes. Aujourd'hui comme hier, comme tous les matins de tous les jours qui passent. La quarantaine passĂ©e, elle est ici depuis plus de vingt ans. Le temps n'a pas d'importance car elle n'a plus de souvenirs de ce qu'elle Ă©tait, avant qu'il n'arrive. _ Tout le monde l'appelle Papillon parce qu'elle ne fait jamais de bruit et semble dĂ©couvrir le monde chaque jour. Ses longs cheveux rouges recouvrent ses Ă©paules. Dommage qu'ils ne s'accordent plus avec ses yeux noisette, seuls Ă©clats illuminant son visage ravinĂ© par les chagrins. HabillĂ©e de cette lourde robe blanche, commune Ă  toutes les femmes d'ici, elle reste Ă©tonnement troublante. _ AliĂ©nĂ©e Ă  sa souffrance, Ă  l'Ă©cart des autres, elle joue son jeu de patience en suivant toujours la mĂȘme sĂ©quence perdante. MalgrĂ© l'Ă©phĂ©mĂšre de son quotidien elle connait tous les rĂ©sidents et a vu partir ceux qui lui Ă©taient chers. Ce matin ses mains tremblent, elle est inquiĂšte. Elle connait cette tristesse qui voile son regard, des larmes commencent Ă  couler. _ A midi au rĂ©fectoire, parmi l'ensemble des patients, l'ami de Carole n'est toujours pas lĂ . Jean manque Ă  l'appel depuis hier soir. Ce gentil brun aux rires angĂ©lique sait Ă©gailler les dĂ©jeuners avec ses histoires Ă  dormir debout, et sa sempiternelle chasse au trĂ©sor. Il est le seul capable de dĂ©crocher un sourire Ă  Carole. Il rĂ©ussi Ă  la transporter avec lui dans sa folie, elle qui n'a plus d'espoirs. Chaque jour Jean illustre sa carte avec de nouveaux indices. Avec cette intrigue sans cesse renouvelĂ©e, Carole s'imagine une existence perdue. _ L'infirmiĂšre prend son service pour les mĂ©dicaments. Marion distribue chaque dose avec soin, tout en observant du coin de l'œil les habituĂ©s ; ceux qui ne manquent jamais une occasion de troquer leurs pilules colorĂ©es contre quelques babioles. Elle est nouvelle ici Marion, une jolie blonde Ă  peine sortie de l'universitĂ©. Timide avec un visage fermĂ©, elle esquisse parfois ce regard effrayĂ© qu'ont tous les employĂ©s inexpĂ©rimentĂ©s. Mais elle ne se laisse pas distraire par cet environnement Ă©trange. _ – Hey ! Cessez d'Ă©changer vos cachets, vous savez bien qu'ils sont personnels ! _ – On s'en fiche de ce qu'il y a dedans, nous c'est les couleurs qui nous intĂ©ressent ! _ Vincent apparait au mĂȘme moment. C'est le mĂ©decin en chef de ce centre psychiatrique et il sait faire respecter l'ordre. Il exerce ici depuis plus de vingt ans. Transparent de froideur, il n'a aucune identitĂ© descriptible. Il est emmurĂ© dans sa fonction, il est son propre uniforme. _ – Doucement, baissez le ton et rĂ©cupĂ©rez vos mĂ©dicaments. Vous savez que c'est important pour guĂ©rir. Vous ne pourrez pas sortir si vous ne les prenez pas. _ Encore et toujours la mĂȘme rengaine marmonne Carole. Elle se lĂšve brusquement et le toise du regard. AprĂšs tant d'annĂ©es Ă  les prendre ces pilules roses rien n'a changĂ©. Elle est toujours enfermĂ©e dans ce chĂąteau et on ne lui dit jamais ce que sont devenus tous les anciens. IntriguĂ© par ce comportement inhabituel, le mĂ©decin s'approche d'elle. Il pose une main sur son Ă©paule et lui dit doucement _ – Il y a quelque chose qui ne va pas, Carole ? _ Elle baisse les yeux et se recroqueville sur elle-mĂȘme, rĂ©alisant que c'est lui le maĂźtre de cette cage d'oiseaux aux ailes brisĂ©es. TraĂźnant son dĂ©sespoir, elle retourne jouer Ă  sa table. _ L'aprĂšs-midi se poursuit avec sa routine de dĂ©lires jubilatoires d'un cĂŽtĂ©, de palabres incessantes de l'autre. Dans ce brouhaha permanent, personne ne remarque la conversation animĂ©e entre Marion et le docteur. _ – Vous devriez cesser de vous mĂȘler de ce qui ne vous regarde pas, mademoiselle ! _ – Pourquoi ? Que s'est-il vraiment passĂ© avec Jean ? _ – Ça suffit ! Si vous Ă©voquez encore cette question, vous serez renvoyĂ©e. _ Marion abdique et retourne dans sa loge. Elle veut savoir mais comment agir en toute discrĂ©tion pour dĂ©couvrir la vĂ©ritĂ©. Il lui faut un guide, quelqu'un qui connaisse tous les lieux du centre. Chacun sait que Carole peut se promener dans les piĂšces interdites du chĂąteau. Aucun ne sait comment elle va et vient par delĂ  les zones surveillĂ©es. Marion va donc la voir, pour la convaincre de lui apporter son soutien. _ – J'ai besoin que vous me montriez comment aller dans les caves. _ Carole, hĂ©sitante, regarde longuement Marion et elle dessine un arc avec son jeu de cartes. La jeune infirmiĂšre sourit et tente de comprendre cette devinette, en Ă©nonçant tous les mots qui lui passent par la tĂȘte _ – Croissant cercle banane toboggan escalier arc-en-ciel pont _ Subitement les yeux de Carole se referment ! Marion rĂ©pĂšte le dernier mot. Cela dĂ©clenche un nouveau clignement. Elle rĂ©flĂ©chit et pense qu'il s'agit peut-ĂȘtre de la passerelle qui surplombe la cour de promenade. Oui, c'est surement ça, se dit-elle en remerciant Carole. _ A la nuit tombĂ©e, Marion parcourt le vieux pont en bois Ă  la recherche d'un passage. Autrefois utilisĂ© pour accĂ©der aux cuisines, l'accĂšs fut condamnĂ© durant les rĂ©novations. AprĂšs une heure sans rien trouver, elle allait abandonner. En se retournant, sa blouse accrocha une piĂšce de la porte. Un petit morceau mobile lui permet d'actionner le loquet de la serrure. _ Dans l'obscuritĂ© humide des couloirs dĂ©saffectĂ©s, se repĂ©rant minutieusement avec de la craie sur les murs, elle avance en espĂ©rant dĂ©couvrir un dĂ©tail. Elle reviendra. _ Pendant plusieurs jours, Marion retourne chaque nuit dans les caves, explorant tous les recoins. Elle tourne en rond quand elle aperçoit une marque sur une des briques. Ce symbole lui rappelle quelque chose. FiĂšre de sa trouvaille, elle retourne se coucher pour rĂ©flĂ©chir. A force de penser, l'image lui revient enfin. Cette inscription Ă©tait aussi sur la carte de Jean. Elle sait oĂč est rangĂ© ce vieux plastique mallĂ©able, dans la chambre encore inoccupĂ©e. _ Emportant ce sĂ©same, elle retourne dans le labyrinthe souterrain. PersuadĂ©e de possĂ©der le plan qui la mĂšnera au bout de sa quĂȘte, elle dĂ©couvre d'autres signes sur les voutes. Marion n'est jamais allĂ©e aussi loin. Elle commence Ă  prendre conscience du matin qui se lĂšve. _ Au dernier cul-de-sac une ombre se dessine. Prudente, elle s'approche et son corps se fige d'horreur. Un sifflement transperce les airs, elle sursaute. Une carte vient de tomber sur le sol. Une voix sombre rĂ©sonne dans le caveau. Ce son familier lui souffle des mots maudits _ – Tu ne dois pas venir ici Pourquoi cherches-tu ? C'est mon secret ! _ Le contour disparaĂźt aussitĂŽt. TerrifiĂ©e, Marion s'enfuit et cherche en vain le chemin du retour ; la craie a disparu. _ Le lendemain, au Centre des Hirondelles, le mĂ©decin en chef annonce le renvoi de l'infirmiĂšre. Carole a encore perdu Ă  son jeu ; ce matin ses cheveux sont blancs. Vincent s'approche et remet une carte dans son paquet. Elle se lĂšve brusquement, se retourne vers lui et l'observe. Puis, lentement, s'efface sous le regard vitreux du docteur, se rappelant le rire de Jean, la bontĂ© de Marion avant que ses souvenirs ne s'Ă©loignent, encore. _ Carole se rassoit et ferme les yeux. Elle poursuit son rĂȘve d'oiseau, de papillon en libertĂ©. Nouvelle 122 _ SĂ©quence amoureuse du trou normand Marguerite Ă©tait de ces jeunes filles de la campagne Ă  qui la vie au grand air donne le teint rose et le sourire franc. En ce temps lĂ  la Normandie avait son lot de demoiselles vertueuses mais la petite Margot Ă©tait connue de tout Putanges pour sa frivolitĂ© et on racontait Ă  qui voulait l'entendre comme elle se plaisait Ă  faire chavirer le cœur des garçons qui tombent trop vite amoureux. Retrouvez moi prĂšs de la passerelle d'Ecrepin Ă  vingt heures, vous verrez comme on y est bien Ă  la brune, c'est un lieu fort agrĂ©able pour les conversations du soir. » Jamais au rendez-vous, elle prĂ©fĂ©rait enfourcher sa bicyclette et pĂ©daler Ă  travers champs avec feu. Pauvre Ăąne qui m'attend en guettant Ă  l'Est la tombĂ©e du jour ! ». Jean avait eu vent des charmes de l'Orne car on y mangeait bien et le calvados Ă©tait servi gĂ©nĂ©reusement. Les meilleurs atouts de la rĂ©gion Ă©taient cependant ceux qu'on ne lit pas dans les guides. A Argentan, le CafĂ© du Moulin regorgeait de Parisiens en quĂȘte de plaisirs simples et l'on se mĂȘlait volontiers aux rustres de la rĂ©gion. Les trentenaires las de la vie guindĂ©e de la capitale avaient aussi leurs habitudes Ă  la Maison Troussot oĂč, disait-on, la matrone troquait quelques babioles du Bon MarchĂ© contre les services de ses chĂ©ries ». Mme Troussot avait offert son soutien Ă  de jeunes orphelines placĂ©es au couvent aprĂšs la guerre et en quelques mois, Ă  grand renfort de cigares et d'alcool de poire, leur avait fait oublier les bonnes mœurs inculquĂ©es chez les sœurs. Ensemble, les chĂ©ries avaient appris Ă  flairer la riche clientĂšle et Ă  dĂ©rider les bourgeois. MallĂ©ables Ă  souhait, ces beautĂ©s bien nourries s'illustraient par nombre d'avantages au regard des parisiennes souvent austĂšres. Leurs larges hanches mobiles attiraient les regards et leurs mains habiles savaient conduire les plus timides. _ Au volant de sa Renault Juvaquatre, Jean n'aspirait certainement pas Ă  une telle dĂ©bauche. Il avait hĂ©ritĂ© il y a quelques mois du garage Melcent, une affaire qui devait son succĂšs Ă  la froide luciditĂ© dont Mr Melcent avait fait preuve lorsqu'il avait fallu traiter avec les Allemands. Jean Melcent ressemblait en tout point Ă  son pĂšre. C'est pourquoi il entendait dĂ©sormais dĂ©nicher en Normandie une Ă©pouse honnĂȘte qui fĂźt honneur Ă  son estimable famille. Il venait de dĂ©passer Argentan et abordait maintenant les premiĂšres maisons de Putanges. Il se gara devant une auberge d'aspect modeste, choisit une table accolĂ©e Ă  une large fenĂȘtre et commanda un dĂ©jeuner lĂ©ger. Comme il terminait son potage et s'essuyait noblement le coin de la bouche, son regard s'attarda sur le verger qui s'Ă©tendait de l'autre cĂŽtĂ© de la route. Au pied d'un pommier, Marguerite rĂȘvait tranquillement. Des boucles blondes s'Ă©chappaient de son chignon et ses yeux lĂ©gĂšrement clos lui donnaient un air de jeune nymphe. Jean y vit l'appel du destin. Convaincu qu'il avait trouvĂ© lĂ  sa future femme, il paya l'aubergiste et sortit prestement. Il rĂ©ajustĂąt sa veste, lissa sa moustache et s'avança vers Marguerite d'un pas rĂ©solu. Mademoiselle, lui dit-il en arrivant Ă  sa hauteur, je vous prie de m'excuser car je n'ai point l'habitude d'aborder les inconnues de la sorte, mais permettez-moi de me prĂ©senter je suis Jean Melcent, je dirige un garage Ă  Paris et je suis ici pour affaires. Je vous ai remarquĂ©e depuis l'auberge que voici et croyez moi, de ma vie, je n'ai vu de jeune femme d'une fraĂźcheur aussi pure que la votre. Ne vous affolez pas, mes intentions sont de la plus haute estime, je souhaiterais simplement vous emmener en ballade. » Marguerite le regarda curieusement et accepta. Ils partirent Ă  bord de la Juvaquatre et roulĂšrent tout l'aprĂšs-midi dans la plaine normande. Le soleil dĂ©clinait lorsque Jean dĂ©posa Marguerite devant la demeure familiale. Avant qu'elle ne le quittĂąt, il lui prit la main et murmura doucement Mademoiselle, je vous le dis sans dĂ©tours vous ĂȘtes de l'or en barre. » Marguerite qui n'avait de frĂ©quentations que les aigrefins du village, s'en trouva bouche bĂ©e. Nom de Dieu, pensa t'elle, de si belles palabres dans la bouche d'un homme aussi tristement fagotĂ©, c'est bien ma veine ! ». Au diner, Marguerite conta Ă  ses parents l'Ă©trange rencontre qu'elle avait faite. Mr et Mme Pouteau dĂ©sespĂ©raient de voir un jour leur fille mariĂ©e depuis qu'elle s'Ă©tait aliĂ©nĂ©e la sympathie du tout Putanges. En entendant la nouvelle, Marcel Pouteau dĂ©boucha sa meilleure bouteille et dĂ©clara Agis prudemment ma fille, car tu es farouche comme une chatte sauvage et le type risque de dĂ©guerpir Ă  la moindre brusquerie, emportant avec lui le salut de ta famille ! ». Mais Marguerite n'avait que faire des bonnes maniĂšres et Jean fut vite oubliĂ©. Ce dernier, en revanche, avait dĂ©jĂ  conçu de grands projets pour leur avenir, et il occupa les jours suivants Ă  explorer avec entĂȘtement chaque recoin du village dans l'espoir de la retrouver. Par une fin d'aprĂšs-midi brulante alors que Jean fumait sa derniĂšre gitane au bord du lac, il fut brusquement arrachĂ© Ă  ses rĂ©flexions par le vrombissement d'une mobylette. A une centaine de mĂštres, un nuage de poussiĂšre laissa apparaĂźtre Marguerite et un certain Oscar qui descendaient de l'engin dans de grands Ă©clats de rire. L'allure de malfrat d'Oscar empĂȘchait toute mĂ©prise sur son compte. En un instant, leurs vĂȘtements furent jetĂ©s Ă  terre et tous deux plongĂšrent nus dans l'eau claire. Le malheureux Jean se serait bien passĂ© de cette scĂšne outrageante dont l'issue ne faisait aucun doute. Il quitta les lieux bouleversĂ© et propulsa sa cylindrĂ©e hors de cette ville maudite. Le ciel s'Ă©tait couvert et l'agitation des mouches annonçait l'orage. Jean dĂ©cida de s'arrĂȘter pour la nuit. Le cœur lourd, il fit halte au premier bistrot Ă©clairĂ©. Il Ă©tait loin de se douter, en poussant l'Ă©paisse porte de bois, qu'il dĂ©barquait lĂ  dans le bordel jubilatoire des Troussot. Il constata vite que l'enseigne n'Ă©tait guĂšre recommandable mais le tonnerre grondait dehors et il fut obligĂ© de s'en contenter. Le nez dans sa choppe il ruminait son chagrin et essayait de se soustraire aux extravagances de la clientĂšle. Il reçu soudain une lourde frappe dans le dos. L'un des habituĂ©s avait repĂ©rĂ© Jean qui dĂ©tonnait franchement dans l'ambiance grivoise de la grande salle. Tiens ! VoilĂ  un parigot qui n'a pas l'air dans son assiette ! Alors, quoi ? On n'aime pas not' pays ? » Mon brave monsieur, rĂ©pondit Jean, ne me bousculez pas trop, je vous en prie, car j'ai vĂ©cu chez vous de bien douloureuses dĂ©sillusions, et si votre panse est gonflĂ©e par le vin, je suis pour ma part rempli de larmes ». Nouvelle 123 _ L'affamĂ© et le trognon d'pomme L'affamĂ© J'ai faim ! J'ai faim ! MĂȘme une pĂąquerette bleu pĂąle
 je la mangerais. _ Le trognon Que crois-tu ? Moi aussi, je hurle. Mais mes cris sont muets. Tais-toi donc, gueule de loup fou ! _ L'affamĂ© Mes minuscules cellules, lĂ©gos de mon corps, vibrent et tremblotent, de peur. _ Il faut les voir ces mitochondries fiĂšres, encore mobiles mais devenues farouches. _ GĂ©latines malheureuses. Glucose 
 implorent-elles ensemble nous t'aimons ! _ Le trognon Vois le monstre. Il me tient entre ses mains, aliĂšne ma libertĂ©. Il vient tout juste de dĂ©clamer son pari Moi, lorsque je mange une pomme, je mange tout
 si, si, tout ! ». _ Inracontable sĂ©quence de vie. _ Vertigineuse toujours
 est la mort. _ L'affamĂ© Palabres que tes gĂ©missements ! _ PĂ©rir d'un coup de dents ? Je suis prĂȘt Ă  troquer ton destin contre le mien agonie lente. _ PancrĂ©as ! Foie ! VĂ©sicule ! Abaissez vos passerelles. Laisser se mĂȘler pour ma chair gourmande, insuline et glucagon
 _ Et toi, trognon, avant de trĂ©passer, je te lance un appel pour que tu sois soutien Ă  mes priĂšres. _ Invoquons les ghrĂ©lines. Sonnons les leptines. _ Tu ne vois donc pas mes boyaux-guirlandes se tordre et enfler ma criante douleur ? _ Le trognon Pas ma queue, monstre !
pas ma queue ! _ Et vous mes doux pĂ©pins
 votre avenir commence ici. Agissez ! Evadez-vous ! Soyez mobiles et rebelles. Semez le monstre et 
 semez-vous ! _ Planquez-vous Ă  ses pieds. _ Le sol sous lui est une terre mallĂ©able, dunes de quartz, cachette-silice. _ L'affamĂ© J'entends autour de toi ces SLURPSS
 obscĂšnes. Claquent des incisives gigantesques. S'arrachent des pans de chair-compote comme des sĂ©racs qui se dĂ©tachent d'un glacier nourrissant. Le jus, la salive, se mĂȘlent aux rires des papilles. Jubilatoire festin de reines des reinettes
 _ Tout illustre ici, dans ces mille secondes, la fin
 de la faim. _ Le trognon Je me fiche de ton palais. Ton œsophage est laid. Qu'il continue Ă  attendre cette fĂȘte aux velours de ses muqueuses, ce songe d'estomac tapissĂ© de saveurs. _ Fleurs des champs en plein juin, espĂ©rant une pluie tiĂšde
 Fin ruisseau, dans le cours de ses mĂ©andres, se stĂ©nose
 vie stoppĂ©e nette. Flux interrompu. _ DĂ©sormais, j'existe Ă  peine
 Oh non !!! Je vais ĂȘtre
 coupĂ© en deux ?! Attendez, prenez le temps, je vais vous guider. Sucez-moi d'abord lentement
 n'en finissez pas
 Je veux exister encore 
 Quitte Ă  brunir au fon d'un cendrier sale ! _ Jetez-moi n'importe oĂč, mais vivant ! _ L'affamĂ© Tu aurais dĂ» venir chez moi. J'aurais Ă©tĂ© ton guide. _ Mon accueil aurait Ă©tĂ© une noce pour toi. J'aurais dĂ©livrĂ© mes meilleurs sucs. _ Tes pĂ©pins auraient Ă©tĂ© choyĂ©s. _ Puis je t'aurais payĂ© un p'ti cafĂ© ! Pour un trognon-deuil 
 de luxe. Torrent chaud. _ Le trognon Le pari est gagnĂ©. Je ne suis plus. _ EjectĂ© par une langue-limace, je termine bout-de-queue, crachĂ© dans le caniveau d'une rue inconnue. _ Demain je disparaitrai Ă  jamais dans un boyau oĂč les anti-pommes chanteront leur hymne Vive le tout-Ă -l'Ă©gout » ! _ L'affamĂ© Tout est dĂ©goĂ»t. Le monde vacille. Tourne ma tĂȘte. _ Jambes flageolantes et Ă©tincelles bleues piquant les yeux. _ Je ne suis qu'un tuyau-usine Ă  digĂ©rer. DĂ©saffectĂ©. Vide couloir humide et scintillant. _ Ma bouche s'ouvre au ciel. Je deviens chĂąteau de cartes fragiles et sans lien. Je m'Ă©croule. _ Moi, tas de molĂ©cules, rĂ©pandu dans ce mĂȘme caniveau. _ Mon sigmoĂŻde et mes lĂšvres Ă  jamais dĂ©conciliĂ©s ». _ L'affamĂ© chantant un dernier rĂąle _ Pommes de reinett' tĂ© pommes d'api
 d'api..d'ap
 
 
 pi. » Nouvelle 124 _ Un misanthrope humaniste AtmosphĂšre grise. LumiĂšre glauque de l'Ă©clairage public. Pluie visqueuse accrochĂ©e Ă  l'unique fenĂȘtre de sa mansarde. L'amer mĂ©lange de la dĂ©prime annihilait toute vie chez Aliocha. Alors que la terre tourne Ă  un rythme effrĂ©nĂ©, le jeune homme reste hĂ©bĂ©tĂ©, abasourdi par le tambourinement de la pluie. Il pense que rien au Monde ne peut l'arracher Ă  sa torpeur maladive, quand le tĂ©lĂ©phone retentit. Il dĂ©croche malgrĂ© lui, vivement, comme s'il obĂ©issait Ă  un appel impĂ©rieux. Il n'a pas le temps de rĂ©pondre que l'inconnue au bout du fil l'a dĂ©jĂ  matraquĂ© de paroles sur la situation dramatique des sans abris, des alcooliques, et des sans papiers, des sans culottes pourquoi pas pense t'il alors, et c’est pourquoi il est priĂ© de bien vouloir faire un don au 0825 825 825. Elle lui prĂ©cise que ces dons lui permettront d'obtenir une exonĂ©ration sur sa tranche d'imposition, une sombre histoire d'assiette fiscale. C'est un rĂątelier auquel il ne mange plus depuis des annĂ©es. Quant Ă  ses semblables, il s'en fout aussi. Le froid et le gris l'hypnotisent, forment un Ă©cran de tĂ©lĂ©vision sur lequel il a les yeux rivĂ©s en permanence, et dont l'image reste cramponnĂ©e au fond de son cerveau. Il pourrait rĂ©pondre qu'il n'en a rien Ă  faire, mais cela reprĂ©senterait un dĂ©but de conversation auquel il se refuse mordicus. _ Mais, sans se rendre compte de ses paroles, il lui demande Pourquoi vous me demandez ça Ă  moi? Pour quel mobile ? VoilĂ  un mois que je n'adresse plus la parole Ă  quiconque. Je suis le dernier d'entre nous, et ce serait Ă  moi de sauver le monde ? Mes voisins ne soupçonnent mĂȘme pas mon existence, tous vos clochards, alcooliques et autres sans-abris non plus, qu'est-ce que je leur dois? De quel droit me rĂ©clamez-vous quelque soutien ? Que ce soit de l'argent ou de l'amour pour mon prochain que vous voulez, vous n'obtiendrez rien de moi. Je suis Ă©goĂŻste, je n'aime pas les autres, je ne vous aime pas. » Un silence, puis le bruit sec du combinĂ© raccrochĂ©. HallucinĂ© par cette discussion, il eut quand mĂȘme le sentiment jubilatoire d'avoir troublĂ© l'ordre Ă©tabli des pathĂ©tiques conversations de vente par tĂ©lĂ©phone. Une fois la douloureuse palabre achevĂ©e, la longue expiration du tĂ©lĂ©phone provoque en lui un dĂ©clic. Il allait agir. Il allait sortir de l'apathie dans laquelle sa vie le plongeait. Son pantalon enfilĂ©, il file au cafĂ© du coin sans trop savoir Ă  quoi s'attendre. L'enseigne titre Aux Ăąmes affables et mallĂ©ables ». Etrange pour un cafĂ© se dit-il. Mais une fois assis il est tirĂ© de sa rĂȘverie Ă  la vue d'un jeune homme attablĂ© un peu plus loin. Aliocha ne se souvient mĂȘme plus de la derniĂšre fois oĂč il a Ă©prouvĂ© cette sensation. Il ne se souvient mĂȘme pas du mot qui l'illustre. Bon sang, tout se mĂȘle dans son cerveau. L'inconnu se lĂšve. Il se dirige vers lui. Aliocha perplexe, retient son souffle. Il ressent de l'empathie pour un de ses semblables, sans mĂȘme lui avoir parlĂ© ! D'une voix passablement Ă©mĂ©chĂ©e, notre inconnu s'adresse Ă  lui. _ Je suis Hiolaca. Je viens te parler car je suis comme toi, je suis seul. Je suis seul Ă  vouloir vivre vraiment avec les autres, sans que les autres ne comprennent ce que cela signifie. Je troquerais volontiers les conversations enjouĂ©es de mes camarades que tu vois lĂ  contre une minute avec toi car je ne te connais pas. Je ne te connais pas mais j'ai envie qu'on se sente ensemble, unis par notre humanitĂ©. Nous sommes tous aliĂ©nĂ©s par nous-mĂȘmes, tous avides de justice humaine, sans mĂȘme comprendre que la justice divine pĂšse sur nous de son œil scrutateur. Tu craches sur les autres car tu les aimes trop, car tu t'aimes trop pour t'avouer vouloir de leur soutien. Toi comme moi, on sait qu'on est en mĂȘme temps le meilleur et le pire des hommes. En vĂ©ritĂ©, nous ne rĂ©soudrons jamais l'insondable problĂšme de l'Ăąme humaine. Coupables d'avoir eu le malheur d'aimer le beau mĂȘlĂ© au laid, la colĂšre Ă  la compassion, nous sommes humains et nous le resterons Ă  jamais. Accepte toi tel que tu es, et aime la fatalitĂ© dans laquelle t'a plongĂ©e la vie celle d'aller vers la mort avec la certitude de ne jamais connaĂźtre, de ne jamais percevoir un autre dans son entiĂšretĂ©. Je ne suis pas ton guide, je suis comme toi. Et j'accepte de t'aimer. » _ Cette tirade cloue Aliocha sur place. Il regarde son nouvel ami sans rien dire, puis celui-ci regagne sa tablĂ©e comme si rien ne s'Ă©tait passĂ©. La scĂšne n'avait durĂ© que quelques secondes, mais elle restait suspendue dans l'esprit d'Aliocha, en surimpression dans son cerveau vidĂ©. Il sent que toutes les barriĂšres qu'il avait dressĂ©es face Ă  ses semblables viennent d'ĂȘtre balayĂ©es. L'Ă©motion l'Ă©treint, et en mĂȘme temps il se sent comme un enfant pris en faute. Il n'a rien rĂ©pondu Ă  ce Hiolaca, car il n'avait rien Ă  ajouter, il avait comme Ă©tabli une passerelle mentale entre eux deux sans lui demander son avis. Il dĂ©cide de quitter le cafĂ©, sort en titubant sous les regards des amis de Hiolaca toujours en train de rire. Le lendemain, il tourne en rond chez lui, et dĂ©cide de revenir au cafĂ© dans l'espoir de retrouver Hiolaca. Il demande aux habituĂ©s embusquĂ©s derriĂšre leur canard s'ils le connaissent, s'ils l'ont dĂ©jĂ  vu. L'un d'entre eux croit reconnaĂźtre dans la description d'Aliocha un jeune premier, en ce moment Ă  l'affiche avec sa troupe au théùtre populaire de Saint Maurice. Ni une, ni deux, Aliocha assiste aux rĂ©pĂ©titions la piĂšce est une adaptation contemporaine du Misanthrope. Hiolaca est sur scĂšne. Il parle toujours avec autant de fougue, ses yeux sont emprunts du mĂȘme pourpre, sa voix a la mĂȘme emphase que l'autre jour. Il dĂ©clame la mĂȘme tirade que dans son monologue du cafĂ©, Aliocha comprend. Il fuit la salle obscure sans que Hiolaca ne l’aperçoit, rentre chez lui Ă©tourdi. En nage, en rage, il dĂ©lire. La semaine passe dans l'attente de la reprĂ©sentation finale pour Aliocha et Hiolaca. Aliocha se rend tous les jours aux rĂ©pĂ©titions, Ă©tudie minutieusement le texte et le jeu de Hiolaca. Le grand soir arrive. Hiolaca est au zĂ©nith, il brĂ»le les planches. Vient le moment de la tirade finale. Aliocha bondit alors sur la scĂšne, le public est subjuguĂ© par cette apparition, cette sĂ©quence inattendue. Aliocha fixe le public, son regard passe Ă  Hiolaca, revient au public. Il ouvre alors la bouche, laisse sa premiĂšre phrase en suspens, moment interminable. _ Qui est le misanthrope ici? Tu parles au nom de l'humanitĂ© entiĂšre, et tu te targues de pouvoir sauver de sa propre perte ce pauvre bougre qui n'aime personne. Tu n'es pas mieux que tous les autres, tu l'as dit. Tu joues Ă  ĂȘtre comme tous les autres, mais tu ne seras jamais comme tes semblables. Tu cherches Ă  te moquer, Ă  te jouer des autres comme tu joues ton rĂŽle sur cette scĂšne. Tu joues mĂȘme plus dans la vie que maintenant. Pourquoi t'es-tu ri de moi l'autre jour? Tu es beau mais tu te caches, c'est lĂ  la plus grande preuve de misanthropie qu'il m'ait Ă©tĂ© donnĂ© de voir. Et malgrĂ© cela je t'admire. Je crois qu'Ă  nous deux nous formons ce qu'il y a de plus beau et de plus laid chez l'Homme. Bas les masques, ne me dis pas que tu m'aimes, vis le. » _ La rĂ©gie dĂ©semparĂ©e par cette intervention tire le rideau. Nos deux compĂšres rĂ©apparaissent dos Ă  dos, la foule applaudit Ă  tout rompre, les deux hommes repartent main dans la main en paix l'un avec l'autre et avec eux-mĂȘmes. Nouvelle 125 _ Jonas Jonas et moi sommes du mĂȘme Ăąge. Plus tout Ă  fait des ados, mais toujours aux Ă©tudes l'un en philosophie, l'autre en sciences. Le sachant distrait, je dois parfois agir comme un grand frĂšre avec lui. Car je l'aime bien, et, en lui servant de guide, je peux lui Ă©viter des embarras. Hier, je l'ai aperçu qui s'engageait Ă  pied sur la passerelle qui enjambe l'autoroute prĂšs de chez lui. La tĂȘte dans les nuages, perdu dans ses pensĂ©es. Comme j'Ă©tais Ă  vĂ©lo, je l'ai vite rattrapĂ© et lui ai proposĂ© tout de go Si on allait prendre un cafĂ© ensemble? Il a acceptĂ©. _ Une fois au resto, et remarquant son air sombre, je me suis dit que ce n'Ă©tait guĂšre le temps de lui tenir des propos jubilatoires, ni le contraire, bien sĂ»r! Je sais que mon ami me fait confiance. Aussi, de fil en aiguille, il en est venu Ă  me confier que ce prĂ©nom de Jonas » avait Ă©tĂ© lourd Ă  porter, et, qu'Ă©tant donnĂ© sa nature timide, les nombreux quolibets qu'on n'avait de toutes parts cessĂ© de lui adresser l'avaient rendu mĂ©fiant, sauvage mĂȘme Ă  ce qu'il dit. Tout ceci, ajoutĂ© Ă  son caractĂšre indĂ©pendant, fait que, Ă  part moi, on ne lui connaĂźt pas d'amis. _ Alors, que penser de son cousin Roger qui, loin d'ĂȘtre un soutien pour Jonas, dit de ce dernier qu'il est quelqu'un de mallĂ©able, voire de trĂšs influençable, et que si on sait vendre sa salade on peut tirer de lui ce qu'on veut. A contrario, d'aprĂšs ce que je sais de mon ami, il serait plutĂŽt difficile Ă  vivre, rigide mĂȘme — Quel mobile pourrait bien inciter Roger Ă  vouloir ainsi mĂȘler les cartes? Jalousie? Vengeance? Il faut dire que Jonas, enfant gĂątĂ© par les siens, n'a jamais voulu fraterniser avec ce cousin. Il est clair que je refuserai de discuter de la chose avec lui, puisque je n'aime pas perdre mon temps en palabres. _ De plus, comme tout finit par se savoir, je ne voudrais pas risquer de m'aliĂ©ner la sympathie de la famille de Jonas. Car il m'arrive de faire appel Ă  son pĂšre, qui veut bien me guider dans mes recherches sur la sĂ©quence du gĂ©nome humain. Mais ce qui passionne vraiment cet Ă©rudit, se sont les fonds marins. Rien que de le voir illustrer ses propos sur le sujet, et en particulier sur les baleines, avec qui il espĂšre un jour pouvoir communiquer, est un pur bonheur. Quant Ă  la maman, vĂ©ritable sirĂšne au cœur d'or, elle a dĂ» en faire rĂȘver plus d'un dans sa jeunesse. Encore maintenant, chose extraordinaire, son charme se dĂ©ploie auprĂšs des Ă©tudiants de son grand homme de mari qui, lui, n'y voit que dalle, ayant toujours le nez fourrĂ© dans ses livres. _ Il m'a dit un jour dĂ©tester vieillir. J'Ă©tais Ă  ce point obnubilĂ© par ce scientifique que j'aurais mĂȘme acceptĂ© de troquer quelques annĂ©es de ma jeune vie pour une fraction de son savoir. Mais, en y rĂ©flĂ©chissant plus avant, j'ai compris que cet homme Ă©tait un rĂȘveur, dĂ©connectĂ© de la rĂ©alitĂ© au point d'affubler son propre enfant d'un prĂ©nom impossible. _ Si les baleines avaient pu parler, elles, si sages, lui auraient fait comprendre que, quand on est un humain, on a tout intĂ©rĂȘt Ă  garder les deux pieds sur terre. Et qu'au lieu de Jonas » c'est peut-ĂȘtre de Maurice » dont on parlerait aujourd'hui. Nouvelle 126 _ Conscience aveugle J'ai trouvĂ© Sandrine, il y a deux semaines, Ă  la sortie de l'opĂ©ra. Un peu comme on trouverait un chien errant qui arpente les rues en quĂȘte de nourriture. À la diffĂ©rence prĂšs que cette femme troquait volontairement quelques caresses Ă  la sauvette contre une illusion l'amour. Mais ça, je l'ignorais alors. _ Le temps Ă©tait gris et maussade. J'ai remarquĂ© cette femme appuyĂ©e contre un rĂ©verbĂšre. Son impermĂ©able trempĂ©, ouvert sur le devant, laissait entrevoir une tenue affriolante aux couleurs criardes. Nos regards se croisĂšrent. Et, malgrĂ© le maquillage dĂ©lavĂ© qui lui barbouillait les joues de bavures grises, je perçus une Ă©tincelle Ă©maner du fond de ses yeux sombres. Cette lueur, Ă  peine perceptible, je l'ai interprĂ©tĂ©e comme un appel Ă  l'aide. _ J'abhorre ces rencontres fortuites oĂč, confrontĂ© Ă  ma propre conscience, je me dois d'agir un peu contre mon grĂ©, je l'avoue, afin de porter secours Ă  de pauvres hĂšres affamĂ©s. _ Aussi, sans hĂ©sitation, j'ai plongĂ© la main au fond de ma poche pour en sortir quelques piĂšces que je lui remis avant de poursuivre ma route. L'ingrate me pourchassa. Le son de ses escarpins retentirent sur le pavĂ© derriĂšre moi. Elle me couvrit d'injures, clamant que ses services valaient plus que ça. Puis, sans que je m'y attende, Sandrine me lança la monnaie en pleine figue. Confus et ne dĂ©sirant pas attirer l'attention sur nous, j'ai plaidĂ© ma cause en prĂ©textant un malentendu. Pour la calmer, je lui proposai de m'accompagner au cafĂ© du coin, question de se rĂ©chauffer et de prendre une bouchĂ©e. _ À peine Ă©tions-nous attablĂ©s que Sandrine me gratifia d'un sourire. Ravi que ma convive ait une personnalitĂ© aussi mallĂ©able, j'ai pu enfin me dĂ©tendre tout en consultant le menu. Mais, lorsqu'elle lĂącha spontanĂ©ment qu'on ne l'avait jamais invitĂ©e en un lieu aussi chic, je fus pris d'une soudaine gĂȘne. J'Ă©tais mal Ă  l'aise que l'on puisse nous voir ensemble. Peur d'ĂȘtre associĂ© Ă  cette fille de rien, je lui tendis aussitĂŽt un mouchoir pour qu'elle puisse Ă©ponger son visage souillĂ©. Elle prit ce geste pour de la galanterie et m'en remercia d'un battement de faux cils. Elle termina sa toilette en se mouchant bruyamment. _ SubjuguĂ©e par cette attention nouvelle qu'on lui portait, c'est en toute confiance que Sandrine se laissa aller. En une interminable palabre, elle dĂ©versa sur moi son lot de malheurs mĂȘlĂ©s d'espoirs brisĂ©s. J'en avais marre d'avoir Ă  suivre la sĂ©quence des Ă©vĂ©nements traumatisants qui ont marquĂ© sa triste existence. Existence au cours de laquelle elle s'est aliĂ©nĂ© les quelques amis qu'elle ait jamais eus. Me croyait-elle tout Ă  coup investi du rĂŽle de guide spirituel ? Il Ă©tait tard maintenant, j'Ă©tais Ă©puisĂ© et, surtout, impatient de me dĂ©faire de cette prĂ©sence accablante. J'ai demandĂ© l'addition. _ Mais voilĂ  que cette seule pensĂ©e revient Ă  nouveau aiguillonner ma conscience somnolente. Comment pouvais-je l'abandonner ainsi, l'ayant privĂ©e de son gagne-pain des heures durant ? Je m'entendis alors lui proposer de passer la nuit chez-moi. _ Pour s'y rendre, nous devions traverser un parc public. J'Ă©tais surpris de cette capacitĂ© qu'avait Sandrine de s'extirper d'une profonde grisaille pour en arriver aussi prestement Ă  un Ă©tat jubilatoire. S'agrippant Ă  mon bras, son pas devint plus lĂ©ger. Elle me confia alors ses ambitions secrĂštes toujours ce babillage ennuyeux devenir chanteuse d'opĂ©ra ». Puis, soudainement, elle lĂąche son emprise pour se prĂ©cipiter sur la passerelle qui surplombait un petit bassin parsemĂ© de nĂ©nuphars. Pour mieux illustrer sa vision, elle adopta la pause solennelle d'une cantatrice et y alla de quelques vocalises. _ Quelle utopie ! Cette femme rĂ©clamait mes conseils, mon soutien, alors soit, je lui devais la franchise. Tu cours tout droit vers un autre dĂ©sastre Sandrine. Tes rĂȘves sont la source de tous tes malheurs, ne vois-tu pas ? Sois rĂ©aliste ma belle ». Puis, c'est en silence que nous avons parcouru le reste du trajet. Ce soir lĂ , aprĂšs l'avoir prise, je n'ai pu trouver le sommeil. Au petit matin, je ne pouvais souffrir de la regarder et dĂ©sirais, plus que tout, qu'elle disparaisse Ă  jamais. Je l'ai rĂ©veillĂ©e. Son corps Ă©tait lovĂ© contre le mien. Je te dois combien pour cette nuit » ? Sandrine se glaça, le regard plongĂ© dans le mien. Cette fois, Ă©trangement, j'y ai perçu le reflet d'un miroir qui Ă©clatait, dont les piĂšces mobiles me traversaient, me blessant l'une aprĂšs l'autre. Elle est partie, sans prendre l'argent. _ Le souvenir de cette rencontre Ă©tait Ă  peine dissipĂ© quant un gamin vint frapper Ă  ma porte. Il me remit une missive signĂ©e de la main de Sandrine. Une invitation en quelque sorte. Un sinistre rendez-vous que j'hĂ©sitais Ă  accepter. J'entendis encore la voix de ma conscience qui s'exprimait Tu dois ĂȘtre plus clair cette fois ». J'ai suivi le garçon jusqu'au lieu prĂ©vu. Un homme vint Ă  notre rencontre. Je lui remis le carton de Sandrine. Vous la connaissez ? » demandai-je. Bien sĂ»r ! Suivez-moi ». Un sentiment de fiertĂ© s'empara de moi. Sandrine aurait-elle suivi mon conseil en se dĂ©nichant un petit boulot dans ce lieu de paix ? Le mĂȘme homme, le fossoyeur, me mena jusqu'Ă  une pierre tombale devant laquelle reposait un tas de terre meuble. On l'a retrouvĂ©e hier, pendue Ă  ce chĂȘne, lĂ -bas. Le carton d'invitation Ă©tait au fond de sa poche », me dit-il avant de repartir avec son garçon. Nouvelle 127 _ Les aliĂ©nĂ©s
 ou presque Ils Ă©taient quatre. Toujours ensemble. Luis, le professeur, le vieux Tom, NathanaĂ«l et le jeune Nordine. A l'asile on les appelait les veufs » car ils ne recevaient jamais de visites. Dans la cour bĂ©tonnĂ©e d'oĂč jaillissaient mollement des arbres et des bosquets grisĂątres, ils se retrouvaient chaque jour sans que personne ne s'en inquiĂšte. Ils fumaient, se croisaient dans de courts va-et-vient en Ă©changeant des mots ou entamaient une discussion animĂ©e. La palabre , ironisait l'infirmier, qui avait quelques lettres. Tant que ça palabre, c'est bon », insistait-il pour justifier sa nĂ©gligence. Il ne surveillait jamais vraiment les quatre veufs. _ Ce jour-lĂ , NathanaĂ«l leur parlait de Cendrars Il a dit cela, Blaise Cendrars, il a dit cela j'ai agi j'ai tuĂ© comme celui qui veut vivre. Le jeune Nordine demanda si c'Ă©tait un pote et NathanaĂ«l corrigea Un poĂšte ». Nordine haussa les Ă©paules Un poĂšte
 un pote c'est pareil », et l'autre reprit patiemment Oui, presque. Le poĂšte de la main gauche, on l'appelait. Il a Ă©crit La main coupĂ©e, SĂ©quences
 . Le jeune Nordine ouvrit des yeux incrĂ©dules Il a Ă©crit, la main coupĂ©e? » puis rĂ©pĂ©ta pensif il Ă©crivait, la main coupĂ©e
 . NathanaĂ«l soupira CoupĂ©e la main. TronquĂ©e. Ils la lui ont tronquĂ©e. » Le vieux Tom releva sa casquette TroquĂ©e? Du troc de mains? De la main Ă  la main? C'est une histoire d'Africains
 de la sorcellerie
 . Le conteur, un peu agacĂ©, se tourna vers lui ToquĂ©e, troquĂ©e, tronquĂ©e, ça se ressemble! La main tronquĂ©e. CoupĂ©e. Un obus, Ă  la guerre. Alors il est passĂ© Ă  l'autre ». Luis qui parlait de façon prĂ©cieuse et aimait se donner l'air fin, fit remarquer que, tout de mĂȘme, il avait une alternative. Les autres rirent, mĂȘme le vieux Tom et le jeune Nordine qui ne comprenaient plus grand chose. Dans leurs yeux une folle gaitĂ© s'Ă©tait allumĂ©e, ils agitaient leurs mains en tous sens et tapaient du poing sur leurs cuisses, pris d'un entrain jubilatoire. On s'en va? » Le vieux Tom avait levĂ© la tĂȘte et s'Ă©tait lĂ©gĂšrement redressĂ©, encore secouĂ© de leur rire commun. On s'en va! Enfin, presque », prĂ©cisa Luis d'un air pincĂ©. _ Ils s'Ă©loignĂšrent innocemment et se rapprochĂšrent de la grille. Elle Ă©tait entr'ouverte, l'infirmier Ă©tait rentrĂ© dans le bĂątiment. Une petit pluie froide tombait et seuls les veufs Ă©taient restĂ©s dans la cour. D'un coup, ils furent dehors et avec une agilitĂ© imprĂ©vue s'Ă©loignĂšrent de l'asile, se mĂȘlĂšrent Ă  la foule des passants et furent trĂšs vite au bord du pĂ©riphĂ©rique, NathanaĂ«l devant. Les autres suivaient, sĂ©quence de joyeux drilles en goguette. En approchant de la passerelle qui franchissait le pĂ©riphĂ©rique, ils s'arrĂȘtĂšrent brusquement. Tremblant comme sur un pont de cordes, un homme chantait, alternant cris et murmures et battant la mesure de ses bras, se balançant et dansant. Il allait en aveugle, funambule rĂ©glant ses pas sur le rythme de son chant La dona e mobile
 . Prudemment, NathanaĂ«l glissa vers lui et saisit par les ailes ce papillon qui s'immobilisa avec lenteur, baissa les bras et pencha la tĂȘte sur son Ă©paule. Son corps auparavant contorsionnĂ© par la danse s'Ă©tait amolli, fait Ă©lastique, souple et mallĂ©able comme un corps d'enfant. Il s'abandonnait, les yeux mi-clos. NathanaĂ«l l'invita Ă  s'Ă©loigner du bord et le l'amena jusqu'au trottoir d'en face. Je m'appelle Lordjim » dit le papillon en souriant, et je remercie,mon guide ». _ De l'autre cĂŽtĂ©, entre deux immeubles-tours, un petit cafĂ© miteux se protĂ©geait des poussiĂšres et des sacs en plastique qui tournaient en vrille dans le vent. Une pancarte bringuebalait au dessus des vitres oĂč s'Ă©caillaient des PĂšres NoĂ«l et des flocons de neige. Ils lurent La DerniĂšre Chance et s'y prĂ©cipitĂšrent en se bousculant comme des Ă©coliers indisciplinĂ©s. _ Un silence se fit tandis qu'ils sirotaient leurs biĂšres, le nez dans la chope ou le mĂ©got accrochĂ© aux lĂšvres. Ils regardaient Lordjim, son visage marquĂ© de douceur et de douleur mĂȘlĂ©es, ses yeux bleuis par de vieilles larmes et qui parla d'une voix tranquille L'Afrique. Le soleil d'Afrique, l'or et la cendre. La guerre aussi
 » NathanaĂ«l l'interrompit »Comme Cendrars! » et le papillon reprit en mesure 
 comme cendrasses. J'ai connu cela. Il y a tant de lumiĂšre
 On baisse les paupiĂšres, on tire les rideaux, on ferme les persiennes. On ne voit rien mais on sent sur sa peau la chaleur
 un souffle de femme. » _ Nordine, qui portait la lumiĂšre dans son nom mais ne le savait pas, se tortilla; le vieux Tom tira une bouffĂ©e et toussa avec bruit; Luis se leva, prenant appui sur sa chaise qui bascula. Lordjim le soutint, Luis se rassit dignement et Lordjim reprit Il y a tant de lumiĂšre
 Les bruits, les cris, les odeurs vous entrent dans la peau. On vit. J'aimais une femme, AĂŻcha. On avait un gosse. J'Ă©tais dans l'armĂ©e, militaire ». Luis voulut blaguer Un pied Ă  droite et un Ă  gauche? » mais aucun ne rit. Nordine, la voix un peu Ă©tranglĂ©e, insista Tu as eu le pied coupĂ©? Comme le poĂšte, le pote de NathanaĂ«l? ». Lordjim laissa un petit silence se faire, puis il sourit avec gentillesse. Il avait eu le pied coupĂ©, en effet. Son petit garçon de cinq ans avait sautĂ©. Mort dans un attentat. La femme Ă©tait partie et lui aussi, mais de l'autre cĂŽtĂ©, avec l'armĂ©e. _ Ils se turent. Lordjim fredonnait pour lui mĂȘme la dona e.. » et Luis intervint, en professeur Mobile. Sais-tu ce que c'est qu'un mobile »? Un soldat, enfin, presque. Un type qu'on a enrĂŽlĂ© pour combattre mais qui n'aurait pas dĂ» l'ĂȘtre. Il a rĂ©pondu Ă  l'appel et on l'a jetĂ© dans la mĂȘlĂ©e, d'un seul coup, sans soutien. Tom voulut en savoir plus »Et il se bat seul? ». Et Luis, satisfait, poursuivit Non, ils se battent ensemble mais lui, il n'est pas instruit, un mobile, c'est un rien du tout ». Le vieux Tom hocha la tĂȘte et marmonna Pas un type qui s'illustre par ses hauts faits, un comme nous, pas un illustre, un biffin
 » _ Un songe passa. _ Dehors, un groupe d'hommes approchait policiers, infirmiers, passants curieux. Ils Ă©crasĂšrent leur nez Ă  la vitre opaque puis pĂ©nĂ©trĂšrent brutalement dans la salle. La rĂ©crĂ©ation est finie » ricana l'infirmier nĂ©gligent. La bande compris et se leva. Lordjim s'envola de son cĂŽtĂ©. Ils ne voyaient rien, ils sentaient sur leur peau des parfums d'Ă©pices, de cafĂ© grillĂ© et de fruits sĂ»ris, ils entendaient des cris de femmes et des rafales de mitraillettes. _ Enfin, presque
 Nouvelle 128 _ EgrĂ©gore Jeanne est jubilatoire. _ Elle a articulĂ© les sĂ©quences, _ Son puzzle est complet, _ Sa comprĂ©hension claire. _ Le feu la ronge, elle est Ă  vif. _ En colĂšre, elle entend l' appel, _ Sa pensĂ©e est aliĂ©nĂ©e. _ Ses muscles sont bandĂ©s. _ Son cerveau non mallĂ©able _ Est prĂȘt Ă  dĂ©gainer. _ Elle cherche son ensemble. _ Elle a son mobile. _ Sur la toile d' araignĂ©e _ Elle cherche ses frĂšres. _ Elle sait que sur la planĂšte _ Le feu dĂ©vore aussi les siens _ Cherchant soutien et guide. _ Le virus est de partout. _ Les neurones sont Ă©lectriques. _ Les symptĂŽmes sont affligeants. _ Maux de ventre, envie de vomir. _ Migraine, fiĂšvre. _ Un serrement dans la poitrine _ Donne une impression d' asphyxie. _ La vision des infos agit bizarrement, _ DĂ©cuplant les effets. _ Jeanne voit un monstre, _ IncontrĂŽlĂ© et implacable _ Aux mĂąchoires puissantes, _ ArmĂ© jusqu' au dents, _ Avide et insatiable. _ PiĂ©tinant ses semblables. _ Le massacre est grand. _ La terre de ses enfants _ Est en danger. _ Jeanne rumine dans sa cuisine. _ Ses capsules de cafĂ© l' Ă©nervent. _ Dieu s' en mĂȘle avec What' s Else _ Corruption et chantage _ Palabres de paradis _ Territoires sans foi ni loi _ Pillage organisĂ© par des hommes de paille _ Aux services de grands escrocs, _ Alimentant le monstre, _ Toujours plus avide. _ Jeanne voit les passerelles _ Au-dessus d' elle, imbriquĂ©es _ Allant de repaire de rapaces, _ A des nids de corbeaux _ Transitant les flux Ă  tire d' ailes _ Du Delaware aux CaĂŻmans _ D' Uruguay au Liban _ De Jersey au Luxembourg _ Obscurs paradis, antres cupides. _ Vampirisant les peuples _ Agissant impunĂ©ment _ Avec l' aval des gouvernements. _ Que sonne le tambour ! _ Aragorn leve toi. _ L' ombre grandit. _ Ta dĂ©vouĂ©e troque les mots _ Avec les siens. _ Que grandisse l' EgrĂ©gore. _ Qu' il s' illustre. Nouvelle 129 _ Histoire brĂšve d'un village et du monde en trois sĂ©quences Les irrĂ©ductibles, c'est comme ça qu'on les appelle dans la presse. Le sergent Ferraut entra dans le bar oĂč ils prenaient un dernier verre. _ – Messieurs, dames
 _ – On sait, on sait. On peut bien finir notre cafĂ©, non ? _ – Le barrage doit exploser dans une demi-heure. _ – Ben qu'i fassent tout pĂ©ter ! D'façon qu'eq ça change pour vous qu'on dĂ©campe ou pĂŽ. _ – Vous en faites pas sergent, on finit et on sort. Vous voulez un verre ? GoĂ»tez moi cette liqueur Ă  la pomme, je la faite moi-mĂȘme, c'est la spĂ©cialitĂ© du coin. _ – Je sais, j'ai grandi Ă  cĂŽtĂ© d'ici, Ă  Vermilly. Mon pĂšre Ă©tait exploitant. Le verger Ferraut, c'Ă©tait lui. _ Le verger Ferraut, les pommes qu'il vous faut. On peut dire que l'entreprise familiale avait sa petite notoriĂ©tĂ© Ă  l'Ă©poque. Et puis un jour, le pont est arrivĂ©. D'ailleurs non, la direction du pont a bien prĂ©cisĂ©, ce n'est pas un pont, c'est une passerelle. Passerelle ! c'est plus joli, et puis ça veut dire que les gens se rapprochent, a expliquĂ© le comitĂ© de direction. Ah, bien. Et puis c'est important d'ĂȘtre mobile de nos jours, pour qu'on puisse travailler tous ensemble. Le comitĂ© de direction a illustrĂ© son propos en racontant l'histoire de la Chine et du Japon, comme quoi la passerelle Chipon a permis Ă  la communautĂ© bridĂ©e d'ĂȘtre la plus puissante au monde. Alors aujourd'hui, il est temps d'agir, comme quoi nous aussi on a droit Ă  notre passerelle avec le monde. _ AprĂšs la passerelle, c'est le supermarchĂ© qui est arrivĂ©, avec des pommes de toutes les couleurs, disponibles toutes l'annĂ©e, et toujours belles et brillantes. On n'en croyait pas ses yeux. Et le pĂšre Ferraut a du vendre une partie de son exploitation, puis le reste. Les affaires n'Ă©taient plus ce qu'elles Ă©taient, vous comprenez. C'est que maintenant, l'argent est jaune, vous comprenez, alors la terre le devient aussi. MĂȘme qu'ils appellent ça la jaunisse, les dĂ©sapprobateurs. _ – C'est un peu raciste quand mĂȘme, non ? _ – Ils nous ont aliĂ©nĂ©s ! _ – Nan, c'est eux les Aliens. T'as vu le film ? MĂȘme sale gueule. _ – Enfin, ça c'est quand mĂȘme raciste, non ? _ – C'est faux en tout cas. _ – Évidemment toi et ta Tong. _ – Tan, c'est Tan qu'elle s'appelle. Et la mĂȘle pas Ă  tout ça, elle a pas choisi de v'nir travailler ici par plaisir j'te rĂ©pĂšte. Soit elle acceptait la mutation, soit elle perdait son poste. C'est Sunrise Corporation qu'il l'a forcĂ©e. _ Sunrise Corporation, ‘cause we are your solution. On peut dire que le consortium des plus grosses firmes asiatiques a su conquĂ©rir l'Ouest en son temps. Quel Ă©lan d'espoir au fameux jour de l'appel du PDG Zhuan Sun. Il invitait tous les insatisfaits du peuple Ă  rejoindre le groupe du travail et le wifi pour tous ! Promesse jubilatoire pour les millions d'occidentaux submergĂ©s par le tsunami venu de l'Est. Tout le monde rejoignait alors le bateau du guide Zhuan Sun, apportant sa contribution Ă  l'intensification de la production. Le barrage date de cette Ă©poque. Mutualisation des moyens, harmonisation des processus, pour toujours plus d'efficience et de performance. C'est qu'on a un dĂ©fi Ă  relever, vous comprenez. La population des consommateurs augmente de maniĂšre expotentielle, a expliquĂ© le guide Zhuan Sun, il faut donc produire de maniĂšre expotentielle pour pourvoir satisfaire tout le monde. Mais reste le problĂšme de l'Ă©nergie ! _ – Ouais ben moi j'en n'ai plus d'Ă©nergie. _ – La Nouvelle Union Africaine a promis d'apporter son soutien. _ – La NUA ? Tu parles d'un soutien ! En traitant avec ces dictateurs, on troque notre intĂ©gritĂ© contre des kilowatts ! J'ai lu ça dans le journal. _ – C'est bien pour ça qu'on fait sauter le barrage, pour ĂȘtre moins dĂ©pendant de la NUA. La Nouvelle Union Africaine, le gĂ©ant sorti de la graine. On peut dire que l'entente des gouvernements africains a permis au continent noir de renverser la vapeur ces derniĂšres annĂ©es. Quand leurs chercheurs ont trouvĂ© un moyen de produire Ă  bas coĂ»t de l'Ă©nergie Ă  partir de l'extraction du sable, les palabres intertribales ont aussitĂŽt cessĂ©. Cette dĂ©couverte fut pleinement exploitĂ©e grĂące au caractĂšre mallĂ©able des peuples et des paysages. Argent et tractopelles ont radicalement changĂ© le visage de l'Afrique. DĂšs lors, la NUA se trouva systĂ©matiquement conviĂ©e Ă  la table des nĂ©gociations internationales. Puis ce fut elle qui se mit Ă  convier les autres puissances. Et lĂ  c'Ă©tait la classe, affirmait la jeunesse noire. _ Les vieilles nations, quant Ă  elle, trouvaient ça vexant. Alors on se mit Ă  vouloir extraire du sable nous aussi. Cet Ă©norme barrage rend la terre beaucoup trop verte ici, c'est une plaie. D'oĂč le projet de tout faire pĂ©ter. Certes on aura moins d'eau, mais on pourra produire assez d'Ă©nergie pour faire acheminer l'eau d'un autre continent jusqu'ici. C'est tout bon ! a proclamĂ©e Ă  la bourgmestre. N'empĂȘche que c'est Ă  y perdre son latin. Non pas que les irrĂ©ductibles aient un jour appris le latin, mais ils y tiennent Ă  leur village. Et ils ne veulent pas le voir submergĂ© par les eaux libĂ©rĂ©es du barrage. Ils n'ont aucune envie d'aller s'installer en mĂ©galopole, mais alors pas du tout. _ – J'ai vraiment aucune envie d'aller m'installer en mĂ©galopole, mais alors pas du tout. _ – On y ferait quoi ? _ – Messieurs, dames, le barrage est prĂȘt Ă  exploser. _ Alors ils sortirent malgrĂ© tout, les irrĂ©ductibles. Ils avaient tentĂ© de rĂ©sister, de sauver leur village, mais comment lutter contre l'Ă©volution du monde ? On peut pĂŽ, c'est comme ça, avait dit Macha. Puis elle ajouta Il parait qu'il y a des pommes qu'on n'a mĂȘme plus besoin d'Ă©plucher dans les magasins des mĂ©galopoles. » Finalement, c'est commode le progrĂšs. Nouvelle 130 Dans ces deux pages se cachent trois personnages mais peut-ĂȘtre que trois c'est beaucoup pour tenir sur deux pages. Alors disons que le troisiĂšme personnage n'en est pas vraiment un. Pourtant c'est lui qui a pour habitude de se cacher dans les pages. Il vit paisiblement avec ses semblables dans le sous-sol d'un vieil immeuble de bureaux. De lĂ , il peut accĂ©der aux rĂ©serves de la bibliothĂšque municipale. C'est un rat de bibliothĂšque. Oh pas un horrible rat noir, mais un rat des villes, une sorte de loir, un jeune, mallĂ©able aux idĂ©es qu'il dĂ©couvre dans les livres. Les livres sont sa maison, les feuilles son unique paysage. Il croit au pouvoir magique des signes noirs qui les dĂ©corent. Il s'en nourrit de dĂ©licieuses feuilles dactylographiĂ©es pour souper. _ Le deuxiĂšme personnage, par ordre d'apparition, est un humain. D'apparence du moins. En effet, Ă  le voir fureter, tourner autour de son bureau comme s'il arpentait son territoire, le doute s'installe. Il en marque les limites en laissant les empreintes de sa tasse Ă  cafĂ©, des ronds bruns sur ses affaires Ă  lui. Il se plonge dans un tas de paperasse, le nez se plisse, s'allonge, les Ă©paules se tassent. La face rose Ă©clairĂ©e par une lampe, le dos est gris. Animal dans son antre. Au boulot. _ Le travail aliĂšne l'homme, ce n'est pas de la science-fiction ! _ Le rat est intriguĂ© par ce bonhomme scotchĂ© Ă  son mobile, Ă©clairĂ© par en dessous du reflet de son Ă©cran d'ordinateur qui ronronne. Le rat ne se mĂȘle pas de sa vie, les camemberts et les baguettes qui sortent de l'imprimante ne sont pas allĂ©chants, pas comestibles, des chiffres, toujours des chiÂŁÂŁr€€$. _ Le rat s'intĂ©resse Ă  la littĂ©rature, il veut tester la puissance des mots, le pouvoir des signes. Il a donc laissĂ© Ă  cet effet un message Ă©crit soigneusement Ă  l'aide de petites crottes noires savamment disposĂ©es. La consĂ©quence de l'expĂ©rience fut Ă©tonnamment violente, une explosion de cris et de coups de balais avec une sĂ©quence dies Irae » en fond sonore. Sa maison fut brulĂ©e, sa famille dispersĂ©e. Ce soir, il git sur le pavĂ© de la Grande Rue. Les livres lui manquent. Il lustre son pelage triste devant le soupirail des rĂ©serves, bouchĂ©. Il rĂȘve d'un nouvel accĂšs, d'une passerelle pour son arche de NoĂ© qu'il reconstruira dans un papier bible Ă  la douceur crissante. _ Craquant une allumette, la princesse monte la Grande Rue. C'est le genre de princesse qui s'illustre pour son addiction aux romans Ă  l'eau de rose. Elle dĂ©sespĂšre de ne pas rencontrer de Prince Charmant. Sa marraine vient de lui souffler qu'il suffit d'embrasser un crapaud pour qu'il se transforme. Alors pourquoi pas celui lĂ , tout gris derriĂšre l'immense vitre de son bureau. Il a l'air tellement sĂ©rieux dans son bocal de verre open-space. Un milliardaire romantique qui sera le soutien d'une frĂȘle jeune femme, moi » _ La princesse scintillante comme un diamant dans le halo du rĂ©verbĂšre remarque une mignonne petite bĂȘte au doux pelage, une souris du carrosse de Cendrillon dans l'ombre. DerriĂšre la vitre, l'homme a troquĂ© son apparence animale contre une dĂ©froque de prince potentiel, pas encore charmant mais avec l'envie d'agir pour le devenir. Il comprend l'invitation Ă  sortir de la princesse, l'appel Ă©lĂ©gant de sa main. DĂ©jĂ , il se prĂ©pare Ă  lui parler, la baratiner, l'Ă©tourdir de palabres, la faire rire et continuer, la souler de mots, l'Ă©tourdir pour la conquĂ©rir. _ La porte s'ouvre. L'homme ne sort pas, il prĂ©fĂšre rester dans son domaine car il faut un royaume Ă  un prince. La princesse et le rat entrent ensemble. Le futur prince officie comme guide auprĂšs de la princesse. Il lui explique l'importance de sa charge, l'Ă©tendue de son domaine d'activitĂ©. Il croise son regard, constate que ses yeux s'ouvrent tout grands ou se referment au rythme de son discours. De beaux yeux dans lesquels le temps passe au ralenti. Il a envie de les fixer pour toujours. Sans parler. _ Le rat retourne Ă  ses chĂšres Ă©tudes. Lire, Ă©crire, jubilatoire. _ Si les mots sont magiques, il vient un moment oĂč il n'est plus besoin de mots. Nouvelle 131 _ Divergence C'Ă©tait un mardi d'automne, l'un de ces midis oĂč Florent et David avaient pris l'habitude de se retrouver pour dĂ©jeuner. Les deux amis de longue date Ă©changeaient des propos d'ordinaire anodins, mais ce jour lĂ  leur conversation faillit tourner Ă  l'affrontement idĂ©ologique. _ – DĂ©jĂ  14 heures 10 ! s'Ă©cria David. Il faut que je te quitte, je vais Ă  la manifestation contre les retraites cet aprĂšs-midi ! _ – Tiens donc ? Tu ne changes pas, dirait-on, toujours au front pour le soutien des grandes causes » rĂ©torqua Florent non sans ironie. _ – Pas toutes les causes Seulement celles qui me semblent justifiĂ©es, et celle-ci en est une. _ – Une parmi tant d'autres ! J'ai l'impression que tu passes ta vie Ă  manifester, Ă  rĂ©pondre Ă  tous les appels Ă  la grĂšve Est-ce une rĂ©elle conviction ou as-tu d'autres motivations ? _ – Mais je ne peux tout de mĂȘme pas rester les bras croisĂ©s devant le modĂšle social qu'on cherche Ă  nous imposer ! Tu n'es plus d'accord avec tout ça ? _ – Oh, tu sais, je me suis fait une raison Militer pour un monde plus juste, agir tous ensemble, refuser les rĂšgles Ă©tablies C'est jubilatoire, certes, mais ça ne marche qu'un temps ! Nous ne sommes plus des Ă©tudiants, David ! Pour moi, cette vie insouciante avec pour seul guide le rĂȘve d'une sociĂ©tĂ© idĂ©ale est bel et bien terminĂ©e. J'ai un travail Ă  assurer, une famille Ă  nourrir _ – Et cela vaut le coup de troquer ses idĂ©aux pour un mode de vie petit-bourgeois, selon toi ? De s'aliĂ©ner, de n'ĂȘtre plus qu'un pion sur l'Ă©chiquier capitaliste ? _ – Mais David, as-tu fini avec ces grands mots ? Tu n'as pas Ă  me juger ainsi ! Crois-tu vraiment que j'ai le choix ? Si je fais grĂšve, je perds mon boulot ! _ – C'est justement bien ça qui me rĂ©volte. Aujourd'hui, seule une minoritĂ© de la population active jouit d'un emploi sĂ»r et correctement rĂ©munĂ©rĂ©. Des milliers de travailleurs sont constamment sur la brĂšche, mallĂ©ables au grĂ© des dĂ©sirs des patrons, taillables et corvĂ©ables Ă  merci ! _ – Mais le monde du travail fonctionne ainsi ! De nos jours, il faut savoir ĂȘtre mobile, s'adapter rapidement aux Ă©volutions techniques et sociales, ne pas craindre de changer d'emploi plusieurs fois dans sa vie Regarde ne serait-ce que mon parcours, qui illustre parfaitement cette rĂ©alitĂ© quinze ans de vie professionnelle, cinq postes occupĂ©s dans trois entreprises complĂštement diffĂ©rentes J'ai vĂ©cu chaque changement comme une opportunitĂ© de dĂ©couvrir un nouvel environnement, de construire des passerelles entre des univers que tout oppose Ă  premiĂšre vue Je vois ma vie comme une succession de sĂ©quences bien plus enrichissantes qu'une pauvre carriĂšre rectiligne ! _ – Ton discours me fatigue, Florent ! J'avais bien remarquĂ© que nous nous Ă©tions Ă©loignĂ©s sur un certain nombre de sujets depuis quelques annĂ©es, que nos conceptions des rapports sociaux, de l'engagement au quotidien divergeaient de plus en plus. Avec cette conversation, j'ai l'impression que nous vivons dĂ©sormais Ă  des annĂ©es-lumiĂšre l'un de l'autre et que toutes ces palabres sont inutiles. Tu m'excuseras, mais je dois filer. » conclut David en avalant son cafĂ©. Florent regarda son ami s'Ă©loigner avec une pointe de mĂ©lancolie mĂȘlĂ©e de culpabilitĂ©. David avait-il raison ? Florent avait-il rĂ©ellement renoncĂ© Ă  ses idĂ©aux ? Aurait-il pu choisir une autre voie ? Jalousait-il tout simplement David, dont la vie de cĂ©libataire lui permettait encore de n'effectuer ses choix qu'en fonction de ses seuls intĂ©rĂȘts ? Il se leva Ă  son tour et hĂąta le pas. La conjoncture Ă©conomique Ă©tait encore dĂ©licate, et nul ne pouvait prĂ©dire ce que rĂ©serverait l'avenir. Mieux valait se montrer zĂ©lĂ© et revenir Ă  l'heure au bureau. Nouvelle 132 _ La main retrouvĂ©e Lorsque la sonnerie de mon mobile avait retenti, j'avais dĂ©crochĂ© avec mĂ©fiance. Le portable, par le don d'ubiquitĂ© qu'il offrait, avait fait l'unanimitĂ© parmi ceux qui souhaitaient me joindre. . . _ – ValĂ©rie?
 ValĂ©rie Diagre ? _ – 
Oui 
C'est moi. _ – C'est Jean. _ Jean 
 Avec force, l'Ă©cho de ce mot vint me pousser violemment au bord d'un prĂ©cipice je restai subitement figĂ©e. Puis, une passerelle dont je pensais avoir bloquĂ© l'accĂšs Ă  tout jamais, relia ce prĂ©nom Ă  un passĂ© que j'avais troquĂ© contre un prĂ©sent mouvementĂ© et intense. J'avais aujourd'hui une vie riche d'activitĂ©s, d'amis, de choses, j'Ă©tais mariĂ©e et maman de 2 enfants. Ma nouvelle vie, je me l'Ă©tais bĂątie piĂšce par piĂšce avec tĂ©nacitĂ©, et voilĂ  que cette construction minutieuse destinĂ©e Ă  me protĂ©ger se trouvait en pĂ©ril par un simple appel et par un prĂ©nom Jean. _ – J'ai mis du temps pour
 te retrouver
 _ Je fermai les yeux, un cri rĂ©sonna dans ma mĂ©moire, cette mĂ©moire que j'avais voulue mallĂ©able, mais dont je savais aujourd'hui qu'elle savait se rebeller ValĂ©rie ! Il ne savait prononcer les r, et disait ValĂ©hie .II hurlait, donnait des coups de pieds aux assistantes sociales et refusait de me lĂącher la main. _ Mon Dieu, mais cette sĂ©quence Ă©tait donc ancrĂ©e dans ma chair ! Le temps ne m'avait accordĂ© aucun rĂ©pit
 _ – J'aimerais te revoir, avait il dit. _ A ces mots, je sombrai dans une plaie que je pensais avoir cicatrisĂ©e mais qui se rĂ©vĂ©lait, je le constatai, bĂ©ante. _ AprĂšs avoir pourtant convenu d'un rendez vous, pas chez moi mais dans mon entreprise que j'avais crĂ©e Ă  force de volontĂ© et d'opiniĂątretĂ©, je raccrochais contrariĂ©e. Pourquoi mĂȘler Ă  nouveau nos vies au bout de 32 ans ? Et pourquoi avais je acceptĂ© ? Qu'est ce que je voulais lui prouver ? _ Il voulait Ă©crire un livre sur sa vie
 _ Lorsqu'il pĂ©nĂ©tra dans mon bureau, je vis Ă  son mouvement de sourcil qu'il Ă©tait impressionnĂ©, toutefois ça ne provoqua pas en moi l'effet escomptĂ©. J'avais les mains moites et trouvais finalement ridicule le fait de le recevoir ici 
 Je l'observais tentant de reconnaĂźtre chez lui des traits familiers. _ Il Ă©tait mince, pas trĂšs grand, on peut prĂ©ciser fluet, les mĂ©chants diraient gringalets 
Un vilain bec de liĂšvre, dont je n'avais plus du tout souvenir, rendait au premier abord son visage hors norme, mais trĂšs vite cette imperfection ne devint qu'un dĂ©tail comme un nez trop long ou une bouche trop mince .Et finalement, on finissait par trouver l'ensemble harmonieux Ă©tait ce du au doux bleu de ses yeux ? Ou au blond soyeux de ses cheveux ? Je ne sais pas. Toujours est-il que rien ne venait illustrer le fait qu'il Ă©tait mon frĂšre. _ Tandis que je restais debout Ă  le fixer, il me dit _ – On se fait la bise ? _ – 
 Bien sur 
 _ A cette perspective un trouble m'envahit. Pourtant dĂšs que je fus Ă  son contact, un bouleversement Ă©lectrique s'empara de moi et je ne pu que laisser ma mĂ©moire d'enfant rĂ©investir mes sens j'avais cinq ans, lui quatre ; notre mĂšre dĂ©faillante ne pouvant rĂ©pondre aux besoins de tendresse et d'affection nĂ©cessaires Ă  mon petit frĂšre, je le serrais trĂšs fort contre moi et il s’agrippait Ă  mon cou jusqu'Ă  ce que le sommeil vienne lui accorder le bienfait du repos. _ Un besoin animal, physique m'enserra alors, et je ne pu rĂ©primer l'envie de serrer trĂšs fort cet homme dans mes bras. Lorsqu’ 'il fut tout contre moi, je retrouvais chavirĂ©e, Ă©perdue soulagĂ©e mon petit frĂšre, ce petit frĂšre que le temps m'avait volĂ©. Tandis que je me nichais dans son cou, le reniflant comme une louve Ă  la recherche de son petit, une odeur de lait sucrĂ© m'enivra je compris alors combien il m'avait manquĂ© et que j'avais eu beau m'en dĂ©fendre, je restais immanquablement liĂ©e Ă  cette petite fille que j'avais Ă©tĂ© et Ă  ce petit garçon que j'adorais et que je devais protĂ©ger. Je passai la main dans ses cheveux, mais la poisse collante n'Ă©tait plus ! Folle que j'Ă©tais, il Ă©tait un homme Ă  prĂ©sent, il avait grandi, Ă©tait bien mis et avait les cheveux propres. _ Sa façon rigide et maladroite de rĂ©pondre Ă  mon Ă©treinte illustrait la mĂ©fiance dont il s'Ă©tait parĂ©, il restait sur ses gardes. Il faut dire que je m'Ă©tais tellement montrĂ©e distante au tĂ©lĂ©phone ! _ J’en conclu qu'il n'y aurait ni il palabre, ni ineptie mais la vĂ©ritĂ© vraie avec ses bons et ses mauvais cotĂ©s. Je lui prĂ©sentai un fauteuil et m'assis face Ă  lui. _ Il avait un cartable qu’il ouvrit avec difficultĂ©s car les sangles Ă©taient coincĂ©es. Il perdit, malgrĂ© lui, de sa superbe et de son assurance, et j'eus subitement face Ă  moi mon petit frĂšre tentant maladroitement d'assembler des legos 
Une fois parvenu Ă  accĂ©der au fond de son cartable, l'homme qu'il Ă©tait Ă  prĂ©sent, en sortit un grand bloc note et un stylo plume. _ Il leva ensuite les yeux vers moi et me sourit aux trois quarts. C’était une maniĂšre de m'assurer qu'il restait guide de l'entretien. _ Je lui proposai un cafĂ© qu'il refusa, il prĂ©cisa qu'il ne voulait pas dĂ©ranger. Il Ă©tait inutile de relever, pourtant je voulais Ă  prĂ©sent lui assurer de mon soutien dans sa dĂ©marche. Depuis que je l'avais senti tout contre moi, j'avais eu la rĂ©vĂ©lation animale qu'il Ă©tait mon frĂšre et que mon passĂ© m'avait aliĂ©nĂ©e Ă  un mensonge celui de faire comme si ma vie n’avait commencĂ© qu’à 5 ans, aprĂšs avoir dĂ» lĂącher la te main de Jean. _ Des coups de bĂ©liers martelaient Ă  prĂ©sent l'heure de ma sentence je l'avais abandonnĂ© ! AbandonnĂ© ! Je ressenti alors le besoin vital de lui demander pardon, et en moi tous les barrages que j'avais construits un Ă  un depuis 36 ans volĂšrent en Ă©clat sous une cascade dĂ©ferlantes d’émotion je m'effondrai derriĂšre une crise de larmes. _ – Pardon Jean, pardon 
Si tu savais comme je m'en veux, si tu savais comme je m'en veux ! _ Mon attitude le dĂ©stabilisa, puis il entreprit d'agir en cherchant un mouchoir. N'en trouvant pas, il se saisit finalement d’un napperon de soie que m'avait offert un industriel chinois et me le tendit. _ Je le saisis avec gratitude et me mouchai Ă©nergiquement _ – Et bien t'y vas pas de main morte ! Il sourit et aprĂšs un temps d'hĂ©sitation, il osa saisir ma main qu'il nicha entre les siennes. _ Ce fut alors pour moi la fusion originelle ! Cette main que j'avais perdue m'avait retrouvĂ©e ! _ – Mon petit frĂšre, mon tout petit frĂšre! Je ne voulais pas te lĂącher, mais je n’ai pas su. _ – Quoi 
mais qu'est ce que tu racontes ? Il avait les yeux ronds comme des calots. _ – Je devais tenir, j'aurais du les en empĂȘcher. _ – ValĂ©rie, mais 
tu avais 5 ans, 5 ans ! Tu n'Ă©tais qu'une petite fille ! Que pouvais-tu y faire ? _ – Si tu savais comme je m'en veux 
. _ J'alternais sanglots et paroles. _ – ValĂ©rie, c'est pas ta faute, c'est pas la mienne 
 _ Il souleva mon visage, et tandis qu'il Ă©pongeait mes larmes, mon regard croisa une sĂ©rie de tranchĂ©es violacĂ©es au niveau de son poignet. Ces traces d'auto mutilation ou de suicide avortĂ©, je les portais moi aussi 
 _ – On nous a sĂ©parĂ©s, poursuivait il, notre mĂšre a du nous abandonner pour x raison mais on s'en est sortis ValĂ©rie ! Et tu vois lĂ , dĂšs qu'on se retrouve, et bien la complicitĂ© d'antan ressurgit. On est ensemble ValĂ©rie et ensemble si tu veux bien, on va essayer de rassembler toutes les miettes de nos souvenirs pour reconstruire notre passĂ©. Puis avec une lueur amusĂ©e dans les yeux, il ajouta Tu sais 
 j'ai crains le pire quand tu as ouvert la porte, tu avais une de ces tĂȘtes ! _ J'Ă©touffais un sanglot honteux. _ – En tous cas, reprit-il, ce moment lĂ , celui qu'on vit lĂ  maintenant est 
jubilatoire ! Oui jubilatoire et je suis persuadĂ© qu'il restera la plus belle sĂ©quence de ma vie, et de mon livre. Il souriait et je su alors que l’alchimie de ces retrouvailles serait le baume rĂ©parateur de nos plaies qu'il fallait enfin oser songer Ă  panser
 Nouvelle 133 Enfin ! Il venait de gagner de haute lutte, aprĂšs moults palabres ce fameux voyage Une randonnĂ©e d'une journĂ©e en pleine nature, seul. Il ne serait plus aliĂ©nĂ© par un mobile greffĂ© Ă  l'oreille. Il s'agissait d'aller respirer le bon air sans entrave. Il allait pouvoir rĂ©pondre Ă  l'appel de la Nature. DĂ©jĂ , il exultait Ă  la perspective de cette journĂ©e. Il en imaginait toutes les pĂ©ripĂ©ties, s'amuser Ă  visualiser son parcours, les paysages qu'il rencontrerait. Il serait son propre guide. Il savait que dans ce paysage de campagne, ses sensations seraient dĂ©cuplĂ©es, plus rĂ©elles que le rĂ©el. Ce serait l'automne, sa saison prĂ©fĂ©rĂ©e. Il ramasserait les feuilles dĂ©jĂ  tombĂ©es, embrasserait les troncs d'arbres Ă  pleine bouche. _ Ils Ă©taient tous dans un Ă©tat jubilatoire lorsqu'avec quelques autres, ils avaient franchi ensemble la passerelle mĂ©tallique puis troquer leurs habits ordinaires contre une tenue appropriĂ©e. Chacun Ă©tait parti de son cotĂ©, sans plus se soucier des autres. Il savait qu'une bonne prĂ©paration Ă©tait la clĂ© pour rĂ©ussir cette ballade. Il Ă©tait prĂȘt Chaussures de marche, pantalon de toile, un petit sac Ă  dos pour le casse-croĂ»te, la bouteille d'eau et le petit thermos de cafĂ©. Le paysage de campagne qu'il avait ardemment rĂȘvĂ© se rĂ©vĂ©lait prometteur, aussi beau qu'il l'avait imaginĂ©. Il y Ă©tait. Il foulait un chemin damĂ©, bordĂ© de fossĂ©s serpentait entre des bosquets de peupliers et des haies basses vibrantes du chant des oiseaux. C'Ă©tait une belle journĂ©e d'automne. Son corps se dĂ©tendait. Il respirait mieux. Il s'arrĂȘta un instant pour ramasser un grand bĂąton qui serait son soutien dans sa marche. Il marchait maintenant d'un bon rythme, guidĂ© par ses seuls pas. Le paysage changeait Ă  chaque instant Ici un caillou Ă  la forme originale, lĂ  un arbre curieusement taillĂ© en tĂȘtard, plus loin un espace enherbĂ©. Dans un coude que faisait le chemin, le vent avait amassĂ© des feuilles en tas. Il passa un bon moment Ă  respirer l'odeur subtil des feuilles fraichement tombĂ©es. Il en choisit quelques unes pour les observer Ă  loisir tout en continuant sa marche. Au fur et Ă  mesure que le soleil baissait sur l'horizon, ses premiĂšres impressions jubilatoires du dĂ©but de journĂ©e laissaient sourdre un sentiment diffus d'angoisse la fin du voyage Ă©tait proche. Les feuilles mordorĂ©es bien rĂ©elles des premiers arbres aperçus semblaient se brouiller Ă  sa vue. Il Ă©tait fatiguĂ©. Les troncs lisses et secs qu'il avait enlacĂ© de bonheur le matin mĂȘme, semblaient se distordre, mallĂ©ables sous ces doigts. Il s'appuya contre un tronc pour reprendre son souffle. Son sentiment de malaise grandit et se mĂȘla de crainte Oui, la sĂ©quence voyage » Ă©tait bel et bien terminĂ©e. Il se rĂ©veilla brutalement. La capsule dans laquelle il Ă©tait allongĂ©e s'ouvrit. Il retrouvait l'atmosphĂšre propre, filtrĂ©e mais artificielle de sa planĂšte. Oui tout Ă©tait artificielle ici, tout Ă©tait sous contrĂŽle. La nature n'existait plus, saccagĂ©e dans les moindres recoins par quelques siĂšcles de civilisation et de croissance ». L'humanitĂ© s'Ă©tait illustrĂ©e une fois de plus, dans la bĂȘtise comme dans sa capacitĂ© d'adaptation. Car la terre toute entiĂšre avait Ă©tĂ© soumise Ă  la folie des Hommes. Toute trace de vie autonome avait Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e d'abord par prĂ©dation malhabile des premiers humains, puis sur-consommation systĂ©matique d'une minoritĂ© d'entre eux et enfin incapacitĂ© collective Ă  mĂ©nager les ressources. Le dĂ©fi d'une famine s'Ă©tait profilĂ©. La rĂ©organisation des marchĂ©s agricoles avaient progressivement permit le remplacement des cultures Ă  sĂ©lection naturelle par des cultures gĂ©nĂ©tiquement maitrisĂ©es. Aurait-il pu en ĂȘtre autrement ? Des milliers de nouvelles de science-fiction dĂ©battaient encore du sujet sur internet. Finalement, la cohabitation avec les plantes sauvages s'Ă©tait avĂ©rĂ©e impossible Ă  gĂ©rer. Elles maintenaient un vivier de maladies intempestives, de ravageurs gloutons, qui finissaient par s'attaquer aux cultures contrĂŽlĂ©es. Devant l'avancĂ©e des sciences du vivant, on s'Ă©tait donc rĂ©solu Ă  dĂ©truire sciemment, mĂ©thodiquement, les restes de nature sauvage pour ne pas nuire aux cultures artificielles. Au nom de l’efficacitĂ©, toutes les cultures Ă©taient maintenant sous contrĂŽle. Beaucoup de gens n'Ă©tant plus en contact avec un quelconque environnement naturel souffraient de dĂ©pressions et d'un Ă©tiolement gĂ©nĂ©ral de la santĂ©. On avait dĂ©veloppĂ© les Safaris Nature », oĂč l'on promenait les clients dans les immenses serres climatisĂ©es installĂ©es sur d'anciennes terres agricoles. Puis des recherches jugĂ©es au dĂ©but futiles sur les jeux vidĂ©os, avaient permis la mise au point de capsules de rĂ©alitĂ© virtuelle. Elles Ă©taient installĂ©es en Ă©toile au bout de passerelles mĂ©talliques et reliĂ©es Ă  un ordinateur central. Une fois installĂ© Ă  l'intĂ©rieur et le cerveau directement reliĂ© Ă  l'ordinateur, le voyageur » se voyait proposer par l'ordinateur des sĂ©quences prĂ©-enregistrĂ©es de diffĂ©rents paysages naturels. La capsule permettait de piloter des interactions fortes entre l'imaginaire et le cortex de chaque personne. L'illusion Ă©tait parfaite. On pouvait alors voyager dans la nature, comme en vrai, complĂštement dĂ©connectĂ© pour un temps de la vie ordinaire. On pouvait enfin toucher des vĂ©gĂ©taux aux textures variĂ©s, sentir des odeurs de foin, de mousse, impossibles ailleurs. Aujourd'hui, tout le monde avait besoin de son voyage. Mais comme pour les Safari Nature », les places en capsule de rĂ©alitĂ© virtuelle, Ă©taient chĂšres. _ Il s'Ă©tait rĂ©veillĂ© un peu sonnĂ© par toutes les sensations de sa journĂ©e. DĂ©jĂ  il pensait Ă  son prochain voyage. Il hĂ©sitait entre une randonnĂ©e en ski de fond et une ballade Ă  vĂ©lo sur une ile de la cĂŽte Atlantique. Il avait lu dans un vieil illustrĂ© que c'Ă©tait si beau. Nouvelle 134 _ Le tĂ©lĂ©phone ne rĂ©pond plus Le tĂ©lĂ©phone sonne mais ça ne dĂ©croche pas. En cette fin de matinĂ©e de printemps 2010, Christian est assis Ă  une terrasse de cafĂ© dans le vieux OrlĂ©ans. Il n'arrive pas Ă  joindre Fabienne qui habite dans le quinziĂšme arrondissement de Paris. Sa mĂšre est presque centenaire, et elle en a vĂ©cu des Ă©preuves depuis la perte de son mari en 1945, fauchĂ© lĂąchement par une derniĂšre balle perdue avant le cessez-le-feu final – la faute Ă  pas de chance – avaient Ă©crit les autoritĂ©s militaires. Veuve et sans but prĂ©cis dans la vie, elle avait alors dĂ©cidĂ© d'accueillir dans son foyer un garçon de 7 ans fin de donner du piment Ă  son avenir et une famille Ă  ce jeune homme. Cet acte d'amour s'Ă©tait depuis lors transformĂ© en un lien fusionnel, une passerelle entre leurs deux vies antĂ©rieures. Il tape de nouveau le numĂ©ro de Fabienne, pas de rĂ©ponse 
 Christian, directeur financier, habite dans le Loiret depuis trois ans suite Ă  une mutation professionnelle exigĂ©e par sa banque, Ă  deux ans de la retraite. DĂ©sormais loin d'elle, il s'impose le rituel de prendre de ses nouvelles tous les matins et connaĂźt parfaitement son emploi du temps et ses habitudes. En bon fils, il lui rend visite dĂšs qu'il le peut. Par beau temps, ils se promĂšnent ensemble, chinent et dĂ©couvrent pour le plaisir des yeux de nouveaux musĂ©es et celui des papilles les restaurants de la capitale. StressĂ© de nature, il n'apprĂ©cie guĂšre les imprĂ©vus et petits contre temps du quotidien qui peuvent laisser s'immiscer le doute dans son esprit. Depuis ce matin 8h15, il tente de la joindre, en vain, avec son mobile dernier cri troquĂ© la veille Ă  un ami contre une vieille montre de marque. Il sait que sa mĂšre, malgrĂ© son Ăąge avancĂ©, est plutĂŽt du genre Ă  agir que subir ; il lui rĂ©pĂšte sans cesse de faire attention Ă  ses vieux os, ce qui lui vaut d'ĂȘtre traitĂ© en retour de rabat joie. Il compose mĂ©caniquement les dix chiffres, toujours pas la douce tonalitĂ© du timbre de voix de la femme de sa vie. S'il ne doit en rester qu'une, ce sera elle – se dit Christian, en commandant un second cafĂ© au serveur de La Chancellerie. Le soleil pointe son nez et Ă©blouit la terrasse, un instant de bonheur jubilatoire pour les badauds et les flĂąneurs anonymes de ce mercredi 19 mai qui lorgnent sur les places vides des terrasses de la Place Martroi. Il tripote son tĂ©lĂ©phone, le scrute, le tourne, le caresse et hĂ©site Ă  rappeler de nouveau, la sĂ©quence se rĂ©pĂšte comme un tic, cinq ou six fois. Cette femme qu'il vĂ©nĂšre est une sorte de hĂ©ros des temps anciens, son guide spirituel ; elle s'est investie dans de nombreuses missions humanitaires et a apportĂ© son soutien financier Ă  de grandes œuvres de charitĂ©. Christian s'emporte souvent quant elle Ă©voque encore son vif intĂ©rĂȘt pour certaines associations. Peut-ĂȘtre est-elle allĂ©e faire un tour dans l'une d'entre-elles – songe t-il. Mais Christian rejette vite cette idĂ©e, elle l'aurait forcĂ©ment prĂ©venu la veille. Fabienne est toujours une femme trĂšs indĂ©pendante du moins dans l'esprit mais aussi les combats qu'elle mena avec passion dont celui pour la libĂ©ration des femmes oĂč elle s'illustra particuliĂšrement avec le MLF dans les annĂ©es 60 ; elle n'apprĂ©cie guĂšre d'ailleurs que son fils se mĂȘle de ses affaires. Elle est trĂšs dĂ©vouĂ©e, la main sur le cœur, il le sait. Elle a toujours Ă©tĂ© prĂ©sente Ă  ses cĂŽtĂ©s, s'est portĂ©e Ă  son secours Ă  maintes reprises ; un soutien de tous les instants lors de la perte de sa femme et de sa fille unique dans un accident de voiture 17 ans auparavant, de retour d'un week-end Ă  Deauville. Il Ă©tait au volant sur l'autoroute de Normandie. Il tente un dernier appel sur son fixe. Toujours cette maudite voix du rĂ©pondeur. Peut-ĂȘtre est-elle dans l'escalier de l'immeuble cossu de la rue de la Convention, entraĂźnĂ©e par la concierge ou sa voisine de pallier, Madame de PimbĂȘche, dans une palabre dont elle seule a le secret. Ce n'est pas possible, il est 9h30, depuis tout ce temps elle serait dĂ©jĂ  rentrĂ©e et l'aurait appelĂ©e de suite. Christian Ă©voque toutes les possibilitĂ©s, elle aurait fait un malaise, une mauvaise chute ou un voleur serait entrĂ© dans son appartement et l'aurait violentĂ© pour lui aliĂ©ner tous ses biens. Non, son voisin du dessous, Monsieur Lecurieux aurait entendu du bruit et l‘aurait contactĂ©. A moins que ce soit son vieux compagnon de route, Monsieur Pinailleur, un ami de 40 ans, collectionneur d'objets qui ne servent Ă  rien, qui l'aurait emmenĂ© dans l'une de ses quĂȘtes du Graal dans le tout Paris des antiquaires. Ce n'est pas son genre Ă  Fabienne de se laisse influencer dans de tels pĂ©riples, elle a beau s'ĂȘtre adoucie avec la sagesse des annĂ©es, elle n'est pas si mallĂ©able que cela la mĂšre DurĂ©e. Christian paie ses deux expressos et file dans sa voiture immatriculĂ©e 45, il dĂ©cide de monter sur Paris, vĂ©rifier directement ce qui se passe, le tĂ©lĂ©phone sur le siĂšge avant droit, prĂȘt Ă  dĂ©gainer Ă  tout instant. Il est nerveux, trĂšs inquiet mĂȘme, il sent que ça cloche, il accĂ©lĂšre. 10h47 – ArrivĂ© au pas de la porte de sa mĂšre au 3Ăšme Ă©tage, il l'ouvre doucement avec son double de clĂ©. Rien n'a changĂ© ni bougĂ© depuis mardi dernier, c'est bizarre cette atmosphĂšre de vide dans ce quatre piĂšces, comme si tout Ă©tait en place mais avec un soupçon d'Ă©trangetĂ©. Dans l'entrĂ©e, il regarde attentivement autour de lui Ă  360 degrĂ©s, rien Ă  signaler, entre dans le salon, une vision le saisit et le fait stopper net Fabienne est assise dans son fauteuil velours noir, l'air sereine, les yeux fermĂ©s, la bouche lĂ©gĂšrement entrouverte avec un sourire en coin qui s'imagine. L'album photos de leurs premiĂšres annĂ©es est sur ses genoux, protĂ©gĂ© par une main lĂ©gĂšre et chaleureuse. Christian la contemple durant de longues minutes, toutes les images heureuses de leur vie dĂ©filent, avant d'apercevoir une enveloppe posĂ©e sur la table en merisier ; sĂ»rement ses derniers mots, apaisĂ©s et soulagĂ©s de toutes les mauvaises farces que son existence lui a infligĂ©es. Nouvelle 135 _ Une caisse un peu trop lourde Au contraire de beaucoup de personnes sur cette terre, je n'ai pas peur de mourir. J'ai juste peur d'arriver Ă  ma derniĂšre heure en n'ayant pas rayĂ© tous les points de la liste. Car rendons nous Ă  l'Ă©vidence, combien de personnes sur cette terre se sont Ă©teintes en ayant accompli tout ce qu'elles avaient prĂ©vu ? Pas beaucoup, je pense. Je sais que je ne suis personne pour Ă©mettre une telle thĂ©orie mais j'ai la certitude d'une chose la vie est trop courte pour se permettre de ne pas profiter de tout ce qui nous est donnĂ©. Le destin mĂȘle les cartes et nous jouons. J'ai dĂ©cidĂ© de me mettre Ă  jouer sĂ©rieusement le jour oĂč j'ai perdu la personne la plus importante de mon existence. _ C'est dans cet esprit que j'avais pris l'initiative de mener une bonne action par jour, pour ĂȘtre certaine d'avoir fait ma part du travail dans cet ensemble qu'est le monde. J'ai commencĂ© par de petites actions, comme aider dans le mĂ©nage, dĂ©crocher Ă  tous les appels de ma mĂšre sur mon mobile, faire le cafĂ© pour toute la famille, me concentrer sur les palabres des professeurs Je menais ce rituel tous les jours et je m'en sortais trĂšs bien depuis deux mois. Un dimanche matin, je me levai et je dĂ©cidai que ma bonne action de la journĂ©e serait la suivante Ranger le grenier. J'avais bien sĂ»r le soutien de ma mĂšre qui me donna toutes les indications nĂ©cessaires Ă  cet effet. AprĂšs deux heures de dur labeur, ayant triĂ©s tous les objets aliĂ©nĂ©s par mes ancĂȘtres, une petite caisse en bois qui semblait dĂ©laissĂ©e depuis longtemps attira mon attention. Je l'ouvris avec prĂ©caution et son contenu ne me frappa pas directement. Il y avait des photos sur lesquelles Ă©taient illustrĂ©s mes parents et un enfant dont le visage ne m'Ă©tait pas familier. Ce n'est qu'aprĂšs avoir lu un document stipulant que ceux qui m'ont donnĂ© la vie Ă©taient Ă©galement parents d'un certain Francis que je compris que cette boite n'Ă©tait pas n'importe quelle boite. Cette boite contenait un lourd secret. Celui qui affirmait que moi, Odile, 15 ans, j'avais un frĂšre. Qui Ă©tait-il ? Pourquoi n'Ă©tais-je pas au courant ? Pourquoi me l'avait-on cachĂ© ? Vivait-il encore ? Avait-il changĂ© de nom ? Pourquoi ne vivait-il plus ici avec nous ? Tant de questions et tant d'hypothĂšses mallĂ©ables se bousculaient dans mon esprit. La premiĂšre rĂ©action fut de vouloir les poser Ă  mes parents mais je savais pertinemment que s'ils m'avaient menti durant tant d'annĂ©es, rien ne les empĂȘchait de continuer. Je devais donc mener mon enquĂȘte seule. _ Je me serais crue au beau milieu d'une sĂ©quence de film. Je me retrouvais seule face Ă  cette immensitĂ©. Je pris tout ce que contenait cette boite photos, acte de naissance, La premiĂšre chose Ă  faire Ă©tait de tout analyser. _ Une semaine plus tard, je n'en Ă©tais pas beaucoup plus loin. Je savais juste qu'il s'appelait Francis, qu'il Ă©tait mon frĂšre, nĂ© en 1990, cinq ans avant moi et que toutes les traces s'arrĂȘtaient aprĂšs 1992. J'avais Ă©galement aperçu sur les photos que lui aussi, avait une tache de beautĂ© sur le pouce, comme tous les membres de notre famille. Je n'avais plus beaucoup d'espoir quand je dĂ©couvris une lettre glissĂ©e dans une partie de la boite que je n'avais pas remarquĂ©e. Je l'ouvris et j'appris, malgrĂ© les traces du temps qui avaient effacĂ© quelques mots, que ce Francis avait essayĂ© de renouer contact avec ma famille il y a sept ans d'ici. Il disait vivre en France, avec ses nouveaux » parents et venant d'avoir appris son adoption, il souhaitait connaitre ses parents biologiques. C'Ă©tait un indice de plus il ne vivait plus avec nous car mes parents l'avaient fait adopter Mais pour quelle raison ? Mes parents ont-ils rĂ©pondu ? Il y avait une adresse sur l'enveloppe accompagnant cette lettre. Peut-ĂȘtre pouvais-je, moi aussi, me servir la poste comme moyen de communication. Pourquoi ne pas troquer mon clavier contre un stylobille pour une fois ? _ Mes espoirs de rĂ©ponse Ă©taient minces Ă©tant donnĂ© l'incertitude face Ă  la rĂ©ception de cette lettre. En sept ans, beaucoup d'Ă©vĂšnements pouvaient avoir lieu. Chaque matin, je me ruais vers la boite aux lettres, le cœur battant avec une lueur d'espoir incontestable et chaque matin, je me faisais rattraper par la dĂ©ception. Rien, il n'y avait rien qui puisse me permettre de terminer ma bonne action commencĂ©e cinq semaines auparavant, celle de reconstituer le passĂ©. J'avais dĂ©laissĂ© mon idĂ©e journaliĂšre et je me concentrais sur une unique action qui me permettrait peut-ĂȘtre un jour d'affirmer avoir laissĂ© une trace dans ce monde. Ayant compris que je n'aurais aucune rĂ©ponse par voie postale, je me dis que je pourrais en parler Ă  mes parents. C'est ce que je fis et je dois avouer qu'il n'y avait rien de jubilatoire Ă  l'expression de leurs visages quand je leur fis part de mes exploits. J'eus une longue discussion avec ceux-ci aprĂšs laquelle je perdis tout espoir de reconstituer un jour la passerelle entre mon frĂšre fantĂŽme et moi. C'Ă©tait tout et je devais m'avouer que j'avais Ă©chouĂ©. L'espoir nous sert de guide tout au long de notre vie. Mais d'espoir je n'en avais plus. _ Un jour, environ un an par aprĂšs, je voulus reprendre mes bonnes actions journaliĂšres afin de peut-ĂȘtre avoir l'occasion de continuer ce que j'avais commencĂ©. Je me rappelais que je voulais faire face au destin et avec un peu de chance, j'avais la possibilitĂ© d'y arriver. Je me contenterais de faire une bonne action par jour et on verrait bien ce que l'avenir nous rĂ©serverait. La premiĂšre chose qui me vint Ă  l'esprit pour agir bien fut d'aller acheter le pain. Je discutai un peu du beau temps avec le nouvel apprenti boulanger, Franck, un garçon de vingt ans. J'achetai deux baguettes, je donnai un billet de cinq euros en voulant lui laisser un pourboire pour sa sympathie mais il insista pour me rendre la monnaie. Et c'est lĂ  que je la vis sur son pouce, cette tache de beautĂ© qui m'Ă©tait si familiĂšre. J'Ă©tais en face de celui que je n'avais plus espoir de rencontrer un jour. Nouvelle 136 _ Section W – Il te faudra beaucoup de temps pour comprendre l'absurditĂ© de cette situation. » Lorsque mon collĂšgue Pierre m'avait dit ces mots il y a quelques mois, alors que nous venions de prendre le cafĂ© dans le hall de notre entreprise, je l'avais d'abord regardĂ© fixement sans saisir leur signification. Qu'est-ce qui Ă©tait absurde ? D'avoir Ă  payer de ma poche pour travailler chez Gesime ? Rien de plus normal. Depuis cinq ans que j'occupais mon poste dans cette SociĂ©tĂ© de prestation, je ne m'Ă©tais jamais posĂ© la question de la rĂ©munĂ©ration il n'y avait pas de salaire, il n'y en a jamais eu. Et si chaque mois j'ai dĂ» verser une cotisation, garantissant le prolongement de mon contrat, je ne m'en suis jamais plaint. Je payais toujours en temps et en heure, parce que j'avais pu mettre de l'argent de cĂŽtĂ© une banque m'avait accordĂ© un prĂȘt avantageux. Et pour Ă©viter le cauchemar du chĂŽmage, tous les coups Ă©taient permis. _ J'avais soupçonnĂ© Pierre de travailler la nuit dans un bar pour financer sa place. N'ayant d'autre guide que son caractĂšre mallĂ©able, il arrivait le matin mal rasĂ©, le visage fatiguĂ©. Ce laisser-aller lui aura coĂ»tĂ© cher privĂ© de dĂ©jeuner pendant six mois, et sans recevoir aucun soutien de personne, on lui avait imposĂ© chaque matin un entraĂźnement intensif de musculation. C'Ă©tait aprĂšs tout la meilleure mĂ©thode pour redynamiser l'Ă©quipe. Rien n'Ă©tait jubilatoire comme se sentir mĂȘlĂ© Ă  un grand mouvement collectif. _ Le mois dernier j'avais pu obtenir un rendez-vous avec mon employeur Gilles Boichaux, pour lui montrer ma contribution Ă  l'extension de la Section W. Il Ă©tait tout Ă  fait normal de vanter sa place au sein d'une SociĂ©tĂ© si prestigieuse, et d'agir comme il le fallait pour se faire bien voir ; mais aussi nous n'avions pas le choix. Les heures supplĂ©mentaires Ă©taient logiquement obligatoires, correspondant Ă  la moitiĂ© du travail total de chaque salariĂ©. Ceux qui ne les respectaient pas prenaient des avertissements. Un systĂšme de sanctions Ă©tait mis en place au bout du troisiĂšme avertissement. Des instruments de torture auraient Ă©tĂ© disposĂ©s dans une salle de rĂ©union tout le monde en parlait, mais personne n'avait jamais pu recueillir Ă  ce propos de tĂ©moignage valable. Il Ă©tait inutile de perdre son temps en palabres nous n'avions que le temps de nous perdre, dans les sĂ©quences chaotiques d'une Loi implacable. _ C'Ă©tait aussi dans un continuel esprit de dĂ©lation que nous travaillions chez Gesime. Chaque employĂ© se devait de surveiller son voisin c'Ă©tait convenu explicitement avec la direction. Le matin au moment de pointer les heures, les salariĂ©s devaient remplir un formulaire concernant le travail des autres il s'agissait lĂ  de nommer les erreurs de ceux dont on voulait se dĂ©barrasser, pour cause de rivalitĂ© professionnelle – ce qui illustre les exigences d'une forte concurrence nationale. La quantitĂ© de preuves, vĂ©rifiĂ©es ou non, sur l'incompĂ©tence supposĂ©e de collĂšgues de travail, Ă©tait proportionnellement liĂ©e Ă  l'augmentation de responsabilitĂ©s au sein de Gesime cela donnait la possibilitĂ© de travailler plus que les autres en accĂ©dant Ă  un statut privilĂ©giĂ©, Ă  l'abri de toute mauvaise contrainte. _ La semaine derniĂšre j'ai rĂ©alisĂ© mon plus gros coup ayant repĂ©rĂ© un salariĂ© de la branche W32, dans le service Technique et Maintenance, qui s'est mis Ă  falsifier les chiffres du projet W. pour des raisons occultes sans doute afin de se dĂ©gager d'une grande masse de travail, j'ai eu l'autorisation de commanditer son meurtre. La Section W., sous mes instructions, s'en est dĂ©barrassĂ©e d'une maniĂšre discrĂšte, sans que le corps ne nous pose de rĂ©els problĂšmes. Mais une fuite a eu lieu le mobile de cette liquidation a Ă©tĂ© dĂ©couvert, et des services spĂ©ciaux ont trouvĂ© contre moi des preuves solides j'ai dĂ» faire une erreur quelque part, mais oĂč ?. A cette heure-ci, dans ma cellule de prison, et Ă  la veille de mon exĂ©cution sans appel depuis les dĂ©bordements terroristes de la fin du XXIĂšme siĂšcle, la peine de mort a Ă©tĂ© rĂ©tablie, je commence seulement de comprendre les mots de Pierre derriĂšre la couverture d'une entreprise respectable ne se cache-t-il pas une sombre organisation politique ? _ Aussi, l'essentiel n'Ă©tait-il pas de faire son travail le plus dignement possible, quitte Ă  troquer de soi une part de libertĂ© contre une part de reconnaissance ? Nul n'a compris comme moi l'inconscience dont font preuve ceux qui confondent Travail et Devoir – deux notions entre lesquelles il ne peut exister aucune passerelle. C'est volontairement que j'ai aliĂ©nĂ© ma libertĂ© lorsque des forces impĂ©rieuses, des forces sans nom sont en jeu, ne faut-il pas adopter un comportement inflexible, et se vouer corps et Ăąme Ă  la cause qui est la nĂŽtre ? Je le pense encore aujourd'hui, mĂȘme si cette question dans son ensemble ne se pose plus. Je suis maintenant prĂȘt Ă  entrer dans la nuit la plus noire, nuit vĂ©nitienne si l'on veut, peut-ĂȘtre Ă©clairĂ©e par quelques lueurs d'espoirs. Je ne regrette rien de ce que j'ai pu faire. Nouvelle 137 _ L'appel Yuriken le savait c'Ă©tait maintenant ou jamais. Troquant la chaleur du sol sous ses pieds nus contre ses mocassins beiges, le jeune indien se dirigea jusqu'Ă  la tente oĂč il devait ĂȘtre dĂ©clarĂ© apte Ă  suivre son chemin, apte Ă  devenir adulte, en quelques mots, apte Ă  rĂ©pondre Ă  l'Appel. Fermant les yeux, Yuriken respira profondĂ©ment. Franchir cette passerelle entre l'enfance et l'Ăąge adulte, il en avait rĂȘvĂ©. C'Ă©tait comme atteindre une Ă©toile longtemps dĂ©sirĂ©e. Ce qu'il ignorait, par contre, c'Ă©tait la nature de la tĂąche qui l'attendait. Devenir adulte n'est pas simple, n'est-ce pas ? Tout le monde en conviendra. Par consĂ©quent, il fallait d'abord qu'il fasse ses preuves et c'est avec dĂ©termination qu'il pĂ©nĂ©tra sous la tente, oĂč l'attendait le conseil des Sages. Mattari, Denki, Teran Ils Ă©taient tous lĂ , le dĂ©visageant sans vergogne, prĂȘts Ă  juger le moindre battement de ses cils, le plus petit tressautement de ses lĂšvres. Ils pouvaient toujours chercher, Yuriken ne faillirait pas, il en Ă©tait persuadĂ©. _ C'est pourquoi, mĂȘme la mention de ce qui l'attendait ne le fit pas sursauter. Dompter un troupeau de chevaux sauvages, c'Ă©tait Ă  la portĂ©e de n'importe qui ! MĂȘme l'enfant le plus maigrelet du village en Ă©tait capable ! Et ce, mĂȘme alors qu'il s'agissait du troupeau convoitĂ© par la tribu ennemie, mĂȘme lorsque celle-ci Ă©tait susceptible de vous cribler de flĂšches au moindre mouvement. Un jeu d'enfant ! Alors qu'il n'Ă©tait plus un enfant. Il allait le leur prouver ! Et son acte illustrerait son courage ! Oui, ce serait jubilatoire de voir la rage dĂ©former les traits de la tribu Ă  laquelle il chiperait le troupeau, juste sous leurs nez, chevauchant l'Ă©talon le plus sauvage et le plus indomptable qui soit. Et son nom entrerait alors dans la LĂ©gende. _ Trois jours. Il avait trois jours pour rĂ©ussir. C'est tout ce que les Anciens consentirent Ă  lui dire en le laissant seul face Ă  la plaine aride. Devant lui, le troupeau. DerriĂšre lui, la honte. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas se retourner pour vĂ©rifier qu'il Ă©tait seul, ç'aurait Ă©tĂ© digne d'un coyote recherchant la protection de sa mĂšre. Alors il se mit en marche, sans guide, conscient des risques tout autant qu'impatient d'y faire face. La seule pensĂ©e qui s'imposa Ă  son esprit, lorsqu'il ne fut plus qu'Ă  quelques pas de la harde rĂ©sida en celle-ci agir. RĂ©flĂ©chir semblait hors de propos. Est-ce qu'elle avait rĂ©flĂ©chit, elle, avant de se jeter sur l'Ă©talon, juste sous son nez Ă  lui ? Apparemment non ! Et Yuriken n'eut que le temps de se catapulter en arriĂšre pour ne pas se faire piĂ©tiner par les sabots du troupeau tout entier qui, Ă  la poursuite de son chef, s'Ă©loignait dĂ©jĂ  au grand galop. _ Une enfant. C'Ă©tait une enfant qu'il avait sous les yeux ! Un Ă  deux ans plus jeune que lui autant dire qu'elle n'Ă©tait qu'une petite fille ! Et c'est cette gamine que la tribu rivale avait envoyĂ© rĂ©pondre Ă  l'Appel ? Le mĂȘme Appel que le sien ? DĂ©cidemment, ils Ă©taient fous ! Des aliĂ©nĂ©s ! Des forcenĂ©s ! Il n'y avait qu'Ă  voir la maniĂšre dont elle avait lamentablement Ă©chouĂ© et roulĂ© dans la poussiĂšre pour s'en rendre compte. _ – Cesse de me regarder et aide-moi ! _ Une enfant autoritaire qui plus est. Pourtant, une fois sur pieds et non plus Ă©talĂ©e par terre, Yuriken fut bien forcĂ© d'admettre qu'elle Ă©tait jolie. Oui, une jolie enfant. Mais une enfant tout de mĂȘme ! Et une enfant n'avait rien Ă  faire lĂ  ! Mais le jeune indien eut beau tempĂȘter, charmer ou ordonner, Lamia, puisque tel Ă©tait son nom, ne voulut rien entendre. Elle lui reprocha mĂȘme de se perdre en vaines palabres alors qu'ils avaient tous deux bien mieux Ă  faire ! _ Et c'est ainsi que dĂ©buta leur Ă©trange collaboration. MĂȘlant les savoirs de l'un aux idĂ©es de l'autre, ils convinrent qu'il leur fallait toujours rester mobiles et alertes s'ils voulaient rĂ©ussir Ă  quelque chose. Et qu'il leur fallait agir. Ensemble. Il est curieux que deux personnalitĂ©s aussi opposĂ©es aient pu rĂ©ussir Ă  s'entendre. Et pourtant. Se relayant durant deux jours, ils remarquĂšrent tous deux que la mĂȘme sĂ©quence se reproduisait chaque soir l'Ă©talon s'Ă©loignait, explorant les alentours pour Ă©carter tout danger. Il se trouvait alors seul et, comme chacun le sait quiconque est seul est, de fait, plus vulnĂ©rable. _ Le soir suivant, ils le suivirent donc, admirant discrĂštement les reflets que le soleil couchant faisait miroiter sur la robe couleur cafĂ© du bel Ă©talon, la parant de chatoiements dorĂ©s captivants. Le bruit des sabots claquant sur le sol, la duretĂ© apparente des muscles jouant sous les poils soyeux, la fiertĂ© qui se dĂ©gageait de l'animal conscient de protĂ©ger sa famille Non. Aucun des deux indiens n'Ă©taient capable de briser toutes ces qualitĂ©s. Peut-ĂȘtre n'Ă©taient-ils encore que deux enfants aprĂšs tout Deux enfants conscients qu'ils auraient besoin du soutien l'un de l'autre pour survivre Ă  l'humiliation de rentrer sans la harde promise. Deux enfants prĂȘts Ă  tout pour sauver l'innocence et la libertĂ© d'un animal qui les avait vaincu, sans rien accomplir d'autre qu'en leur prouvant son amour des siens. _ Ils avaient donc fait fuir le troupeau. Et lorsque, le soir suivant, les deux tribus s'Ă©taient approchĂ©es pour les fĂ©liciter, ils n'avaient trouvĂ© sur place que deux enfants muets, incapables de dire ce qui les avait poussĂ© Ă  Ă©chouer. Dans leurs yeux brillaient pourtant la flamme d'un devoir accompli. _ Vous le savez n'est-ce pas ? Les adultes sont mallĂ©ables Et la seule vue du sourire d'un enfant fier d'une action qu'il sait juste suffit souvent Ă  endiguer les reproches. D'autant plus lorsqu'ils sont deux. D'autant plus lorsque ces deux enfants ont rĂ©ussit leur Appel bien plus brillamment qu'aucun autre avant eux. _ Parvenir Ă  rĂ©unir deux peuples ennemis tout en prĂ©servant la libertĂ© d'une vie Ă©tait bien digne d‘un adulte. Oui, aprĂšs tout, y avait-t-il plus belle façon de grandir ? Nouvelle 138 _ Les mille et une nuits d'un Afghan J'ai Ă©tĂ© trimballĂ© comme un paquet, troquĂ© contre de l'argent, persĂ©cutĂ©, poursuivi. J'ai traversĂ© l'Asie Centrale, empruntĂ© la route de la soie sans en voir les trĂ©sors. Mon errance Ă©tait obscure, mĂȘlĂ©e d'espoir et de dĂ©couragement au grĂ© des rencontres et des kilomĂštres parcourus. _ Maintenant je suis en France. J'ai demandĂ© l'asile politique au pays des droits de l'Homme. J'ai souhaitĂ© l'utopie, j'ai cru qu'une autre vie paisible, dĂ©nuĂ©e de violence et bercĂ©e d'illusions, se profilait avec en toile de fond la tour Eiffel. _ Personne ne veut croire Ă  mon histoire pourtant. Les entretiens avec les policiers furent vains et pĂ©nibles, palabres interminables dans lesquelles je fais face Ă  des individus pour qui je ne suis personne, on m'a ĂŽtĂ© d'un seul coup de baguette identitĂ© et souvenirs on nuance mes propos, on fait des grands drames de ma vie des sornettes d'adolescent capricieux, comme s'ils Ă©taient mallĂ©ables. Je n'avais pas faim avant, je n'avais mĂȘme pas soif d'argent. Je suis venu chercher une libertĂ©, un soutien qui aujourd'hui semble me donner le seul droit de raconter des histoires, toujours les mĂȘmes, comme s'il s'agissait d'un conte des mille et une nuits, avant d'ĂȘtre expulsĂ© Ă  nouveau vers ce qui fut un enfer. Je suis SchĂ©hĂ©razade au pays du vin rouge. Un pachtoune mangeur de grenouilles ? Maintenant j'ai faim et ce que je conte n'a pas d'Ă©cho dans l'oreille de ceux qui m'Ă©coutent. Je mendie du cafĂ© et des sourires dans les centres sociaux, en compagnie d'une cinquantaine d'autres afghans nous sommes venus en Ă©claireurs, nos Ă©pouses nous rejoindront ensuite. Les seules femmes isolĂ©es qui sont prĂ©sentes avec nous ont perdu leur guide, leur mari, une famille. _ J'Ă©tais avocat et je me retrouve aujourd'hui de l'autre cĂŽtĂ© du barreau, Ă  dĂ©fendre une cause qui cette fois est la mienne, je jongle avec la loi et seule triomphe ma maladresse dans un théùtre dont je ne connais ni les usages ni les metteurs en scĂšne, dans lequel j'ai peine Ă  comprendre la langue du public. _ Quand on m'a refusĂ© le droit d'asile j'ai fait appel bien sĂ»r. J'Ă©tais logĂ© dans un foyer oĂč des bĂ©nĂ©voles accompagnaient les rĂ©fugiĂ©s discussions autour d'un thĂ©, d'un petit-dĂ©jeuner, je pouvais raconter mon parcours et tenter de l'illustrer avec des mots qui rĂ©sonnaient dans les mœurs des français. Ensemble, au cœur de sĂ©ances d'aide au rĂ©cit, nous avons pu reformuler en une suite de sĂ©quences les bribes d'un passĂ© que je voulais oublier et qui pourtant constituait une passerelle fragile vers une vie meilleure. Je n'avais plus que ça des lĂ©gendes Ă  raconter pour essayer de sauver ma peau. EnivrĂ© par mes propres rĂ©miniscences, aliĂ©nĂ© par les souffrances qu'elles provoquaient, j'Ă©tais bouffĂ© par l'attente. L'administration donne une seconde chance Ă  ceux dont l'histoire est singuliĂšre, unique. Prouver que ma vie est unique Combien sommes-nous dans ce cas-lĂ , Ă©chouĂ©s du conflit qui ravage l'Afghanistan ? _ Etre mobile, apprendre le français, braver l'administration, lutter pour survivre sont des choses sur lesquelles on peut agir. Mais comment rendre mes souvenirs plus attractifs Ă  la libertĂ© ? Qui peut dire si j'ai le droit de sĂ©journer ici pour rester en vie ? _ Le juge des libertĂ©s et de la dĂ©tention dĂ©cide si, aprĂšs un sĂ©jour en centre de rĂ©tention administratif situĂ© prĂšs de Roissy, je vais pouvoir rester ici, isolĂ© de tout mais libre, ou si je vais retourner dans un pays qui ne veut plus de moi pour de sombres raisons politiques, idĂ©ologiques IdĂ©ologie ?! Des Ăąmes perdues vagabondent dans un pays Ă©tranger Ă  la recherche d'une seconde chance, qui si elle survient, sera aussi jubilatoire qu'injuste pour les Ăąmes restĂ©es en peine. On me dit que mon rĂ©cit me donnera un titre de sĂ©jour. Mais comment le raconter ? _ Je possĂšde dĂ©sormais une autorisation provisoire en attendant que mon recours soit traitĂ©. Les centres d'hĂ©bergement sont saturĂ©s et la neige tombe Ă  gros flocons sur Paris. Je vis dehors, toujours dans le mĂȘme quartier prĂšs de la gare de l'Est, de peur de ne plus savoir me repĂ©rer dans cette errance. Alors que les jours s'amenuisent, la lumiĂšre n'est plus qu'un interstice entre deux nuits angoissantes auxquelles s'ajoute un souffle glacial l'hiver. J'ai fui la peur de mourir pour une guerre mais la peur m'a pourchassĂ© comme un soldat et grandit doucement en moi avec la tombĂ©e du jour, s'ajuste Ă  mes tremblements pour ne plus me quitter jusqu'au petit matin. La guerre s'est transformĂ©e en une lutte personnelle pour ne pas succomber au froid. J'ai changĂ© de pays sans me dĂ©barrasser de la crainte insoutenable de mourir. _ C'est en m'Ă©garant dans ce sombre dĂ©sespoir que c'est arrivĂ©. J'ai commencĂ© Ă  chercher Ă  tout prix un moyen d'Ă©chapper pour la deuxiĂšme fois Ă  la mort, persuadĂ© qu'elle viendrait avec les premiĂšres lueurs du jour suivant. Pour me sauver du froid, il me fallait trouver un refuge en attendant que la dĂ©cision soit prise quant Ă  ma demande de sĂ©jour. Les foyers Ă©taient bondĂ©s et je pensais alors aux alternatives la prison, l'hĂŽpital, ou le centre de rĂ©tention. Ce dernier Ă©tait bien trop proche des avions en partance pour Kaboul pour que je me risque Ă  y entrer de mon plein grĂ©, la prison trop dangereuse je ne pouvais me rĂ©soudre Ă  me faire du tort. Je dĂ©cidai donc de demander Ă  quelqu'un d'autre de m'en faire, ce qui en plus de susciter la pitiĂ© des personnes en charge de mon dossier peut-ĂȘtre, me vaudrait un sĂ©jour de quelques jours dans une chambre d'hĂŽpital. Je demandai alors Ă  un rĂ©fugiĂ© haĂŻtien de me battre, ce qu'il prit comme une aubaine de dĂ©charger sur moi sa haine et son chagrin. Il me brisa trois cĂŽtes et me broya le poignet j'Ă©chappai ainsi Ă  la mort et m'accordai un sursis jusqu'Ă  la prochaine fois qu'elle viendrait me hanter. Nouvelle 139 _ pARTaCHUTE GrĂące Ă  l'interaction entre l'œuvre et les visiteurs, l'artiste a voulu dĂ©montrer dans cette installation le caractĂšre mallĂ©able de tout corps soumis Ă  une chute libre. Nous sommes rĂ©ellement ici au cœur d'un art vivant ». Les mots Ă©taient clairs et distincts, prononcĂ©s sur un ton jubilatoire. _ Elle avait rĂ©pondu Ă  un appel lancĂ© sur le site internet de sa commune Guide-confĂ©rencier cherche groupe d'une quinzaine de personnes pour tester un nouveau circuit dans le musĂ©e. S'adresser au service culturel de la mairie pour plus d'informations ». PassionnĂ©e depuis toujours par l'histoire de l'art, et notamment par l'art contemporain, grande consommatrice d'expositions et d'Ă©vĂ©nements culturels, elle avait immĂ©diatement rĂ©pondu. Le musĂ©e, elle le connaissait presque par cœur, elle l'avait visitĂ© Ă  de trĂšs nombreuses reprises et ne manquait jamais une exposition. Elle Ă©tait donc bien curieuse de voir quelle nouvelle approche ce guide pouvait en avoir. _ Le rendez-vous avait Ă©tĂ© fixĂ© ce samedi Ă  15h devant le cafĂ© du musĂ©e. Impatiente, elle Ă©tait arrivĂ©e la premiĂšre, une vingtaine de minutes en avance. Le guide avait suivi de peu, et ils avaient pu ainsi discuter Ă  loisir en attendant le reste du groupe. Enfin, il avait essentiellement parlĂ© de lui, s'engageant dans un monologue qu'il avait dĂ©jĂ  dĂ» Ă©prouver ailleurs. Il s'Ă©tait installĂ© rĂ©cemment sur la commune et connaissait encore mal la rĂ©gion, mais Ă©tait dĂ©jĂ  venu Ă  plusieurs reprises dans ce musĂ©e dont il apprĂ©ciait l'aspect Ă©clectique des collections. Son itinĂ©raire personnel Ă©tait un peu atypique puisqu'il avait troquĂ© son ancienne vie de boucher-charcutier – il avait dĂ» reprendre Ă  contrecœur la boutique de son pĂšre jusqu'au dĂ©cĂšs de ce dernier – contre sa passion pour les œuvres d'art. Le mĂ©tier de guide Ă©tait en effet une vĂ©ritable vocation. Il lisait Ă©normĂ©ment sur le sujet, et s'enflammait dĂšs qu'il commençait Ă  parler peintures, sculptures ou art contemporain ; il pouvait monopoliser la parole pendant des heures si quelqu'un le lançait sur le sujet. En rĂ©alitĂ©, derriĂšre cette passion dĂ©vorante se cachait surtout une forte curiositĂ© pour les petites histoires propres Ă  chaque œuvre. Il Ă©tait intarissable sur leur rĂ©alisation et sur ce qui Ă©tait en jeu en chacune d'elles les secrets de l'artiste, des amours interdites dĂ©voilĂ©es par des dĂ©tails apparemment insignifiants, un ego souvent surdimensionnĂ© dont on pouvait repĂ©rer quelques signes
 En proposant un nouveau circuit dans le musĂ©e, il souhaitait donc faire dĂ©couvrir Ă  ses auditeurs une nouvelle approche des collections, leur offrir un autre regard. Il avait reçu le soutien du conservateur pour cette premiĂšre insolite et ensemble ils avaient conçu le circuit de la visite. _ Quand le groupe fut enfin au complet – quelques personnes ĂągĂ©es, une famille avec trois enfants, deux couples et quelques cĂ©libataires comme elle, pour l'essentiel des habituĂ©s du musĂ©e – le guide dĂ©marra la visite. AprĂšs une courte d'introduction oĂč il se prĂ©senta – elle eut l'impression d'avoir appuyĂ© sur une touche repeat » virtuelle –, il se dirigea d'un pas assurĂ© vers le tableau d'un maĂźtre italien du XVIIIe siĂšcle, et commença Ă  raconter par le menu dĂ©tail les enjeux de la rĂ©alisation d'une telle œuvre, illustrant ses propos de multiples anecdotes, sur un ton enflammĂ© ; le cadre Ă©tait plantĂ©. Salle aprĂšs salle, œuvre aprĂšs œuvre, il agissait de la mĂȘme maniĂšre, mĂȘlant dĂ©tails techniques, historiques, et bien Ă©videmment vie privĂ©e et potins
 _ ArrivĂ©s devant un mobile – l'un des chefs-d'œuvre du musĂ©e – dans la salle dĂ©diĂ©e Ă  l'art contemporain, il raconta comment ce type d'objet Ă©tait trĂšs souvent utilisĂ© dans les asiles pour aliĂ©nĂ©s pour calmer des crises de personnalitĂ© trop fortes, et comment lui-mĂȘme avait ainsi su se maĂźtriser dans des situations dĂ©licates. Une courte sĂ©quence vidĂ©o prĂ©sentĂ©e Ă  l'opposĂ© de la salle donnait un aperçu de ce Ă  quoi pouvait ressembler un tel atelier en hĂŽpital psychiatrique. _ Elle Ă©tait captivĂ©e, fascinĂ©e par ce qu'elle entendait. Jamais plus elle ne regarderait les œuvres de la mĂȘme façon. Elle qui avait appris l'histoire de l'art de maniĂšre trĂšs acadĂ©mique, selon des Ă©coles et des dates, venait d'entrouvrir la porte d'une histoire vivante, dĂ©voilant l'intimitĂ© des œuvres et des artistes. ObnubilĂ©e par les palabres du guide, presque hypnotisĂ©e par tout ce qu'elle entendait, elle ne vit pas la passerelle derriĂšre elle et recula droit dans le vide. Avant de s'Ă©craser sur le sol dix mĂštres plus bas, elle eut le temps d'entendre le guide vanter, d'un ton jubilatoire, les performances des artistes contemporains, et notamment de ce dernier dont le musĂ©e venait d'acquĂ©rir l'installation et qui permettait, grĂące Ă  l'implication de quelques visiteurs passionnĂ©s, d'apprĂ©cier en direct le caractĂšre mallĂ©able des corps soumis Ă  une chute. A sa maniĂšre, et grĂące Ă  son guide, elle venait de rentrer dans l'histoire de l'art. Nouvelle 140 _ La terreur de l'ennui Il s'assit Ă  la terrasse d'un cafĂ©. En avance. Il avait horreur de ça. Il fallait attendre. Il commanda une biĂšre. N'ayant mĂȘme pas un bouquin avec lui, il se mit Ă  Ă©plucher les palabres servies par les clients stupides qui l'entouraient. HĂ© dis, t'as vu la sĂ©quence oĂč il la surprend sur la passerelle ? » ; Ouais, ouais, trop bonne. Et on voit trop ses gros seins qui bougent
 Je la kiffe grave. » ; J'en reviens pas
 comment veux-tu que je te rĂ©ponde alors que j'ai pas vu ton appel ?! Non, je te dis que j'avais pas mon mobile ! 
 Ah ça, t'es d'un grand soutien, tu parles ! C'est vraiment bien d'ĂȘtre ensemble si c'est pour se retrouver seul chaque fois que j'ai besoin de toi
 » _ Banal, dĂ©primant. Il exĂ©crait ces lieux oĂč venait se cĂŽtoyer la lie de l'humanitĂ©. Il prĂ©fĂ©rait encore frĂ©quenter les PMU. Ça parle jeux, ça parle chevaux, ça ne parle pas du quotidien aliĂ©nant et surfait. Et il y a un aspect assez jubilatoire Ă  voir les joueurs gagner, puis perdre, et perdre encore. Les flammes dans leurs yeux dĂ©faits, leurs visages marquĂ©s par le stress, comme s'ils mettaient leur vie dans la balance. Ce qu'ils font presque toujours, aliĂ©nĂ©s par leur passion. S'en remettre au sort
 ce qu'il allait faire. _ – Salut ! _ – Ah, salut. _ – Dis-donc, incroyable que tu sois lĂ  Ă  l'heure , ! _ – M'en parle pas, je supporte pas. _ – Bon, t'es prĂȘt ? _ – Ouais, plus que jamais. _ – Bon, c'est moi qui te guide alors ? _ – Ouais, tu seras ma guide
 enfin, au dĂ©but. _ – Ne va pas commencer à
 _ – HĂ© ! DĂ©tends-toi, je plaisante. _ – Mouais, je prĂ©fĂšre. Bon, on y va alors ? _ – Attends deux secondes que je finisse mon verre quand mĂȘme. _ – Ça marche. _ Il finit son verre d'un trait, et remit son manteau prestement. Ils se mirent en route, tournĂšrent Ă  trois ou quatre reprises pour se retrouver devant un grand immeuble de style victorien. De couleur sombre, le lieu paraissait lugubre, surtout par ce temps pluvieux de novembre. Il frissonna. _ – Aller, il est temps d'agir. Tu me laisses entrer et faire les prĂ©sentations. Ensuite je te ferais la visite et on se mĂȘlera Ă  l'assemblĂ©e. Ça te va ? _ – C'est toi la chef, je te suis. _ – J'aime quand tu es mallĂ©able comme cela. _ – N'en fais pas trop non plus. _ L'ascenseur Ă©tait Ă©videmment en panne et ils durent gravir les quatre Ă©tages qui les sĂ©paraient de leur destination. Plus il s'avançait, et moins son pas Ă©tait assurĂ©. Qu'est-ce qu'il lui avait pris d'accepter ? Mais au fond il le savait. Il avait besoin de vie, d'intensitĂ© dans ce monde d'habitudes oĂč plus rien ne le faisait bander. BlasĂ©. Trente-et-un balais et blasĂ©. Il avait besoin de goĂ»ter Ă  autre chose. N'empĂȘche, avait-il besoin de se livrer Ă  ça ? Il n'alla pas plus loin dans ses rĂ©flexions quatriĂšme Ă©tage. Son cœur s'emballa un peu plus. _ Un homme d'une cinquantaine d'annĂ©es leur ouvrit. C'est vrai qu'il Ă©tait dans la haute, les majordomes existaient donc toujours. Il les dĂ©fit de leurs lourds manteaux et les invita Ă  s'avancer dans une piĂšce uniquement Ă©clairĂ©e par trois imposants chandeliers. Ils projetaient des ombres sur d'immenses tableaux de maĂźtre qui tenaient plus du Munsch que du Picasso. Tout cela avait un parfum de mauvais film d'horreur. Il se laissait complĂštement absorber par les Ă©vĂšnements. Ils traversĂšrent la piĂšce dĂ©serte, pour arriver dans une autre oĂč l'Ă©clairage Ă©tait cette fois d'une incroyable violence. Des bruits de voix s'Ă©levaient, ainsi que d'autres, plus tĂ©nus, comme des gĂ©missements contenus. _ Quand ils pĂ©nĂ©trĂšrent enfin, il aurait voulu troquer sa place contre n'importe quelle autre, simplement pour ĂȘtre ailleurs. Il lui sembla qu'on lui parlait, mais il n'entendait plus. Trop
 absorbĂ©, trop choquĂ© par l'image. Les images. Il y Ă©tait. Devant ce qu'il ne croyait exister que dans les fantasmes pervers d'un cinglĂ©. Franchir ou s'enfuir ? _ Devant lui s'illustraient trois hommes et une femme. Grands, forts. Bien trop grands, bien trop forts pour les petits ĂȘtres attachĂ©s, bĂąillonnĂ©s, qui tentaient de se dĂ©battre pour Ă©chapper Ă  leur condition. Comment avait-il pu ? Il jeta un regard Ă  la femme qui l'accompagnait. Cette femme qui avait tout fait basculer. Cette femme, d'une beautĂ© souveraine lui apparaissait soudain comme la crĂ©ature la plus abjecte qu'il avait pu rencontrer. La main de la femme alla Ă  son bouton de pantalon, puis sa braguette. Il ne savait plus bouger, ne savait plus parler. Puis, nu, il s'avança Ă  son tour
 Nouvelle 141 _ Les arbres ne font rien d'autre que vivre et mourir Un appel en absence. Je sors petit Ă  petit de mon sommeil et fixe l'Ă©cran de mon tĂ©lĂ©phone en attendant que mes yeux se rĂ©veillent Ă  leur tour. C'est Ashantee qui a voulu me joindre, Ă  4h29. VoilĂ  qui illustre bien comme elle a changĂ©. Il y a deux ans je lui offrais sa premiĂšre cuite et ses premiers joints. Peut-ĂȘtre un peu trop jeune Ă  l'Ă©poque, l'esprit bien mallĂ©able, elle m'a suivi sur toute la ligne, dans toute ma connerie. Aujourd'hui elle est totalement dĂ©foncĂ©e toutes les nuits, quand je dors pour rĂ©ussir Ă  me lever au matin et gagner honnĂȘtement ma vie la journĂ©e. Ça fait maintenant un an que nous ne sommes plus ensemble. _ Le cafĂ© coule dans mon verre, goutte Ă  goutte, il me laisse le temps. Assis Ă  regarder la neige qui tombe Ă  la fenĂȘtre, je me repasse en boucle la derniĂšre sĂ©quence de mon rĂȘve interrompu par le rĂ©veil, toujours le mĂȘme – le rĂȘve, et puis aussi le rĂ©veil d'ailleurs, toujours triste et difficile. Finie l'Ă©poque des rĂ©veils jubilatoires oĂč le bonheur m'attendait sur la petite table basse Ă  deux pas de mon lit. Toutes les drogues du monde s'y relayaient et, dĂšs le matin, un vide exaltant emplissait mes journĂ©es. Fini tout ça, j'ai troquĂ© cette vie dĂ©pravĂ©e contre celle que j'ai maintenant, sans intĂ©rĂȘt, un vide qui ne remplit rien. Alors je me permets tout de mĂȘme une petite larme de cognac dans mon cafĂ©, pour me donner du courage, et puis je poursuis mon rĂȘve Ă©veillĂ© tout en me brĂ»lant la langue Ă  la premiĂšre gorgĂ©e. _ Il y a cette fille – mais qu'est-ce qu'elle Ă©tait belle ! – qui m'Ă©coute. Je m'empĂȘtre comme d'habitude Ă  propos d'un sujet futile, des palabres que j'essaye d'ordinaire de mener silencieusement lĂ -haut dans ma tĂȘte, avec moi-mĂȘme. Je lui Ă©tale la lutte du bien contre le mal, de l'ĂȘtre sain contre le grand malade. Je m'arrĂȘte de temps Ă  autre pour reprendre mon souffle et tirer sur mon joint avant qu'il ne s'Ă©teigne. Mon briquet est mort. Un petit briquet rouge ornĂ© de spirales jaunes et vertes qui a Ă©tĂ© lancĂ© par terre. Le petit ange et le petit dĂ©mon s'entendent parfois trĂšs bien chez moi – c'est ce que j'essaye d'expliquer Ă  cette fille – je crois pourtant que malgrĂ© la volontĂ© de l'ange, la force du mal est parfois invincible. Il me faut juste un soutien pour m'en sortir. Pas un soutien comme Ashantee, elle qui plonge inconsciemment dans tous les vices, mais un soutien comme elle – qu'est-ce qu'elle Ă©tait belle
 Je croyais que le courant passait bien entre nous mais, quand je relĂšve la tĂȘte, je vois ses yeux humides et ses mains tremblantes. Quelqu'un rentre alors dans la piĂšce et crie mon nom. _ Je fais partie de ces gens qui peuvent rĂȘver Ă  toute heure. MĂȘme si mon corps agit, mon esprit peut ĂȘtre trĂšs loin, sĂ»rement trop. Je rĂ©alise soudain que mon chef s'adresse Ă  moi, il semble sĂ©rieusement remontĂ©. Yann ! Mets ton cerveau en marche, bordel ! Qu'est-ce que tu as foutu du bidon d'essence ?! » Je n'en sais rien, j'ai dĂ» l'oublier. Il n'est pas vraiment convaincu par ma rĂ©ponse et m'ordonne de retourner le chercher Ă  l'entrepĂŽt. Mon boulot, c'est l'Ă©lagage. Tous les jours on s'attaque aux arbres Ă  la tronçonneuse. On dĂ©truit ce qui est malade ou inutile. Aider les blessĂ©s Ă  cicatriser plus vite, lutter contre le pourrissement
 A dĂ©faut de savoir aider les gens, j'avais tentĂ©, et rĂ©ussit on ne sait trop comment, Ă  me faire embaucher pour aider les arbres. Ça m'aide Ă  oublier, ça m'aide Ă  vivre. _ Mais il y a des jours oĂč l'on n'a plus de volontĂ©. Aujourd'hui en est un. Je regarde les postillons voler de la bouche de mon patron qui s'Ă©gosille Ă  me demander pourquoi je me comporte ainsi. Je n'Ă©coute pas, je me demande juste comment on peut vivre avec une telle moustache. M'imaginer cette sensation d'avoir en permanence des poils qui se coincent entre les lĂšvres me dĂ©goĂ»te. Apparemment je dois dĂ©cider quelque chose, alors je repose ma tronçonneuse vide de carburant dans le camion, lui dit de ne pas se mĂȘler de ce qui ne le regarde pas, puis lance un dernier au revoir » et commence Ă  m'Ă©loigner. Ça lui l'a coupĂ© sec Ă  cette enflure. Je ne me retourne pas. Aujourd'hui est un mauvais jour. Je ne peux rien faire pour les arbres, ni pour moi ni pour personne. _ Je me dirige vers la riviĂšre et m'arrĂȘte au beau milieu d'une passerelle. AccoudĂ© Ă  la barriĂšre, je regarde s'Ă©couler tout le malheur du monde dans cette eau grisĂątre oĂč flottent les sacs plastiques et quelques cannettes. Une pĂ©niche Ă  touriste passe sous mes pieds. Au micro, le guide leur explique l'histoire du bĂątiment de la mairie qui vieillit sur la rive. Il y a des jours oĂč j'aimerais que quelqu'un choisisse pour moi ce qu'il faut regarder, ce qu'il faut faire. Au moins je ne me perdrais pas, et je ne perdrais pas les autres. Cette pauvre fille que mon influence a complĂštement aliĂ©nĂ©e
 Je me dĂ©cide Ă  la rappeler sur son mobile, Ashantee, et aussitĂŽt, alors que j'attends qu'elle dĂ©croche, je retombe dans ma rĂȘverie. _ Ashantee crie mon nom, et puis autre chose. Je me retourne et reprend conscience que derriĂšre moi il y a ce gars allongĂ©, et tout ce sang. Pourquoi a-t-elle fait ça dĂ©jĂ  ? Et cette fille si belle Ă  qui je parlais
 Elle Ă©clate en sanglots. Elle aussi a bien entendu ce que disait Ashantee, elle a Ă©tĂ© le seul tĂ©moin de ce sinistre accident. Je m'en remets plein le nez pour avoir le courage, je prends l'opinel que me tend Ashantee, et puis plus rien. Juste des pleurs. _ J'en peux plus !, viens me voir
, s'il te plaĂźt
 » Mauvaise idĂ©e. Je laisse tomber mon tĂ©lĂ©phone dans la riviĂšre et regarde lĂ -bas la pĂ©niche qui s'Ă©loigne lentement, insouciante. J'espĂšre que mon patron voudra bien de moi pour aider les arbres demain. Nouvelle 142 _ La globalisation Une mouvance politique se prĂ©senta sous la forme d'un mouvement Ă©conomique dynamique. Son chef se fit appeler le Guide. Il prit ascendance sur des politiciens soit fleurs bleues ou incapables, souvent engluĂ©s dans leurs lobbies et leurs promesses Ă©lectorales impossibles Ă  tenir ; cette Ă©quipe destitua ses adversaires intĂšgres. _ Pour asseoir son pouvoir, le Guide lança un appel _ – Agissons ensemble ! _ Il se garda bien de taire ses vĂ©ritables mobiles. _ Beaucoup crurent que le Guide leur offrait une passerelle vers la cĂ©lĂ©britĂ©. Ils donnĂšrent suite aux promesses illusoires du potentat, l'assurĂšrent de leur soutien. Mais ils virent trop tard que le Guide n'avait eu besoin de leur collaboration que pour arriver au pouvoir. AprĂšs de nombreux palabres, ils durent se rendre Ă  l'Ă©vidence ils avaient Ă©tĂ© abusĂ©s. Leurs libertĂ©s politiques aliĂ©nĂ©es, ils ne reprĂ©sentaient qu'une masse mallĂ©able et corvĂ©able Ă  souhait. _ Pour le Guide, cette nomination fut une victoire jubilatoire. _ EcrasĂ©e d'impĂŽts, la population se trouva au bord de la famine. Le pays s'approcha dangereusement de la ruine. _ Des voix s'Ă©levĂšrent. _ – MĂȘlez-vous de vos affaires, sinon
 les menaça la police prĂ©sidentielle sans pitiĂ©. _ La dĂ©lation fleurissait. _ Les opposants illustrĂšrent, par des scĂšnes vĂ©cues, un journal. Cet album circulait, sous le manteau, parmi la population risquant gros en cas de dĂ©couverte de cet Ă©crit taxĂ© de licencieux, diffamatoire et nuisible Ă  la patrie. Les opposants restĂšrent dans l'anonymat, mais pas dans l'inaction. Ils firent une vidĂ©o dont la sĂ©quence la plus dramatique Ă©tait celle de la vie d'un planteur de cafĂ©. On ne lui payait mĂȘme pas sa rĂ©colte. On la troquait, pour lui Ă  perte, contre des semences, des plants, des engrais, des vivres alimentaires de base. Ce paysan et sa famille arrivaient Ă  peine Ă  subsister. Ils occupaient Ă©galement un orphelin, pauvre diable plus misĂ©reux qu'eux. Cet esclave travaillait plus longtemps, effectuait des travaux plus pĂ©nibles pour ne recevoir qu'une pitance honteuse ; souvent, il devait se contenter de ronger des racines. Ce qui lui permettait de survivre, c'Ă©taient les arbres assoiffĂ©s de la forĂȘt massacrĂ©e. Un, surtout, lui tenait Ă  cœur. Il lui parlait, se serrait contre son tronc, espĂ©rait se fondre en lui. Le Guide et son Ă©quipe jubilaient. Ils avaient globalisĂ© le commerce, en Ă©taient devenus millionnaires, milliardaires mĂȘme. En fait, ils avaient pillĂ© les ressources de la terre, Ă©puisĂ© la nature, esclavagĂ© le monde. Pour polir leur image, ils patronnaient des manifestations sportives, organisaient des dĂ©filĂ©s militaires au pas de l'oie, Ă©rigeaient quelques statues en l'honneur du peuple fidĂšle et reconnaissant. _ Tout allait bien, trop bien, jusqu'Ă  ce que
 _ La terre se convulsa en tremblements terribles, les flots se dĂ©chaĂźnĂšrent, les cieux crachĂšrent du feu. _ – Mais, qu'arrive-t-il donc ? se demanda le Guide. _ Il finança un tournoi de football aux rĂ©sultats tronquĂ©s, dĂ©grada quelques militaires, emprisonna un poĂšte parlant du pouvoir de l'amour, interna les tĂ©mĂ©raires rĂ©clamant un commerce Ă©quitable. Il flĂ©trit, de la marque indĂ©lĂ©bile des traĂźtres, ceux qui proposaient des Ă©lections libres. _ Rien n'y fit. Les Ă©lĂ©ments restĂšrent les plus forts, ne se laissĂšrent ni impressionner, ni amadouer, ni corrompre, ni dompter. _ Trahissant ses acolytes, le Guide s'emplit les poches de diamants Ă©claboussĂ©s de sang, se chargea d'un sac rempli d'or, se bourra, entre poitrine et chemise, de billets de banque. Il s'enfuit incognito habillĂ©, derniĂšre ignominie, d'une tenue de travailleur. Mais le poids de sa richesse l'empĂȘcha d'aller loin, l'Ă©puisa dans une marche impossible, le plaqua au sol vaseux qui l'aspira, l'engloutit. _ A des milliers de kilomĂštres, le pauvre des pauvres, presque nu, ayant juste un trognon de manioc comme provision, se rĂ©fugia dans la forĂȘt, parmi les arbres qu'il caressait, Ă  qui il parlait, s'excusant de leur voler des bourgeons, des pousses tendres, des segments de racine. La terre spongieuse le portait. Il arriva Ă  son arbre, l'entoura de ses bras maigres et le serra contre lui. Il lui sembla que son ami feuillu lui murmurait quelque chose, que leurs cœurs battaient Ă  l'unisson. F I N Nouvelle 143 _ Un grain dans le paquet Agir, c ‘était tout ce qui occupait son corps et son esprit. Bouger, Ă©tirer ses membres, grimper sur les chaises, les tables, tenir en Ă©quilibre sur l'extrĂȘme pointe d'un pied, la jambe tendue et tremblante, l'autre, en l'air, servant de poids pour rééquilibrer son corps comme un mobile et les mains dressĂ©es au dessus de la tĂȘte, mĂȘlant et dĂ©mĂȘlant des fils de toutes couleurs, les punaisant au plafond et les nouant ensemble. _ On va en accrocher partout, partout ! Comme si les fils de scoubidou Ă©taient le soutien du plafond ! Hein ? Qu‘est-ce que t'en penses ? » _ Elle Ă©tait habituĂ©e Ă  ne jamais recevoir de rĂ©ponses Ă  ses palabres et prenait presque un malin plaisir Ă  Ă©touffer son silence par une litanie de bruits dĂ©cousus qui illustrait pĂ©niblement toutes ses actions. Scrutant attentivement le petit salon fraĂźchement peint, son intĂ©rĂȘt se porta dĂ©sormais sur la boĂźte de cafĂ©. Elle ferma avec beaucoup de difficultĂ© ses yeux grands ouverts et agrippa sauvagement le paquet qui, ne rĂ©sistant pas Ă  une telle violence, laissa tomber tous les grains au sol. _ On va coller les grains partout au plafond et on va les relier aux scoubidous ! Comme si les grains Ă©taient des perles et les scoubidous des colliers ! Hein ? Qu'est ce que t'en penses ? » . _ Dans une explosion jubilatoire, elle ramassa une pleine poignĂ©e de grains de cafĂ©, les jeta en l'air et les regarda retomber dans le miroir suspendu en face d'elle. Les grains ne cessaient de pleuvoir, ils avaient empli toute la piĂšce et s'Ă©coulaient Ă  prĂ©sent au ralenti, comme hors du temps, comme si elle Ă©tait devenue l'hĂ©roĂŻne magnifiĂ©e par une sĂ©quence cinĂ©matographique. Sous les grains de cafĂ©, assis dans le fauteuil Ă  cĂŽtĂ© d'elle, elle contemplait le reflet de cet homme qui partageait sa vie et qui continuait de lire imperturbablement son roman. _ Dans le miroir, elle ne cessait de le fixer son paquet de cafĂ© Ă  la main. Il ne rĂ©agissait pas comme s'il Ă©tait prisonnier des pages de son roman. Elle se rapprocha de son image et essaya de dĂ©chiffrer Ă  l'envers le nom de l'œuvre qu'il Ă©tait en train de lire. Ses longs doigts cachaient presque parfaitement le titre et elle pouvait a peine dĂ©chiffrer quelques lettres U – D –D – O – I – I
 AlertĂ© par son regard pesant, le jeune homme Ă  l'Ă©paisse chevelure brune se retourna et releva le livre comme pour cacher son visage. Cette dĂ©licate manipulation lui permit de lire le nom du mystĂ©rieux roman ; et il ne s'agissait pas d'un roman mais plutĂŽt d'un guide de voyage. Elle en dĂ©duit qu'il avait troquĂ© son roman pour ce guide dans une de ses longues promenades solitaires sur les rives de St Michel. A la lecture du titre, son cœur s'emballa. Guide d'une Bolivie explosĂ©e. La Bolivie, la Bolivie criait elle au fond d'elle, le pays de leur rencontre, le pays de leurs nuits d'Amour, le pays oĂč mĂȘme les vomissements liĂ©s Ă  l'altitude avaient leur moment de grĂące. Elle serra le paquet de cafĂ© dans ses mains et se rendit compte qu'il restait encore un grain. _ Elle palpa ardemment l'enveloppe vide et dĂ©sormais mallĂ©able qui contenait le dernier grain. CoincĂ©e entre ce miroir qui l'aliĂ©nait, ce plafond beaucoup trop lourd pour les fils, et tous ces meubles inutiles, rigides, aux odeurs Ăącres et envahissantes, il lui sembla que ce petit grain de cafĂ© Ă©tait sa seule chance, une passerelle gustative pour la Bolivie. Mais Ă©tait ce un pays oĂč tout Ă©tait si lĂ©ger, si doux et si facile ? Elle plongea une main tremblante dans le paquet, en ressortit la pĂ©pite noire et la porta Ă  sa bouche avide. AussitĂŽt, le bruit des enfants dans la rue caillouteuse lui revint. Les voix des femmes et la mĂ©lopĂ©e de l'espagnol. La petite chambre aux murs verts. Le matelas dans le coin. Et la couverture rouge. Sous la couverture reposait ce grand garçon brun tant aimĂ©. Elle prononça son nom. Plus fort. Mais son appel se perdit, ne rejoignit personne. Nouvelle 144 Londres. C'Ă©tait une journĂ©e ensoleillĂ©e. Monsieur Sheperd y avait emmenĂ© sa classe de terminal pour un voyage scolaire. Ils venaient d'arriver, il Ă©tait environ 14 heures. A peine sur place, ils Ă©taient dĂ©jĂ  en route pour le National Portrait Gallery sur Trafalgar Square, qui retrace l'histoire de l'Angleterre et les grands Hommes qui s'y sont illustrĂ©s. Pour la visite, un guide Ă©tait Ă  leur disposition, c'Ă©tait un homme trĂšs gentil, mais son discours Ă©tait palabre. _ Quand leur visite fut terminĂ©e, tous partirent se dĂ©tendre sur Covent Garden. Monsieur Sheperd donna rendez-vous Ă  ses Ă©lĂšves devant la fontaine vers 18 heures pour pouvoir ensuite rentrer Ă  l'auberge de jeunesse. DĂšs que leur professeur eut fini de parler, Marie et ses deux amies se ruĂšrent vers les magasins tout en se mĂȘlant Ă  la foule. Vers la fin du temps libre, ses amies remarquĂšrent un changement chez Marie, de ce fait elles lui demandĂšrent ce qu'il se passait, mais Marie ne leurs rĂ©pondit pas, elle leur demanda juste de partir devant en prĂ©textant une envie pressante. _ Lorsque les deux amies arrivĂšrent devant la fontaine, monsieur Sheperd Ă©tait dĂ©jĂ  lĂ  et commençait Ă  faire l'appel, mais quand il appela Marie, personne ne rĂ©pondit. Le professeur continua son appel jusqu'au bout et dĂ©cida d'attendre que Marie les rejoigne. Au bout de 30 minutes, Marie manquait toujours Ă  l'appel. Monsieur Sheperd demanda alors Ă  sa collĂšgue de raccompagner les Ă©lĂšves jusqu'Ă  l'auberge pendant qu'il attendait Marie et demanda qu'on le prĂ©vienne si quelqu'un avait des nouvelles. Will, un Ă©lĂšve se proposa d'attendre avec monsieur Sheperd. C'Ă©tait le petit ami de Marie. Le professeur accepta avec plaisir, ravi d'avoir de la compagnie. _ Au mĂȘme moment, Marie Ă©tait assise dans un cafĂ© oĂč sur les murs on pouvait voir une sĂ©quence de photos reprĂ©sentant le 20Ăšme siĂšcle. Elle ne s'Ă©tait pas retrouvĂ©e lĂ  par hasard, elle avait suivi une jeune fille dans ce cafĂ©. Cette personne lui semblait Ă©trangement familiĂšre et lui ressemblait tellement Elle devait savoir pourquoi. _ AprĂšs une heure d'attente, Marie n'Ă©tant toujours pas revenue, Monsieur Sheperd et Will commençaient sĂ©rieusement Ă  s'inquiĂ©ter. Will demanda donc Ă  son professeur s'ils pouvaient agir et faire des recherches plutĂŽt que de rester devant la fontaine. Au dĂ©part, monsieur Sheperd Ă©tait rĂ©ticent, car il prĂ©fĂ©rait l'attendre pour que lorsqu'elle reviendrait elle ne s'inquiĂšte pas de ne voir personne, mais comme monsieur Sheperd Ă©tait une personne mallĂ©able, Will finit par le convaincre. Mais d'abord, le professeur devait appeler l'auberge. _ Lorsque la jeune fille se leva et partit du cafĂ©, Marie la suivit. Elles passĂšrent sur une passerelle qui conduisait Ă  une jolie petite maison de briques rouges et sur le rebord des fenĂȘtres Ă©taient accrochĂ©s des pots avec diffĂ©rentes sortes de fleurs. Marie remarqua des roses blanches c'Ă©tait ses fleurs prĂ©fĂ©rĂ©es. DerriĂšre les rideaux de la fenĂȘtre aux roses, on pouvait distinguait une trĂšs belle piĂšce de couleur taupe. On pouvait apercevoir les meubles d'une chambre. Marie s'assit sur un banc en face de la maison et observa la chambre. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce celle de cette Ă©trange jeune fille qui lui ressemblait tant ? _ Toujours devant la fontaine, monsieur Sheperd Ă©tait au tĂ©lĂ©phone avec les deux amies de Marie pour savoir oĂč Will et lui commenceraient leur recherche. Les deux filles leurs indiquĂšrent la rue oĂč elles avaient vu Marie pour la derniĂšre fois. Ensemble, le professeur et Will se rendirent jusqu'Ă  cette rue et dĂ©cidĂšrent de demander aux commerçants s'ils n'avaient pas vu Marie. _ Au moment oĂč Marie allait s'en aller – non pas parce qu'elle n'avait pas envie de savoir qui Ă©tait cette fille, mais tout simplement parce qu'elle avait peur de la vĂ©ritĂ© – la jeune fille sortit. De ce fait, Marie prit son courage Ă  deux mains et alla l'aborder. Elle se prĂ©senta et lorsque la jeune fille croisa son regard elle la reconnut. _ Un commerçant put renseigner les deux hommes c'Ă©tait l'homme qui tenait le cafĂ© et il avait remarquĂ© que Marie fixait intensĂ©ment une jeune fille. Comme il Ă©tait ami avec les parents de cette fille, il leur indiqua la route de chez eux, mais ce ne fut pas gratuit. Monsieur Sheperd et Will durent troquer l'information, ils durent s'aliĂ©ner de quelques livres sterling. AprĂšs cet Ă©change, ils partirent en direction de la maison que leur avait indiquĂ©e le commerçant. _ La jeune fille ne put s'empĂȘcher de sursauter, elle avait tellement attendu ce moment. A l'instant oĂč marie lui demanda si elles ne s'Ă©taient pas croisĂ©es quelque part et si elle aussi avait remarquĂ© leur ressemblance, la jeune fille lui raconta leur histoire malgrĂ© l'interdiction de ses parents adoptifs. En effet, ils avaient peur qu'Ă  cause de cela Marie haĂŻsse ses parents mĂȘme si elle racontait le mobile de cette sĂ©paration. En rĂ©alitĂ©, ce sont des sœurs jumelles. LĂ©a, sa sœur avait Ă©tĂ© abandonnĂ©e par leurs parents Ă  la naissance, car ils n'avaient pas d'argent – leur naissance n'Ă©tait pas du tout attendue -. A ces paroles, Marie s'Ă©croula par terre comment ses parents avaient-ils pu lui cacher une chose pareille ? Mais, en mĂȘme temps, elle ressentait une sensation jubilatoire, car elle avait toujours rĂȘvĂ© d'avoir une sœur. _ Quand Will et monsieur Sheperd arrivĂšrent, ils virent les deux jeunes filles. Will se prĂ©cipita vers Marie et lui proposa son soutien, car elle avait l'air trĂšs Ă©mue. _ AprĂšs quelques minutes, Marie et LĂ©a racontĂšrent leur histoire. Comme il se faisait tard, monsieur Sheperd dĂ©cida de rentrer Ă  l'auberge. Mais avant ça, les deux sœurs se promirent de jamais ĂȘtre sĂ©parĂ©es. Nouvelle 145 _ Queue de poisson solidaire Tout avait pourtant merveilleusement commencĂ©. Cela lui semblait ĂȘtre un rĂȘve, dorĂ©navant. Comment cela avait-il pĂ» dĂ©gĂ©nĂ©rer aussi brusquement ? _ C'Ă©tait hier. Elles remontaient le Boulevard Monivong, en touk touk, le cœur lĂ©ger. Au milieu de l'effervescence de la ville, et sous la chaleur assommante, elles papotaient. Elles se remĂ©moraient les moments forts de leur voyage, les sĂ©quences qui dĂ©jĂ  alimentaient leur carnet de route. Les Ă©motions de l'arrivĂ©e, le passage Ă  la douane, les discussions pendant l'attente, avec des locaux qui rentraient au pays et Ă©taient prĂȘts Ă  leur servir de guide. DĂšs leur arrivĂ©e, elles s'Ă©taient se senties Ă  l'aise, et prĂȘtes Ă  partir la dĂ©couverte de ce pays lointain et Ă  s'y adapter. _ Elles se fĂ©licitaient de voir enfin l'aboutissement de leur projet. D'avoir rĂ©pondu Ă  cet appel du large, et troquĂ© enfin leur quotidien coquet et confortable pour un mobile bien concret. D'illustrer ces discours tenus depuis si longtemps sur le soutien aux peuples dĂ©favorisĂ©s, sur les passerelles entre le Nord et le Sud. Enfin elles allaient agir, et en finir avec ces palabres enjouĂ©es dans les cafĂ©s bobos ». Tout cela avait indĂ©niablement un aspect jubilatoire. _ Un peu d'anxiĂ©tĂ© se mĂȘlait Ă  leur allĂ©gresse, tout de mĂȘme, en arrivant devant le portail de l'orphelinat. Leurs proches les avaient alimentĂ©es d'anecdotes, d'expĂ©riences vĂ©cues, d'ouvrages Ă  consulter avant mĂȘme le dĂ©part. Ces mĂȘmes proches qui les avaient mises en garde contre les dĂ©viances du dĂ©veloppement, dans l'Ă©ducation comme dans d'autres domaines. Cette tendance du pouvoir Ă  profiter d'une population jeune, dĂ©sorientĂ©e, mallĂ©able, qu'il Ă©tait si aisĂ© d'aliĂ©ner, mĂȘme de maniĂšre involontaire. Toutes ces problĂ©matiques se profilaient bien qu'elles n'aient aucune envie de les aborder encore. Heureusement, elles Ă©taient ensemble. Cela leur donnait l'impression de pouvoir faire face Ă  toutes les situations. _ Tout Ă  coup, alors qu'elles arrivaient au niveau de l'orphelinat, le touk touk avait freinĂ©, pour contourner un vĂ©hicule arrĂȘtĂ© en plein milieu de la route. Un 4 x 4, un de ces vĂ©hicules sur lesquels le propriĂ©taire orgueilleux ajoutait un autocollant Lexus » pour se donner l'illusion d'une fortune. Devant lui, une petite moto Ă©tait Ă  terre, et deux jeunes hommes semblaient inconscients. Un troisiĂšme garçon, qui visiblement faisait partie de l'Ă©quipage car son bras Ă©tait en sang, Ă©tait en train d'empĂȘcher le conducteur du 4 x 4 de partir en se plaçant devant le vĂ©hicule et en criant. Sans pour autant impressionner un tant soit peu l'intĂ©ressĂ©. C'Ă©tait alors que furieux, le jeune homme avait dĂ©cochĂ© un coup de pied sur le vĂ©hicule qui eut pour effet de briser un phare. La rĂ©action avait Ă©tĂ© immĂ©diate. Le chauffeur Ă©tait sorti de sa voiture, avait pointĂ© son arme, avait criĂ©, tirĂ©, la balle avait ricochĂ© contre une barre mĂ©tallique du touk touk qui Ă©tait Ă  la hauteur de la moto, et Ă©tait allĂ©e se loger dans le buste de sa passagĂšre. _ Ensuite, tout s'Ă©tait prĂ©cipitĂ©. Les secours, l'infirmerie dĂ©suĂšte de l'orphelinat, le transport vers l'hĂŽpital, la dĂ©cision du rapatriement, le retour au bercail. _ Tout avait pourtant si bien commencĂ©. Nouvelle 146 _ La piscine Jeanne Ă©tait enchantĂ©e de la journĂ©e d'Ă©tĂ© qui s'annonçait. VĂȘtue d'un pantalon corsaire et d'un dĂ©bardeur Ă©pousant une poitrine qui tenait sans soutien, se sĂ©chant les cheveux dans une Ă©paisse serviette Ă©ponge, elle emprunta la passerelle qui prolongeait le couloir des chambres puis descendit l'escalier Ă  limon central qui plongeait tout droit vers le grand salon. À travers la large baie vitrĂ©e, elle profitait d'un point de vue unique sur la mer mĂ©diterranĂ©e qui s'offrait Ă  elle dans la lumiĂšre de ce dĂ©but de matinĂ©e d'Ă©tĂ©. En fredonnant une rengaine Ă  la mode, elle arriva Ă  la cuisine oĂč elle posa la serviette au hasard sur une chaise. D'une sĂ©rie de gestes dĂ©notant l'habitude, elle prĂ©para un cafĂ© expresso, se saisit d'une cuillĂšre pour y mĂȘler du sucre, prit la tasse et revenant vers la porte fenĂȘtre grande ouverte, elle appela _ – TancrĂšde ! _ Sortant d'un buisson de lauriers roses, un golden retriever rĂ©pondit Ă  son appel, gambadant, la langue pendante et l'œil rieur. _ Le jeune chien entra dans le salon et elle loqueta la crĂ©mone sĂ©curisĂ©e de la porte fenĂȘtre derriĂšre lui. _ VautrĂ© sur le canapĂ© de cuir blanc, un chat angora Ă©tira une patte armĂ©e de griffes noyĂ©es dans les poils. Jeanne le gratifia d'un frĂŽlement sur le ventre. _ – Bonne journĂ©e, mon gros Izmir! _ Ébouriffant la masse mallĂ©able de ses cheveux encore humides, elle ouvrit la penderie. Elle troqua ses tongs pour des sandales Ă  talon. Elle repartit dans le couloir sous l'escalier. _ – Au revoir les enfants! _ La porte d'entrĂ©e se referma avec un bruit sourd. On entendit Ă  peine ronronner un moteur. _ Du point de vue du chat, cette journĂ©e d'Ă©tĂ© s'annonçait sous les meilleurs auspices. Il Ă©tait jubilatoire de n'avoir rien d'autre Ă  faire que paresser ou rĂȘvasser. À la minute prĂ©sente, il contemplait le jardin. Le regard vague, il se laissait hypnotiser Ă  travers les vitres par quelques oiseaux qui picoraient dans l'herbe. Soudain, il put entendre les pĂ©piements des volatiles et sentir la brise chargĂ©e d'effluves iodĂ©s. Autour de lui, une agitation commençait Ă  se faire jour dans le grand salon usuellement si paisible dans la journĂ©e. Des chaises bougeaient, des tiroirs s'animaient. Quand son canapĂ© fut poussĂ© sans mĂ©nagement, il en eut assez. D'un mouvement souple, il sauta sur le sol de marbre et s'en fut vers l'escalier d'une dĂ©marche digne, ondulant de la queue. Il grimpa souplement et sans s'arrĂȘter ce merveilleux escalier Ă  claire voie qui offrait tant de postes d'observation. En haut des degrĂ©s, il se retourna, les yeux mi-clos, s'imprĂ©gnant de la scĂšne qui se jouait en contrebas. Peu Ă  peu, il prit la posture d'un sphinx, immobile et attentif. _ Du point de vue du chien, c'Ă©tait encore une excellente journĂ©e qui s'offrait Ă  lui. Il faisait beau. Il avait commencĂ© par quelques allĂ©es et venues sans but au milieu du jardin et avait conclus par la dĂ©pose d'un fumet au pied du grand agave. Puis, il Ă©tait rentrĂ© assurer la garde de la maison. Il partagerait paisiblement le vaste rez-de-chaussĂ©e avec le chat jusqu'au soir. CouchĂ© sur son plaid dans un coin du salon, il rĂȘvassait. Le bruit d'une clĂ© qui tournait dans la serrure le fit se redresser. La quiĂ©tude des lieux Ă©tait Ă  l'instant rompue par l'intrusion d'un Ă©tranger qui, pourtant, avait ouvert la porte comme un habituĂ©. L'huis Ă©tait restĂ© ouvert et le chien en aurait bien profitĂ© pour aller patrouiller dans les lavandes. _ – Dehors le chien ! _ Entendant cette voix nouvelle, son instinct et l'Ă©ducation qu'il avait reçue le forcĂšrent Ă  attendre. L'inconnu s'affairait dĂ©jĂ . Il agitait les cadres accrochĂ©s au mur, retournait les coins des tapis, dĂ©plaçait les fauteuils. Il monta mĂȘme sur une chaise et passa ses mains sur les murs derriĂšre les meubles. Il finit par jeter la chaise par terre et il avança vers l'escalier. Le chien fit quelques pas dans la mĂȘme direction. _ – Tout doux, le clebs ! _ D'un air dĂ©bonnaire, le retriever s'approcha de l'homme. Pensant instaurer la paix, ce dernier tendit une main vers la tĂȘte du canidĂ© qui esquiva la caresse d'un mouvement souple et entreprit de renifler les doigts qui s'offraient Ă  lui. Puis le chien lĂ©cha cette main dont il n'avait pas l'odeur en mĂ©moire. L'homme fit alors un pas en arriĂšre et posa un pied sur la marche de pierre pour monter l'escalier. C'est le signal que le gardien espĂ©rait. Sans un bruit, il ouvrit grand la gueule et la referma sur la paume de l'homme, les crocs lĂ©gĂšrement enfoncĂ©s dans la peau. Maintenant, il attendait le retour de Jeanne. _ Du point de vue d'Hector, rien ne valait d'aliĂ©ner sa libertĂ© en travaillant et sa vie devait l'illustrer. _ Il prĂ©fĂ©rait pister le plombier et subtiliser les clĂ©s des bĂątisses oĂč l'ouvrier effectuait des rĂ©parations pendant que ce dernier s'accordait des siestes indues au bord des piscines dont il assurait l'entretien. _ Il s'Ă©tait fĂ©licitĂ© d'avoir l'opportunitĂ© de dĂ©couvrir sans guide l'intĂ©rieur de cette extraordinaire maison d'architecte toute de verre et de bĂ©ton. Il savait qu'il devrait agir vite. Ouvrir la porte n'avait pas prĂ©sentĂ© de difficultĂ©. Il avait Ă©tĂ© surpris par l'aspect dĂ©pouillĂ© de l'intĂ©rieur. Le chien avait l'air amical. Hector avait senti son regard le suivre pendant qu'il cherchait vainement un coffre derriĂšre l'ensemble du mobilier de style contemporain. ArrivĂ© au pied de l'escalier il avait jetĂ© un coup d'œil vers le haut d'oĂč un Ă©norme chat persan roux le fixait. Le mobile de sa visite devait justement se trouver lĂ -haut. C'est alors qu'il avait eu l'idĂ©e saugrenue de caresser le mĂątin. _ À prĂ©sent, en revivant la sĂ©quence qui l'avait amenĂ© jusqu'ici, il espĂ©rait encore pouvoir libĂ©rer sa main prisonniĂšre des crocs du cerbĂšre qui avait l'air de sourire de cette bonne plaisanterie. Un pied sur une marche, penchĂ© de cĂŽtĂ© en une attitude cocasse, Hector avait posĂ© derriĂšre lui l'autre pied sur la deuxiĂšme marche. À la seconde mĂȘme, un mugissement de sirĂšne propre Ă  lui dĂ©chirer les tympans s'Ă©tait dĂ©clenchĂ©. Le chat avait brusquement disparut de sa vue. Allait-il devoir patienter ainsi jusqu'au soir ? _ Il n'attendit pas aussi longtemps. Une silhouette en chemisette Ă  manches courtes, bientĂŽt suivie de plusieurs identiques se matĂ©rialisa devant la porte fenĂȘtre. _ – Auriez-vous besoin d'aide ? demanda le gendarme sans autre palabre. Nouvelle 147 Le dĂ©sordre avait outrepassĂ© son droit Ă  se prĂ©valoir d'une qualitĂ© artistique. Pierre rassembla toute son Ă©nergie mentale, aprĂšs les sept Ă©tages gravis pĂ©niblement, pour Ă©viter l'ouverture des hostilitĂ©s. Il se fraya un chemin parmi les livres et feuillets Ă©pars se mĂȘlant aux reliefs de la pause cafĂ©, pour rejoindre Alice sur le canapĂ© oĂč elle se prĂ©lassait depuis quelques heures. _ Comment Ă©tablir une passerelle entre les prĂ©occupations intellectuelles trĂ©pidantes qui l'habitaient en permanence, et la sĂ©rĂ©nitĂ© effarante dont Alice semblait se satisfaire ? _ – Pierre, j'ai agi aujourd'hui, j'ai Ă©tendu le linge. _ Etendre le linge Alice connaissait peu d'Ă©vĂ©nements susceptibles de dĂ©clencher de telles vibrations dans son ĂȘtre, dans sa chair. Ces gestes venus du fond des Ăąges, elle les accomplissait avec ferveur se saisir d'une chemise, respirer sa bonne odeur de lessive, la disposer sur le fil en tirant les extrĂ©mitĂ©s pour que toutes les fibres bĂ©nĂ©ficient d'un sĂ©chage optimal, organiser l'orientation par rapport au soleil et Ă  la brise qui la caressaient pas trop, juste assez. C'Ă©tait un moment jubilatoire
 _ – Bien, dit Pierre, troquant son Ă©nervement contre la conviction rassurante qu'il dominait avec panache une situation intolĂ©rable, tu as superbement contribuĂ© Ă  la normalitĂ© Ă  laquelle, ensemble, nous aspirons. _ Il se remĂ©morait les cours de pĂ©dagogie spĂ©cifiant que le sujet adoptait le rĂŽle qu'on lui attribuait. Si Alice Ă©tait confortĂ©e, mise en confiance, il y avait une lueur d'espoir de faire progresser ses centres d'intĂ©rĂȘt. _ – C'est incroyable comme les gens sont dĂ©sorganisĂ©s, s'insurgea Alice. Figure toi que j'ai reçu un appel d'Air Larnak pour nos bagages perdus eh bien, plus d'espoir. Ah, vraiment, il faut se battre. Ils croient que je suis mallĂ©able mais non ! _ Pierre Ă©tait en train de mettre au point une procĂ©dure de soutien psychologique quand la sonnerie de son mobile entrouvrit d'autres perspectives. _ – Ah, mais
 _ Pierre annonça avec une mine de faire-part bordĂ© de noir _ – C'est notre guide du Ladakh aprĂšs des palabres interminables, il a rĂ©ussi Ă  faire admettre l'idĂ©e que tous les participants du voyage seront associĂ©s Ă  une sĂ©quence publicitaire illustrant la qualitĂ© de service d'Air Larnak. _ – Oh ! On va passer Ă  la tĂ©lĂ©, s'Ă©merveilla Alice. _ – Oh ! Quand finiront-ils de nous aliĂ©ner ? s'indigna Pierre. _ Et chacun de se plonger dans les dĂ©lices des rĂ©flexions que ces perspectives ouvraient Alice, Ă©moustillĂ©e par des sensations futures dont la qualitĂ© surpasserait le bonheur Ă©prouvĂ© lors de l'Ă©tendage du linge et Pierre, confortĂ© dans la perception des qualitĂ©s supĂ©rieures d'analyse qu'il saurait mettre en œuvre dans cette expĂ©rience qu'il vivrait bien entendu en observateur lucide. Nouvelle 148 _ La passerelle Quel temps de chien ! » pesta-t-il en ramenant ses jambes sous la table du cafĂ©, Ă  l'abri de la pluie. Oui, un temps de vieux chien gris au poil hirsute et Ă  l'œil morne. Le genre de clebs qu'il aurait pris en pitiĂ©, avant
 Il aurait tentĂ© de le caresser, de chercher dans sa fourrure grossiĂšre un collier, un tatouage. Jamais il n'avait pu se rĂ©soudre Ă  laisser vagabonder des animaux qui avaient dĂ» un jour connaĂźtre la douceur d'un foyer. Mais aujourd'hui, ce temps-lĂ  Ă©tait rĂ©volu. TerminĂ© de s'apitoyer sur les autres, de prendre en compte leurs opinions, de faire preuve d'empathie. Son mariage illustrait parfaitement cette pĂ©riode de sa vie. Il avait Ă©tĂ© aliĂ©nĂ© par une Ă©pouse bienveillante et des enfants si bien Ă©levĂ©s. Tous ses dĂ©sirs avaient Ă©tĂ© mis au placard. Seul comptait le fait d'ĂȘtre ensemble, auprĂšs de sa famille, mĂȘme si pour cela il devait se plier aux quatre volontĂ©s de sa femme et obĂ©ir aux directives de son beau-pĂšre qui l'employait. OĂč tout cela l'avait-il conduit ? Au mensonge, Ă  la honte, Ă  un regret qui ronge la conscience comme un chien son os
 Encore un horrible clĂ©bard tout hĂ©rissĂ©, l'un de ceux qui grogne pour dĂ©fendre une pitance qui n'en vaut pas la peine
 A bout de souffle, au bout du rouleau, il n'avait pas osĂ© appeler Ă  l'aide. Mais un soutien inespĂ©rĂ© s'Ă©tait prĂ©sentĂ© Ă  lui, perchĂ© sur dix bons centimĂštres de talons aiguilles. Il avait sautĂ© le pas. Il lui avait tout racontĂ©. Dans un rĂ©cit libĂ©rateur, jubilatoire, il avait avouĂ© ses crimes, ceux de son beau-pĂšre, et dĂ©noncĂ© toute la complicitĂ© silencieuse qui l'avait poussĂ© Ă  dĂ©tourner le regard durant tant d'annĂ©es. Complice. TĂ©moin. La frontiĂšre Ă©tait tĂ©nue
 _ Il avait bien fait. Il voulait s'en persuader. Mieux valait penser moins et agir plus. Reprendre sa vie en main. IdĂ©alement, la reprendre lĂ  oĂč il l'avait laissĂ©e le jour oĂč il avait dit oui ». Oui Ă  celle qu'il aimait sincĂšrement. Oui aux magouilles de son patron. Oui Ă  cette famille qu'il pensait banale et honnĂȘte. Aujourd'hui, lui si mallĂ©able, lui qui ne protestait jamais, allait apprendre Ă  dire non ». Pour la premiĂšre fois de son existence personne n'allait se mĂȘler de sa vie. Il faisait ses adieux Ă  ce lui » qu'il avait habitĂ© quelques annĂ©es, Ă  ce pantin mĂ©prisable et serrait fort entre ses doigts la poignĂ©e de la mallette qui contenait son laissez-passer pour un changement de cap. _ Il posa son mobile sur la table, juste Ă  cĂŽtĂ© du cafĂ© qu'un serveur peu avenant venait de lui porter. Il ne le boirait pas. Il en serait incapable tant qu'il n'aurait pas reçu l'appel qu'il attendait. Son cœur battait trop vite, sa respiration Ă©tait courte son interlocuteur allait s'en rendre compte et profiterait de sa faiblesse. Il ferma les yeux, dĂ©sireux de se ressaisir. Il ne devait pas passer Ă  cĂŽtĂ© de sa chance. Il voulait effacer ces derniĂšres annĂ©es de vie comme on coupe une mauvaise sĂ©quence au montage d'un film. Avec un peu d'obstination, il Ă©tait certain de pouvoir en effacer jusqu'aux moindres souvenirs
 Il eut une pensĂ©e pour ses deux fils
 Sa gorge se noua. Puis il les revit auprĂšs de leur grand-pĂšre, avec ce mĂȘme regard hautain. Ils admiraient tellement leur aĂŻeul ! Bien plus qu'ils ne pourraient jamais aimĂ© leur pĂšre qui n'Ă©levait jamais la voix, n'avait aucune envergure, n'avait rien rĂ©ussi dans sa vie
 Cela aussi devrait changer. _ Le tĂ©lĂ©phone sonna. _ Il constata dĂšs les premiers mots que sa voix Ă©tait assurĂ©e. Il devait conserver son avantage coĂ»te que coĂ»te, ne pas donner la parole Ă  son interlocuteur, Ă©viter les palabres
 Il ne se laissa pas dĂ©stabiliser par la voix de bouledogue Ă  l'autre bout du fil et posa ses conditions il troquerait les documents de la mallette contre une immunitĂ© totale, un changement d'identitĂ©, une vie confortable assurĂ©e et la possibilitĂ© de voir ses fils d'ici quelques annĂ©es. Le bouledogue grogna son accord et demanda s'ils pouvaient se retrouver au plus vite. _ Il reposa son tĂ©lĂ©phone, incrĂ©dule. Cela avait Ă©tĂ© facile, si facile de reprendre sa vie en main. Les doigts un peu tremblants, il attrapa sa tasse et avala son expresso d'un trait. Il avait soudain l'impression d'avoir oubliĂ© quelque chose. Il sortit de sa veste un morceau de papier sur lequel il avait notĂ© tout ce qu'il devait demander en Ă©change des piĂšces comptables originales de l'entreprise de son beau-pĂšre. Il n'avait rien oublié  _ Il leva les yeux et la vit s'avancer vers lui, ses hauts talons claquant sur le sol. Le guide vers sa nouvelle vie s'installa Ă  sa table. – _ – Vous avez de sacrĂ©es exigences, fit-elle d'une voix suave. – _ – Vous allez avoir de sacrĂ©es preuves, rĂ©pondit-il sans se dĂ©monter. – _ – Vous ĂȘtes certain de ne rien avoir oubliĂ© ? _ Il rĂ©flĂ©chit un instant et laissa Ă©chapper un sourire confiant. Si, bien sĂ»r, il avait oubliĂ© quelque chose
 – _ – Je veux aussi un chien
 Nouvelle 149 _ Imprimer 1. _ Consciencieusement, assise Ă  une table, elle compulsait des feuillets
 Elle ne voulait que rien ne lui Ă©chappe, de la lettrine au point final. Quand elle crĂ»t bien cerner les pleins et les dĂ©liĂ©s qui se cachaient derriĂšre les caractĂšres, elle entreprit une ultime lecture. Il s'agissait dĂ©sormais de parcourir sauvagement les paragraphes et les titres, les chiffres et les noms. Comme si elle dĂ©sirait faire s'envoler les mots les plus essentiels jusqu'Ă  son Ăąme. Pour les-y imprimer. _ 2. _ Insidieusement, le silence qu'elle faisait peser dans la piĂšce, s'effaçait derriĂšre le tintement de cloches. Elle s'arrĂȘta, pour savourer le crescendo de l' »appel » dominical, provenant de l'Ă©glise du village. Ces sonoritĂ©s rassurantes et habituelles apaisaient son agitation intĂ©rieure. _ Alors, elle rĂ©alisa qu'il Ă©tait le moment. Elle vĂ©rifia le contenu de son portefeuille, et ce qu'elle avait de monnaie. Quelques piĂšces se languissaient là
 Cela semblait lui suffire. Elle rangea donc son portefeuille, aprĂšs y avoir glissĂ© soigneusement un papier qu'elle choisit sur la table. Elle attrapa ses clefs. Puis enfourcha sa bicyclette. _ 3. _ En trois coups de pĂ©dales, elle s'Ă©chappa du quartier pour s'embarquer sur la voie principale une voie dĂ©serte en cet instant
 Elle se plia alors aux mauvais gĂ©nies de la vitesse puis bientĂŽt Ă  ceux de la dĂ©sinvolture, en zigzaguant largement sur la chaussĂ©e. Durant ces instants, elle Ă©prouvait – Ă  la fois dans son corps et son esprit- une diversitĂ© de sensations jubilatoires. _ A gauche, puis Ă  droite, encore Ă  droite. Les rues dĂ©filaient aussi rapidement, que les mots imprimĂ©s en mĂ©moire plus tĂŽt, descendaient subtilement jusqu'Ă  son cœur. Et lĂ  au carrefour, elle freina subitement. Les barriĂšres s'Ă©taient abaissĂ©es. Le train des questions, conduit par le doute, arrivait. Allait-t-elle dans la bonne direction, Sa direction ? Mais, les barriĂšres se relevĂšrent heureusement, une seconde plus tard
 Une courte sĂ©quence de sa vie qu'elle voudra effacer. Elle dĂ©teste les incertitudes ! _ 4. _ Elle rattrapa un groupe de piĂ©tons sur le chemin qui mĂšne Ă  l'unique bistrot du village, un cafĂ© », nommĂ© TroquĂ© ». Un cafĂ© unique, mais surtout quasi-mystique ! Quasi-mystique en rĂ©fĂ©rence Ă  l'histoire de son nom ! Cette bĂątisse – rĂ©cemment aliĂ©nĂ©e Ă  la municipalitĂ© pour un euro symbolique – a-t-elle Ă©tĂ© l'objet d'un troc similaire jadis ? TroquĂ© » est-il la version mal orthographiĂ©e ou la version locale du troquet » ? Un cafĂ© quasi-mystique Ă©galement en rĂ©fĂ©rence aux vestiges qu'il renferme. L'existence de la passerelle mĂ©tallique suspendue au grenier l'illustre Ă  merveille. Ce lieu servait-il de théùtre ? En tout cas, ce jour-lĂ , le commerce fera bonne recette
 _ Elle dĂ©passa maintenant le groupe de piĂ©tons, d'oĂč s'Ă©leva soudainement une voix Roulez jeunesse ! ». Elle leva le bras pour acquiescer ou pour saluer. Sans doute, pour les deux raisons. _ 5. _ Elle arriva enfin face Ă  la porte et lĂącha son vĂ©lo Ă  terre. Elle s'engouffra Ă  l'intĂ©rieur de la piĂšce. Il y avait, lĂ , un peu de monde. On l'accueillit chaleureusement et un homme, en guide, l'accompagna jusqu'Ă  une place libre. Elle ne resta pas longtemps Ă  l'intĂ©rieur. _ En sortant, elle retrouva le groupe de piĂ©tons qu'elle avait frĂŽlĂ© un temps plus tĂŽt. Ils l'interrogĂšrent du regard. _ – A votĂ© !! rĂ©pondit-elle fiĂšrement. _ – A notre tour ! _ 6. _ Oui, Ă  votre tour, se dit-elle, espĂ©rant que tous rĂ©pondraient Ă  l'appel. Comme pour la rassurer, un jeune homme s'approcha derriĂšre elle. Il lui passa la main sur le bras, la faisant sortir dĂ©licatement de ses songes. _ – Alors ? lui lança-t-il calmement mais sĂ©rieusement. Qui ?
. Qui est l'Ă©lue de ton choix ? _ – Voyons, voyons, cher ami Ă  l'Ăąme mallĂ©able et Ă  l'esprit mobile ! N'espĂšre pas trouver rĂ©ponse en la mienne ! dĂ©clama-t-elle. Tu dois faire ton propre choix jeune homme ! Sois responsable un peu
 _ Et elle ajouta que cela n'est pas son affaire. Mais, en le disant, elle rĂ©alisa concrĂštement que le vote d'un individu pĂšse dans la balance des Ă©lections. Et que ce choix influe, en un ou plusieurs sens, sur les gens ! Elle conclut donc qu'elle se mĂȘlerait bien de ce qui la regarde, aprĂšs tout ! _ Elle trouva alors intĂ©ressant que l'Ăąme du jeune homme soit mallĂ©able et que son esprit soit mobile ! Elle trouva intĂ©ressant d'apporter soutien Ă  sa rĂ©flexion, voire d'apporter conseils ! _ – A gauche toute ! cria-t-elle. _ Ils se dirigĂšrent ensemble vers Le TroquĂ© ». Et ils y vĂ©curent beaucoup de palabres
 Nouvelle 150 _ IntĂ©rim Mobile », ce terme orne chacun de mes curriculum vitae depuis maintenant plusieurs annĂ©es. En haut Ă  droite ; mĂȘlĂ© Ă  37 ans », et cĂ©libataire », ces quelques mots sont censĂ©s donner une idĂ©e prĂ©cise de ma personne, de moi-mĂȘme. Mobile », et pourquoi pas MallĂ©able », tant qu'Ă  y ĂȘtre ! Ou alors Maudit ». _ J'aurai tellement aimĂ© Ă©crire doux rĂȘveur, fatiguĂ©, Ă  l'imagination trop prĂ©gnante, et pourtant heureux ». _ Alors Mobile » Moi qui n'ai jamais quittĂ© Grenoble, ville oĂč je suis nĂ©. Moi dont les pas ne me conduisent que trĂšs rarement au-delĂ  de la place aux herbes, ou de celle mitoyenne, dite du Tribunal. _ Du reste, du travail, je n'en ai jamais vraiment eu. _ Pour ĂȘtre complĂštement franc, je n'en ai jamais vraiment cherchĂ© non plus. _ J'Ă©cris pourtant des dizaines de curriculum vitae, dans lesquels je cherche en vain Ă  m'illustrer par des faits hĂ©roĂŻques, que je n'ai pas vĂ©cus, mais qui Ă  mes yeux devraient suffire Ă  convaincre n'importe quel employeur de mon exacte valeur, avec pour seul but de nous unir dans une ronde jubilatoire pour une ultime danse. Oh Travail ! Oui, je me sens prĂȘt Ă  crier ton nom, prouvant par lĂ  mon dĂ©sir de m'aliĂ©ner Ă  ton service, des jours entiers, des nuits entiĂšres. Tel un naufragĂ© lançant un ultime appel, je propulse alors ces pages A4 qui offrent Ă  l'improbable lecteur la fĂ©licitĂ© de mon parcours professionnel Ă©talĂ© sur un seul recto, au fin fond de l'IsĂšre, ce fleuve gourmant au courant tranquille. _ De la place aux herbes Ă  l'IsĂšre, de l'IsĂšre Ă  la place aux herbes, je compte ainsi les jours et occupe mon temps avec cette curieuse pratique littĂ©raire. _ Et puis, RaphaĂ«lle est entrĂ©e dans ma vie. _ Elle y fit une entrĂ©e toute en douceur, tout en discrĂ©tion, de derriĂšre son bureau. _ RaphaĂ«lle, c'est la fille de la boite d'intĂ©rim qui me propose le poste de pĂšre NoĂ«l pour les derniers jours de dĂ©cembre. Au dĂ©but je ne l'ai pas franchement remarquĂ©e, trop occupĂ© que j'Ă©tais avec ma propre situation. Je voulais qu'elle comprenne, qu'elle me comprenne, et je m'oubliais dans d'interminables palabres, nĂ©gligeant mĂȘme de la regarder. Un jour elle me dit trĂšs simplement qu'elle aimerait troquer sa vie contre une autre, plus remplie, plus belle. Pour la premiĂšre fois je contemplais son regard. _ Depuis, je suis comme au cinĂ©ma ma vie se dĂ©coupe en sĂ©quences, il y a les sĂ©quences avec RaphaĂ«lle, et les sĂ©quences sans RaphaĂ«lle. La nuit, mon envie de conquĂȘtes m'emporte au loin, je rĂȘve d'aventures et de grands espaces, de vitesse et de combats, de sexe et d'amour. _ Le jour, je pousse la porte de la boite d'intĂ©rim. _ Une autre fois elle me dit qu'elle s'apprĂȘtait Ă  partir elle veut aller vivre au bord du lac BaĂŻkal, en SibĂ©rie. Elle a vu des photos et s'est dĂ©cidĂ©e. C'est comme ça que c'est arrivĂ©, Ă  sa façon, sans faire de vagues, presque silencieusement, et cette fille changeait ma vie. Un autre jour encore et elle m'invita dans un sourire Si nous partions ensemble », elle ajouta en riant franchement que son contrat de travail se terminait. _ De retour place aux herbes, j'ai comme un grand besoin de soutien ; comme une nĂ©cessitĂ©, je cours Ă  la recherche de mon ami Mohamed. _ Mohamed, c'est mon ami de longue date, il est un peu comme un guide pour moi. C'est d'ailleurs lui qui m'a donnĂ© l'adresse de l'agence d'intĂ©rim oĂč travail RaphaĂ«lle, il doit donc me dire ce qu'il faut que je fasse maintenant. D'ailleurs, Mohamed n'est pas avare de conseil et me pousse Ă  agir. Il me dit que lĂ  bas je pourrai certainement aussi faire le pĂšre NoĂ«l, que ce sera mĂȘme plus facile avec mon traĂźneau vu que tout doit ĂȘtre gelĂ© Ă  cette Ă©poque de l'annĂ©e. _ MalgrĂ© tout, il me faut une bonne semaine pour trouver le courage de passer Ă  nouveau prĂšs de la boite d'intĂ©rim. _ A travers la vitrine je devine que RaphaĂ«lle n'est plus lĂ . Un homme occupe sa place derriĂšre son bureau. J'Ă©prouve immĂ©diatement le dĂ©sir de lui casser la figure, mais il me tend une lettre dans la quelle elle me propose de la rejoindre au cafĂ© La Cimaise », un jour, n'importe lequel, Ă  quinze heure, qu'elle y sera encore quelques temps. _ Je sors en courant, et traverse Grenoble. _ Plus que la passerelle au dessus de l'IsĂšre Ă  franchir, et j'arrive devant le cafĂ© La Cimaise ». La boucle de ma sacoche cliquette Ă  chacun de mes pas, je m'imagine aussitĂŽt cow-boy dans le dĂ©sert, un Ă©peron Ă  chaque pied. _ Je ralenti. _ Je me sens bien. _ J'ai envie de me laisser faire, de dire oui, de l'accompagner au pays du froid. _ Je pousse la porte du cafĂ©. _ Je sais qu'elle m'attend. _ Son regard bleu m'Ă©voque tout de suite les Ă©tendues du lac BaĂŻkal. Nouvelle 151 _ Une table en terrasse Assis Ă  une table en terrasse, il semblait Ă©tudier avec soin un itinĂ©raire sur son guide touristique, mais ses pensĂ©es Ă©taient ailleurs ; marquant d'un coin la page illustrĂ©e de photos de monuments anciens, il le referma. Il prit un peu de mie de pain entre ses doigts. Elle Ă©tait souple et mallĂ©able comme de la pĂąte Ă  modeler, et machinalement, il se mit Ă  former de petites boules, tout en buvant son cafĂ© sans sucre Ă  petites gorgĂ©es
 _ Il se souvenait de leurs parties de billes, comme c'Ă©tait jubilatoire de gagner, le bonheur intense du jeu, le bonheur de l'enfance
 _ De l'endroit oĂč il se trouvait, il pouvait voir la passerelle qui enjambait le canal
 C'Ă©tait lĂ , assis sur la plus haute marche, qu'ensemble ils Ă©changeaient leurs trĂ©sors, images de foot, petits cyclistes sur socle et autres babioles, troquaient des agates contre des calots, Ă©tait-ce deux ou trois contre un, il n'en Ă©tait plus trĂšs sĂ»r
Et tandis que remontaient Ă  la surface de sa mĂ©moire ces sĂ©quences-souvenirs d'un temps heureux, de l'arriĂšre salle lui parvenait la musique d'un vieux juke-box, qui , mĂȘlĂ©e au brouhaha confus des voix jeunes des lycĂ©ens, ne parvenait pas Ă  les couvrir totalement. De leurs interminables palabres Ă©mergeaient quelques mots rĂ©currents, 'soutien, agir, ensemble 
', la rĂ©union semblait animĂ©e
 D'autres souvenirs surgissaient, comme si , longtemps enfouis au fond de son ĂȘtre, ils retrouvaient une existence propre, et il ressentait quelque chose d'Ă©trange, une sensation de renouveau, qui le surprenait, lui faisait presque peur
 _ C'est alors que son 'mobile' sonna,- une petite ritournelle aigrelette-, ce qui eut pour effet de le ramener dans le prĂ©sent. C'Ă©tait l'appel qu'il attendait depuis de longues heures. Il essaya de contrĂŽler sa voix, pour qu'elle ne trahisse pas son Ă©motion 'd'accord, dans dix minutes, sur la passerelle
' _ Il commanda un autre cafĂ©, paya, puis jeta un coup d'œil Ă  sa montre dans cinq minutes Ă  peine ils se croiseraient sur la passerelle, se reconnaĂźtraient Ă  leurs guides verts, et puis
 _ Il avait tant attendu ce moment-lĂ , Ă  prĂ©sent il Ă©tait prĂȘt, prĂȘt Ă  aliĂ©ner sa vie triste et tranquille, il Ă©tait mĂȘme impatient ! Il se leva et commença Ă  gravir les marches, en s'efforçant de ne pas aller trop vite
 Nouvelle 152 _ Les prisonniers verts Toute ma vie, j'avais entendu parler de ce moment, de cette fin. J'avais dĂ©jĂ  vu nombre de mes frĂšres pĂ©rir ainsi sans avoir eu l'opportunitĂ© d'agir pour les sauver. Et ce serait Ă  prĂ©sent mon tour de passer Ă  la casserole. _ Je considĂ©rais tous ces individus comme des ennemis. Depuis qu'ils m'avaient enfermĂ© ici, j'avais eu le temps et le loisir de les espionner. En effet, ils ne nous donnaient guĂšre autre chose Ă  faire de nos jours. Leur quotidien – bien que moins morne que le nĂŽtre – ne m'eĂ»t jamais convenu. Ils perdaient leur temps dans d'incessants palabres audibles depuis le fin fond de nos cellules. Ils ricanaient et se moquaient de tout en buvant du cafĂ©, des biĂšres, en passant des appels Ă  leurs amis avec leurs mobiles ou en les invitant aux massacres. J'Ă©tais d'ailleurs Ă©tonnĂ© qu'il pĂ»t y avoir tant d'ĂȘtres sans cœur. Et je me demandais souvent, avant de me rĂ©pondre qu'ils avaient dĂ» ĂȘtre aliĂ©nĂ©s d'une quelconque maniĂšre, comment il Ă©tait possible qu'ils eussent si peu de compassion pour nous. _ J'Ă©tais d'un Ăąge mĂ»r mais mes parents, que je n'avais jamais vraiment connus, m'avaient toujours manquĂ©. Nous n'avions passĂ©s que peu de temps ensemble car j'avais assez rapidement Ă©tĂ© dĂ©racinĂ© et dĂ©portĂ© lors de ma plus tendre jeunesse. Cela avait Ă©tĂ© une expĂ©rience effroyable que je ne souhaiterais Ă  personne. _ J'avais fait le voyage jusqu'ici, parquĂ© avec mes nombreux frĂšres et cousins, sans eau et les pieds nus. Cela n'avait pas durĂ© longtemps mais avait Ă©tĂ© assez Ă©prouvant Ă  cause de la vitesse Ă  laquelle avaient Ă©tĂ© pris la plupart des virages lors de notre transport. Cela avait aussi Ă©tĂ© pour moi un grand moment de frayeur car on nous avait laissĂ©s dans le noir sans nous rĂ©vĂ©ler le lieu de destination. _ DĂšs que nous Ă©tions enfin arrivĂ©s, mon angoisse s'Ă©tait accentuĂ©e pour se muer en dĂ©sespoir. J'avais troquĂ© mes rĂȘves et mes souhaits contre des cauchemars et les pires craintes. Un de mes amis m'avait dĂ©jĂ  parlĂ© d'un tel endroit, mais je n'avais jamais osĂ© croire en son existence tellement cela me paraissait improbable. Jusqu'alors, j'avais toujours considĂ©rĂ© ses dires comme une lĂ©gende illustrant les dĂ©lires les plus fous et incertains. Mais je devais Ă  prĂ©sent me rĂ©soudre Ă  faire face Ă  la triste vĂ©ritĂ©. _ Jour aprĂšs jour, mes frĂšres et mes cousins sortaient de ces geĂŽles pour ne plus jamais y rentrer. A chaque fois, j'observais nos ennemis qui n'hĂ©sitaient pas Ă  les torturer devant nos yeux. Le mode opĂ©ratoire consistait en diffĂ©rentes sĂ©quences de rites avant la mort. Les jours passaient et le nombre de prisonniers dĂ©croissait tandis que celui de morts ne faisait que progresser inĂ©luctablement. _ Un jour, l'ennemi oublia de fermer la porte de la cellule. Un de mes cousins persuada un de mes frĂšres Ă  l'esprit mallĂ©able de s'Ă©chapper. Ce cousin Ă©goĂŻste cherchait en fait Ă  observer si la fuite Ă©tait rĂ©ellement possible ou non. Mon frĂšre voulut tenter sa chance. Malheureusement, il n'existait aucune passerelle menant Ă  la sortie de cet enfer. DĂšs qu'il fut sorti de la cellule, un geĂŽlier arriva furibond et l'extermina sur le champ. _ Les cellules Ă©taient Ă  prĂ©sent presque toutes vides. Seul un de mes frĂšres se trouvait encore Ă  mes cĂŽtĂ©s, c'Ă©tait le benjamin. Je savais que la prochaine fois qu'un des ennemis viendrait emmener quelqu'un, ce serait l'un de nous deux. Ainsi, je dĂ©cidai que je lui apporterais mon soutien en passant en premier afin de lui laisser un rĂ©pit. Il s'agissait lĂ  du seul acte dont j'Ă©tais encore capable, alors je me devais de le faire. _ Le dernier jour de ma triste existence sonna enfin. L'ennemi ouvrit la cellule et commença Ă  nous regarder en affichant un sourire malsain. Mon courage comme guide, je me plaçai devant mon frĂšre de maniĂšre Ă  ĂȘtre vu le premier. Je me demandai comment je fis pour ne pas crier lorsque la poigne de fer de l'ennemi m'extirpa, mais je n'eus pas le temps de m'y attarder car, pour une raison inexpliquĂ©e, il me donna une douche froide. Je supposais qu'il avait peut-ĂȘtre peur que je ne lui salisse les mains. _ C'est alors que j'entendis le bruit qui signifiait que la fin Ă©tait toute proche. C'Ă©tait le bruit de l'eau Ă©bouillantĂ©e que contenait une cuve bien plus grande que moi celle qui servirait Ă  m'exĂ©cuter. Je repensai Ă  ma terre natale en regrettant le passĂ© et en prenant conscience de la limite de mon futur. On me plongea dans mon destin au fond de cette cuve. J'endurai mon calvaire inhumain. Alors qu'au fond de moi se mĂȘlaient la douleur morale et la souffrance physique, je sentais la vie me quitter. Les derniers mots que j'entendis avant mon trĂ©pas furent ceux d'une connaissance de mon geĂŽlier qui, tout en me regardant, s'exclama d'une voix jubilatoire Tu viens de le mettre Ă  cuire ? J'adore les brocolis ! » Nouvelle 153 _ Vie Il Ă©tait une fois, non pas une, deux
 ou trois !! ?? Je ne sais plus trĂšs bien, mais peu importe, puisqu'une fois suffit pour vous la raconter
 mon histoire. Du moins l'histoire de cette petite fille Ă  qui tout arrivait, mĂȘme l'inracontable. Elle se faisait appeler, Vie. _ Elle Ă©tait nĂ©e sous le signe des meilleures augures !!! Celui de la chance et du bonheur. _ Ce dernier fit en effet quelques apparitions, Ă  chaque fois trop brĂšves pour que cette petite fille puisse le nommer. _ Quelle importance, puisque sous les aires de catastrophe, il arrive toujours a pointer son nez, alors savoir le nommer ?? L'essentiel c'est d'arriver Ă  l'attraper. Eh, non, pas comme on attrape un rhume. _ Un bonheur ça ne s'attrape pas d'ailleurs
.., c'est pas une maladie. Quoique, Non Ă  peine si l'on rĂ©ussit Ă  le frĂŽler ne serait ce que du regard, juste l'effleurer, le toucher ou mieux encore s'y baigner. _ Un bonheur c'est comme un rayon de soleil. Allez mettre un rayon de soleil dans une boite, vous !!! _ Pourtant c'est pas faute d'avoir essayé  Ă  part les frĂšres LumiĂšre qui inventĂšrent le cinĂ©ma, c'est vrai ce ne sont pas les rayons du soleil qu'ils rĂ©ussirent Ă  enfermer dans une boĂźte, mais la lumiĂšre _ Et bien cette petite fille, elle, elle y arrivait. Seulement, sa boite n'Ă©tait jamais assez grande. Chaque jour un, deux, six d'un coup Ă  ranger jusqu'Ă  plus. Vie ne s'en sortait plus Ă  devoir changer de boĂźte tous les jours. Alors elle dĂ©cida de les accumuler d'abord dans sa chambre, puis trĂšs vite elle envahit le couloir, la chambre de papa maman, du petit frĂšre, de la grande sœur, jusque dans la baignoire de la salle de bains. Puis les escalier, le sĂ©jour, la cuisine, le hall d'entrĂ©e, et comme cela n'Ă©tait toujours pas suffisant, elle amoncela ces petits tas de bonheur dans le jardin, mĂȘme la niche d'Hector le chien saint-bernard ne put y Ă©chapper. Bref son histoire commença Ă  interpeler les parents. Tous ces bonheurs emmagasinĂ©s dans la maison, passaient encore, mais dans la rue ; jusqu'oĂč allait on ? Palabre, cafĂ©s sur cafĂ©s, ensemble parents et voisins, n'eurent de cesse de chercher une solution pour calmer cette invasion jubilatoire. _ Cependant, les voisins qui s'Ă©taient accrochĂ©s Ă  leurs petits soucis, leurs petits chagrins, et qu'ils n'Ă©taient pas prĂȘts Ă  abandonner pour du bonheur, ne purent rien faire contre ce dĂ©ferlement. Oui OUI messieurs Dames, Un torrent de tas de petits bonheur commençaient Ă  envahir toutes les rues, puis tous les jardins, les maisons, les bureaux, les usines, rien ne fut Ă©pargnĂ©, pas le moindre recoin. Et la petite fille n'y pouvait rien. _ Personne n'y pouvait, rien. Personne ne rĂ©ussit Ă  freiner cette invasion. _ C'Ă©tait bien simple, partout oĂč Vie passait le bonheur s'installait. _ Jusqu'au jour oĂč, sous ce dĂ©ferlement de bonheur, un des pays pas encore atteint par cette heureuse pandĂ©mie, trouva la parade, ils inventĂšrent la Peur. _ Et oui le bonheur s'installant partout, plus personne ne se souciait de gagner de l'argent pour gagner de l'argent. Incroyable, monstrueux. Il fallait Ă  tout prix stopper cet ignominie. _ C'est ainsi que malheureusement pour tous les habitants de la planĂšte terre naquit la peur. _ Vie, devant ce grand danger, pour elle mĂȘme, dĂ»t agir, et vite. _ RĂ©pondant Ă  l'appel de son guide intĂ©rieur, elle troqua pĂšle mĂȘle tous ces petits tas de bonheur contre des tas de bĂ©quilles. Ainsi, Ă  chaque Ă©branlement causĂ© par la peur, un soutien venait Ă©tayer l'ensemble. _ Avec toutes ces bĂ©quilles, se construisit, ponts, passerelles, Ă©difices pour ces aliĂ©nĂ©s de la peur. Bien que mallĂ©able, cette derniĂšre bien trop mobile, se devait d'ĂȘtre stoppĂ©e, et nette. Des sĂ©quences courtes d'apprentissage de domptage de peur, s'instaurĂšrent. Et Vie, avec tous ces petits bonheurs, s'illustra encore fois, par sa dextĂ©ritĂ©. _ Une par une elle rĂ©ussit Ă  immobiliser et vaincre les peurs. _ Et c'est ainsi que peu Ă  peu s'ouvrit le monde aux bonheurs, du plus petit au plus grand, du plus gros au plus mince, bref, sans distinction aucune. _ Car si tu sais prendre chaque instant de bonheur de VIE quelque qu'il soit, c'est toi qui aura gagnĂ© !!! Nouvelle 154 _ Neige Dehors la tempĂȘte s'amplifiait les flocons tombaient drus et Ă©pais tandis que sur le poĂȘle le cafĂ© restait au chaud .Tout se mĂȘlait dans sa tĂȘte souvenirs, rĂȘves, tracas quotidiens. Comment ne pas se laisser aliĂ©ner par cette solitude, comment troquer cette vie loin de tout contre une existence intrĂ©pide oĂč l'on agit comme l'on respire, dans les horaires, les contraintes, les objectifs Ă  atteindre
 Nul besoin alors, de s'interroger sur le sens des choses, sur ce qui oriente et guide son activitĂ© ; les appels du tĂ©lĂ©phone mobile rythment et meublent les trajets, les attentes de bavardages innocents et plats, sans vĂ©ritable contenu, du genre T'es oĂč ?, J'arrive, tu me vois ? » Absolument rien Ă  voir avec la palabre des Anciens du village qui Ă©lĂšve les esprits, les agite et les apaise dans la magie d'une parole partagĂ©e ; Non rien Ă  voir avec cela, mais la sensation rassurante d'une vĂ©ritable passerelle entre soi et cet autre au bout du fil », comme la promesse d'ĂȘtre ensemble toujours. _ AbsorbĂ© dans sa rĂȘverie intĂ©rieure, l'homme s'approcha de la fenĂȘtre ; lĂ , saisi par l'Ă©clat du paysage enneigĂ©, ses yeux s'arrĂȘtĂšrent sur deux oiseaux minuscules, mĂ©sange, troglodyte peut-ĂȘtre, voletant Ă  la recherche de quelque miette perdue. Un peu plus loin une pie s'Ă©tait posĂ©e et sur la branche d'un chĂȘne on pouvait deviner le bec jaune du merle. L'homme, le front appuyĂ© contre la vitre, se laissa envahir par la scĂšne. Peu Ă  peu la mĂ©lancolie le quitta ; c'Ă©tait comme si le spectacle vivant l'avait introduit dans une page de livre pour enfant, un conte illustrĂ©. FraĂźche et douce, ferme et solide, la vitre lui offrait toujours le mĂȘme soutien ; il n'avait plus Ă  se soucier de lui-mĂȘme et pouvait se laisser aller Ă  une dĂ©tente jubilatoire et bĂ©nĂ©fique. _ Neige et oiseaux avaient suffi Ă  transformer le moment. _ Il ne s'Ă©tait rien passĂ© en fait ; rien ou pas grand chose, juste assez d'abandon de soi pour, un instant, devenir tendre et mallĂ©able, rĂ©actif au sursaut joyeux du regard. Dehors la neige tombait encore ; Ă  l'intĂ©rieur, une nouvelle sĂ©quence pouvait commencer l'homme avala une tasse de cafĂ© et se mit Ă  Ă©crire. Nouvelle 155 _ Regarde, Agis C'Ă©tait par hasard qu'il l'avait trouvĂ©e. _ Lorsqu'il l'avait vue dans ce bar, il avait reconnu son visage pour avoir Ă©tudiĂ© les fichiers de toutes les personnes disparues. Aussi, le soir mĂȘme, il avait parcouru la base de donnĂ©es piratĂ©e et trouvĂ© Anita. Fille d'un des membres du gouvernement, Ă©tudiante en droit, promise Ă  une grande carriĂšre politique, elle avait disparu, comme ça, un beau jour. Non, elle n'avait pas exactement disparu. Elle leur avait juste tournĂ© le dos, refusant leur soutien financier, ne leur adressant plus la parole, se soustrayant Ă  leur regard. Du moins, le croyait-elle
 Ils l'avaient vite retrouvĂ©e. Ç'avait Ă©tĂ© assez facile, elle n'avait rien effacĂ© de sa vie antĂ©rieure. L'once de dĂ©goĂ»t et l'Ă©tincelle de rĂ©bellion Ă©taient dĂ©jĂ  en elle. Il suffirait de lui montrer comme sa fuite Ă©tait factice pour faire renaĂźtre cette Ă©tincelle et en faire un brasier. Muni de ses informations, il retourna au bar et s'arrangea pour que ce soit elle qui le serve. _ – Mademoiselle ? Vous voulez bien prendre un cafĂ© avec moi ? _ Anita avait lĂ©gĂšrement rosi, consultĂ© sa montre _ – Oh, je peux bien prendre ma pause maintenant
 _ La premiĂšre sĂ©quence du plan de Daniele Ă©tait facile. Il avait beaucoup de charme, peu de femmes rĂ©sistaient Ă  une demande Ă  la fois aussi anodine et aussi connotĂ©e. La seconde partie Ă©tait plus ardue, mais tout Ă©tait affaire de rhĂ©torique, et il s'y connaissait. _ – Alors ? Il te plaĂźt ce boulot ? _ – Oh, oui, on rencontre des gens trĂšs intĂ©ressants ! C'est assez physique pour rester en forme, et les horaires sont trĂšs bien ! _ – Pas trĂšs convaincant
 Ça ne te plaĂźt pas, hein ? Je suis sĂ»re que tu aurais pu avoir beaucoup mieux
 Tu n'as pas envie de changer ? _ – De quoi tu te mĂȘles ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? _ Anita s'Ă©tait levĂ©e, rose d'agacement cette fois. Il lui prit le bras pour la retenir _ – Tu as fait du droit, non ? _ – Comment tu sais ça ? _ – Peu importe
 Mais ça ne te plaisait pas
 Pas plus que ce que tu fais maintenant ne te plaĂźt. Tu es partie, tu te sentais aliĂ©nĂ©e
 Et qu'est ce que tu as fait ? Tu es passĂ©e Ă  une autre aliĂ©nation. Maintenant il faut dĂ©passer ça ! _ – Laisse-moi tranquille
 Je suis bien comme ça, personne ne sait oĂč je suis, personne ne me contrĂŽle
 _ – Ça c'est ce que tu crois. _ Il pointa son badge pour illustrer ses propos _ – Tu as ton vrai nom lĂ -dessus. Une puce et tout ce qu'il faut. Tu crois vraiment que tu es introuvable ? _ – La semaine, je travaille dans une fabrique de mobiles, tu sais, ce qu'on accroche au-dessus du berceau des enfants ? On n'a pas de badges lĂ -bas
 _ – Mais tu as gardĂ© le mĂȘme compte bancaire, le mĂȘme numĂ©ro de SĂ©curitĂ© Sociale, la mĂȘme identitĂ© ! C'est facile de te retrouver, il suffit d'avoir des contacts dans ta banque
 _ – Ce que je te propose, Anita, c'est agir. Tu crĂšves de faire ce boulot de serveuse, tu crĂšves d'entendre et de voir les mĂȘmes inepties, tu as vĂ©cu parmi eux, je le sais. Et tu sais ce qui se passe en rĂ©alitĂ©, tous les jours, et qu'on nous cache. Tu as choisi de ne pas le voir pour ne plus ĂȘtre confrontĂ©e Ă  ta lĂąchetĂ©, mais si tu agissais maintenant ? Si tu dĂ©cidais d'ouvrir les yeux ? Si tu dĂ©cidais de les regarder en face et de ne plus ĂȘtre lĂąche ? _ – Mais
 Mais on n'en fait pas ce qu'on veut de la rĂ©alitĂ©, elle n'est pas mallĂ©able
 _ – TrĂȘve de palabres ! Ne chercher pas Ă  te justifier, Anita, tu as Ă©tĂ© lĂąche, maintenant je te propose d'ĂȘtre courageuse
 Je suis Ă  la passerelle nord tous les mardis Ă  15h. Si tu veux que nous agissions ensemble, tu n'as qu'Ă  m'y rejoindre. _ Elle acquiesça sans mot dire, et retourna Ă  ses occupations. Mais elle savait dĂ©jĂ  qu'elle rĂ©pondrait Ă  l'appel, elle n'avait pas besoin d'y rĂ©flĂ©chir. Il avait fait renaĂźtre en elle les souvenirs de tout ce qu'elle haĂŻssait dans cette nouvelle sociĂ©tĂ©. Quelques semaines plus tard, elle avait troquĂ© sa petite vie banale et bien rangĂ©e pour une vie en marge, rebelle. Il avait Ă©tĂ© tout Ă  fait jubilatoire de voir Daniele faire disparaĂźtre une Ă  une toutes les preuves de son existence. Le mercredi suivant sa disparition de tous les fichiers gouvernementaux, elle accomplissait son premier vĂ©ritable acte de rĂ©bellion. Oh, pas grand-chose, juste ce qu'il fallait pour bien faire comprendre que ce gouvernement avait quelque chose d'insupportable. Le mercredi matin, elle s'introduisit donc Ă  l'AssemblĂ©e parmi le personnel d'entretien, et dĂ©posa un boĂźtier muni d'un minuteur, dans un coin de la tribune du public. En plein milieu de la sĂ©ance, on put entendre l'hymne français adoptĂ© lors de la RĂ©volution, et maintes fois interdit par la suite. Juste ce qu'il fallait pour annoncer des reprĂ©sailles futures
 _ La Victoire en chantant nous ouvre la barriĂšre _ La LibertĂ© guide nos pas _ Et du Nord au midi, la trompette guerriĂšre _ A sonnĂ© l'heure des combats. _ Tremblez ennemis de la France, _ Rois ivres de sang et d'orgueil. _ Le peuple souverain s'avance _ Tyrans descendez au cercueil ! » Nouvelle 156 _ Hurler pour survivre J'ai l'impression de ne pas exister », hurla t-il dans le silence de la montagne. Un appel presque bestial Ă  la fois jubilatoire et dĂ©sespĂ©rĂ©. Au plus loin qu'il voyait se dessiner le chemin devant ses yeux Ă©carquillĂ©s de folie, il n'espĂ©rait plus rien. Pourtant, il attendait encore, il espĂ©rait toujours. _ Le souffle lui revint, sa respiration reprit un doux rythme. Rien n'Ă©tait plus important pour lui que de s'aliĂ©ner Ă  cette marche infinie. Ses chaussures Ă©taient depuis bien longtemps usĂ©es par la poussiĂšre caillouteuse de cette route sans fin. Le sourire avait quittĂ© son visage. Son seul guide Ă©tait les rayons du soleil mĂȘlĂ©s tantĂŽt Ă  une brume matinale, tantĂŽt Ă  une pluie d'aprĂšs-midi. Il avait pris l'habitude d'illustrer mentalement chacun de ses cris. Pour chacune de ses phrases Ă  l'allure de sentences, il s'imaginait dans une autre vie, une autre nature, une autre Ă©poque
 mais surtout pas, non, surtout pas, lĂ , dans ce moment-lĂ . _ Pour le j'ai l'impression de ne pas exister », il se voyait avec des lunettes de soleil, sirotant un cafĂ©-crĂšme, sur une terrasse embaumĂ©e par les magnolias, regardant une nuĂ©e de badauds qui, tous, un par un, le regardait avec un sourire bienveillant. Il goĂ»tait avec dĂ©lectation aux Ă©motions que lui procurait cette sĂ©quence animĂ©e. _ Parfois, seule une image figĂ©e lui parvenait
 Sur le Merde, me laissez-pas ! », c'Ă©tait Ă  la tombĂ©e de la nuit. Il se trouvait ridicule. Il pensait Ă  sa mĂšre
 SA mĂšre qui l'avait Ă  peine pris dans ses bras. Mais, ce n'Ă©tait pas elle qui venait Ă  son esprit. Non ! LĂ , prĂ©cisĂ©ment, lĂ , Ă  ce moment exact, dans cette boĂźte de nuit branchĂ©e, nu, tel un athlĂšte grec, de son podium, il surplombait, immobile, une nuĂ©e de danseurs subjuguĂ©s par la perfection de son corps. L'image restait fugace. Il fallait sans cesse la reconstruire. Image trop mallĂ©able ! _ Et puis, quand il n'avait plus la force de hurler, il se souvenait de sa vie. Sa vie d'avant. Avant d'ĂȘtre en perdition dans ce lieu hostile, Sa vie d'avant oĂč il se voyait agir costume sur mesure, cravate unie, souliers vernis. Une vie de palabres alimentĂ©es par son tĂ©lĂ©phone fixe, son fax, son ordinateur portable et surtout, son tĂ©lĂ©phone mobile, le plus important. Vital ! Curieusement, les images de son passĂ© ne l'apaisaient pas. Il faisait beaucoup d'efforts pour les troquer contre d'autres visions, celles qu'il avait créées depuis qu'il marchait sur ce chemin. _ Au fil des jours, il comprit que ces images figĂ©es ou animĂ©es l'accompagnaient, l'aidaient ensemble, ils reconstruisaient un univers imaginaire. Un soutien dans ce monde uniforme, avec si peu de couleurs, si peu de reliefs. _ Pourtant, un jour, sans qu'il s'en rende compte, le paysage se mit Ă  changer des arbustes fleuris remplacĂšrent les rares buissons. Ses hurlements laissĂšrent place Ă  des cris, puis Ă  des appels presque apaisĂ©s. Moins il hurlait, et plus la vĂ©gĂ©tation se faisait dense. _ Le silence devenait apaisant. _ C'est alors qu'il comprit que, vraiment, tout avait changĂ©. Le chemin s'arrĂȘtait devant une riviĂšre. Il aperçut une passerelle en bois. Peut-ĂȘtre se serait-il mĂȘme surpris Ă  sourire mais une voix lui murmura Si je pouvais choisir, c'est dans tes bras que je voudrais mourir. Tu es la vie au-dedans et au dehors. Alors je me nourris Ă  l'infini de ta vie. Je me plonge dans tes yeux et je veux y vivre. Un regard en forme de pichenette et de pied de nez. Nous nous sommes choisis et nous cheminons l'un vers l'autre. Je meurs mille fois quand tu ne me regardes pas. Comme seule nourriture, je n'accepterais que ton sourire
 ». _ Alors, il accepta enfin de sourire
 et d'ouvrir les yeux. _ De ses doigts fĂ©briles, il reprit contact avec une autre rĂ©alitĂ© celle de son lit d'hĂŽpital, aux draps blancs et de sa chambre aux murs irisĂ©s. _ Proche de lui, si proche qu'il aurait pu la toucher s'il en avait eu la force, un visage de femme Ă©tait penchĂ© au dessus de lui et lui souriait sans parler. Ses yeux brillaient de larmes. _ Avec une joie intense, il l'entendit alors prononcer ces quelques mots Si je devais mourir, c'est dans tes bras que je le ferai »  Nouvelle 157 _ Stalactite La lumiĂšre du jour passait Ă  travers la baie vitrĂ©e du salon. La piĂšce Ă©tait trĂšs claire, trĂšs spacieuse, trĂšs lumineuse, meublĂ©e sobrement et Ă©lĂ©gamment. Les murs Ă©taient d'un blanc immaculĂ©. Au centre de la piĂšce, une femme habillĂ©e d'un tailleur chic et d'un pantalon assorti Ă©tait assise Ă  une table en verre, seule. Elle se regardait dans un miroir en buvant son cafĂ©. CrispĂ©e, des cernes sous les yeux, elle semblait extĂ©nuĂ©e, et ne s'Ă©tait pas maquillĂ©e. A la voir dĂ©jeuner dans ce cadre, aussi tĂŽt le matin, avec son chignon strict et son air absent, on pensait tout de suite Ă  une femme d'affaires surmenĂ©e. Elle caressait de ses longs doigts fins sa bague de fiançailles qu'elle ne parvenait pas Ă  ĂŽter, mĂȘme des semaines aprĂšs la mort de son mari
 _ Tout d'un coup elle se leva, et jeta de toutes ses forces la tasse qu'elle venait de terminer sur le miroir, qui Ă©clata dans un fracas assourdissant et rĂ©pandit sur le sol des morceaux de verre. Puis, toujours rageuse, elle renversa la table, qui se fracassa Ă©galement, le bruit du choc rĂ©sonnant dans la salle. La jeune femme s'Ă©croula en sanglots sur le sol, des bouts de verre lacĂ©rant ses cuisses et les paumes de ses mains. Elle se regarda alors dans un fragment de miroir qui se trouvait non loin d'elle. Elle serra les poings, se releva, dĂ©fit sa ceinture et quitta son pantalon. Ensuite elle retira sa chemise, dĂ©grafa son soutien-gorge et enleva sa culotte. AprĂšs, elle tira sur l'Ă©lastique qui nouait ses cheveux, et retira une Ă  une les Ă©pingles de son chignon. _ Elle marcha jusqu'Ă  la baie vitrĂ©e, au milieu des Ă©clats de verre. Elle ressemblait Ă  un fantĂŽme, semblait Ă  peine humaine. Elle ouvrit la porte-fenĂȘtre. Elle agissait mĂ©caniquement, froide et presque triomphante dans sa douleur. Du sang coulait de ses blessures. Elle sortit pieds nus dans la neige, fit quelques pas et se blottit alors en chien de fusil sur le sol, dans le froid. Elle resta longtemps prostrĂ©e dans cette position, sentant des flocons de neige recouvrir son corps d'une fine pellicule de coton blanc et gelĂ©. Ça lui faisait du bien. Elle se sentait exister Ă  travers cette souffrance. Elle avait cessĂ© de vivre en mĂȘme temps que son mari. Il lui manquait Ă  un point inimaginable. Les souvenirs des moments passĂ©s ensemble, des longs palabres les soirs d'hiver, lui revenaient par sĂ©quences, toujours douloureux. _ Elle ferma les yeux et resta comme ça pendant des heures, des larmes roulant sur ses joues, se transformant aussitĂŽt en perles de glace. Au bout d'un moment, frigorifiĂ©e, les lĂšvres bleuies, elle se leva, laissant l'empreinte de sa silhouette et des traĂźnĂ©es Ă©carlates dans la neige. Une voix. Elle entendit la voix de son Ă©poux, comme un appel. Elle la suivit jusqu'Ă  une passerelle au fond du jardin, comme on suit un guide, laissant derriĂšre elle la trace de ses pas dans la neige mallĂ©able. Plus elle progressait, plus la voix semblait rĂ©elle et l'attirait. Elle traversa le pont. ArrivĂ©e de l'autre cĂŽtĂ©, elle poussa un cri jubilatoire oĂč se mĂȘlaient extase, et souffrance. _ Elle se rĂ©veilla en hurlant, toujours allongĂ©e dans la neige. C'Ă©tait impossible ! Elle avait rĂȘvĂ© ! Elle se releva, paniquĂ©e, et courra jusqu'au pont. Il n'y avait pas de marques dans la neige. Un cauchemar. Il illustrait parfaitement ce qui lui arrivait depuis le dĂ©cĂšs de son mari. Elle dĂ©lirait souvent, son esprit dĂ©raillait. Elle troquait sans cesse illusions, souvenirs, sensations, avec la rĂ©alitĂ©. Elle avait pu auparavant remonter la pente grĂące au soutien et Ă  l'amour de son mari. Il n'Ă©tait plus lĂ . Elle n'avait plus de mobile, comme il disait, d'avancer, de se relever. Sa raison de vivre Ă©tait morte. _ Tremblotante, elle monta sur la passerelle, le verglas brĂ»lant les coupures faites par le verre sur la plante de ses pieds. Son souffle saccadĂ© faisait peine Ă  entendre. De la vapeur s'Ă©levait dans l'air lorsqu'elle respirait. Elle s'appuya sur la barriĂšre du ponton, leva son visage vers le ciel, des flocons tombant sur son corps nu et mutilĂ©, la faisant frissonner. Un unique rayon de soleil fit briller une larme sur sa joue bleuie par la froideur de l'hiver. Elle serra les mĂąchoires et ses Ă©paules se raidirent. Elle se retourna une derniĂšre fois vers leur maison. Puis, elle arracha Ă  deux mains, dans un dernier effort, une stalactite qui pendait sous le rebord de la barriĂšre du pont. Elle leva la pointe et se la planta dans le cœur de toutes ses forces, aliĂ©nant Ă  la mort les derniers fragments de vie qui l'habitaient. _ Elle s'Ă©croula sur le sol, le pieu de glace enfoncĂ© dans le sein gauche. On entendit un dernier murmure
 _ Je t'aime. » Nouvelle 158 _ Agir C'est en cherchant aprĂšs un support pour Ă©crire que je tombai sur mon ancien cahier de collĂ©gien. Sur la couverture, on pouvait encore lire l'en-tĂȘte qu'une main maladroite avait remplie avec une dĂ©vouĂ©e application classe de sixiĂšme B ». Je ressentis un lĂ©ger pincement au cœur en dĂ©couvrant cet objet dont j'avais oubliĂ© l'existence. Ou plutĂŽt que j'avais relĂ©guĂ© Ă  un passĂ© lointain et diffĂ©rent, celui d'une personne que je n'Ă©tais plus. En somme, tenir ce vestige entre mes mains m'apparut comme un appel du passĂ©. Vestige d'une vie qui n'Ă©tait Ă  l'Ă©poque ni malheureuse ni joyeuse. J'Ă©tais un collĂ©gien plutĂŽt effacĂ©. Ni trĂšs bon ni trĂšs mauvais, de ceux dont les professeurs mettent du temps Ă  retenir le prĂ©nom. J'avais traversĂ© le collĂšge puis le lycĂ©e et l'universitĂ© pour devenir comme l'on dit un jeune actif ». Moins effacĂ©, avec un peu plus d'amis, un travail qui ne m'apportait pas la sensation d'avoir changĂ© le monde mais qui me satisfaisait nĂ©anmoins. Un petit monsieur tout-le-monde, un de ceux que vous croisez le matin en prenant le mĂ©tro. Un petit peu au dessus de la moyenne nĂ©anmoins, j'avais fait des Ă©tudes plutĂŽt longues en sciences humaines et brassĂ© un certain nombre de grandes considĂ©rations l'homme aliĂ©nĂ©, l'animal politique, la guerre de tous contre tous, j'en avais soupĂ© pendant plusieurs annĂ©es. J'avais donc l'immense privilĂšge de pouvoir citer Nietsche ou Lacan entre deux gorgĂ©es de biĂšres ou encore de mener des discussions enflammĂ©es au cafĂ© sur la permanence de l'œuvre de Marcel Proust au XXIe siĂšcle. Satisfait, l'adjectif convenait plutĂŽt bien Ă  mon Ă©tat d'esprit. Je n'avais jamais Ă©tĂ© trĂšs nostalgique, pourtant, feuilleter mon petit cahier de collĂ©gien entraĂźna en moi l'irruption de pensĂ©es confuses. Je lu la premiĂšre page SĂ©quence 1, leçon 1 » suivi de quelques mots d' anglais. Je souris. La sixiĂšme B, Monsieur Dubar, mon professeur d'anglais, mes efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s pour Ă©chapper au courroux maternel en tentant de mĂ©moriser tant bien que mal quelques mots de vocabulaire et atteindre le graal tant convoitĂ© du dix sur vingt. A bien y rĂ©flĂ©chir, la sixiĂšme avait Ă©tĂ© un moment plutĂŽt difficile de mon enfance. L'enfermement huit heures par jour dans un endroit pas trĂšs rĂ©jouissant, encerclĂ© par des grilles. Un univers quasi carcĂ©ral, le gris du bĂ©ton, les clan des grands » qui vous toisent du regard, vous mĂ©prisent ou vous briment. Non, vraiment, la vie Ă©tait loin d'ĂȘtre facile Ă  l'Ă©poque de la sixiĂšme B. Je relu les mots soigneusement recopiĂ©s et classĂ©s par ordre alphabĂ©tique A an alarm clock », un rĂ©veil, B a boat », un bĂąteau. Effectivement il n'y avait rien de jubilatoire dans cette annĂ©e de sixiĂšme. Les confusions constantes dans le dĂ©dale des salles, la peur rĂ©currente de dĂ©cevoir, la pression quant Ă  l'orientation. Au rythme des verbes irrĂ©guliers, je me remĂ©morai la boule au ventre des vendredis matins puis des salles d'examens. Eteignez vos tĂ©lĂ©phones mobiles, toute copie rendue en retard sera sanctionnĂ©e ». Finalement le petit Ă©lĂšve de sixiĂšme B n'avait pas tant changĂ©. La boule au ventre avait changĂ© de jour et Ă©tait passĂ©e du vendredi au mardi, journĂ©e d'inspection de la hiĂ©rarchie. Je suis toujours bloquĂ© huit heures par jour dans un environnement grisĂątre et quand je contemple les grilles fermĂ©es sur une cour cimentĂ©e, je repense aux palabres sans fin quant Ă  l'orientation. De ces Ă©tranges ritournelles qui vous bercent jusqu'Ă  la fin de vos Ă©tudes rĂ©ussir ou mourir, ĂȘtre heureux ou malheureux, tout se joue dans votre dossier scolaire, et par une subtile synecdoque au rĂ©sultat de cette interrogation d'anglais. Faire des listes, apprĂ©hender sans rĂ©elle ambition. MĂ©moriser. Je ne me suis finalement jamais illustrĂ© dans un domaine particulier et le petit sixiĂšme mallĂ©able se demande toujours ce qu'il est venu faire dans ce vaste ensemble dont les rouages lui semblent bien Ă©tranges. Les grands sont toujours en bande au fond de la cour. Ils sont toujours les plus populaires et les plus forts. Pas question de protester contre l'ordre Ă©tabli. Les passages et les passerelles sont toujours aussi confusants, je me perds encore dans les dĂ©dales. La rĂ©crĂ©ation sonne, je prends mes cinq semaines de congĂ©s payĂ©s. Le professeur dit que je dois accentuer mon travail, continuer de faire des efforts, j'ai droit Ă  un cadeau de fin d'annĂ©e. Les surveillants surveillent, me disent de ne pas faire de bĂȘtises, de me mĂȘler de ce qui me regarde. Je tourne les pages, le petit sixiĂšme me demande d'agir mais je ne l'Ă©coute pas. C a clock » , une horloge, D a desk » un bureau. J'ai appris consciencieusement. J'ai eu la moyenne. Moi tout seul. Sans guide, sans soutien, sans souffleur. J'ai troquĂ© une partie de mon savoir, j'ai donnĂ©, j'ai reçu, j'ai Ă©tĂ© sage. Le petit sixiĂšme me demande si je suis satisfait. Je lui rĂ©ponds, aprĂšs une hĂ©sitation j'ai eu la moyenne » Nouvelle 159 _ Moratoire pour l'accessibilitĂ© Ă©nergĂ©tique » Azh descendit Ă  la gare d'Ulan Bator avec cette indĂ©fectible expression jubilatoire qui la caractĂ©risait. C'Ă©tait pourtant un jour d'hiver ordinaire, la chape de pollution au dessus de la ville maintenait un niveau d'alerte 9, le plan charbon avait Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©, il Ă©tait difficile de respirer tout comme de voir le bout de l'avenue. Elle voulu prendre un vĂ©lo mais une fois de plus en cette saison les stations Ă©taient fermĂ©es. Elle mit son gšm3 pour se protĂ©ger et accĂ©lĂ©ra le pas pour ĂȘtre Ă  l'heure au congrĂšs. _ En poussant la porte de la salle son mobile tombait Ă  terre, ouvrant sa boite Ă  messages bonne nouvelle, je serai lĂ  pour ton arrivĂ©e ». Tout en rĂ©cupĂ©rant les feuilles du dossier qui s'Ă©talaient sur le sol et en rangeant son masque, elle vĂ©rifiait la source du texto. Elle n'avait pas aperçu Iknut et de toute maniĂšre il n'avait pas pour habitude d'ĂȘtre prĂ©venant Elle put attraper un cafĂ© avant de s'installer autour de la table de discussion. Il Ă©tait dĂ©jĂ  lĂ , prĂ©sidant la rencontre des FĂ©dĂ©rations. Ses joues s'embrasaient, elle avalait vite une gorgĂ©e du breuvage brulant-essayant de sauver son embarras L'avait il vraiment attendue, ou bien voulait il simplement lui transmettre un soutien ? Ou Ă©tait-ce cette condescendance qu'il exprimait quelquefois ? Iknut ouvrit la sĂ©ance en soulignant l'importance des dĂ©bats. L'Appel de Nomade International avait Ă©tĂ© entendu, chaque membre venait aujourd'hui dĂ©fendre un projet fĂ©dĂ©rateur pour l'ensemble des RĂ©gions. Azh mit sur silencieux, posait le portable devant elle, se concentrait finalement sur ses travaux et prit la parole sans prĂ©ambule MĂȘme si notre modĂšle de dĂ©veloppement et nos Ă©co-villages inspirent bien des initiatives ici oĂč lĂ , nos vraies difficultĂ©s viennent actuellement de notre dĂ©pendance Ă©nergĂ©tique qui contribue fortement Ă  aligner notre Ă©conomie sur le modĂšle dit- occidental notamment en matiĂšre d'Ă©changes. Nous devons agir au plus vite pour nous en affranchir. De part les situations gĂ©o-climatiques extrĂȘmes, dont nous nous proclamons, nous ne devons pas pour autant nous laisser aliĂ©ner par la logique des gouvernements traditionnels. Il en va de notre souverainetĂ© ». Un murmure parcourut la salle, s'amplifiait. Son intervention, une fois de plus, provoquait l'approbation et suscitait les dĂ©bats Oui, comment continuer Ă  se passer d'Ă©nergie lĂ©gale jusqu'Ă  quatre mois l'annĂ©e et supporter d'ĂȘtre Ă©pinglĂ©s par la Commission et son cortĂšge de pĂ©nalisations » »Sans compter que nous pourrions augmenter nos productions en restant fidĂšle nos choix » »Quant au fossĂ© numĂ©rique il n'est que partiellement comblĂ© ! Le Protocole avait pourtant Ă©tĂ© clair sur cette passerelle, mais nous en sommes rĂ©guliĂšrement coupĂ© faute d'accĂšs permanent Ă  l'Ă©nergie » »Nos capacitĂ©s de financement sont moindres, pourtant nos matiĂšres premiĂšres rares et prĂ©cieuses ». Azh repris la parole Justement notre rĂ©flexion s'appuie sur l'article 15 de la Convention sur la DiversitĂ© Biologique. Nos prĂ©dĂ©cesseurs ont dĂ» se battre afin que la rĂ©partition des bĂ©nĂ©fices soit une rĂ©alitĂ©, ceci dit les accords continuent Ă  particuliĂšrement nous lĂ©ser. Prenons l'exemple de Capra Hircus, seul le patrimoine gĂ©nĂ©tique global de l'animal est considĂ©rĂ©. Alors que la fibre pashmĂźnĂą est devenue un composant indispensable aux nouvelles technologies. Sa valeur pourrait ĂȘtre considĂ©rable dans nos Ă©conomies, plus seulement en terme textile. A y regarder plus scientifiquement une grande partie de nos produits dĂ©rivĂ©s contient des sĂ©quences gĂ©nomiques. Nous devons absolument obtenir une extension de la norme APA ». La mobilisation de toutes les communautĂ©s nomades avait Ă©tĂ© trĂšs forte dĂšs les premiers effets irrĂ©versibles du rĂ©chauffement climatique. Les fĂ©dĂ©rations rĂ©gionales indĂ©pendantes s'Ă©taient ensuite regroupĂ©es au sein de Nomade International. Un vĂ©ritable trait d'union Ă©tait nĂ© entre des entitĂ©s topographiques similaires dissĂ©minĂ©es Ă  travers le monde. Et il avait fallu encore de longues dĂ©cennies avant que des accords internationaux leur reconnaissent une lĂ©gitimitĂ© de Gouvernement Ă  faire valoir leurs droits. _ Iknut toussota. A dire vrai il s'ennuyait, connaissant dĂ©jĂ  trop les dossiers dont il avait Ă©tudiĂ© la recevabilitĂ©. EreintĂ© par les voyages rapprochĂ©s, il rĂȘvait malgrĂ© tout d'une plage de sable fin aux antipodes de ses motivations habituelles, d'un beau sable blond et chaud, mallĂ©able Ă  souhait, qui Ă©pouserait les courbes de son corps et le dĂ©connecterait de ses responsabilitĂ©s. Il s'ennuyait et pianotait distraitement sur son clavier. Azh ne vit pas tout de suite que son portable approchait le bord de la table, emportĂ© par les soubresauts du vibreur
 le signal urgent clignotait, elle l'attrapait au vol, le mettait discrĂštement dans sa poche en lisant de Iknut au 28, ma cocotte d'amour ». DĂ©concertĂ©e par tant de dĂ©sinvolture, Azh essayait de contenir les spasmes qui montaient en elle, oĂč se mĂȘlaient des Ă©motions tout Ă  fait contradictoires, un tragi/comique qu'elle ne pouvait exulter. Sauf qu'instinctivement son regard se tournait vers lui, essayant de lire une empreinte de ce qui par le passĂ© avait fait naitre des Ă©motions bien plus poĂ©tiques Le fou rire s'emparait d'elle, l'obligeait Ă  quitter la salle. Il lui emboitait le pas Mais enfin, c'est insensĂ©, qu'est-ce qu'il t'arrive ? » Mais tu veux dire nerveuse qu'est qu'il t'arrive Ă  Toi ? ces messages que je reçois gros Ă©clats irrĂ©pressibles je ne crois pas j'ai pas pu » Iknut rĂ©alisait sa mĂ©prise, son visage perdait de sa superbe Az s'essuyait les yeux, le fou rire la repris, reniflait, repartait de plus belle, essayant de terminer sa phrase, mais en vain. Finalement elle textotait un petit mot tĂ©moignage de la tendresse qu'elle gardait pour lui. Il haussait les Ă©paules – bien sĂ»r cela ne lui Ă©tait pas destinĂ© – et avec son grand rire franc il l'invita Ă  rejoindre l'assemblĂ©e. Quoique incongrue, cette situation ne surpris personne car tous connaissaient leur histoire. EngagĂ©s l'un comme l'autre dans l'Ă©cologie politique le couple n'avait pas rĂ©sistĂ© aux nouvelles donnes. Lui avait choisi de rester Mongol, tandis qu'Azh, d'origine Bouriate avait optĂ© pour la nationalitĂ© de Nomade International. Sur le plan personnel elle incarnait pleinement l'esprit des Hauts Plateaux, tout comme elle illustrait parfaitement ce que la confĂ©dĂ©ration attendait de ses ambassadeurs. Il ne fallu pas des longues palabres pour que les RĂ©gions Oasis, Plaines, Fluviales, CĂŽtiĂšres et PĂŽles rĂ©itĂšrent leur soutien aux orientations qu'Azh avaient suggĂ©rĂ©es. Engager les pourparlers jusqu'Ă  obtenir l'extension de la norme APA ; crĂ©er un guide multilatĂ©ral d'Ă©quivalence en unitĂ©s de valeurs savoir-faire/ productions locales ; exiger que ces matiĂšres soient dites -aussi – premiĂšres et puissent ĂȘtre troquĂ©es contre des Ă©quipements high-tech favorisant l'autonomie Ă©nergĂ©tique. Il devenait essentiel de se procurer les derniers gĂ©nĂ©rateurs solaires portatifs. Pour eux tous, la vie prenait son sens dans cette philosophie, ils se battraient, farouchement s'il le fallait, pour ensemble porter un peu plus loin le droit des peuples nomades Ă  disposer d'eux mĂȘme. En l'occurrence, ce 12 janvier 2123 le Moratoire pour l'accessibilitĂ© Ă©nergĂ©tique » fut adoptĂ©. Et c'est ainsi, autour d'un verre d'airag et dans la convivialitĂ©, que se clĂŽturait le congrĂšs. Nouvelle 160 _ Kes ? _ Bonjour, vous allez oĂč ? _ Ben kestuveu qu'j'en sache ? _ ForcĂ©ment, cette rĂ©ponse lĂ  personne ne s'y attend, du plus aguerri Ă  celui qui a fait le plus long parcours, du plus blasĂ© Ă  celui qui n'a jamais Ă©tĂ© regardant, y a un espace temps aussi nano soit il qui laisse l'Ă©ternitĂ© en suspens. Cependant, il faut aller vite, que le cerveau se dĂ©mĂšne Ă  prendre ou pas la bonne dĂ©cision, au moins UNE dĂ©cision. Pas le temps de peser les pours les contres, examiner de prĂšs les mobiles qui font ou non ouvrir la portiĂšre ; Ă©couter l'instinct auprĂšs duquel il est si bon se rĂ©fugier en cas de doute. _ – Kestuveu qu'j'en sache est sur ma route si vous voulez. _ – J'mets mon sac Ă  l'arriĂšre pour pas qu'ça vous dĂ©range ? _ – Oui merci. _ Elle s'installe, avec elle un certain malaise fait de mĂȘme. L'Ă©troit habitacle s'imbibe et renvoie l'Ă©paisseur de leurs postures malmenĂ©es. Comme une sĂ©quence obligatoire, le silence s'impose, ni l'un ni lautre ne sait comment briser ce mur muet, chacun cherche le mot qui sauve, la palabre qui dĂ©gourdit. Mais aucun des deux ne sait oĂč kestuveu qu'j'en sache se trouve, ils savent juste que la distance qui les en sĂ©pare est trĂšs mallĂ©able. Avec une base aussi friable, qui pourrait prĂ©tendre construire un Ă©change ? Mais bien sĂ»r ils en ont envie, ils ont Ă©tĂ© chiches de faire le premier pas, le plus dangereux, le plus alĂ©atoire, alors savoir si kestuveu qu'j'en sache c'est loin c'est prĂšs, on s'en fout, le truc important et urgent Ă  savoir lĂ  tout de suite, y vont ils ensemble ou l'un Ă  cĂŽtĂ© de l'autre. _ – Excuse moi M'sieur normalement j'fais pas mais j'ai la tĂȘte un peu mĂȘlĂ©e, je peux fumer ? _ – Ouf ! _ – Presque j'attendais l'appel pour en fumer une moi mĂȘme, mais on ouvre un peu les vitres. _ Elle se dĂ©tend, il se dĂ©coince les vertĂšbres, elle roule une clope et la lui tend, son sourire Ă  elle est espiĂšgle, son sourire Ă  lui est sĂ©duisant. Elle lui passe le briquet, s'en roule une pour elle ; avant le retour de la flamme, elle pose en grandiose son sourire ce n'est que par respect du soutien qu'aura Ă©tĂ© cette cigarette, de l'ouverture qu'elle aura provoquĂ©e, ces deux lĂ  ne sont pas prĂšs d'arrĂȘter de fumer. _ La gĂȘne ne s'est pas pour autant volatilisĂ©e, quelques uns de ses jalons les entourent encore et elle a beau farfouiller des yeux les alentours, elle ne trouve pas. _ – Faut un guide pour trouver l'cendrier ? _ Il sourit, sĂ©duit encore mais en plus il est charmant, appuie doucement sur une surface invisible aux non initiĂ©s et un tiroir vierge de tout mĂ©got s'extirpe entre eux deux. _ – Waouh, c'est classieux. Ceci dit si tu fumes jamais dans ta caisse, faut pas le faire pour moi. _ S'aliĂ©ner Ă  ma connerie, c'est pas forcĂ©mĂ©nt une bonne idĂ©e. _ – Je ne suis pas sĂ»r de m'aliĂ©ner, je suis certain d'apprĂ©cier la cigarette. _ – Avant d'arriver Ă  kestuveu qu'j'en sache, ça te dit une pause cafĂ© ? _ – Que du bonheur. _ Avant de trouver l'endroit qui leur ressemble, la gomme laisse ses empreintes sur des tonnes de kilomĂštres, pendant ce temps ils ont trouvĂ© leur distance et dĂ©ployĂ© des lĂ©s entiers de paroles. Les points communs qui n'Ă©taient au dĂ©part que des hasards se dessinent au fur et Ă  mesure du macadam essuyĂ© comme des points de suspension sur la passerelle inavouĂ©e entre l'enfance et l'apparence d'adulte. _ Que faire de tout ça ? _ Les coĂŻncidences sont troublantes, mais ce qu'il ne peut avouer reste inavouable. Les concordances sont indĂ©niables, mais elle n'a jamais pu savoir ni qui ni combien ils Ă©taient Ă  l'avoir laissĂ©e sur un chemin de vie si chaotique. _ Il ralentit. Le patelin est tout petit, la borne barrĂ©e de sa limitation se voit depuis la borne d'entrĂ©e
 en y mettant un peu du sien. _ – Tu penses que c'est bien d's'arrĂȘter lĂ  ? _ – Pour le cafĂ© le plus infĂąme sans doute, pour le bistrot le plus pittoresque certainement. _ Sur la table oĂč ils s'installent, comme sur toutes les autres autour d'eux, la toile cirĂ©e qui fut un temps Ă  carreaux tranchants rouges et blancs est dĂ©lavĂ©e, dĂ©chirĂ©e aux angles et le cafĂ© est dĂ©gueulasse. Un nouveau silence s'installe, plus gĂȘnĂ©, plus intime. Tout autour d'eux agit tel un rĂ©cital du passĂ© ; il n'y a pas d'inconnu ici, ni pour l'un ni pour l'autre, ça n'en devient que plus mystĂ©rieux, ils le savent, le sentent ; seuls leurs regards qui courent furtivement partout et parfois se rencontrent pour partager la mĂȘme surprise illustrent leur dĂ©sarroi commun. _ Aucun des deux n'ose y croire mais aprĂšs Dame Hasard, c'est Dame Evidence qui s'invite. Si peu probable, mathĂ©matiquement impossible, humainement LA ! Ils se regardent Ă  nouveau, sans fuite, maintiennent l'intensitĂ©, leurs yeux s'humidifient, leurs sourires s'embellissent, comment est-ce possible ? _ La vieille dame courbĂ©e par les ans revient avec sa cafetiĂšre, l'oeil si pĂ©tillant, le sourire si timide, le geste si retenu. _ – Je vous offre un autre cafĂ© ? _ MĂȘme infect nul ne saurait refuser un tel cadeau. D'autant moins qu'il vient d'elle, mais oui c'est elle qui semblait vieille du haut de leurs quelques centimĂštres, et ce pincement des lĂšvres pour dire je vous aime tous, Ă  nul autre pareil
 ils le reconnaissent
 tous deux. _ – Vous ĂȘtes les enfants de Raymonde et HervĂ© morts dans l'Accident, hein ? Ca fait drĂŽlement plaisir de vous voir. J'm'assoie un peu, j'ai plus les muscles pour rester d'bout. Pour sĂ»r zavez changĂ©, enfin grandi, mais j'peux pas m'tromper, c'est ben vous. J'ai cherchĂ© aprĂšs vous, savoir c'que vous Ă©tiez dev'nu suite aprĂšs c'te maudite histoire. Bah, ça pas Ă©tĂ© simple et les services sociaux » ou un nom com' ça m'ont dit qu'vous Ă©tiez sĂ©parĂ©s !! N'importe quoi y racontent ! Eh, faut pas pleurer les mĂŽmes, keski vous arrive ? C'est l'Ă©motion ? Bon, ça remplit pas les estomacs, ça, j'vais vous prĂ©parer un bon p'tit r'pas ; ça vous dit steak hachĂ© – frites
 vous mangiez que ça chez moi avec du ketcheupe. _ Elle les regarde tous deux, leurs joues mouillĂ©es, leur silence obstinĂ© ; un retour au village c'est quand mĂȘme pas si Ă©motionnant !! _ – Bon d'accord, zavez grandi, alors j'troque un bon repas contre l'arrĂȘt d'vos larmes, que lĂ  j'sais pas quoi en faire. D'accord ? _ – Merci Mado. _ Mado s'Ă©loigne, elle a gagnĂ© en souplesse, mĂȘme si chaque dĂ©placement la fait visiblement souffrir. _ – Tu te souviens de son prĂ©nom ! _ – J'avais huit ans tu n'en avais que quatre. _ SILENCE. _ Elle se met Ă  pleurer vraiment, sans pouvoir s'arrĂȘter, un flot continu de paroles muettes et mouillĂ©es. Il dĂ©place sa chaise, un vacarme dans ce silence de meurtrissures, se place Ă  ses cĂŽtĂ©s, la force Ă  se dĂ©coller des parois sĂ©curisantes du dossier et la prend dans ses bras. Ces bras rĂȘvĂ©s depuis tant d'annĂ©es, elle prend peur de s'y laisser aller. Mais il est si tendre, si aimant, si coupable. _ – Si on veut manger, il faut que tu arrĂȘtes de pleurer. _ C'est murmurĂ©, c'est doux, c'est phĂ©nomĂ©nal, c'est jubilatoire. _ – T'as un mouchoir ? _ – Oui, tiens
 Il nous en faudra un trĂšs grand pour panser nos peines, mais on le fera en l'absence de Mado. Et quand le trĂšs grand mouchoir sera plein, on le jettera et on ira voir Ă  quoi ressemble kestuveu qu'j'en sache. Nouvelle 161 _ Petite histoire universelle L'accident avait eu lieu, terriblement violent et efficace, occasionnant des dommages multiples et consĂ©quents que Bertrand n'avait malheureusement aucun mal Ă  imaginer. De par sa nature totalement inattendu et soudain, cet Ă©vĂ©nement venait bouleverser de façon brutale la confortable monotonie de sa petite vie d'adolescent privilĂ©giĂ©. Pour lui, cela ne faisait aucun doute c'Ă©tait la plus mauvaise sĂ©quence du film de sa vie. Et il avait beau fermer les yeux, se rejouer la scĂšne maintes et maintes fois, quand ses paupiĂšres fatiguĂ©es se soulevaient Ă  nouveau, la rĂ©alitĂ© Ă©tait toujours la mĂȘme, irrĂ©versible et dĂ©sastreuse
 _ De retour chez lui, le temps de la stupeur et de l'Ă©motion passĂ©, Bertrand n'eut plus qu'une idĂ©e en tĂȘte il devait agir, prendre les devants et l'appeler, pour tout lui raconter
 Ce n'Ă©tait pas le genre de choses que l'on pouvait cacher de toute façon, et il finirait bien par l'apprendre, dĂšs qu'il rĂ©apparaĂźtrait, dans quelques semaines, dans quelques jours, dans quelques heures peut-ĂȘtre
 Bertrand ne le savait pas exactement, ce qui contribuait Ă  l'affoler davantage. Depuis qu'ils Ă©taient capables de voyager Ă  la vitesse de la lumiĂšre, les hommes n'Ă©taient jamais trop Ă©loignĂ©s les uns des autres. Il devait donc l'appeler, et vite, trĂšs vite, avant qu'il ne soit lĂ  pour en dĂ©coudre, dans un face-Ă -face forcĂ©ment douloureux. S'il devait y avoir affrontement, Bertrand prĂ©fĂ©rait autant que cela se fasse par mĂ©dias interposĂ©s
 _ Mais que lui dire exactement ? Par oĂč commencer ? Bertrand se sentait complĂštement dĂ©semparĂ©. Peut-ĂȘtre aurait-il pu rechercher le soutien d'une tierce personne, mais vers qui se tourner dans pareille situation ? Instinctivement, il pensa d'abord Ă  sa mĂšre, elle Ă©tait mallĂ©able, trop aimante, et il avait toujours su la mettre de son cĂŽtĂ©, mais cette fois-ci ?! Finalement, il jugea prĂ©fĂ©rable de ne pas la mĂȘler Ă  cette histoire tragique. De par son comportement, il avait dĂ» s'aliĂ©ner une bonne partie de sa famille et de ses amis de toute façon. Non, vraiment, il Ă©tait terriblement seul et dĂ©muni. Il existait des modes d'emploi, des guides pratiques pour pratiquement tout, mais rien pour ça. NĂ©anmoins, il Ă©tait convaincu d'une chose il devait absolument Ă©viter les palabres interminables et aller directement Ă  l'essentiel. Les exemples tirĂ©s du passĂ© Ă©taient trĂšs nombreux pour illustrer cet Ă©tat de fait Bertrand ne tiendrait pas longtemps l'Ă©change sans craquer, sans s'effondrer littĂ©ralement face Ă  un tel interlocuteur
 _ Totalement indiffĂ©rente au drame qui se jouait Ă  ses cĂŽtĂ©s, l'horloge holographique Ă©grenait ses heures, machinalement, et chaque nouvelle minute projetĂ©e sur le mur de la piĂšce ajoutait une once de trouble et d'angoisse dans l'esprit de Bertrand. Soudain, dans un excĂšs dĂ©sespĂ©rĂ© de rage, il se saisit de sa tablette numĂ©rique et la lança en direction de la pendule, dans l'espoir de faire cesser ce maudit compte Ă  rebours. Mais les deux appareils dĂ©ployĂšrent chacun leur bouclier magnĂ©tique et se posĂšrent sans bruit et sans encombre sur le sol. Il n'Ă©tait mĂȘme plus possible de satisfaire ses pulsions les plus primitives en fracassant contre des murs des objets innocents
 Foutus appareils auto-protectifs ! Ironie du sort ces systĂšmes de protection n'existaient pas encore pour des objets de plus grande taille
 _ Une sonnerie stridente s'Ă©chappa de la cuisine et enleva Bertrand Ă  ces tristes considĂ©rations. Son cafĂ© Ă©tait prĂȘt. Combien en avait-il bu depuis ce matin, depuis le drame ? Dix ? Quinze ? Peut-ĂȘtre plus
 Paradoxalement, cette antique boisson Ă©tait la seule capable de le calmer un peu. D'origine terrienne, c'Ă©tait l'un des seuls bioaliments Ă  avoir Ă©chappĂ© Ă  la prohibition. Il serra ses mains fĂ©briles autour de la tasse, bouillante. C'est fou comme la peur accentue la sensation de froid. Lui qui ne se sentait pas l'Ăąme d'un aventurier, lui qui n'avait mĂȘme jamais quittĂ© sa galaxie d'origine, quand tant de jeunes de son Ăąge et de son rang avaient dĂ©jĂ  parcouru des dizaines d'ocĂ©ans stellaires, en cet instant prĂ©cis, il ne souhaita rien d'autre que d'ĂȘtre ailleurs, lĂ  oĂč nul n'aurait pu le retrouver
 D'ailleurs, la fuite Ă©tait peut-ĂȘtre la meilleure des solutions aprĂšs tout
 Il repensait sans cesse Ă  cet article, tĂ©lĂ©chargĂ© la semaine prĂ©cĂ©dente, dans lequel le professeur Zylberstein relatait les progrĂšs considĂ©rables que lui et l'ensemble de son Ă©quipe avaient accomplis dans leurs recherches sur les mondes parallĂšles. Le cĂ©lĂšbre scientifique, de renommĂ©e galactique, travaillait Ă  la confection d'une sorte de passerelle heptadimensionnelle, qui devait lui permettre, dans un avenir proche, de se tĂ©lĂ©projeter dans ces mondes encore inconnus. Douze singes Ă©lectroclonĂ©s avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©s comme cobayes successifs. Tous Ă©taient partis, aucun n'Ă©tait revenu pour l'instant, le passage ne fonctionnait que dans un sens
 C'est sans aucune hĂ©sitation que Bertrand aurait troquĂ© sa place contre celle d'un de ces malheureux primates ! _ Allez, courage, juste un appel
 Les aveux n'effaceraient pas la faute — comme ce serait jubilatoire ! —, mais lui enlĂšveraient un poids Ă©norme de ses Ă©paules, il le savait
 Bertrand prit une profonde inspiration, enchaĂźna avec une expiration non moins prononcĂ©e en espĂ©rant que ce ne fut pas l'une de ses derniĂšres, puis, sans plus rĂ©flĂ©chir, il se saisit de son mobile 9XG++ et tĂ©lĂ©composa ce numĂ©ro qu'il ne connaissait que trop bien _ – Allo ? Papa ? C'est moi, Bertrand
 Laisse-moi parler s'il te plaĂźt, c'est important
 Je t'appelais pour te dire que j'avais empruntĂ© la navette familiale omnispace et que je
 Pas le droit, pas le permis, trop jeune, je sais
 Laisse-moi finir Papa, je t'en supplie ! Je ne sais pas ce qui s'est passé  J'ai dĂ©clenchĂ© sans le vouloir la septiĂšme vitesse hypersonique et je
 J'ai perdu le contrĂŽle de l'appareil
 Je me suis expulsĂ© dans la capsule de secours
 La navette est allĂ©e s'Ă©craser contre la gĂ©opile thermonuclĂ©aire du systĂšme Alpha
 Nouvelle 162 _ Une nouvelle renversante 8h32 Gontran se rĂ©veilla dans le monde rĂ©ellement renversĂ©. Mais de cela, il ne se rendit pas compte. _ 8h34 PlongĂ© dans une argumentation probablement dĂ©cisive sur la beautĂ© intrinsĂšque d'un bol de cafĂ©, Gontran ne prit pas conscience de l'infime changement de ce dĂ©but de journĂ©e. Quelque chose de fugace, d'imperceptible mais de si jubilatoire qu'il devait le regretter quelques heures plus tard. Rien, une bĂȘtise, une ridicule habitude mise au rencard car la transvaluation avait eu lieue. Pour tout dire, il avait simplement soulevĂ© sa chaise en fer forgĂ© plutĂŽt que la tirer sur son sol de cuisine, sol dont le revĂȘtement rĂ©percutait le moindre bruit jusque dans l'oreille de sa charmante mais irascible voisine du dessous. Il avait agi sans y penser, mais le geste Ă©tait lĂ . RĂ©el. Comme un souci de l'autre. _ 8h43 La douche de Gontran fut particuliĂšrement brĂšve car un appel fit Ă©mettre Ă  son tĂ©lĂ©phone portable la douce mĂ©lodie de Stars War. Robinets, serviette, porte de la salle de bain et enfin tĂ©lĂ©phone. Aucun son propre Ă  dĂ©verser un quelconque Ă©nervement ne franchit ses lĂšvres, mais de cela non plus, il n'eut pas conscience. Axelle, sa fiancĂ©e. Avait-il remarquĂ© quelque chose ? Non. Sentait-il un changement, dans le monde ? Non plus, et il rit Ă  cette question. Tout de mĂȘme, le monde
 Croyait-il en la thĂ©orie des ensembles, Ă  l'axiome du choix et Ă  l'infini actuel plutĂŽt que potentiel ? Evidemment qu'il y croyait, comment pourrait-il en ĂȘtre autrement ! Voulait-il un enfant avec elle ? Mais oui, naturellement, pourquoi cette question ? Axelle raccrocha. _ 8h55 Gontran, debout devant la fenĂȘtre de sa cuisine, tentait de percevoir un changement quelconque, une chose qu'il n'aurait pas encore vu. La Tour du GuĂ© restait dĂ©sespĂ©rĂ©ment penchĂ©e, prĂȘte Ă  s'Ă©crouler d'une minute Ă  l'autre, la Passerelle des Amants n'accueillait toujours aucun passant, amoureux ou pas, la ville Ă©tait morte, comme tous les jours. Et pourtant, il sentait qu'Axelle avait raison, pas besoin de palabres tĂ©lĂ©phoniques interminables pour comprendre cela. Elle avait eu raison de raccrocher. _ 9h05 Gontran sortit de chez lui, pensant trouver un dĂ©but de rĂ©ponse en allant se mĂȘler Ă  la foule de ce dĂ©but de matinĂ©e. Un groupe de personnes de petites tailles suivait un guide vers la Tour du GuĂ© fleuron de l'histoire locale, mais il prĂ©fĂ©ra ne pas le rejoindre de peur d'ĂȘtre repĂ©rĂ©. Une femme lui sourit lorsqu'il passa Ă  sa hauteur, un homme l'Ă©vita de justesse et s'excusa de son inattention, une autre femme lui sourit. Un jeune homme s'approcha de lui et lui proposa de troquer sa veste en cuir contre son pardessus en poil de vache. Il refusa et l'homme lui sourit, comme si cela Ă©tait finalement trĂšs naturel. Il dĂ©cida de rentrer chez lui. _ 9h28 Il opta alors pour une ouverture sur le monde plus large que le centre de sa petite ville, il alluma la radio. Les nouvelles Ă©taient bonnes. Le monde allait bien. Les cours de la bourse ne furent pas annoncĂ©s. Quelque chose clochait, voilĂ  bien une Ă©vidence qui se faisait jour dans la tĂȘte de Gontran. Ou qui ne clochait plus, il n'aurait pu trancher. Etait-il finalement si aliĂ©nĂ© qu'il ne pouvait plus comprendre l'Ă©vidence du changement ? Il commença Ă  enrager. Un peu. _ 9h42 Il dĂ©cida de rappeler Axelle, le seul soutien rĂ©el qu'il avait senti au cours de ce dĂ©but de matinĂ©e. Il tomba directement sur sa messagerie. Mais le message avait changĂ©. Vous ĂȘtes bien sur le portable d'Axelle. Laissez un message. Pour Gontran, la question est depuis comment de temps as-tu enfin d'un enfant avec moi ? Une fois la rĂ©ponse trouvĂ©e, la deuxiĂšme question est Qu'est-ce qui te bloquait, avant ? La question Ă  la premiĂšre question lui vint en 17 secondes exactement. Cette envie naturelle d'enfant datait de son rĂ©veil. La deuxiĂšme le foudroya littĂ©ralement en 2 secondes. La peur. Il n'avait plus peur depuis son rĂ©veil. Son esprit si rigide, si peu mallĂ©able, n'avait pas rĂ©ussi Ă  percevoir la nature du changement survenu Ă  son rĂ©veil. L'enfant n'avait Ă©tĂ© Ă©voquĂ© que pour illustrer le bouleversement qui Ă©tait advenu au cours de la nuit. Il fut reconnaissant Ă  Axelle d'avoir eu l'intelligence de passer par lĂ , d'avoir eu recours Ă  ce qui Ă©tait, in fine, le symbole de sa peur viscĂ©rale du monde tel qu'il Ă©tait, avant. _ 9h48 Gontran dĂ©vala l'escalier et se retrouva au beau milieu de la rue, baignĂ© par le soleil matinal. Il avança vers la Tout PenchĂ©e, fit demi-tour, dĂ©cida d'aller boire un cafĂ©, se ravisa en pensant que le mieux serait d'aller voir Axelle, chez elle. Il se voulait mobile, pris dans le mouvement d'un monde nouveau, d'un monde sans peur. Il sourit Ă  une femme qui le croisa. Cette derniĂšre s'Ă©carta de lui en secouant la tĂȘte. Gontran fut stoppĂ© dans son Ă©lan. Il regarda autour de lui. Le monde avait-il rĂ©ellement changĂ© ? Un leurre ? Le jeune homme Ă  la veste en cuir passa Ă  quelques mĂštres de lui ? Il portait un impermĂ©able qui lui donnait des faux airs de mods. Comme une trace de qui avait eu lieu. Une preuve. _ 10h02 Gontran comprit, trop tard, ce qui venait de se passer. Une sĂ©quence de deux heures au cours de laquelle le monde s'Ă©tait renversĂ©, rĂ©ellement. Mais l'Ă©quilibre Ă©tait instable, cela n'avait pas tenu bien longtemps. Quelques heures seulement. Et lui n'avait pas compris, lui qui attendait ce renversement depuis tant d'annĂ©es. Axelle l'avait senti plus vite. La peur rendait le monde si absurde que sa disparition seule pouvait le renverser. Il se fit deux promesses concevoir un enfant avec Axelle et se tenir prĂȘt pour le prochain renversement. Il lui faudrait pour cela restait en Ă©veil. Cela ne lui faisait dĂ©sormais plus vraiment peur. Nouvelle 163 _ SĂ©quence dominicale Sortie d'after, 10h30, un peu mal aux cheveux, je me suis malgrĂ© tout laissĂ© entrainer pour un Ă©niĂšme dernier verre » par Constance, ma rencontre du soir qui n'avait de constant que le prĂ©nom, bien dĂ©cidĂ©e Ă  ne pas en rester lĂ . Elle rejoignait une amie sur le dĂ©part » au marchĂ©, et disait apprĂ©cier croiser des gens qui sont dĂ©jĂ  demain avant de se coucher. _ Tu sais c'est comme une passerelle tendue entre un hier et un demain sur laquelle le prĂ©sent a du mal Ă  se trouver une place » _ Je n'ai pas bien compris. _ J'aurais du rentrer, prendre un doliprane, et me coucher. _ Mais je n'ai pas pu m'y rĂ©soudre je n'aime pas me coucher seul. _ On a traversĂ© le marchĂ© d'un mal assurĂ©, Ă  l'heure oĂč la foule compacte et mobile se presse, et oĂč se mĂȘlent couleurs, odeurs, et appels frĂ©nĂ©tiques des commerçants transis par le froid depuis des heures. _ Trop d'animation pour mon cerveau baignant encore dans un mĂ©lange douteux de vodka, rhum, et autres douceurs diverses et variĂ©es ingurgitĂ©es au cours cette soirĂ©e sans fin, et pour mes jambes qui commençaient Ă  peiner Ă  me porter et qui ne me seraient bientĂŽt plus d'aucun soutien. _ L'amie en question Ă©tait assise au soleil Ă  la terrasse d'un cafĂ©, par une tempĂ©rature bien infĂ©rieure Ă  0°C, un bonnet enfoncĂ© jusqu'aux sourcils et une Ă©charpe remontĂ©e jusqu'aux yeux accoutrement passible d'une amende de 150 €. Mais la concernant, aucun risque. Certes on ne voyait que ses yeux, mais ils Ă©taient bleus _ Elle Ă©tait plongĂ©e dans la lecture d'un guide touristique, et ne nous a remarquĂ©s qu'une fois installĂ©s Ă  sa table. _ Elle dĂ©gageait une assurance insolente qui m'a immĂ©diatement dĂ©rangĂ©e. Elle s'Ă©coutait un palabre interminable autour d'elle et son projet ». _ Elle allait enfin agir, se rendre utile. _ Elle venait de tout plaquer un boulot confortable et pas trop mal payĂ© par les temps qui courent ; son mec aprĂšs trois petites annĂ©es passĂ©es ensembles ; son appartement, dont elle venait juste de remettre les clĂ©s Ă  un agent immobilier pinailleur Ă  la limite du vĂ©reux. _ Lorsqu'elle dĂ©gageait son visage Ă  la faveur d'une cigarette qui symbolisait, Ă  l'entendre, le dernier bastion de son aliĂ©nation » elle arborait ce large sourire qui me gĂȘnait. MĂȘme une fois l'Ă©charpe replacĂ©e sur son visage, je pouvais le deviner au travers. _ DĂ©part imminent ! H-2 ! JU-BI-LA-TOIRE ! _ Ce n'est qu'Ă  ce moment que je ne remarquai la grosse valise postĂ©e derriĂšre sa chaise, comme pour illustrer son propos. _ Elle partait un an, au minimum, pour une mission bĂ©nĂ©vole au sein d'une association dont je n'ai pas retenu la mission Enfin quelque chose de bien, louable, altruiste, dĂ©sintĂ©ressĂ© _ Je n'ai jamais compris ce qui peut bien animer ce type de dĂ©marche chez certains. Ils attendent quoi en retour ? Qu'on les applaudisse ? Une mĂ©daille ? Une place au chaud entre Gandhi et mĂšre Theresa ? Non pas que je considĂšre que ce soit complĂštement inutile, mais Ă  les entendre ils me donnent toujours l'impression qu'ils pensent pouvoir changer le monde, qu'ils vont faire de grandes choses. _ J'aime pas les utopistes. _ Alors je l'ai interrogĂ©e sur ses motivations, d'un ton certes incisif qui m'a valu de goĂ»ter au regard noir de Constance. Et ça n'a pas loupĂ© mĂȘme si mon action ne touche que dix ou mĂȘme deux personnes, elle est utile pour eux. Et si tout le monde s'y mettait, on arriverait Ă  changer le cours des choses. Regarde la mer est faite de minuscules gouttes d'eau et elle recouvre pourtant les 2/3 de la surface de la terre
 » _ Ca a durĂ© au moins dix minutes, j'ai du me mordre la joue pour ne pas Ă©clater de rire ce qui aurait, Ă  coup sĂ»r, anĂ©anti tous mes efforts de la soirĂ©e et m'aurait contraint Ă  renter me coucher seul. _ Mais le coup de la mĂ©taphore des petites gouttes d'eau et de la mer, on ne me l'avait jamais fait somptueusement ridicule ! _ Vas plutĂŽt remplir ta mare aux canards
 _ J'Ă©tais fatiguĂ©, j'aurais bien troquĂ© cette terrasse contre ma couette, mĂȘme seul. _ AprĂšs avoir Ă©changĂ© avec Constance les derniers potins sur leurs amis communs, elle a jetĂ© un coup d'œil Ă  sa montre et enfin annoncĂ© fiĂšrement qu'elle devait nous quitter. Il Ă©tait midi passĂ©, et j'allais pouvoir jouer ma carte avec Constance que l'alcool n'avait jusqu'ici pas rendue trĂšs mallĂ©able, mais qui ne pouvait plus douter de ma tĂ©nacitĂ©. _ Elles se sont embrassĂ©es. _ On s'est Ă©loignĂ©. _ Un crissement de pneu. _ Un bruit sourd. _ Une goutte d'eau n'atteindra ni la mare aux canards, ni la mer. _ Je suis un con, aliĂ©nĂ©. Nouvelle 164 _ LĂ©a Je m'appelle LĂ©a, je suis nĂ©e un jour de pluie. Aucun rapport pensez-vous ? Peut-ĂȘtre
 Sauf que je ne suis pas arrivĂ©e bien au chaud Ă  la clinique, je suis nĂ©e sous la pluie ! Quand elle les a perdues, les eaux de ma Maman se sont mĂȘlĂ©es Ă  l'eau de pluie, et elle n'a rien senti. Alors on s'est dĂ©brouillĂ© toutes les deux, elle a Ă©tĂ© mon guide vers le monde extĂ©rieur et voilĂ  ! Je suis lĂ  ! _ Aujourd'hui j'ai dix ans, de drĂŽles de choses se sont passĂ©es depuis
 Une fois, ma copine Marthe s'est ouverte le front en tombant sur un coin de table pendant qu'on jouait. Maman l'a amenĂ©e chez le mĂ©decin. On a dĂ» marcher sous la pluie, je tenais Marthe par la main. Mais chez le Docteur Palabre je ne connais pas son vrai nom, Maman l'appelle comme ça car il ne s'arrĂȘte jamais de parler, il n'y avait plus rien, son front Ă©tait comme neuf ! _ Une autre fois, Maman avait l'air triste. Elle venait de recevoir un appel annonçant une mauvaise nouvelle. En plus, la pluie avait commencĂ© Ă  tomber sur le linge qui sĂ©chait entre les arbres. Je l'ai accompagnĂ©e le dĂ©crocher, elle m'a prise dans ses bras et, comme par magie, elle a troquĂ© son air sombre contre un grand Ă©clat de rire jubilatoire » qu'elle a dit. _ Un jour aussi, la maĂźtresse nous avait demandĂ© d'illustrer une poĂ©sie. J'Ă©tais incapable de dessiner un corbeau, encore moins un renard
 Le plus facile Ă©tait peut-ĂȘtre le fromage, rien de sĂ»r
 Bref, c'Ă©tait ratĂ© d'avance. Papa ne voulait rien savoir comme dit souvent Maman il n'a pas Ă©tĂ© d'un grand soutien » sur ce coup-lĂ . J'ai finalement dĂ» apporter mon gribouillage Ă  l'Ă©cole. Encore un jour de pluie. Mon cahier a pris l'eau en chemin et, je ne sais comment, mon corbeau est devenu si majestueux que la maĂźtresse l'a montrĂ© Ă  toute la classe ! _ J'arrĂȘte la sĂ©quence souvenirs pour revenir Ă  la vie de maintenant. _ Le dimanche, on le passe avec ma grand-mĂšre. Je ne vous en ai pas parlĂ© encore. Elle s'appelle Mamie Charlotte, c'est la maman de Maman. Je crois qu'elle est trĂšs vieille mais je ne sais pas de combien. Elle est vraiment gentille, toujours elle me dit que j'ai grandi alors que quand Docteur Palabre me mesure, ce n'est pas tout-Ă -fait ça
 Le problĂšme c'est qu'elle est aussi trĂšs malade et ne sort pas de son lit. Quand elle nous voit, qu'on prĂ©pare le repas et les petits plats pour sa semaine, qu'on fait vivre sa belle et grande maison, ça la rend triste car c'est tout ce qu'elle ne peut plus faire, et alors elle dit qu'elle ferait mieux d'ĂȘtre dans une rĂ©sidence pour vieux aliĂ©nĂ©s, qu'elle ne nous embĂȘterait plus
 _ Moi ce que je prĂ©fĂšre, pendant que les autres s'agitent, c'est rester avec elle dans sa chambre qui sent la lavande? Je lui parle de l'Ă©cole, on fait des puzzles, elle me raconte des histoires, on bricole. Pour la naissance de mon cousin, on a fabriquĂ© ensemble un mobile avec des pompons de laine. Ça a Ă©patĂ© tout le monde ! _ Mamie Charlotte c'est la seule maintenant il y a vous mais c'est pas pareil Ă  qui j'ose dire ces choses qui se passent quand il pleut. Je sais qu'elle me croit. Maman pense qu'elle n'a plus toute sa tĂȘte mais moi je vois bien il ne lui manque rien Ă  sa tĂȘte
 _ Un dimanche de novembre, il pleuvait et j'ai compris. Elle m'a serrĂ©e fort contre elle alors que j'Ă©tais toute mouillĂ©e et ça lui a redonnĂ© des couleurs
 On a discutĂ© encore plus longtemps que d'habitude, elle m'a dit tout ça j'ai essayĂ© d'apprendre tout par cœur, mais des choses m'ont Ă©chappĂ© Ma petite LĂ©a, je sens que je vais bientĂŽt partir
 Ne t'inquiĂšte pas. Je ne vais pas loin, comme si je traversais une passerelle pour rejoindre l'autre rive. Et de LĂ -bas, je continuerai Ă  t'aimer et Ă  habiter ton cœur. En attendant je m'ennuie dans ma vieille chambre, les journĂ©es sont longues Ă  ne rien faire. Je voudrais tellement pouvoir encore sentir les gouttes de pluie sur ma peau, savourer l'odeur de la nature aprĂšs une averse, ĂȘtre ruisselante
 Maintenant que tu es grande je peux te le dire et je crois que tu en as devinĂ© l'essentiel tu as un don ma petite-fille, tu peux agir, tu peux changer le visage des choses, le cœur des gens, et rendre la vie plus lĂ©gĂšre avec quelques gouttes de pluie. Ce don est infini, tant que tu seras dans un endroit oĂč il pleut
 Il n'existe pas de formule magique, c'est mystĂ©rieux mais Ă©coute-toi, entends ce que tu ressens, tu feras naĂźtre du bonheur ! J'ai le mĂȘme don que le tien, seulement en Ă©tant enfermĂ©e, je ne peux pas m'en servir, et ce depuis des mois maintenant
 » Maman nous a interrompues pour lui servir du cafĂ© puis est redescendue. _ Elle a continuĂ© Sois discrĂšte, tu risquerais d'attirer des personnes intĂ©ressĂ©es, voulant rendre mallĂ©ables par tes soins leurs petits quotidiens. Quand tu le sentiras, ou parfois sans mĂȘme que tu y penses, les choses se feront toutes seules comme tombe la pluie
 Et lĂ , j'ai besoin de toi. Je vais mourir mais je ne veux pas avoir mal, je veux ĂȘtre heureuse jusqu'au bout. Chaque fois qu'il pleut, mets de cĂŽtĂ© quelques gouttes pour moi, dans cette fiole. Quand tu en as le temps, apporte-moi ce que tu as rĂ©coltĂ©, je m'arrangerai avec
 » _ Je pleurais quand elle a tournĂ© la tĂȘte vers moi. J'avais entre les mains un flacon de verre ornĂ© de motifs aux couleurs rayonnantes, fermĂ© par un bouchon dorĂ©. Il avait dĂ» contenir des plus prĂ©cieux liquides
 Elle m'a fait signe d'ouvrir la fenĂȘtre pour le remplir. J'ai tirĂ© les rideaux et tournĂ© la poignĂ©e au mĂ©canisme rouillĂ©. La pluie ne s'Ă©tait pas arrĂȘtĂ©e depuis le dĂ©but de la journĂ©e et rapidement le flacon a dĂ©bordé  Je le lui ai rendu, elle en a alors versĂ© quelques gouttes sur mes yeux. J'ai retrouvĂ© mon sourire. _ Cela fait plusieurs semaines que je fais ce que Mamie Charlotte m'a demandĂ©. Souvent en rentrant de l'Ă©cole, nous partageons le contenu du flacon et le goĂ»ter, c'est doux
 Quand la pluie n'est pas annoncĂ©e je lui laisse sa petite bouteille
 _ Ce soir, je suis passĂ©e la rĂ©cupĂ©rer juste avant l'orage
 Mamie Charlotte Ă©tait dans lit, un grand sourire aux lĂšvre, paisible, le flacon vide Ă  la main
 Son cœur ne battait plus. _ Et il s'est remis Ă  pleuvoir. Nouvelle 165 _ Silence Bienvenue dans monde de silence , suivez le guide ! _ La semaine 'remise en forme' commence. Pas les moyens de faire une cure de balnĂ©othĂ©rapie. Pas non plus la possibilitĂ© d'aller me prĂ©lasser au soleil Mais il me faudra ĂȘtre au mieux de ma forme pour le grand Ă©vĂ©nement. J'ai un sacrĂ© mobile. Il me faut agir et il n'existe pas de meilleur soutien que celui qu'on s'offre Ă  soi mĂȘme. Je m'offre un programme sur mesure. Pour commencer, deux jours de silence. _ Le silence n'est pas une notion aussi Ă©vidente que ce que l'on pourrait croire. On a chacun son silence et il faut troquer ses bruyantes habitudes pour le dĂ©couvrir ce qui, surtout en milieu citadin, ne va pas de soi. _ Il ne s'agit pas de rester chez soi, prostrĂ©, Ă  ne rien faire. De cela on ne peut tirer aucun bien-ĂȘtre. _ Le silence s'apprend. Avant d'ĂȘtre un non-bruit, c'est un Ă©tat d'esprit. On peut s'enduire intĂ©rieurement d'une couche de silence suffisamment Ă©paisse pour s'isoler du monde. Tapisser son intĂ©rieur mental de douillettes couches de laines soyeuses et feutrĂ©es. _ D'abord, dĂ©brancher les tĂ©lĂ©phones. Cela peut paraĂźtre trivial, c'est toujours quand on ne le souhaite pas que les amis et familles se donnent le mot, que les appels fusent, que le portable vibre. _ Surtout, pas d'ordinateur. Je ne parle pas de ce ronronnement Ă©lectrique entĂȘtant que l'on n'entend mĂȘme plus, mais Internet est un grand pollueur de silence. Toutes ces informations, tous ces messages, vous font un boucan dans la tĂȘte ! _ Ensuite, prendre le chemin de moindre rencontre. Car quoi de plus cacophonique que l'autre ? Une des clĂ©s de la rĂ©ussite est d'aliĂ©ner l'autre, d'Ă©viter le contact humain au maximum. Aller prendre son cafĂ© matinal loin de chez soi. Commander le cafĂ©, remercier, payer , est le minimum acceptable. Il ne va pas Ă©brĂ©cher votre silence. Il s'agit d'un Ă©change humain encadrĂ© par des rĂšgles. Mais pour le serveur qui vous voit tous les matins, le bistrot est l'arbre Ă  palabres. Il va vouloir Ă©changer, babiller, discuter, vous emmener sur un terrain qu'aucun code prĂ©cis ne rĂ©git. Que de bruit dans votre pauvre tĂȘte, que vous avez depuis ce matin habituĂ©e au son paisible du pas grand chose. Par contre, ne pas avoir peur de se mĂȘler Ă  la foule. L'anonymat est tel que vous pouvez oublier ou vous ĂȘtes, dans cette marĂ©e faite de vos semblables. Semblables aujourd'hui qui vous paraissent si Ă©tonnants de prĂ©cipitation. Vous dĂ©couvrez alors ce thĂ©orĂšme silence rime avec lenteur. _ Assez de gĂ©nĂ©ralitĂ©s; pour ces deux jours, au programme, j'ai choisi l'eau, les mains, et la forĂȘt. _ L'eau. A dĂ©faut de plage et de mer Ă  perte de vue, Ă  dĂ©faut du roulis rythmĂ© des vagues, Ă  dĂ©faut du vent qui traverse les oreilles et rince le cerveau, la piscine. On s'habitue assez vite au bruit de fond. On le laisse de cotĂ©. Reste alors le meilleur. Pas forcĂ©ment ce qui pourrait ĂȘtre un clichĂ©, nager sous l'eau, dĂ©couvrir le monde du silence » , ainsi d'ailleurs que les diffĂ©rentes formes de maillots et de corps. Non. Mais cet entre-deux entre l'eau et l'air quand on sort la tĂȘte de l'eau, le clapotis en rythme quand on frappe la surface avec les mains et la vision des gouttelettes qui s'envolent, joyeuses, en s'Ă©chappant des bras levĂ©s. Bruit de la respiration devenue si rĂ©guliĂšre et si paisible, la source mĂȘme de la vie. Ensemble reposant et lyrique. OpĂ©ra d'eau sur fond de musique respirĂ©e. _ Les mains. Rendez-vous hebdomadaire avec les mains. Il fallait au moins ça. J'ai failli dĂ©commander, j'aurais eu grand tort. Tout cela aurait pu prendre un tour trop mĂ©ditatif et spirituel. La sensualitĂ© du massage n'a rien contre le silence. Elle l'illustre avec talent, lui donne une saveur de plus, jubilatoire ! Le corps mallĂ©able devient pĂąte Ă  pain; seuls bruits, le frottement des peaux et la respiration du maĂźtre boulanger. Vous n'existez plus. Lui non plus n'y a plus en ce monde qu'un dos et des mains qui causent avec chaleur, la dĂ©tente absolue, le bonheur total, et malheureusement une voix qui vous tire de votre douce torpeur 'voilĂ , relevez vous tranquillement. Et la pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de votre expĂ©rience silencieuse vous vient une idĂ©e bizarre vous boucher les oreilles ! _ Retour Ă  la maison. La casserole d'eau qui chauffe. Ecouter le frĂ©missement C'est bon de boire un thĂ© bien chaud quand il fait si froid dehors. Clin d'œil du chat, maitre du silence. _ Et enfin, le roux des arbres, l'odeur de l'automne, le bruissement du vent dans les feuilles, le sifflotement des oiseaux. VoilĂ  du silence qu'une qualitĂ© supĂ©rieure. Le bruit de fond des cris d'enfants, bavardages, vĂ©los, poussettes, est assez lĂ©ger. Il suffit de faire dans le cosmĂ©tique s'enduire d'une couche de silence de deux ou trois centimĂštres. Ne laisser dĂ©passer que le nez et les yeux. C'est vital. De l'air frais Ă  grandes bouffĂ©es. Les yeux grands ouverts, c'est une indispensable passerelle sur le monde. Il ne faut pas confondre silence et autarcie. L'esprit se ralentit. Les pensĂ©es cessent de ressembler au brouhaha d'un orchestre qui rĂ©pĂšte. Elles deviennent fluides, lĂ©gĂšres. Un bruit d'hĂ©licoptĂšre au dessus de votre tĂȘte ? Ail , quelle agressivitĂ©. Un deuxiĂšme ? Ce qui fait du bruit, donc, c'est la folie de l'homme. Vouloir voler, quelle mĂ©galomanie ! _ Rentrer Ă  la maison. Qu'ai-je appris ? Mon silence c'est l'absence de contact avec l'autre. C'est une expĂ©rience Ă©trange, et je suis presque triste de devoir revenir Ă  la civilisation. Mais la semaine n'est pas terminĂ©e. Demain sĂ©quence amitiĂ©. Ensuite journĂ©es sportives, peut ĂȘtre plus rude, mais bĂ©nĂ©fique. Suivront les deux jours de repos, lecture, farniente, sucreries Ă  volontĂ©. _ Je devrais ĂȘtre au point pour le grand jour aussi inattendu qu'espĂ©rĂ©, imprĂ©visible aprĂšs toutes ces annĂ©es la revoir. – Ă©lĂ©charger l'ensemble des nouvelles en pd

\n \n apaise ton coeur et fleuris ton ame livre fnac
Écouteton corps - Poche Ton plus grand ami sur la Terre. Lise Bourbeau. 45 1 J'AI LU offert 7 €90. 8 neufs Ă  7,90 € 6 occasions dĂšs 15,99 € Ajouter au panier. La Puissance de l'acceptation - Poche. Lise Bourbeau. 45 -5% avec retrait magasin 7 €70. 9 neufs Ă  7,70 € 13 occasions dĂšs 2,68 € Format numĂ©rique 20€99 Ajouter au panier. La GuĂ©rison des 5 blessures - brochĂ©. Lise
Ce recueil est dĂ©diĂ© aux cƓurs brisĂ©s et blessĂ©s par la vie. Aux Ăąmes meurtries et tourmentĂ©es. À ceux en quĂȘte d’espoir et de rĂ©confort. Aux cƓurs bons et aux belles Ăąmes
 En espĂ©rant humblement qu’à la lecture de mes mots, de mes poĂšmes Ă  vers libres, par la GrĂące d’Allah, germeront en vous des graines d’espoir et d’amour ! Que cela vous donnera envie d’aller vers Le Seul capable de guĂ©rir vos blessures les plus profondes, d’apaiser vos peines les plus intenses et de faire fleurir vos Ăąmes et vos cƓurs
 Lorsque Le Tout-MisĂ©ricordieux m’a sorti des tĂ©nĂšbres Ă  la lumiĂšre, je me suis promis de transmettre Ă  mes sƓurs et Ă  mes frĂšres en humanitĂ©, qui Ă©taient encore dans le creux de la nuit, que l’aube est proche
 C’est le profond de mon Ăąme et de mon cƓur qui s’adresse Ă  votre Ăąme et Ă  votre cƓur
 C’est une main tendue
 Avec bienveillance et douceur. ♡ Only logged in customers who have purchased this product may leave a review. LivresFiltrer Fermer le menu. DisponibilitĂ© En stock (108) En rupture de stock (35) Prix Filtrer Apaise ton coeur et fleuris ton Ăąme. €9,99 LA SINCÉRITÉ - MUHAMMAD AL-MUNAJJID. €3,00 ÉpuisĂ© Aicha la bien-aimĂ©e du prophĂšte. €4,90 ÉpuisĂ© Le Manuel Complet Et IllustrĂ© De La PriĂšre. €6,00 La Sorcellerie et Les Moyens de S'En ProtĂ©ger. €1,80 100 TRÉSORS DE
ATSCAF Deux-SĂšvres 79 Chronique pour tous Notre ami HervĂ© GAUTIER, grand amateur de littĂ©rature et auteur de deux romans "Un Ă©tĂ© Niortais" et "Le rendez-vous de Sainte-Pezenne", nous prĂ©sente mensuellement un roman ou un film qu’il a aimĂ© et nous fait partager "sa critique".Cette initiative a pour but, non seulement d’inciter chacun de nous Ă  lire le livre sĂ©lectionnĂ© mais aussi Ă  dĂ©couvrir des auteurs, qui ne sont pas toujours rĂ©compensĂ©s par des prix en image la chronique de HervĂ© Gautier Chronique HervĂ© Gautieraneantir - michel houellebecq- grand monde - Pierre Lemaitre- Calman abeilles grises- Andrei Kourkov - Liliane LevyL'amie prodigieuse enfance-adolescence - Elena des fleurs - Valerie Perrin - Albin sang - Amelie Nothomb - Albin plus secrete memoire des hommes - Mohamed Mbougar Sarr -Tuer le fils - Benoit Severac - La manufacture des - Tiffany Mc Daniel - du doute - Andrea Camilleri - Fleuve NoirClair de femme - Romain Gary - desert des Tartares - Dino Buzzati - Robert banquet annuel de la confrerie des fossoyeurs Mathias EnL'Anomalie Herve Le Tellier Gallimard Prix Goncourt 2020Glace - Bernard Minier - PocketL'enfer du commissaire Ricciardi - Maurizio de Giovanni Tous les hommes n' habitent pas le monde de la meme faconUn bel morir - Alvaro Mutis - arrache-coeur - Boris Vian - Editions Jacques attentifs - Marc Mauguin - Robert nuit, le jour et toutes les autres nuits - Michel AudiardLa Mere Lapipe dans son bistrot - Pierrick Bourgault Ne d'aucune femme - Franck Bouysse La manufacture de livreLivres de l'inquietude - Fernando Luger Benoit Philippon-Editions Equinox-Les ArEnesSerotonine Michel Houellebecq FlammarionL'euphorie des places de marchĂ© – Christophe Carlier La vĂ©ritĂ© sur l'affaire Harry Quebert – JoĂ«l DickerLa vie automatique – Christian Oster Éditions de l'OlivierAmok – Stefan Zweig StockElsa mon amour - Simonetta Greggio FlammarionLes chasseurs dans la neige – J-Yves Laurichesse HDougier Dora Bruder – Patrick Modiano GallimardUn homme - Philip Roth GallimardW ou le souvenir d'enfance – Georges Perec DenoĂ«l-1975L'ordre du jour - Eric Vuillard Actes sud Prix Goncourt 2Les chaussures italiennes – Henning Mankell ed. SeuilLes belles endormies – Yasunari Kawabata A MichelGiboulĂ©es de soleil - Lenka Hornnakova-Civade Alma ÉditeurLes Ă©toiles s'Ă©teignent Ă  l'aube – Richard Wagamese ZoĂ©La symphonie du hasard 1 – Douglas Kennedy – BelfondLa disparue de Saint-Maur - JChristophe Portes City Ă©d.Dulmaa – Hubert François Éd. Thierry MarchaisseLa complainte du paresseux – Sam Savage Actes SudLes rĂȘveuses – FrĂ©dĂ©ric Verger Ed. GallimardOĂč j'ai laissĂ© mon Ăąme – JĂ©rĂŽme Ferrari Actes sudRien – Emmanuel Venet Éd. VerdierUne Ă©trange affaire au bureau des hypothĂšques -J ChesneauChanson douce – LeĂŻla Slimani Ed. Gallimard, Goncourt 2016Nouvelles inquiĂštes – Dino Buzzati Ed. Robert LaffontOtages intimes - Jeanne Benameur Actes SudLa honte – Annie Ernaux GallimardLe voyant - JĂ©rĂŽme Garcin GallimardEn finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis SeuilJe dirai malgrĂ© tout que cette vie fut belle - J d'OrmessonOlype de Gouges – Catel & Bocquet Casterman Ă©crituresBILQISS – Saphia Azzeddine - StockLE BAR SOUS LA MER – Stefano BENNI – Actes SudDANS LES BOIS ETERNELS – Fred Vargas Ed. Viviane HamyTRAITE SUR LA TOLERANCE - Voltaire GallimardBoussole – Mathias Enard Actes SudNAGER - Richard Texier GallimardLe poids du papillon - Erri de Luca Gallimard-FeltrinelliL'arriĂšre saison – Philippe Besson JuillardLa boule noire – Georges Simenon Le livre de PocheEn attendant Robert Capa - Suzanne FORTES H d'OrmessonPas Pleurer - Lydie Salvayre Goncourt 2014Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – P. ModianoMurmurer Ă  l'oreille des femmes - Douglas Kennedy BelfondBarbe Bleue – AmĂ©lie NOTHOMB Albin MichelLulu femme nue - Etienne Davodeau - Futuropolis et la Dame rose - Eric Emmanuel SchmittLes creux de maisons - E PĂ©rochon Ed. du RocherAu revoir la haut - Pierre LEMAITRE A Michel-Goncourt 2013Cheval de guerre- Michael Morpurgo Folio JuniorLe pigeon - Patrick SÜSKIND – FAYARD.198714 - Jean Echenoz – Éditions de MinuitBlood Ties – Un film de Guillaume CANETBleus horizons – JĂ©rĂŽme GARCIN Ed. GallimardLes Pays – Marie-HĂ©lĂšne LAFON Ed. Buchet ChastelBerthe Morisot, le secret de la femme en noir – D BONAL'annĂ©e du volcan - Jean-François PAROT - JC LATTESL'oubli est la ruse du diable – Max Gallo XO ÉditionsLe chapeau de Mitterrand – Antoine LAURAIN FlammarionCELINE – Henri GODARD Ed. GallimardGALA - Dominique BONA Flammarion 1995Amour - Michael HANAKE - Palme d'Or Cannes 2012Le Rapport de Brodeck – Philippe CLAUDEL StockLa dactylographe de Mr James – Michel Heyns Ed. Ph ReyChien du Heaume - Justine NIOGRET MnĂ©mos Ă©ditionsCODE 1879 - Dan WADDELL Éditions Rouergue noirLa vie est belle - Un film de et avec Roberto BENIGNI 1997Rien ne s'oppose Ă  la nuit - Delphine de VIGAN - JC LATTESMaman - Un film d'Alexandra LECLERELe crabe-tambour – Un film de Pierre SHOENDOERFFER 1977Un magistrat en guerre contre le nazisme - D TANTINLes Enfants du Marais – Un film de Jean BECKER 1999Valentine Pacquault – Gaston CHERAU Plon, 1921L'Ăźle des chasseurs d'oiseaux Peter MAY – Rouergue NOIRMeurtres sur le fleuve jaune - FrĂ©dĂ©ric LENORMAND FayardLe cadavre anglais – Jean-François PAROT – JC LATTESLa fĂȘte des pĂšres - HervĂ© GAUTIERLes patins - HervĂ© GAUTIERLa baronne meurt Ă  cinq heures - F. LENORMAND - JC. LATTÈSNi Ă  vendre ni Ă  louer – Un film de Pascal RABATÉLes ClĂ©s de Saint-Pierre - Roger PEYREFITTE FlammarionLe Marin Ă  l'ancre - Bernard GIRAUDEAU Ed. MĂ©tailiĂ©Je suis une force qui va ! et je serai celui-lĂ  ! - V. HUGOL'Ă©cluse des inutiles - Jean-François POCENTEKDes hommes et des dieux - Xavier BEAUVAIS La carte et le territoire - Michel HOUELLEBECQ Parle-leur de batailles, de rois et d'Ă©lĂ©phants – M. ENARD aneantir - michel houellebecq- flammarion. Le roman s’ouvre sur la dĂ©capitation virtuelle de Bruno Juge, ministre des finances, diffusĂ©e en vidĂ©o sur les rĂ©seaux sociaux. Cela a tout de la fake newsmais atteste la haine d’une partie de la population pour la politique. C’est plutĂŽt un mauvais prĂ©sage pour les Ă©lections prĂ©sidentielles françaises de cette annĂ©e 2027 pour lesquellesle PrĂ©sident qui, ne pouvant pas constitutionnellement se reprĂ©senter,a choisiBrunopour seconder le candidat dĂ©signĂ©, un minable incompĂ©tent, et surtout pour mieux assurer sa réélection aprĂšs cet intermĂšde prĂ©sidentiel, ou peut-ĂȘtre garantirĂ  Bruno un destin politique. Dans cette atmosphĂšre de fiĂšvre, nous revivons la prĂ©paration des interventions tĂ©lĂ©visĂ©es, la stratĂ©gie Ă©lectorale, la folie des sondages, les techniques de communication, les projections politiques que les rĂ©sultats ne manqueront pas de faire mentir comme Ă  chaque fois. Nous sommes donc en pleine politique-fiction d’autant que des attentats terroristes d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration mettent en Ă©chec les meilleurs informaticiens. D’autres inquiĂ©tantes vidĂ©os rĂ©vĂ©leront d’autres attentats qui menacent l’équilibre du monde avec un dĂ©tour par la DGSE, une rĂ©flexion sur le millĂ©sime de cette annĂ©e et des suivantes sur le thĂšme des nombres premiers et mĂȘme une secte satanique, avec ses messages codĂ©s pas vraiment convaincants. Cela me paraĂźt rĂ©vĂ©lateur de notre actualitĂ© oĂč la violence et la contestation nourrissent une vie politique instable, une menace sur la dĂ©mocratie avec une inquiĂ©tante montĂ©e de l’abstention et une attirance vers un vote favorable aux extrĂȘmes, le tout enveloppĂ© dans la menace d’une troisiĂšme guerre mondiale et la folie destructrice d’un dictateur mĂ©galomane. Cela conforte mon mantra personnel selon laquelle si la politique est une chose passionnante, ceux qui la font le sont beaucoup moins. L’autre versant de cet ouvrage est consacrĂ© Ă  la famille Raison, dont Paul, la cinquantaine dĂ©pressive, un peu perdu dans ses problĂšmes matrimoniaux et familiaux, haut fonctionnaire de Bercy et ami de Bruno est notre grand tĂ©moin. C’est Ă  travers lui que ce texte se dĂ©cline. Ces deux thĂšmes s’entremĂȘlent tout au long de ces plus de 700 pages oĂč nous vivons la saga de cette famille avec ses soubresauts et ses drames, liĂ©s en partie Ă  la fin de vie vĂ©gĂ©tative du pĂšre, Ă  la dĂ©sespĂ©rance d’un membre de la parentĂšle liĂ©e aux fake-news et Ă  leurs ravages et Ă  la dĂ©sagrĂ©gation d’une famille. La fratrie de Paul, sa sƓur CĂ©cile, confite dans l’eau bĂ©nite et AurĂ©lien qui peine Ă  vivre de la culture, n’est pas brillante non plus, entre bouteilles d’alcool, rĂȘves dĂ©jantĂ©s et surtout dĂ©routants, adultĂšres, sĂ©parations et divorce. Paulnous offre mĂȘme une longue rĂ©flexion sur la souffrance et la mort. Je retire de l’ensemble de cette Ɠuvre un sentiment de tristesse et de solitude des personnages. On est effectivement seul face Ă  la camarde et la mĂ©moire de la beautĂ© de ce monde, de ces moments heureux et amoureux, peut ĂȘtre une antidote apaisante au mystĂšre de cet instant fatal. Je dois dire que j’ai apprĂ©ciĂ© surtout les derniers chapitres sur ce thĂšme qui illustre la condition humaine vouĂ©e Ă  la souffrance et au trĂ©pas. J’en ai goĂ»tĂ© la belle Ă©criture enrichie de nombres de rĂ©fĂ©rences culturelles, le style poĂ©tique dans les descriptions de la nature, notamment la Bretagne et les collines du Beaujolais, les allusions dĂ©licieusement Ă©rotiques dans l’évocation du paysage fĂ©minin. Nous sommes dans un roman de Houellebecq oĂč la contestation le dispute au pessimisme sans oublier les outrances et l’obsession sexuelle, c’est son registre personnel, ses fondamentaux et je ne suis pas de ceux qui les rejette, bien au contraire. Il y a certes des thĂšmes labyrinthiques qui sont parfois des impasses, mais ce que je lui reconnais volontiers, c’est d’ĂȘtre un fin observateur de l’espĂšce humaine dont la perversion et la volontĂ© de nuire Ă  son prochain, dans le but de s’enrichir ou simplement de faire le mal gratuitement pour se prouver qu’on existe, est une constante. Cette nature humaine, Ă  laquelle nous appartenons tous et que Houellebecq dĂ©nonce si judicieusement, ne sera jamais rachetĂ©e par tous les Coluche et tous les AbbĂ© Pierre et cela contraste avec tous les romans plus ou moins lĂ©nifiants que nous impose le paysage littĂ©raire actuel. Sa plume acerbe est d’autant plus pertinente qu’elle met en scĂšne les membres d’une mĂȘme famille qui connaissent mieux que les autres le domaine d’application de leur mĂ©chancetĂ©s et de leurs mesquineries, la vulnĂ©rabilitĂ© de leur victime et savent lĂ  oĂč ils doivent frapper pour ĂȘtre efficaces. Alors, roman d’anticipation inspirĂ© de l’actualitĂ© Ă  cause des homonymies ou des ressemblances qui peuvent se deviner dans la vie publique de gens actuellement en place ou qui l’ont Ă©tĂ©, simple fiction ou dĂ©lire d’écrivain dans un contexte politique de plus en plus bousculĂ© et incertain. Quant Ă  la projection un peu fantasmagorique de la future carriĂšre de Bruno qu’on aura reconnu sous les traits de Bruno Le Maire, j’espĂšre qu’il ne s’agit pas lĂ  d’une rĂ©cit Ă  tendance flagorneuse et courtisane, dans l’espoir un peu fou d’obtenir Ă  terme quelque prĂ©bende comme ce fut le cas, toutes choses Ă©gales par ailleurs, pour Philippe Besson aprĂšs l’élection de Macron. La sociĂ©tĂ© perd sa boussole et se dĂ©lite de plus en plus, elle est minĂ©e par l’amnĂ©sie, la violence, l’envie d’en dĂ©coudre et mĂȘme de s’autodĂ©truire quand la famille n’est plus un modĂšle pour les enfants, que l’Église qui a complĂštement manquĂ© Ă  son rĂŽle de gardien de la morale, malgrĂ© la bonne volontĂ© de nombre de membres du bas-clergĂ©, provoque un intĂ©rĂȘt grandissant pour les sectes et autres religions, que le personnel politique tangue entre opportunisme, dĂ©magogie, parasitisme, Ă©gocentrisme, corruption, compromissions Ă  des fins bassement Ă©lectorales, trahisons et palinodies, part de plus en plus Ă  la dĂ©rive et que l’espĂšce humaine est dĂ©cidĂ©ment bien infrĂ©quentable. Il y a vraiment de quoi ĂȘtre inquiet. On pense ce qu’on veut de cet auteur, mais il est un fait que ce qu’il Ă©crit ne laisse pas indiffĂ©rent et fait dĂ©bat. Je lui trouve, entre autre qualitĂ©, celle d’ĂȘtre un miroir de notre sociĂ©tĂ© dĂ©clinante qui de plus en plus abandonne ses repĂšres et je sais grĂ© Ă  l’auteur de s’en faire l’écho. C’est en effet un des rĂŽles de l’écrivain que d’ĂȘtre le tĂ©moin de son temps. C’est peut-ĂȘtre ou peut-ĂȘtre pas? le sens du titre un peu Ă©nigmatique, non seulement sur la disparition de la dĂ©mocratie mise Ă  mal par les hommes politiques eux-mĂȘmes, mais aussi sur l’accent mis par l’auteur Ă  propos de l’aspect Ă©phĂ©mĂšre et transitoire de notre vie vouĂ©e Ă  l’anĂ©antissement, comme s’il voulait rappeler que nous n’en sommes que les usufruitiers et qu’elle peut nous ĂȘtre enlevĂ©e sans prĂ©avis. Je note la prĂ©sentation de la premiĂšre de couverture oĂč le terme roman » n’est pas mentionnĂ© comme auparavant, un peu comme si la nature de cet ouvrage Ă©tait diffĂ©rente. Les noms de l’auteur, de l’éditeur et le titre lui-mĂȘme sont Ă©crits volontairement en minuscules, malgrĂ© le paradoxe d’une reliure cartonnĂ©e, gage de durĂ©e. MĂȘme si je n’ai pas toujours partagĂ© l’enthousiasme populaire autour de la sortie de certains de ses livres, je dois bien admettre que la publication d’un ouvrage de Houellebecq est toujours un Ă©vĂ©nement culturel auquel il convient de porter attention et celui-ci ne fait pas exception. Si j’ai apprĂ©ciĂ© le style, je dĂ©plore un peu la longueur et mĂȘme certaines longueurs et trop de prĂ©cisons techniques qui n’ajoutent rien au texte, mais je ne me suis pourtant pas ennuyĂ© Ă  cette lecture qui a constituĂ© pour moi un agrĂ©able moment. HervĂ© GAUTIER Juillet 2022 Le grand monde - Pierre Lemaitre- Calman Levy. La saga de la famille Pelletier commence Ă  Beyrouth avec l’évocation de la prospĂšre savonnerie familiale qu’aucun des quatre enfants ne veut reprendre. Jean, dit Bouboule, qui rate tout, part pour Paris, avec sa femme GeneviĂšve, une dĂ©testable crĂ©ature profiteuse, garce et adultĂšre qui l’humilie en permanence. Il y retrouve François qui, aprĂšs avoir fait croire qu’il Ă©tait admis Ă  Normale Sup tente des dĂ©buts laborieux dans le journalisme pour se spĂ©cialiser plus tard dans les faits divers » ; pour Étienne c’est SaĂŻgon Ă  la poursuite de son amant, un lĂ©gionnaire qui a disparu, quant Ă  HĂ©lĂšne, la petite derniĂšre restĂ©e dans le giron parental, elle ne rĂȘve que d’évasion, en profitant quand mĂȘme de la vie avec au fond d’elle sa fascination pour le grand monde parisien. Cette fuite » des enfants de cette famille nous rĂ©serve pas mal de rebondissements. Pierre Lemaitre embarque son lecteur dans un autre monde. A SaĂŻgon c’est la vie facile de l’indo » avec la corruption, la concussion, les vapeurs d’opium, le trafic de piastres et la prostitution qui succĂšdent aux senteurs de savon de l’entreprise familiale. C’est aussi la guerre contre le ViĂȘt-minh, ses atrocitĂ©s, ses malversations et ses paradoxes comme on en rencontre dans tous les conflits armĂ©s. A Paris ce sont les annĂ©es difficiles de l’aprĂšs-guerre puis les Trente Glorieuses. Chacun des personnages de cette famille Ă©clatĂ©e en appelle d’autres, non moins truculents, avec toutes ces aventures racontĂ©es avec une Ă©criture vive et un Ă©vident plaisir narratif, plein de verve de suspens et d’humour mais aussi d’une grande prĂ©cision documentaire et le culte du dĂ©tail qui ne peuvent laisser le lecteur indiffĂ©rent. On y rencontre un tueur en sĂ©rie, un chat, un chevalier blanc » qui veut purger la sociĂ©tĂ© des maux qui la gangrĂšne et spĂ©cialement de la corruption des hommes politiques, le grand prĂȘtre d’une secte pas trĂšs catholique, une famille qui se veut respectable mais qui peu Ă  peu se dĂ©lite, une vieille affaire qui ressurgit puis une autre qu’on veut enterrer, dans l’ambiance de la guerre d’Indochine, la fin de la DeuxiĂšme guerre mondiale et ses tickets de rationnement, ses manifestions ouvriĂšres durement rĂ©primĂ©es et les Trente Glorieuses. Je ne sais cependant pas si, dans ce contexte, l’épilogue est vraiment porteur d’espoir ou de rebondissements. C’est un rĂ©cit jubilatoire que j’ai lu avec un rĂ©el plaisir et pas seulement parce que j’aime les sagas. On ne s’ennuie vraiment pas au cours de ces presque six cents pages. J’attends la suite avec intĂ©rĂȘt et je ne suis pas le seul. HervĂ© GAUTIER Juin 2022 Les abeilles grises- Andrei Kourkov - Liliane Levy Traduit du russe par Paul Lequesne. Nous sommes dans un petit village ukrainienne de la zone grise » c’est Ă  dire situĂ© dans le Donbass entre l’armĂ©e rĂ©guliĂšre et les sĂ©paratistes pro-russes qui se livrent Ă  des combats acharnĂ©s. Il ne reste plus grand monde sauf SergueĂŻtsh et Pachka, deux ennemis d’enfance que les Ă©vĂ©nements ont cependant rapprochĂ©s. Ils ont fait taire leurs diffĂ©rents en rĂ©unissant leurs deux solitudes ce qui les oblige Ă  s’entraider. Pourtant ils ne sont pas du mĂȘme bord puisque que SergueĂŻtch, apiculteur, sympathise avec un soldat ukrainien, Petro, et Patchka s’approvisionne en nourriture auprĂšs des Russes. Le quotidien est prĂ©caire, fait de bombardements et de la crainte des snipers et SergueĂŻch qui a grand soin de ses ruches, choisit de les Ă©loigner de la guerre en les transportant dans d’autres contrĂ©es plus calmes et ensoleillĂ©es oĂč il n’y pas de combats, en Ukraine puis en CrimĂ©e, mais son ennemi vĂ©ritable Ɠil de Moscou » veille. Ce roman est une sorte de fable. Les abeilles ne servent pas qu’à favoriser le sommeil, elles sont ici un symbole de paix et le miel est pour SergueĂŻtch plus qu’une marchandise ou une monnaie d’échange, mais c’est aussi pour lui l’invitation Ă  la rĂ©flexion en les comparant Ă  l’espĂšce humaine qui, Ă  ses yeux, vaut moins qu’elles. Elles pourraient bien lui servir d’exemple pour le travail et l’organisation de la sociĂ©tĂ©. Elles sont aussi fragiles quand il les retrouve, grises et ternes aprĂšs un sĂ©jour chez les Russes, un peu comme si elles avaient Ă©tĂ© contaminĂ©es ou peut-ĂȘtre infectĂ©es par eux pour diffuser une maladie bactĂ©riologique. Ce qu’il fait pour se dĂ©livrer de son doute est significatif. On ne coupe pas aux traditionnelles libations de vodka et de thĂ© brĂ»lant malgrĂ© la guerre mais c’est la vie qui prĂ©vaut, Ă  l’image de Petro qui survit Ă  tout ces bouleversements . C’est Ă©videmment un roman oĂč fiction et rĂ©alitĂ© se confondent puisqu’il parle de cette guerre qui dure depuis quatorze annĂ©es dans le Donbass. Ce n’est pas vraiment un roman aux accents prĂ©monitoires comme Le dernier amour du PrĂ©sident » qui met en scĂšne quelqu’un qui est Ă©lu prĂ©sident Ă  la surprise gĂ©nĂ©rale et qui doit faire face aux Ă©vĂ©nements, mais il porte en lui de l’espoir. Cela Ă©voque une rĂ©alitĂ© bien actuelle de ce pays. Ce roman met en exergue le talent de cet auteur ukrainien, nĂ© en 1961, dont les abeilles grises » est le dixiĂšme roman. Les descriptions qu’il fait de la nature sont agrĂ©ables Ă  lire. Ce livre est aussi l’occasion pour nous, Ă  travers le personnage de SergueĂŻtch qui promĂšne sur le monde qui l’entoure un regard Ă  la fois humain et philosophe, de goĂ»ter l’humour ukrainien et son sens de la dĂ©rision et parfois de l’absurde. C’est aussi l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’Ukraine, sur sa cuisine et le mode de vie de ses habitants et notamment sur Taras Chevtchenko 1814-1861 peintre et poĂšte emblĂ©matique ukrainien qui symbolise la rĂ©sistance de son pays contre les atteintes Ă  sa libertĂ© et Ă  sa culture ainsi que l’émergence de l’esprit national. Cette rĂ©fĂ©rence n’est bien entendu pas sans Ă©voquer la guerre qui a dĂ©butĂ© en 2014 avec les revendications territoriales russes sur le Donbass et l’annexion de la CrimĂ©e et bien entendu les Ă©vĂšnements actuels qui secouent l’Ukraine, injustement envahie et dĂ©truite par un peuple frĂšre » en vue de reconstituer l’ex-empire soviĂ©tique, sous la fallacieuse accusation de nazisme. HervĂ© GAUTIER – Mai 2022- L'amie prodigieuse enfance-adolescence - Elena Ferrante. Traduit de l'italien par Esla Damien. Gallimard. Cette amitiĂ© qui lie Elena Greco, fille d'un portier Ă  la mairie et Lila Cerullo, fille d'un cordonnier, deux petites napolitaines d'un quartier pauvre de cette ville, commence dans les annĂ©es 50. Comme c'est souvent le cas, elles ne se ressemblent pas. Lila est petite, maigre, provocante et exerce un ascendant sur Elena, la narratrice, plus timide, rĂ©servĂ©e et calme. Cette pĂ©riode est pour elles pleine des folies et des phobies de l'enfance, les poupĂ©es qui parlent et auxquelles elles confient leurs secrets, les ogres que les terrorisent, les histoires qu'elles se racontent...et la peur de la mort avec tous ces gens, adultes et enfants, dĂ©cĂ©dĂ©s de maladies ou d'accidents dans ce quartier oubliĂ© dont la vie, avec ses ragots, ses pĂ©ripĂ©ties, ses violences et ces moments anodins, nous est largement dĂ©taillĂ©e. Les alĂ©as de l'existence vont sĂ©parer ces deux amies et Lila, pourtant surdouĂ©e doit quitter l'Ă©cole pour travailler dans l'Ă©choppe de son pĂšre alors qu'Elena, un peu moins brillante, reste dans le cursus scolaire, mĂȘme si Lila continue Ă  accompagner les Ă©tudes de son amie, d'inspirer ses rĂ©flexions, tout en nourrissant des projets commerciaux autour de la chaussure et de l'atelier de son pĂšre. L'adolescence aussi va les sĂ©parer, et Elena, plus belle et plus vite formĂ©e, verra autour d'elle s'agglutiner les garçons quand Lila restera Ă  la traĂźne, pas pour longtemps cependant. Leurs amours ne seront pas en reste puisque les deux adolescentes de quinze ans sont le point de mire des garçons frimeurs de leur quartier qui font tout pour les impressionner et s'en faire remarquer. Pour elles les choses ne seront pas si simples, soit que ceux qui les dĂ©sirent sont souvent Ă©conduits, soit qu'elles se heurtent elles-mĂȘmes Ă  l'indiffĂ©rence, coincĂ©es entre le fantasme du grand amour de gosse et la volontĂ© de leurs parents de rĂ©aliser pour elles un riche mariage, parfois malgrĂ© elles et le regard qu'elles portent sur les adultes est Ă  la fois contempteur ou enthousiaste... Leurs vies vont donc se croiser, s'opposer, entre jalousie et admiration, complicitĂ© et critiques, projets avortĂ©s et amours contrariĂ©es, sur fond de souvenirs de la guerre, dans l'ombre de la Camora, du parti communiste et du VĂ©suve. Elles auront des idĂ©es d'avenir chacune dans leur domaine, souffriront de l'opposition entre les riches et les pauvres dont elles font partie, rĂȘveront Ă  l'amour, devront elles aussi abandonner leurs chimĂšres. Je me mets un instant Ă  la place de Lila et de son projet d'usine de chaussures auquel elle a dĂ» renoncer. Cette jeune fille a du caractĂšre, c'est une rebelle, ce qui lui a valut des rĂ©primandes du cĂŽtĂ© familial. C'est vrai qu'elle n'est pas soumise comme l'est en principe une jeune-fille italienne de cette Ă©poque. Quand on est jeune, on imagine son avenir et il n'est pas rare qu'on y croie si fort que l'on prenne cela comme une promesse de la vie. Mais cette vie ne nous fait aucune promesse ni mĂȘme aucun cadeau et nos projets ne sont bien souvent que des fantasmes promis Ă  la dĂ©ception. Lila finit, Ă  seize ans, par choisir le mariage oĂč l'argent prend le pas sur l'amour, Elena au contraire continue d'opter pour les les Ă©tudes et mĂȘme si c'est dur pour elle, ne nĂ©glige pas le jeu de la sĂ©duction en opposants ses diffĂ©rents soupirants
 La sĂ©paration apparente entre les deux amies se manifeste de plus en plus parce qu'elles se retrouvent rapidement dans deux mondes diffĂ©rents, mais sans pour autant se perdre de vue. C'est bien Ă©crit et vivant, passionnant mĂȘme et si on est un peu perdu dans la multiplicitĂ© des acteurs , la liste gĂ©nĂ©alogique du dĂ©but aide un peu Ă  s'y retrouver et ce dĂ©tail est apprĂ©ciable. C'est le premier volume d'une saga sur la difficultĂ© de se faire une place quand la vie vous impose un dĂ©part dans la pauvretĂ©. Il commence par l'annonce de la disparition inquiĂ©tante de Lila Ă  66 ans qui a toujours avouĂ© Ă  son amie sa volontĂ© de disparaĂźtre sans laisser de trace. Elena remonte donc le temps pour consacrer cette amitiĂ© et ce mĂȘme si elle trahit un peu la volontĂ© de son amie, mais, ce faisant, elle veut aussi faire Ă©chec Ă  l'oubli qui est un des grands dĂ©fauts de l'espĂšce humaine. Je termine en prĂ©cisant que l'auteur, Elena Ferrante, nonobstant son talent d'Ă©crivain maintenant reconnu, a, jusqu'Ă  prĂ©sent prĂ©servĂ© son identitĂ© et sa vie privĂ©e. Je salue ce dĂ©tail Ă  un moment oĂč bien des gens font n'importe quoi pour ĂȘtre connus et pour qui la notoriĂ©tĂ© est plus important que tout le reste. HervĂ© GAUTIER Mars 2022 Changer-l'eau des fleurs - Valerie Perrin - Albin Michel. Violette Toussaint, aprĂšs avoir Ă©tĂ© garde-barriĂšre, a un nom plutĂŽt prĂ©destinĂ© pour son nouveau mĂ©tier, elle est gardienne de cimetiĂšre ! Sa maison est un peu comme un confessionnal, elle y reçoit les confidences et les larmes des vivants qui viennent ici et, mĂȘme si son mari est parti vers d’autres aventures bien terrestres, elle forme une sorte de famille dĂ©calĂ©e avec l’équipe de fossoyeurs et le jeune curĂ© de ce village bourguignon. Dans ce lieu dĂ©diĂ© au souvenir, Violette est un peu une veilleuse qui offre gĂ©nĂ©reusement aux visiteurs un cafĂ© chaleureux, mais elle en est aussi le jardinier, la chroniqueuse, l’organisatrice
 On y trouve des fleurs, bien sĂ»r, mais aussi tous les chats perdus y ont leurs habitudes et sont un peu les passeurs d’un au-delĂ  mystĂ©rieux. Dans ce lieu, elle est y apprend plus de choses que dans les livres sur l’espĂšce humaine, sur la mort, sur Dieu, sur l’éternitĂ©, sur l’amour conjugal, sur la fidĂ©litĂ© et sur le souvenir, pourtant jurĂ©s Ă  un conjoint devant son cercueil et parfois mĂȘme gravĂ©s dans le marbre. Tout cela ne pĂšse rien face Ă  la rĂ©alitĂ© quotidienne et le vĂ©ritable culte des morts est surtout dĂ©diĂ© aux amants et aux maĂźtresses disparus. Pourtant elle est seule, serviable et dĂ©vouĂ©e mais cassĂ©e dĂ©finitivement par la vie, un peu comme si un destin funeste lui collait Ă  la peau. Tout cela aurait pu durer longtemps quand survient un policier, Ă  la fois curieux et un peu amoureux d’elle qui est lui-mĂȘme dĂ©positaire des derniĂšres volontĂ©s de sa mĂšre et tĂ©moin de ses amours tumultueuses. Leur rencontre sera une parenthĂšse dans la vie de Violette et peut-ĂȘtre un nouveau cheminement vers ce bonheur qui semble lui Ă©chapper. Elle hĂ©sitera longtemps Ă  cause de cette destinĂ©e qui la tient en marge, qui lui interdit de vivre et d’aimer pleinement. Sa vie d’avant n’a pas Ă©tĂ© belle mais elle l’a acceptĂ©e avec ses rares joies et ses peines profondes, se laissant porter par le temps en se disant sans doute que les choses pourraient s’arranger mĂȘme si elle n’y croyait pas, en choisissant de ne pas rĂ©agir, en privilĂ©giant les rares moments de paix, en continuant Ă  vivre entre le passĂ© et le prĂ©sent, Ă  en avoir le vertige. J’avoue que je ne connaissais ValĂ©rie Perrin qu’à travers l’Italie oĂč elle a Ă©tĂ© traduite et apprĂ©ciĂ©e. Le roman, malgrĂ© ses 660 pages m’a paru bien court et je ne me suis pas ennuyĂ©, bien au contraire, tant il est prenant et agrĂ©ablement Ă©crit. J’ai eu plaisir Ă  faire la connaissance de Violette qui n’a pas vraiment connu l’amour ni mĂȘme l’affection mais qui, malmenĂ©e, trahie par la vie, et surtout humiliĂ©e par ses proches qui se sont acharnĂ©s sur elle, a toujours voulu dispenser autour d’elle tout le bien qu’elle pouvait. Son histoire est Ă©maillĂ©e d’anecdotes drĂŽles et Ă©mouvantes, de chagrins, de regrets, de remords de trahisons et surtout d’un deuil impossible Ă  apprivoiser, de certitudes destructrices contre lesquelles on ne peut rien. Ce que je retiens, c’est cette longue quĂȘte d’explications menĂ©e individuellement et secrĂštement par Violette et par son mari. Cela ressemble Ă  une enquĂȘte un peu maladroite oĂč se mĂȘlent la culpabilitĂ©, la haine des gens au sein mĂȘme de cette famille, les certitudes d’autant plus solides qu’elles sont infondĂ©es et le malheureux hasard. L’épilogue de cette triste histoire qui aurait pu ĂȘtre belle mais ne l’a pas Ă©tĂ©, favorisera la rĂ©silience de Violette et son acceptation des Ă©preuves qu’elle a dĂ» subir. Il reste de ces tranches de vie une impression d’impuissance, de solitude, de mal-ĂȘtre, de fatalitĂ©, d’injustices, d’amour impossible, un peu comme si elle voulait se laisser porter par le temps, comme si la mort qu’elle cĂŽtoie physiquement chaque jour Ă©tait sa vĂ©ritable compagne qui Ă  la fois ressemble Ă  une attente ou Ă  un refus. Le cheminement intĂ©rieur de Violette est bouleversant entre passivitĂ© face Ă  la fatalitĂ© et volontĂ© de vivre selon son dĂ©sir malgrĂ© sa dĂ©sespĂ©rance, sa fragilitĂ©. J’y ai lu Ă  travers ces histoires entrecroisĂ©es dans le temps, oĂč certains personnages vivent la vie et l’amour entre passion et abandon, une Ă©tude pertinente sur la relation entre les hommes et les femmes, sur leur vie commune ou sĂ©parĂ©e, leurs passades ou leur amour fou, la jouissance et le dĂ©goĂ»t, l’attachement et le mĂ©pris, l’envie et la lassitude, la misĂšre et l’espoir, le mensonge et les compromissions. C’est un peu l’image de notre vie Ă  tous, de nos accidents de parcours, de nos deuils, de nos rĂ©signations, de nos espoirs, de nos doutes. Cela m’a incitĂ© Ă  dĂ©couvrir une autre facette du talent de cette auteure. Elle Ă©voque une prochaine adaptation cinĂ©matographique de ce roman. J’y serai particuliĂšrement attentif. HervĂ© GAUTIER – FĂ©vrier 2022 Premier sang - Amelie Nothomb - Albin Michel. Prix Renaudot 2021. Le titre de ce roman peut susciter nombre d’explications mais on tarde un peu Ă  comprendre qu’il Ă©voque, non pas le duel qui doit ĂȘtre interrompu au premier sang », c’est Ă  dire lorsque l’un des deux adversaires est touchĂ©, mais cette dĂ©sagrĂ©able habitude qu’à Patrick, le personnage principal, de s’évanouir Ă  la vue du sang frais, coulant et vivant ». C’est une sorte de rituel involontaire qui le poursuivra toute sa vie et Ă  l’aune duquel va se dĂ©rouler une jeunesse oĂč il va vivre ses amitiĂ©s d’adolescent, connaĂźtre ses premiers Ă©mois amoureux, les illusions et les trahisons qui vont avec. Ce livre est un hommage Ă  son pĂšre Patrick Nothomb 1936- 2020 diplomate belge, dont le premier poste en qualitĂ© de consul de Belgique Ă  Stanleyville en 1964 dĂ©butera une longue carriĂšre de reprĂ©sentant de son pays. SĂ©questrĂ© avec ses compatriotes dans l’ex Congo-belge occupĂ© par les rebelles africains de l’ armĂ©e populaire de libĂ©ration », il profitera de ses fonctions pour servir de mĂ©diateur auprĂšs des insurgĂ©s et tenter de sauver des vies humaines et ce malgrĂ© son aversion pour le sang qui coule. Cette Ă©preuve Ă  laquelle ne s’attendait pas ce jeune consul a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e par lui dans un livre, Dans Stanleyville », qui retrace cette pĂ©riode tragique et dont notre auteure s’est inspirĂ©e. Il y parle de ce qu’il appellera plus tard le syndrome de Stockholm » mais je retiens surtout les remarques qu’elle lui prĂȘte face au peloton d’exĂ©cution. Ces moments qui prĂ©cĂšdent une mort certaine ont cette dimension humaine qu’est l’acceptation de son destin sans aucune rĂ©volte admettre que son parcours s’arrĂȘte lĂ  malgrĂ© son jeune Ăąge, qu’on n’y peut rien, qu’on a fait ce qu’on a pu, avec toute sa bonne volontĂ© et toute sa bonne foi mais que c’est fini et qu’on accepte son sort sans regret. Il en rĂ©chappera, permettant Ă©galement Ă  de nombreux autres prisonniers europĂ©ens d’avoir la vie sauve pendant cette longue prise d’otages. Sa fille choisit cet Ă©pisode de sa vie pour imaginer que l’éminence de la mort provoque chez lui une envie d’écrire, comme pour laisser une trace de son passage sur terre. Je reprends l’habitude de lire AmĂ©lie Nothomb, surtout Ă  cette Ă©poque de la rentĂ©e littĂ©raire oĂč elle choisit de publier son traditionnel roman annuel. Jusque lĂ  je le faisais, moins par l’intĂ©rĂȘt que suscitaient ses livres que parce que, faisant partie du paysage littĂ©raire, il fallait l’avoir lue pour pouvoir en parler. D’ordinaire j’étais plutĂŽt déçu et je cherchais chaque annĂ©e vainement Ă  retrouver le plaisir que j’avais eu Ă  la lecture de son premier roman Stupeurs et tremblements » qui Ă©voque sa premiĂšre expĂ©rience professionnelle et personnelle dans une entreprise japonaise. Ici c’est l’histoire de son pĂšre, Patrick Nothomb, ambassadeur, dĂ©cĂ©dĂ© en Ă  83 ans Ă  qui elle adresse une sorte d’adieu. Ce n’est pas un hommage mĂ©lancolique comme on pourrait s’y attendre mais au contraire un tĂ©moignage solaire, humoristique mĂȘme, oĂč, s’effaçant derriĂšre lui, elle lui donne directement la parole. Au dĂ©part, il Ă©voque, dans les annĂ©es 40, sa jeunesse d’orphelin de pĂšre entre une mĂšre, veuve dĂ©finitive et femme du monde, des grands parents maternels aristocrates et des vacances ardemment dĂ©sirĂ©es, Ă  la fois spartiates et rurales, chez un oncle, poĂšte et chef d’une tribu d’un autre Ăąge qui vaut son pesant d’originalitĂ©. J’avoue avoir Ă©tĂ© conquis par le rĂ©cit, ce qui me fait dire qu’AmĂ©lie Nothomb n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’elle parle d’elle ou de sa parentĂšle, c’est Ă  dire qu’elle choisit le registre intimiste. J’ai apprĂ©ciĂ© le style fluide et jubilatoire qui est le sien depuis le dĂ©but et qui a l’avantage de gĂ©nĂ©rer une lecture agrĂ©able et, comme c’est le cas ici, Ă©mouvante. HervĂ© GAUTIER – Janvier 2022 La plus secrete memoire des hommes - Mohamed Mbougar Sarr - Prix Goncourt 2021. Éditions Philippe Rey/Jimsaan. Au dĂ©part, c’est Ă  dire en 2018, pour DiĂ©gan Latyr Faye, jeune auteur sĂ©nĂ©galais, talentueux et ambitieux mais inconnu, il y a la rencontre Ă  Paris avec un livre mythique paru en 1938 Le labyrinthe de l’inhumain »de Elimane en rĂ©alitĂ© de son nom africain Mbin Madag Diouf, un Ă©crivain un peu mystĂ©rieux et controversĂ©, connu pour avoir Ă©tĂ© le Rimbaud nĂšgre », dont le chef d’Ɠuvre d’abord saluĂ© par la critique, dĂ©clencha un scandale Ă  cause d’une accusation de plagiat, ce qui fit disparaĂźtre son crĂ©ateur de la scĂšne littĂ©raire. Diegan vit Ă  Paris en tant qu’étudiant, rencontre une foule de gens, des femmes surtout, et d’ailleurs parmi tous ceux qu’il croise, et ils sont nombreux, beaucoup veulent devenir Ă©crivains et plus prĂ©cisĂ©ment Ă©crivains de langue française. Dans la premiĂšre partie le Journal estival » est consacrĂ©e notamment Ă  diffĂ©rents commentaires sur ce roman ainsi que sur celui Ă©crit par DiĂ©gan L’anatomie du vide » qui n’a pas lui non plus connu un grand succĂšs. J’avoue que je me suis un peu ennuyĂ© Ă  cette lecture malgrĂ© l’érudition du texte. En revanche, la partie qui traite de la vraie histoire d’Elimane, ou peut-ĂȘtre aussi de sa lĂ©gende, racontĂ©e par Siga D. , qui est sa cousine, et aussi par d’autres personnes qui l’ont approchĂ© ou ont connu certains de ses amis, est bien plus passionnante. Chacun donne sa version mais on apprend ses ascendances, le secret » de sa conception, le dĂ©roulĂ© de son parcours, l’accusation de plagiat dont il a fait l’objet. C’est Ă  mon sens lĂ  que commence vĂ©ritablement le roman. La prĂ©sence des femmes est dans cette Ɠuvre des plus importantes, soit qu’elles sont sensuelles, amoureuses elles font beaucoup l’amour et mĂȘme parfois porteuses d’une charge Ă©rotique certaine, soit qu’elles tĂ©moignent de l’itinĂ©raire d’Elimane, mais ce qu’elles en disent Ă©paissit en rĂ©alitĂ© le mystĂšre autour de lui, suscitant ambiguĂŻtĂ©s, interrogations et fantasmes. Il est l’homme d’un seul livre et sans doute quelqu’un dont St Thomas d’Aquin conseillait de se mĂ©fier. D’ailleurs la vie de tous ceux, et celles, qui l’ont approchĂ© a Ă©tĂ© bouleversĂ©e et DiĂ©gan n’y Ă©chappe pas qui, fascinĂ© par ce livre, s’est mis dans la tĂȘte de le retrouver. Cet Ă©crivain est d’autant plus inquiĂ©tant qu’au cours de ses investigations DiĂ©gan s’aperçoit que certains de ses lecteurs, dont la plupart Ă©taient des lettrĂ©s, des critiques littĂ©raires, souvent des dĂ©tracteurs, se sont suicidĂ©s aprĂšs avoir lu Le labyrinthe de l’inhumain » ce qui n’est pas sans susciter des interrogations sur la responsabilitĂ© d’un Ă©crivain sur le message qu’il dĂ©livre Ă  ses lecteurs. Il faut se souvenir aussi qu’Elimane est l’hĂ©ritier, de part ses origines, d’une culture africaine diffĂ©rente de la nĂŽtre et empreinte de magie irrationnelle. Que ces suicides inexpliquĂ©s, mais qui sont peut-ĂȘtre de simples coĂŻncidences, trouvent un commencement d’élucidation dans le pouvoir des mots et le dĂ©sir de vengeance de l’auteur, pourquoi pas ? De lĂ  Ă  penser que ce roman est maudit, il n’y a peut-ĂȘtre qu’un pas ! Je remarque nĂ©anmoins que si, parmi tous ceux qui ont lu ce livre beaucoup se sont suicidĂ©s, DiĂ©gan et Siga D . eux, sont restĂ©s en vie, peut-ĂȘtre pour tĂ©moigner de leur passage sur terre par l’écriture parce que c’est ce qui a des chances de survivre Ă  l’auteur. Cette recherche donne un voyage labyrinthique, Ă  travers les luttes politiques, une vĂ©ritable errance sur trois continents, l’Afrique, l’Europe, l’AmĂ©rique, Ă©voquant le titre mĂȘme du roman de Elimane et correspondant de la part de cet Ă©crivain Ă  une fuite, Ă  la recherche de quelque chose ou de quelqu’un, peut-ĂȘtre de lui-mĂȘme et de son destin? La quĂȘte menĂ©e par DiĂ©gan est frustrante au dĂ©but puisqu’il ne rencontre que des gens qui ont connu directement ou indirectement Elimane et qu’il n’a jamais Ă  sa disposition que des tĂ©moignages parfois contradictoires, c’est Ă  dire qu’il ne le retrouve jamais. Cela donne un portrait assez flou mais dessinĂ© comme on assemble les piĂšces d’un puzzle. En rĂ©alitĂ© Mohamed Mbougar Sarr fait de cet auteur un vĂ©ritable personnage de roman, un homme mythique insaisissable et qui se dĂ©robe sans cesse . En effet, ce texte est dĂ©diĂ© Ă  Yambo Ouologuem 1940-2017, un Ă©crivain malien, bien rĂ©el celui-lĂ , puisqu’il obtint le Prix Renaudot en 1968 pour Le devoir de violence » mais qui fut, lui-aussi, accusĂ© de plagiat et oubliĂ© de tous. Mohamed Mbougar Sarr s’inspira de sa vie sans pour autant la copier puisqu’il fait naĂźtre son hĂ©ro au cours de la guerre de 1914, au moment oĂč son pĂšre, un tirailleur sĂ©nĂ©galais, meurt dans les tranchĂ©es de la Somme. Il a au moins l’intĂ©rĂȘt d’évoquer cet auteur, c’est Ă  dire de le faire revivre. Ce livre s’ouvre Ă©galement sur une citation du poĂšte chilien Robert Bolaƈo qui donne son titre au roman de Mbougar Sarr et surtout qui Ă©voque la vie d’une ƒuvre, son parcours dans le temps et sa mort inĂ©vitable, comme meurent toutes les choses humaines. A la fin de ce roman DiĂ©gan Ă©voque, Ă  travers l’écrivain congolais Musimbwa anĂ©anti par son expĂ©rience parisienne, la mort, celle de l’Afrique, de sa culture, de ses traditions, de ses lĂ©gendes, de ses mystĂšres, qui a cĂ©dĂ© devant la colonisation française en faisant d’Elimane Ă  la fois le produit et l’aboutissement de cette colonisation puisqu’il a rĂ©ussi Ă  s’exprimer en français par l’écriture et qu’il souhaitait ĂȘtre reconnu comme un authentique Ă©crivain, mais aussi le symbole de sa propre destruction puisqu’il n’a pas Ă©tĂ© reconnu pour ce qu’il voulait ĂȘtre et qu’on l’a prĂ©cipitĂ© dans l’anonymat, la solitude et l’anĂ©antissement. Finalement tout cela n’a Ă©tĂ© pour lui qu’un leurre et il estime qu’Elimane a Ă©tĂ© exclus de ce jeu, non Ă  cause du plagiat mais parce qu’il incarnait cet espoir impossible. Il en tire des leçons pour ce peuple d’Afrique qui courre derriĂšre l’Europe et qui Ă©videmment connaĂźtra le mĂȘme sort. Musimbwa ne se voit d’avenir qu’en Afrique et lance Ă  DiĂ©gan un dĂ©fi, celui de dĂ©couvrir Ă  sa maniĂšre le vrai message d’Elimane, d’ĂȘtre s’il le peut, un Ă©crivain-tĂ©moin. Il revient chez lui comme le lui conseille son ami, retrouve les traces d’Elimane mort depuis un an et recueille son message. Il sera son tĂ©moin par l’écrit parce qu’il comprend enfin le sens de son livre, mais retourne Ă  Paris parce que l’écriture est sa vie, qu’il se doit d’y obĂ©ir. Je note la longueur de certaines phrases, parfois de plusieurs pages qui, mĂȘme si elles sont fort bien Ă©crites, ne facilitent pas la lecture. Personnellement je les prĂ©fĂšre courtes et mĂȘme si on peut y voir une rĂ©fĂ©rence Ă  Marcel Proust et Ă  Mathias Enard, il convient de remarquer que ces trois romanciers ont Ă©tĂ© couronnĂ©s par le prix Goncourt ! Cela n’empĂȘche pas ce roman d’ĂȘtre fascinant tant par l’histoire qu’il dĂ©roule sous nos yeux que par le style de son auteur, par ses descriptions, par sa poĂ©sie, par son Ă©rudition et par l’intĂ©rĂȘt qu’il suscite chez son lecteur. J’ai ressenti personnellement une impression de solitude, de dĂ©rĂ©liction et de dĂ©sespĂ©rance dans ce texte, une sorte de malaise nĂ© d’une quĂȘte impossible, d’une impuissance, un peu Ă  la maniĂšre de ce qu’on peut Ă©prouver quand ce qu’on veut atteindre se rĂ©vĂšle dĂ©finitivement hors de notre portĂ©e et le demeurera. Finalement Diegan achĂšvera sa quĂȘte mais pas exactement de la maniĂšre qu’il souhaitait et pas non plus en ayant trouvĂ© ce qu’il recherchait, l’ombre d’Elimane n’ayant cessĂ© de se dĂ©rober. Cet ouvrage est aussi une rĂ©flexion sur les Ă©crivains, sur les critiques mais surtout sur la littĂ©rature, ses fondements, ses motivations, sur l’écriture et son alternative Ă©crire ou non, et mĂȘme impossibilitĂ© d’écrire, c’est Ă  dire exprimer vraiment ce qu’on veut dire, son importance comme des traces laissĂ©es aprĂšs la mort de son auteur. Cela dit, que le Jury Goncourt ait couronnĂ© un Ă©crivain Ă©tranger d’expression française est toujours une excellente chose puisque cela conforte la francophonie qui est, malheureusement, bien en danger. Cela met Ă©galement en lumiĂšre un romancier original et une voix africaine trop absente de notre littĂ©rature. Je n’ai pas toujours Ă©tĂ© d’accord avec ce prestigieux prix et n’ai pas manquĂ© de la dire dans cette chronique mais ici jai plaisir Ă  saluer ce roman. HervĂ© GAUTIER – DĂ©cembre 2021 Tuer le fils - Benoit Severac - La manufacture des livres. Matthieu Fabas, 35 ans,sort juste de quinze ans passĂ©s en prison pour avoir tuĂ© un homosexuel. Il avait commis ce meurtre pour prouver sa virilitĂ© Ă  son pĂšre, un nĂ©onazi, motard, fichĂ© S », et ce dernier vient d’ĂȘtre assassinĂ© dans des circonstances Ă©tranges, un meurtre apparemment dĂ©guisĂ© en suicide. Parmi toutes les pistes explorĂ©es par le commandant CĂ©risol et ses deux adjoints, Nicodem et Grospierres, celle du fils est sĂ©rieuse. Les relations n’ont jamais Ă©tĂ© trĂšs bonnes entre Matthieu et son pĂšre, surtout depuis la mort de sa mĂšre alors qu’il n’avait que 8 ans, la pĂ©riode d’incarcĂ©ration n’a pas arrangĂ© l’incomprĂ©hension paternelle et cette cryptorchidie dont Ă©tait affublĂ© Matthieu n’a fait qu’aggraver les choses aux yeux de son pĂšre. Si CĂ©risol parvient Ă  apprivoiser sa vie et Ă  accepter l’absence d’enfant liĂ©e au handicap de son Ă©pouse devenue aveugle, avec des confitures auxquelles il est accroc, Matthieu lui a trouvĂ© pendant son incarcĂ©ration une consolation inattendue dans l’écriture et son cahier, maintenant entre les mains du commandant, pourrait bien ĂȘtre pour lui une source d’accusations. Un roman autobiographique et inĂ©dit, suscitĂ© par l’animateur d’un atelier d’écriture en milieu carcĂ©ral, a mĂȘme Ă©tĂ© Ă©crit par le dĂ©tenu. On songe Ă  l’effet cathartique et donc rĂ©silient de l’écriture. J’ai apprĂ©ciĂ© l’analyse psychologique des personnages fondĂ©e sur l’observation et l’interaction des relations entre eux. C’est valable non seulement au sein mĂȘme de l’équipe des policiers, opposant le fils d’émigrĂ©s dĂ©pressif Nicodemo, bĂ©nĂ©ficiaire de l’ascenseur social et celui qui n’est dans la police que par hasard pour conjurer le chĂŽmage Grospierres, mais dont la formation universitaire, l’obstination et la clairvoyance se rĂ©vĂ©leront dĂ©terminantes dans les investigations. Entre CĂ©risol et Grospierres, s’établira une sorte de relation pĂšre-fils particuliĂšre, quelque peu mise Ă  mal cependant par la tĂ©nacitĂ© de ce dernier et l’ego du commandant, le tout au milieu des Ă©tats d’ñme des policiers face Ă  leur fonction de maintient de l’ordre dans une sociĂ©tĂ© humaine chancelante, sans oublier la sphĂšre privĂ©e de chacun d’eux
Entre CĂ©risol et son Ă©pouse s’établit une sorte d’équilibre, eux dont le mariage rĂ©siste grĂące Ă  un subtil mĂ©lange de sexe, d’acceptation des diffĂ©rences de l’autre et, sans doute, de l’absence d’enfant voulue par elle et qui sont souvent une source de nombreuses dissensions au sein d’un couple. Pour lui la paternitĂ© reste pourtant un rĂȘve relation entre Matthieu et l’animateur est aussi intĂ©ressante Ce qui n’est au dĂ©part pour le dĂ©tenu qu’une maniĂšre originale de passer le temps se rĂ©vĂšle bien plus importante Ă  travers la dĂ©marche d’écriture. En effet, le fait de mettre en perspective les remarques personnelles de Matthieu sur son pĂšre dans le cadre de son cahier et le sort qu’il rĂ©serve au personnage paternel dans son roman peut se rĂ©vĂ©ler dĂ©terminant dans l’enquĂȘte. ou comment l’animation d’un atelier d’écriture peut n’ĂȘtre pas si anodine que cela ?.Le plus intĂ©ressant est la relation pĂšre-fils difficile, entre la volontĂ© paternelle de façonner sa progĂ©niture Ă  son image, de lui inculquer ses valeurs et celle, non moins grande, du fils de s’affirmer par rapport Ă  elle, de la combattre, entre admiration refoulĂ©e, contestation de l’autoritĂ©, nĂ©cessaire Ă©mancipation et volontĂ© d’ĂȘtre reconnu. Ici Matthieu, rejetĂ© par son pĂšre, est devenu meurtrier dans le seul but de lui prouver qu’il se trompait Ă  son sujet mais son geste a manquĂ© son but, crĂ©ant Ă  la fois cette frustration et une prise de conscience de la responsabilitĂ© paternelle rĂ©vĂ©lĂ©e par l’écriture. Ce polar Ă©chappe aux clichĂ©s ordinaires du roman policier et notamment dans le titre lui-mĂȘme puisqu’il est l’exact contraire de la formule Ɠdipienne convenue qui veut qu’un fils s’oppose Ă  son pĂšre pour s’affirmer et se construire, c’est Ă  dire le tue virtuellement. Le rĂŽle du pĂšre est paradoxalement d’aider son fils dans cette dĂ©marche difficile mais nĂ©cessaire. Ici, c’est diffĂ©rent, le pĂšre et le fils ne s’entendent pas mais Matthieu est devenu meurtrier pour attirer l’attention paternelle, mĂȘme si pour cela il a enfreint la loi et fait de la prison. Ainsi ses Ă©crits y font-ils de constantes rĂ©fĂ©rences, comme autant de marques d’admiration, de constats d’échec et de demandes de reconnaissances. Mais les choses sont plus profondes et surtout plus anciennes et se rĂ©sument Ă  une image obsĂ©dante et insupportable pour le pĂšre, atteint dans sa virilitĂ© mĂȘme, que lui renvoie son propre fils et qui justifie Ă  ses yeux son attitude de rejet. Le titre de ce roman peut s’expliquer, non seulement Ă  cause d’une habille mise en abyme je passe sous silence le clin d’Ɠil malicieux au best-seller Le roman de l’annĂ©e » mais surtout Ă  une subtile relation entre l’animateur ayant perdu toute inspiration et Matthieu dont, sans vergogne, il s’approprie le talent pour relancer sa carriĂšre d’écrivain. Il joue sur les rapports dĂ©lĂ©tĂšres pĂšre-fils et les ressentiments qui en dĂ©coulent, non seulement pour que soit créée par un autre une Ɠuvre d’art au nom de la littĂ©rature », mais surtout pour s’en approprier les mĂ©rites. J’imagine la suite, Matthieu, condamnĂ© Ă  une lourde peine pour un crime qu’il n’a pas commis, sortant enfin de prison et prenant conscience du plagiat, cherchera Ă  se venger ! Ce roman a une dimension personnelle dans la mesure oĂč l’auteur a Ă©tĂ© animateur d’un atelier d’écriture en milieu carcĂ©ral, mais la remarque, sans doute, s’arrĂȘte lĂ . Il Ă©voque la rĂ©vĂ©lation d’un talent crĂ©atif chez un dĂ©tenu, la dĂ©couverte par ce dernier de la force purgative des mots qui est une forme de libertĂ©, entre autobiographie et autofiction, et cela a quelque chose de passionnant et d’authentique. Il y a une analyse subtile de l’écriture, l’indispensable inspiration venue d’ailleurs, la disponibilitĂ© de celui qui tient le stylo et fait appel Ă  des souvenirs souvent enfouis, le nĂ©cessaire travail sur les mots et leur effet curatif, les illusions de l’écrivain, l’incontournable difficultĂ© qui naĂźt de la volontĂ© de s’exprimer et l’impression qu’on peut ressentir de n’avoir pas pu le faire pleinement. Le message que je retiens aussi c’est l’importance des mots, leur valeur quand ils s’inscrivent dans ce qui est censĂ© ĂȘtre une fiction dont nous savons qu’elle peut aussi avoir des connotations personnelles. Toute la difficultĂ© est de faire la part des choses entre ces deux notions, ce qui est pour le lecteur un Ɠuvre d’art peut ĂȘtre pour le policier un aveu, un faux tĂ©moignage ou un mobile ! Cela peut bouleverser Ă©galement les rapports hiĂ©rarchiques et personnels au sein d’une Ă©quipe, oĂč, comme dans la vie, rien n’est jamais acquis. C’est donc un roman qu’il faut lire moins comme l’évocation d’une enquĂȘte policiĂšre classique avec ses rebondissements que comme une Ă©tude psychologique de personnages et de faits apparemment inattendus et anodins qui Ă©clairent l’intrigue. Non seulement le suspens est adroitement distillĂ© tout au long du roman, ce qui est bien le moins pour un thriller, mais c’est aussi Ă©crit dans le style fort agrĂ©able Ă  lire, pas vraiment acadĂ©mique mais pas graveleux non plus, comme cela arrive parfois dans ce genre de littĂ©rature. Cela a Ă©tĂ© pour moi un passionnant moment de lecture. Benoist SĂ©verac a Ă©tĂ© laurĂ©at du Prix Cezam rĂ©gional 2021. Ce roman est dans notre bibliothĂšque. "HervĂ© Gautier -Novembre 2021" Betty - Tiffany Mc Daniel - Gallmeister. Traduit de l’amĂ©ricain par François Happe. Betty, c’est la narratrice, nĂ©e en 1954 dans l’Ohio d’une mĂšre blanche et d’un pĂšre Cherokee. Elle nous raconte l’histoire de sa famille, de cet homme et de cette femme apparemment faits l’un pour l’autre et de leur parcours dans la vie. C’est aussi un vibrant hommage Ă  son pĂšre, travailleur infatigable et attentif Ă  sa maisonnĂ©e qui sait lui transmettre la culture indienne, pratiquer la mĂ©decine empirique et vivre dans le respect de la nature. Plus que ses autres enfants, Betty sera pour lui la petite indienne » Ă  qui il va transmettre son savoir auquel elle va ajouter la folie et la naĂŻvetĂ© de l’enfance et, dans une sorte de syncrĂ©tisme, y intĂ©grer le message du christianisme et de la culpabilitĂ© judĂ©o-chrĂ©tienne inĂ©vitable. Pour elle l’écriture sera, malgrĂ© son jeune Ăąge, dĂ©jĂ  un exorcisme. Elle Ă©crit des histoires pour redessiner le monde autour d’elle et conjurer les fantĂŽmes de son enfance. Cette famille restera Ă  part de la communautĂ© et, compte tenu de ce contexte, la pauvretĂ©, le racisme, l’intolĂ©rance, l’exclusion, la marginalitĂ©, l’errance font aussi partie du dĂ©cor, mais aussi, comme en contrepoint, toute la magie de la poĂ©sie et de la sagesse indiennes La figure de ma mĂšre reste douloureuse et marginale par rapport Ă  celle du pĂšre. Son domaine Ă  elle c’est la maison, le quotidien et son rĂŽle de protectrice de la famille la libĂšre un peu de son passĂ© obsessionnel. C’est Ă  Betty et Ă  aucun autre de ses nombreux enfants qu’elle confie ce qu’a Ă©tĂ© son enfance difficile faite d’inceste paternel et de passivitĂ© maternelle au point que la petite fille a du mal Ă  comprendre ce qu’ont Ă©tĂ© ces Ă©preuves si lourdes Ă  porter qui, mĂȘme longtemps aprĂšs, se rĂ©veillent sans crier gare et l’ont conduite au bord de la mort. Elle les traĂźnera toute sa vie. Pour autant cette famille n’a rien d’idyllique et c’est, sans doute au nom de l’exemple reproduit, qu’un des garçons viole une de ses sƓurs. Dans ce microcosme familial le pĂšre reprĂ©sente le cotĂ© merveilleux, avec ces histoires extraordinaires, sa façon de vivre dans un autre monde et la mĂšre le cĂŽtĂ© Ă  la fois rĂ©el et obsessionnel. Les enfants de ce couple grandissent dans ce contexte aimant et complice, pleins de rituels puĂ©rils, avec la peur et l’envie de grandir, de voir le monde Ă  l’extĂ©rieur de cette petit ville de Breathed oĂč ils habitent, l’espoir et la crainte du lendemain, du temps qui passe et la mort qui peut frapper Ă  tout moment...Pourtant, ces liens qui les unissaient finissent par se distendre et chacun part dans sa direction. C’est aussi un regard aiguisĂ© portĂ© sur la sociĂ©tĂ© de cette AmĂ©rique profonde inchangĂ©e depuis des gĂ©nĂ©rations. Ce que je retiens avant tout, au-delĂ  de l’hommage, c’est la dĂ©marche de mĂ©moire, l’échec Ă  l’oubli qui est une grande constance de l’espĂšce humaine, pour que la parentĂšle de l’auteure garde le souvenir de ce couple Ă  la fois ordinaire et exceptionnel. C’est aussi un texte initiatique de passage de l’enfance Ă  l’ñge adulte, un livre sur les secrets de famille et ses dĂ©nis, les non-dits. Je ne me suis pas ennuyĂ© au long des sept cents pages de ce rĂ©cit anecdotique dĂ©coupĂ© en chapitres distillĂ© sous l’égide alternatif de faits divers relatĂ©s rĂ©pĂ©titifs et mystĂ©rieux par le journal local, de versets de la Bible et dans l’omniprĂ©sence de Dieu et du pĂ©chĂ©, ce qui rĂ©alise une sorte de synthĂšse religieuse avec les lĂ©gendes indiennes et du quotidien. J’ai senti une sorte de doute sur Dieu quant Ă  son absence d’action sur La vie des hommes autant que le poids rĂ©affirmĂ© de son double, le diable ce qui met en lumiĂšre la dualitĂ© traditionnelle de cette religion autant que les fantasmes et les phobies populaires. J’ai aimĂ© cette saga bien Ă©crite et agrĂ©able Ă  lire, un texte poĂ©tique et Ă©mouvant qui retient l’attention de son lecteur jusqu’à la fin. "HervĂ© GAUTIER - Octobre 2021" L'age du doute - Andrea Camilleri - Fleuve Noir Traduit de l’italien par Serge Quadruppani Un yacht de luxe vient d’aborder dans le port de VigatĂ  avec, Ă  son bord, le cadavre d’un homme dĂ©figurĂ© et nu, trouvĂ© en mer sur un canot de sauvetage. Cela promet des ennuis en respectives pour la propriĂ©taire, la Giovannini, une femme autoritaire, carrĂ©ment nymphomane qui est aussi passagĂšre, le commandant Sperli et son Ă©quipage. Ils vont devoir attendre la fin de l’enquĂȘte. Les choses se compliquent un peu avec l’arrivĂ©e d’un bateau de croisiĂšres dont la prĂ©sence au port paraĂźt assez Ă©trange, la rĂ©vĂ©lation d’informations qui ne le sont pas moins et d’un mort supplĂ©mentaire. Le commissaire Salvo Montalbano est de plus en plus tracassĂ© par son Ăąge 58 ans et par la retraite qui s’annonce. Il peut d’ailleurs compter sur le mĂ©decin-lĂ©giste pour le lui rappeler, lequel ne s’en prive d’ailleurs pas. Il a conscience qu’une page s’est tournĂ©e dans sa vie sentimentale et que le temps a sur lui fait son amours avec Livia, son Ă©ternelle fiancĂ©e gĂ©noise, sont lointaines et Ă©pisodiques et c’est sans doute pour tout cela qu’il a des doutes sur sa capacitĂ© de sĂ©duction. Elle va d’ailleurs ĂȘtre mise Ă  l’épreuve par la rencontre, dans le cadre de cette enquĂȘte, avec LauraBelladona, la sĂ©duisante lieutenante de la capitainerie du port. Leurs relations Ă©phĂ©mĂšres oscillent entre la volontĂ© de se laisser porter par les Ă©vĂ©nements et d’en retirer le meilleur et celle de bousculer le destin, une sorte de valse entre hĂ©sitation et attirance avec la crainte de remettre en cause tous ses propres projets et ce qu’on croit acquit ce genre de situation les espoirs les plus fous germent dans les tĂȘtes et l’imagination n’a plus de limite. C’est que cette jeune femme bouleverse Ă  ce point notre commissaire qu’elle le met, sans le vouloir vraiment, face Ă  lui-mĂȘme, avec son Ăąge, ses dĂ©sillusions, ses folles pensĂ©es,ses accĂšs secrets de culpabilitĂ©, et malgrĂ© tout, son charme naturel continue Ă  agir au point qu’elle mĂȘme en est Ă©branlĂ©e. C’est une trĂšs belle femme, comme son nom l’indique, mais les phases de cette enquĂȘte vont la faire douter d’elle-mĂȘme, de son avenir, sans qu’on sache trĂšs bien si elle choisit son destin ou si elle s’abandonne aux circonstances, entre prĂ©monition et renoncement. La fatalitĂ©, le hasard ou une quelconque divinitĂ©rĂ©gleront la tranche de vie de ces deux ĂȘtres qui peut-ĂȘtre envisageaient des moments intimes passionnĂ©s ou un futur commundiffĂ©rent, malgrĂ© tout ce qui peut raisonnablement les opposer, mais nous savons tous fort bien qu’en amour la raison est souvent mise de cĂŽtĂ©. Ce genre de doute arrive Ă  tout Ăąge et le nom que porte cette jeune femme est aussi celui d’un poison. C’est donc un roman policier bien construit, sans doute un des meilleurs que j’aie lu sous la plume de Camilleri, plein de rebondissements et de suspense qui tiennent en haleine son lecteur jusqu’à la fin, mais c’est aussi une rĂ©flexion sur la vieillesse, sur le pouvoir de sĂ©duction qui disparaĂźt avec les annĂ©es mais qui peut ressurgir sans crier gare, une illustration des paroles d’Aragon Rien n’est jamais acquit Ă  l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cƓur et quand il croit ouvrir les bras son ombre est celle d’une croix, sa vie est un Ă©trange et douloureux divorce, il n’y a pas d’amour heureux ». J’ai Ă©prouvĂ© ici, ce qui arrive rarement dans un roman policier, mĂȘme sous la plume de Camilleri, ce supplĂ©ment d’émotionqui fait que l’intrigue policiĂšre, pourtant intense et passionnante, passerait presque au second plan. Mais restons pour cette enquĂȘte, dans le contexte de la sĂ©duction, puisque Montalbano charge son adjoint Mimi Augello, de sĂ©duire la propriĂ©taire du bateau, mais dans le seul but de faire avancer l’enquĂȘte et de favoriser la manifestation de la vĂ©ritĂ©, Ă©videmment ! Son cĂŽtĂ© donnaiolo »comme disent si joliment nos amis italiens est bien connu du commissaire mais il y a fort Ă  parier que cette fois il fera du zĂšle professionnel »ce qui, accessoirement, suscitera chez son supĂ©rieur vieillissant une sorte d’envie. Entre ses rĂȘves parfois morbides, ses obsessions, ses jalousies, ses fantasmes, Salvo se dĂ©bat comme il peut avec cette enquĂȘte qui finalement le dĂ©passe,et les obsessions administratives du Questeur,entre improbables mensonges et investigations perturbĂ©es par sestourments amoureux. C’est pour lui l’occasion de rĂ©flĂ©chir sur l’amour, le dĂ©sir sexuel d’une femme, de regretter les ravages de l’ñge et le mirage des impasses ...En tout cas ça lui occasionne des Ă©tats d’ñme dĂ©vastateurs au point de se laisser aller Ă  Ă©couter la voix de sa conscience et de discuter avec elle. Ce soliloque serait plutĂŽt le signe d’un vieillissement prĂ©maturĂ©. Reste que cette enquĂȘte perturbe tellement notre commissaire qu’il y associe l’ombre de la mafia. LĂąge qui paraĂźt tant tracasser Montalbano n’entame en tout cas pas son appĂ©tence pour les pĂątes ncasciata, pourla caponata ou le rouget frit, et quand il ne profite pas de la carte allĂ©chante de son ami le restaurateur Enzo, il se goinfre des rĂ©alisations culinaires d’Adelina sa femme de mĂ©nage, ce qui ne doit arranger ni son poids ni son taux de cholestĂ©rol ! Camilleri est, Ă  tort ou Ă  raison, considĂ©rĂ© comme le Simenon sicilien. Il y est d’ailleurs fait, dans cet ouvrage, une rĂ©fĂ©rence Ă  un de ses personnages. La figure de Montalbano a Ă©tĂ© popularisĂ©e en France par l’adaptation des intrigues policiĂšres de Camilleri pour la tĂ©lĂ©vision. Il est incarnĂ© avec talent Ă  l’écran par Luca Zingaretti mais je ne retrouve pasexactement, dans son jeu d’acteur, l’image que je me suis faite du commissaire Ă  travers les romans. " HervĂ© Gautier - Septembre 2021" Clair de femme - Romain Gary - Gallimard. C’est l’histoire d’une rencontre. Lui, Michel, commandant de bord, un peu paumĂ© parce qu’il vient de perdre sa femme, Yannick, d’un cancer, laquelle a choisi de se donner la mort, pour partir en beautĂ© Ă  tous les sens du terme, c’est Ă  dire avant que les ravages de la vieillesse et de la maladie ne soient visibles sur son corps ne pas vieillir Ă©tait une prĂ©occupation de Gary. Il veut partir pour Caracas. Elle, Lydia qui vient de perdre sa fille dans un accident de voiture que conduisait son mari. Il n’est plus qu’un survivant dans un service de psychiatrie. C’est un peu le hasard qui les met en prĂ©sence l’un de l’autre, au sortir d’un taxi, Michel bouscule sans le vouloir Lydia. Ils ont Ă  peu prĂšs le mĂȘme Ăąge, la mĂȘme peine, la mĂȘme dĂ©sespĂ©rance , une mĂȘme envie de mourir, mais aussi de vivre ensemble une sorte d’expĂ©rience qui serait d’une nature particuliĂšre car basĂ©e sur cette volontĂ© d’unir deux vies dĂ©truites qui individuellement demandent du secours. Ils feront un petit bout de chemin ensemble mais sans oublier leurs souvenirs propres, sans pouvoir jamais dĂ©poser le fardeau que le destin a mis sur leurs Ă©paules , sans omettre qu’ils sont fragiles, qu’il sont mortels. Il y a aussi le personnage du Señor Galba qui est loin, Ă  mon avis, d’ĂȘtre secondaire, cet artiste de Music-Hall, vieux dresseur de chiens et de singes,fataliste, dĂ©sabusĂ©, dĂ©sespĂ©rĂ© qui symbolise lui aussi, mais Ă  sa maniĂšre, le cĂŽtĂ© transitoire, dĂ©risoire et pathĂ©tique de la vie qu’il combat par un alcoolisme militant. Comme en scĂšne, il aura le dernier mot. En rĂ©alitĂ© c’est une longue rĂ©flexion sur le couple, les espoirs qu’on met en lui au dĂ©but et aussi les illusions de durĂ©e, de sincĂ©ritĂ©, de fidĂ©litĂ©, toutes choses qui ne peuvent exister qu’idĂ©alement puisque nous ne sommes que des hommes, mortels et imparfaits, seulement usufruitiers de notre propre vie. Nous faisons semblant de croire que cette rĂ©union d’un homme et d’une femme incarne le bonheur, que cette fusion est une nouvelle naissance, une rupture avec le passĂ©, mais c’est oublier que le malheur est une constante de la condition humaine Ă  laquelle nous sommes tous assujettis, que l’amour est une chose consomptible mais peut aussi ĂȘtre dĂ©vorante, que la vie est une comĂ©die oĂč chacun s’efforce de jouer un rĂŽle acceptable jusques et y compris en se mentant Ă  lui-mĂȘme et aussi en mentant aux autres. Michel et Lydia viennent avec leur propre histoire, leurs obsessions, leurs espoirs déçus par cette vie qui n’a pas tenu ses promesses, cest Ă  dire des illusions dont, enfants, ils l’ont, comme nous tous, unilatĂ©ralement chargĂ©e, sans qu’elle soit le moins du monde responsable de leurs fantasmes. C’est Ă  l’aune de ces rĂ©sultats que nous dĂ©cidons si elle a ou non Ă©tĂ© rĂ©ussie. Michel ne cesse de penser Ă  Yannick et la fait revivre, selon le propre vƓux de celle-ci, dans la personne de Lydia qui sera son Clair de femme », comme un clair de lune Ă©claire le noir de la nuit. La quarantaine qui est un de leur point commun leur permet d’envisager un avenir dans un nouvel amour, mais ses cheveux dĂ©jĂ  blancs malgrĂ© la quarantaine et ses rides sont un rappel de la rĂ©alitĂ©. Chacun d’eux Ă  ses fantĂŽmes qui seront ses compagnons intimes et le resteront jusqu’à la fin et peut-ĂȘtre feront-ils ce choix d’un saut dans l’inconnu, ou peut-ĂȘtre pas ? Pour eux chaque jours sera un combat entre Éros et Thanatos, une de ces luttes oĂč chacun apportera sa part d’amour pour l’autre en connaissant le fragilitĂ© de cette communion. Lydia est trĂšs consciente de l’état d’esprit de Michel et lui propose un temps de rĂ©flexion avant de choisir, une sorte de pĂ©riode sabbatique, soit parce qu’elle craint de ne pas ĂȘtre Ă  la hauteur de ses attentes, soit parce que la solitude est aussi une rĂ©ponse pour chacun parce qu’elle invite Ă  la mĂ©ditation, soit parce que Michel devra compter sur le temps, beaucoup de temps, pour s’arracher Ă  son passĂ©. C’est un truisme que de dire qu’il y a toujours un peu de l’écrivain dans ce qu’il Ă©crit, quoiqu’il en dise lui-mĂȘme et ce mĂȘme s’il inscrit sa crĂ©ation dans la plus proclamĂ©e des fictions. Ici, il y a beaucoup de connotations avec la vie mĂȘme de Romain Gary, cette permanence de l’amour pour une femme qui perdure malgrĂ© toutes celles qui peuvent suivre dans sa propre vie, son impuissance face Ă  ladversitĂ©, symbolisĂ©e ici par la maladie, son attitude face Ă  la mort Il se suicide comme, avant lui, Jean Seberg qui fut son Ă©pouse, son parti-pris d’écrire pour exorciser ses obsessions et peut-ĂȘtre aussi le sentiment d’échec face Ă  cette relative impossibilitĂ©... Romain Gary n’a Ă©videmment rien d’un ĂȘtre du commun, tout chez lui est exceptionnel, sa jeunesse, son parcours, sa culture, ses engagements, sa crĂ©ativitĂ©, son style, son phrasĂ© simple, accessible, poĂ©tique, mais nĂ©anmoins plein de sens et de sensibilitĂ©, d’analyses des sentiments et des choses de la vie qui sont pour nous tous pleines d’espoirs et de contradictions. Il n’a jamais cachĂ© l’intĂ©rĂȘt qu’il portait Ă  la femme » non pas aux femmes, cet ĂȘtre un peu mystĂ©rieux et idĂ©alisĂ© par ses soins et par nous aussi sans doute, compagne complice et nĂ©anmoins secrĂšte, proche et Ă©trangĂšre Ă  la fois qui forme avec l’homme choisi quelque chose de durable et d’éphĂ©mĂšre, qui porte en lui des espoirs d’immortalitĂ© et des craintes d’échecs. Il y a du romantisme chez lui mais ce que je retiens, Ă  titre personnel, c’est Ă  la fois la solitude de l’homme et la difficultĂ© pour l’écrivain de mettre des mots sur ses maux. Je ne suis pas un spĂ©cialiste de l’Ɠuvre de Gary, mais il me semble me souvenir que dans la lettre qu’il laissa lors de son suicide figurent ces mots Je me suis enfin exprimĂ© entiĂšrement ». HervĂ© Gautier - AoĂ»t 2021 Le desert des Tartares - Dino Buzzati - Robert Laffont. Traduit de l'italien par Michel Arnaud. Giovanni Drogo est content, il vient d'ĂȘtre promu officier au sortir de l'Ă©cole militaire
 Depuis le temps qu'il attendait cela ! C'est pour lui le commencement de la vrai vie, celle d'un soldat, d'un combattant qui va se couvrir de gloire... OubliĂ©s des chambrĂ©es glaciales, les rĂ©veils en plein hiver, les corvĂ©es...Il est maintenant lieutenant et a reçu sa premiĂšre affection pour le Fort Bastiani qu'il rejoint aprĂšs une longue chevauchĂ©e. Il a le temps d'imaginer les lieux oĂč il doit rester plusieurs mois mais quand il est enfin arrivĂ©, il constate que l'Ă©difice est plutĂŽt modeste, vieux et surtout situĂ© sur une frontiĂšre dĂ©sertique, dĂ©fend un col oĂč il ne passe jamais personne, bref dans une contrĂ©e dĂ©solĂ©e, au milieu de nulle part, inquiĂ©tante mĂȘme. Pourtant l'ennemi est toujours prĂ©sent et menace, c'est Ă  tout le moins ce qui se dit. D'emblĂ©e le paysage exerce sur Drogo une vĂ©ritable fascination et, alors qu'il avait eu le projet de ne rester que quatre mois et d'en partir sous un faux prĂ©texte mĂ©dical, il choisit d'y rester. Au bout de deux annĂ©es, il se passe enfin quelque chose, mais rien en tout cas de ce que peut espĂ©rer un soldat valeureux qui dĂ©sire se battre. Il doit se contenter de rĂȘver Ă  des actions hĂ©roĂŻques improbables. Il y eut bien quelques occasions oĂč le destin aurait pu ĂȘtre favorable Ă  ses espoirs de gloire, mais finalement ce ne furent que de fausses alertes et il retomba dans sa lĂ©thargie coutumiĂšre. Au bout de quatre annĂ©es de prĂ©sence au fort, Drogo obtient enfin une permission, part pour la ville mais s'y sent maintenant Ă©tranger comme il l'est Ă  sa mĂšre et Ă  Maria, son amour de jeunesse. La garnison du fort est rĂ©duite mais il reste Ă  son poste et au bout de quinze annĂ©es, alors qu'il a Ă©tĂ© promu capitaine, il croit pouvoir enfin se battre puisque l'ennemi se manifeste, mais en vain. Au bout de vingt ans de service au fort, il est commandant et alors qu'il pourrait ĂȘtre relevĂ© il ruse avec les certificats mĂ©dicaux pour demeurer ici alors qu'il est minĂ© par la maladie. Ce n'est qu'au bout de trente ans de prĂ©sence que l'ennemi se dĂ©cide enfin Ă  attaquer mais Drogo, Ă©puisĂ© et malade doit ĂȘtre rapatriĂ© et ne combattra pas sinon contre sa propre mort. Drogo ne fait pas autre chose qu'attendre une attaque ennemie devenue mythique tant elle tarde. Pire peut-ĂȘtre, il est frustrĂ© de ses espoirs de combats et de gloire par la maladie et assiste impuissant Ă  la montĂ©e en ligne de jeunes officiers ambitieux qui auront l'opportunitĂ© de combattre et de se distinguer. Le plus Ă©tonnant sans doute c'est que, malgrĂ© l'inconfort et l'austĂ©ritĂ© de la vie militaire, la routine parfois absurde du rĂšglement et la duretĂ© du quotidien dans cette contrĂ©e dĂ©pouillĂ©e, Drogo choisit de son plein grĂ© d'y demeurer, animĂ© du seul espoirde se battre qui occupe constamment son esprit et ce malgrĂ© la peur de cet ennemi invisible. Est-ce le dĂ©cor ou l'ambiance gĂ©nĂ©rale du lieu mais chacun, dans cet univers Ă©trange qui suscite une sorte d’hystĂ©rie collective, semble vivre dans une sorte d'expectative. J'y vois Ă  titre personnel une manifestation du destin contraire qui, sous les formes les plus diverses et quoique nous fassions pour rĂ©aliser nos rĂȘves, se trouvera constamment en travers de votre route au point qu'au bout du compte, et malgrĂ© toute votre bonne volontĂ©, nous finirons nous-mĂȘmes par culpabiliser et par nous dire que nous n'avons pas fait tout ce qu'il fallait. Ces choix que nous faisons, en croyant de parfaite bonne foi qu'ils sont bons pour nous, pour notre vie et notre avenir, se transforment en dĂ©sastre. Pour nous rassurer, nous finissons par nous dire que soit nous n'y sommes pour rien soit ils Ă©taient finalement une erreur que bien entendu nous ne referions pas, que les Ă©vĂ©nements nous ont Ă©tĂ© contraires... ComplĂ©mentairement au thĂšme de l'Ă©chec, c'est aussi celui de l’incertitude face au quotidien, celui aussi de l'espoir déçu. Tout cela distille une atmosphĂšre de dĂ©rĂ©liction qui gagne chacun face Ă  la ville » qui, exerce, avec les femmes et les plaisirs, une sorte de fascination mais Drogo choisit pourtant de la fuir, Ă©tranger qu'il est dĂ©sormais Ă  sa vie d' sa mĂšre etson amour de jeunesse ne lui suffisent plus, seuls le dĂ©sert et ses espoirs fous d’hĂ©roĂŻsme le maintiennent en vie. La fuite du temps est aussi un sujet qui est particuliĂšrement marquĂ© dans ce texte par l'attente interminable de Drogo qui finit par se demander ce qu'il attend rĂ©ellement. Il finira pas admettre que c'est sa propre mort et, face Ă  cela, il prendra conscience de sa dĂ©chĂ©ance physique, de l'inutilitĂ© de sa propre vie. Cette Ɠuvre, inspirĂ©e Ă  l'auteur par son travail routinier de journaliste au Corriere della serra », parue en 1940, est Ă©crite dans un style somptueux. Elle est Ă©maillĂ©e de passages poĂ©tiques et a une dimension philosophique Ă©tonnamment humaine au point qu'elle a inspirĂ© films et chansons et a rendu Dino Buzzati cĂ©lĂšbre dans le monde entier. En effet, dĂšs lors que nous venons au monde, la seule certitude est que nous le quitterons. Entre ces deux dates, destin, libertĂ©, volontĂ© individuelle, hasard, malchance, fatalitĂ©, divinitĂ©... , en fonction de nos croyances, orienteront notre quotidien et dessineront les contours de notre vie. Bien souvent, la constatation est nĂ©gative et nous nous disons que cela n'a pas fonctionnĂ© comme nous aurions voulu, que, pour parler avec Aragon Rien n'est jamais acquis Ă  l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son cƓur ». A l'heure du bilan, il nous appartiendra, et Ă  nous seul, d'apprĂ©cier notre parcours et nous pourrons toujours nous dire que les Ă©vĂ©nements n'ont pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur de nos ambitions, que nous n'avons pas Ă©tĂ© lĂ  au bon moment, que nos choix, pourtant faits de bonne foi, se sont rĂ©vĂ©lĂ©s contraires...C'est finalement l'image de l'absurde de la vie et de la guerre, de la vanitĂ© de l'existence, des espĂ©rances et des entreprises humaines qui est ici illustrĂ©e. Au terme de ce passionnant roman Drogo sourit, ce qui est pour le moins Ă©nigmatique. AprĂšs avoir pris conscience que son parcours sur terre Ă©tait un fiasco, qu'il l'avait menĂ© en attendant un Ă©vĂ©nement qui n'Ă©tait pas arrivĂ©, peut-ĂȘtre a-t-il conclu qu'il valait mieux traiter par le mĂ©pris cette comĂ©die qu'est la vie. A-t-il regardĂ© cette mort qu'en militaire il voulait hĂ©roĂŻque et qui ne l'a pas Ă©tĂ©, comme une dĂ©livrance ? A-t-il choisi, avant de basculer dans le nĂ©ant, de saluer ainsi ce qui n'est pas autre chose qu'une libĂ©ration ? J'avoue que j'inclinerais plutĂŽt pour cette derniĂšre solution. HervĂ© GAUTIER – Juillet 2021 Le banquet annuel de la confrerie des fossoyeurs Mathias En Pour rĂ©diger sa thĂšse d’ethnologie sur la ruralitĂ©, David Mazon, Ă©tudiant quelque peu dĂ©sargentĂ©, quitte Paris et sa petite amie pour un village des Deux-SĂšvres rebaptisĂ© plaisamment La pierre St Christophe », Ă  quelque distance du Marais, autant dire au milieu de nulle part, qui plus est en plein hiveril donne d’ailleurs une carte et les coordonnĂ©es GPS pour insister sur ce lieu inconnu, un peu comme le dĂ©partement sur le cadastre national!. Il part donc Ă  la rencontre des habitants pour les questionner en vue de son travail universitaire et son premier contact se passe au cafĂ© du village oĂč il croise Martial, le maire, qui est aussi le fossoyeur du cimetiĂšre, entendez par lĂ  entrepreneur de pompes funĂšbres, quand mĂȘme !L’édile, ravi que ses administrĂ©s soient ainsi l’objet d’un tel intĂ©rĂȘt, va surtout lui raconter la chronique locale, les inĂ©vitables secrets de famille pourtant connus de tous, les ragots qui vont avec et qui n’ont pas grand chose Ă  voir avec son travail de thĂ©sard, lui faire rencontrer des personnages truculents, Max un artiste aux aspirations bizarres, Arnaud, l’idiot Ă  la mĂ©moire dĂ©sordonnĂ©e mais encyclopĂ©dique... Pour cela il faut remonter dans le temps et Martial ne s’en prive pas mais David ne se doute pas Ă  quel point cette immersion va bouleverser sa vie. Ainsi va-t-il apprendre la triste histoire de la parentĂšle de Lucie Ă©maillĂ©e de pendaison, d’adultĂšre, de rĂ©vĂ©lation de filiation pas vraiment lĂ©gitime, de naissance avortĂ©e et de la honte qui va avec et surtout la mĂ©saventure de l’instituteur-poĂšte du village, Marcel Gendreau, qui, Ă  l’instar d’un de ses collĂšgues devenu cĂ©lĂšbre, voulut se lancer en littĂ©rature avec un roman qui s’en inspira mais dont la notoriĂ©tĂ© locale fut due davantage au scandale qui suivit sa publication qu’au talent de son auteur. Je souhaite au roman de Mathias Enard qui lui rend en quelque sorte hommage, plus de succĂšs que cette Ă©phĂ©mĂšre mais pourtant fort bien Ă©crite tentative littĂ©raire de cet enseignant et qui fut Ă©galement un intĂ©ressant document ethnographique rural sur les annĂ©es 1950. Une thĂšse c’est du sĂ©rieux et pour la mener Ă  bien il faut savoir payer de sa personne ainsi, puisqu’il a commencĂ© par le bistrot, passe-t-il de l’orangina au kir puis Ă  la pratique rĂ©guliĂšre de l’apĂ©ro. Mais cette frĂ©quentation de l’estaminet va aussi nourrir sa rĂ©flexion sur la vie du bourg, de ses habitants, ses us et coutumes bienveillants et ce n’est pas le seule transformation que cette immersion dans la France profonde va lui rĂ©server. Ainsi prendra-t-il rapidement conscience de la qualitĂ© de vie Ă  la campagne, de l’importance de l’écologie, du chant des oiseaux, de l’animation du marchĂ© de ce village qui perd peu Ă  peu perd son Ăąme, ses commerces et ses services publics, s’anglicise, connaĂźt des problĂšmes liĂ©s Ă  la survie des petits agriculteurs, Ă  l’incohĂ©rence des dĂ©cisions politiques 
 Tout cela n’empĂȘche pas la terre de tourner, les verres de se vider autour d’une belote au cafĂ© et les pĂȘcheurs de pratiquer leur art parce que le temps continue de s’écouler avec la mort qui rĂŽde et frappe les pauvres humains qui ne sont, lĂ  comme ailleurs, que les usufruitiers d’une vie qui peut leur ĂȘtre enlevĂ©e Ă  tout moment. Pourtant ici, et c’est lĂ  que ça devient intĂ©ressant, la Roue du temps » s’empare des Ăąmes au moment fatal pour les insuffler dans d’autres corps, humains ou animaux, dans le passĂ© ou dans l’avenir et leur prĂȘter un destin original et diffĂ©rent du prĂ©cĂ©dent, un vĂ©ritable dĂ©fi au temps, Ă  nos croyances religieuses occidentales et Ă  la logique des choses, parce que ce pays est magique, exceptionnel de part sa gĂ©ographie au sein du Seuil du Poitou, une zone de passage oĂč s’accroche l’histoire mais aussi s’enracinent les lĂ©gendes qui ont toujours un fond de vĂ©ritĂ©. Ici, c’est le domaine de la FĂ©e MĂ©lusine, de Gargantua, de François Villon qui termina ses jours Ă  Saint-Maixent, du Marais tout proche, Ă  la fois apaisant et inquiĂ©tant, entre la terre et l’eau, Niort, la ville des dragons, celle des chats aussi, animaux Ă©nigmatique qui pour nous sont de compagnie »mais que les Égyptiens honoraient comme des dieux, qui vivent surtout la nuit quand les hommes dorment, c’est Ă  dire prennent un acompte sur leur dernier sommeil, celui aussi de ces bizarres rĂ©incarnations et ces incursions des Ăąmes dans des vies hĂ©tĂ©roclites, histoire peut-ĂȘtre de nourrir le concept d’éternitĂ©. Mais voilĂ , l’extraordinaire ne s’arrĂȘte pas lĂ , la mort, certes, fait vivre les fossoyeurs qui tiennent cette annĂ©e-lĂ  leur congrĂšs national annuel en l’abbaye de Maillezais sous la responsabilitĂ© de Martial. Cela dure deux jours pendant lesquels, au terme d’un accord tacite et irrĂ©vocable, la Camarde accepte de ne pas prĂ©lever son tribut sur les vivants et, puisque, plus que les autres, cette corporation sait que la mort est la fin de la vie, elle a, depuis longtemps, rĂ©solu d’en cĂ©lĂ©brer les plaisirs avec ripailles et libations que François Rabelais, qui fut aussi prieur de ce saint lieu, n’eĂ»t pas reniĂ©es. Ce n’est pas vraiment un rĂ©cit romanesque traditionnel, c’est, au dĂ©but, un journal qui relate son arrivĂ©e, se poursuit par l’évocation des habitants de ce village et une une escapade dans le dĂ©partement voisin, et, Ă  la fin, reprend sa forme initiale avec des variations entre la premiĂšre et la troisiĂšme personne, comme une sorte d’effet miroir. Le banquet proprement dit s’intĂšgre Ă  ce plan » et c’est pour lui l’occasion d’évoquer un festin culinaire et un dĂ©lire verbal qui fleure parfois le corps de garde, qu’il prĂȘte Ă  ces quatre-vingt-dix-neuf fossoyeurs aux noms fleuris. Cela donne un roman oĂč se mĂȘle l’actualitĂ© au merveilleux le plus improbable. C’est aussi un ouvrage engagĂ©, militant mĂȘme, servi par une fort belle Ă©criture, Ă  la fois Ă©rudite, riche et enjouĂ©e, humoristique j’ai mĂȘme ri Ă  certains passages, un peu nostalgique, historique aussi, avec mĂȘme des Ă©vocations gentiment Ă©rotiques mais aussi un savant travail sur une rĂ©gion que l’auteur connaĂźt bien et qu’il apprĂ©cie. Je suis entrĂ© de plain-pied dans ce roman et ça a Ă©tĂ© un plaisir de le lire, non pas tant parce que, originaire de Niort, il a cĂ©lĂ©brĂ© cette rĂ©gion et cette ville tant dĂ©criĂ©e par Houllebecq qui n’y a sans doute jamais mis les pieds pour profĂ©rer un pareil non-sens mais lui a fait, sans le vouloir, une extraordinaire publicitĂ©il suffit pour cela de gommer un peu le temps et de suivre la dĂ©licieuse Rachel dans les rues de cette citĂ©, mais notamment aussi parce que les phrases y sont plus courtes. Dans cette chronique j’ai naguĂšre regrettĂ© l’absence, pour certains romans, de ponctuation et des phrases dĂ©mesurĂ©es, ce qui ne facilite pas la lecture. Ici, en contradiction avec ses ouvrages prĂ©cĂ©dents, on sent qu’il se lĂąche, laisse libre court Ă  son imagination dĂ©bordante et Ă  sa verve, sans qu’on sache trĂšs bien oĂč s’arrĂȘte la rĂ©alitĂ© et oĂč commence la fiction, et c’est plutĂŽt bien ainsi. Tout cela est bel et bon, mais la thĂšse de doctorat de David dans tout ça ? L’épilogue est plus classique que ce qu’on vient de lire et ressemble davantage Ă  un happy end » . A titre personnel, et je suis sans doute de parti-pris, mais j’ai toujours pensĂ© que, loin du concept de rĂ©ussite et de notoriĂ©tĂ©, cette rĂ©gion exerce, par la force de son tropisme, une attirance particuliĂšre sur les vivants qui un jour, par hasard, y sont passĂ©s. La ville de Niort a donnĂ©, entre autre, asile Ă  deux prix Goncourt, Ernest Perrochon en 1920 et Mathias Enard en 2015. De nombreux autres auteurs ont honorĂ© au cours du temps, les Lettres françaises ce qui fait des Deux-SĂšvres une terre de culture, d’écrivains, de poĂštes, mais aussi de peintres, de bĂątisseurs, de musiciens, de cinĂ©astes... "HervĂ© Gautier - avril 2021" L'Anomalie Herve Le Tellier Gallimard Prix Goncourt 2020 Franchement je ne m’attendais pas Ă  cela quand j’ai ouvert ce roman dont on peut ainsi rĂ©sumer l’intrigue Un avion d’Air France assurant la liaison Paris-New York se pose en juin 2021 sur le territoire amĂ©ricain avec ses 200 passagers. L’ennui, c’est que ce mĂȘme avion, avec ses mĂȘmes passagers s’est dĂ©jĂ  posĂ© en mars de la mĂȘme annĂ©e, soit une centaine de jours avant Ă  New York. Devant ce mystĂšre, les États-Unis ont pris la dĂ©cision de retenir l’appareil sur une base militaire en attendant une explication de ce phĂ©nomĂšne. C’est dĂ©jĂ  assez Ă©trange mais ce n’est que le dĂ©but. Entre un voyage dans l’espace-temps, un film d’anticipation si on veut le voir ainsi et une rencontre du troisiĂšme type » le lecteur se voit imposer des explications scientifiques incomprĂ©hensibles et c’est tout Ă  la foisun roman psychologique aux multiples et Ă©tranges personnages face Ă  eux-mĂȘmes, qui sont dupliquĂ©s » et qui se demandent s’ils sont le double ou l’original d’eux-mĂȘmes, une Ɠuvre de science-fiction ou un thriller. En fait c’est une sorte de mosaĂŻque de genres avec tout ce que cela pose comme problĂšmes religieux, politiques sociologiques, humains...Et pour compliquer encore davantage les choses, ce roman s’inscrit dans un contexte bien actuel avec des noms et toute ressemblance avec des personnes
 » ne ne saurait ĂȘtre une coĂŻncidence. Entre ces personnages, leur double », leurs prĂ©occupations, leurs amours, leurs espoirs, c’est un jeu de miroirs, un concept de gĂ©mellitĂ© oĂč ils se retrouvent brusquement avec un frĂšre ou une sƓur qu’ils ne connaissaient pas mais qui leur ressemblent tellement qu’ils sont eux-mĂȘmes, des enfants qui se retrouvent avec deux mĂšres ou deux pĂšres, des maris avec deux Ă©pouses, des situations entre extraordinaire et invraisemblable oĂč l’ordre des choses est bousculĂ©, sous le regard et le contrĂŽle des psy et des policiers. Le passĂ© ressurgit, oĂč le mensonge qui est le propre de l’espĂšce humaine n’a plus cours, des vies multipliĂ©es, partagĂ©es et aussi un peu volĂ©es. Avec le dĂ©calage dans le temps, lescirconstancesont courtelinesques mais aussi parfois paradoxales et dramatiques. Les gens voient leur double dans le passĂ©, connaissent leur avenir immĂ©diat mais ne peuvent peser sur le cours des choses, des secrets se dĂ©voilent, des certitudes tombent, la mort marque une pause ou un rĂ©pit, mais pas la souffrance qui avec son cortĂšge de rage, d’horreur et d’impuissance prend ses marques et ouvre le chemin Ă  la Camarde qui dĂšs lors prĂ©lĂšvera un double tribu sur la vie
Une maniĂšre sans doute de nous rappeler que nous avons une face cachĂ©e, une vie secrĂšte, des espoirs impossibles, un misĂ©rable petit tas de secrets comme le disait Malraux... Au fur et Ă  mesure de cette histoire extraordinaire, les personnages qui nous ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s au dĂ©but sous forme d’une Ă©numĂ©ration Ă  la PrĂ©vert, sans qu’on sache trĂšs bien ce qui allait leur arriver et surtout pourquoi certains avaient soudain affaire Ă  la police, jouent leur rĂŽle ou plus exactement voient leur vie bouleversĂ©e sans qu’ils y puissent rien. Ils sont comme des marionnettes dans ce grand théùtre d’ombres qu’est la vie, mais ne le sommes-nous pas tous nous-mĂȘmes au fil de notre quotidien? Grace aux rĂ©seaux sociaux la chose prend soudain une ampleur mondiale, les fanatiques religieux se mettent de la partie avec l’incontournable chĂątiment divin, les philosophes en rajoutent sur le thĂšme de l’existence, du virtuel, de la simulation, de la duplication, on reparle du rĂ©chauffement de la planĂšte et de la libertĂ© de pensĂ©e, d’informer dans un monde devenu fou oĂč l’instinct grĂ©gaire anesthĂ©siant est dominantet oĂč les humoristes tentent de calmer le jeu parce qu’il faut rire de tout et que c’est notre seul arme. Cela amĂšne l’auteur Ă  se poser une question fondamentale sur nous-mĂȘmes, sur notre existence au sens philosophique du terme, le monde qui nous entoure est-il rĂ©el et nous-mĂȘmes ne sommes nous pas autre chose qu’une simulation, qu’un banal programme informatique, un peu comme s’il n’y avait pas que les personnages de romans qui sont virtuels. Il y a quand mĂȘme un cas original dans cette somme d’originalitĂ©s, celui de Victor Miesel, Ă©crivain ayant Ă©crit un roman intitulĂ© l’anomalie ». Je me suis dit que ça me rappelait quelque chose et au dĂ©but j’ai hĂ©sitĂ© entre un clin d’oeil, une somme de remarques sur la notoriĂ©tĂ© qui tarde Ă  venir et une mise en abyme. Le premier Victor a pris l’avion de mars puis s’est donnĂ© la mort ensuite, ce qui permet selon le processus la duplication Ă  un second Victor mais qui maintenant est seul, de recueillir la notoriĂ©tĂ© grĂące Ă  son livre. J’ai lu avidement cette histoire bien Ă©crite, Ă©rudite et passionnante malgrĂ© son cĂŽtĂ© Ă©chevelĂ© mais qui, par bien des cĂŽtĂ©s m’a rappelĂ© le monde dans lequel nous vivons actuellement. J’ai tentĂ© de ne pas perdre de vue que nous sommes nous-mĂȘmesĂ  la fois dans l’irrationnel, l’anxiĂ©tĂ©, l’absence de boussole et d’espĂ©rance, que nous sommes des ĂȘtres souffrants et surtout mortels dans un monde oĂč on marche sur la tĂȘte en permanence, mais en me rĂ©pĂ©tant que nous avons tous, dit-on, notre sosie et que nous serions peut-ĂȘtre bien surpris d’en faire la connaissance si d’aventure nous le croisions. Je ne suis pas spĂ©cialiste de l’Oulipo Ouvroir de littĂ©rature potentielle auquel notre auteur est un adhĂ©rent passionnĂ©, mais ce roman me paraĂźt s’inscrire dans une tentative de littĂ©rature inventive. Que la vie reprenne son cours normal Ă  la fin comme une parenthĂšse qui se referme, comme si rien ne s’était passĂ©, que les mots eux-mĂȘmes s’évanouissent dans une sorte de calligramme ou dans un tourbillon qui les avale comme un rĂȘve qui se dissipe au matin, me paraĂźt conclure cette histoire un peu folle mais qui nous interroge. Puis j’ai refermĂ© le livre qui restera sans doute dans ma mĂ©moire grĂące Ă  sasingularitĂ©. Diaghilev disait Ă  Jean Cocteau Etonne-moi, Jean ». Je ne suis qu’un simple lecteur, habituĂ© aux romans traditionnels, mais devant cette expĂ©rience originale en matiĂšre d’écriture, j’ai vraiment Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©. HervĂ© GAUTIER - Mars 2021 Glace - Bernard Minier - Pocket Dans les PyrĂ©nĂ©es, en plein hiver, en haut d’une remontĂ©e mĂ©canique, on a retrouvĂ© un corps. C’est dĂ©jĂ  Ă©tonnant, mais le plus Ă©trange c’est que ce cadavre est celui... d’un cheval dĂ©capitĂ©, dans une mise en scĂšne macabre, dĂ©tail suffisant pour que le commandant Servaz, par ailleurs en charge d’un autre affaire de meurtre sur la personne d’un SDF, soit dĂ©signĂ© pour cette enquĂȘte, de concert avec la capitaine de gendarmerie IrĂšne Ziegler. Le cheval, un pur sang, appartient Ă  Eric Lombard, notable voisin et capitaine d’industrie et il ne fait pas de doute que ce fait est liĂ© Ă  cette personne. Il ne fait pas de doute non plus que cet homme, de part sa fortune et sa position, a des appuis en haut lieu ce qui compliquera les choses pour les enquĂȘteurs. Il y a un centre pĂ©nitentiaire psychiatrique, l’institut Warnier, Ă  proximitĂ© de la scĂšne de crime » oĂč vient d’arriver Diane Berg, une jeune psychologue suisse. Les investigations rĂ©vĂšlent la prĂ©sence in situ de Julian Hirtman, ex-procureur et tueur redoutable, pensionnaire de l’institut, mais cette information pose plus de questions qu’elle n’apporte de rĂ©ponses aux enquĂȘteurs et ce d’autant que d’autres meurtres tout aussi mystĂ©rieux ont lieu dans la rĂ©gion avec toujours ses traces ADN. Cette suspicion remettrait en cause l’existence mĂȘme de cet institut unique en son genre et craint par les habitants de cette vallĂ©e parce qu’elle rĂ©veille une histoire macabre vieille de quinze ans. Il y a des cadavres dans les placards, des archives patiemment constituĂ©es et ressuscitĂ©es par un juge Ă  la retraite, de vieille histoires qui mettent en lumiĂšre toute la turpitude dont est capable l’espĂšce humaine, un parfum nausĂ©abond de rĂšglement de comptes anciens, les apparences qui sont parfois trompeuses et qui polluent le jugement le plus sensĂ©, des fausses pistes et des vrais indices, une dimension rituelle dans les modus operandi, un rappel de l’adage que la vengeance est un plat qui se mange froid, et au cas particulier plutĂŽt faisandĂ©, qu’il ne faut faire confiance Ă  personne, que l’hypocrisie fait toujours partie du quotidien
 L’institut Warnier oĂč travaille Diane Berg, la nouvelle psychologue, est suffisamment mystĂ©rieux pour que cette derniĂšre s’intĂ©resse Ă  ce qui s’y passe, notamment en matiĂšre de traitements mĂ©dicamenteux. Elle mĂšne son enquĂȘte personnelle qui, sans qu’elle s’en doute, rejoindra les investigations policiĂšres et les Ă©claireront. J’ai aimĂ© la personnalitĂ© et les remarques teintĂ©es d’humour de Servaz, policier de terrain et consciencieux, notamment Ă  propos de la hiĂ©rarchie policiĂšre calfeutrĂ©e dans les bureaux, bien plus occupĂ©e par son avancement et par l’entretien de son incompĂ©tence que par sa mission de service public. Ces commentaires pertinents sont de portĂ©e gĂ©nĂ©rale! C’est un flic solitaire, cultivĂ©, sensible Ă  la beautĂ© des femmes, bien loin de cette catĂ©gorie de fonctionnaires flagorneurs et arrivistes. J’ai apprĂ©ciĂ© que ce texte bien Ă©crit, Ă©maillĂ© de belles descriptions de cet Ă©crin de montagnes en hiver, bien construit, Ă©rudit, bien documentĂ© et lu avec gourmandise, soit associĂ© Ă  la musique de Gustav Malher . L’auteur y rĂšgle quelques comptes notamment au sujet de la psychiatrie et tient en haleine son lecteur jusqu’à la fin avec force rebondissements oĂč les diffĂ©rents personnages Ă  la personnalitĂ© parfois compliquĂ©e sont entraĂźnĂ©s dans une sorte de maelstrom meurtrier. La littĂ©rature policiĂšre est un terrain propice Ă  l’exploration des mĂ©andres dĂ©lĂ©tĂšres de l’ñme humaine et ce roman les analyse avec pertinence et talent. PubliĂ© en 2011 ce roman passionnant est le premier d’une sĂ©rie Ă©crite par Bernard Minier. Il a fait l’objet d’une adaptation tĂ©lĂ©visĂ©e et a Ă©tĂ© couronnĂ© par de nombreux prix. Moi, simple lecteur, je n’ai aucun mĂ©rite Ă  me joindre Ă  la cohorte de louanges qui a accompagnĂ© la publication de ce thriller et je pense que je vais m’intĂ©resser Ă  l’ Ɠuvre de cet auteur. HervĂ© GAUTIER - FĂ©vrier 2021 L'enfer du commissaire Ricciardi - Maurizio de Giovanni Maurizio de Giovanni - Rivages /noir. Traduit de l’italien par Odile Rousseau. Au cours de l’étouffant Ă©tĂ© napolitain, un cĂ©lĂšbre chirurgien, le professeur Tullio Iovine del Castello, est retrouvĂ© Ă©crasĂ© au sol, dĂ©fenestrĂ© depuis le quatriĂšme Ă©tage de sa clinique mais il apparaĂźt trĂšs vite que, mĂȘme si cette chaleur rend fou, cette chute n’est ni accidentelle ni un suicide. Le commissaire Luigi Ricciardi est chargĂ© de l’enquĂȘte avec son fidĂšle adjoint le brigadier Maione. Leurs investigations ne tardent pas Ă  rĂ©vĂ©ler des zones d’ombre dans la vie du praticien, de vieilles histoires qui remontent Ă  la surface, des rĂšglements de compte, des menaces profĂ©rĂ©es, des vengeances non assouvies, une histoire de bijoux bien obscure... Le commissaire a ce don Ă©trange d’entendre et de voir les derniers moments d’un ĂȘtre qui va mourir. Ces visions sont en rĂ©alitĂ© un terrible inconvĂ©nient qui l’obsĂšde tout au long de ses enquĂȘtes, lui complique les choses au lieu de les lui faciliter et cette affaire ne fait pas exception. Il doit aussi faire avec une hiĂ©rarchie aussi tatillonne qu’arriviste surtout dans un contexte politique difficile de la montĂ©e du fascisme. Cette situation ne contribue pas Ă  lui faciliter la vie et il faut y ajouter les fantĂŽmes avec lesquels il doit vivre, la mort annoncĂ©e de Rosa, sa tante, sa presque mĂšre, la fuite inexpliquĂ©e d’Enrica, sa jolie voisine dont il est secrĂštement amoureux. Il ne le sait pas mais la vie pour elle, malgrĂ© la beautĂ© du bord de mer oĂč elle habite temporairement, est aussi devenue, malgrĂ© les apparences, pleine de questions qui l’obsĂšdent. Ricciardi est un cĂ©libataire solitaire, un scrupuleux policier avant tout, et son environnement fĂ©minin que complĂšte Nelide, une solide jeune fille de la campagne, parente de Rosa et qui s’occupe de son intendance, vient de s’enrichir de la prĂ©sence de Livia, la jeune et flamboyante cantatrice, amie du Duce, veuve d’un tĂ©nor mort dans des circonstances que notre commissaire Ă  dĂ» dĂ©mĂȘler. Elle s’est entichĂ©e de lui et de ses Ă©tranges yeux verts m ais ce n’est pas d’elle dont il rĂȘve. Bizarrement au cours de cette enquĂȘte, c’est plutĂŽt le brigadier que le commissaire qui mĂšne les investigations. Il le fait d’une maniĂšre agressive, en paroles comme en actes, Ă  l’endroit de ceux qu’il soupçonne. Cette attitude est sans doute due Ă  son pessimisme, Ă  son mal-ĂȘtre passager fait de suspicions plus ou moins fondĂ©es sur son entourage et d’interrogations sur lui-mĂȘme et ainsi, pour tenter de calmer la tempĂȘte qui gronde sous son crĂąne et ses Ă©tats d’ñme dĂ©lĂ©tĂšres, il choisit de les exorciser par le travail. Ainsi la touffeur estivale s’apparente Ă  l’enfer, Ă  moins que ce ne soit l’ambiance du fascisme qui sĂ©vit en Italie au cours de ces annĂ©es mais aussi la mort qui rode, souvent Ă©nigmatique, l’enchaĂźnement d’évĂ©nements mystĂ©rieux, les obsessions et les passions qui d’ordinaire entravent la vie de Ricciardi et de ses proches pour qui la vie est aussi une forme de torture, une entrave au bonheur. C’est Ă©galement un roman sur la condition humaine, ses craintes, ses espoirs, ses fantasmes, ses obsessions, ses occasions manquĂ©es... Aux yeux de l’auteur la faim et l’amour sont les deux raisons d’ĂȘtre et de vivre des hommes et les relations humaines sont aussi faites de manipulations, de destructions, d’espoirs déçus, de renoncements, d’hypocrisie et de mort. Il n’est rien de tel qu’un authentique napolitain comme l’auteur pour Ă©voquer l’ñme des habitants de cette ville exubĂ©rante, leur cuisine chaleureuse, l’ambiance oĂč, plus qu’ailleurs, le religieux se mĂȘle au profane, oĂč la vie cĂŽtoie la mort,les codes et ledĂ©cor de cette citĂ©oĂč tout se sait grĂące Ă  un miracle permanent, oĂč le vrai pouvoir, celui du peuple, est maffieux, avec violences et zones de non-droit. C’est un rĂ©el dĂ©paysement pour le lecteur et de Giovanni distille le suspense jusqu’à la fin. Son style est fluide, agrĂ©able Ă  lire, plein de sensibilitĂ© et d’humanitĂ©. HervĂ© Gautier - DĂ©cembre 2020 Tous les hommes n' habitent pas le monde de la meme facon Tous les hommes n’habitent pas le monde de la mĂȘme façon– Jean-Paul Dubois Prix Goncourt 2019 – Éditions de l’Olivier. Une Ă©glise ensablĂ©e au nord du Danemark, un pĂšre, pasteur protestant qui vient s’établir par amour dans le sud de la France, perd la foi, et qui, aprĂšs son divorce, part exercer son dĂ©sormais hypocrite mais talentueux ministĂšre Ă  l’autre bout du monde oĂč il perdra son Ăąme, une mĂšre qui hĂ©rite d’une salle "d' art et d’essai » qu’elle transforme par opportunisme commercial en temple du cinĂ©ma porno, refait sa vie et choisit sa mort, le bouleversement sociale et culturel de 1968 et, au milieu de tout cela, Paul Hansen, fils unique de ce couple Ă©clatĂ© qui tente d’exister comme un homme qui se noie. Comme souvent, ceux qui, comme lui, sont nĂ©s sous une mauvaise Ă©toile, sont les oubliĂ©s de l’amour, les habituĂ©s de la solitude, pensent trouver la solution dans un mĂ©tier de hasard ou le mariage, comme on joue au poker, en se disant qu’on a aussi droit au bonheur, que c’est toujours les mĂȘmes qui s’en sortent, mais un tel destin pourri vous lĂąche rarement en cours de route et le sien, malgrĂ© toute sa bonne volontĂ©, s’acharne sur lui. MĂȘme sa femme, mi-algonquine mi-irlandaise ne peut inverser pour lui le cours funeste des choses et quand on est comme Paul on attire la malveillance des autres qui justifient ainsi leurs actes malsains dans l’illusion qu’ils ont d’une importance artificielle et se croient autorisĂ©s Ă  la faire prĂ©valoir. On suscite ainsi toute la colĂšre du monde, on fait office malgrĂ© soi de bouc Ă©missaire et comme si cela ne suffisait pas c’est la mort qui en rajoute une couche en se chargeant de faire le vide autour de lui. Las, il se retrouve dans une prison quĂ©bĂ©coise pour une agression vengeresse provoquĂ©e par des annĂ©es de frustrations recuites et d’abnĂ©gation silencieuse, une façon de rĂ©agir violemment contre l’adversitĂ© et ceux qui en sont les complices. En compagnie de son codĂ©tenu, un Hell Angels »amoureux des motos, attachant, fragile et mĂȘme protecteur, il Ă©voque comme une sorte d’évasion cathartique son parcours cahoteux, celui de sa famille qui ne l’est pas moins, comme un long chemin de croix. Le titre ressemble Ă  un truisme mais c’est un roman passionnant et Ă©mouvant, bien documentĂ© sur le QuĂ©bec et pas seulement, son histoire tourmentĂ©e, sa gĂ©ographie, ses habitants qui sont nos cousins longtemps oubliĂ©s. J’ai goĂ»tĂ© avec plaisir ce style qui sert si bien notre belle langue française, j’ai apprĂ©ciĂ© cet humour subtil parce qu’il faut bien rire de tout et que c’est souvent la seule façon qu’on a d’accepter la fatalitĂ©. J’ai aimĂ© les descriptions poĂ©tiques, les remarques pertinentes sur l’espĂšce humaine, son incomprĂ©hensible habitude, pour supporter son parcours dans ce monde, de s’en remettre Ă  un dieu pourtant bien absent, son inexplicable foi dans l’avenir surtout quand tout se dĂ©robe, les remarques sur les sociĂ©tĂ©s reconnues pour leur attractivitĂ©, sur les a priori qu’on tisse et qu’on entretient sur ses semblables. J’y ai aussi lu une sorte de dĂ©sespĂ©rance sournoise mais qui, paradoxalement, vous pousse Ă  vous maintenir quand mĂȘme en vie, une impossibilitĂ© dĂ©finitive de rĂ©aliser ses rĂȘves, le poids du destin qui vous Ă©touffe et vous dĂ©truit, quoique vous fassiez, bref une rĂ©flexion sur cette condition d’homme quasi ordinaire, mais aussi sur cette nature humaine, capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire, un exemple Ă  cent lieues de cette rĂ©ussite obligatoire dans cette sociĂ©tĂ© policĂ©e dont on ne rebat un peu trop les oreilles. Le livre refermĂ© on ne peut qu’avoir de l’empathie pour cet homme que le destin et la mesquinerie des hommes accablent. C’est l’image mĂȘme de notre sociĂ©tĂ©. HervĂ© Gautier - novembre 2020 Un bel morir - Alvaro Mutis - Grasset. Traduit de l'espagnol par Eric Beaumartin. Cette fois Maqroll a dĂ©cidĂ© de se domicilier temporaire dans l'improbable port de La Plata avec la projet de remonter le fleuve Ă  la rencontre de ceux qui auparavant avaient partagĂ© avec lui quelques entreprises mirifiques. Pour cela il choisit une chambre bizarrement situĂ©e en surplomb des eaux boueuses assez loin de l'estuaire c'est un peu l'image de sa propre vie, dans une auberge tenue par une femme aveugle. Il rencontre un ingĂ©nieur belge qui doit rĂ©aliser un tronçon ferroviaire au sommet de la cordeliĂšre et l'engage pour convoyer du matĂ©riel. Il ne tarde cependant pas Ă  s'apercevoir que cette histoire de ligne de chemin de fer devait bien cacher quelque chose d'illĂ©gal dans un endroit oĂč les autoritĂ©s avaient depuis longtemps cesser d'ĂȘtre prĂ©sentes. Cela paraĂźt bizarre pour cet homme qui est avant tout un marin qui a bourlinguĂ© sur toutes les mers du globe mais c'est comme cela et de cette aventure improbable il ne sortira pas indemne. Elle met encore une fois en Ă©vidence sa naĂŻvetĂ© ordinaire qui le pousse dans des aventures incroyables face Ă  la cupiditĂ© d'autrui mais qui nourrit largement son expĂ©rience en matiĂšre de connaissance des bassesses dont l'espĂšce humaine est coutumiĂšre. Maqroll El Gaviero le gabier, est un personnage de fiction dont Mutis 1923-2013, Ă  partir de 1985, a dĂ©clinĂ© la vie Ă  travers sept romans au point qu'on peut dire qu'il est l'alter ego de l'auteur. Mais l'est-il en rĂ©alitĂ© ? Il y a quelques annĂ©es, je me suis demandĂ© en quoi Mutis et Maqroll pouvaient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des personnages hĂ©tĂ©ronymes comme ont pu l'ĂȘtre Pessoa et Alvaro de Campos ou Ricardo Reis. C'est toujours un sujet dĂ©licat qui amĂšne Ă  rĂ©flĂ©chir sur le rĂŽle de l'Ă©criture pour l'auteur lui-mĂȘme, une maniĂšre de rendre compte d'une certaine rĂ©alitĂ© ou l'occasion de se crĂ©er, Ă  travers l'imaginaire, un univers idĂ©al qui compense fictivement un quotidien plus morne. Maqroll est un marin en perpĂ©tuelle errance, un homme au passeport constellĂ© de visas pĂ©rimĂ©s, un solitaire, plus que marginal au regard de la loi, mais un ĂȘtre cultivĂ©, Ă©rudit, Ă©picurien, polyglotte, fidĂšle en amitiĂ© cependant, n'hĂ©sitant pas Ă  traverser les ocĂ©ans pour rĂ©pondre Ă  la sollicitation d'un ami Le rendez-vous de Bergen » sans qu'on sache trĂšs bien comment la lettre a pu lui parvenir. Il pratique avec modĂ©ration la frĂ©quentation des tavernes et les passades amoureuses mais que quelques femmes ne parviennent pas Ă  oublier, lui non plus d'ailleurs. Elles ont nom Antonea, Flor EstĂ©vez ou Iliona... Le Gabier semble exercer sur les femmes en gĂ©nĂ©ral une sĂ©duction naturelle et l'oubli, cette facultĂ© Ă©tonnement humaine, ne parvient pas Ă  entamer la trace qu'il laisse dans la mĂ©moire des gens qu'il croise. Ici c'est Amparo Maria qui succombe Ă  son charme et qui rejoint ainsi ses femmes mythiques. Il n'a pas de vĂ©ritable projet d'avenir mais, sans qu'il y puisse rien, il a l'art de se mettre, sur terre comme sur mer, dans des situations inextricables, Ă  participer Ă  des affaires douteuses dont il se sort au dernier moment mais oĂč il laisse toujours le peu d'argent qui lui reste. Le temps a fait sur lui et sur ses facultĂ©s des ravages ordinaires et il se sent vieux mais se rappelle opportunĂ©ment ce que furent ses bonnes annĂ©es, tumultueuses et amoureuses et cela sans doute le maintient en vie, mĂȘme si les regrets l'accompagnent. Ce n'est d’ailleurs pas la premiĂšre fois que l'auteur aborde ce thĂšme Ă  travers son hĂ©ros. Ce n'est pas premiĂšre fois non plus que Maqroll cĂŽtoie la mort. Dans un prĂ©cĂ©dent roman il l'avait dĂ©jĂ  approchĂ©e dans les miasmes d'un marigot mais s'en Ă©tait tirĂ© in extremis. Ici, elle s'invite Ă  nouveau en frappant autour de lui Ă  occasion de cette indĂ©fectible habitude qu'ont les hommes, depuis la nuit des temps, de se battre et de s’entre-tuer. Dans ce roman tout l'art de l'auteur est d'entretenir chez son lecteur un suspens qui pourrait bien se conclure pour Maqroll par un fin tragique. C'est un thĂšme d'autant plus prĂ©gnant dans l’Ɠuvre de Mutis que Maqroll n'a jamais eu d'enfant du moins Ă  sa connaissance et donc n'a pas assurĂ© sa descendance, mais cela a-t-il de l'importance ? Ce roman a Ă©tĂ© publiĂ© en 1989 dans son Ă©dition originale, soit bien avant le dĂ©cĂšs de Mutis. De plus ce n'est pas son dernier roman oĂč apparaĂźt Maqroll. Dans un appendice Ă  ce rĂ©cit, Mutis ne laisse pourtant aucun doute sur la disparition de Maqroll et la citation de PĂ©traque, Un bel morir tutta la vita onora », qui sert d'exergue Ă  ce roman, vient conclure cette vie aventureuse et tourmentĂ©e. C'est en effet une prĂ©rogative d'auteur de disposer purement et simplement de l'existence, mĂȘme fictive, de son personnage. Comme toujours dans les romans de Mutis, j'ai retrouvĂ© ces descriptions poĂ©tiques, ce qui nous rappelle qu'il Ă©tait avant tout un poĂšte, et ici le lecteur circule avec Maqroll dans la douce fragrance des cafĂ©iers autant que dans le danger des sentiers de montagne pleins de brouillard glacĂ©, prĂšs des prĂ©cipices et des torrents
 Comme l'a dit fort justement Bernard Clavel Mutis est un enchanteur ». J'ai apprĂ©ciĂ© aussi ces Ă©vocations subtilement humoristiques, le phrasĂ© dĂ©licat, cette dĂ©licieuse façon d'exprimer les Ă©tats d'Ăąme du Gabier et cette nostalgie qui lui colle Ă  la peau comme son ombre. Ma lecture a Ă©tĂ© passionnĂ©e et Mutis a ce talent de transformer une histoire qui aurait pu ĂȘtre une banale aventure en un rĂ©cit passionnant. Il reste pour moi un gĂ©nial conteur qui entraĂźne son lecteur de la premiĂšre Ă  la derniĂšre page sans que l'ennui ne s'insinue dans sa lecture. Depuis de nombreuses annĂ©es cette chronique s'est fait l'Ă©cho de l’Ɠuvre de Mutis Ă  travers les tribulations de Maqroll mais cette modeste Ă©vocation n'a pas vocation Ă  tout rĂ©sumer. Alvaro Mutis reste cependant pour moi un auteur majeur dont Octavio Paz a pu dire qu'il est un poĂšte dont la mission consiste Ă  convoquer les vieux pouvoirs et faire revivre la liturgie verbale, dire la parole de vie » Maqroll, loin d'ĂȘtre une sorte de mythe, reste malgrĂ© tout un personnage assurĂ©ment humain et attachant. © HervĂ© GAUTIER – Juin 2020. L arrache-coeur - Boris Vian - Editions Jacques Pauvert. C’est le dernier roman de Boris Vian 1920-1959 publiĂ© en 1953. On ne devient pas Ă©crivain par hasard et sa propre biographie, ses obsessions, ses remords, ses fantasmes, nourrissent l’Ɠuvre de celui qui tient la plume, mĂȘme s’il cache tout cela sous une fiction rocambolesque et poĂ©tique et s’il compte sur l’effet cathartique de l’écriture pour s’en libĂ©rer. C’est vrai que cette histoire a quelque chose d’inattendu, avec sa foire aux vieux » oĂč les anciens sont vendus Ă  l’encan, ce Jacquemort au nom peu engageant, sorti on ne sait d’oĂč et qui veut psychiatrer » tout le monde et spĂ©cialement les bonnes, mais Ă  sa maniĂšre seulement, ce vieil homme, La GloĂŻre dont la tĂąche essentielle est de repĂȘcher avec les dents dans la riviĂšre rouge tout ce qui y surnage, ou, pour dire autrement, se charger de la honte du village, et Ă  sa mort, ce sera le psychiatre qui prendra sa place, ces triplĂ©s, les trumeaux" au nom bizarre, pas vraiment frĂšres puisque l’un deux, CitroĂ«n », est diffĂ©rent, isolĂ© par rapport aux jumeaux, NoĂ«l et JoĂ«l, ces relations conjugales surprenantes entre les parents AngĂšle et ClĂ©mentine, ces animaux qui parlent comme dans une fable, ce mĂ©lange volontaire entre sexualitĂ© et amour, la honte, la lĂąchetĂ© que chacun porte avec soi et dont on prend conscience
 A cette Ă©poque Boris est fatiguĂ©, malade, dĂ©sabusĂ©. Il a dĂ©jĂ  dit, dans une sorte de prĂ©monition, qu’il n’atteindrait pas quarante ans et sent l’échĂ©ance se rapprocher. J’ai toujours Ă©tĂ© fascinĂ© par ceux qui ont dit connaĂźtre avec prĂ©cision la date de leur mort, quand la plupart d’entre nous vivons comme si cette Ă©chĂ©ance n’existait pas. Il a donc logiquement vĂ©cu intensĂ©ment une vie parisienne nocturne, grillant la chandelle par les deux bouts, gaspillant dans sa trompette un souffle qui de plus en plus lui manquait. Victime trĂšs jeune d’un rhumatisme articulaire aiguĂ«, il Ă©tait de santĂ© fragile et c’est une crise cardiaque qui l’emportera. Il entraĂźne son lecteur dans un univers parallĂšle oĂč le temps a une autre valeur et les mois des noms inattendus, le rĂ©gale de jeux de mots, de nĂ©ologismes aussi dĂ©licieux qu’improbables, de noms rares, s’amuse Ă  lui faire perdre ses repĂšres traditionnels et ses rĂ©fĂ©rences littĂ©raires notamment dans les descriptions insolites et colorĂ©es, ou l’entraĂźne dans des raisonnements ou la logique se fait illogique, comme si tout ce qui fait notre monde ordinaire et quotidien se dĂ©robait. DĂšs lors le dĂ©cor si particulier de Boris se met en place, la fuite du temps vue Ă  travers le personnage du psychiatre, le rĂŽle un peu marginal du curĂ© ce qui indique peut-ĂȘtre une prĂ©paration Ă  comparaĂźtre devant un Ă©ventuel dieu en se conciliant son reprĂ©sentant, la volontĂ© d’Angel de partir dans le bateauavec des pieds! qu’il fabrique, la riviĂšre rouge, couleur du sang et symbole de vie, l’arrogance dont fait preuve au fur et Ă  mesure du rĂ©cit le personnage de Jacquemort qui oscille entre besogner les bonnes et psychanalyser le maximum de gens et qui s’installe et s’incruste, une maniĂšre peut-ĂȘtre de dire adieu Ă  cette vie, ClĂ©mentine qui ressemble de plus en plus Ă  un mĂšre hyper-protectrice et abusive qui fait fuir son mari parce qu’il n’aime pas les enfants, son image Ă  lui peut-ĂȘtre ? J’en viens au titre de ce roman. Avec L’automne Ă  PĂ©kin » Boris nous a entraĂźnĂ©s dans une histoire absurde qui ne se passe ni en automne ni Ă  PĂ©kin. Ici il me semble que ce dernier roman fait rĂ©fĂ©rence au cƓur qui fut pour lui toujours un problĂšme et qu’on lui arrache, comme on lui arrache la vie ! J’ai retrouvĂ© dans cette relecture toute la poĂ©sie et la musique de Boris Vian que j’aime tant, ce dĂ©paysement qu’on ne comprend pas mais qu’on s’approprie trĂšs vite parce que, sans doute, il correspond Ă  quelque chose qu’on porte inconsciemment en soi mais qu’on aurait pas su soi-mĂȘme exprimer. Vian est un homme de lettres longtemps boudĂ© par les manuels scolaires, dont on ne faisait connaissance qu’au hasard de la rencontre d’un amateur conquis par cet univers si particulier tissĂ© dans ses romans et qui ne laissait personne indiffĂ©rent. On aimait ou on dĂ©testait mais on avait un avis. Et puis c’est un Ă©crivain qui a longtemps connu le purgatoire » parce qu’il dĂ©rangeait ou qu’on ne le comprenait pas puis, par un miracle inattendu, il revenait sur le devant de la scĂšne, y restait quelque temps puis retombait dans l’oubli pour revenir plus tard, quand on ne l’attendait plus. Si Verlaine lavait connu, il aurait sĂ»rement mis au nombre de ses poĂštes maudits »ce satrape de 2° classe » du collĂšge de pataphysique, cet Ă©crivain gĂ©nial qui aimait tant bousculer tout sur son passage pour marquer son passage sur terre. HervĂ© Gautier - Mai 2020 Les attentifs - Marc Mauguin - Robert Laffont. C’est sans doute trĂšs personnel mais je partage depuis longtemps avec l’auteur l’intuition que les toiles d’Edward Hopper, parce qu’elles suggĂšrent l’attente, invitent Ă  l’écriture parce qu’elles portent en elles quelque chose d’inexprimĂ© qui vous transporte ailleurs, dans un autre univers et vous incitent Ă  le partager, un peu comme si les formes, les couleurs et les ĂȘtres suscitaient le prolongement de l’histoire. Les personnages de ses tableaux ont dans les yeux quelque chose de mĂ©lancolique qui trahit l’état de leur Ăąme et on peut y lire, pour peu qu’on y soit attentif, les aspects dĂ©lĂ©tĂšres de la condition humaine, le dĂ©samour, la trahison, l’incomprĂ©hension, l’abandon, le dĂ©sespoir, le vide, le mal de vivre, les fantĂŽmes et les remords que chacun d’entre nous porte comme une croix. Je les sens abandonnĂ©s, victimes des autres et spĂ©cialement de leurs proches qui les connaissent mieux que personne, savent comment les blesser efficacement et qui ne s’en privent pas. Ils le font par vengeance, par mĂ©chancetĂ©, par intĂ©rĂȘt, par plaisir ou simplement pour se prouver qu’ils existent. Ils sont victimes de leur destin et l’acceptent parce qu’ils ne peuvent faire autrement et ce fatalisme engendre la solitude, le dĂ©sarroi, une sorte de nĂ©ant qui fait que, comme le dit Pessoa, ils ne sont rien, mais portent en eux tous les rĂȘves du monde », Ă  jamais trahis et impossibles. Ils se raccrochent Ă  n’importe quoi mais tout se dĂ©robe devant eux et les mots qu’ils pourraient prononcer ou Ă©crire pour se libĂ©rer restent en eux parce qu’ils n’ont pas rĂ©ussi, malgrĂ© leur bonne foi et leur volontĂ© de bien faire, Ă  trouver leur place dans ce monde, et savent pas qu’ils ne la trouveront jamais mais auront Ă  subir au contraire critiques et lazzis. Cette saudade », comme disent les Portugais, les rend un peu mythomanes, parfois trop confiants et ils s’imaginent, Ă  titre de compensation pour ce que la vie ne leur donnera jamais, des situations oĂč ils ont le meilleur rĂŽle, se tricotant des fragments d’une vie dont ils ne verront jamais l’ombre d’une rĂ©alisation et ils finissent mĂȘme par y croire malgrĂ© les douleurs, les rides ou le fard. Ils font mĂȘme semblant d’ĂȘtre heureux dans cette solitude faite de frustrations ou dans une vie de couple qui lentement se dĂ©sagrĂšge au fil du temps, se transforme en mensonges, en trahisons et en adultĂšres, dans une sociĂ©tĂ© au vernis surannĂ© oĂč ils voudraient oublier le quotidien avec ses dĂ©sillusions, sa recherche du plaisir de l’instant et de l’inconnu, la lĂ©gĂšretĂ© de l’ĂȘtre, le temps qui passe et l’écume des jours, mais la routine s’impose Ă  eux avec ses usages, son hypocrisie et c’est le vide qui s’installe et avec lui le souvenir des mauvais moments, les regrets, le silence pesant et dĂ©sespĂ©rĂ©, avant-coureur d’une mort considĂ©rĂ©e comme la fin d’un parcours ou peut-ĂȘtre dĂ©sirĂ©e comme une dĂ©livrance. Cette condition humaine qui parfois est une comĂ©die se mue petit Ă  petit en drame intime et silencieux. Nombres de ces nouvelles ont pour cadre le Cap Cod, insĂ©parable de Hopper. J’en imagine les dunes battues par le vent, le bruit du ressac, le cris des mouettes et ce paysage se marie aux personnages de ses peintures, d’autres ont pour cadre New-York, cette ville mythique qui fait aussi partie de l’univers crĂ©atif du peintre. L’écriture de Marc Mauguin Ă©pouse parfaitement l’ambiance que Hopper entend instiller sous son pinceau. L’auteur choisit un tableau, se l’approprie en le dĂ©crivant ou en l’évoquant et retrace autour des personnages et du dĂ©cor une autre histoire qui tĂ©moigne de la communion qui existe entre eux et de la force crĂ©atrice qu’il porte. Ces ĂȘtres fictifs, il les fait mĂȘme se croiser, se rencontrer, se connaĂźtre, s’oublier, fuir vers un autre quotidien pour dĂ©couvrir du nouveau ou du mystĂšre, se retrouver malgrĂ© le temps et la distance, comme cela arrive parfois dans la vraie vie. HervĂ© Gautier - Mars 2020 La nuit, le jour et toutes les autres nuits - Michel Audiard Je suis comme la plupart des Français, fan des dialogues de Michel Audiard 1920-1985, de sa verve faubourienne , de ses saillies d'anthologie, des ses aphorismes dĂ©finitifs que l'on grave dans sa mĂ©moire et qui tĂ©moignent de son amour des bonnes choses de la vie et des mots, de son attachement Ă  ses copains, Ă  ses artistes fĂ©tiches, de son appĂ©tit de l'instant. Il a certes gardĂ© un peu de sa gouaille, on ne reconnaĂźtrait plus le dialoguiste des "Tontons flingueurs"sans cela et il se laisserait mĂȘme aller, Ă  l'invite de la musique de Django Reinhardt et de StĂ©phane Grappelli, Ă  quelque chose qui pourrait bien ressembler Ă  des "MĂ©moires". Sous sa plume de noctambule parisien pendant l’Occupation, on croise des figures emblĂ©matiques et hautes en couleurs, des demi-mondaines qui ont su se partager entre les occupants et les AlliĂ©s, des prostituĂ©es mais aussi des pauvres filles pour qui la LibĂ©ration a Ă©tĂ© synonyme d'opprobre et sur qui les rĂ©sistants de la derniĂšre heure et ceux qui ont su tourner leur veste au bon moment se sont acharnĂ©s, un beau panel de l'espĂšce humaine. Puis il emprunte la douce pente du souvenir, celui de l'enfance de ses espoirs fous en l'avenir et ses Ă©garements, celui du succĂšs du cinĂ©ma et de l'Ă©criture, convoque les femmes, leurs mensonges et leur fantasmes, les hommes aussi et leurs envies, leurs traĂźtrises, leurs compromissions... L'Ă©poque troublĂ©e de la guerre Ă©tait favorable Ă  ce genre d'Ă©closions! Ainsi revisite-t-il, Ă  l'aune de sa souvenance blottie au fond des jours et des nuits, des fantĂŽmes qui peuplent encore ses pensĂ©es malgrĂ© l'effacement du temps. Il conte avec humour ses amours furtifs autant que ses rencontres amicales et durables avec une certaine nostalgie, Ă©voque ceux qui ne sont plus lĂ  pour lui donner la rĂ©plique. Qu'on ne s'y trompe pas, derriĂšre le parolier gĂ©nial et irrĂ©vĂ©rent, il y a un Audiard inattendu, un Ă©crivain authentique et cultivĂ© chez qui Louis-Ferdinand CĂ©line a laissĂ© son empreinte indĂ©lĂ©bile. Comme lui, il promĂšne sur le monde un regard dĂ©sabusĂ© que ces annĂ©es de vie lui ont inspirĂ©, compte ses morts et exprime sans fioriture et dans son style si particulier, sa dĂ©ception de l'espĂšce humaine. Il a 57 ans quand il Ă©crit ce livre, aprĂšs une vie qu'on peut assurĂ©ment supposer bien vĂ©cue mais j'y vois aussi une sorte d'indiffĂ©rence au prĂ©sent, la fatigue, le dĂ©senchantement, mĂȘme s'il ne rĂ©ussit pas Ă  ce dĂ©partir de ce style dĂ©cidĂ©ment inimitable. C'est perceptible, Ă  mon avis dans un paragraphe du dĂ©but de ce livre qui peut passer inaperçu et dont il reprendra plusieurs fois l'idĂ©e au dĂ©tour d'une phrase. Il y Ă©voque, avec une grande Ă©conomie de mots, la mort de son fils quelques mois auparavant, dans un accident de voiture. Du coup on oublie le Audiard traditionnel, avec son clope, sa casquette et ses bons mots qui soudain ne pĂšsent rien face Ă  la mort, au regard de cet instant qui vous oblige, inversant le cours normal des choses, Ă  aller Ă  l'enterrement de votre enfant, Ă  reconsidĂ©rer votre approche des choses et des vaines croyances religieuses. Pour autant, dans le contexte trĂšs particulier de ce deuil impossible Ă  faire, je m'interroge sur le rĂ©el effet cathartique de l'Ă©criture. DĂšs lors il m'apparaĂźt que le titre prend tout son sens, la nuit, le jour pour Ă©voquer la vie et le temps qui passent et qui ne laissent sur lui que le frĂȘle sceau de leur ombre, et toutes les autres nuits, dans l'insomnie, la solitude et les cauchemars, pour pleurer ce fils disparu. C'est bien la solitude que je retiens de ce livre improprement appelĂ© “roman”, la nostalgie du passĂ© autant que l'impuissance Ă  retenir le temps, Ă  retricoter les Ă©vĂ©nements Ă  l'envers. C'est Ă©tonnant et assez inattendu de la part d'un homme qu'on imagine volontiers autrement parce qu'on croit le connaĂźtre Ă  l'aune de l'image qu'il donne mais, qui porte en lui, comme nous tous, la marque de "l'humaine condition", comme l'a si bien dit Montaigne. HervĂ© Gautier- FĂ©vrier 2020 La Mere Lapipe dans son bistrot - Pierrick Bourgault La MĂšre Lapipe dans son bistrot - Pierrick Bourgault - Éditeur "Les ateliers Henry Dougier" . Qu'on se comprenne bien, il n'est pas question ici d'un cafĂ© Ă  la mode que viennent hanter les intellectuels oĂč l'on consomme des boissons hors de prix, ou d'un Ă©tablissement que la loi nomme pompeusement "dĂ©bit de boissons", mais simplement d'un "CafĂ© du coin"avec une majuscule, nom commercial qui n'a rien d'original mais qui a au moins l'avantage de le situer dans la gĂ©ographie locale, un troquet oĂč des hommes et des femmes eh oui! refont le monde sans tabou devant un ballon de rouge au comptoir. On peut mĂȘme “y apporter son panier” comme on disait dans le temps, les tarifs y sont concurrentiels et les tournĂ©es gĂ©nĂ©reuses. La patronne, la mĂšre Jeannine, la mĂ©moire du quartier, surnommĂ©e amicalement "la mĂšre Lapipe, mais ne nous Ă©garons pas, Ă  cause de son addiction Ă  la bouffarde dont le tabac lui Ă©raille la voix, prĂ©side au cĂ©rĂ©monial quotidien de cet estaminet. Son vocabulaire louvoie entre de dĂ©licieux nĂ©ologismes poĂ©tiques et la gouaille de forains et n'aurait pas dĂ©plu Ă  Michel Audiard. Cette arriĂšre-grand-mĂšre de 77 ans qui certes est officiellement en retraite mais maintient son commerce pour le plaisir, celui de ses clients et, en ce qui la concerne, comme un dĂ©rivatif personnel, est un de ces personnages insolites que les touristes de passage au Mans viennent parfois photographier. Ici on y va de son commentaire sur la cuisine, sur le temps qu'il fait et le temps qui passe, ce qui donne lieu Ă  des phrases d'anthologie version "brĂšves de comptoir"oĂč se conjuguent bon sens et mauvaise foi, le tout sous le regard autoritaire de Jeannine qui garde la main sur la clientĂšle et sur l'autorisation d'entrer... et tant pis pour le chiffre d'affaires! La libertĂ© de parole s'y pratique sans tabou, Ă  condition toutefois de s'y adonner avec humanitĂ© et de ne pas fanfaronner sur sa rĂ©ussite sociale ni sur sa richesse et ça peut mĂȘme dĂ©gĂ©nĂ©rer en propos graveleux. Toutes les gĂ©nĂ©rations, toutes les couches sociales y sont admises et parfois l'esprit critique est vif Ă  propos des faits de sociĂ©tĂ© ou des petits dĂ©tails de la vie, on y disserte des smartphones comme des “Gilets jaunes”, on y tape le carton ou on y garde les enfants et quand le dernier client a du vague Ă  l'Ăąme, le zinc de ce microcosme se transforme en cabinet de psy parce qu'ici c’est un poste-frontiĂšre entre deux mondes et il s'y passe toujours quelque chose, on parle, on se confie, un vrai club privĂ©, ouvert mĂȘme la nuit et qui ne dit pas son nom, l'exact contraire de notre sociĂ©tĂ© qui chaque jour un peu plus se dĂ©shumanise car on y boit certes, mais jamais seul! On n'y applique pas vraiment la lĂ©gislation anti-tabac et le lieu baigne toujours dans dans le nuage bleu de l'herbe Ă  Nicot, mais seulement de cette herbe lĂ ! Il y a de la tendresse chez Jeannine autant que du franc-parler et mĂȘme si les rĂ©seaux sociaux sont muets sur son adresse, il est toujours possible de la trouver en demandant. Les Ă©crans de tout poil y sont bannis mais les infos, les ragots aussi, sont fournis par les clients qui sont aussi des amis. Si on respecte les rĂšgles non Ă©crites de ce cafĂ© on y est trĂšs vite acceptĂ© et reconnu et le lieu conserve comme des reliques les photos de clients vivants ou morts et les cartes postales de leurs vacances. L'auteur, qui est aussi photographe et journaliste, porte tĂ©moignage de ce genre d'endroit qu'on redĂ©couvre actuellement comme un lieu convivial, exprime une sorte de plaidoirie pour le maintient de ces Ă©tablissements que la lĂ©gislation a longtemps voulu supprimer au nom de la lutte antialcoolique. Il le fait avec humour et nostalgie mais aussi empathie, en conservant les clichĂ©s et le langage populaire qui ont cours entre ces murs, en Ă©voquant Jeanne, derniĂšre reprĂ©sentante d'un petit commerce qui lentement disparaĂźt, tuĂ© par la modernitĂ© autant que par les tracasseries administratives et la nĂ©cessaire rentabilitĂ©, et contre quoi le poids des mots ne pourra rien. Leur disparition dĂ©sertifie le centre des villes et des villages, tĂ©moigne de l'Ă©volution d'une sociĂ©tĂ© qui dĂ©truit ses fondements traditionnels et mĂȘme la nĂ©cessaire cohĂ©sion sociale. Cette dĂ©marche littĂ©raire et personnelle de Pierrick Bourgault, qui a passĂ© son enfance dans la cafĂ© de son grand-pĂšre, correspond bien Ă  l'esprit de cette collection "une vie, une voix" qui souhaite rendre compte de la sociĂ©tĂ© contemporaine et des vies ordinaires. Elle a dĂ©jĂ  retenu l'attention de cette chronique et j'y serai particuliĂšrement attentif. HervĂ© Gautier - Janvier 2020 Ne d'aucune femme - Franck Bouysse La manufacture de livre Le titre d'abord est surprenant, paradoxale mĂȘme, mais ce roman est Ă  la fois bouleversant et passionnant Ă  cause du mystĂšre qui entoure cette histoire un peu compliquĂ©e, Ă  laquelle on a du mal Ă  croire tant elle est sordide et hors de notre temps, encombrĂ©e de cadavres Ă  la mort parfois atroce, mais qui pourtant me paraĂźt plausible compte tenu du contexte, simplement parce qu'elle met en scĂšne des ĂȘtres humains dans tout ce qu'ils ont de malĂ©fique, c'est Ă  dire bien souvent l'ordinaire de l'espĂšce humaine qu'on cache sous des apparences hypocrites du secret et du mensonge. Tout se dĂ©roule sous l'Ă©gide de Gabriel, ce vieux curĂ© de campagne qui se transforme en enquĂȘteur volontaire et dĂ©terminĂ© Ă  cause d'une rĂ©vĂ©lation de confessionnal et qui rĂ©ussit Ă  obtenir la vĂ©ritĂ© sur une Ă©nigmatique histoire de disparition d'un enfant, de sĂ©questration arbitraire d'une femme, grĂące Ă  quelques pages manuscrites de cahiers dissimulĂ©s sous la robe d'un cadavre qu'il doit bĂ©nir et d'une mystĂ©rieuse tache de naissance. Au delĂ  de de l’écheveau obscur de ce rĂ©cit, de ses personnages parfois inhumains, il y a ce contexte de pauvretĂ© qui projette le lecteur dans l'univers de Maupassant, quand des parents vendent leur enfant, surtout leur fille, et ne supportent plus le remords et parfois la folie qui accompagnent leur choix. C'est aussi cette attitude des hommes qui, parce qu'ils ont de l'argent ou du pouvoir, se croient autorisĂ©s Ă  tout, depuis le mĂ©pris et la trahison de leurs semblables, jusqu'Ă  leur Ă©limination physique. On n'Ă©chappe pas non plus Ă  l'obsession de la transmission de la vie comme une obligation humaine et son pendant, la mort comme un rendez-vous qui nous est donnĂ© sans que nous en connaissions ni la date ni les circonstances, en mĂȘme temps que le premier souffle de notre vie. Ce que j'ai retenu c'est la force du destin qui s'impose Ă  chacun, ces ĂȘtres concentrĂ©s dans un mĂȘme lieu gĂ©ographique qui se croisent et s'ignorent au cours du temps, du dĂ©sespoir face Ă  l'impuissance, Ă  la lĂąchetĂ©, Ă  la complicitĂ© malsaine, Ă  la misĂšre, Ă  l'injustice et Ă  la souffrance dont la mort est la seule Ă©chappatoire, la seule dĂ©livrance. J'ai aussi Ă©tĂ© interpellĂ© par le personnage de Rose et par sa dĂ©marche personnelle au regard de l'Ă©criture, mĂȘme si j'ai eu un peu de mal Ă  admettre qu'une jeune fille sans grande instruction se mette ainsi spontanĂ©ment Ă  confier sa propre histoire Ă  la feuille blanche, mais aprĂšs tout pourquoi pas, c'est ce qui la rattache Ă  la vie parce que ses mots sont avant tout des cris "Ă©crire ou plutĂŽt Ă©crier" dit-elle face Ă  son quotidien d'esclave, son amour impossible avec Edmond, l'enfermement dans sa propre condition et la mort qui, Ă  chaque page transpire avec sa certitude d'impunitĂ©. GrĂące Ă  l'Ă©criture et Ă  l'imagination, Rose se laisse aller au fantasme autour de cette histoire d'amour avortĂ©, sort de sa claustration de quatorze annĂ©es grĂące aux mots, mĂȘme si elle finit par douter de leur vĂ©ritable force. MalgrĂ© nous, ils finissent par s'enraciner dans notre esprit au point de se transformer en passions d'autant plus nocives qu'elles ne verront jamais le jour. Je m'interroge toujours sur l'effet cathartique de l'Ă©criture. C'est un avis personnel, mais il me paraĂźt Ă©tonnant pour un auteur de pouvoir Ă©crire une telle histoire en la puisant dans sa seule imagination. Il doit bien y avoir quelque part, malgrĂ© le brouillage des pistes et la cruautĂ© du rĂ©cit, une approche trĂšs personnelle de cette histoire. La rĂ©flexion sur la vie aussi m'a interpellĂ© en ce qu'elle est diffĂ©rente du message forcĂ©ment religieux portĂ© par le curĂ©. C'est celle du nĂ©ant de l'avant-naissance puis Ă  nouveau de celui de l'aprĂšs-mort, avec cette parenthĂšse douloureuse et incomprĂ©hensible, un vĂ©ritable cadeau empoisonnĂ© qu'est la vie, Ă  la fois l'image du choix des autres qui nous est imposĂ© et la mission parfois impossible d'en tirer bĂ©nĂ©fice, avec l'aide de Dieu, si toutefois on y croit ou si on la chance de le rencontrer et l'interdiction morale du suicide. J'ai dĂ©couvert, un peu par hasard, l’Ɠuvre de Franck Bouysse, notamment Ă  travers “Grossir le ciel”. J'ai retrouvĂ© avec plaisir le style juste, prĂ©cis, respectueux des mots, de leur musique, de leur charge Ă©motionnelle et poĂ©tique et des personnages jusque dans leur façon diffĂ©rente de s'exprimer et d'exister. C'est un roman que j'ai lu sans dĂ©semparer tant il est captivant et Ă©mouvant. Ce fut lĂ  aussi un bon moment de lecture. HervĂ© Gautier - Janvier 2020 Livres de l'inquietude - Fernando Pessoa. Traduit du portugais par Marie-HĂ©lĂšne Piwnik. Nous connaissions dĂ©jĂ  "Le livre de l'intranquillitĂ© "paru en 1990 de Fernando Pessoa mais que l'auteur avait attribuĂ© lui-mĂȘme Ă  Bernardo Soares, un hĂ©tĂ©ronyme, c'est Ă  dire un des nombreux doubles de lui-mĂȘme puisqu’il n'a que trĂšs rarement signĂ© ses Ɠuvres de son propre nom et qu'il n'a pratiquement pas connu la notoriĂ©tĂ© de son vivant. Voici cet ouvrage qui inclut les Ɠuvres inĂ©dites du Baron de Teive et de Vicente Guedes Ă  celles de Bernardo Soares, chacun de ces “auteurs” vivant en quelque sorte sa propre vie et Ă©crivant dans son propre style. Ces textes ont Ă©tĂ© rĂ©unis par TĂ©rĂ©sa Rita Lopez, universitaire portugaise spĂ©cialiste de l’Ɠuvre de Pessoa. C'est le rĂ©sultat d'un travail difficile puisque l’Ɠuvre de l'Ă©crivain lisboĂšte Ă©tait non seulement composĂ©e de feuilles Ă©parses mais aussi parce que l'Ă©dition française de 1990 limitait le texte au seul Bernardo Soares "Livro do desassossego" por Bernardo Soares. C'est un triptyque, un soliloque Ă  trois voix, une sorte de miroir qui nous renvoie une image virtuelle de Pessoa, cachĂ© de l'autre cĂŽtĂ© de la glace, une façon bien personnelle de se faire l'Ă©cho de ce qu'il est, de ce qu'il voit et de ce qu'il ressent. Dans cette version, d'ailleurs un peu diffĂ©rente du"Livre de l'intranquillitĂ©" on retrouve cette impression de l'impossibilitĂ© de trouver la quiĂ©tude dans ce monde, une sorte de trouble permanent, un dĂ©sagrĂ©ment, un mal de vivre. Toute sa vie Pessoa s'est ingĂ©niĂ© Ă  brouiller les pistes puisqu'il n'a presque jamais publiĂ© de son vivant, laissant le soin Ă  ses contemporains, aprĂšs sa mort, d'explorer la multitude de textes dĂ©posĂ©s 27000 par ses soins dans une malle sous forme de feuilles sĂ©parĂ©es et attribuĂ©es Ă  de nombreux auteurs, comme autant de petits cailloux destinĂ©s Ă  un jeu de piste. C'est une maniĂšre pour lui d'explorer son “moi” multiple et complexe autant que de demander Ă  son lecteur Ă©ventuel de ne pas chercher Ă  le comprendre. Vicente Guedes est un ĂȘtre dĂ©cadent et dĂ©sargentĂ©, une sorte d'intellectuel de la pensĂ©e, un modeste employĂ© de commerce, un penseur impĂ©nitent qui aime Ă  analyser ses rĂȘves dans un style recherchĂ© mais parfois un peu trop intellectuel, le baron de Teive est un aristocrate stoĂŻcien que le suicide fascine et pour qui l'action est un paradoxe et qui s'exprime dans un style austĂšre, quant Ă  Bernardo Soares, aide-comptable employĂ© de bureau comme lui, c'est un Ă©ternel promeneur solitaire, arpentant les rues de Lisbonne ou regardant de sa fenĂȘtre les gens passer dans la rue et qui en parle avec une certaine ironie Ă  laquelle il mĂȘle des remarques personnelles dĂ©sabusĂ©es sur sa vie au quotidien; j'avoue de cet hĂ©tĂ©ronyme Ă  ma prĂ©fĂ©rence Ă  cause de sa vision des choses de l'existence et la maniĂšre qu'il a de l'exprimer. Je ne suis pas un spĂ©cialiste, mais Ă  chaque fois que je lis Pessoa, il me semble que pour lui l'Ă©criture, et cette forme particuliĂšre qui consiste Ă  prĂȘter son talent Ă  un autre en s’effaçant derriĂšre lui et en s'excusant presque d'exister, est pour lui une sorte d'antidote Ă  sa vie de subalterne anonyme. Par le rĂȘve jusques et y compris s'il ne mĂšne nulle part ou n'enfante que des chimĂšres et surtout par l’écriture, les mots qu'il trace sur le papier, il se rĂ©fugie dans un monde imaginaire, tisse autour de lui et pour lui seul, un univers diffĂ©rent, habite mĂȘme un autre corps et un autre destin, ce qui l'aide peut-ĂȘtre Ă  supporter cette succession de jours qu'il passe pour gagner sa vie dans un sombre bureau. C'est sans doute aussi une forme exprimĂ©e personnellement de cette “saudade” qui fait tellement partie de l'esprit lusitanien et que le poĂšte Luis de CamĂ”es a dĂ©fini comme "Un bonheur hors du monde", l'expression d'un manque de quelque chose autant qu'un espoir d'autre chose qui par ailleurs peut-ĂȘtre assez indĂ©fini, une sorte de rĂ©fĂ©rence Ă  un passĂ© rĂ©volu qu'on voudrait bien voir revivre... C'est Ă©tonnant de voir cet homme discret qui, aprĂšs sa mort sera considĂ©rĂ© comme un des plus grands Ă©crivains portugais, confier Ă  des feuilles volantes, c'est Ă  dire un support bien fragile, le cheminement de sa pensĂ©e complexe, vivre simplement en ne recherchant pas la notoriĂ©tĂ© et la consĂ©cration comme c'est souvent le cas chez les membres de l'espĂšce humaine et spĂ©cialement chez ceux qui font Ɠuvre de crĂ©ation. Ce sont donc trois facettes judicieusement rĂ©vĂ©lĂ©es de Pessoa lui-mĂȘme, une autobiographie en trois temps, un journal intime en trois moments Ă  la fois complĂ©mentaires et cohĂ©rents, oĂč la solitude et l’inaptitude Ă  vivre se lisent Ă  chaque ligne. ©HervĂ© Gautier. novembre 2019 Mamie Luger Benoit Philippon-Editions Equinox-Les ArEnes Imaginez un peu Berthe, une vieille de 102 ans, ridĂ©e et Ă©dentĂ©e, avec sonotone et arthrite, genre Ma Dalton ou Calamity Jane, qui vient, dĂšs potron-minet, de tirer sur son notaire de voisin Ă  la 22 long rifle et qui a fait face, arme Ă  la main, aux forces de l'ordre au fin fond du Cantal. Au commissariat, devant l'inspecteur Ventura qu'elle s'Ă©vertue a appeler Lino alors qu'il se prĂ©nomme AndrĂ©, elle ne s'en laisse pas conter et entreprend mĂȘme d'enrichir le vocabulaire du susdit, mais pas vraiment dans la langue chĂątiĂ©e de Jean d'Ormesson ! Non seulement elle a envoyĂ© son voisin Ă  l’hĂŽpital mais elle a aussi couvert la fuite d'assassins qui maintenant sont en cavale. Rapidement son interrogatoire, accessoirement un peu surrĂ©aliste et pas mal folklorique dans le cadre d'une procĂ©dure policiĂšre, glisse vers la biographie mouvementĂ©e de sa famille et de la sienne propre et on s'aperçoit que plus elle parle, plus elle aggrave son cas. Sa vie n'a pas vraiment Ă©tĂ© un long fleuve tranquille et si elle a Ă©tĂ© une belle femme fort avenante, elle en a bien profitĂ© avec les hommes. Pour l'heure, elle boit sec, a la dĂ©tente chatouilleuse, l'homicide facile et la langue bien pendue, quant Ă  son surnom de Mamie Luger » , il lui vient d'une mĂ©saventure de la 2° guerre qui a mal tournĂ© surtout pour un soldat allemand. Berthe a beau ĂȘtre une tueuse en sĂ©rie, il passe entre l'inspecteur et elle une sorte de courant de sympathie bien incompatible avec une garde Ă  vue rĂ©glementaire. Il faut dire que ses aveux qui ressemblent plutĂŽt Ă  une confession ont Ă©tĂ© des plus prĂ©cis, justifiant autant la longĂ©vitĂ© exceptionnelle de Berthe que son surnom. Elle a mĂȘme tendance Ă  confondre instruction judiciaire et divan du psychanalyste et c'est sans doute cette incursion dans le passĂ©, qui bien souvent donne le vertige, Ă  moins que ça ne soit sa volontĂ© de se dĂ©charger avant de mourir d'un poids trop lourd Ă  porter pendant trop longtemps, qui provoquent chez elle un malaise. C'est plutĂŽt dommage parce que, dans le mĂȘme temps, une perquisition se dĂ©roule chez elle et ce que trouvent les policiers est plutĂŽt Ă©poustouflant. Le suspense est donc au rendez-vous et le lecteur dĂ©couvre les faits, au rythme des nombreux analepses de ce roman. Et puis cette volontĂ© de tout avouer, ce qui la conduira Ă  une lourde condamnation, n'est-elle pas aussi une envie de tout simplement en finir ? C'est qu'elle sait ce qu'elle veut, Berthe et quand elle a dĂ©cidĂ© de trucider un homme, il ne perd rien pour attendre et elle met toujours ses projets Ă  exĂ©cution, surtout ceux-lĂ  ! Si elle a commis ces assassinats presque naturellement, c'est avec la bonne conscience de celle qui agit pour son bien. Elle n'Ă©tait pas vraiment prĂ©parĂ©e Ă  cette Ă©preuve policiĂšre puisque, dans le cadre de cette procĂ©dure oĂč l'on peut parfaitement garder le silence, elle est Ă  la fois prolixe de dĂ©tails et convaincante au point que Ventura lui donnerait presque raison d'avoir perpĂ©trer cette hĂ©catombe d'hommes et l'ambiance de ce bureau d’interrogatoire n'a vraiment rien d'agressif. Heureusement il y a l'enquĂȘte qui se rappelle Ă  lui et le maintient dans le rĂŽle de gardien de la loi. On le sent quand mĂȘme un peu partagĂ© entre la volontĂ© de rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© dans cette affaire et la comprĂ©hension qu'il Ă©prouve pour cette vielle femme finalement pas si antipathique que cela, son empathie le disputant Ă  son envie de connaĂźtre la fin de cette histoire. Son attitude envers elle et les dialogues quelque peu emprunts de familiaritĂ©s qu'ils Ă©changent, dĂ©tonnent un peu sur l'ambiance qu'on s'attend Ă  rencontrer dans un tel contexte. Elle devait bien avoir un problĂšme avec les hommes pour les traiter ainsi ou bien, aprĂšs avoir ainsi satisfait son dĂ©sir de vengeance, s'attachait-elle Ă  faire prĂ©valoir hypocritement les apparences trompeuses, donnant d'elle l'image d'une vieille dame bien tranquille. C'est un paradoxe, elle ne peut se passer des hommes mais s'en lasse vite, prenant conscience, mais un peu tard, qu'elle a fait une erreur, funeste cependant, surtout pour ses Ă©phĂ©mĂšres partenaires. C'est sans doute sa maniĂšre Ă  elle de rĂ©tablir l'Ă©galitĂ© des sexes ! Quand j'ai ouvert ce livre, je m'attendais, Ă  cause sans doute de sa couverture ou de son titre, Ă  un polar classique. Or ce n'en est pas un, nonobstant le nombre des victimes de Berthe. Je lui ai trouvĂ© un cĂŽtĂ© attachant, Ă©mouvant, sensuel parfois, tant les choses qui y sont dites le sont non seulement avec une Ă©criture fluide et plaisante Ă  lire, bien Ă©loignĂ©e de celle employĂ©e traditionnellement dans ce genre romanesque, mais aussi parce que cela parle de la vie ordinaire avec ses joies, ses peines, ses projets avortĂ©s, ses remords, mais aussi du racisme, de l'intolĂ©rance, de l'amour impossible, du destin implacable, autant de thĂšmes devant lesquels l'humour, pourtant bien prĂ©sent au fil des pages, devient soudain dĂ©risoire. Oui, pour tout cela, j'ai bien aimĂ© ce roman. ©HervĂ© GAUTIER. dĂ©cembre 2019 Serotonine Michel Houellebecq Flammarion Florent-Claude Labrouste est un presque quinquagĂ©naire dĂ©primĂ©, lĂ©gĂšrement obsĂ©dĂ© sexuel, portĂ© sur la bouteille et de son propre aveu un loser », un dĂ©cadent, un ratĂ© ! Il n'a pas vraiment la volontĂ© de rĂ©agir sauf Ă  prendre un mĂ©dicament, le Captorix, censĂ© libĂ©rer rapidement dans son corps la sĂ©rotonine qu'on peut assimiler Ă  l'hormone du bonheur, sauf qu'il entraĂźne pour lui une forme d'impuissance sexuelle et de perte de libido ce qui ne l'arrange pas du tout. Il a perdu bĂȘtement l'amour de Camille, une femme avec qui il aurait bien aimĂ© se marier, la recherche dans toutes celles qu'il croisent et vit avec une Japonaise avec qui il s'ennuie. De plus, ni cette compagne trĂšs temporaire qui n'est pas vraiment fidĂšle, ni son travail sans intĂ©rĂȘt et qu'il abandonne, ni mĂȘme son mĂ©dicament, ne parviennent Ă  le guĂ©rir de sa dĂ©rĂ©liction, de ses obsessions et Ă  lui donner des raisons de vivre pleinement. Aussi bien, rĂ©fractaire au suicide, choisit-il de partir, c'est Ă  dire fuir une sociĂ©tĂ© qui ne lui convient pas, et de se fuir aussi lui-mĂȘme, ce qui est Ă  ses yeux l'unique solution. A travers son seul ami Aymeric, Ă©leveur de vaches normandes, il constate la dĂ©crĂ©pitude de la paysannerie face Ă  l'industrialisation au productivisme, ce qui n'amĂ©liore pas sa vision de la sociĂ©tĂ© qu'il rapproche forcĂ©ment de la sienne propre. La prise de son mĂ©dicament ne guĂ©rit pas sa dĂ©pression chronique qu'il soignerait volontiers par une activitĂ© sexuelle dĂ©bridĂ©e, mais cela lui est devenu impossible et il ne peut que ressasser ses souvenirs ! C'est un peu comme s'il tournait en rond sans jamais pouvoir trouver une sortie. Alors il poursuit dans chacune des femmes qu'il sĂ©duit l'impossible rencontre avec Camille, pour lui dĂ©finitivement disparue, une copulation animale sans retenue avec une inconnue et ne conçoit une femme que dans son lit. Il y a cette attente dĂ©sespĂ©rĂ©e de la sensualitĂ© Ă  travers la figure fĂ©minine. Cette demande de nature sexuelle peut passer pour une obsession dĂ©vastatrice mais cela fait aussi partie de la vie d'un homme et j'ai eu le sentiment que, pour lui, le sexe est plus une antidote Ă  sa solitude qu'une exploration renouvelĂ©e des mystĂ©rieux couloirs du plaisir et Ă  chaque fois qu'il rencontre une femme, sa premiĂšre idĂ©e est de coucher avec elle. A sa situation pour le moins dĂ©lĂ©tĂšre, il oppose la figure de Camille qu'il espĂšre retrouver et l'amour fou et exclusif de ses parents, unis jusque dans la mort, et ce souvenir l'obsĂšde. Les aphorismes qu'il choisi d'assĂ©ner Ă  son lecteur au sujet de l'amour ont au moins l'avantage de le porter Ă  rĂ©flĂ©chir et d'ouvrir le dĂ©bat. C'est bien connu, Houellebecq est Ă  la fois cynique, dĂ©sabusĂ©, grossier, mais je dois bien avouer que le constat qu'il fait d'une sociĂ©tĂ© en pleine dĂ©liquescence et vouĂ©e aux dĂ©rives de la productivitĂ© est inquiĂ©tant. C'est le roman des espĂ©rances déçues », face aux affirmations lĂ©nifiantes et abusives qui prĂ©tendent que la vie est belle et j'ai personnellement beaucoup de mal Ă  donner tort Ă  notre auteur dans son apprĂ©ciation des choses et si nous regardons autour de nous, force est bien de constater qu'il n'y a pas beaucoup de raisons de se rĂ©jouir. Il nous dĂ©peint une sociĂ©tĂ© trĂšs actuelle, dĂ©shumanisĂ©e, oĂč chacun vit en ignorant l'autre, et cette attitude dĂ©lĂ©tĂšre affecte mĂȘme le couple qui pourrait passer comme l'ultime recours. On devient misanthrope pour moins que cela ! J'ai ressenti une atmosphĂšre de fin de vie dans ce roman, un peu comme si la dĂ©sespĂ©rance Ă©tait telle pour cet homme qu'il valait mieux, tout bien rĂ©flĂ©chi, quitter ce monde mĂȘme si ce dĂ©part s'accompagne de regrets, Camille n'Ă©tait plus pour lui qu'un fantĂŽme inaccessible et que sa vie n'avait Ă©tĂ© finalement qu'un cheminement laborieux et inutile. Je n'ai cependant pas compris cet ultime rĂ©fĂ©rence Ă  Dieu comme maĂźtre de notre destin individuel. Il y a en effet un autre personnage, peut-ĂȘtre plus en retrait mais non moins important qu'est Aymeric. Lui aussi c'est un idĂ©aliste qui a cru Ă  son rĂȘve parce qu'il Ă©tait partagĂ© par son Ă©pouse. Mais celle-ci, déçue, est partie avec un autre homme se tricoter un avenir diffĂ©rent parce qu'Aymeric s'est fait trop d'illusions et n'a rien vu venir, aveuglĂ© qu'il Ă©tait par ses certitudes dĂ©finitives, sur l'amour notamment. Il tente de se guĂ©rir de cet Ă©chec par l'alcool et la drogue mais ce sera une impasse pour cet homme dĂ©sespĂ©rĂ© qui songe sans doute Ă  la mort comme une solution potentielle. Dans La carte et le territoire » le thĂšme de la mort est abordĂ© sous la forme d'un crime Ă©nigmatique. Ici Aymeric me paraĂźt avoir choisi une forme de suicide lent et progressif qui sied bien Ă  son Ă©tat dĂ©pressif mais quand il dĂ©cide de conclure dans un geste dĂ©finitif on ne sait pas vraiment s'il faut l'imputer Ă  sa situation personnelle ou pour la cause qu'il prĂ©tend dĂ©fendre. Si Florent-Claude partage son Ă©tat d'esprit, il m'a semblĂ© que, lui, au contraire a choisi d'attendre la mort qui est inĂ©luctable comme nous le savons, mais dans une sorte de fatalisme, avec cependant une lueur d'espoir qui peut prendre les traits de Camille, un peu comme s'il avait choisi de survivre malgrĂ© tout, au cas oĂč pour lui les choses changeraient enfin ou peut-ĂȘtre comme s'il s'imposait de rester en vie pour expier cette perte coupable de l'ĂȘtre aimĂ© ! Son style, Ă  l'humour parfois grinçant, est sans doute fort Ă©loignĂ© de celui qu'on attend d'un Ă©crivain traditionnel couronnĂ© par le prix Goncourt, mais c'est son style et je crois que nous avons dĂ©jĂ  connu cela au cours de notre histoire littĂ©raire. La littĂ©rature s'enrichit aussi de cette maniĂšre et Ă©volue Ă  travers ces auteurs qui, pour certains, y ont laissĂ© leur nom. D’ailleurs, mĂȘme s'il est un peu mono-thĂ©matique Ă  tendance obsessionnelle, nonobstant quelques longueurs et des dĂ©tails parfois techniques bien inutiles je me suis demandĂ© si l'accumulation de dĂ©tails apparemment anodins ne cachait pas un mal-ĂȘtre profond, je ne me suis pas du tout ennuyĂ© Ă  la lecture de ce roman et je l'ai mĂȘme lu avec attention et passion. J'ai dĂ©jĂ  eu l'occasion de commenter les Ɠuvres de Houellebec dans cette chronique et je n'ai pas toujours Ă©tĂ© Ă©mu par ses romans. Ici, malgrĂ© le style que je ne goĂ»te pas toujours, je suis bien obligĂ© d'admettre qu'il porte sur notre monde un regard, certes dĂ©sabusĂ© mais plein de bon sens. On ne demande pas forcĂ©ment Ă  un auteur de crĂ©er, grĂące Ă  son imagination un monde diffĂ©rent, qui nous Ă©loigne un temps de notre quotidien, et, refuser de voir dans le miroir d'un livre l'image peu flatteuse de notre sociĂ©tĂ©, n'est guĂšre raisonnable. AprĂšs tout un Ă©crivain se doit aussi d'ĂȘtre reflet de son Ă©poque, que son Ɠuvre se nourrisse de son expĂ©rience est plutĂŽt une bonne chose et cela tisse son originalitĂ© et son authenticitĂ©. Qu'il ait choisi de puiser dans son Ă©tat dĂ©pressif pour parler du dĂ©clin et de la dĂ©sespĂ©rance de l'homme occidental, dans un dĂ©cor banal et morne, me paraĂźt ĂȘtre une photographie assez bonne de notre sociĂ©tĂ©. La rĂ©fĂ©rence Ă  Thomas Mann, Ă  la fin, me paraĂźt significative. Le fait qu'il le fasse dans un langage simple et pourquoi pas cru, rend son tĂ©moignage accessible Ă  tous ses lecteurs. Il me semble d'ailleurs que la tristesse qui ressort de tout cela est soulignĂ©e par une succession de sĂ©quences, comme juxtaposĂ©es Ă©pisode de l'Allemand pĂ©dophile, manifestations paysannes vouĂ©es Ă  l'Ă©chec, sĂ©ances de tir, dĂ©sintĂ©rĂȘt constant et croissant pour l'actualitĂ© quotidienne, variation sur la chatte des femmes
 et qui n'ont rien Ă  voir les unes avec les autres. L'auteur est toujours aussi labyrinthique dans sa dĂ©marche d’écriture, mais j'ai souvent goĂ»tĂ© chez les autres Ă©crivains ce rythme de crĂ©ation pour ne pas l'apprĂ©cier chez lui. Il ne peut pas non plus se dispenser d'aphorismes dĂ©finitifs souvent pertinents, et aprĂšs tout cela aussi fait son charme. Je passerai sur la polĂ©mique initiĂ©e en quelques mots par l'auteur au sujet de la ville de Niort qu'il dĂ©nigre au dĂ©but de son roman. Cette citĂ©, qu'on a toujours eu du mal Ă  situer sur le cadastre national, a, peut-ĂȘtre grĂące Ă  lui, connu un afflux de personnes qui ont pu vĂ©rifier que son apprĂ©ciation nĂ©gative ne correspond heureusement Ă  rien. ©HervĂ© Gautier. Juin 2019 L'euphorie des places de marchĂ© – Christophe Carlier On peut compter sur les Ă©conomistes, en situation de crise, pour rajouter tous les jours une couche de sinistrose, et nous promettre des dĂ©gringolades de la part des agences de notation, d'immanquables rĂ©cessions et d'incontournables kraks boursiers. Pourtant cela ne fait ni chaud ni froid Ă  Norbert Langlois, trente ans, rompu aux lois du marchĂ©s et qui souhaite faire de Buronex dont il est le nouveau directeur, une entreprise en pointe dans ce contexte morose. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme on dit, s'il n'y avait Agathe, une plantureuse rousse entre deux Ăąges, secrĂ©taire de direction dans cette entreprise, qui, avec vingt ans d'expĂ©rience, maĂźtrise parfaitement
 l'art de ne rien faire ! Cette inactivitĂ© lui permet notamment de ne pas risquer l'erreur professionnelle, apanage de ceux qui travaillent, ce qui la conduirait tout droit Ă  l'agence pour l'emploi. Elle Ă©tait lĂ  Ă  la crĂ©ation de cette entreprise qui, aprĂšs plusieurs patrons et pas mal de restructurations, a Ă©chu Ă  Langlois, un manager aux dents longues qui entend la dĂ©velopper Ă  l'international. Autant dire que l'incontournable Agathe qui a toujours fait partie des meubles », a survĂ©cu jusqu'Ă  aujourd'hui Ă  tous ces changements de sorte que ce quasi droit d’aĂźnesse la met, croit-elle, dans une position favorable pour dĂ©velopper » son inertie alors que le patron ne rĂȘve que de s'en dĂ©barrasser. Si elle passe son temps Ă  se faire les ongles, et ainsi menace gravement la productivitĂ© de la maison, lui se les ronge Ă  imaginer une maniĂšre de lui faire prendre dĂ©finitivement la fait ainsi appel Ă  son imagination dĂ©bordante pour la pousser Ă  la faute tout en redoutant son aplomb, son Ă  propos et surtout sa mauvaise foi devant lesquels un licenciement classique n'a aucune chance d'aboutir. Il va mĂȘme, dans son empressement Ă  s'en sĂ©parer jusqu'Ă  envisager un crime mafieux ! Mais ça fait un peu ce quotidien qu'on a du mal Ă  qualifier de laborieux, vu du cĂŽtĂ© d'Agathe, est sans incidence sur l’embellie de la bourse qui maintenant s'installe dans ce paysage oĂč cette secrĂ©taire continue de faire ce qu'elle peut
 pour ne rien faire ! Il ne faut cependant pas croire qu'elle n'a pas, comme on dit, la culture d'entreprise » et sait fort bien payer de sa personne quand la nĂ©cessitĂ© s'en fait sentir, surtout quand son intĂ©rĂȘt personnel est en jeu. Bref, Ă  la Burotex, tout va pour le mieux, surtout pour Agathe qui continue Ă  vivre dans le monde du travail Ă  sa maniĂšre sans se soucier des variations de la bourse et du stress qui ailleurs et dans un contexte ordinaire plombe la vie des salariĂ©s. Elle jette sur la sociĂ©tĂ© qui l'entoure un regard aussi indiffĂ©rent que celui qui gouverne son quotidien d' Ă  Langlois, la prĂ©sence de Ludivine, une stagiaire, taillable et corvĂ©able comme il se doit, gomme Ă  la fois ses variations de tension artĂ©rielle, ses Ă©tats d'Ăąme et les absences d'Agathe !Cette aimable fiction, au titre un peu trompeur, qui n'a pas grand chose Ă  voir avec le monde du travail de la vraie vie, mĂȘme si parfois certaines remarques et situations peuvent se rĂ©vĂ©ler pertinentes, nous rappelle que l'Ă©conomie n'est pas une science exacte et varie au rythme alĂ©atoire et instable de la politique et des rumeurs, que la virtualitĂ© s'installe de jour en jour davantage dans notre quotidien et que les relations entre les humains n'ont guĂšre changĂ© depuis le commencement des puis, nous qui avons travaillĂ©, nous avons tous, un jour ou l'autre, croisĂ© une Agathe que nous avons dĂ©testĂ©e pour ses rencontrĂ© l’Ɠuvre de Christophe Carlier un peu par hasard. J'apprĂ©cie autant son humour que son style dĂ©liĂ© et ce court roman, pertinent et impertinent a Ă©tĂ©, somme toute, un bon moment de lecture mĂȘme si la description qu'en fait l'auteur n'est pas exactement semblable Ă  ce qu'il est en rĂ©alitĂ©. On peut bien rire de cela aussi, aprĂšs tout. Je crois qu'en cas de sinistrose ce serait mĂȘme conseillĂ© ! © HervĂ© GAUTIER – Avril 2019. La vĂ©ritĂ© sur l'affaire Harry Quebert – JoĂ«l Dicker C'est bien d'ĂȘtre un Ă©crivain Ă  succĂšs dont le premier roman a bien marchĂ©, d'habiter New-York et d'ĂȘtre reconnu dans la rue, bref, d'avoir du succĂšs. C'est ce qui est arrivĂ© au jeune Marcus Goldman et bien entendu son Ă©diteur attend le suivant, sauf que, cela fait un an que notre ami n'a rien Ă©crit, pire, il ne se sent plus capable d'aligner des mots, on appelle ça la crise de la page blanche et ça n'arrive pas qu'aux autres. Il y a donc urgence et il se tourne vers son ami, Harry Quebert, 68 ans, grand romancier amĂ©ricain et ancien professeur d'universitĂ© dont il a Ă©tĂ© l'Ă©tudiant, qui vit Ă  Aurora, une ville imaginaire que l’auteur situe dans le New Hampshire. Au mĂȘme moment, Quebert, 34 ans au moment des faits, est poursuivi et incarcĂ©rĂ© pour le meurtre d'une jeune fille, Nola Kellergan, 15 ans Ă  l'Ă©poque, fille de pasteur, avec qui il avait une liaison secrĂšte et qui a disparu trente trois ans plus tĂŽt sans qu'on ait retrouvĂ© son corps, ainsi d'ailleurs que de l’assassinat de Deborah Cooper, la femme qui avait donnĂ© l'alarme. A l'Ă©poque il avait Ă©tĂ© soupçonnĂ©, mais faute de preuves n'avait pas Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ©, l'enquĂȘte s'Ă©tait Ă©garĂ©e entre tĂ©moignages contradictoires et accusations gratuites et l'affaire avait Ă©tĂ© classĂ©e. La dĂ©couverte rĂ©cente des restes de Nola, enterrĂ©s dans son jardin, accompagnĂ©s du manuscrit d'un roman Ă  succĂšs de Harry et d'une mention manuscrite, a rouvert cette enquĂȘte en pleine Ă©lection prĂ©sidentielle de 2008, et tout l'accuse. Avec de nombreux analepses, le lecteur voyage dans le temps, entre 1975 et 2008 et mesure combien Harry Ă©tait amoureux fou de Nola. Bien entendu Goldman n'est pas policier et mĂȘme si on le lui dĂ©conseille fortement, il va tout faire, en compagnie d'un ancien flic qui partage son avis, pour dĂ©montrer l'innocence de son ami. MalgrĂ© les intimidations, Marcus enquĂȘte et ses investigations rĂ©vĂ©leront des secrets sordides de cette petite ville apparemment tranquille, la prĂ©sence d'un autre homme auprĂšs de Nola et de circonstances troublantes qui ont entourĂ© son dĂ©cĂšs. D'un autre cĂŽtĂ©, l'Ă©diteur de Marcus, le talonne et le menace mĂȘme d'un procĂšs s'il n'Ă©crit rien. Il est toujours Ă  l'affĂ»t d'un succĂšs et donc d'une bonne affaire financiĂšre et lui suggĂšre de raconter cette histoire et ainsi de relancer sa carriĂšre. Tel est le point de dĂ©part de ce roman qui ne doit rien Ă  la plume et Ă  l'inspiration de Marcus qui n'en sera que le scribe. C'est un vĂ©ritable thriller Ă  l'amĂ©ricaine, mais aussi une sorte de mise en abyme qui nous fait participer directement Ă  l'Ă©criture du roman. C'est donc un authentique polar avec tout le suspense qui va avec, Dicker tenant son lecteur en haleine jusqu'Ă  la fin, dĂ©montant chaque accusation, apportant un Ă©clairage nouveau, et ce pas seulement Ă  cause de la longueur de ce livre 656 pages, ce qui pour moi est rarement un encouragement Ă  la lecture. L'auteur en profite pour parler de l'Ă©criture et des Ă©crivains, mais aussi pour rĂ©gler ses comptes avec les Ă©diteurs en Ă©voquant les conditions de travail qu'ils imposent Ă  leurs auteurs, avec le plagiat, la justice, la politique, les mĂ©dias qui dĂ©forment tout pour faire un scoop et vendre du papier, l'hypocrisie et le mensonge qui, sous toutes ses formes est inhĂ©rent Ă  la condition humaine, spĂ©cialement dans les villes amĂ©ricaines puritaines de la cĂŽte est. Entre les secrets de la famille rigoriste de Nola, son pĂšre dĂ©missionnaire et sa mĂšre abusive, l'amour fou d'Harry pour cette jeune fille mystĂ©rieuse, cet homme un peu trop romantique, victime d'une sorte de dĂ©mon de midi, qui tente d'Ă©crire pour elle un livre sur l'amour impossible et une adolescente qui veut avant tout se faire Ă©pouser malgrĂ© la diffĂ©rence d'Ăąge et le scandale, qui cultive les apparences nĂ©cessairement trompeuses pour parvenir Ă  ses fins, sa duplicitĂ© qui va jusqu'Ă  la manipulation, la perversitĂ© et la sĂ©duction d'autres hommes, son suicide manquĂ©, les jalousies que cet amour suscite, ce roman se tisse par petites touches. Trente trois annĂ©es ont passĂ© mais les passions, les haines et la volontĂ© de cacher la vĂ©ritĂ© sont intactes et pour nos deux enquĂȘteurs se profile de plus en plus le syndrome du crime parfait. Les investigations de Marcus et de son compĂšre mettent en Ă©vidence des zones d'ombre, des contradictions et des insuffisances dans l'enquĂȘte originale et provoquent les aveux longtemps cachĂ©s de ceux qui l'ont menĂ©e, la rĂ©vĂ©lation de faits nouveaux, de relations inattendues et parfois difficiles entre les habitants de cette petite ville, la mise en cause de nouvelles personnes, la rĂ©vĂ©lation de la duplicitĂ© de cette jeune fille dont la vĂ©ritable personnalitĂ© est bien Ă©loignĂ©e de l'image qu'elle a voulu en donner, le mensonge longtemps entretenu, le poids des remords, l'ambition dĂ©mesurĂ©e... L'Ă©pilogue Ă  la fois inattendu et Ă©mouvant qui parle d'un homme poursuivi par un malheureux destin... J'ai abordĂ© ce roman sur les conseils d'une lectrice et aussi Ă  cause de sa couverture reproduisant une toile d' Edward Hopper qui est un de mes peintres prĂ©fĂ©rĂ©s et qui s'inspira aussi de ces paysages. Je l'ai lu avec plaisir, certes comme un policier bien Ă©crit, mais aussi et peut-ĂȘtre surtout comme une Ă©tude de l'espĂšce humaine, ses passions, ses comportements sordides, sa dĂ©sespĂ©rance. Ce roman a reçu le Prix Goncourt des LycĂ©ens et le Grand Prix du Roman de l'AcadĂ©mie Française 2012 ©HervĂ© Gautier - Avril 2019. La vie automatique – Christian Oster Éditions de l'Olivier A quoi ça tient quand mĂȘme hasard, un fait qui arrive et qu'on laisse se dĂ©rouler sans rĂ©agir parce que, inconsciemment on l'attendait depuis longtemps. C'est un peu ce qui arrive Ă  Jean Enguerrand, acteur de troisiĂšme zone qui, parce qu'il a hĂ©ritĂ© d'un cageot de courgettes par erreur, qu'il a voulu les cuisiner et les a oubliĂ©es sur le feu, voit sa maison brĂ»ler et en profite pour disparaĂźtre et entamer une nouvelle vie. On a l'impression qu'il est soulagĂ© par cet Ă©vĂ©nement alors que, pour le commun des mortels, ça devrait ĂȘtre un drame. Il prend le train pour Paris bien dĂ©cidĂ© Ă  s'effacer de ce monde, un peu comme si sa propre vie lui Ă©tait devenue complĂštement indiffĂ©rente , comme si cet Ă©vĂ©nement Ă©tait pour lui l'occasion d'oublier dĂ©finitivement quelque chose, de tourner la page ! De cela nous ne saurons rien et il gardera son secret. Il a conscience de n'ĂȘtre rien et cela ne le dĂ©range pas. Sa vie est une sorte de vide, il ne souhaite mĂȘme pas rĂ©agir devant cet Ă©tat de chose qui fait partie de sa vie mais qui, maintenant, Ă  cause de l'incendie de sa maison, se rĂ©vĂšle dans toute son Ă©vidence. Il logera simplement Ă  l'hĂŽtel ! Dans son mĂ©tier, il croise des gens, sĂ»rement semblables Ă  lui mais c'est la mĂȘme indiffĂ©rence Ă  leur Ă©gard. Pourtant dans cette sociĂ©tĂ© qui est la nĂŽtre, il convient de se mettre en valeur, de se vendre », de rĂ©ussir, faute de quoi il ne manque pas de gens pour jeter l'anathĂšme sur vous, vous culpabiliser ou simplement vous dĂ©truire. Ainsi dĂ©tonne-t-il sur ses contemporains, mais peu lui chaut parce que, il le sait, son nom ne sera jamais en haut de l'affiche, tout juste au gĂ©nĂ©rique de films de sĂ©rie B. Il fait quand son mĂ©tier de comĂ©dien, se lance mĂȘme dans le théùtre, mais le fait d'une maniĂšre dĂ©tachĂ©e, comme pour gagner simplement sa vie. Pourtant son errance l'amĂšne par hasard chez France, une ancienne actrice qui a eu son heure de gloire mais qui veut, elle aussi, tout oublier. Ils se sont peut-ĂȘtre croisĂ©s sur les plateaux dans une autre vie, mais Jean a toujours Ă©tĂ© vouĂ© aux rĂŽles secondaires. Il squatte cependant chez elle parce qu'elle l'y invite mais ils ne deviendront cependant pas amants comme on pourrait s'y attendre! Puis ce sera Charles, le fils de France qu'il suivra dans ses dĂ©rives psychiatriques. Assez bizarrement Jean se donne pour mission, un peu Ă  la demande de France, de le surveiller et sans doute aussi de le soutenir, s'attache Ă  lui comme une ombre au point qu'on peut se demander si, par une sorte de transfert, il ne souhaite pas le sauver, l'insĂ©rer dans une sociĂ©tĂ© dans laquelle lui, Jean, ne veut plus entrer, un peu comme si cette rencontre avait dĂ©clenchĂ© chez lui une sorte de regain d'intĂ©rĂȘt pour la vie de l'autre, Cette posture se justifie Ă  la fin par le geste de Charles qu'il analyse en une invitation Ă  contourner ce monde. Il y a entre Jean et France une communautĂ© de vue, mais apparente seulement. France souhaite revenir au théùtre et le fait avec talent mais Jean au contraire veut le fuir comme il veut fuir tout ce qui est autour de lui, C'est un personnage assez insaisissable, qui peut paraĂźtre un peu extravagant, pas tellement dĂ©sagrĂ©able cependant, qui jette sur l'existence un regard dĂ©sabusĂ© et mĂȘme dĂ©sespĂ©rĂ© parce qu'il ne se sent mĂȘme plus concernĂ© par sa propre vie. Alors, une vie automatique », comme si un mĂ©canisme dĂ©roulait son ressort dans le vide, une sorte d'inaptitude Ă  vivre normalement comme le commun des mortels. Mais Jean ne se laissera pas aller Ă  un geste lĂ©tal et attendra la mort avec fatalisme voire curiositĂ© parce que simplement elle la conclusion normale de cette vie C'est Ă©crit simplement, sans doute Ă  l'image de ce Jean de plus en plus dĂ©tachĂ© de tout. Ce style est un peu dĂ©concertant quand mĂȘme. Je ne suis pas fan des hĂ©ros qui crĂšvent l'Ă©cran et, mĂȘme si cette fiction est quelque peu Ă©tonnante et dĂ©calĂ©e, j'y suis entrĂ© quand mĂȘme. Ce Jean m'a rappelĂ© le personnage de Pessoa, le grand Ă©crivain portugais qui a vĂ©cu une vie en pointillĂ©s dans le quartier populaire de Lisbonne comme simple employĂ© de bureau ou peut-ĂȘtre celui du capitaine Drogo du DĂ©sert des tartares » de Dino Buzzati qui attend quelque chose qui ne viendra jamais. Avaient-ils rĂ©solu d'attendre que la vie qu'ils avaient imaginĂ©e pour eux tienne ses promesses, oubliant que dans ce domaine leur imagination n'engendre que des fantasmes toujours déçus. Jean. aussi a eu conscience de n'ĂȘtre rien, une sorte d'anti-hĂ©ro solitaire et marginal mais en rĂ©alitĂ© qui me plaĂźt bien. Il ne m'est pas antipathique du tout, bien au contraire et vouloir vivre en dehors de cette sociĂ©tĂ© de plus en plus contestĂ©e, de cette vie qui n'est finalement qu'une agitation vaine et dĂ©risoire, ne me paraĂźt pas absurde le moins du monde. ©HervĂ© GAUTIER – FĂ©vrier 2019 Amok – Stefan Zweig Stock Traduit de l'allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac C'est un recueil de trois nouvelles. La premiĂšre, qui lui donne son titre, Ă©voque une sorte de folie meurtriĂšre chez les Maltais Amok et ceux qui en sont victimes portent aussi ce nom. C'est ce qui est arrivĂ© Ă  ce mĂ©decin europĂ©en de la jungle qui a refusĂ© par orgueil de venir en aide Ă  une femme blanche de la bonne sociĂ©tĂ© et qui le regrette au point de la poursuivre frĂ©nĂ©tiquement, en vain. Il y a dans leur attitude respective de l'attachement amoureux chez le mĂ©decin ainsi qu'une volontĂ© de se racheter et de l’orgueil hautain et destructeur chez cette femme, une sorte de stupiditĂ© paralysante et suicidaire pour les deux. La deuxiĂšme, Lettre d'une inconnue », est la lettre d'une jeune femme qui va se donner la mort et qu'elle destine Ă  un Ă©crivain connu et riche sĂ©ducteur qui fut son amant d'un soir et Ă  qui elle rĂ©vĂšle la mort de son enfant ainsi qu'un secret qu'il ne pouvait connaĂźtre. La troisiĂšme, La ruelle au clair de lune », se passe dans un port argentin et son quartier chaud avec ses bars et ses bordels. MĂȘme si on trouve de la poĂ©sie aux ruelles sombres, elles abritent toujours une faune interlope, des habituĂ©s et des putes. L'homme que rencontre le narrateur est un ĂȘtre abandonnĂ© par son Ă©pouse tombĂ©e dans la prostitution et qui l'humilie. Il y a dans ces nouvelles Ă  la fois une crainte et un dĂ©sir de la mort face Ă  l'impuissance ou Ă  l'inutilitĂ© dĂ©sormais Ă©vidente de la vie. Dans ces situations la vie n'est pas belle comme on nous en rebat un peu trop les oreilles, mais au contraire est une Ă©preuve constante qui justifie ou peut justifier l'atteinte Ă  sa propre existence ou Ă  celle de l'autre qui la pourrit. A cela s'ajoute le culte du secret, le respect de la parole, celle qu'on donne Ă  un autre et qu'on se donne Ă  soi-mĂȘme, la volontĂ© que personne ne sache la vĂ©ritĂ© sur un drame devenu une chose Ă  cacher, mais que le hasard contribue Ă  rĂ©vĂ©ler... Nous assistons au dĂ©roulement d'Ă©vĂ©nements qui annihilent la libertĂ© individuelle comme si le destin implacable se manifestait soudain dans le quotidien et bouleversait dĂ©finitivement les choses au point que les personnages, lassĂ©s peut-ĂȘtre de vouloir agir, mais dĂ©sespĂ©rĂ©s par le cours que prennent les circonstances, s'en remettent au hasard pour finalement s'autodĂ©truire posant cet acte comme le seul qui vaille dans cette vie dont ils veulent enfin se libĂ©rer. Dois-je rappeler que Stefan Zweig lui-mĂȘme devait sans doute voir ainsi les choses puisqu'il s'est suicidĂ©. Monologue dans un cas, lettre d'amour anonyme et tĂ©moignage quasi solitaire dans les autres, nous avons lĂ  une confession qui prĂ©cĂšde la mort et la sanction qu'on s'inflige est avant tout une dĂ©livrance de cette vie dĂ©sormais insupportable. Au-delĂ  de l'absence de noms qui est un artifice parfois inutile, l'anonymat est important dans ces textes oĂč les personnages principaux racontent leur histoire. Il donne sa tonalitĂ© de l'ensemble du recueil, un peu comme si, indĂ©pendamment de chaque contexte, tout cela ressortait de la condition humaine, appartenait Ă  chacun d'entre nous simplement parce que, s'agissant de l'amour que nous avons tous un jour ou l'autre ressenti, cela ne peut pas ne pas nous parler. Dans ces trois nouvelles, l'amour est associĂ© Ă  la mort, c'est encore une fois Éros qui danse avec Thanatos dans une sarabande infernale. Il y a le personnage principal, celui qui parle et qui ressent les choses. Il est humiliĂ© par celui ou celle pour qui il Ă©prouve de l'amour et qui le dĂ©cevra forcĂ©ment parce qu'il ou elle le mĂ©prise ou l'ignore. C'est souvent l'image de la condition humaine quand l'amour n'est pas partagĂ© et qu'on met en scĂšne des personnages orgueilleux et qui se considĂšrent comme supĂ©rieurs aux autres, se croient tout permis et ne peuvent donc frayer qu'avec leurs semblables en jetant sur le reste du monde un regard condescendant. Il y a de la folie dans tout cela, celle du mĂ©decin devenu Amok », celle de la femme inconnue qui n'a plus rien au monde, celle de ce pauvre homme qui veut croire que sa femme reviendra Ă  lui alors qu'il finira par la tuer dans un geste dĂ©sespĂ©rĂ©. Ces nouvelles sont une analyse de l'espĂšce humaine et notamment tout ce qui concerne la fiertĂ©. Le mĂ©decin commence par refuser son assistance Ă  la femme parce que celle-ci ne veut pas le supplier de lui venir en aide. L'homme de la derniĂšre nouvelle attend de son Ă©pouse qu'elle le remercie pour l'avoir sortie de la pauvretĂ© et c'est aussi une certaine forme d'orgueil, conjuguĂ© il est vrai avec un amour fou, qui fait que la femme de la deuxiĂšme nouvelle refuse le mariage avec des hommes fortunĂ©s pour ne vivre qu'avec son enfant et le souvenir idĂ©alisĂ© de son seul amant. Il y a aussi cette incroyable lĂ©gĂšretĂ© de ceux qui se croient autorisĂ©s Ă  infliger Ă  leurs semblables toutes les vilenies avec cette volontĂ© d'humilier l'autre, surtout quand il s'agit de son conjoint. L'homme de la troisiĂšme nouvelle qui prend plaisir Ă  rabaisser son Ă©pouse en lui refusant de l'argent est lui-mĂȘme mortifiĂ© par elle quand il veut la reprendre. J'ai, comme Ă  chaque fois que je lis une Ɠuvre de Stefan Zweig, apprĂ©ciĂ© Ă  la fois le style fluide et agrĂ©able Ă  lire de l'auteur autant que la finesse de l'analyse des sentiments et de la condition humaine. © HervĂ© Gautier – Janvier 2019 Elsa mon amour - Simonetta Greggio Flammarion Elsa Morante 1912-1985, Ă©crivain et non pas Ă©crivaine de grand talent, de nos jours injustement oubliĂ©e, a Ă©tĂ© l'Ă©pouse, Ă  partir de 1941 et durant toute sa vie d'Alberto Moravia 1907-1990 Ă©galement Ă©crivain et ce malgrĂ© leur sĂ©paration et ses nombreuses maĂźtresses. Elle l'a suivi dans son exil provoquĂ© en 1943 et 1944 par le fascisme. Ce roman est l'histoire de la vie d'Elsa, mais pas vraiment une biographie au sens habituel malgrĂ© les nombreux biographĂšmes Ă©grenĂ©s dans ce livre, mais plutĂŽt un rĂ©cit oĂč le rĂȘve, l'illusion, prennent un peu, l'espace d'un instant, la place du rĂ©el, en modifie les apparences. Cela donne un rĂ©cit acerbe et un peu dĂ©sabusĂ© et Simonetta Greggio prĂ©cise elle-mĂȘme qu'il s'agit d'une fiction oĂč elle se glisse dans la peau d'une Elsa qui prend la parole en refaisant le chemin Ă  l'envers. Elle n'Ă©chappe pas Ă  la rĂšgle commune Ă  chacun d'entre nous qui, parce que notre vie ne ressemble pas Ă  ce dont nous avions rĂȘvĂ©, Ă  ce que nous avons cru qu'elle nous rĂ©servait au point de l'Ă©riger en promesses, se laisse aller Ă  son dĂ©sarroi et la repeint en couleurs vives, mais ce badigeon s'Ă©caille au fils du temps. Nous avons beau rejouer cette comĂ©die en faisant semblant d'y croire, de nous rĂ©fugier dans la beautĂ©, la perfection ou l'imaginaire, nous dire que tout peut arriver, au bout du compte il nous reste les regrets, les remords, la culpabilitĂ© peut-ĂȘtre de n'avoir pas fait ce qu'il fallait ou nous incriminons la malchance... Ainsi, sous la plume de l'auteure de La douceur des hommes », Elsa Morante fait, dans un texte rĂ©digĂ© Ă  la premiĂšre personne, directement au lecteur la confidence de sa vie, de son parcours, jusqu'aux dĂ©tails les plus intimes. Avant de rencontrer Moravia, elle avait connu des ruptures avec sa famille, des annĂ©es de galĂšre financiĂšre, n'Ă©tait qu'un Ă©crivain en devenir, avec pour soutien des amours de passage et surtout cette envie d'Ă©crire qui sera sa passion toute sa vie, qui sera sans doute comme un exorcisme Ă  ses illusions, Ă  ses peines, Ă  son absence de bonheur et d'amour. Quand elle croise Moravia, ils sont Ă  peu prĂšs du mĂȘme Ăąge et lui est dĂ©jĂ  couronnĂ© par la succĂšs de ses romans. En outre ce qui les rapproche est sans doute leur demi-judĂ©itĂ© commune et sĂ»rement aussi le dĂ©sir Nous avons cela en commun, Moravia et moi. Nous ne lambinons pas avec le dĂ©sir ». Ce fut peut-ĂȘtre de sa part Ă  elle, un amour sincĂšre mais elle nos confie qu'Alberto Ă©tait Ă  la fois passionnel et infidĂšle, indĂ©chiffrable » Ă  la fois amoureux fou de ses conquĂȘtes de passage et homosexuel non assumĂ©. Elle qui n'avait pas connu le bonheur avec ses parents n'aura pas non plus un mariage heureux mais, malgrĂ© leur sĂ©paration, refusera le divorce, par principe elle Ă©tait l'Ă©pouse d'Alberto Moravia et le restera ou pour des raisons religieuses. Ainsi l'histoire de cette longue liaison 49 ans, consacrĂ©e par le mariage ne fut pas un long chemin tranquille avec au dĂ©but la fuite Ă  cause des rafles de juifs, la peur d'ĂȘtre dĂ©noncĂ© et d'ĂȘtre dĂ©portĂ© et plus tard, la paix revenue, un quotidien houleux oĂč elle a Ă©tĂ© malheureuse de trop vouloir ĂȘtre aimĂ©e et d'avoir gauchement tout fait pour ĂȘtre dĂ©testĂ©e. La symbolique de la pluie, l'univers Ă©nigmatique des chats accompagnent cette ambiance un peu dĂ©lĂ©tĂšre tissĂ©e par l'indiffĂ©rence de son mari devenu aussi un rival, l'abandon, la fuite ou la mort de ses amants successifs. Nous ne sommes qu’usufruitiers de cette vie qui nous est confiĂ©e avec la mission non Ă©crite et quelque peu hasardeuse d'en faire quelque chose. La sienne Elsa l'a dĂ©diĂ©e Ă  l'Ă©criture, Ă  l'amour par passion, Ă  la patience, Ă  la souffrance aussi, sans pour autant l'avoir voulue,mais qui est, elle aussi, un Ă©lan vers les mots. C'est avec ces mĂȘmes mots qu'elle parle des maĂźtresses de son mari, de son inconstance mais aussi de la pĂ©riode noire de Mussolini qui endeuilla l'Italie. Elle ne rĂ©siste pas non plus Ă  nous confier des anecdotes sur ses contemporains plus ou moins liĂ©s au fascisme, Ă  la mafia, Ă  la culture, peut-ĂȘtre pour tromper son ennui et surtout sa solitude. Elle les meublera en tombant Ă  son tour amoureuse d'autres hommes, parfois des homosexuels mais reviendra toujours vers Moravia et surtout vers l'Ă©criture. Elle devint un Ă©crivain majeur de la littĂ©rature italienne.. Il y a des dĂ©tails biographiques trĂšs prĂ©cis, des citations qui tĂ©moignent d'un travail de documentation trĂšs poussĂ©, des envolĂ©es poĂ©tiques Ă©mouvantes et mĂȘme envoĂ»tantes, le tout ressemblant Ă  un tableau composĂ© par petites touches d'oĂč la personnalitĂ© et la sensibilitĂ© de Simonetta Greggio ne sont sans doute pas absentes. Parfois j'ai mĂȘme eu l'impression que, derriĂšre Elsa qui est censĂ©e s'exprimer Ă  la premiĂšre personne, c'est carrĂ©ment elle qui parle au cours de ce bel hommage. J'apprĂ©cie depuis longtemps l'Ă©criture de Simonetta Greggio, sa sensibilitĂ© littĂ©raire, ses choix et la qualitĂ© de ses romans, mais aussi sans doute parce que elle, Italienne, choisit d'Ă©crire directement en français, ce que je prends comme un hommage Ă  notre si belle langue. © HervĂ© Gautier – Novembre 2018 Les chasseurs dans la neige – J-Yves Laurichesse HDougier Tout commence par un coup de cƓur d'enfance de Jean-Yves Laurichesse pour un tableau, Les chasseurs dans la neige » et pour son auteur, le peintre flamand Pieter Bruegel 1525-1569 , dit l'Ancien, par opposition Ă  ses deux fils qui ont, eux aussi, suivi la voie de la peinture. Puis, bien des annĂ©es plus tard, quand la vie s'est installĂ©e, il retrouve intacte cette fascination qui non seulement ne s'est pas altĂ©rĂ©e, s'est mĂȘme affermie avec le temps et peut-ĂȘtre a donnĂ© pour soi-mĂȘme l'envie de laisser une trace de son passage sur terre. Naturellement il veut en savoir plus sur l’Ɠuvre et sur l'auteur, sur sa vie et ses passions, alors, comme une sorte de tĂ©moin qui se joue du temps, il pĂ©nĂštre dans le tableau ou plus exactement se projette Ă  l'Ă©poque de sa conception, inventant les phases et les circonstances de sa crĂ©ation, les rencontres que le peintre aurait pu faire. Il y a ce que la toile reprĂ©sente, une scĂšne figĂ©e dans la neige, mais surtout ce que le spectateur ordinaire ne peut voir, et, par l'extraordinaire puissance de l'imagination humaine, Bruegel, par le truchement de Laurichesse, rĂ©vĂšle sa prĂ©sence virtuelle qui peu Ă  peu devient bien rĂ©elle. C'est un homme de quarante ans, un peintre venu de Brussel en cette annĂ©e 1565 pour croquer une fĂȘte de village flamand en hiver, une commande d'un riche client d'Anvers sur le thĂšme des mois de l'annĂ©e. Dans ce village, il a parlĂ© et mĂȘme dansĂ© avec Maeke, puis a disparu, laissant Ă  la jeune fille un souvenir Ă©mu. Plus tard il est revenu pour affiner ses croquis, noter des dĂ©tails qui, dans sa toile Ă  venir prendront une grande importance. Il se dit que peindre ainsi des scĂšnes authentiques est bien mieux que d'Ă©voquer des Ă©vĂ©nements historiques ou bibliques comme il l'a dĂ©jĂ  fait et prĂ©fĂšre la compagnie de gens simples Ă  celle des bourgeois riches, et peut-ĂȘtre aussi celle de Maeke, cette jeune brodeuse rĂ©servĂ©e et travailleuse de ce village perdu. MĂȘme si ses tableaux sont cĂ©lĂšbres dans le monde entier, on sait peu de choses de la vie de Bruegel. C'est sans doute pour cela que Jean-Yves Laurichesse lui prĂȘte une parcelle d'existence parmi ces gens qu'il dĂ©couvre. Les relations qu'il a avec Maeke sont empreintes de respect, de retenue, d'admiration rĂ©ciproque. La jeune fille apparaĂźt comme une sorte d'inspiratrice, un prĂ©texte Ă  la crĂ©ation de cette Ɠuvre oĂč pourtant elle ne figure pas. C'est une rĂ©vĂ©lation rĂ©ciproque puisque, Ă  l'occasion de ce tableau, la jeune fille prend soudain conscience de la beautĂ© des lieux reprĂ©sentĂ©s par le peintre ; ils faisaient Ă  ce point partie de son quotidien qu'elle ne les apprĂ©ciait mĂȘme plus. Il Ă©voque Pieter, malgrĂ© des apparences bourgeoises, comme un homme bienveillant et bon, attentif Ă  ces paysans qu'il ne connaĂźt pas et aussi Ă  l'avenir de la jeune fille, Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai bien voulu croire Ă  cette tranche de vie, vue Ă  travers ce tableau qui s'est lentement composĂ© dans sa tĂȘte avant de prendre forme sur la toile. J'ai, bien sĂ»r, cru aux difficultĂ©s de composition, aux failles de la mĂ©moire, Ă  l'impossibilitĂ© toujours possible de faire partager, Ă  travers les formes et les couleurs, l'Ă©motion intime du crĂ©ateur qui prend sans doute plaisir Ă  imaginer, Ă  propos d'un petit dĂ©tail d'une toile, les interrogations du spectateur quelques siĂšcles plus tard. J'ai aimĂ© aussi cette phase de doute qui Ă©treint l'artiste avant qu'il dĂ©crĂšte son Ɠuvre terminĂ©e au point que cela nĂ©cessite un Ɠil extĂ©rieur, et avec lui la crainte de la critique ou de l'indiffĂ©rence. C'est aussi une Ă©vocation peu flatteuse de la nature humaine, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, avec son cortĂšge d'hypocrisies, de mĂ©disances, de bassesses, et cette jeune fille pure en fait l'expĂ©rience bien malgrĂ© elle. Cela peut paraĂźtre un roman miĂšvre dans son dĂ©roulement et dans son Ă©pilogue, quand une certaine forme de littĂ©rature nous a habituĂ©s Ă  la violence et aux excĂšs, mais il n'en est rien et je suis entrĂ© de plain-pied dans cette fiction. J'ai rencontrĂ© l'Ɠuvre de Jean-Yves Laurichesse par hasard et des bons moments de lecture aux accents poĂ©tiques que cette rencontre a suscitĂ©s. Je me suis laissĂ© entraĂźnĂ© dans cette dĂ©marche crĂ©atrice Ă  l'occasion de ce roman, parce que, il y a de cela bien longtemps, un pareil Ă©merveillement Ă  propos d'un autre peintre, s'Ă©tait emparĂ© de moi et j'ai apprĂ©ciĂ© cette maniĂšre qu'a notre auteur d'inviter son lecteur Ă  partager son Ă©motion ; il le fait avec de courts chapitres Ă  l'Ă©criture fluide comme les touches d'un pinceau posĂ© sur la toile et l'ambiance qui en rĂ©sulte est paisible comme l'est ce paysage d'hiver. La poĂ©sie que j'ai tant apprĂ©ciĂ©e lors de mes lectures prĂ©cĂ©dentes Ă©tait Ă©galement au rendez-vous. © HervĂ© Gautier – Septembre 2018 Dora Bruder – Patrick Modiano Gallimard Tout commence par un entrefilet paru dans un numĂ©ro de Paris-Soir le 31 dĂ©cembre 1941, retrouvĂ© par hasard par l'auteur en dĂ©cembre 1988. Il s'agit de la disparition d'une jeune fille parisienne de 15 ans, Dora Bruder. L'auteur dĂ©cide donc d'enquĂȘter sur cette jeune fille qui n'a aucune parentĂ© avec lui. Il rĂ©unit donc tous les Ă©lĂ©ments de la vie de cette jeune fille, une juive que ses parents n'ont pas dĂ©clarĂ©e en tant que telle, qui ne porte donc pas l'Ă©toile jaune et qui est scolarisĂ©e dans une institution catholique de Paris. En recherchant sa trace, il retrouve nombre de documents d'archive administratifs et policiers la concernant pour la pĂ©riode 1941-1942. Les origines personnelles de Modiano ainsi que son travail sur la mĂ©moire motivent sans doute ses recherches et il ne peut s'empĂȘcher de faire allusion Ă  des passages de sa propre existence et de celle de son pĂšre et ainsi de s'identifier Ă  Dora. Bien que la pĂ©riode et les circonstances soient diffĂ©rentes, que les lieux aient changĂ©, il met en perspective, dans une sorte de va et vient, les quelques bribes connues de la biographie de la jeune fille avec sa propre vie. Ainsi inscrit-il son parcours dans diffĂ©rentes rues et quartiers de Paris qu'il parcourt Ă  pied et qui lui sont familiers. Dora fit de nombreuses fugues dont nous ne savons ni les raisons ni la durĂ©e puis rĂ©intĂ©gra le domicile de ses parents et ces diffĂ©rentes escapades lui rappelĂšrent celle qu'il fit lui-mĂȘme pour Ă©chapper au pensionnat. Il s'agit donc d'un rĂ©cit biographique oĂč il mĂȘle des Ă©lĂ©ments autobiographiques, deux adolescences tourmentĂ©es, torturĂ©es. D'elle on ne sait que peu de choses, un caractĂšre rebelle et indĂ©pendant, des absences, des adresses d'hĂŽtels minables, une existence dure et ponctuĂ©e de rituels religieux dans une institution catholique qui, par charitĂ©, recevait des juives pour qu'elles Ă©chappent Ă  la mort. De mĂȘme on sait peu de choses de ses parents d'origine Ă©trangĂšre qui ne furent guĂšre aidĂ©s par un pays dont on dit qu'il protĂšge les droits de l'homme et que le pĂšre de Dora servit comme soldat dans la lĂ©gion Ă©trangĂšre, ce qui ne lui valut cependant pas la nationalitĂ© française. Ses investigations, qui font apparaĂźtre cependant de nombreuses zones d'ombre, des interrogations non Ă©lucidĂ©es, des hypothĂšses dont les diffĂ©rents romans de Modiano sont coutumiers, rĂ©vĂšlent que Dora a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©e Ă  la prison des Tourelles, puis Ă  Drancy pour finalement ĂȘtre internĂ©e Ă  Auschwitz en septembre 1942. A des pĂ©riodes diffĂ©rentes, son pĂšre et sa mĂšre pĂ©riront comme elle dans ce camp. Ce rĂ©cit n'est pas un roman mais un travail de mĂ©moire, une enquĂȘte oĂč, sans dĂ©laisser sa traditionnelle et douce musique des mots, l'auteur s'approprie par moments un style plus administratif et neutre. Il met d'ailleurs de cĂŽtĂ© son imagination pour n'ĂȘtre finalement que le chroniqueur de cette histoire. Cette sobriĂ©tĂ© est sans doute destinĂ©e Ă  appuyer sur les silences qui peuplent la vie de Dora. Modiano n'a guĂšre Ă©tĂ© aidĂ© dans ses recherches puisque les archives qui retraçaient la collaboration de la police et de la gendarmerie françaises avec l'occupant allemand ont Ă©tĂ© brĂ»lĂ©es, sans doute pour faire disparaĂźtre cette page sombre et honteuse de notre histoire. Les traces qui subsistent sont tĂ©nues, des lettres dĂ©sespĂ©rĂ©es de gens qui s'inquiĂštent de la disparition d'un proche ou sollicitent une libĂ©ration. Encore nous Ă©pargne-t-il toutes les missives sordides qui dĂ©nonçaient un voisin ou un proche pour des motifs inavouables et qui faisaient elles aussi partie de cette pĂ©riode autant qu'elles rĂ©vĂ©laient la vraie nature de l'espĂšce humaine. L'auteur confesse d'ailleurs qu'il Ă©tait tellement obsĂ©dĂ© par la disparition de Dora qu'il fit prĂ©cĂ©der le prĂ©sent ouvrage qu'il lui dĂ©die par un autre roman, Voyage de noces » La Feuille Volante n° 1126 oĂč les ressemblances entre les deux Ɠuvres sont patentes. Il avoue lui-mĂȘme En dĂ©cembre 1988, aprĂšs avoir lu l'avis de recherche de Dora Bruder dans Paris-Soir »  , je n'ai jamais cessĂ© d'y penser durant des mois et des mois...Il me semblait que je ne parviendraisjamais Ă  retrouver la moindre trace de Dora Bruder. Alors, le manque que j'Ă©prouvais m'a poussĂ© Ă  l'Ă©criture d'un roman Voyages de Noces », un moyen comme un autre pour continuer Ă  concentrer mon attention sur Dora Bruder ». Pourtant la jeune fille est bizarrement absente de ce rĂ©cit, comme Ă©trangĂšre Ă  sa courte vie et cet effet est sans doute destinĂ© Ă  souligner le peu de traces qu'elle a laissĂ©es, tout comme d'ailleurs tous ceux et celles qui disparurent Ă  cette Ă©poque pour la seule raison qu'ils Ă©taient juifs. D'ailleurs, certains de leurs noms apparaissent furtivement dans ce rĂ©cit. Pour autant ce livre qui dĂ©sormais fait partie de la bibliographie de l'auteur nobĂ©lisĂ© a suscitĂ© une telle Ă©motion que le XVIII° arrondissement de Paris, et donc la mĂ©moire collective, conservent le souvenir de cette jeune fille depuis juin 2015, sous la forme de la Promenade Dora Bruder ». On voit ainsi que Modiano qui est toujours l'explorateur de ses propres souvenirs, mĂȘle ici la nostalgie Ă  l'horreur et se montre hantĂ© par la Shoa autant que par l'oubli qui accompagne la disparition des lĂ©gions d'anonymes fauchĂ©s par la guerre et la dĂ©portation et qui ne laissent pas de traces de leur passage sur terre, tant il est vrai qu'un mort ne l'est jamais autant que lorsque les vivants ne pensent plus Ă  lui , l'amnĂ©sie faisant partie de notre condition. Cette petite annonce imprimĂ©e sur un journal du soir a donc un prolongement, des annĂ©es aprĂšs, dans un document qui vient enrichir la littĂ©rature française. Personnellement j'y vois la force extraordinaire de l'Ă©criture qui, paradoxalement s'inscrit d'abord sur un fragile support de papier pour ensuite nourrir notre mĂ©moire commune Ainsi on ne peut pas ne pas penser au journal d'Anne Franck dont ce livre est en quelque sorte l'Ă©cho. © HervĂ© GAUTIER – Juillet 2018 Un homme - Philip Roth Gallimard L'histoire commence dans un petit cimetiĂšre juif un peu dĂ©labrĂ© oĂč un homme va ĂȘtre enterrĂ©. Cette petite cĂ©rĂ©monie rĂ©unit sa fille, nĂ©e d'un second mariage qui l'adore et qui prononce quelques mots sur sa tombe, mais aussi deux fils, nĂ©s d'une premiĂšre union houleuse, qui le mĂ©prisent parce qu'il a abandonnĂ© leur mĂšre, son frĂšre aĂźnĂ©, une infirmiĂšre qui s'Ă©tait occupĂ© de lui avant son dĂ©cĂšs et quelques collĂšgues... Cet enterrement n'a cependant rien d'exceptionnel, juste quelques poignĂ©es de terre jetĂ©es sur le cercueil, quelques paroles puisĂ©es dans le chagrin et le souvenir mais aussi des marques d'indiffĂ©rence, de soulagement, de rancƓur mĂȘme... Par une classique analepse, l'auteur va retracer la vie de cet homme, dont nous ne connaĂźtrons pas le nom. Enfant de santĂ© fragile, il avait Ă©tĂ© l'objet des soins attentifs de ses parents. Il est devenu un homme torturĂ© par des affections cardio-vasculaires mais il envie et mĂȘme dĂ©teste ce frĂšre aĂźnĂ©, Ă  cause de sa bonne santĂ©... Il ne reprit pas la profession de son pĂšre, bijoutier juif, mais devint un publicitaire cĂ©lĂšbre puis s'est mis Ă  la peinture pendant ces annĂ©es de retraite. Ses trois mariages se soldĂšrent par autant de divorces entrecoupĂ©s de quelques liaisons amoureuses... C'est une vie banale qui nous est ainsi livrĂ©e par le narrateur comme s'il nous prenait Ă  tĂ©moin, celle d'un homme ordinaire, pleine de poncifs, de dĂ©sillusions, de frustrations, avec son lot de joies, d'Ă©preuves, d'amours et de rĂȘves brisĂ©s, d'erreurs, de prises de conscience que les choses changent, que le temps perdu ne se rattrape pas... Lui qui fut un amant ardent, il connaĂźt maintenant la perte du dĂ©sir, l'impossibilitĂ© de sĂ©duire..., Roth reprend devant nous, Ă  l'occasion de cette histoire, tous les truismes habituels loin des prĂ©occupations intellectuelles et philosophiques, avec la hantise ordinaire Ă  tout humain, celle de la vieillesse, de la solitude, de la mort. Cet homme n'attend rien d'un hypothĂ©tique autre monde ou d'une vie Ă©ternelle, les choses s'arrĂȘtent avec celle-ci, et tant pis si toute cette agitation n'a servi Ă  rien et ne dĂ©bouche que sur le nĂ©ant. Sa vie n'aura donc Ă©tĂ© qu'un vaste gĂąchis qu'il a lui-mĂȘme tressĂ©, remettant en cause ce qu'il avait pourtant patiemment construit. Dans notre sociĂ©tĂ©, il est sĂ»rement une sorte de parangon, lui dont la rĂ©ussite professionnelle a Ă©tĂ© avĂ©rĂ©e, dont la vie familiale a Ă©tĂ© un savant mĂ©lange d'adultĂšres, de mensonges, d'hypocrisies et de complicitĂ©s malsaines et mĂȘme coupables, d'humiliations imposĂ©es aux siens, comme si son existence ne se rĂ©sumait qu'Ă  une recherche effrĂ©nĂ©e de la jouissance sexuelle, du plaisir animal Ă  tout prix, dĂ»t-il lui sacrifier la stabilitĂ© de sa famille, sa respectabilitĂ©, la vie et l'amour de ses enfants... AprĂšs tout, il doit ĂȘtre comme un homme, cet ĂȘtre qui est en permanence habitĂ© par la folie de tout dĂ©truire autour de lui pour un peu de ce plaisir quĂȘtĂ© dans une rencontre avec une inconnue! Face Ă  ces renoncements successifs, il lui reste la peinture que pratique comme une sorte d'exorcisme ce Don Juan insatiable, toujours Ă  la recherche de femmes qui lui procureront du plaisir, mais qui, Ă  prĂ©sent, ne peut plus que les suivre du regard en fantasmant sur leur corps, en espĂ©rant qu'elles lui feront l'aumĂŽne d'une Ă©treinte. Quant au maniement du pinceau, cet exercice artistique devient lassant et il n'en retire plus rien... C'est un rĂ©cit un peu mĂ©lancolique, un rien dĂ©sabusĂ©, un peu tragique aussi si on estime que vivre de la naissance Ă  la mort en acceptant de n'ĂȘtre plus ce qu'on a Ă©tĂ©, est aussi participer Ă  une sorte de tragĂ©die. C'est assurĂ©ment dramatique aussi d'accepter sans peur la rĂ©alitĂ© de la mort, cet inĂ©vitable saut dans le nĂ©ant, parce que, quand on a goĂ»tĂ© Ă  la vie, on ne peut la quitter sans regret ni terreur. Le titre anglais evryman n'importe quel homme rĂ©sume assez bien le but de l'auteur; il s'agit de la vie de chacun d'entre nous qui est esquissĂ©e ici. Ce n'est donc pas exactement une fiction, mais la copie plus ou moins conforme dans sa diversitĂ© du parcours de chacun d'entre nous sur cette terre. Le style est dĂ©pouillĂ© et atteint son but, celui de nous donner Ă  voir cet homme » sans nom, et cela doit aussi valoir pour les femmes ?, un vĂ©ritable quidam, un ĂȘtre ordinaire dont on nous raconte la vie Ă©galement ordinaire, celui de nous faire partager, avec cet art consommĂ© du conteur, son passage sur terre plein de fougue mais finalement aussi plein de dĂ©sillusions et de bassesses. Une vĂ©ritable image de la condition humaine ! HervĂ© GAUTIER -Juin 2018 W ou le souvenir d'enfance – Georges Perec DenoĂ«l-1975 D'emblĂ©e, ce rĂ©cit a quelque chose de dĂ©concertant. Il se prĂ©sente sous la forme de deux textes, l'un autobiographique et l'autre fictif. L'effet recherchĂ© est sans doute celui du miroir nĂ© de l’alternance ou d'un enchevĂȘtrement complĂ©mentaire entre les deux, un peu comme si ce qui n'Ă©tait pas dit dans l'un ou que l'auteur ne pouvait Ă©crire de sa propre biographie l'Ă©tait dans l'autre, avec cependant une certaine pudeur et aussi une certaine volontĂ© d'expliquer les choses comme l'indique l'exergue de Raymond Queneau [ Cette brume insen­sĂ©e oĂč s'agitent des ombres, com­ment pourrais-je l'Ă©claircir ? »]. Assez bizarrement, quand il dĂ©bute l'autobiographie, Perec Ă©crit Je n'ai pas de souvenirs d'enfance ». Il va pourtant, Ă  travers les rĂ©miniscences nĂ©es de quelques photos jaunies et quelques bribes de mĂ©moire, nous dĂ©crire ce qu'elle a Ă©tĂ©. Il naĂźt le 7 mars 1936 Ă  Paris et ses parents sont des juifs polonais immigrĂ©s Peretz dont le pĂšre, qu'il n'a pratiquement pas connu, meurt sous l'uniforme au dĂ©but de la guerre en 1940. Pour le sauver, sa mĂšre l'envoie avec la Croix-Rouge Ă  Villars de Lans en zone libre oĂč il est baptisĂ© de son nom francisĂ© Perec. Il est ballottĂ© de familles en Ă©tablissements et de cela il ne garde que peu de souvenirs. Il ne reverra plus sa mĂšre puisqu’elle meurt Ă  Auschwitz. Le thĂšme de la disparition de ses proches hantera donc ce rĂ©cit et avec lui la douleur de leur absence. W » est une histoire de son enfance la vie exclusivement prĂ©occupĂ©e par le sport sur un Ăźlot de la Terre de Feu »,une sorte de sociĂ©tĂ© qui vit selon les valeurs olympiques. Quand il Ă©voque son enfance, brisĂ©e par l'absence de ses parents, cette derniĂšre est symbolisĂ©e par la lettre E » Ă  qui est dĂ©diĂ© ce livre [on se souvient que Perec a Ă©crit aussi un autre roman, La disparition », d'oĂč cette lettre est complĂštement absente et qui apparaĂźt deux fois dans son nom pourtant court. Cette disparition de ses parents est ressentie par lui comme une suprĂȘme injustice. La fiction est prĂ©sentĂ©e sous forme d'enquĂȘte policiĂšre le W apparaĂźt sous la forme d'un nom de la ville oĂč le narrateur, Gaspard Winckler, se rend au dĂ©but, et qui est aussi le nom d'un autre homme qui a disparu et qui se poursuit par une autre histoire qui se dĂ©roule dans une Ăźle, W » situĂ©e au bout du monde. Ce territoire comporte quatre villages, sorte de phalanstĂšres organisĂ©s, hiĂ©rarchisĂ©s qui abritent une sociĂ©tĂ© pratiquant les valeurs olympiques du sport, une sorte d'idĂ©al avec des rituels compliquĂ©s, trĂšs codifiĂ©s et parfois mĂȘme inattendus voire surrĂ©alistes pour les AthlĂštes », autant dire une certaine notion du bonheur inexistante dans son enfance, peut-ĂȘtre aussi un modĂšle Ă©ducatif dont l'absence de ses parents l'a privĂ©. Je note que dans cette collectivitĂ©, peut-ĂȘtre utopique, il semble exister des liens internes assez forts que Perec n'a pas connus dans son enfance, tiraillĂ© qu'il a Ă©tĂ© entre diffĂ©rents membres de sa parentĂšle. Petit Ă  petit, l'auteur pourtant dĂ©voile ces ombres comme on soulĂšve une couverture qui recouvre quelque chose. Il le fait comme Ă  son habitude, Ă  coup de rĂ©fĂ©rences personnelles Bartleby, Moby Dick de Herman Melville, la fuite, la vengeance, le bien et le mal et d'un dĂ©tail Ă  mes yeux significatif. W est le » souvenir d'enfance alors qu'on pourrait s'attendre Ă  voir ce nom au pluriel. Perec se livre Ă  une dĂ©monstration un peu forcĂ©e Ă  partir de cette lettre qui, manipulĂ©e physiquement devient un X, symbole de l'inconnu mathĂ©matique et judiciaire, signe aussi de l'ablation, mais Ă©galement une croix de Saint AndrĂ©, symbole de mort. Si on la double, c'est le signe qui apparaĂźt sur la casquette de Charlie Chaplin dans le film le dictateur », si on en prolonge les segments, elle devient une croix gammĂ©e » et, redessinĂ©, ce W » originel se transforme en une Ă©toile de David. Cette lettre est donc omniprĂ©sente et devient la marque indĂ©lĂ©bile de cette enfance assassinĂ©e. D'ailleurs tout au long de l'autobiographie, Perec fait allusion aux Allemands, Ă  la guerre, Ă  la peur d'ĂȘtre lui aussi l'objet d'un emprisonnement et d'une dĂ©portation. Il fait une discrĂšte allusion aux camps qu'il dĂ©couvre mais seulement Ă  la fin du rĂ©cit, note un parallĂšle Ă©tonnant entre les camps de concentration et la vie sur l'Ăźle W et remarque enfin que la dictature de Pinochet a installĂ© des camps de dĂ©portation dans les Ăźles de la Terre de Feu. Il avait d'ailleurs, au cours du rĂ©cit consacrĂ© Ă  la vie sur W, insistĂ© sur la cruautĂ© et l'humiliation voire l'inhumanitĂ© de certaines scĂšnes. Ces digressions ne sont pas destinĂ©es Ă  Ă©garer le lecteur mais bien au contraire Ă  lui tenir la main dans ce rĂ©cit volontairement labyrinthique. Il y a quelque chose de rĂ©vĂ©lateur dans cette technique oĂč s'entremĂȘlent la fiction et la rĂ©alitĂ©, la construction et la dĂ©construction, la mĂ©moire et l'imaginaire. Personnellement j'y vois une tentative de traduire une douleur ressentie par l'Ă©crivain qu'il tente d'exprimer sans pour autant pouvoir y parvenir laissant son lecteur face au non-dit ». Cela me rappelle les derniers mots Ă©crits de Romain Gary avant son suicide Je me suis enfin exprimĂ© complĂštement ». Ce livre n'est pas un roman au sens classique, il veut nous livrer un message bien plus important que ce qu'une fiction ordinaire est censĂ©e exprimer, Ă  la fois texte intime et pathĂ©tique, acte volontaire pour que l'oubli qui fait tant partie de notre vie ne recouvre pas trop vite celle des autres que nous avons aimĂ©s et qui nous ont quittĂ©s [ J'Ă©cris parce que nous avons vĂ©cu ensemble, parce que j'ai Ă©tĂ© un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps auprĂšs de leurs corps ; j'Ă©cris parce qu'ils ont laissĂ© en moi leur marque indĂ©lĂ©bile et que la trace en est l'Ă©criture ; l'Ă©criture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie »] . C'est ici son rĂŽle rendu Ă  l'Ă©criture comme acte de la mĂ©moire mais aussi l'occasion unique pour celui qui tient le stylo de construire, Ă  travers les souvenirs intimes de son enfance rien d'autre que sa propre vie ; autant dire une vĂ©ritable thĂ©rapie ! LĂ©on-Paul Fargue exprime cela quelque part avec une grande Ă©conomie de mots On ne guĂ©rit jamais de son enfance ». J'avoue que cette lecture m'a laissĂ© Ă  la fois dubitatif et surtout bouleversĂ©, comme si Perec, une nouvelle fois et au-delĂ  des mots, m'invitait Ă  comprendre autre chose qu'une simple histoire. Je suis peut-ĂȘtre passĂ© Ă  cĂŽtĂ© du message mais j'ai Ă©prouvĂ© le besoin de formaliser ici, et sans aucune prĂ©tention, mon sentiment de simple lecteur. ©HervĂ© GAUTIER – Mai 2018 L'ordre du jour - Eric Vuillard Actes sud Prix Goncourt 2 Nous sommes le 20 fĂ©vrier 1933 et Allemagne nazie s'apprĂȘtent Ă  recevoir l'hommage, sous forme de millions de deutschemarks, des industriels allemands, Krupp, Opel, Siemens, Bayer... vingt quatre capitaines d'industries qui plus tard puiseront dans les camps de concentration la main- d’Ɠuvre nĂ©cessaire Ă  leur essor. L'argent est le nerf de la guerre, comme on le sait et la guerre, les nazis ne demandent qu'Ă  la faire, elle assurera la fortune de ces gĂ©nĂ©reux donateurs ! Dans ce court rĂ©cit, Eric Vuillard se fait l'historien de cette pĂ©riode qui va de 1933 Ă  1938 au terme de laquelle sera enfin rĂ©alisĂ© le rĂȘve d'Hitler, d'unifier sous son autoritĂ© les pays de langue allemande, l'Allemagne et l'Autriche et tant pis si, pour en arriver lĂ , on bouscule un peu le droit, la diplomatie, le respect des frontiĂšres et mĂȘme les gouvernants puisque le chancelier autrichien Schuschnigg est remplacĂ© manu militari par le nazi Seyss-Inquart. Pourquoi se gĂȘnerait-il, le caporal autrichien devenu chancelier d'Allemagne, puisque la France et l'Angleterre semblent se dĂ©sintĂ©resser de tout cela ? D'ailleurs, plus tard, lors d'un dĂźner au 10 Downing Street, l'ambassadeur Ribbentrop qui allait devenir ministre du Reich, amusa Churchill, Chamberlain et Lord Catogan avec ses exploits sportifs pour mieux masquer cette information et retarder la rĂ©ponse britannique Ă  l'invasion de l'Autriche. C'Ă©tait le dĂ©but d'un processus qui se terminerait en septembre 1938 par les accords de Munich, l'annexion des SudĂštes tchĂ©coslovaques et la DeuxiĂšme Guerre Mondiale. Le plus Ă©tonnant sans doute fut que les Autrichiens accueillirent les envahisseurs nazis dans la liesse, Ă  grands renforts de saluts fascistes et Ă  leur tĂȘte Hitler, mĂȘme si tout ne s'est pas aussi bien passĂ© que prĂ©vu. AprĂšs tout, le dictateur Ă©tait un enfant du pays qui revenait chez lui ! Quant Ă  l'allĂ©gresse qui a accompagnĂ© cette entrĂ©e du FĂŒhrer, il ne faut tout de mĂȘme pas exagĂ©rer, on avait avant bien prĂ©parĂ© le terrain et l'ombre des SA s'Ă©tendait dĂ©jĂ  depuis quelques temps sur le pays, quant Ă  l'appui des panzers prĂ©vu pour accompagner ce qui est une vĂ©ritable prise de pouvoir, c'est plutĂŽt Ă  une panne mĂ©canique gĂ©nĂ©rale Ă  laquelle on a assistĂ©. On nous a montrĂ© des films de propagande des images sĂ©lectionnĂ©es comme toujours pour faire illusion, mais quand mĂȘme ! L'auteur nous donne des dĂ©tails par forcĂ©ment retenus par l'Histoire, insiste sur le bluff qui a prĂ©sidĂ© Ă  tout cela et l'incroyable crĂ©dulitĂ© du monde qui, Ă  ce moment-lĂ , a pliĂ© devant l'ahurissant culot d'Hitler, un peu comme si le conflit qui s'annonçait devenait inĂ©vitable. Il l'Ă©voque d'ailleurs Ă  propos Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent Ă  petits pas ». Cela rappelle l'invasion de la RhĂ©nanie, pourtant dĂ©militarisĂ©e par Hitler en mars 1936, un vĂ©ritable coup de poker qui, s'il avait Ă©tĂ© contrĂ© par la France comme cela eĂ»t Ă©tĂ© logique aurait sans doute changĂ© le cours de l'histoire. Devant l'apathie gĂ©nĂ©rale, le FĂŒhrer avait dĂ©cidĂ© d'agir parce que c'Ă©tait pour lui le moment favorable Ă  ses visĂ©es destructrices, une occasion de plus de bafouer le traitĂ© de Versailles et de s'imposer face aux atermoiements franco-britanniques. Cela a si bien fonctionnĂ© que Daladier et Chamberlain ont Ă©tĂ© acclamĂ©s Ă  leur retour de Munich comme les sauveurs de la paix ! Hitler n'a cessĂ© de dĂ©livrer un discours pacifique alors qu'il prĂ©parait et dĂ©veloppait la guerre, n'a cessĂ© d'affirmer aux Allemands eux-mĂȘmes l'Ă©tat impeccable de l'armĂ©e alors qu'il n'en Ă©tait rien, a dĂ©livrĂ© contre les Juifs un discours de haine et de mort. Cela a si bien fonctionnĂ© que l'Église catholique s'en est mĂȘlĂ©e, les curĂ©s appelant en chaire Ă  voter pour le parti nazi lors du rĂ©fĂ©rendum en faveur de l'Anschluss, parant les Ă©glises de drapeaux Ă  croix gammĂ©es. Le rĂ©sultat fut sans appel, un vĂ©ritable score digne d'une rĂ©publique bananiĂšre... et des suicides massifs de Juifs. Cela annonçait sans doute la connivence et le silence assourdissant du pape Pie XII face Ă  la Shoah, un peuple toujours considĂ©rĂ© Ă  l'Ă©poque comme dĂ©icide. J'ai rencontrĂ© l’Ɠuvre d'Eric Vuillard par hasard et mĂȘme si le thĂšme traitĂ© rappelle un moment peu glorieux de l'histoire de l'humanitĂ©, c'est Ă©crit avec conviction et talent et cela procĂšde aussi du devoir de mĂ©moire. © HervĂ© GAUTIER – Mai 2018 Les chaussures italiennes – Henning Mankell ed. Seuil Traduit du suĂ©dois par Anna Gibson. En prenant ce roman sur les rayonnages d'une bibliothĂšque, je pensais entrer encore une fois dans l'atmosphĂšre du roman policier dont Mankel est le crĂ©ateur. J'ai toujours apprĂ©ciĂ© l'ambiance créée par lui, le personnage de Kurt Wallander, policier humain et dĂ©sabusĂ©, le dĂ©paysement de ces ouvrages... Cette chronique s'en est souvent fait l'Ă©cho. Rien Ă  voir cependant avec une enquĂȘte policiĂšre cette fois, mais je n'ai pas regrettĂ©. En deux mots, cette histoire Ă©voque un chirurgien suĂ©dois de soixante-six ans, Fredrik, venu s'exiler sur une Ăźle de la Baltique parce que culpabilisĂ© par une erreur mĂ©dicale, une amputation inutile, faite par erreur douze ans plus tĂŽt et qui a mis fin Ă  une carriĂšre qui aurait Ă©tĂ© brillante. Il y vit seul, dans une vielle maison de pĂȘcheur qui a appartenu Ă  ses grands-parents, en compagnie de deux vieux animaux, une chienne et une chatte et
 une fourmiliĂšre envahissante ! Son activitĂ© se rĂ©sume Ă  faire des trous dans la glace pour s'y baigner et Ă  tenir le journal d'une vie qui a tournĂ© court et qui finit par ĂȘtre une chronique de la mĂ©tĂ©o du jour et de simples annotations brĂšves, presque incomprĂ©hensibles. Il n'a pour tout contact avec le monde extĂ©rieur que la visite de Jason, un facteur hypocondriaque et curieux qui le prend pour son mĂ©decin traitant. Autant dire qu'il attend la mort. Tout au long de ce rĂ©cit Fredrik Ă©crira et recevra des lettres, seul vrai moyen qu'il a choisi, mĂȘme Ă  l'Ă©poque du tĂ©lĂ©phone portable, pour correspondre avec ses semblables. MalgrĂ© son retrait du monde, vient Ă  lui Harriet, une femme qu'il a jadis aimĂ©e puis abandonnĂ©e, mais qui ne l'a jamais oubliĂ©. Elle est vieille et malade d'un cancer et ils vont faire ensemble un dernier voyage, parce qu'elle exige qu'il tienne une vielle promesse. Son obĂ©issance servile ressemble un peu Ă  un chemin de Canossa et est Ă  la mesure du remords qu'il Ă©prouve et du pardon qu'il espĂšre. Lui qui n'a jamais eu d'enfant, apprend qu'il est le pĂšre de Louise, une femme maintenant adulte, pour qui il ne peut avoir les sentiments que l'on ressent face Ă  un enfant, et qui est la fille d'Harriet. Ce fait va bouleverser sa vie et ses projets. Ce n'est cependant pas la seule femme qui va dĂ©bouler dans sa vie et la bouleverser mais la coĂŻncidence n'est pour rien dans la rencontre qu'il fait d'AgnĂšs, la femme qu'il avait amputĂ©e par erreur d'un bras et aussi ruinĂ© sa carriĂšre de nageuse de haut niveau. D'elle aussi il attend un pardon. Il y a beaucoup de dĂ©cĂšs humains et animaux tout au long de cette histoire, la camarde qui rĂŽde autour de lui parce que la mort est la seule chose qui en ce monde est certaine, mais aussi de solitude, d'abandon de regrets et de remords. La mort, il nous est simplement possible d'y faire Ă©chec avec des rituels et la permanence de la mĂ©moire, encore est-elle limitĂ©e Ă  la durĂ©e de notre propre vie. Pourtant, Ă  son Ăąge et dans son Ă©tat d'isolement Fredrik pensait qu'il Ă©tait enfin en rĂšgle avec sa vie et qu'il pouvait oublier toutes ses trahisons, comme si le temps Ă©tait capable de tout abolir, de tout rĂ©guler, mais ce sont des femmes qui vont se charger de rafraĂźchir sa mĂ©moire et surtout de raviver sa culpabilitĂ©. Il est donc question de pardon qu'il obtiendra peut-ĂȘtre avant de mourir Ă  son tour. Ce ne sera pas simple, Ă  l'aune sans doute de ses mensonges et de ses oublis. Il sera accordĂ©, simplement parce qu'il le demande, avec sincĂ©ritĂ© et repentance, par celles Ă  qui il a portĂ© prĂ©judice. Nous faisons en effet du mal par action mais aussi par omission, sans pour autant le vouloir effectivement. Tout cela prendra du temps et la ronde des saisons, avec son alternance de canicule et de glace, est lĂ  pour souligner ce long cheminement, avec le temps fort des solstices. Il pourra mourir sereinement, assurĂ© de s'ĂȘtre rachetĂ©. Je ne m'attendais pas Ă  ce genre de roman mais je l'ai trouvĂ© tout Ă  la fois passionnant et Ă©mouvant, fort bien Ă©crit et agrĂ©able Ă  lire. © HervĂ© GAUTIER – Avril 2018 Les belles endormies – Yasunari Kawabata A Michel Traduit du japonais par RenĂ© Sieffert – Illustrations et photos FrĂ©dĂ©ric ClĂ©ment. L'immeuble dans lequel pĂ©nĂštre le vieil Eguchi est une sorte d'auberge oĂč tout est silencieux sauf le bruit des vagues qu'on entend dans le lointain. Les rĂšgles qui la gouverne sont Ă©tranges et pour Ă©viter des dĂ©rives, il convient de ne pas y dĂ©roger. De vieux messieurs y viennent pour dormir aux cĂŽtĂ©s de jeunes filles nues, elles-mĂȘmes endormies grĂące Ă  la drogue de sorte qu'elles restent inconscientes toute la nuit, ne seront rĂ©veillĂ©es qu'aprĂšs le dĂ©part de leur client et ne sauront donc jamais avec qui elles ont passĂ© la nuit. Il ne s'agit pour autant pas d'un vulgaire lupanar puisque le vieillard doit impĂ©rativement dormir auprĂšs de la jeune fille en la respectant. Eguchi viendra plusieurs fois dans cette maison, se risquera mĂȘme Ă  enfreindre lĂ©gĂšrement les rĂšgles non Ă©crites au risque de se voir refuser l'accĂšs Ă  cet Ă©tablissement, envoĂ»tĂ© et tentĂ© qu'il est par la beautĂ© de corps de la jeune fille mais, n'Ă©tant plus capable de se comporter en homme », il devra se contenter de la regarder, de l'effleurer toute en respectant son sommeil. C'est une situation un peu ambiguĂ« que celle-ci puisque la jeune fille reste provocante par sa nuditĂ©, sa virginitĂ©, l'odeur de sa peau, elle bouge voire parle un peu Ă  l'invite d'Eguchi et l'interdit qui s'impose Ă  lui lors de ces sĂ©ances nocturnes rĂ©veille ses regrets de jeunesse et accentue son actuelle dĂ©crĂ©pitude. Pour autant la rĂšgle de cette maison veut qu'il s'endorme Ă  son tour et qu'il se rĂ©veille avant la jeune fille et parte. Les partenaires qui sont dĂ©volues Ă  Eguchi sont de trĂšs jeunes filles d'une beautĂ© sensuelle mais lui-mĂȘme n'est plus capable de se comporter en homme » en face d'une femme, aussi les effleure-t-il des yeux et des doigts en ayant soin de respecter leur sommeil. Pourtant, les sensations visuelles et olfactives qu'il ressent rĂ©veillent chez lui des souvenirs amoureux qu'il croyait dĂ©finitivement enfuis de sa mĂ©moire, mais aussi un sentiment de honte et de gĂȘne. Il avait croisĂ© beaucoup de femmes dans sa vie, qu'elles aient Ă©tĂ© conquĂȘtes d'un soir ou prostituĂ©es mais il gardait d'elles l'image indĂ©lĂ©bile de leur beautĂ©, de leur sensualitĂ© qui se rĂ©veillaient Ă  cette occasion, avant de sombrer lui aussi dans un sommeil artificiel chargĂ© de songes et parfois de fantĂŽmes. Ses nuits ont cependant Ă©tĂ© chastes ainsi qu'il convient dans cette maison mais ses souvenirs autant que ses sĂ©ances nocturnes lui donnent l'intuition de la solitude d'autant plus grande qu'il ressent, comme chacun de ces hommes ĂągĂ©s qui se retrouvent ici, l'impossibilitĂ© de rendre Ă  une femme le plaisir qu'elle donne dans l'Ă©treinte. Pire peut-ĂȘtre cette impression de dĂ©rĂ©liction est exacerbĂ©e par le fait qu'ils ressentent du dĂ©sir pour une jeune et jolie fille qui doit rester assoupie et qu'ils doivent dormir Ă  ses cĂŽtĂ©s sans pouvoir assouvir leur libido et ce d'autant plus qu'ils ont dĂ» ĂȘtre jadis des amants fougueux. Ils sont le plus souvent veufs ou cĂ©libataires, c'est Ă  dire Ă  cause de leur Ăąge dĂ©laissĂ©s par les femmes et abandonnĂ©s Ă  eux-mĂȘmes. Ainsi Eguchi a la certitude que pour lui une page est dĂ©finitivement tournĂ©e, qu'il arrive au terme de quelque chose et qu'il se pourrait bien qu'il dorme ici d'un sommeil de mort ». Cela l’obsĂšde au point de devenir un tourment, sans doute parce que le sommeil est effectivement l'antichambre de la mort et que, dans son cas comme dans celui de ses autres confrĂšres, le trĂ©pas qui est l'inĂ©vitable issue de sa vie, peut ĂȘtre rendu plus doux par l'ultime partage d'une nuit, mĂȘme chaste, aux cĂŽtĂ©s d'un femme sensuelle. Ainsi la pulsion qu'il ressent se transforme-t-elle en dĂ©goĂ»t d'une vie finissante, en ce mal-ĂȘtre que prĂȘte la fuite du temps, en une rĂ©flexion amĂšre sur la vieillesse, en une indignation face Ă  la camarde qui frappe au hasard. C'est un texte intensĂ©ment Ă©rotique, tout en retenue oĂč l'auteur souligne Ă  l'envi les traits fins d'un visage, la blancheur d'une peau, l'odeur fascinante d'un corps nu, la pulpe des lĂšvres, la fluiditĂ© d'une chevelure, la rondeur d'un sein, le galbe d'une hanche, la finesse d'une attache, mais Ă  travers l'incontestable charge sensuelle et poĂ©tique du texte, j' ai surtout lu une ode au corps des femmes, un hymne Ă  leur beautĂ©. C'est un texte somptueux illustrĂ© de photos et dessins non moins Ă©vocateurs de FrĂ©dĂ©ric ClĂ©ment. J'ai rencontrĂ© Kawabata par hasard et la premiĂšre impression m'avait surpris. Je dois dire que j'ai Ă©tĂ© conquis par cette deuxiĂšme approche. © HervĂ© GAUTIER – Mars 2018 GiboulĂ©es de soleil - Lenka Hornnakova-Civade Alma Éditeur Ce roman est partagĂ© en trois livres, consacrĂ©s Ă  trois femmes, Magdalena, LibuĆĄe, et Eva, qui se transmettent de mĂšre en fille l'art de la broderie mais surtout le fait d'ĂȘtre nĂ©es de pĂšre inconnu, que leur gĂ©niteur soit un fils de patron, un soldat ou un ivrogne violent. Elles sont toutes des enfants de l'amour mais surtout des bĂątardes et se transmettent cet absence de pĂšre comme une charge, une interrogation, un peu comme si un destin briseur de rĂȘves la leur imposait. Elles l'acceptent comme une fatalitĂ© mais avec dĂ©termination cependant et chacune d'elle souhaite ardemment que son enfant puisse exercer son choix et qu'on ne lui impose pas celui des autres. Pourtant tout commence avec Marie, la mĂšre de Magdalena, Ă  Vienne oĂč elle Ă©tait l'assistante et la maĂźtresse d'un gynĂ©cologue juif qui l'abandonne alors qu'il fuit avec sa famille face aux premiĂšres menaces nazies. Marie s'Ă©tait rĂ©fugiĂ©e Ă  la campagne avec sa fille, comme serveuse dans une auberge et accoucheuse Ă  l'occasion. Puis naĂźt Magdalena qui rĂȘvait d'Ă©pouser Josef mais doit se contenter d'un boiteux violent dont aucune femme ne veut parce qu'une bĂątarde ne peut pas choisir. LibuĆĄe rĂȘvait de Paris comme d'une destination lointaine et inaccessible. Eva enfin, trĂšs originale et exubĂ©rante, pertinente et impertinente, curieuse de tout et avide de libertĂ©. C'est grĂące Ă  elle que les mensonges, les secrets et les non-dits de cette famille Ă©clatent enfin. C'est avec elle aussi que s’interrompt cette malĂ©diction. Ces quatre femmes auront bien sĂ»r des frĂšres et des sƓurs, seront mariĂ©es, mais pas avec le pĂšre de leur premiĂšre fille. Ce mariage arrangĂ© fera d'elles des victimes et le bonheur sera absent de cette union mais elles garderont le secret d'un amour impossible. La broderie, legs commun, sera pour elles une forme de libertĂ©, d'Ă©vasion, de voyages impossibles, surtout pour LibuĆĄe. Leurs vies personnelles d'errance croiseront la grande histoire, celle de la TchĂ©coslovaquie bousculĂ©e par les Ă©vĂ©nements politiques depuis l'empire austro-hongrois jusqu'Ă  l'instauration et la fin du communisme, dont l'utopie, les mensonges et les erreurs sont omniprĂ©sents dans ce roman, en passant par l'occupation nazie. Seule Eva, l'arriĂšre petite-fille de Marie connaĂźtra Paris, symbole de lumiĂšre et de libertĂ©, rĂ©alisant ainsi le rĂȘve de toute cette lignĂ©e de femmes. Parmi ces quatre rĂ©cits, celui consacrĂ© Ă  Eva est le plus pĂ©tillant, le plus ensoleillĂ©. Dans l’autoportrait » qui suit ce roman, l’auteure confie qu'il y a un peu d'elle-mĂȘme dans ce livre et il est difficile de ne pas voir son empreinte dans le personnage de cette derniĂšre jeune fille. C'est donc un roman personnel et Ă©mouvant, chargĂ© de symboles aussi, celui de ces femmes fortes, dĂ©terminĂ©es mais pas rĂ©signĂ©es, dans une sociĂ©tĂ© marquĂ©e par la violence, la compromission et l'hypocrisie. L'auteure s'attache son lecteur par son style poĂ©tique, spontanĂ©, parfois puĂ©ril mais toujours fluide et agrĂ©able Ă  lire. Elle est de nationalitĂ© tchĂšque mais a Ă©crit ce premier roman directement en français ce qui est sa maniĂšre de se l'approprier pour exprimer, selon elle, plus facilement son message et la subtilitĂ© des sentiments. Ce n'est pas si frĂ©quent qu'un auteur exerce ce choix, j'y vois un hommage Ă  la France oĂč elle vit et Ă  notre belle langue au point qu'elle considĂšre que le texte ainsi Ă©crit est l'Ă©dition originale de rĂ©fĂ©rence qu'elle traduit elle-mĂȘme en tchĂšque. Ce roman a Ă©tĂ© classĂ© en 3Ăšme position, par les lecteurs de notre association qui ont participĂ© au Prix Cezam 2017. © HervĂ© GAUTIER – FĂ©vrier 2018 Les Ă©toiles s'Ă©teignent Ă  l'aube – Richard Wagamese ZoĂ© Nous sommes Ă  l'ouest du Canada, dans une nature sauvage. Franklin Starlight, tout juste ĂągĂ© de seize ans, part avec sa jument Ă  la rencontre de son pĂšre, Eldon, quelque part dans un endroit sordide, des retrouvailles au crĂ©puscule de sa vie. Franklin a Ă©tĂ© Ă©levĂ© par un vieil homme qui lui a tout appris de cette vie sauvage, de cette vie patiente de chasseur, un Ă©tranger Ă  qui Eldon l'a confiĂ© alors qu'il Ă©tait enfant. Il n'a que rarement rencontrĂ© son pĂšre et n'a jamais connu sa mĂšre. RongĂ© par l'alcool son pĂšre va bientĂŽt mourir et veut que son fils l'enterre dans la montagne, comme un guerrier qu'il n'est cependant pas, c'est Ă  dire d'une façon honorable ce qui, dans la tradition indienne lui permettra de connaĂźtre la paix dans l'au-delĂ . AprĂšs bien des hĂ©sitations, Franklin qui ne sait rien de sa famille interroge son pĂšre qui lui rĂ©vĂšle des secrets. Eldon profite de ses derniers moments pour dire Ă  son fils ce qu'il lui cachait depuis longtemps. Franklin presse le vieil homme de questions, notamment sur sa mĂšre, ne le mĂ©nageant pas, discutant ses dĂ©cisions d'alors, le jugeant gravement, un peu comme s'il voulait rĂ©gler des comptes avec lui. En fait ce dernier voyage en compagnie d'un pĂšre qu'il ne connaĂźt pratiquement pas a des accents de parcours initiatique pour le garçon. Il a une attitude contrastĂ©e avec le vieil homme, veillant Ă  ce qu'il ne manque de rien mais aussi cherchant Ă  en savoir un peu plus sur cet homme qui lui aussi veut se confier, lui dire ce qu'a Ă©tĂ© sa vie, son parcours vers l'alcool, ses regrets, ses remords, ses trahisons, ses douleurs intimes, ses obsessions. Cela prend des accents de confession ultime, une quĂȘte de pardon. Les dialogues sont Ă©conomes en mots, les descriptions empreintes de rĂ©alisme, de simplicitĂ© et de poĂ©sie. Elles imprĂšgnent le lecteur parce que la nature est le vĂ©ritable personnage de ce roman. Elle est tour Ă  tour foisonnante, luxuriante, nourriciĂšre mais aussi hostile et dangereuse et Franklin a appris du vieil homme Ă  en vivre et aussi Ă  y survivre. Au-delĂ  de l'histoire, distillĂ©e avec de nombreux analepses, l'intrigue est bien construite et tient le lecteur en haleine jusqu'Ă  la fin sans que l'ennui ne s'insinue dans sa lecture. C'est un roman poignant et Ă©mouvant, riche en Ă©vocations qui rĂ©vĂšlent ce que fut la vie d'Eldon, une succession d'Ă©checs mais aussi de trahisons, comme s'il Ă©tait marquĂ© par un destin funeste dont il ne pouvait pas se dĂ©faire, avec au bout, la dĂ©chĂ©ance de l'alcool, la solitude, la peur de ne pas pouvoir effectuer ce dernier devoir. Un des thĂšmes soulevĂ©s par ce rĂ©cit est aussi le mĂ©tissage, les deux hommes appartiennent Ă  la tribu indienne ojibwĂ© mais ce que je retiens c'est la quĂȘte du pardon et les hĂ©sitations d'Eldon pour en arriver lĂ , l'amour pour une femme et l'impossible bonheur avec elle, le silence et le secret entretenus pendant toutes ces annĂ©es autour de la naissance de Franklin. Il y a autour de ce roman une sorte de mystĂšre Ă  l'image des peintures rupestres que le jeune homme croise en emmenant son pĂšre pour son dernier voyage, mystĂšre de l'origine du garçon, de son abandon par son pĂšre, de la volontĂ© de ce dernier de s'autodĂ©truire face Ă  sa mauvaise Ă©toile, puis de retrouver in extremis son enfant et lui confier le soin de sa sĂ©pulture. © HervĂ© GAUTIER – FĂ©vrier 2018 Traduit de l’anglais par Christine Raget. Ce roman a Ă©tĂ© classĂ© en 2Ăšme position par les jurĂ©s de notre association qui ont participĂ© au Prix Cezam 2017. La symphonie du hasard 1 – Douglas Kennedy – Belfond Traduit de l'amĂ©ricain par ChloĂ© Royer. Quand j'ai reçu cet ouvrage de la part de Babelio et des Ă©ditions Belfond que je remercie, je me suis dit que le titre ne pouvait que me parler. J'ai en effet toujours affirmĂ© que le hasard gouverne nos vies bien plus souvent que nous ne voulons bien l'admettre. Il nous fait naĂźtre dans un milieu donnĂ©, il provoque la rencontre de gens qui favorisent ou non notre avenir, il s'invite dans notre quotidien et la mort interrompt notre vie au moment et dans des circonstances qui bien souvent nous Ă©chappent. Ici, c'est une famille amĂ©ricaine des annĂ©es 70, les Burns, qui sert de fil conducteur Ă  cette saga. Les voies de la gĂ©nĂ©tiques sont comme celles du Seigneur, impĂ©nĂ©trables. Ainsi, une mĂȘme ascendance a-t-elle engendrĂ© trois enfants diffĂ©rents, Peter, sĂ©rieux et puritain, Alice, Ă©ditrice new-yorkaise, et Adam, ex-jeune loup de Wall Street, qui lui est actuellement en prison. Est-ce l'univers carcĂ©ral ou les rĂ©vĂ©lations divines toujours miraculeusement prĂ©sentes dans les prisons amĂ©ricaines, lors des visites hebdomadaires d'Alice, Adam va faire Ă  sa sƓur des rĂ©vĂ©lations familiales qui vont accrĂ©diter cette affirmation chaque famille est une sociĂ©tĂ© secrĂšte ». Du coup Alice va y aller de ses confidences et c'est son parcours Ă  elle que le lecteur va suivre, sur son enfance, sur son adolescence, sur le dĂ©but de son cursus universitaire, le tout sur fond de puritanisme vieillissant, de guerre du Viet-Nam, de coup d'Ă©tat au Chili, de scandale du Watergate, de charme discret des vieilles provinces du nord-est. On n'Ă©chappe pas au portrait de ses parents, un couple bancal, mal assorti et agressif Ma mĂšre et mon pĂšre me paraissaient terriblement seuls. Surtout lorsqu'ils Ă©taient ensemble. » qui pratique volontiers le mensonge et l’hypocrisie, bien digne de ses racines juives du cĂŽtĂ© de sa mĂšre et catholiques irlandaises du cĂŽtĂ© paternel, en fait une famille toxique qu'elle va fuir. Elle est trĂšs attachĂ©e Ă  son pĂšre, rĂ©actionnaire et un peu alcoolique qui peine Ă  voir grandir cette fille cadette qui de plus en plus lui Ă©chappe surtout quand elle choisit, malgrĂ© sa situation transitoire d'Ă©tudiante, une vie de couple apparemment heureuse, peut-ĂȘtre parce que la sienne ne l'est pas. Le plus Ă©tonnant sans doute c'est que dans ce premier livre oĂč il est question d'Alice, une jeune fille de 17 ans, Douglas Kennedy se glisse avec beaucoup de facilité  dans la peau de ce personnage, lui qui a 60 ans, mĂȘme si ce n'est pas vraiment la premiĂšre fois qu'il choisit quelqu'un du sexe fĂ©minin comme hĂ©ro. L'auteur renoue avec le thĂšme du hasard autant qu'avec celui des rapports entre hommes et femmes, du bonheur conjugal impossible, des Ă©tats d'Ăąme et des difficultĂ©s qu'il suppose, dans un contexte de mensonges, de trahisons, de secrets, d'alcool, de drogue, sans oublier la culpabilitĂ© judĂ©o-chrĂ©tienne, un autre de ses thĂšmes favoris. Cette famille est Ă  l’image de l'AmĂ©rique et de sa volontĂ© de rĂ©ussite, en mĂȘme temps qu'elle existe dans un contexte religieux du rachat perpĂ©tuel de ses fautes. En rĂ©alitĂ©, on apprend beaucoup dans ce roman sur les annĂ©es 70 et d'autres thĂšmes comme l'anti-sĂ©mitisme, l'homophobie, le racisme sont aussi abordĂ©s. C'est parfois un peu long et dĂ©taillĂ© et on perd le fil de cette fiction mais si nos rĂ©fĂ©rences sociales et culturelles françaises sont diffĂ©rentes, nous appartenons tous Ă  l'espĂšce humaine qui montre des caractĂ©ristiques communes qui ici sont bien analysĂ©es. Peut-ĂȘtre ai-je tort mais il se peut que ces sujets soient aussi des prĂ©occupations personnelles de l'auteur, ce qui en fait de cette trilogie un roman largement autobiographique. C'est sans doute par dĂ©rision qu'il dĂ©clare, paraphrasant Flaubert, qu'Alice, c'est lui ! Il y a certes la diffĂ©rence de sexe et d'Ăąge mais le parcours de cette jeune femme ressemble Ă©trangement Ă  celui de l'auteur. Il y a sa famille qui devait sans doute ressembler Ă  celle d'Alice mais aussi le personnage de son pĂšre qui fut un agent de la CIA et joua un rĂŽle dans le coup d’État de Pinochet au Chili. Le fait d'insĂ©rer cet Ă©pisode dans ce roman en dit assez long sur la gĂȘne qui peut ĂȘtre la sienne et peut-ĂȘtre aussi une certaine forme de culpabilitĂ©. Il y en a un, un peu secondaire il est vrai, qu'est celui de ce professeur de l'universitĂ© oĂč Ă©tudie Alice qui veut Ă©crire un livre mais ne parvient pas Ă  s'y mettre. Est-ce la rĂ©vĂ©lation d'une difficultĂ© rĂ©elle, d'une paresse, d'une volontĂ© affichĂ©e de procrastination ou l'aveu de ses propres limites ? Cette prise de conscience de son inutilitĂ© personnelle, cette perte de l'estime de soi qui dĂ©bouchent sur la mort volontaire du Pr Hancock, sont-elles rĂ©vĂ©latrice d'une sorte de malaise personnel ? Pourtant Douglas Kennedy a toujours Ă©tĂ© un auteur prolifique ? Comme toujours, j'ai apprĂ©ciĂ© l'analyse psychologique des personnages, le dĂ©roulement des faits, la qualitĂ© du style, direct et efficace, ce dont cette chronique s'est souvent fait l'Ă©cho. Il y a des longueurs certes, mais, bizarrement peut-ĂȘtre et malgrĂ© ces 360 pages, je ne me suis pas ennuyĂ©, ce fut un rĂ©el bon moment de lecture et ce premier tome augure bien de la suite. © HervĂ© GAUTIER – Janvier 2018 La disparue de Saint-Maur - JChristophe Portes City Ă©d. Nous sommes en novembre 1791 et la RĂ©volution redouble, surtout aprĂšs la fuite manquĂ©e du roi Ă  Varennes et la menace que fait peser l'armĂ©e des Ă©migrĂ©s massĂ©e Ă  la frontiĂšre allemande.. Plus que jamais la Nation est en danger. Cela n'empĂȘche pas la vie de continuer et Ă  Saint-Maur une jeune aristocrate, Anne-Louise, fille du baron FerriĂšres, un noble dĂ©sargentĂ©, a disparu. Fugue, meurtre, ou suicide
 Le jeune lieutenant de gendarmerie, Victor Dauterive est chargĂ© par sa hiĂ©rarchie d'enquĂȘter mais ses investigations se rĂ©vĂšlent difficiles malgrĂ© des aides parfois inattendues dont certaines ne manquent ni de courage ni d’imagination. Ce qu'il dĂ©couvrira sera bien Ă©loignĂ© de ce qu'on peut lĂ©gitimement attendre de gens qui se consacrent en principe Ă  la priĂšre. La sociĂ©tĂ© est secouĂ©e par des luttes de pouvoir et La Fayette, Ă  qui Victor doit tout, revient Ă  Paris dans l'espoir de conquĂ©rir la Mairie et charge l'officier d'enquĂȘter discrĂštement sur un des candidats Ă  ce poste. Telle est l’intrigue de ce roman historique oĂč l'auteur, une nouvelle fois, mĂȘle fiction, rĂ©alitĂ©, rencontres de personnages historiques et ambiance d'Ă©poque les notes de bas de pages avec leurs rĂ©fĂ©rences sont un repĂšre intĂ©ressant pour qui souhaite s'immerger dans l'action. Le paradoxe de ces deux affaires, qui apparemment n'ont rien Ă  voir l'une avec l'autre, est que l'officier mĂšne alternativement ses investigations d'une maniĂšre officielle et officieuse, La Fayette, dont le rĂŽle dans le dĂ©roulement de la RĂ©volution est controversĂ©, n'est en effet plus au pouvoir, ce qui complique sa tĂąche surtout dans le contexte politique agitĂ© de la capitale, l'ombre de Robespierre, de la guerre qui menace et celle de la Terreur qui s'annonce. Les temps changent et avec eux les hommes qui donnent libre court Ă  leurs ambitions entre louvoiements, palinodies, trahisons, violences. Au milieu de tout cela notre gendarme doute et vacille quelque peu, torturĂ© par des difficultĂ©s familiales, se demandant qui il sert en rĂ©alitĂ© et s'il n'est pas simplement manipulĂ© comme un vulgaire pion, dans une ambiance de complots oĂč chacun espionne l'autre. MalgrĂ© son jeune Ăąge, on le transforme en espion sans l'y avoir prĂ©parĂ©. Dans cette mission pĂ©rilleuse, il croise des agents doubles parfois improbables, des nostalgiques de l'Ancien rĂ©gime dĂ©sireux de dĂ©truire la RĂ©publique qu'il a dĂ©cidĂ© de servir, des arrivistes sans scrupules, ce qui se transforme en une traque de conspirateurs, sur fond d'agents anglais, de rumeurs de guerre, de ventes de biens nationaux, d'opportunistes, d'omniprĂ©sence policiĂšre...Il connaĂźt la torture, la mort qui rode, les rebondissements inattendus, les luttes d’influence de factions politiques opposĂ©es oĂč chacun avance masquĂ© de peur du lendemain, les hommes politiques corrompus, la dĂ©lation, la jalousie, les secrets de famille inavouables, tout un panel d'humiliĂ©s qui profitent de cette pagaille pour se venger des vexations subies sous les aristocrates, bref tout un tableau peu reluisant de l'espĂšce humaine qui ne se rĂ©vĂšle jamais autant qu'en des temps troublĂ©s et ce d'autant plus qu'on s'Ă©loigne de l'esprit des LumiĂšres et des idĂ©aux humanistes de la RĂ©volution. Tous ces rebondissements ont pour cadre ce Paris du XVIII° siĂšcle dont une carte permet au lecteur de s'y retrouver. DĂ©cidĂ©ment l'annĂ©e 1791 passionne Jean-Christophe Portes puisque ses deux prĂ©cĂ©dents ouvrages [ L'affaire du corps sans tĂȘte » - L'affaire de l'homme Ă  l'escarpin », se dĂ©roulaient dĂ©jĂ  au cours de cette annĂ©e. Ici, il en choisit le dernier mois, dĂ©cidĂ©ment trĂšs froid, pour plonger son lecteur dans une France au bord du chaos mais toujours dans les pas de Victor Dauterive. Cela donne un roman policier historique bien Ă©crit et bien documentĂ©, plein de suspense, dĂ©paysant et passionnant jusqu'Ă  la fin. © HervĂ© GAUTIER – DĂ©cembre 2017 Dulmaa – Hubert François Éd. Thierry Marchaisse Dulmaa, c'est le nom de la mĂšre d’Élisa, disparue depuis de nombreuses annĂ©es, sans aucune explication pour retourner dans son pays natal, la Mongolie. Elle a ainsi abandonnĂ© sa fille, encore enfant et son mari français qui vient de mourir en faisant promettre Ă  Élisa de retrouver cette mĂšre mystĂ©rieuse qui vivrait actuellement une retraite monastique sous la direction spirituelle d'un lama. Elle part donc seule pour ce pays inconnu, seule, pas tout Ă  fait cependant, puisqu’elle est accompagnĂ©e de sa tante, mais surtout de son trĂšs mystĂ©rieux grand-pĂšre, d'un chien vieux mais bougrement protecteur et d'un cheval. Quand elle arrive en Mongolie, elle est d'emblĂ©e confrontĂ©e Ă  une culture qui n'est pas la sienne, oĂč la mĂšre est l'Ă©gal de Bouddha et Ă  qui on ne demande Ă©videmment pas de compte, oĂč il est normal de sĂ©parer les enfants de leurs parents, oĂč on n'aborde pas les problĂšmes de la mĂȘme maniĂšre qu'en occident
 A travers la steppe, elle est accompagnĂ©e des carnets de son pĂšre qui avait vu ce pays comme une image d’Épinal, une sorte de fiction fantasmĂ©e de grands espaces » et d'esprit des steppes » mais qui Ă©tait revenu bien vite Ă  une rĂ©alitĂ© plus terre Ă  terre. Nous avons en occident une vision idyllique de ces contrĂ©es que nous avons un peu de mal Ă  situer sur une carte. Au grĂ© de la mode, nous adoptons l'image de la yourte et de l'hospitalitĂ© traditionnelle et oublions volontiers le quotidien pas forcĂ©ment aussi agrĂ©able que cette carte postale. La duretĂ© du climat, l'absence de confort, les lois du nomadisme, la tradition du mariage et la condition de la femme, la rĂ©alitĂ© du chamanisme, la prĂ©sence des ordures dans le paysage urbain, la façon particuliĂšre d'affronter les problĂšmes..., font de la mixitĂ© des cultures un concept intĂ©ressant pour les intellectuels mais qui transforme la quĂȘte d’Élisa en un chemin de croix long, parfois douloureux et tragique, bien loin de ce qu'elle avait imaginĂ©. De plus ce voyage rĂ©veille de vieilles querelles familiales. Pour autant ce parcours que l'on peut supposer initiatique, ce retour sur soi-mĂȘme et sur son passĂ© familial, oĂč l'impossible le dispute Ă  l'irrĂ©el, se transforme en une odyssĂ©e Ă©pique et quelque peu surrĂ©aliste oĂč Élisa semble protĂ©gĂ©e en permanence malgrĂ© la mort, les souffrances, par un improbable dieu. Il y a certes la nostalgie de l'enfance, les espoirs déçus, le gĂąchis de la vie, les Ă©preuves endurĂ©es et l’imagination dĂ©vastatrice dont l'espĂšce humaine est capable ! Ce roman a obtenu le prix national et Poitou-Charentes CEZAM 2017 © HervĂ© GAUTIER – Novembre 2016 La complainte du paresseux – Sam Savage Actes Sud Histoire principalement tragique d'Andrew Whittaker, rĂ©unissant l’ensemble irrĂ©mĂ©diablement dĂ©finitif de ses Ɠuvres complĂštes Traduit de l'amĂ©ricain par CĂ©line Leroy Ce roman s'ouvre sur une citation de Fernando Pessoa, ce qui, pour moi, ne pouvait ĂȘtre qu'un bon prĂ©sage. Andrew Whittaker est un geignard impĂ©nitent et tout lui est bon pour rĂąler et se plaindre dans les lettres qu'il envoie Ă  l'entour. Ce sont les travaux dispendieux et les loyers de son petit patrimoine immobilier qui ne rentrent pas, les invectives qu'il envoie Ă  la banque oĂč il ne peut s'empĂȘcher de raconter sa vie dans les plus petits dĂ©tails et quand il s'adresse Ă  un correspondant, les termes de ses courriers oscillent entre la mythomanie, les rodomontades et les menaces. Il n'omet jamais de parler de sa revue poĂ©tique moribonde, Mousse », dont il se baptise pompeusement rĂ©dacteur en chef » alors qu'il est seul Ă  la rĂ©diger et sans doute Ă  la lire et dont il tente d'assurer la survie en multipliant vainement les appels de fonds et en sollicitant de vieux amis auteurs qui ont rĂ©ussi mieux que lui dans le mĂ©tier des Lettres, mais en leur prĂ©cisant qu'ils ne seront pas payĂ©s pour leur prestation, ce qui n'est Ă©videmment pas de nature Ă  les motiver. Cette revue est d'ailleurs l'objet de railleries de la part de la concurrence et de l'ignorance des mĂ©dias ! Pour faire illusion, il lui arrive mĂȘme de se cacher derriĂšre l'identitĂ© d'un lecteur inventĂ© et d'Ă©crire Ă  la presse locale pour vanter les qualitĂ©s littĂ©raires de Mousse » et la personnalitĂ© hors du commun de son directeur, c'est Ă  dire lui-mĂȘme ! Il se prĂ©tend dĂ©couvreur de talents, mais abuse de sa sacro-sainte ligne Ă©ditoriale » pour refuser tous les manuscrits qu'on lui envoie, ce qui est une maniĂšre peu Ă©lĂ©gante de la part d'une revue misĂ©reuse qui n'a pas les moyens de ses ambitions littĂ©raires. Cela ne l'empĂȘche pas de faire des allusions appuyĂ©es Ă  des manifestations culturelles organisĂ©es par ses soins et couronnĂ©es par une remise de prix minable, et qui n'aura Ă©videmment jamais lieu ! Et quand il s'invite aux dĂ©monstrations culturelles organisĂ©es par d'autres, c'est simplement pour y faire scandale ! Quant Ă  la gent fĂ©minine, il lui arrive bien plus souvent qu'Ă  son tour de s'adresser Ă  elle, mais avec une goujaterie consommĂ©e ! Il dĂ©plore aussi sa solitude, sa chĂšre Ă©pouse, Julie, s'est envolĂ©e, et le souvenir d'une Ă©phĂ©mĂšre passade avec une autre femme ne suffit pas Ă  l'apaiser. Puis c'est sa voiture qui va rendre l'Ăąme, sa ligne tĂ©lĂ©phonique qui est coupĂ©e et sa mĂšre qui perd la tĂȘte et finalement meurt, quand il ne se rĂ©pand pas dans des Ă©pĂźtres pleines d'acrimonies pour dĂ©noncer le sort qui est fait Ă  sa revue dont il prĂ©cise abusivement qu'elle a une rĂ©sonance nationale » dans cette AmĂ©rique profonde des annĂ©es 1970. Bref il croit que tout le monde lui en veut et il est devenu complĂštement paranoĂŻaque, misanthrope, dĂ©sespĂ©rĂ© et Ă©crit tout cela dans des missives pathĂ©tiques, des brouillons de romans, des listes de courses, le tout Ă©talĂ© sur quatre mois de sa triste vie. Pour corser le tout il prĂ©tend commencer Ă  sentir les effets du vieillissement, alors qu'il n'a que 43 ans ! Ses lettres successives sont un long monologue oĂč, quand il n'est pas cynique, il ne parle que de lui, illustrant Ă  sa maniĂšre le solipsisme qui est souvent le propre de l'Ă©crivain, parce qu'il est aussi un Ă©crivain, mais un Ă©crivain ratĂ©, comme en attestent les nombreux passages de romans qui ne paraĂźtront jamais parce qu'ils ne s'inscriront pas dans une intrigue, ne seront jamais suivis de dĂ©veloppements et d'Ă©pilogues. Quant au monologue qui est la consĂ©quence de son isolement prolongĂ© et sans doute dĂ©finitif, l'Ă©criture, qui est l'essence mĂȘme du soliloque, n'est lĂ  que comme un pis-aller oĂč le surrĂ©alisme comique le dispute au sĂ©rieux le plus consommĂ© au point qu'on se demande s'il ne croit pas lui-mĂȘme Ă  sa propre comĂ©die. Pourtant, il ne reçoit apparemment pas de rĂ©ponse puisque cet ouvrage n'en fait pas Ă©tat, ses correspondants devant depuis longtemps ĂȘtre lassĂ©s de ses incessantes jĂ©rĂ©miades, ce qui aggrave son Ă©tat de dĂ©rĂ©liction. En fait, j'ai dĂ©couvert une sorte d'ours, malheureux, malchanceux et que menace la folie peut-ĂȘtre parce qu'il a passĂ© sa vie Ă  rĂȘver Ă  quelque chose qui ne se rĂ©alisera jamais, ou il veut Ă  toute force se jouer Ă  lui-mĂȘme une bouffonnerie oĂč il a une importance qu'il n'aura jamais. Cet Andrew est vieux avant l'Ăąge mais je dois admettre qu'il incarne tous ceux, et ils sont nombreux, qui voulaient vivre de leur talent mais qui n'ont pas connu le succĂšs. En se dessinant de cette maniĂšre, Ă  petites touches, il Ă©voque lui-mĂȘme le paresseux auquel il dit ressembler ; cet animal placide et solitaire, qui porte le nom de aĂŻe », lui correspond bien, lui qui passe son temps Ă  se plaindre ! Et la comparaison ne s'arrĂȘte pas lĂ . Le style est dĂ©bridĂ©, parfois humoristique voire caustique, parfois ironique mais Ă©tonnamment vivant et je ne me suis pas ennuyĂ© au cours de cette lecture. A l'instar de Rabelais qui voulait qu'on brisĂąt l'os pour en goĂ»ter la substantifique moelle, j'ai choisi de dĂ©passer cette dimension caricaturale pour rencontrer un personnage torturĂ© qui attend la mort comme une dĂ©livrance parce que sa vie n'a Ă©tĂ© qu'une succession d'Ă©checs. En attendant cette Ă©chĂ©ance, il farde ses accĂšs de rĂ©volte sous le rire ou le sourire, ce qui lui permet de supporter le tragique de sa propre existence et on hĂ©site entre quelqu'un qui a effectivement perdu la tĂȘte ou au contraire un homme qui, dans un Ă©tonnant excĂšs de luciditĂ©, choisit de siffler lui-mĂȘme la fin de cette rĂ©crĂ©ation dramatique. J'ai bien ressenti l'empreinte de Pessoa dans ce roman original dans sa prĂ©sentation et aussi une certaine empathie pour Andrew... et peut-ĂȘtre aussi pour ce jeune auteur de 77 ans ! rencontrĂ© par hasard dont c'est le deuxiĂšme roman traduit en français et qui nous livre peut-ĂȘtre, Ă  travers ses livres, un peu de son parcours personnel. Les rĂȘveuses – FrĂ©dĂ©ric Verger Ed. Gallimard La guerre peut bouleverser la destinĂ©e, c'est sans doute ce qu'a dĂ» se dire le jeune allemand de 17 ans engagĂ© dans l'armĂ©e française, Peter Siderman, quand, pris dans la tourmente de la dĂ©bĂącle de 1940, il Ă©change sa plaque militaire avec celle d'un mort inconnu. DĂ©sormais il sera Alexandre d'Anderlange et les hasards de cette nouvelle identitĂ© le ramĂšnent en Lorraine, dĂ©sormais allemande, oĂč il a grandi. Une telle situation porte en elle le germe de bien des aventures et, sans trop savoir comment, il se retrouve au sein de la famille de celui dont il a usurpĂ© le nom. Il devient donc le fils d'une famille aristocrate ruinĂ©e mais bizarrement, alors que tous se rendent compte de la substitution, il y est acceptĂ© et dĂ©cide de rester dans ce dĂ©cor aussi mystĂ©rieux et inquiĂ©tant que les habitants qui le peuplent, dĂ©sireux Ă  la fois de faire perdurer un passĂ© rĂ©volu et de survivre dans un prĂ©sent difficile. Dans cette situation passablement surrĂ©aliste viennent se mĂȘler des souvenirs personnels un peu flous, mais Peter ne tarde pas Ă  comprendre la raison de l’acceptation de sa prĂ©sence d'autant que, petit Ă  petit, il habite le passĂ© d'Alexandre au point parfois de s'identifier Ă  lui. Il cherche Ă  percer le mystĂšre que cet homme mort portait en lui, et mĂȘme s'il n'y a aucune ressemblance entre eux, il accepte, certes contraint, mais aussi avec une certaine curiositĂ©, de jouer le rĂŽle qu'on lui a assignĂ© dans cette improbable comĂ©die. La rĂ©ponse aux appels de dĂ©tresse de Blanche, et la rencontre avec la riche veuve contribuent largement Ă  le faire entrer dans les habits de l'absent, ce qui fait de lui, au hasard des Ă©vĂ©nements un peu rocambolesques et parfois dramatiques, un invitĂ© ou un prisonnier, un Ă©tranger de passage ou un vĂ©ritable membre de cette famille dĂ©cousue, un peu comme si ce jeune aristocrate mort lui faisait cadeau des annĂ©es de vie que la camarde lui avait arrachĂ©es. Son instinct de survie rĂ©veille cependant en lui sa personnalitĂ© originelle ce qui donne une intĂ©ressante Ă©tude parallĂšle de caractĂšres. Tout au long de ce roman subsiste une sorte d’ambiguĂŻtĂ© entre ces deux personnages, l'un mort, l'autre vivant. Le style fluide, prĂ©cis et poĂ©tique tisse autour de cette aventure un halo de mystĂšres et de secrets mais aussi de tristesse et de nostalgie. Les descriptions sont rĂ©alistes et haletantes, spĂ©cialement au cours de l'exploration du couvent en ruines et des recherches qu'il y mĂšne. Cette histoire de nonnes rĂȘveuses du couvent d'OurthiĂšres dont on notait les songes, simulations ou rĂ©alitĂ©, donne au texte l'allure d'un conte aux images allĂ©goriques et la recherche de Blanche confĂšre au rĂ©cit une dimension Ă©pique et mĂȘme initiatique. Ces documents oĂč sont collationnĂ©s les rĂȘves des nonnes, cette rivalitĂ© entre les familles d'Etrigny et d'Anderlange, l'ombre fantasque et les accĂšs de folie de Blanche, riche hĂ©ritiĂšre devenue religieuse sans qu'on sache vraiment si elle est prĂ©sente dans ce couvent dĂ©labrĂ© de sa propre volontĂ© ou si c'est le rĂ©sultat d'une manƓuvre familiale, le commandant allemand, alcoolique, aussi affable et prĂ©venant que mĂ©chant, qui recherche inlassablement quelque chose qui ressemble Ă  un paradis perdu, le cĂŽtĂ© Ă  la fois enthousiaste et ambigu des habitants de cette datcha intemporelle, cette obsĂ©dante prĂ©sence de la mort qui rĂŽde, entretiennent un suspens lentement distillĂ©. J'ai Ă©tĂ© happĂ©, du dĂ©but Ă  la fin, par cette histoire aux multiples rebondissements, Ă  la fois passionnante et inquiĂ©tante, j'ai apprĂ©ciĂ© l'humour subtil, la cocasserie mais aussi le tragique de certaines situations, qu'offrent au lecteur attentif ces quatre cent quarante pages pendant lesquelles je ne me suis jamais ennuyĂ©. Les Ă©crits intimes et sporadiques d'Alexandre, l'Ă©vocation des songes des religieuses et les personnages qui, comme des fantĂŽmes, apparaissent dans ce roman, avec la prĂ©sence mystĂ©rieuse d'un chat, provoquent en effet cette ambiance oĂč le lecteur va de dĂ©couverte en dĂ©couverte, Ă©prouve pour Peter une vĂ©ritable empathie et vit avec lui cette inquiĂ©tante Ă©popĂ©e. J'y ai Ă©galement vu une Ă©tude pertinente sur l'espĂšce humaine capable des pires et des meilleures choses, l'Ă©tonnante volontĂ© de survivre de Peter face Ă  la mort omniprĂ©sente, l'Ă©vocation frĂ©quente du sommeil qui en est l'antichambre, les hasards et la fragilitĂ© de la vie dont nous ne sommes que les usufruitiers. Je remercie les Ă©ditions Gallimard et Babelio, de m'avoir permis de dĂ©couvrir cet auteur et ce roman. OĂč j'ai laissĂ© mon Ăąme – JĂ©rĂŽme Ferrari Actes sud Il y a diffĂ©rentes façons de faire la guerre. Pour le capitaine Degorce, pĂšre de famille chrĂ©tien et pieux, la recherche du renseignement qui peut Ă©pargner des vies françaises innocentes justifie la torture, en ce mois de mars 1957 en AlgĂ©rie. Il est chargĂ© de faire parler les prisonniers et sait les en convaincre. Il a mis sur pieds une organisation qui a rĂ©ussi Ă  dĂ©manteler un rĂ©seau terroriste au point d'arrĂȘter Tahar qui en est le chef. Il sait qu'il fait un sale mĂ©tier, bien diffĂ©rent de celui qu'il avait imaginĂ©, mais, au nom de la discipline il accomplit sa tĂąche, mĂȘme s'il en a honte. Jeune Ă©tudiant il a fait de la RĂ©sistance et a Ă©tĂ© internĂ© Ă  Buchenwald, plus tard, en Indochine, il a combattu le communisme au nom de la mission civilisatrice de la France et des valeurs de la RĂ©publique. Pour cela, le lieutenant Andreani qui fut son compagnon d'armes et le suivit dans les camps d'internement des ViĂȘts, lui tĂ©moigne une admiration inconditionnelle. Maintenant, en AlgĂ©rie, les choses ont changĂ© et le capitaine est devenu un tortionnaire par la force des choses, mais cela, il ne le supporte pas. Pourtant, face Ă  ses hommes, il se doit de jouer le rĂŽle du chef, de leur rappeler le sens de leur mission qui se doit d'ĂȘtre efficace, lĂ©gitimant ainsi la torture. D'ailleurs la capture de Tahar lui vaudra promotion et dĂ©corations mais il n'en a cure, il est face Ă  sa conscience et n'est pas en paix avec lui-mĂȘme. Il estime son adversaire qui est aussi un ennemi, son combat pour l’indĂ©pendance de l'AlgĂ©rie est aussi lĂ©gitime que celui qu'il menait en France sous l'Occupation et plus tard sur le théùtre d'opĂ©rations extĂ©rieures et ce mĂȘme si Tahar a dĂ» ordonner des attentats, c'est Ă  dire la mort de civils innocents. Dans ce contexte il est sans doute difficile de discerner le bien du mal et chacun a conscience de faire son devoir. Le capitaine est seul face Ă  son devoir d'infliger Ă  Tahar les mĂȘmes souffrances que celles qu'il a subies de la part de la Gestapo mais il le fait malgrĂ© sa foi chrĂ©tienne, il est seul aussi devant Tahar qu'il veut convaincre de la vanitĂ© de son combat, mais en vain. Plus tard Andreani constatera, devant le tribunal militaire qui le condamnera Ă  mort, que cette guerre d'AlgĂ©rie a complĂštement changĂ© Degorce au point de faire de lui un laquai servile
 et un lieutenant-colonel dĂ©corĂ© Ă  qui Dieu ne sera d'aucun secours. Il a perdu son Ăąme, a choisi d'oublier ses hĂ©sitations existentielles et a touchĂ© ses trente deniers pour prix de sa trahison intime. La nature humaine est ainsi faite, faible et misĂ©rable et l'oubli, comme l'hypocrisie et le mensonge font partie du dĂ©cor dans lequel elle aime Ă  vivre. Andreani lui aussi y laissera son Ăąme mais pour des raisons diffĂ©rentes. Ce qu'on appelĂ© pudiquement au dĂ©but les Ă©vĂ©nements d'AlgĂ©rie » pour admettre ensuite qu'il s'agissait d'une vĂ©ritable guerre, a Ă©tĂ© un drame pour l'honneur de l'ArmĂ©e et pour les militaires. Il y eut de part et d'autre des atrocitĂ©s, des attentats mais il s'agissait moins de livrer des combats traditionnels que de se transformer en tortionnaires et en bourreaux au nom de la logique et de l’obĂ©issance. Cette guerre a bousculĂ© les consciences et beaucoup ont choisi leur camp au mĂ©pris de la discipline, ont proclamĂ© leur rejet de ces mĂ©thodes ou les ont appliquĂ©es avec zĂšle. Elle a donnĂ© lieu Ă  une rĂ©bellion au sein de l'armĂ©e, Ă  des proclamations officielles et Ă  des promesses pourtant vite trahies, des abandons par la France, pays des Droits de l'homme, des harkis qui avaient pourtant choisi de se battre pour elle... Tout cela pour se terminer par un exil de populations civiles pour une mĂ©tropole inconnue et des plaies qui ne se refermeront jamais. Je ne connaissais cet auteur qu'Ă  travers Le sermon sur la chute de Rome » qui lui a valu le Prix Goncourt en 2012 La Feuille Volante n° 1152. Ce roman qui invite Ă  une rĂ©flexion sur la nature humaine aurait d'ailleurs amplement mĂ©ritĂ© cette distinction. Ici, j'ai retrouvĂ© avec plaisir le style remarquable de JĂ©rĂŽme Ferrari qui s'attache son lecteur du dĂ©but Ă  la fin et ce nonobstant la longueur de certaines phrases. © HervĂ© GAUTIER – Juillet 2017 Rien – Emmanuel Venet Éd. Verdier Parce qu'il a l'intention de fĂȘter leur vingt ans d'amour, un musicologie invite AgnĂšs, sa compagne, au Negresco. AprĂšs une Ă©treinte, cette derniĂšre lui pose une question aussi lĂ©gĂšre que les volutes bleues de la fumĂ©e de sa cigarette A quoi pense-tu ?». En fait ce voyage amoureux n'est qu'un prĂ©texte pour gommer les petites Ă©rosions et les accidents inĂ©vitables d'une vie commune mais surtout parce que ce palace niçois a donnĂ© asile pendant quelques jours Ă  Jean-Germain Gaucher, un musicien de troisiĂšme ordre de la Belle Époque Ă  qui le narrateur a consacrĂ© sa thĂšse de doctorat et qui est venu ici avec sa maĂźtresse, la sulfureuse et ambitieuse soprano Marthe Lambert. Malheureusement une rĂ©novation a fait disparaĂźtre la chambre oĂč Jean-Germain et Marthe batifolĂšrent, qu'importe, c'est pour le narrateur l'occasion d'inviter son lecteur Ă  faire plus ample connaissance avec ce musicien qui n'a laissĂ© dans l'histoire de la musique, comme dans l'histoire tout court, qu'une trace fort tĂ©nue, que son travail universitaire s'attacha Ă  faire revivre. Le narrateur Ă©voque la vie quelque peu tumultueuse de Gaucher qui la prĂ©fĂ©ra cependant Ă  la profession juridique voulue par son pĂšre. Il Ă©voque surtout la mort du musicien, par ailleurs pas trĂšs heureux en mĂ©nage, qui a connu des relations extra-conjugales plus que cahoteuses et dont la carriĂšre artistique qui aurait pu ĂȘtre florissante, s'est perdue dans des compositions de cabaret et des pochades lĂ©gĂšres. Cette mort bizarre, le musicien est Ă©crasĂ© par son propre piano lors d'un dĂ©mĂ©nagement, donne Ă  penser qu'il s'agit d'un suicide. Ce thĂšme sera une des pistes de rĂ©flexion de cet ouvrage, hypothĂšse enrichie par les remarques d'un de ses amis qui ratiocine Ă  l'envi sur ce sujet et ce malgrĂ© l'enquĂȘte qui a conclu Ă  l'accident. J'ai bien aimĂ© ce Gaucher et la façon dont l'auteur le fait vivre sous nos yeux sous la forme d'une biographie convaincante et ce d'autant plus qu'elle appartient complĂštement Ă  la fiction. On nous parle souvent et Ă  l'envi, en les donnant en exemple, de tous ceux qui ont rĂ©ussi, mais on passe sous silence les milliards de gens qui tentent leur chance sans jamais la croiser. J'ai lu dans ce roman qui tient son lecteur en haleine jusqu'Ă  la fin, une caustique Ă©tude de personnages et de caractĂšres, Jean-Germain construisant pour lui-mĂȘme ses propres chĂąteaux en Espagne, se laissant griser par le succĂšs ou les passions amoureuses dont on sait qu'elles ne sont que temporaires, se complaisant dans l'Ă©chec comme il se vautre dans la vantardise qui emprunte plus Ă  l’imagination qu'Ă  la rĂ©alitĂ©. A travers lui j'ai lu un rappel bienvenu aux choses de la vie, la fuite du temps, le destin qui vient parfois contrecarrer les projets les plus fous qu'on fait pour soi-mĂȘme, la complaisance qu'on tisse face Ă  l'adversitĂ©, la vanitĂ© des entreprises humaines et surtout le fait que nous ne sommes ici-bas que les modestes usufruitiers de notre propre vie. Cela donne une somme d'aphorismes bien sentis. J'observe que Jean-Germain tient un journal intime ce qui en dit assez long sur la conscience qu'il a de son mal de vivre, mais encore une fois je ne suis pas bien sĂ»r de la fonction cathartique de l'Ă©criture et, mettre des mots sur ses maux ne me semble pas aujourd'hui ĂȘtre une thĂ©rapie efficace, comme son suicide plus que vraisemblable semble le prouver. Le psychiatre qu'est aussi l'auteur doit bien avoir un avis sur la question. Pour Gaucher la fuite reste possible mais d'une efficacitĂ© improbable, tout au plus se rĂ©fugie-t-il dans l'imaginaire, cette espĂ©rance gratuite et sans issue qui n'enfante que des fantasmes et des chimĂšres. Mais cela ne l'arrange pas vraiment, tout comme ne le console pas de ses Ă©checs rĂ©pĂ©tĂ©s, de son mariage ratĂ©, des ses amours de contrebande sans issue, de son talent ignorĂ© et des mauvaises affaires de son Ă©tablissement, l'alcool dont il Ă©tait devenu avec le temps et l'habitude, un adepte militant. MĂȘme la sĂ©duction de sa propre Ă©pouse lui paraĂźt problĂ©matique et surtout pas vraiment apaisante. C'est comme cela, les amours de Jean-Germain et de sa lĂ©gitime, Ă  condition qu'ils aient jamais existĂ©, se sont abĂźmĂ©s dans la routine, l’incomprĂ©hension et finalement l'indiffĂ©rence silencieuse, ce qui fait dire au bon sens populaire que, contrairement aux apparences, le mariage ou la vie commune tuent l'amour, et ce n'est pas faux. Et je ne parle pas de l'inconfortable certitude de s'ĂȘtre trompĂ© dans son choix ! J'ai aimĂ© aussi que l'auteur ne tombe pas dans la trop facile Ă©vocation du Pigalle et de ses plaisirs. Je retiens Ă©galement les remarques quelque peu acerbes du narrateur sur les affres de la vie universitaire, sur les difficultĂ©s de la crĂ©ation littĂ©raire, de la façon de rĂ©ussir dans le domaine de la recherche et de la publication ainsi que les fourches caudines sous lesquelles il faut passer pour ĂȘtre reconnu. A sa maniĂšre, il est lui aussi un peu Jean-Germain Gaucher et ce n'est peut-ĂȘtre pas un hasard s'il a choisi ce personnage comme sujet d'Ă©tude. LĂ  aussi le narrateur se laisse aller, inspirĂ© par son expĂ©rience personnelle, Ă  une somme apophtegmes dĂ©sabusĂ©s mais pertinents que bien des auteurs feraient bien de mĂ©diter. J'en retiens une En matiĂšre d'art, non seulement il n'y a rien Ă  attendre de l'altruisme ni de la sollicitation, mais les vertus cardinales s'appellent orgueil et Ă©gocentrisme ». Il en va de mĂȘme sur le travail de crĂ©ateur et sur la façon de mener sa carriĂšre. A travers les propos de son ami, le narrateur fait en quelque sorte le point sur la crĂ©ation artistique, les relations amoureuses et mĂȘme la vie en gĂ©nĂ©ral. Il en vient tout naturellement Ă  s'interroger sur son mariage, sa vie de famille et son parcours sentimental, leurs aspirations, leurs imperfections, leur dĂ©senchantement. Il Ă©voque sa rencontre avec AgnĂšs, le hasard qui l'a provoquĂ©e, puis la lente Ă©rosion des choses qui l'amĂšne Ă  considĂ©rer que son couple, aprĂšs vingt ans de vie commune et deux enfants, s'est lentement transformĂ© en deux solitudes, avec mensonges et hypocrisies pour sauver les apparences, compromissions et artifices pour le faire durer, une maniĂšre de se rapprocher de Gaucher et de son dĂ©sespoir et peut-ĂȘtre aussi des autres humains. Il pousse mĂȘme son questionnement jusqu'aux relations sociales qu'il entretient, Ă  ses dires, de moins en moins, refusant de satisfaire Ă  l'esprit grĂ©gaire qui, sous toutes ses formes, gangrĂšne notre sociĂ©tĂ© et notre quotidien. Comme il le dit il rĂ©siste Ă  la tentation de la normalitĂ© », tout en tentant de combattre la marginalitĂ©. Mais revenons Ă  la question initiale posĂ©e par sa compagne et Ă  laquelle il rĂ©pond simplement Ă  rien ». Outre le fait qu'il m'a toujours parut Ă©tonnant qu'on puisse ne penser Ă  rien, cette somme de pages qui constituent le roman tend Ă  prouver que l'auteur-narrateur n'a pas vraiment laissĂ© la vacuitĂ© envahir son esprit, Ă  moins bien sĂ»r qu'il ait prĂ©fĂ©rĂ© cette rĂ©ponse laconique et nĂ©gative Ă  la nĂ©cessitĂ© d'avoir Ă  confesser Ă  sa compagne tout ce qu'il a confier au lecteur. Ce rĂ©cit se dĂ©cline de la part du narrateur sur le ton d'un monologue et sur le thĂšme des illusions perdues. J'ai apprĂ©ciĂ© le style alerte, subtil, ciselĂ© et dĂ©licatement ironique de ce trop court roman dont l'auteur m'Ă©tait inconnu. Le hasard, pour une fois, a bien guidĂ© mon choix. D'aprĂšs ce que j'ai lu de lui, il publie peu et c'est dommage puisque sa facon de m'a Ă  la fois Ă©tonnĂ© et conquis au point que je vais sans doute en lire davantage. Cela a en tout cas Ă©tĂ© pour moi un bon moment de lecture. © HervĂ© GAUTIER – Juin 2017. Une Ă©trange affaire au bureau des hypothĂšques -J Chesneau Auto-Ă©dition Dans la vĂ©nĂ©rable administration fiscale, la Conservation des hypothĂšques » Ă©tait jusqu''Ă  prĂ©sent, pour les fonctionnaires de tout grade, du directeur au simple agent, un poste de fin de carriĂšre apprĂ©ciĂ© par tous et Ă  plus d'un titre. C'Ă©tait un service un peu Ă  part oĂč l''ambiance Ă©tait diffĂ©rente, l'environnement plus feutrĂ©, le travail plus mĂ©thodique peut-ĂȘtre, jusqu'au temps qui semblait, ici plus qu'ailleurs, se dĂ©rouler selon un autre rythme. C'est que, cette spĂ©cialitĂ© du service public » dont l 'existence remonte Ă  la RĂ©volution française et Ă  son respect du droit de propriĂ©tĂ©, a pour fonction d'assurer la publicitĂ© lĂ©gale de tous les actes soumis Ă  l'Enregistrement qui ont trait Ă  la propriĂ©tĂ© fonciĂšre. Elle a donc un rĂŽle essentiel dans le quotidien des Français. Qu'il puisse s'y passer quelque chose d’extraordinaire qui vienne briser la routine administrative, les vieux papiers, les fiches cartonnĂ©es rĂ©digĂ©es avec grand soin et Ă  la main et qui Ă©taient les gardiennes des transactions immobiliĂšres depuis des gĂ©nĂ©rations, est du domaine de l'impossible. Et pourtant, en ce matin d'hiver 1990, Marie-Jo, une agente matutinale et zĂ©lĂ©e, entrant dĂšs 7H30 dans les bureaux, trouve le corps d'un homme, Ă©tranger au service, en train d'agoniser entre les bacs rotatifs mĂ©talliques. Émoi gĂ©nĂ©ral, on appelle le SAMU, les pompiers, la police judiciaire, on rend compte Ă  la hiĂ©rarchie et Ă©videmment la presse locale s'en mĂȘle, bref un bouleversement qui va conduire chacun Ă  ĂȘtre interrogĂ© et le Conservateur, qui espĂ©rait mieux avant son dĂ©part en retraite, Ă  s'inquiĂ©ter quelque peu devant la prĂ©sence dans ses locaux, pourtant sĂ©curisĂ©s, de ce mystĂ©rieux intrus. Une dĂ©licate enquĂȘte s'annonce en direction d'un couple d'agriculteurs et d'une sordide affaire de donation plus qu'improbable dans le cadre d'un conflit familial pour le moins compliquĂ© par une rĂ©novation du cadastre, qui s'Ă©gare dans un conflit d'intĂ©rĂȘts, le tout sur fond de confidentialitĂ© oĂč chacun a Ă  cƓur de tĂ©moigner tout en restant sur ses gardes en respectant les prĂ©rogatives administratives et hiĂ©rarchiques qui s'imposent autant que les susceptibilitĂ©s sociales. L'auteur dĂ©roule cette courte fiction une centaine de pages Ă  l'Ă©pilogue inattendu, en y mĂȘlant humour, expressions et vocabulaire administratif caractĂ©ristique. C'est assez rare qu'un roman noir s'inscrive dans le cadre de l'administration fiscale, gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme rĂ©barbative et qu'on Ă©vite volontiers. C'Ă©tait certes le cadre de travail de l'auteur qui ne manque pas, Ă  l'occasion, de se faire le tĂ©moin du changement de mentalitĂ©s et du bouleversement de carriĂšres venant avec l'introduction de la dĂ©matĂ©rialisation informatique, de la rationalisation du travail et des Ă©conomies inĂ©vitables tout en respectant le service rendu aux usagers, dans une unitĂ© administrative traditionnellement vouĂ©e Ă  un certain conservatisme. Je parlerai aussi de cette irrĂ©sistible envie d'Ă©crire et de partager, sans doute dans le cadre restreint de ses collĂšgues de travail, le fruit de son imagination pour cet auteur qui signe lĂ  son quatriĂšme ouvrage dont la plupart a Ă©tĂ© publiĂ©e Ă  compte d'auteur ». © HervĂ© GAUTIER – Mars 2017 Chanson douce – LeĂŻla Slimani Ed. Gallimard, Goncourt 2016 Louise est vraiment plus qu'une nounou. Non seulement elle s'occupe de Mila et d'Adam, les enfants de Myriam et de Paul, mais elle se rĂ©vĂšle une parfaite fĂ©e de ce logis »entre cuisine et nettoyage. Cet emploi tombe plutĂŽt bien pour elle, veuve, la cinquantaine et en difficultĂ©s financiĂšres. Les relations qui s’installent entre le couple et elle sont mĂȘme de bonne augure et chacun y trouve son compte, mĂȘme si, au terme de ces rapports, les parents abandonnent volontairement un peu de leur rĂŽle d'Ă©ducateur au profit de cette Ă©trangĂšre qu’ils ne connaissent guĂšre et qui s'accapare la place ainsi laissĂ©e vacante, jusqu'Ă  ce que se crĂ©e une situation qui risque d'Ă©chapper Ă  tout le monde. Certes, ils peuvent la congĂ©dier Ă  tout moment, mais cette Ă©ventualitĂ© nourrit la dĂ©pendance qui peu Ă  peu s'installe en eux au profit de Louise. Cela fait d'elle une sorte d'esclave moderne qui chaque jour s'enfonce dans sa condition, un servage volontaire qui fera d'elle, et sans peut-ĂȘtre qu'elle s'en rende compte au dĂ©part, une femme efficace, indispensable mais surtout envahissantet mĂȘme transparente. C''est un roman sociologique qui Ă©voque aussi notre mode de vie actuel, l'obligation de travailler pour l'Ă©pouse face au salaire du mari parfois insuffisant, la tentation qu'elle peut avoir d'une ouverture sur le monde professionnel avec promotion et reconnaissance Ă  la clĂ©, face Ă  une vie repliĂ©e sur un foyer, l'obligation de confier ses enfants, c'est Ă  dire ce qu'elle a de plus cher au monde souvent Ă  des gens inconnus, d’autant plus dĂ©vouĂ©s qu'ils s'impliquent plus complĂštement dans ce travail qu'ils ne le feraient dans un emploi ordinaire; on peut bien tomber ou non. Quant Ă  la rĂ©ussite professionnelle dont on nous rebat les oreilles depuis si longtemps au point qu'elle en devient obligatoire, elle sous-tend elle-mĂȘme ce genre de situation et la nourrit, avec tous les risques que cela comporte. Il y a les prĂ©jugĂ©s de classe mais aussi l'implication logique de Louise face aux enfants. MĂȘme si ici nous sommes en pleine fiction[pas tant que cela puisque des faits semblables se sont dĂ©roulĂ©s aux USA], la rĂ©alitĂ© n'est jamais trĂšs loin. Je ne veux pas endosser la robe d'un improbable procureur mais Myriam et Paul, parents absents et employeurs abusifs, me paraissent bien coupables d'avoir ainsi livrĂ© leurs enfants, mais aussi leur foyer, leur intimitĂ©,leur vie, Ă  Louise Ă  qui le spectacle de la rĂ©ussite et de l'argent auxquels elle n'avait pas droit Ă©tait donnĂ© quotidiennement. La petite Milla et peut-ĂȘtre Sylvie, la belle-mĂšre de Myriam, auraient pu ĂȘtre des vigies et faire prendre conscience Ă  Myriam de cet Ă©cartĂšlement entre son rĂŽle de mĂšre et sa rĂ©ussite professionnelle, mais personne ne les a Ă©coutĂ©s. Le texte plein d'analepses, nous prĂ©sente Louise comme une femme mĂ©ritante, un peu mythomane, trahie par les siens, victime des Ă©vĂ©nements, dĂ©laissĂ©e par son employeur, et finalement dĂ©stabilisĂ©e, tout ce qui va peu Ă  peu faire d'elle une meurtriĂšre. Une histoire qui sonne pour chacun d'entre nous comme un avertissement. Je ne sais pas si une telle fĂ©e » existe mais qu'importe. Que l'auteure appuie sur le trait ne me paraĂźt pas irrĂ©el. Nous vivons dans une sociĂ©tĂ© oĂč l'exagĂ©ration est quotidienne et n'Ă©tonne plus personne. La communautĂ© dans laquelle nous vivons, Ă  l'inverse de toute la logique du pourtant proclamĂ© vivre ensemble », fabrique chaque jours des exclus et des marginaux qui accumulent en eux des ressentiments. Ce glaçant rĂ©cit en est l’illustration autant que son Ă©criture peut ĂȘtre une sorte d'exorcisme. J'ai apprĂ©ciĂ© le talent de l'auteur, les phrases simples et agrĂ©ables Ă  lire, une Ă©criture sobre et Ă©lĂ©gante, de courts chapitres, une architecture du texte bien construite en forme d'analepse et malgrĂ© tout un suspense distillĂ© jusqu'Ă  la fin, mĂȘme si les premiĂšres phrases du roman ne laissent aucune ambiguĂŻtĂ© sur l'Ă©pilogue sanglant. Je ne connaissais pas cette auteure et je me fĂ©licite qu'elle ait Ă©tĂ© distinguĂ©e par ce prix littĂ©raire prestigieux. Il m'est parfois arrivĂ© dans cette chronique de dire qu'il a Ă©tĂ©, dans le passĂ©, attribuĂ© Ă  des Ă©crivains qui ne le mĂ©ritaient pas. Ce n'est nullement le cas ici, tant s'en faut, et je suivrai volontiers l'univers crĂ©atif de LeĂŻla Slimani. Nouvelles inquiĂštes – Dino Buzzati Ed. Robert Laffont Traduit de l'italien par Delphine Gachet. L'univers de la nouvelle est particulier et rĂ©unir dans un recueil des textes Ă©crits Ă  des moments diffĂ©rents, sous des inspirations diverses tient parfois de la gageure. Ceux-ci ont en effet Ă©tĂ© publiĂ©s dans Le Corriere della Sera », le cĂ©lĂšbre quotidien milanais oĂč Buzzati a occupĂ© des postes diffĂ©rents de 1928 Ă  1972. Il a gardĂ© de son ancien mĂ©tier de journaliste son sens de la concision qui sied si bien Ă  ce genre littĂ©raire et qui en fait l'originalitĂ©. Il a le souci du petit dĂ©tail qui tient lieu de longues descriptions, joue avec le suspense au point que le lecteur en vient Ă  dĂ©sirer ardemment l’épilogue, surtout quand il met du fantastique dans son texte. Ici nous ne sommes pas dans le dĂ©sert des Tartares » Feuille volante n° 1076 qui lui valut sa notoriĂ©tĂ©, oĂč il raconte une longue histoire, celle de ce capitaine Drogo qui attend quelque chose de la vie sans trop savoir quoi et qui finit par lui Ă©chapper, encore que le texte qui ouvre ce recueil en reprend le cadre, un peu comme si la vie militaire exerçait sur l'auteur une sorte de fascination. C'est le mĂȘme Giovanni Drogo qui revient dans une de ces nouvelles mais sous la forme d'un jeune homme qui attend, lui aussi et qui finit par rencontrer la Camarde. Mais, revenons sur le titre. Il est parlant et c'est un thĂšme qui convient parfaitement Ă  notre auteur, au regard qu'il porte sur la vie. C'est vrai que si on se penche un tant soit peu sur notre condition humaine, si on accepte de l'observer, de l'analyser, de la dissĂ©quer, il y a bien de quoi ĂȘtre inquiet ! Notre condition d'homme implique la mort, mĂȘme si en Occident nous faisons semblant de l'oublier et vivons sans y penser. Elle est prĂ©sente dans tout ce recueil, encore Ă©vite-t-il la traditionnelle tartuferie dont parlait Brassens Tous les morts sont de braves types depuis qu'ils ont cassĂ© leur pipe ». Ainsi Buzzati remet-il les pendules Ă  l'heure en Ă©voquant les disparus tels qu'ils Ă©taient vraiment de leur vivant. Cela fait parfois un choc. Non la vie n'est pas si belle que cela et quand elle peut l'ĂȘtre, nous avons cette bizarre volontĂ© de nous la compliquer jusqu'Ă  dĂ©truire ce que nous avions patiemment tissĂ©. Quant Ă  l'enfer, il n'existe pas dans l'au-delĂ  mais bien ici, dans notre vie terrestre, et il ne cache pas sa conviction dans ce domaine. Notre vie est un perpĂ©tuel combat, contre nous-mĂȘme et surtout contre les autres oĂč chacun rĂȘve d'Ă©liminer son voisin pour s'approprier ce qui lui appartient ? N'est-ce pas une comĂ©die qui tourne parfois Ă  la tragĂ©die entre flagorneries, compromissions, trahisons et simulacres. Chacun pour soi est le mot d'ordre, Ă©tonnez-vous qu'ainsi la solitude soit le rĂ©sultat de tout cela ! Pendant qu'il y est, il rĂšgle aussi son compte Ă  l'amour et aux amoureux qui choisissent de ne rien voir de la rĂ©alitĂ© immĂ©diate. A la passion du dĂ©but succĂšde rapidement des espĂ©rances de pompes funĂšbres, quand on n'entretient pas artificiellement l'illusion qui cache dĂ©sespĂ©rĂ©ment les mensonges, les duplicitĂ©s, les adultĂšres. Les enfants perdent vite leur innocence et dĂšs lors qu'ils entrent plus avant dans la vie ils apprennent tout le parti qu'ils peuvent tirer de ses hypocrisies et du jeu sur les apparences. Pendant qu'il y est, il n'oublie pas la fuite du temps qui nous rapproche inexorablement du terme et empoisonne la vie de ceux qui en prennent conscience et dĂ©plorent cette contingence. Encore faut-il qu'il ne se dĂ©forme pas mystĂ©rieusement et bouleverse le quotidien de notre vie en se peuplant de fantĂŽmes qui bien entendu se vengent. Le temps lui-mĂȘme dissout tout, la beautĂ©, la jeunesse. Parce que, pour corser le tout, son Ă©criture s'enrichit de mystĂšre, les rĂ©cits se font sibyllins, les dĂ©nouements Ă©nigmatiques, histoire de dire Ă  son lecteur qu'il est, grĂące Ă  lui, dans un autre monde, une autre dimension oĂč il faut faire abstraction de la logique, oublier le cartĂ©sianisme pour ne privilĂ©gier que ce qui Ă©chappe Ă  l'esprit le plus rationnel, sans oublier de rire de tout ! © HervĂ© GAUTIER – DĂ©cembre 2016 Otages intimes - Jeanne Benameur Actes Sud Étienne est reporter de guerre. Il a Ă©tĂ© pris en otage et a cru mourir, s'accrochant seulement Ă  un mince espoir de libĂ©ration qu'il connaĂźt aujourd'hui dans l'avion qui le ramĂšne en France. Il a Ă©tĂ© une monnaie d'Ă©change, a laissĂ© derriĂšre lui d'autres journalistes qui sont peut-ĂȘtre morts et il le sait. Ce mĂ©tier, il l'a choisi avec ses dĂ©parts et ses risques pour sa vie, comme son pĂšre avant lui, pĂȘcheur en haute mer et qui n'est jamais revenu. AprĂšs avoir connu cette solitude de jeune veuve, sa mĂšre, IrĂšne, institutrice de campagne mais aussi musicienne, a connu celle de savoir son fils en danger de mort avec cette quasi-certitude qu'il ne reviendra pas lui non plus, victime de son mĂ©tier. Dans l'avion qui le ramĂšne Ă  Paris, il sait qu'il va devoir rĂ©apprendre Ă  vivre, mais ne sait pas comment. A l’aĂ©roport, IrĂšne l'attend mais elle n'est pas seule, il y aussi Emma, sa derniĂšre si tout est fini entre eux Ă  cause de ses dĂ©parts et des angoisses que cela lui infligeait, parce qu'il Ă©tait un intermittent de la vie », elle pense encore Ă  lui malgrĂ© une liaison entamĂ©e avec Franck. Elle ne parviendra cependant pas Ă  renouer avec lui. D’autres aussi l’attendent il y a Enzo, le fils de l'Italien », l'ami d'enfance, le menuisier, le parapentiste qui jouait aussi du violoncelle ; avec Étienne qui Ă©tait pianiste et Jofranka, l'Ă©trangĂšre, l'enfant recueillie qui Ă©tait flĂ»tiste, ils formaient un trio, heureux de jouer ensemble, heureux de vivre. Ils s'Ă©taient promis de ne jamais se quitter, ils Ă©taient un peu les trois enfants d'IrĂšne ». Enzo est restĂ© au village, et Jofranka, son Ă©pouse Ă©phĂ©mĂšre,est avocate Ă  La Haye et se consacre aux femmes dĂ©truites par la guerre, les aide Ă  tĂ©moigner de ce qu'elles ont vĂ©cu. Étienne doit rĂ©apprendre Ă  vivre, oublier sa dĂ©tention et la mort qu'il a cĂŽtoyĂ©e et pour cela il revient au village prĂšs de sa mĂšre un peu comme on remonte le temps , y retrouve Enzo puis Jofranka. Tous ces personnages sont des solitaires mĂȘme si certains comme Étienne et Jofranka ont choisi de quitter le village, ont pris le parti d'approcher la violence, de tremper dans la chaos du monde » chacun Ă  sa maniĂšre ; c'est un peu comme s'ils avaient besoin de la guerre et du malheur. Enzo et IrĂšne, eux, ont eux choisi d'y rester, Ă  la recherche d'une hypothĂ©tique paix que probablement ils ne trouveront pas. Chacun revient sur son enfance, sur son passĂ©, Étienne tourmentĂ© par ses photos, par ce qu'il a vu, qu'il ne peut oublier et qu'il raconte, Jofranka par son combat difficile pour les femmes meurtries par la guerre, Enzo par le souvenir de sa femme qui lui a dĂ©finitivement Ă©chappĂ©, Ă©chec intime qu'il tente d'exorciser par le travail du bois et sa complicitĂ© avec l'air, IrĂšne qui, elle aussi jadis, s'est vengĂ©e de son mari et ses longues absences. Son fils, bien que petit Ă  cette Ă©poque a compris que quelque chose se passait. Plus tard, il a choisi ce mĂ©tier de reporter pour fuir ce microcosme familial dĂ©lĂ©tĂšre, errer dans le monde, aller au-devant de la violence et peut-ĂȘtre recherche la mort. C'est Ă  la fois une quĂȘte dramatique, un acte de dĂ©sespoir et un geste bizarrement expiatoire. Peut-ĂȘtre fuit-il aussi cette amitiĂ© qui devait ĂȘtre solide et qui a Ă©tĂ© trahie par l'amour d'Enzo et Jofranka. Elle a choisi de consacrer sa vie Ă  la dĂ©fense des femmes dĂ©truites par la guerre parce qu'elle est elle-mĂȘme une rĂ©fugiĂ©e, une recueillie, une façon peut-ĂȘtre d'honorer une dette ? Enzo ne parviendra jamais Ă  se dĂ©livrer de son ex-Ă©pouse et il le sait. Il conserve en lui l'amour pour elle et ne s'en libĂ©rera jamais Ă  cause de sa part de mystĂšre. Comme chacun d'entre nous, ils ont quelque chose Ă  exorciser, quelque chose Ă  prouver, une vĂ©ritĂ© Ă  trouver, une vie Ă  sauver, la leur peut-ĂȘtre dont il ne sont que les usufruitiers et qui est si fragile. Pendant l'incarcĂ©ration de son fils, IrĂšne s'est considĂ©rĂ©e elle-mĂȘme comme un otage et elle a revĂ©cu les absences de son mari, Louis, qui la trompait avec une autre femme qu'il allait retrouvĂ©e au cours de ses voyages. Tous sont d'ailleurs un peu captifs dans cette histoire, Ă  travers leur vĂ©cu, leurs liens avec Étienne, leurs projets reportĂ©s ou avortĂ©s, les silences qui entourent leurs fantasmes, leurs peurs, leurs obsessions. Tous sont libres maintenant et c'est l'eau vive et fraĂźche du torrent familier qui symbolise le mieux cette libertĂ©. C'est elle qui les rĂ©unit chez IrĂšne malgrĂ© leur passĂ© parfois tourmentĂ©, leurs regrets et leurs remords, c'est cette libertĂ© qui dĂ©cidera peut-ĂȘtre de leur avenir. Ce roman aux multiples thĂšmes tĂ©moigne de la violence dont est capable l'homme pour ses semblables, c'est aussi un tĂ©moignage sur la solitude dans les combats et les recherches intimes, celles qui caractĂ©risent chacun d'entre nous, mĂȘme si nous prĂ©tendons le contraire, mĂȘme si nous nous jouons la comĂ©die parce qu'elle fait partie de la condition humaine, qu'elle est inĂ©vitable et qu'elle revient toujours. Je ne suis entrĂ© que tard dans ce roman intense, bien Ă©crit et agrĂ©able Ă  lire, Ă©mouvant et poĂ©tique aussi et je ne regrette pas ma persĂ©vĂ©rance. © HervĂ© GAUTIER – Novembre 2016 La honte – Annie Ernaux Gallimard C'est bizarre les livres. On leur donne vie aprĂšs les avoir portĂ©s longtemps, ils mĂ»rissent, nous vieillissons et il finissent par sortir, parfois un peu malgrĂ© nous, souvent Ă  notre grand Ă©tonnement et le point final se met comme de lui-mĂȘme. Pour eux on sollicite la mĂ©moire, l’imagination, le travail, la documentation et ce souffle un peu bizarre qu'on nomme inspiration sans vraiment ĂȘtres capables de le dĂ©finir. Souvent on fait appel Ă  son histoire personnelle qui se raccroche Ă  des photos, comme ici, la traditionnelle communion solennelle, un voyage en famille, une carte postale. A l’époque de la jeunesse de l'auteure qui est aussi un peu la mienne, les photos Ă©taient en noir et blanc sur papier glacĂ©, avec un rebord dentelĂ©, un cadre blanc et on Ă©crivait souvent au dos, une date ou un lieu
 C'Ă©tait le temps des messes en latin, avec des priĂšres qu'on rĂ©citait par cƓur sans les comprendre, de la communion reçue Ă  jeun depuis la veille, des dizaines de chapelet ĂąnonnĂ©es pour tout et n'importe quoi et dont on finissait par ĂȘtre persuadĂ©s qu'elles Ă©taient indispensables Ă  la bonne marche du monde... L'auteur, fille unique d'une famille de petits commerçants provinciaux, catholiques, conservateurs, a une mĂšre dominatrice et un pĂšre soumis mais qui, un jour de colĂšre, menaça de la tuer. Nous sommes en 1952, elle a douze ans et cette scĂšne violente se grava dans sa mĂ©moire au point que, bien des annĂ©es aprĂšs, elle en rechercha la trace dans le journal local, vainement Ă©videmment. PoussĂ©e par l'envie d'Ă©crire, elle relate cet Ă©vĂ©nement avec une grande Ă©conomie de mots mais aussi se livre Ă  une Ă©tude topographique, sociologique, linguistique, une Ă©tude des expressions et comportements sociaux de cette petite ville de Y. qui, au sortir le la guerre, se relĂšve lentement du conflit, de ses bombardements...L'auteure insiste sur ce quartier populeux, Ă  la limite de la campagne, avec sa population ouvriĂšre, ses usages, ses tabous, son rythme de vie pour se concentrer sur la boutique familiale de l'Ă©picerie-mercerie-cafĂ© ». Elle y dĂ©taille la conduite qui est propre Ă  un petit commerce relative Ă  la discrĂ©tion, Ă  la maniĂšre de se comporter, de l'image qu'on donne de soi pour Ă©viter la perte de clientĂšle gĂ©nĂ©ratrice de faillite infamante. Dans un autre chapitre elle dĂ©taille sa scolaritĂ© Ă  l'Ă©cole privĂ©e, ce qui Ă©tait un privilĂšge Ă  l'Ă©poque, puisque payante, oĂč se conjuguaient religion et savoir dans un rythme et des rites immuables, ses interdits, sa hantise de vivre en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel, la malĂ©diction de l'Ă©cole laĂŻque, mais aussi ses hantises de fille, ses rĂšgles qui ne viennent pas assez vite, un corps de femme qui prend du retard sur celui des autres
 Cela c'Ă©tait avant, avant cet Ă©pisode familial, repris d’ailleurs par un cousin qui a rouĂ© de sa tante de coups, un peu comme si quelque chose s'effondrait dans ce dĂ©cor si bien agencĂ© qu'on eĂ»t dit que rien ne pouvait venir le dĂ©ranger. En mĂȘme temps, la toute jeune fille qu'elle est encore regarde le monde extĂ©rieur avec des yeux curieux et mĂȘme un peu envieux. Chez elle aussi les choses changent, les goĂ»ts s'affirment qui ne correspondent pas exactement Ă  ce qu'on lui a enseignĂ© Ă  l'Ă©cole de Dieu, cet Ă©tablissement que l'Ă©lite sociale dont elle ne fait pas vraiment partie, est censĂ©e frĂ©quenter. Ainsi la honte tissĂ©e dans cet Ă©pisode familial se double-t-elle d'une dĂ©cision, celle de renier un peu ses parents, anciens prolĂ©taires devenus petits commerçants, et la menace que cette honte dure toujours et qu'elle s'impose Ă  elle dans sa permanence [ Il y a ceci dans la honte l'impression que tout maintenant peut vous arriver, qu’il n'y aura jamais d'arrĂȘt, qu'Ă  la honte il faut encore plus de honte encore. » ] Il y a cet aspect documentaire intĂ©ressant et qu'il ne faut surtout pas nĂ©gliger dans un tel contexte, surtout vu Ă  travers les yeux d'une petite fille qui dĂ©couvre le monde. AprĂšs ce qui avait introduit ce court roman et qui Ă©tait bien de nature Ă  traumatiser gravement une enfant de son Ăąge, je me suis interrogĂ© sur le long dĂ©veloppement sur son Ă©ducation religieuse, sur la vie quotidienne Ă  Y , sur ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas Ă  cette Ă©poque, me demandant si elle ne s'Ă©cartait pas du sujet. Je m'attendais, lĂ©gitimement peut-ĂȘtre, Ă  un dĂ©veloppement sur la honte comme le titre semble l'indiquer et pourquoi pas sur la culpabilisation si ancrĂ©e dans cette sociĂ©tĂ© d'aprĂšs-guerre inspirĂ©e par le judĂ©o-christianisme oĂč il fallait se sentir coupable de tout ainsi que le curĂ© de la paroisse le serinait chaque dimanche dans son sermon. Cette honte revient cependant Ă  la fin, d'une maniĂšre assez inattendue cependant, Ă  travers l'Ă©criture qui non seulement lui permet de solliciter sa mĂ©moire mais surtout de parvenir peut-ĂȘtre Ă  exorciser le passĂ©, ses mauvais moments surtout. Le temps souvent long qui passe entre ces deux Ă©pisodes, celui oĂč l'on vit l'Ă©vĂ©nement et celui oĂč on l'Ă©crit, prend sa vraie signification dans les mots qu'on trace sur la feuille blanche. Pourtant quelque chose m'attire chez cette auteur dĂ©couverte par hasard, cette facultĂ© particuliĂšre qu'elle a de raconter au premier venu » qu'est le lecteur son vĂ©cu, son espoir, son intimitĂ©, ses phobies, ses fantasmes
Elle peut sans doute Ă©prouver une certaine honte Ă  Ă©crire mais celle-ci ne sera jamais aussi grande que celle qui l'a envahie lors de cet Ă©pisode familial. Cela dit, j'aime son style, cette phrase fluide, agrĂ©able Ă  lire. © HervĂ© GAUTIER – Septembre 2016. Le voyant - JĂ©rĂŽme Garcin Gallimard Jacques Lusseyran 1924-1971 est un Ă©lĂšve de huit ans comme les autres et, Ă  la suite d'un accident stupide, une bousculade qui prĂ©cĂšde la rĂ©crĂ©ation, il perd l'usage de ses yeux. Sa vie aurait pu en ĂȘtre bouleversĂ©e mais ce garçon qui porte en lui des qualitĂ©s exceptionnelles va, au contraire, puiser dans cette infirmitĂ© une force peu commune puisqu'il refuse d'y voir un handicap. La guerre le surprend en pleine adolescence. Il est alors Ă©lĂšve Ă  Louis-le-Grand mais la loi en vigueur sous Vichy interdit aux handicapĂ©s les concours de la fonction publique. Il voit ainsi son rĂȘve d'enseignant s'effondrer mais cela fait de lui un RĂ©sistant chargĂ© du recrutement au sein du mouvement DĂ©fense de la France ». Cela peut paraĂźtre paradoxale mais il perçoit, dans la façon de serrer une main, la dĂ©termination d'un candidat au combat. Sans qu'il y soit pour rien, c'est pourtant un de ces postulants qui enverra tout son rĂ©seau Ă  Buchenvald. Il a Ă  l'Ă©poque 20 ans et ne verra rien de l'horreur des camps mais la sentira et, pire peut-ĂȘtre, l'imaginera. InterprĂšte et placĂ© dans la block des invalides, il Ă©chappera ainsi aux mauvais traitements et survivra, laissant une Ɠuvre reprise en Allemagne et aux États-Unis, mais pas en France oĂč il sera un auteur sans Ă©diteurs et donc sans lecteurs. On prĂ©fĂ©rait en effet le rescapĂ© Ă  l’écrivain. Pourtant, Ă  son retour du camp, il n'eut droit Ă  rien, ni pension, ni la moindre reconnaissance, sauf la LĂ©gion d'honneur et, la loi de PĂ©tain qui interdisait la fonction publique aux invalides n'ayant pas Ă©tĂ© abrogĂ©e, il vit s'Ă©vanouir un nouvelle fois son rĂȘve d'enseigner. Un profond traumatisme mental s'ensuivit qui bouleversa sa vie et il rechercha vainement une voie de secours qu'il trouva peut-ĂȘtre dans les sectes Ă©sotĂ©riques, dans ses nombreuses aventures fĂ©minines et un poste de professeur d'université  aux États-Unis ! Pour lui Ă©crire et aimer Ă©taient synonymes de la vraie vie. A sa mort accidentelle sur une route de France, il avait 47 ans. Paradoxalement peut-ĂȘtre, cette lumiĂšre qu'il avait perdue, il la retrouvait en lui-mĂȘme et sa nuit Ă©tait pour lui une vĂ©ritable clartĂ©. Lui qui refusa toujours une canne blanche et usa trĂšs tĂŽt d'une machine Ă  Ă©crire ordinaire sut ĂȘtre un chef, et plus tard un professeur, charismatique autant qu'un inspirateur dans ce combat pour la libertĂ©. Il portait en lui un message d'espoir pour tous les aveugles de tous les temps puisque, ainsi, son handicap Ă©tait pour lui une occasion de voir autrement ». Paradoxalement, son expĂ©rience de Buchenvald lui a redonnĂ© le goĂ»t de vivre. Son exemple, son Ɠuvre sont sĂ»rement de ceux qui sauvent tous les hommes en perdition et pas seulement ceux qui souffrent de cĂ©citĂ©. Il a eu, comme le dit l'auteur la grande clairvoyance des non-voyants ». Cette chronique a souvent rendu hommage Ă  JĂ©rĂŽme Garcin pour les Ă©crivains et les hommes oubliĂ©s qu'il a sortis de l'ombre. Il l'a toujours fait avec humanitĂ© et gĂ©nĂ©rositĂ©, en mettant au service de cette rĂ©surrection » sa belle et fluide Ă©criture autant que son travail de mĂ©ticuleux archiviste. C'est donc un double plaisir Ă  chaque fois que de le lire. C'est un fait, la France qui est, comme l'on lit le pays de culture », mĂ©prise souvent en les oubliant ceux Ă  qui le destin n'a pas donnĂ© assez de temps pour s'exprimer. La postĂ©ritĂ© est parfois ingrate dans la reconnaissance qu'elle distille avec parcimonie et parfois mĂȘme avec rancƓur, dĂ©cidant, pour des raisons bien souvent futiles de prĂ©cipiter des ĂȘtres exceptionnels dans les bas-fonds de l'oubli en les chargeant au passage de cette injustice qu'est le rejet et qui caractĂ©rise l'espĂšce humaine. Jacques Lusseyran fut de ceux-lĂ  qui servirent et honorĂšrent leur pays par leur action, par leur talent, par leur humanisme. Il puisa sa force dans ce qui aurait pu ĂȘtre une occasion de dĂ©solation et de dĂ©couragement et le portrait Ă©mouvant qu'en fait l'auteur ne peut que forcer le respect. Il fait partie de ces hommes et de ces femmes qui se sont levĂ©s face Ă  l'occupant, qui n'ont pas voulu ĂȘtre du cĂŽtĂ© du plus fort » mais dont les noms ont malheureusement Ă©tĂ© oubliĂ©s. J'ai personnellement toujours Ă©tĂ© Ă  la fois bouleversĂ©, rĂ©voltĂ© et interrogatif face Ă  la mort d'un ĂȘtre jeune. Certes, il n'a pas eu le temps de s'exprimer complĂštement, et en ce sens c'est un gĂąchis, mais aussi il ne s'est pas vu vieillir, n'a pas eu le temps de voir ses forces dĂ©cliner, son enthousiasme se dissoudre. AprĂšs Pour Jean PrĂ©vost »prix MĂ©dicis 1994 oĂč l'auteur nous parle d'un autre Ă©crivain-RĂ©sistant mort les armes Ă  la main au pied du Vercors, JĂ©rĂŽme Garcin signe ici un portrait sans concession et une Ă©mouvante Ă©vocation d’un homme exceptionnel injustement oubliĂ©. En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis Seuil Non les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens. Ce n'est pas vraiment le cas de la famille Bellegueule qui ressemble Ă  s'y mĂ©prendre Ă  toutes celles du village, le pĂšre qui boit et qui, comme les autres hommes, se partage entre le bistrot et l'usine, le dĂ©cor c'est les terres agricoles, le ciel plombĂ©, l'air polluĂ©, la pluie et le froid, la maison sans confort et trop petite pour une famille de sept enfants, la pauvretĂ©... La mĂšre souvent enceinte et qui ne lĂ©sine pas sur le tabac, la tĂ©lĂ© qui fonctionne en permanence, l'absence de livres, les ressentiments de chacun contre cette vie, solitude et violence ordinaires qu'on exorcise comme on peut. Dans ce milieu social, il faut ressembler Ă  tout le monde, les hommes sont des durs et quittent l'Ă©cole pour l'usine et les femmes deviennent caissiĂšres, se marient et ont des enfants
 Dans tout ce dĂ©cor, Eddy, l'un des fils, aux gestes effĂ©minĂ©s, est une Ă©nigme pour cette famille qui l'a Ă©levĂ© comme les autres garçons Ă  qui il ne ressemble pourtant pas. A cause de son aspect maniĂ©rĂ©, il est le souffre-douleurs de ses camarades de classe. Ses parents ne comprennent ni n'admettent cette diffĂ©rence, ne se gĂȘnent pas pour se moquer de lui en espĂ©rant sans doute qu'il rentrera dans le rang, qu'il sera comme les autres et ne leur fera pas honte. Certes ils ne sont pas dupes de l'homosexualitĂ© de leur fils, certes ils sont pauvres mais veulent donner une bonne Ă©ducation Ă  leurs enfants pour qu'ils ne souffrent pas comme eux de la misĂšre, qu'ils n’aient pas Ă  faire face au regard rĂ©probateur des gens, qu'ils Ă©chappent Ă  l'alcoolisme
 Le racisme ordinaire du pĂšre, son intolĂ©rance ne l’empĂȘchent pas de dĂ©fendre Eddy mĂȘme quand aucun doute n'est plus possible Ă  son sujet, que son attirance sexuelle pour les hommes est un fait indĂ©niable et qu'il est dĂ©sormais, pour cette raison, en bute aux lazzis de autres. Il tentera bien vainement des expĂ©riences fĂ©minines autant pour donner le change que pour vĂ©rifier ce qu'il savait dĂ©jĂ , mais ne trouvera son salut que dans la fuite de cette famille qui l'aime pourtant mais dans laquelle il ne se reconnaĂźt plus. Ce sera le théùtre puis plus tard les Ă©tudes supĂ©rieures, autant de voies auxquelles il n'avait sans doute pas pensĂ© . C'est Ă  la fois un Ă©veil Ă  une autre vie, Ă  la connaissance et Ă  la culture mais aussi l'accĂšs Ă  un monde oĂč il est acceptĂ© oĂč il ne sera plus jamais taxĂ© de pĂ©dĂ© ». Ce roman en forme de biographie, divisĂ© en deux parties, se dĂ©roule en Picardie dans les annĂ©es 1990, date Ă  laquelle l'homosexualitĂ© Ă©tait moins admise qu'aujourd'hui. Il y analyse la prise de conscience progressive d'un adolescent de son attirance pour les hommes. Il y dĂ©crit crĂ»ment et sans complaisance une classe ouvriĂšre minĂ©e par l'alcoolisme, la xĂ©nophobie, l'intolĂ©rance, l'absence de culture dans une rĂ©gion qui, par la suite, n'a pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©e par crise Ă©conomique. Il est gĂ©nĂ©ralement admis que chacun a de bons souvenirs de son enfance. C'est lĂ  une idĂ©e reçue qui m'a toujours Ă©tonnĂ© puisque la mienne n'a pas Ă©tĂ© marquĂ©e par le sceau du bonheur. Les circonstances ont certes Ă©tĂ© bien diffĂ©rentes et surtout en rien transposables Ă  celles de ce roman, mais lire sous la plume d'un auteur un tel tĂ©moignage me rassure un peu. Je finissais par me demander si mon cas avait quelque chose d'exceptionnel. Reste le titre qui sonne comme une page qu'on tourne et j'ai bien eu l' impression de que cette pĂ©riode de sa vie appartenait pour lui Ă  un passĂ© rĂ©volu. L'Ă©criture est reconnue pour ses qualitĂ©s cathartiques. Je ne sais si ce livre a changĂ© la vie de l'auteur en dehors du succĂšs littĂ©raire qu'il a suscitĂ©, s'il a correspondu Ă  une rĂ©elle libĂ©ration la force vĂ©gĂ©tale de l'enfance subsiste en nous toute la vie » dit Gaston Bachelard oĂč s'il a exploitĂ© ce moment dĂ©lĂ©tĂšre de sa vie pour entrer en littĂ©rature puisque c'est lĂ  son premier roman, mais ces pages rĂ©sonnent en moi avec des accents de sincĂ©ritĂ©. Il reste que si ses parents correspondent au portrait qu'il en a fait, je les imagine partagĂ©s entre la fiertĂ© d'avoir un fils Ă©crivain cĂ©lĂšbre et les rĂ©vĂ©lations qu'ils ont lues dans son livre. C'est un roman qui se lit rapidement, un style sans fioriture littĂ©raire, Ă©crit Ă  la premiĂšre personne, entre tĂ©moignage et confidence. Pour autant il y a une sorte de double niveau dans le langage. D'une part l'auteur s'exprime simplement et d’autre part il rend compte des propos de ceux qui l'entourent et qu'il transcrit sans artifice. Cette diffĂ©rence se lit dans le graphisme du texte. © HervĂ© GAUTIER- Juin 2016 Je dirai malgrĂ© tout que cette vie fut belle - J d'Ormesson Tout au long d'un improbable procĂšs, dont on se doute qu'il sortira acquittĂ©, oĂč il est Ă  la fois le juge et l'accusĂ©, Jean d'Ormesson, bien qu'il s'en dĂ©fende, si on en juge d'aprĂšs ses propos dans la presse et mĂȘme sur la quatriĂšme de couverture, nous offre un livre de MĂ©moires. Dans cette mĂȘme quatriĂšme de couverture il demande qu'on ne compte pas sur lui pour livrer des souvenirs d'enfance et de jeunesse... mais se dĂ©pĂȘche de faire le contraire ! Et pour faire bonne mesure, il en rajoute un peu sur le thĂšme dĂ©jĂ  bien sollicitĂ© de la saga » familiale. C'est un vĂ©ritable monologue, camouflĂ© sous des dehors peu crĂ©dibles Moi, et Moi souvent rebaptisĂ© Sur-moi, une sorte de dĂ©doublement de la mĂȘme personne qui fait en alternance les demandes et les rĂ©ponses, dans le seul but de satisfaire sa grande passion, nous parler de l'auteur, de sa vie, de ses livres...Encore une fois, comme c'est souvent le cas chez lui, nous assistons Ă  un exercice, certes brillant et passionnant, mais fortement inspirĂ© par le solipsisme! Qu'il appartienne Ă  une grande famille aristocratique, avec tous les attributs de celle-ci, qu'il ait lui-mĂȘme menĂ© une vie pleine de rĂ©ussite professionnelle, artistique, culturelle, personnelle
 sa dimension entretenue de personnage public le laisse penser, et qu'il puisse, Ă  son Ăąge avancĂ© 90 ans, considĂ©rer ce parcours comme beau, est parfaitement admissible ; nous eussions Ă©tĂ© surpris du contraire, nous ses lecteurs. Il Ă©grĂšne donc pour nous ses souvenirs puisĂ©s dans la politique, l'histoire, la littĂ©rature, le journalisme et l'amour, un parcours aussi brillant que protĂ©iforme, mais la modestie un peu feinte dont il souhaite se parer me semble un peu fausse quand mĂȘme. MĂȘme s'il voudrait bien donner l'impression de n'ĂȘtre pas grand-chose on sent bien, Ă  le lire, qu'il est conscient de n’ĂȘtre pas comme tout le monde. Il s'exprime avec prolixitĂ© et j'ai craint au dĂ©but de m’ennuyer tout au long de ces presque cinq cents pages mais finalement l'intĂ©rĂȘt a pris le dessus, preuve s'il en fallait une qu'il n'est effectivement pas un vulgaire quidam. Il s'exprime avec son Ă©rudition coutumiĂšre et avec cette langue française dont il est un des meilleurs serviteurs, et c'est bien entendu un plaisir de le lire. Il nous confie son admiration pour les hommes qui bien souvent furent ses maĂźtres et parfois ses amis et pour les femmes qui ne furent pas toutes ses maĂźtresses mais dont la beautĂ© sut l'Ă©mouvoir. Certes il a commis des fautes et les confesse sans dĂ©tour mais c'est aussi une maniĂšre de se mettre en valeur. Il parle aussi, bien sĂ»r, de l'AcadĂ©mie dont rĂȘve tout Ă©crivain. Il y siĂšge depuis longtemps, Immortel que ces lieux impressionnent, mais qui aurait ressenti comme une insulte personnelle de n'y pas figurer simplement peut-ĂȘtre pour que son nom et son Ɠuvre ne soient pas oubliĂ©s dĂ©finitivement avec sa mort. De cette vĂ©nĂ©rable institution, dont il fut le plus jeune acadĂ©micien et dont il est maintenant le doyen, il parle comme d'une assemblĂ©e de notables des Lettres mais aussi d'un repĂšre de trublions, friands de petites avanies ou de blagues de potaches, l'esprit en plus, Ă©videmment ! S'il sait reconnaĂźtre ceux qui l'ont aidĂ©, c'est aussi une maniĂšre de dire que ceux-lĂ  ne se sont pas trompĂ©s et que, lui donnant leur appui, ils l'ont fait pour un ĂȘtre exceptionnel, c'est Ă  dire lui ! Au cours de ce procĂšs un peu surrĂ©aliste oĂč on se demande bien ce qui lui est au juste reprochĂ©, Ă  part peut-ĂȘtre avoir existĂ©, il en profite pour rĂ©affirmer son amour du monde, de la vie, pour dĂ©plorer un nouvelle fois la condition humaine dans tous ses aspects, la naissance par hasard, le temps qui passe et la mort inĂ©vitable, pour rĂ©affirmer sa croyance en Dieu comme il l'avait fait notamment dans Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit ». Je ne le connais qu'Ă  travers ses livres, c'est Ă  dire mal, mais il me semble qu'il est friand de reconnaissance, avec tout ce que cela comporte de rituels et mĂȘme d'hypocrisie mais j'avoue qu'il joue parfaitement son rĂŽle dans ce procĂšs imaginaire. Ce livre qui, encore une fois, emprunte son titre Ă  un vers d'Aragon nous montre sans fard un Ă©crivain mondain, narcissique quelque peu vaniteux mais qu'importe. Pour d'Ormesson, parler de lui est une institution et il est vrai qu'il le fait bien et il sait captiver son lecteur. C'est peut-ĂȘtre l'homme d'un seul livre dont Saint Augustin conseillait qu'on se mĂ©fiĂąt. Et aprĂšs ! Je dois dire en revanche que la fin de ce procĂšs tient un peu de la pantalonnade. Dans la troisiĂšme partie, il tire le bilan de sa vie et jette sur le monde qui l'entoure un regard dĂ©sabusĂ©, serein penseront certains, face Ă  ses changements rapides, Ă  ses oscillations perpĂ©tuelles entre ascension et dĂ©clin, gĂ©nĂ©ratrices de progrĂšs mais aussi de souffrances. Il pense Ă  sa propre mort et en vient mĂȘme Ă  penser que ce Dieu en Qui il croit n'existe peut-ĂȘtre pas ! Olype de Gouges – Catel & Bocquet Casterman Ă©critures Étonnant parcours que celui de Marie Gouze 1748-1793 qui prendra comme nom de plume Olympe de Gouges, fille bĂątarde d'Anne-Olympe Mouisset et du marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, futur acadĂ©micien, mariĂ©e Ă  seize ans elle sera veuve deux fois et Ă  dix-huit ans pourra jouir de sa dot et d'une indĂ©pendance que sa nouvelle condition lui confĂšre et dont elle va profiter. Elle ne se remariera plus ! Elle fut une femme de Lettres passionnĂ©e de théùtre, de politique et de libertĂ© dans une sociĂ©tĂ© oĂč une femme ne pouvait qu'ĂȘtre sous la dĂ©pendance d'un homme, fĂ©ministe, polĂ©miste, rĂ©volutionnaire, morte guillotinĂ©e
 Son authentique et passionnante biographie est dĂ©taillĂ©e Ă  la fin de cet ouvrage et romancĂ©e en trente et un tableaux, au long de ces quatre cents pages. Son parcours, de Montauban Ă  Paris a Ă©tĂ© semĂ© d’embĂ»ches, de rumeurs calomnieuses mais aussi de belles rencontres, de piĂšces de théùtre dont elle Ă©tait l'actrice mais surtout l'auteure. Elle a effectivement Ă©tĂ© libre et mĂȘme libertine voire scandaleuse mais a profitĂ© d'un riche amant qui lui a permis de vivre fort confortablement dans la capitale en compagnie de son fils Pierre dont elle a soutenu la carriĂšre. Elle Ă©tait cultivĂ©e, pleine d'esprit et de reparties, et douĂ©e d'une bonne plume. Elle a Ă  la fois frĂ©quentĂ© les salons parisiens oĂč elle n'a pas manquĂ©, malgrĂ© son accent rocailleux, de s'y faire accepter et d'y briller et a fait Ă©voluer les mentalitĂ©s sur la sociĂ©tĂ©, l’esclavage, l'Ă©mancipation du peuple, la condition des femmes et la reconnaissance politique de leurs droits, notamment celui de voter, d'ĂȘtre Ă©duquĂ©es et de divorcer. Elle a en effet pris conscience que l'affranchissement rĂ©cent des hommes du peuple s'est fait aux dĂ©pens des femmes qui ainsi furent les oubliĂ©es de cette rĂ©volution. Elle est en effet Ă  l'origine de la dĂ©claration des droits de la femme et de la citoyenne » qui fut ignorĂ©e bien qu'elle soit dans le droit fil des idĂ©es nouvelles mais que les rĂ©volutionnaires comme le roi, qu'elle respectait et courtisait, ont refusĂ©e. Donner le pouvoir aux femmes n'Ă©tait pas dans les projets du lĂ©gislateur et la libĂ©ration des hommes n’incluait pas celle des femmes qu'il convenait de maintenir dans leur Ă©tat de subordination ancestral ! Si elle a su s'imposer dans la sociĂ©tĂ© de l'Ancien RĂ©gime et y faire prĂ©valoir son talent, avec, il faut le dire, une bonne dose d'opportunisme, la RĂ©volution qu'elle avait pourtant appelĂ©e de ses vƓux, qu'elle avait inspirĂ©e et dont elle avait souhaitĂ© ardemment la rĂ©ussite, fut fatale Ă  la patriote passionnĂ©e par ses idĂ©es qu’elle Ă©tait devenue. Pour elle aussi la roche TarpĂ©ienne fut proche du Capitole, ce qui est bien souvent la rançon du succĂšs et une des leçons de la condition humaine. Elle vĂ©cut la trahison, la palinodie des rĂ©volutionnaires, participa Ă  sa maniĂšre Ă  la chute de ses meneurs, se fit journaliste pour dĂ©noncer les dĂ©rives sanguinaires de la Terreur, prit parti pour les Girondins, s’offrit Ă  ĂȘtre l'avocat de Louis XVI mais fut victime de sa notoriĂ©tĂ© et de sa soif de changement. Le graphisme en noir et blanc aurait peut-ĂȘtre mĂ©ritĂ© un peu plus de dĂ©tails notamment sur les visages. C'est un roman graphique, et non pas une BD quoique je ne ne fasse pas bien la diffĂ©rence mais ce que je retiens c'est que cette histoire passionnante se lit bien et surtout rend hommage Ă  cette femme d'exception, fort belle, gĂ©nĂ©reuse et altruiste, qui fut pleinement de son temps, fut une amoureuse de la vie, sut s'adapter Ă  cette pĂ©riode troublĂ©e de notre histoire en y survivant un temps et marqua son Ă©poque. HervĂ© GAUTIER – Mars 2016 BILQISS – Saphia Azzeddine - Stock Bilqiss, c'est le nom de cette femme insoumise, veuve, sans enfant et sans famille, qui, un matin alors que le muezzin dort encore, en proie Ă  une cuite!, monte en haut du minaret et appelle Ă  la priĂšre adhan Ă  sa maniĂšre, c'est Ă  dire avec sa sensibilitĂ© de femme et de croyante sincĂšre. Dans ce pays imaginaire l'Afganistan ? mais quand mĂȘme bien rĂ©el oĂč il vaut mieux ĂȘtre n'importe quoi, un volatile par exemple, qu'une femme, un tel acte est sacrilĂšge. Elle va donc ĂȘtre jugĂ©e et bien entendu lapidĂ©e parce que sa seule faute est de vivre seule dans une sociĂ©tĂ© qui ne veut pas d'elle parce qu'elle met en danger son Ă©quilibre. C'est que non seulement elle a ainsi enfreint la loi mais aux yeux des croyants il y a en outre des circonstances aggravantes. Elle possĂšde en effet dans son rĂ©frigĂ©rateur des courgettes et des aubergines entiĂšres pour sa nourriture mais qui, pour ses juges, Ă©voquent des symboles phalliques, une pince Ă  Ă©piler, du maquillage, des soutiens-gorges, des livres et de la musique ce qui constitue un crime impardonnable aux yeux des habitants du village. Pire peut-ĂȘtre, elle reconnaĂźt les faits et se dĂ©fend, seule sans pour autant renier Allah ! Bilqiss [qui porte le mĂȘme nom que la reine de Saba] n’est cependant pas le seul personnage de ce roman puisqu'une journaliste amĂ©ricaine, fille d'un milliardaire, suit ce procĂšs pour son journal, lui donne une mĂ©diatisation mondiale et s'imagine qu'elle pourra faire Ă©voluer les choses. Le juge est troublĂ© par la beautĂ© et la personnalitĂ© de Bilqiss qu'il connaĂźt mais qu'il doit condamner et ne sait plus quoi faire, coincĂ© qu'il est par sa position dominante et l'envie irrĂ©pressible qu'il a de la sauver. Il fait traĂźner le procĂšs en longueur en lui concĂ©dant le droit Ă  la parole dont elle profite en dĂ©nonçant les contradictions de cette sociĂ©tĂ©, lui rend visite dans sa prison mais n’oublie pas de la faire fouetter pour la pertinence et l'impertinence de ses propos. Cette trilogie tient le lecteur en haleine jusqu'Ă  la fin et suscite une rĂ©flexion sur la place de la femme dans cette sociĂ©tĂ© faite par et pour les hommes, le mariage forcĂ© des filles en bas Ăąge et leur maintien dans un Ă©tat de servilitĂ© dramatique, la prĂ©sence d'Allah et la rĂ©alitĂ© des abus qu'on commet en son nom, sous couvert de la loi islamique, l'amour impossible entre ce juge et celle qu'il doit condamner. Cette jeune femme a seule tenu tĂȘte aux hommes du village et aussi au juge, ce qui, en soi, est dĂ©jĂ  un crime, a voulu faire prendre conscience aux autres femmes de la nĂ©cessitĂ© de s'affirmer, de sortir de leur condition, respecte la religion mais remet en cause ses dĂ©viances que les hommes se sont appropriĂ©es Ă  leur seul bĂ©nĂ©fice. Cet ouvrage est classĂ© dans la catĂ©gorie roman », pourtant, je l'ai lu comme un livre documentaire bien qu'il se termine quand mĂȘme comme un roman qui en dit long sur une religion que je ne connais que par oui-dire mais qui officialise le calvaire domestique et quotidien de la femme musulmane que son mari tient pour sa bonniche, uniquement destinĂ©e Ă  enfanter, des mĂąles de prĂ©fĂ©rence, qu'il bat et dont il abuse Ă  son grĂ©. Quand Ă  l'amour que nous, occidentaux, cĂ©lĂ©brons et privilĂ©gions comme une valeur et un sentiment, il vaut mieux n'y pas penser. J'ai lu que les fondamentalistes nient la culture et la libertĂ© au profit d'un dogme religieux aveugle et quand j'entends que ces mĂȘmes islamistes qui viennent chez nous poser des bombes et tuer des innocents simplement parce qu'ils sont incroyants, souhaitent importer en occident ce qu'on a du mal Ă  appeler des valeurs », cela me fait un peu peur quand mĂȘme ! J'ai pu voir aussi que ces hommes qui se recommandent de Dieu sont tout aussi hypocrites que le sont nos ecclĂ©siastiques occidentaux et je me souviens que les religions ont Ă©tĂ© au cours de notre histoire un malheureux prĂ©texte donnĂ© aux hommes pour rĂ©gresser intellectuellement et moralement, exacerber leur volontĂ© de puissance mais aussi pour s’entre-tuer. La justice est rendue au nom d'Allah, mais il n'y a pas si longtemps en France, des crucifix ornaient encore les prĂ©toires et on prĂȘtait serment sur l’Évangile. Quant aux exĂ©cutions publiques qu'on peut dĂ©noncer dans ces pays comme un spectacle malsain, elles ont fait partie du nĂŽtre Ă©galement . Certes les choses ont heureusement changĂ© mais l’espĂšce humaine, elle, aura du mal Ă©voluer et Bilqiss ne se gĂȘne pas pour le faire remarquer Ă  cette journaliste amĂ©ricaine en lui rappelant que son reportage en sa faveur n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas dĂ©nuĂ© d'arriĂšre-pensĂ©es et certaines de ses remarques sur la prĂ©sence des troupes occidentales dans son pays sont aussi pertinentes que celles qu'elle adresse au juge sur la religion et la sociĂ©tĂ© . En lisant ce texte, avec effroi mais aussi une certaine crainte que le laxisme de nos dĂ©mocraties n’entrouvre la porte Ă  ce systĂšme juridico-religieux et ne dĂ©truise durablement notre art de vivre, je n'ai pu oublier que la beautĂ© des femmes est chez nous non seulement un prĂ©texte Ă  la crĂ©ation artistique mais aussi, Ă  titre personnel, une formidable illumination du quotidien. Si Dieu existe les femmes sont assurĂ©ment la meilleure rĂ©ussite de la CrĂ©ation mais j'observe que les religions que je connais celles du Livre leur font une bien piĂštre place ! Je me plais Ă  me souvenir du vers d'Aragon "L'avenir de l'homme, c'est la femme. Elle est la couleur de son Ăąme." © HervĂ© GAUTIER – Janvier 2016 LE BAR SOUS LA MER – Stefano BENNI – Actes Sud Traduit de l'italien par Alain Sarrabayrouse D'emblĂ©e, le lecteur est invitĂ© Ă  entrer dans ce recueil de nouvelles un peu Ă©trange. En effet, le narrateur raconte une rencontre, un soir, au bord de la mer. Il aperçoit un vieil homme qui entre dans l'eau. Croyant Ă  un suicide, il tente de le sauver mais se retrouve, Ă  sa suite, dans un bar sous la mer oĂč chaque client se met Ă  lui raconter une histoire plus abracadabrantesque que la prĂ©cĂ©dente, tissant dans ce lieu incertain une sorte de halo mystĂ©rieux, entre surrĂ©alitĂ© et cuisine gourmande. Ce sont d'ailleurs les personnages qui sont dessinĂ©s sur la couverture du livre. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires mais aussi un chien, sa puce et, bien entendu, une sirĂšne. Chacun y va de son rĂ©cit, aussi dĂ©jantĂ© qu'irrĂ©el, et dessine un univers labyrinthique oĂč le sĂ©rieux le dispute Ă  l'humour, sans qu'on sache exactement faire la part des choses
 Mais cela a-t-il vraiment de l'importance ? L'auteur ne fait Ă©videmment pas l'Ă©conomie d'une galerie de portraits dont les noms improbables vous transportent dans un ailleurs assez indistinct oĂč les animaux parlent et se transforment Ă  l'envi mais oĂč j'ai trouvĂ© mes marques sans aucune difficultĂ©. On y fait des dĂ©couvertes bizarres comme ces animaux qui vivent entre ces pages et qui sont friands de mots. Vous avez bien compris, ils les mangent ! Certains ont une appĂ©tence particuliĂšre pour les consonnes redoublĂ©es, les signes de ponctuation ou les verbes dĂ©sormais inusitĂ©s, quand ils ne s'attaquent pas Ă  la syntaxe ou aux verbes conjuguĂ©s Ă  l'imparfait du subjonctif ! Cela donne Ă©videmment un texte complĂštement fou, des jeux de mots, des phrases un peu bouleversĂ©es Ă  l'architecture bousculĂ©e 
 J'ai bien aimĂ© aussi Le samedi porno du Rex », pas pour son cĂŽtĂ© salace d'ailleurs absent, mais seulement pour l'humour du texte. Le style est jubilatoire, enjouĂ©, burlesque, s'attachant, son lecteur dĂšs la premiĂšre ligne sans que l'intĂ©rĂȘt suscitĂ© dĂšs l'abord ne disparaisse. le texte est cultivĂ© », plein d'enseignements, lĂ©ger et les thĂšmes traitĂ©s le sont d'une maniĂšre originale, tĂ©moin cette version trĂšs personnelle de Moby Dick ou cette visite forcĂ©e et nocturne dans une mystĂ©rieuse maison au bien Ă©trange occupant. L'auteur ne nĂ©glige aucun dĂ©tail dans la description des situations ou l'Ă©vocation des personnages, use volontiers de l'analepse, ce qui contribue Ă  tisser un dĂ©cor qui, peu Ă  peu, devient familier au lecteur. Stephano Benni est un remarquable conteur. Il distille des histoires extraordinaires sans ĂȘtre morbides, extraterrestres, extra humaines dans lesquelles je suis entrĂ© de plain-pied avec dĂ©lice. Je ne sais pas si le monde dans lequel nous vivons tous m'est Ă  ce point indiffĂ©rent voire dĂ©sagrĂ©able mais l'univers de Benni que j'ai juste entraperçu ici me plaĂźt bien et je m'y rĂ©fugie volontiers. J'embarque avec lui dans son voyage et j'ai plaisir Ă  explorer, Ă  son invite, cet univers onirique d'invĂ©tĂ©rĂ©s raconteurs d'histoires, un peu mythomanes quand mĂȘme et pour le moins dĂ©calĂ©s et je suis sĂ»r que, avec moi, vous en redemanderez ! D'ailleurs, cette incursion dans un lieu sous-marin, un bar oĂč, dit-on les langues se dĂ©lient plus facilement, les relations se tissent plus aisĂ©ment, serait-elle pour le lecteur une invitation Ă  se maintenir dans un lieu intermĂ©diaire, une sorte de monde fait de mots, d'idĂ©es et de situations diffĂ©rentes du nĂŽtre, une maniĂšre d'ĂȘtre autrement, une antidote bienvenue Ă  notre quotidien ordinaire, une sorte de chance donnĂ©e Ă  chacun des clients de rĂ©vĂ©ler sa vision du monde ? C'est vrai que dans ce recueil, nous ne sommes pas exactement sur terre ! ©HervĂ© GAUTIER – Janvier 2016 DANS LES BOIS ETERNELS – Fred Vargas Ed. Viviane Hamy Elle est bizarre cette histoire qu'il est difficile et sĂ»rement inutile de rĂ©sumer tant elle est compliquĂ©e. D'ordinaire, on se dĂ©barrasse volontiers d'une affaire dĂ©licate en la refilant Ă  un autre. Ici, le commissaire Adamsberg insiste lourdement pour se faire attribuer le meurtre de deux petits dealers parfaitement inconnus mais que revendique la Brigade des Stups ». C'est oublier un peu vite qu'il est tĂȘtu, mais tĂȘtu comme un BĂ©arnais, ce qui n'est pas peu dire et ce d'autant plus qu'il vient de croiser un peu par hasard Ariane, la mĂ©decin lĂ©giste qu'il a connue dans une autre vie, il y a bien longtemps. Il a dĂ©cidĂ© qu'elle serait une adjointe prĂ©cieuse dans cette affaire et elle lui livre effectivement des indices intĂ©ressants sur ces deux victimes. Elle rĂ©ussit mĂȘme Ă  le convertir Ă  sa thĂ©orie sur les meurtriers dissociĂ©s » dont pourrait bien faire partie une vieille infirmiĂšre, rĂ©cemment Ă©chappĂ©e d'une prison allemande, et qui, selon la lĂ©giste, ferait une coupable trĂšs prĂ©sentable. Il la mettrait bien dans son lit, cette Ariane, mais ses relations avec les femmes sont compliquĂ©es, un peu comme celles qu'il a avec Camille, son Ă©pouse, la mĂšre de son enfant mais dont il est actuellement sĂ©parĂ©. Elle prend de plus en plus la forme et la consistance d'une ombre, un peu comme celle qui hante la maison que le commissaire a choisi d'habiter et que tout le monde Ă©vite Ă  cause justement de ce fantĂŽme. ObnubilĂ© par cette idĂ©e, il ira pour autant la rechercher bien loin de Paris, cette silhouette grise qui est liĂ©e Ă  cette affaire, Ă  tout le moins le pense-t-il, mais toujours dans des cimetiĂšres, Ă  dĂ©terrer des cercueils de femmes vierges. Comme rien n'est simple, cette enquĂȘte emmĂšne toute la brigade au cimetiĂšre de Montrouge, Ă  la recherche de petits cailloux et de terre logĂ©e sous les ongles des deux victimes, ce qui se traduit par l'ouverture d'une tombe et des hypothĂšses qui paraissent bien lĂ©gĂšres ! C'est que le commissaire Adamsberg est comme un pĂšre pour chaque membre de cette brigade qui le suit aveuglement sans poser aucune question. Les liens qui les unissent son trĂšs forts et notamment ceux qui lient le lieutenant Retancourt, une jeune femme imposante mais indispensable au commissaire depuis une aventure canadienne constamment rappelĂ©e dans ce roman. C'est aussi sans compter aussi sur le commandant Danglard, Ă©rudit alcoolique dont les connaissances Ă©tonnent toujours le commissaire et qui lui aussi Ă  un rĂŽle de protecteur. D'ailleurs dans cette brigade comme dans une vĂ©ritable famille les agents sont solidaires et chacun protĂšge l'autre. Comme dans chaque brigade, il y a toujours le nouveau, celui qu'il faut former et qui bien souvent entrave la bonne marche des choses par ses questions. Ici le Nouveau avec une majuscule c'est Veyrenc, un BĂ©arnais lui aussi qui n'est pas exactement un nouveau puisqu'il est policier depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ , a Ă©tĂ© enseignant, semble Ă©garĂ© dans la police avec ses cheveux bicolores, cette passion pour Racine et cette manie bien Ă©trange de ne s'exprimer qu'en alexandrins. Est-ce une coĂŻncidence, mais sa prĂ©sence ici ne doit rien au hasard et il rĂ©veille par sa seule prĂ©sence des souvenirs d'enfance que Adamsberg croyait Ă©vanouis et en tout cas qu'il aurait bien voulu oublier. On va de fausses pistes en histoires abracadabrantesques, empruntĂ©es au prĂ©sent, au passĂ© ou Ă  l'imagination comme ces palabres incertains et apparemment inutiles sur l'os du groin de porc, l'os pĂ©nien du chat, le pillage des reliquaires religieux, la recette de la vie Ă©ternelle quĂȘtĂ©e dans des grimoires, les bois de cerf, la recherche d'hypothĂ©tiques femmes vierges dans le dĂ©partement de l'Eure, l'inspiration que trouve le commissaire dans le vol des mouettes sur la Seine ou en pelletant les nuages
 Bref l'enquĂȘte s'enlise chaque jour un peu plus et les policiers de la brigade doutent ! Mais aprĂšs tout ce n'est pas autre chose que la rĂ©alitĂ© avec son droit imprescriptible Ă  l'erreur. Peut-ĂȘtre pas tant que cela cependant puisqu'il est vrai que la vengeance se nourrit de la mĂ©moire et la fausse piste de la mystification ! On ne s'ennuie vraiment pas dans un roman de Fred Vargas et quand c'est fini ça recommence, les impasses ne sont qu'apparentes et l'auteur tient son lecteur en haleine jusqu'Ă  la fin. C'est bien Ă©crit et c'est passionnant. HervĂ© GAUTIER – DĂ©cembre 2015 TRAITE SUR LA TOLERANCE - Voltaire Gallimard Voltaire est sans doute l'Ă©crivain français dont la pensĂ©e et la personnalitĂ© ont le plus largement rayonnĂ© Ă  l'extĂ©rieur comme Ă  l’intĂ©rieur de son pays mĂȘme si on ne retient bien souvent de son Ɠuvre que Candide ». Il a incarnĂ© ce qu'on nomme Le siĂšcle des LumiĂšres » qui a annoncĂ© le grand changement de la RĂ©volution et quand on parle de lui on pense inĂ©vitable au Français Ă  qui ses personnages ressemblent. C'est vrai qu'il s'est largement mis Ă  dos pas mal de ses contemporains, les religieux, les jĂ©suites et les jansĂ©nistes surtout, les militaires, les juges, les Ă©crivains, les philosophes... C'est que l’homme Ă©tait volontiers frondeur, doutait systĂ©matiquement des choses Ă©tablies et ne manquait jamais d'exercer son esprit critique en dĂ©nonçant l'absurditĂ© du monde. Il Ă©tait avant tout attachĂ© Ă  la raison, Ă  la libertĂ© et Ă  son corollaire, la tolĂ©rance. DĂšs lors qu'il avait posĂ© cela, l'histoire lui fournissait la matiĂšre Ă  polĂ©miquer, Ă  dĂ©noncer toutes les formes d'intolĂ©rance et il ne pouvait que combattre la religion et l'injustice. Il ne devait donc pas laisser passer l'occasion donnĂ©e par l'affaire Calas, ce protestant toulousain condamnĂ© Ă  mort et exĂ©cutĂ© parce qu'on le soupçonnait d’avoir tuĂ© son fils qui voulait se convertir au catholicisme. En rĂ©alitĂ© le fils Calas qui s'Ă©tait dĂ©jĂ  converti, s'Ă©tait pendu parce qu'il ne pouvait devenir avocat Ă  cause de sa confession protestante. Cette interdiction Ă©tait la consĂ©quence de la politique de Louis XIV aggravĂ©e d'ailleurs sous son successeur. L'intolĂ©rance avait ainsi non seulement provoquĂ© le suicide du fils mais par le biais de la condamnation prononcĂ©e par la justice, l'exĂ©cution du pĂšre contre toute logique. Ainsi le fanatisme du peuple attisĂ© par l’Église, gĂ©nĂ©ra l’intolĂ©rance donc l'abus de pouvoir du tribunal au mĂ©pris de la vie. C'est Voltaire seul et dĂ©jĂ  ĂągĂ© il a Ă  l'Ă©poque 70 ans, il mourra Ă  84 ansqui obtiendra sa rĂ©habilitation aprĂšs trois ans d'efforts. C'Ă©tait pour lui combattre le fanatisme des deux religions, catholique comme huguenote, mais aussi l'iniquitĂ© de la justice qui le condamna. Ainsi dans la premiĂšre partie de son ouvrage montre-il combien, dans l'histoire, l'intolĂ©rance et le fanatisme religieux se sont rĂ©vĂ©lĂ©s nĂ©fastes pour la sociĂ©tĂ©. Dans la seconde partie, s'adressant aux sectaires de toutes les religions puis aux chrĂ©tiens, il plaide en faveur de la tolĂ©rance Moins de dogmes, moins de disputes; et moins de disputes moins de malheurs si cela n'est pas vrai, j'ai tort ». autant qu'il prĂŽne une religion naturelle qui, loin des dogmes qui divisent, a pour effet de rassembler les hommes, de les unir. Voltaire mena le dossier comme un avocat de la dĂ©fense, combattant la vĂ©ritĂ© officielle mais son action ne s’arrĂȘta cependant pas lĂ  et il ouvrit aussi largement aux victimes les portes de sa demeure de Ferney. Ainsi le libertin, le dilettante, le courtisan, le philosophe, le pamphlĂ©taire, laissĂšrent-ils la place au polĂ©miste qui agissait au nom des droits de l'homme avant la lettre et il milita par une action engagĂ©e en faveur de Sirven, du Chevalier de La Barre, de Montbailli, de Lally-Tollendal. Cet ouvrage, ainsi que d'autres qui suivront, rĂ©clament Ă©galement une rĂ©forme de la justice, l'indĂ©pendance et la formation des juges et non plus l’achat de leur charges, la preuve de la culpabilitĂ© et l'abolition de la question », des peines proportionnĂ©es aux crimes et aux dĂ©lits... La tolĂ©rance qu'il rĂ©clame et qui sous-tend Ă©videmment Ă  la libertĂ© d'expression, ne trouve pas Ă  s'appliquer seulement contre les fanatiques religieux qui assassinent tous ceux qui ne pensent pas comme eux mais aussi Ă  l'encontre de tout ce qui s'oppose Ă  la libertĂ© de penser quelque forme qu'elle prenne et de quelque bord qu'elle vienne. Ce livre prend actuellement un relief tout particulier et le pamphlet qu'il mĂšne Ă  son Ă©poque contre les catholiques et plus prĂ©cisĂ©ment contre les abus de l’inquisition, est aisĂ©ment transposable aujourd'hui. Voltaire ne fut certes pas le premier ni le seul Ă  combattre l'instinct grĂ©gaire et la pensĂ©e unique mais il fut un vĂ©ritable lanceur d'alerte » qui suscita dans l'opinion une prise de conscience contre l'injustice et l'intolĂ©rance. Son influence s'est manifestĂ©e dans bien des domaines et il eut, sans le savoir, beaucoup de disciples. C'est aussi l'esprit de l'auteur du TraitĂ© sur la TolĂ©rance » qui renaĂźt aujourd'hui dans cette affirmation qui a fleuri dans les rues et dans les mĂ©dias français. Malheureusement ces attaques contre la libertĂ© ont tendance Ă  se reproduire dans les dĂ©mocraties que le fanatisme religieux attaque parce qu'elles sont justement plus tolĂ©rantes. Être Charlie c'est aussi un peu ĂȘtre Voltaire. ©HervĂ© GAUTIER – DĂ©cembre 2015 Boussole – Mathias Enard Actes Sud L'Orient a toujours fascinĂ© les occidentaux. Frantz Ritter, le narrateur, universitaire orientaliste, un peu mĂ©lancolique, valĂ©tudinaire et opiomane d'occasion, n'Ă©chappe pas Ă  cette Ă©vidence, non seulement Ă  travers la musique dont il est spĂ©cialiste et qu'il cite volontiers, mais aussi sans doute parce qu'il habite Vienne et que cette ville est censĂ©e, pour des raisons un peu obscures, ĂȘtre la porte de cet Orient mystĂ©rieux et mythique. Être insomniaque et enfermĂ© dans son petit appartement sur lequel la nuit tombe, invite Ritter, peut-ĂȘtre au soir de sa vie, Ă  Ă©voquer ses souvenirs de voyage d’Istanbul Ă  Alep, de Damas Ă  TĂ©hĂ©ran et ce d'autant plus que s'y insinue l'image d'une femme, l’insaisissable et flamboyante Sarah, nomade intellectuelle qui fut jadis sa complice, son mentor et surtout l'objet de ses amours chastes et platoniques. Ce personnage timide, fils Ă  maman », Ă©ternel cĂ©libataire, Ă©rudit mais solitaire dont les tentatives enamourĂ©es et parfois Ă©rotiques en direction de Sarah tombent toujours Ă  plat [il aura cependant sa nuit d'amour avec elle Ă  TĂ©hĂ©ran], va se remĂ©morer sa vie, ses souvenirs qui ressemblent Ă  un journal d'Orient dont les articles se seraient entassĂ©s pĂȘle-mĂȘle et se libĂ©reraient d'un coup Ă  la faveur de cette nuit interminable oĂč il s'Ă©gare, fantasme, cite sans cesse d'autres personnages, un Ă©pisode de la mythologie grecque ou un dĂ©tail architectural d'un palais ottoman, un peu comme on fait nuitamment quand le sommeil tarde Ă  venir. Singulier personnage que ce Frantz dont la vie sentimentale est un Ă©chec sur toute la ligne et pas seulement avec Sarah [l'image de cette femme renvoie peut-ĂȘtre aux quelques vers de l'exergue ?] et qui doit se contenter du rĂȘve, des hĂ©sitations et des souvenirs. La lascivitĂ© Ă©rotique de l'Orient n'est Ă  l'Ă©vidence pas pour lui et il n'a mĂȘme pas la consolation de la foi, seulement celle, intellectuelle, de l'orientalisme, c'est dĂ©jĂ  ça ! En bon orientaliste qu'il est, il entend rendre compte directement de ses impressions, fustige au passage cette vision particuliĂšre de l'Orient empruntĂ©e aux autres. Cette contrĂ©e attire autant le voyageur que l’écrivain et l'artiste et mĂȘme si ces derniers n'y ont jamais mis les pieds, ils se sont appropriĂ©, souvent avec talent, les sensations et les travaux des autres. Fort de cette expĂ©rience il en profite mĂȘme pour Ă©voquer l'histoire, la philosophie, les facettes religieuses de ces pays mais aussi leur implications dans le dĂ©roulement gĂ©o-politique gĂ©nĂ©ral, guerres, colonialisme, Ă©conomie, ethnographique, linguistique... mais aussi, en bon musicologue, il ne se prive pas pour donner son avis sur Wagner, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Mahler... C'est un texte Ă©rudit, plein de mĂ©andres parfois un peu pesants, souvent lyrique et poĂ©tique aussi, comme sait nous en offrir Mathias Enard et ce, mĂȘme si le lecteur peut ĂȘtre un dĂ©stabilisĂ© par la longueur de certaines phrases et l'Ă©rudition de nombre de digressions. Qu'importe aprĂšs tout, il a les senteurs d'opium, la sensualitĂ© des femmes et les accents musicaux de cet Orient aux limites gĂ©ographiques indistinctes, fictif, rĂ©el ou fantasmĂ© qui distille un dĂ©paysement bienvenue Ă  chaque page. Dans cet Orient on croise aussi plus prosaĂŻquement les colonisateurs français et anglais, les bordels d’Istanbul, les Ă©changes internationaux, des personnages vrais ou vraisemblables, souvent hauts en couleurs des trafiquants de tout poils, des espions et des aventuriers dont le portrait est juste esquissĂ© Ă  grands traits mais qui enchantent le lecteur. Pourquoi la boussole de Mathias Enard, qui devrait normalement indiquer le nord que nous avons nous, peut-ĂȘtre perdu, s’obstine-t-elle Ă  pointer le sud et l'est ? La raison en est sans doute sa connaissance, son amour pour ces pays et leur culture Ă  moins que cela en soit sa volontĂ© de rappeler Ă  l'occident tout ce qu'il doit Ă  l'Orient. La sortie de ce roman n'est sans doute pas un hasard, Ă  l'heure oĂč cet Orient est dĂ©figurĂ© par le Djiad, ravagĂ© par les guerres, ses richesses archĂ©ologiques pillĂ©es par des rĂ©volutionnaires religieux bornĂ©s et des sauvages incultes, l'image d'une contrĂ©e oĂč le sublime cĂŽtoie l'atroce. Avec ce texte somptueux, moi, le bĂ©otien du voyage dont l'horizon ne dĂ©passe guĂšre le cadastre de mon terroir, j'ai vu l'Orient Ă  travers la lecture attentive et passionnĂ©e de ce texte oĂč se mĂ©langent harmonieusement les accents des poĂšmes persans, les effluves d'opium de TĂ©hĂ©ran et la saudade de Fernando Pessoa. HervĂ© GAUTIER – Octobre2015 - NAGER - Richard Texier Gallimard Je ne connaissais Richard Texier que pour ce qu'il avait fait pour le bicentenaire de la RĂ©volution française et des rĂ©alisations conservĂ©es dans la ville de Niort, je savais que c'Ă©tait quelqu’un qui avait rĂ©ussi et qui poursuivait un parcours oĂč on se dĂ©couvre tous les jours, oĂč on devient ce qu'on est depuis toujours. C'est pourtant par hasard que j'ai pris sur les rayonnages de la bibliothĂšque municipale un livre Ă©crit par lui mais qui n'est pas un roman. C'est un parcours de mĂ©moire, un rĂ©cit oĂč se mĂȘlent des rĂ©miniscences de son enfance et une rĂ©flexion sur sa crĂ©ation artistique qu'elle nourrit. C'est donc Ă  une dĂ©couverte de l'artiste et de son Ɠuvre que ce livre invite. Elle commence par l'Ă©vocation de son enfance maraĂźchine, ses vacances vendĂ©ennes, convoque les personnages qui les ont peuplĂ©es, avec toujours l'omniprĂ©sence de l'eau mĂȘlĂ©e Ă  la douceur du climat et Ă  la chaude ambiance familiale. Le Marais Poitevin n'Ă©tait pas encore cette terre pour touristes quand on fait pour eux naĂźtre des feux-follets Ă  la surface de l'onde, mais un endroit un peu mystĂ©rieux oĂč la terre et l'eau se conjuguent, oĂč la vie fourmille, oĂč le travail Ă©tait dur et ingrat. Le lecteur attentif apprend, un peu Ă©tonnĂ© qu'il doit sa future activitĂ© de sculpteur... Ă  la traite d'une vache et celle de peintre Ă  un bidon renversĂ© oĂč le lait se mĂȘle Ă  l'eau d'une conche ! Plus tard se sera sa scolaritĂ© Ă  Niort, la dĂ©couverte de ce talent qu'il portait en lui et qui fut dĂ©celĂ© par une institutrice attentive et cultivĂ© passionnĂ©ment auprĂšs d’artistes locaux qui surent l'encourager. Il deviendra le centre de sa vie. II analyse ce qui plus tard a sous-tendu son art, la cĂŽte atlantique avec les vagues, la saveur salĂ©e de l'Ă©cume, les secrets de l'estran, la violence des tempĂȘtes, les frondaisons du marais mouillĂ© mais aussi sa curiositĂ© des choses, le contact avec la crĂ©ativitĂ© des autres, se qualifiant lui-mĂȘme de chasseur d'Ă©blouissements ». Le goĂ»t d'un simple fruit Ă©voque pour lui son passĂ© et cette dĂ©marche proustienne lui fait apprĂ©cier l'instant prĂ©sent, une fĂȘte autant pour le palais que pour l'esprit, le quotidien banal qu'il cĂ©lĂšbre, alors que l'homme est plus volontiers occupĂ© Ă  amasser des richesses [ Nous sommes devenus des barbares sans destin, travaillant Ă  remplir nos cassettes personnelles d'or et de matiĂšre morte »]. A ses yeux, l'artiste est dĂ©positaire de la beautĂ© du monde et se doit de l'exprimer simplement et hors de toute chapelle [ Un artiste peut-il tenter, depuis la modeste place oĂč il se trouve, de rendre compte de la magie qu'une simple poire peut convoquer ? Peut-il dire le mystĂšre d'une maniĂšre non dogmatique et non religieuse ? Il me fallait essayer »] Cette dĂ©marche m'Ă©voque celle de Victor SĂ©galen quand il dĂ©finissait l'Ă©criture, Voir le monde et l'ayant vu, dire sa vision », et lui d'ajouter l'enjeu de ma recherche est de rendre visible le prodige qui nous entoure ».; Il explore Ă©galement les chemins de l'imaginaire et de leur mystĂšre, ajoutant parfois une touche sibylline aux titres de ses propres tableaux. Son cĂŽtĂ© surrĂ©aliste ressort quand il parle d'Yves Tanguy et de son tableau Jour de lenteur » [j''Ă©cris cet article face Ă  une reproduction de cette Ɠuvre] qu'il reconnaĂźt comme le principe fondateur de sa peinture parce qu'Ă  ses yeux c'est son enfance qui ainsi Ă©merge. Il dit aussi sa vision du monde, parle du chaos et du cosmos chaosmos, du grand livre de l'univers, de l'astrologie, de la mĂ©canique terrestre qu'il rĂ©interprĂšte sur certaines de ses toiles oĂč le pinceau n'est pas toujours le seul instrument de sa crĂ©ation mais n'oublie pas cette terre qui est pour lui une source d’inspiration. Cette observation du monde, cette connaissance de son histoire avec ses soubresauts et ses hĂ©sitations lui inspirent des aphorismes parfois bien sentis entre dĂ©monstrations et rĂ©flexions. Sa peinture s'inscrit dans cette Ă©nergie cosmique qui, parce que certains supports ne tolĂšrent pas les retouches, les repentirs, confĂšre Ă  son Ɠuvre spontanĂ©itĂ© et authenticitĂ© et lui donne une vĂ©ritable fonction de mĂ©diation dans ce monde protĂ©iforme qui l'entoure, en Ă©quilibre instable sur le vide. C'est aussi l'occasion de dĂ©livrer un message Ă©cologiste de sauvegarde de notre planĂšte, pour notre propre vie et celle des gĂ©nĂ©rations futures. Parfaitement au fait des rĂ©alitĂ©s quotidiennes, il note opportunĂ©ment que l'Ă©cologie politique a Ă©chouĂ© Ă  nous en faire prendre conscience, et voit dans l'art un moyen valide de rĂ©veiller les esprits en crĂ©ant des Ɠuvres qui affirment la splendeur du monde ». Mais revenons au titre de cet ouvrage. Pour lui, il faut plonger et nager dans l'eau noire de la Grande Rigole » maraĂźchine pour atteindre la source de l'imaginaire [ Plonger pour revenir en arriĂšre, retourner vers l'origine, rejoindre symboliquement la matrice, le liquide chaud d'avant la naissance, le temps de la sphĂšre maternelle et protectrice »]. Il invite le lecteur, dans un compte Ă  rebours virtuel, Ă  redĂ©couvrir la puissance crĂ©atrice du monde, liant entre eux le pouvoir de l'imaginaire et celui de l'univers. DĂ©veloppant cette idĂ©e, il rappelle que chacun d'entre nous possĂšde en lui une potentialitĂ© crĂ©atrice. Elle a son siĂšge dans le cerveau, vĂ©ritable terra incognita » , siĂšge de la crĂ©ativitĂ© selon les surrĂ©alistes, mais dont l'Ă©tude pose plus de questions qu'elle n'apporte de rĂ©ponses. Il en vient Ă  la question de l’inspiration, du travail de crĂ©ation qui malaxe un magma intĂ©rieur, difficile et rĂ©sistant ». Qu'on ne s'y trompe pas, crĂ©er est un combat, une bataille intĂ©rieure que livre l'artiste contre lui-mĂȘme etcontre l''instant fugace d'oĂč naĂźt l’Ɠuvre d'art. On est loin de ce qu fait dire au profane que l'art est Ă©vident et procĂšde d'une grande facilitĂ©. Faire une Ɠuvre artistique est le rĂ©sultat d'une alchimie oĂč le cerveau Ă  sa part mais qui laisse aussi place Ă  l'inconnu. Ce phĂ©nomĂšne que nous partageons tous peu ou prou, ressemble Ă  une magie, une logique interne qui a son siĂšge dans l'enfance. De cette logique l'artiste tire sa singularitĂ© puisqu'il l'observe et donne Ă  voir l'idĂ©e qu'il s'en est faite mĂȘme si au dĂ©part il n'en avait pas la moindre notion et que cette reprĂ©sentation s'est peu Ă  peu tissĂ©e dans le labyrinthe de son imaginaire secret. Le rĂ©sultat peut ĂȘtre chaotique pour le commun des mortels qui a parfaitement le droit souverain de le juger, il n'en est pas moins quelque chose d'unique qui ressemble Ă  une vision primordiale, une tache microscopique dans le vide sidĂ©ral, le commencement de quelque chose qui, Ă  travers la forme et la couleur va imposer sa prĂ©sence, son existence, sa permanence magnĂ©tique. Son Ă©criture se dĂ©cline, Ă  mon avis sous deux formes ou en deux temps si on prĂ©fĂšre. Quand Texier Ă©voque son parcours artistique et professionnel, c'est une une Ă©vocation de ceux qu'il a croisĂ©s et qui ont parfois accompagnĂ© voire nourri sa crĂ©ativitĂ©. Je lui prĂ©fĂšre personnellement le sortilĂšge du marais quand l'enfance permet de dĂ©couvrir ce lieu Ă©trange plein de bruits et de silences. J'y retrouve les accents du poĂšte LĂ©on-Georges Godeau pour qui les conches Ă©taient tout autant une invitation Ă  la pĂȘche qu'Ă  la magie des mots qu'il tressait si bien. Oui, cette ouvrage est pour moi une dĂ©couverte enthousiasmante. Richard Texier fait ici montre d'une belle et savante Ă©criture, apaisante comme les bords de la SĂšvre, Ă  la fois poĂ©tique et pleine de rĂ©flexion. Le poids du papillon - Erri de Luca Gallimard-Feltrinelli Traduit de l'italien par DaniĂšle Valin. Ce sont deux rĂ©cits somptueux, lus alternativement en français et en italien pour la beautĂ© et la musicalitĂ© de ces deux langues cousines. Ils ont la montagne italienne pour cadre et la poĂ©sie pour souffle, l'un est dĂ©diĂ© au duel entre un vieux braconnier et un chamois-roi de sa harde, l'autre Ă  la complicitĂ© entre un narrateur et un pin des Alpes. L'animal est puissant, majestueux, d'une taille au-dessus de la moyenne. Il a engendrĂ© une nombreuse descendance mais pour lui, il le sait, la fin est proche et nĂ©cessaire parce qu'il sera obligatoirement et rapidement dĂ©trĂŽnĂ© par un plus jeune. Telle est la loi de cette vie du troupeau sur lequel il rĂšgne en maĂźtre depuis si longtemps. Il viendra donc au-devant du chasseur qui l'abattra d'une seule balle sans qu'il ressente la moindre souffrance. L'homme solitaire qui gĂźte dans la montagne aprĂšs une jeunesse rĂ©volutionnaire déçue, l'a poursuivi toute sa vie, en vain ! Il y a en lui un peu du capitaine Achab pourchassant Moby Dick, la baleine blanche et du Vieil homme et la mer » dans ce combat qui l'oppose Ă  l'animal, face Ă  la nature. Mais aujourd'hui, c'en est fini de ces dĂ©fis, de ces traques silencieuses et patientes entre deux rois qui partagent le mĂȘme territoire, la mĂȘme libertĂ©, la mĂȘme connaissance du terrain mais pas le mĂȘme but. Le braconnier reste un homme incapable sans doute de s'attacher, qui n'est pas insensible aux yeux d'une femme mais s'en mĂ©fie. L'Ă©vocation de leur rencontre dans un cafĂ© de la vallĂ©e a quelque chose de poĂ©tiquement sensuel. Il veut poursuivre son parcours terrestre mais maintenant le temps lui est comptĂ© parce que la vieillesse l'assaille, ce sera son dernier coup de fusil. Par respect pour cet animal fabuleux, il n'en tirera aucun profit. Il y a une sorte de communautĂ© d'Ă©tat entre eux, le silence, une solidaritĂ©, une attirance commune pour la solitude, une prise de conscience de la fuite du temps, un certain dĂ©tachement pour les choses, mais cet instant de rencontre est le plus fort qui dĂ©cidera de la suite. Les ailes blanches et fragiles d'un papillon viennent donner au rĂ©cit, dans un Ă©crin de silence, ce qu'il faut de lĂ©gĂšretĂ© et de tragique comme la vie elle-mĂȘme. Elles sont comme une couronne sur la tĂȘte de ce chamois-roi, elles s'opposent aux ailes noires des aigles, des rapaces qui volent haut, se nourrissent des dĂ©pouilles des animaux qu'ils tuent. Erri de Luca s'affirme comme un sublime conteur. Le texte est initiatique et sa beautĂ© est rude, comme la montagne. L'auteur est aussi un familier des cimes et des parois rocheuses et sait rendre pour son lecteur l’atmosphĂšre du lieu, la faune comme la flore, sait lire dans les odeurs, dans les traces, dans la course des saisons, anticiper l'orage
 Il est aussi un attentif lecteur de la Bible qui Ă©maille son rĂ©cit de rĂ©fĂ©rences religieuses, il y a cet amour de la nature, un peu comme si l'homme partageait avec le chamois et l'arbre cette forme de vie, vĂ©ritable cadeau de Dieu. La symbolique du ciel religieux et des cimes est trĂšs forte comme l'est aussi celle de la foudre qui Ă©pargne l'arbre accrochĂ© au rocher. La solitude qui fait partie de la condition humaine est ici soulignĂ©e par le sublime dĂ©cor de la montagne. L'homme et le chamois connaĂźtront aussi la mort qui est l'ultime Ă©tape de la vie, mais l'arbre, avant d’ĂȘtre cendre sera bateau guitare ou sculpture... C'est un recueil de nouvelles plus bouleversant peut-ĂȘtre que les autres Ă©crits d'Erri de Luca. ©HervĂ© GAUTIER – Juillet 2015 L'arriĂšre saison – Philippe Besson Juillard Une histoire simple Un soir de septembre un peu orageux, au cap Cod dans l'Ă©tat du Massachusetts aux États-Unis, un bar, chez Phillies », donnant sur les falaises d'oĂč se jettent parfois des dĂ©sespĂ©rĂ©s. Ben, un barman ordinaire et discret, une cliente, Louise Cooper, 35 ans qui attend Norman. C'est une habituĂ©e de cet Ă©tablissement. Elle sirote un Martini blanc simplement parce qu'elle aime davantage la forme du contenant que le contenu. Elle est auteur dramatique Ă  succĂšs et porte ce soir-lĂ  une robe rouge comme ses lĂšvres. Cette couleur sied aux femmes belles et de caractĂšre, et c'est effectivement ce qu'elle est. CĂ©libataire, elle mĂšne une vie libre et choisit ses amants. Entre Ben et elle, c'est une longue histoire d'amitiĂ© et de complicitĂ© silencieuse, exactement depuis qu'il a pris son service chez Phillies, il y a longtemps et d'ailleurs il connaĂźt toutes ses piĂšces. Pour elle, il n'est pas qu'un simple serveur et pour lui elle est plus qu'une habituĂ©e. Un homme arrive, Stephen Touwnsen, un client ordinaire en apparence. Il est avocat d'affaires Ă  Boston, mariĂ© Ă  Rachel et pĂšre de famille. Ben le connaĂźt aussi et, bien entendu Louise puisqu'ils ont eu ensemble une longue liaison parfois orageuse mais surtout passionnĂ©e qui s'est terminĂ©e il y a cinq ans par l'apparition entre eux de Rachel qui s'est glissĂ©e dans sa vie et dans son lit. Stephen s'Ă©tait donc mariĂ© avec sa nouvelle conquĂȘte qui lui offrait le calme mĂȘme s'il formait avec Louise un beau couple » comme dirait Ben. Pourtant, pendant toutes ces annĂ©es de sĂ©paration, il n'a pas cessĂ© de penser Ă  elle, bien que cette derniĂšre lui ait interdit de chercher Ă  la revoir. Une page s'Ă©tait donc tournĂ©e pour eux, et Louise avait dĂ©crĂ©tĂ© le silence sur ce souvenir. C'est une femme forte et, aprĂšs la douleur de la sĂ©paration, elle a puisĂ© dans l'Ă©criture une nouvelle raison d'exister en crĂ©ant des piĂšces inspirĂ©es de cet Ă©chec. On ne dira jamais assez l’extraordinaire pouvoir exorciste des mots ! StĂ©phen savait qu'en passant la porte de ce bar, il la trouverait ici et il lui annonce sa sĂ©paration d'avec Rachel. En l'apprenant Louise savoure une sorte de victoire mais pourtant elle s'en moque puisqu'elle attend un homme qui pourtant tarde Ă  venir parce que, pour elle, il va quitter son Ă©pouse. Maintenant entre eux s'installe une sorte de silence gĂȘnĂ© que Ben respecte et scrute, l'air de rien. Dans ce coin de bar, il rĂšgne entre des deux ex-amants une atmosphĂšre surrĂ©aliste Ă  cause de ce mutisme que chacun veut briser sans exactement savoir comment faire. Dans leur for intĂ©rieur, ils pensent Ă  leur passĂ© commun, Ă  leurs souvenirs, Ă  leurs erreurs aussi tout en laissant Ă  l'autre l'initiative d'interrompre ce silence. Quand elle comprend que Norman ne viendra pas la rejoindre et donc qu'il renonce Ă  elle, tout redevient possible entre Louise et Stephen puisqu'ils sont libres tous les deux et qu'ils n'ont cessĂ© de s'aimer. Peu Ă  peu le silence se lĂ©zarde comme un vieux mur et la solitude de ces deux ĂȘtres s'estompe, le respect revient Ă  travers des regard muets Ils s'observent avec tendresse, avec une sorte de gratitude. C'est un regard comme une reconnaissance de dettes. Un regard comme un pardon aussi , pour la douleur ou pour le manque. Un regard comme un regret enfin, de ce qui a Ă©tĂ©, de ce qui aurait pu ĂȘtre ». Ben, constamment en retrait dans ce cafĂ© du bout du monde veut rester le figurant discret de ce psychodrame mais en connaĂźt tous les ressorts. Il y a dans ce roman une musique, une ambiance qui est bien rendue par la fluiditĂ© du style. Le texte, agrĂ©ablement Ă©crit, sans artifice, poĂ©tique dans les descriptions, se lit bien et avec plaisir. Il est rĂ©aliste et prĂ©cis comme la peinture d'Hopper. Les phrases sont comme des touches de couleur dont l'ensemble forme un tableau. Il y a une analyse fine des sentiments de ces protagonistes, une Ă©tude psychologique pertinente qui peu Ă  peu emporte l'assentiment du lecteur. Dans ce huit-clos, l'auteur le prend Ă  tĂ©moin en lui dĂ©voilant, dans une analyse prĂ©cise, l'histoire intime de Louise et de Stephen, sans omettre les lĂąchetĂ©s ni les remords. A la lecture de ce roman, je mesure le rĂŽle du romancier, celui de raconter une histoire, celle de cette femme en robe rouge du tableau de Hopper. Elle n'est qu'un personnage peint sur une toile que les visiteurs du musĂ©e ne verront peut-ĂȘtre pas. L'auteur lui invente une tranche de vie qui n'est sans doute qu'une fiction sortie de son imagination ou de l'Ă©motion qu'il a ressentie devant ce tableau et qui porte son Ă©criture. J'avoue que j'ai toujours Ă©tĂ© bouleversĂ© par les rencontres d'hommes et de femmes qui, dans le passĂ© ont eu des relations intimes, une vie commune et qui, longtemps aprĂšs leur sĂ©paration, se retrouvent presque par hasard. Leur dialogue est plein de non-dits et les mots peinent Ă  venir Ă  cause sans doute des chagrins, des petites bassesses dont on se souvient et qu'on n'a pas pardonnĂ©s, par l'envie aussi qu'ils ont de recommencer leur histoire. La Feuille volante n° 604– Juin 2015. ©HervĂ© GAUTIER La boule noire – Georges Simenon Le livre de Poche Nous sommes dans une petite ville des États-Unis dans les annĂ©es 50. Walter Higgins y mĂšne une vie paisible de pĂšre de famille nombreuse et de directeur de supermarchĂ©. Il s’implique mĂȘme Ă  titre bĂ©nĂ©vole dans diverses activitĂ©s au profit de la collectivitĂ©. Bref, c'est quelqu'un dont on peut dire qu’il a rĂ©ussi socialement et qu'il est heureux dans cette vie autant qu'on peut l'ĂȘtre et que c'est un type bien. A un dĂ©tail prĂšs cependant, il s'est mis dans la tĂȘte d'ĂȘtre membre de Country Club, une association locale de notables qui rejette systĂ©matiquement sa candidature sans raison apparente et le fait Ă  travers un vote anonyme qui se manifeste par la prĂ©sence d'une seule boule noire dĂ©posĂ©e dans l'urne le soir du scrutin. Il n'a pourtant rien de commun avec ce club mais son appartenance consacrerait sa rĂ©ussite. Ce refus, manifestĂ© pour la deuxiĂšme annĂ©e bouleverse Higgins. C'est peut-ĂȘtre pour lui plus qu'une question de principe puisque mĂȘme au pays du rĂȘve amĂ©ricain oĂč la rĂ©ussite personnelle est cĂ©lĂ©brĂ©e comme une vertu, il lui semble que ce qu'on lui reproche ce sont ses origines pauvres, son pĂšre absent sa mĂšre alcoolique, destructrice et dĂ©linquante. Pour en ĂȘtre arrivĂ© lĂ , il a dĂ» gravir tous les Ă©chelons d'une sociĂ©tĂ© qui ne lui avait pas fait de cadeaux puisqu'il Ă©tait parti de rien. Si on lui a confiĂ© la direction du magasin, c'est qu'il avait fait ses preuves, dĂ©butant comme livreur. En lisant cela le lecteur songe immanquablement Ă  un paranoĂŻaque qui rejoue la grande scĂšne du complot. C'est pour lui tellement rĂ©voltant qu'il veut tuer les membres de ce club qui lui refusent l'entrĂ©e. Pire peut-ĂȘtre, il dĂ©couvre qu'au sein de ses activitĂ©s bĂ©nĂ©voles oĂč il s'impliquait pourtant beaucoup, son avis importe peu et on le tient pour rien. Il dĂ©missionne donc mĂȘme si cela peut avoir des consĂ©quences sur son chiffre d'affaires et sur sa situation. Pourtant cette histoire d’appartenance Ă  ce club n'a vraiment aucune importance mais il le vit comme quelque chose d'injuste. Le dĂ©roulĂ© des Ă©vĂ©nements le fait pour autant revenir Ă  une rĂ©alitĂ© plus terre Ă  terre, le fait grandir, lui fait prendre conscience des choses et les relativiser. J'observe quand mĂȘme que Higgins a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien sans faille de sa famille et de ses employĂ©s, ce qui se rĂ©vĂšle Ă  la fois rassurant et salvateur dans une situation qui aurait pu devenir criminelle. Pourtant quand on a le sentiment d'ĂȘtre exclus d'un groupe et en ressent une certaine solitude. Cette histoire de boule noire a probablement une dimension maçonnique, le terme blackbouler vient de lĂ . Mais au-delĂ  de cette remarque qui ne trouve pas ici sa vĂ©ritable rĂ©sonance, ce roman, Ă©crit dans les annĂ©es 60 prend une dimension trĂšs actuelle. Il nous est tous arrivĂ©, dans notre vie familiale ou professionnelle d'ĂȘtre l'objet d'injustices qu'aucune raison ne motivait. Elles nous Ă©taient infligĂ©es discrĂ©tionnairement soit par quelqu’un qui ne nous aimait pas ou ne nous aimait plus, soit par simple jalousie. En tout cas, la personne qui faisait ainsi acte de malveillance avait une volontĂ© farouche de nous faire du mal, de nous dĂ©truire, d'autant plus forte qu’elle ne reposait sur rien d'autre que sur cette facultĂ© de profiter d'une situation de supĂ©rioritĂ© supposĂ©e et parfois temporaire, basĂ©e sur la fortune, la position sociale ou hiĂ©rarchique. Le pire sans doute Ă©tait la lĂąchetĂ© puisque cette situation dĂ©lĂ©tĂšre Ă©tait couverte par l'anonymat, l'hypocrisie, la mauvaise foi... Simenon, ce n'est pas seulement les romans policiers oĂč le commissaire Maigret exerce avec talent son pouvoir de persuasion, de dĂ©duction et dĂ©masque Ă  chaque fois le coupable. J'ai dit dans cette chronique combien j'aimais cette ambiance un peu glauque tissĂ©e dans cette sĂ©rie. C'est aussi un Ă©crivain de romans psychologiques et je suis entrĂ©, pour des raisons personnelles sans doute, dans ce processus qui m'a parlĂ© d'autant plus que le style est fluide, agrĂ©able Ă  lire. Ce roman a Ă©tĂ© adaptĂ© pour la tĂ©lĂ©vision dans un film de Denis Malleval 2014 diffusĂ© sur France 3 le mercredi 17 fĂ©vrier 2015. Le comĂ©dien Bernard Campan, que l'on connaissait dans un tout autre registre, donne ici toute sa mesure dans cette dramatique. ©HervĂ© GAUTIER – FĂ©vrier 2015 - En attendant Robert Capa - Suzanne FORTES H d'Ormesson Traduit de l'espagnol par Julie Marcot. Fuyant l'Allemagne nazie, Gerta Pohorylle, jeune juive allemande, admiratrice de Greta Garbo, avec un passeport polonais », vient d'arriver Ă  Paris. Elle Ă  24ans et elle est vivante » ! Elle ne va pas tarder Ă  rencontrer, un peu par hasard, un autre rĂ©fugiĂ©, photographe, Hongrois, ambitieux mais dĂ©sargentĂ©. Ces deux-lĂ  Ă©taient faits pour se croiser et le fait qu'ils le fassent dans la capitale française est plus qu'un symbole. Gerta y voit un signe, une chance ! Lui, c'est AndrĂ© Friedmann, juif lui aussi, qui vit avec son Leica comme on vit avec une femme. Dans ce Paris d'avant-guerre, pleins d'intellectuels, ils croisent au hasard des cafĂ©s ou des cercles, dans le tourbillon germanopratin, James Joyce, Man Ray... Pourtant, entre eux, ce n'est pas vraiment le coup de foudre », juste, de la part de Gerta, une sorte d'observation curieuse. Elle adopte cependant cet homme [ Ne t'inquiĂšte pas, ce qu'il te faut c'est un manager...Et c'est moi qui vais ĂȘtre ton manager »]. Pour lui, elle est la patronne » et il l'initie Ă  la photographie en mĂȘme temps qu''il devient son amant. FonciĂšrement antifasciste, AndrĂ© part pour l'Espagne, d'abord comme reporter-photographe et Gerta, restĂ©e Ă  Paris, apporte sa pierre Ă  la rĂ©action rĂ©publicaine qui se doit de faire front aux bruits de bottes qui approchent, qu'ils viennent de Berlin ou d'ailleurs. Pourtant Gerta et AndrĂ© sont amoureux l'un de l'autre, prennent la dĂ©cision un peu folle de couvrir la guerre d'Espagne comme photo-reporters en s'inventant les pseudonymes amĂ©ricains de Gerta Taro et Robert Capa. C'est une maniĂšre pour eux d'Ă©chapper Ă  leur judĂ©itĂ© autant que d'inaugurer leur nouvelle vie ensemble. En changeant de nom, AndrĂ© devient un amĂ©ricain triomphant et audacieux, en devenant Taro, Gerta s'approprie phonĂ©tiquement le nom de Garbo, son actrice fĂ©tiche. Ce conflit les fascine autant qu'il les rĂ©volte et ils rendent compte en images du quotidien des rĂ©publicains au front ou dans les villes et villages. Cette guerre fait d'eux un couple mythique qui ne vit que pour son mĂ©tier de photographe de guerre et sa passion d'informer, armĂ©s de leur appareil photo ou Ă  l'occasion d'un fusil, tissant leur propre lĂ©gende, exposant leur vie. Leur amour fait contrepoids Ă  la violence des combats et, petit Ă  petit, ils changent leur vision romantique de la guerre. Si des atrocitĂ©s ont Ă©tĂ© commises de part et d'autre, eux ont choisi leur camp, celui des rĂ©publicains. Comme ils sont jeunes, leur vie se dĂ©roule au mĂ©pris du danger, tantĂŽt houleuse et cahoteuse, tantĂŽt passionnĂ©e, au sein mĂȘme de ce conflit sanglant. Pourtant l'amour de leur mĂ©tier se conjugue assez mal avec celui, Ă  la fois sensuel et Ă©pisodique qu'ils Ă©prouvent l'un pour l'autre. Gerta est Ă©prise de libertĂ© et d'indĂ©pendance mais a du mal Ă  exister professionnellement dans l'ombre de Capa. Certains de ces clichĂ©s sont attribuĂ©s Ă  Robert; le journalisme de guerre n'est pas vraiment une affaire de femme ! Cependant, quand elle apparaĂźt, au front ou Ă  l'arriĂšre, tous ces hommes un peu frustes n'ont d'yeux que pour elle. Pourtant, elle n'est pas vraiment une beautĂ© au sens des canons traditionnels, mais il Ă©mane d'elle une sorte d'aura. La guerre l'avait dotĂ©e d'une beautĂ© diffĂ©rente, de survivante » Ă©crit joliment Susanna Fortes. C'est aussi un hommage aux journalistes de terrain qui risquent leur vie pour l'information du plus grand nombre, mais c'est aussi un rĂ©cit passionnant, Ă©mouvant et poĂ©tique oĂč le lecteur croise RaphaĂ«l Alberti, Ernest Hemingway, autant qu'une version romancĂ©e de la vie libre, passionnĂ©e et solaire de ces deux amants, une mise en lumiĂšre de celle de Gerta dont on ne connaissait jusqu'alors que trĂšs peu l'existence. Elle se rĂ©vĂšle sous la plume de l'auteur ĂȘtre une femme courageuse, passionnĂ©e et passionnante quand le nom seul de Capa Ă©tait connu autant d'ailleurs que certaines de ses photos dont l'une d'elles, devenue cĂ©lĂšbre, reprĂ©sente un milicien espagnol anonyme, fauchĂ© par une balle. Capa ne se remit jamais de ce clichĂ© par ailleurs sujet Ă  polĂ©mique. C'est un roman trĂšs bien documentĂ© sur cette Guerre civile d'aucuns l'ont baptisĂ©e incivile » qui dĂ©chira l'Espagne de 1936 Ă  1939 et qui annonça la DeuxiĂšme Guerre Mondiale. L'auteur mĂȘle donc dans ce travail, la fiction Ă  la rĂ©alitĂ©. C'est une histoire tragique aussi puisqu'elle se termine par la mort de Gerta, la premiĂšre femme reporter tuĂ©e pendant la Guerre Civile, fauchĂ©e Ă  la bataille de Brunete en juillet 1937 Ă  l'Ăąge de 27 ans [ C'est Ă  cet instant qu'elle comprit que toute une vie tenait dans l'Ă©clair d'un milliĂšme de firmament, car le temps n'existait pas. »]. Elle qui vivait dans l'espoir d'une victoire des rĂ©publicains ne vit pas leur dĂ©faite. Elle sera enterrĂ©e au cimetiĂšre du PĂšre Lachaise, en prĂ©sence de milliers de personnes, son Ă©loge funĂšbre prononcĂ©e par Pablo Neruda et Louis Aragon. Elle ne quittera jamais plus la mĂ©moire de Capa qui s'en voulait de l'avoir abandonnĂ©e aux combats meurtriers de l'Espagne. Sa vie Ă  lui est dĂ©sormais en pointillĂ©s, et quand il dĂ©barque, le jour J Ă  Omaha Beach avec la premiĂšre vague d'assaut, il pense aussi Ă  cette mort qu'il a si longtemps dĂ©fiĂ©e. S'il survit, comme par miracle au dĂ©barquement et au conflit, c'est en Indochine en 1954, Ă  l'Ăąge de 40 ans que le destin les rĂ©unira. Il se dĂ©gage de ce roman une formidable Ă©nergie autant qu'un amour de la vie de la part de ces ĂȘtres, morts jeunes, que le monde fascinait mais qui n'Ă©taient pas faits pour lui, qui mettaient constamment en balance leur vie sachant qu'ils n'en Ă©taient que les usufruitiers. Ils ont pris des risques pour vivre intensĂ©ment l'instant, pratiquer l'art de la photo unique qui rĂ©sume tout, mais aussi pour satisfaire leur idĂ©al d'informer, de tĂ©moigner, d'ĂȘtre prĂ©sents lĂ  oĂč il n'y avait personne d'autre, et d'y arriver avant les autres ! Avec eux, la photo est devenue une vĂ©ritable arme. L'occasion de ce rĂ©cit a Ă©tĂ© inspirĂ© Ă  Susanna Fortes, un peu par hasard Ă  cause de la dĂ©couverte de nĂ©gatifs et de clichĂ©s de Capa et de Gerta, en 2008, au Mexique. Il a le grand mĂ©rite de mettre en lumiĂšre la personnalitĂ© de cette femme d'exception qui n'Ă©tait jusque lĂ  qu'une silhouette. © HervĂ© GAUTIER Pas Pleurer - Lydie Salvayre Goncourt 2014 Étonnant roman oĂč se mĂȘlent les voix de Georges Bernanos, Ă©crivain catholique, royaliste, militant de l'Action française et rĂ©sident temporaire aux Ăźles BalĂ©ares au moment oĂč Ă©clate la Guerre civile espagnole et celle de Montse, la mĂšre de la narratrice, ĂągĂ©e de 15 ans Ă  l'Ă©poque. Bernanos, contrairement Ă  ce qu'on pouvait attendre de lui, stigmatise avec colĂšre les massacres aveugles perpĂ©trĂ©s par les franquistes et dĂ©nonce le silence complice de l’Église espagnole bien plus inspirĂ©e par l'allĂ©geance Ă  ce pouvoir que par le message de l’Évangile. Montse, appartenant Ă  une famille pauvre de cette Espagne ancestrale et rĂ©trograde, gouvernĂ©e par les notables possĂ©dants et bĂ©nie par l’Église, est en rĂ©alitĂ© le personnage central de ce livre. Sa voix est claire, joyeuse et grĂące Ă  l’avĂšnement de la RĂ©publique, elle dĂ©couvre avec naĂŻvetĂ© et utopie la libertĂ© toute nouvelle et la remise en question de cette sociĂ©tĂ© qui va, mais pour un temps seulement, ĂȘtre bouleversĂ©e par la crĂ©ation de communes libres. Nous sommes dans un roman et j'ai apprĂ©ciĂ© aussi que l'auteur contrebalance, parfois avec humour, l’horreur au quotidien par une histoire d'amour. Montse connaĂźt le grand amour » Ă©phĂ©mĂšre comme la guerre sait en crĂ©er mais qu'un mariage arrangĂ© ne saurait Ă©teindre. Elle se prĂȘte pourtant Ă  une mĂ©salliance par convenance sociale et familiale mais surtout pour Ă©viter un scandale, une sorte de gĂąchis que seule la naissance d'un enfant rĂ©ussit Ă  transformer. J'ai choisi de voir dans cette passade et surtout dans cette naissance, mĂȘme si elle est immorale, une sorte d'antidote Ă  toute la violence qui a baignĂ© cette Ă©poque de guerre, qui a opposĂ© jusque dans la mort les membres d'une mĂȘme famille au nom d'idĂ©ologies diffĂ©rentes. Le guerre civile espagnole a Ă©tĂ© l'inspiratrice de nombreuses Ɠuvres artistiques parce non seulement elle a Ă©tĂ© le théùtre d’atrocitĂ©s de part et d'autre, parce qu'elle a servi de laboratoire Ă  la deuxiĂšme guerre mondiale mais surtout parce qu'elle a correspondu Ă  un espoir de libertĂ© et de dĂ©mocratie pour un peuple opprimĂ©. Malheureusement, la dictature franquiste a interrompu brutalement et durablement cet Ă©lan. Dans ce roman j'ai lu toute cette rĂ©volte Ă  travers le personnage de Montse. C'est peut-ĂȘtre une vue de mon esprit mais j'ai lu dans ces pages des accents cĂ©liniens. Ce n'est pas seulement parce que l'auteure emploie le frangnol », sorte de sabir que parlait sa mĂšre Ă  son arrivĂ©e en France et qui constitue Ă  mes yeux la manifestation sĂ©mantique de sa rĂ©volte par la crĂ©ation d'un nouveau langage, un peu comme le faisait CĂ©line usant de l'argot, mais aussi parce ces phrases sont souvent laissĂ©es en suspens, sans ponctuation contrairement Ă  CĂ©line qui usait beaucoup du point d'exclamation comme on le fait dans le langage courant en interrompant son propos pour en modĂ©rer la violence. Parfois les phrases sont d'une longueur dĂ©mesurĂ©e et j'y vois lĂ  aussi la marque de cette indignation ainsi manifestĂ©e. Il y a une galerie de portraits qui caractĂ©rise cette sociĂ©tĂ© composĂ©e de riches et de pauvres, ces derniers, partagĂ©s entre les idĂ©es nouvelles d'Ă©mancipation et ceux qui, malgrĂ© leur condition d'esclaves, souhaitaient n'y rien changer. JosĂ©, le frĂšre de la narratrice est convaincu par les idĂ©es nouvelles tandis que Diego, mari d'occasion de Montse mais profondĂ©ment amoureux d'elle, choisit de bouleverser cet ordre social ancestral et d'endosser une paternitĂ© pour laquelle il sait ĂȘtre Ă©tranger. Tous les deux sont en opposition l'un avec l'autre autant qu'ils sont en rupture avec leur milieu social auquel ils souhaitent Ă©chapper. Les personnages ainsi croquĂ©s Ă©voquent l'Espagne de cette Ă©poque troublĂ©e mais aussi l'espĂšce humaine dans tout ce qu'elle a de grandeur et surtout de petitesse. Cette guerre que je n'ai pas connue m'a toujours passionnĂ©, je ne saurais dire pourquoi, peut-ĂȘtre Ă  cause du mouvement gĂ©nĂ©ral qu'elle a suscitĂ©, surtout dans les brigades internationales pour la dĂ©fense de la libertĂ© et contre le fascisme, peut-ĂȘtre parce qu'elle a contribuĂ©, comme toutes les autres, Ă  rĂ©vĂ©ler ce qu'il y a de pire dans la nature humaine, peut-ĂȘtre aussi parce qu'elle a montrĂ© une nouvelle fois toute l'hypocrisie du Vatican qui se rĂ©vĂ©lera derechef pendant la deuxiĂšme guerre mondiale Ă  propos de l’extermination des juifs que Pie XII feindra d'ignorer. La hiĂ©rarchie catholique espagnole ne sera pas en reste qui bĂ©nira la dictature de Franco et surtout l'accompagnera autant pour la lĂ©gitimer et l'asseoir que pour en recueillir les prĂ©bendes. Alors, quid du titre ? Les circonstances historiques inclinaient plutĂŽt Ă  la tristesse voire aux larmes pourtant, j'ai goĂ»tĂ© le ton de ce roman fort bien Ă©crit et fort richement documentĂ©, plein d'analyses et de remarques pertinentes, alternant humour et pathĂ©tique. Ici on fusille comme on dĂ©boise » Ă©crivait Antoine de Saint-ExupĂ©ry, journaliste dĂ©pĂȘchĂ© en Espagne avant qu'il ne soit l'Ă©crivain-pilote que nous aimons. Effectivement, aux exĂ©cutions sommaires perpĂ©trĂ©es par les fascistes succĂ©dĂšrent celles des communistes jusque dans leur propre camp et contre leurs alliĂ©s anarchistes. Les exactions et la dĂ©faite militaire prĂ©cipitĂšrent les vaincus en France, pays des droits de l'homme et de la libertĂ© qui les accueillit pourtant si mal. Nous savons tous que les larmes ne servent Ă  rien et surtout pas Ă  exorciser le deuil, le chagrin, la colĂšre, la souffrance. Face au monde qui s'effondre et Ă  celui, fasciste, totalitaire qui se met en place dans un pays dĂ©chirĂ©, l'auteur oppose l'amour fou de Montse pour un inconnu de passage, celui plus effacĂ© mais sincĂšre de Diego puis celui, enfin, que suscite un enfant qui rĂ©concilie tous les membres de cette famille disparate et anachronique. L'abandon des idĂ©aux surtout politiques qui ne rĂ©sistent pas longtemps Ă  l'hypocrisie et Ă  l'opportunisme des hommes et leur lĂąchetĂ©, leur haine et leur oubli ne valent pas non plus la peine qu'on en pleure. C'est lĂ  la marque de l'espĂšce humaine Ă  laquelle nous appartenons tous. Le parcours de JosĂ© qui tourne Ă  la dĂ©sillusion en est ici l'illustration, celui de Diego, diffĂ©rent mais quand mĂȘme semblable tĂ©moigne de cette remise en question. Reste le destin de ces pauvres gens prĂ©cipitĂ©s dans un pays dont ils ne parlaient pas la langue, ne connaissaient pas les façons de vivre et qui devaient s'y adapter, alors pas pleurer », peut-ĂȘtre, mais lĂ  je ne suis pas bien sĂ»r et puis Ă©crire est un exorcisme bien plus efficace sans doute que toutes les larmes. Dont acte ! J'ai souvent dit dans cette chronique et ailleurs que ce prix Goncourt qui consacre un Ă©crivain et honore les lettres françaises avait souvent Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  des auteurs qui ne le mĂ©ritaient pas. AprĂšs avoir lu ce roman passionnant, je ne rĂ©itĂ©rerai pas cette remarque et me fĂ©licite d'avoir croisĂ© Lydie Salvayre que je ne connaissais pas auparavant et dont je poursuivrai assurĂ©ment la lecture de l’Ɠuvre. HervĂ© GAUTIER Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier – P. Modiano Saint-Augustin conseillait qu'on se mĂ©fiĂąt de l'homme d'un seul livre. Pour ma part, j'ai toujours pensĂ© que ce concept d’unicitĂ© dans la crĂ©ation Ă©tait probablement la marque des grands Ă©crivains. Ils explorent ainsi, et pendant longtemps, avec patience et dĂ©termination, leur inconscient, exprimant par l'Ă©criture une Ɠuvre parfois protĂ©iforme mais qui en rĂ©alitĂ© est une quĂȘte intime, une sorte d'obsession qui les tenaille et dans laquelle peut-ĂȘtre le lecteur peut se retrouver. Ce travail sur soi me paraĂźt respectable quand il est menĂ© sincĂšrement et c'est le cas pour Patrick Modiano. En lui dĂ©cernant le Nobel de littĂ©rature, l'AcadĂ©mie suĂ©doise a consacrĂ© cette dĂ©marche de la mĂ©moire et de la quĂȘte personnelle en le comparant Ă  Marcel Proust, on ne peut rĂȘver meilleure rĂ©fĂ©rence ! GrĂące Ă  lui, qui a eu sans doute, comme Ă  son habitude, du mal Ă  exprimer avec des paroles ce qui lui arrivait, la France, pays de Victor Hugo et de Voltaire, retrouve une place qu'elle n'aurait jamais dĂ» quitter dans le domaine de la culture. Il nous reste au moins cela quand tout s’effondre dans notre beau pays ! Avec ce roman, Modiano, qui a fait depuis longtemps l'objet d'attention et de commentaires dans cette chronique, explore Ă  nouveau sa mĂ©moire individuelle et Ă  travers elle son enfance. Qui est donc ce Jean Daragane, Ă©crivain sexagĂ©naire et solitaire qui n'Ă©crit plus mais lit Buffon ? Son enfance Ă  Saint-Leu-La-ForĂȘt, il a choisi de l'oublier jusqu'Ă  la dĂ©couverte fortuite d'un carnet d'adresses, selon lui une piqĂ»re d’insecte » oĂč figure le nom de Guy Torstel, un dĂ©tail anodin mais qui va cependant faire revenir Ă  lui un passĂ© qu'il croyait rĂ©volu et faire revivre les fantĂŽmes qu'il avait croisĂ©s dans les annĂ©es 1950 et 1960. Peu Ă  peu les choses s'Ă©claircissent, le passĂ© s'estompe pour laisser place au souvenir. C'est aussi le rĂ©veil de la trace presque effacĂ©e d'une femme, Annie Astrand qui fut pour lui une mĂšre de substitution et plus tard peut-ĂȘtre davantage parce que sa mĂšre l'avait abandonnĂ©. C'est vers elle que convergent des lieux aussi diffĂ©rents que Saint-Leu-La-ForĂȘt, le poste frontiĂšre de Vintimille, le Tremblay , le square Graisivaudan... C'est aussi le souvenir un peu estompĂ© d'un roman d'amour Ă©crit par Daragane Ă  l'Ăąge de vingt ans. C'Ă©tait sa premiĂšre Ɠuvre qui peut parfois ĂȘtre gauche mais qui bien souvent est le rĂ©sultat de ce qu'on porte en soi depuis longtemps et qu'on exprime avec son cƓur parce qu'ainsi les mots sont un message [ Écrire un livre, c'Ă©tait aussi, pour lui, lancer des appels de phare ou des signaux de morse Ă  l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles Ă©taient devenues. Il suffisait de semer leurs noms au hasard des pages et d'attendre qu'elles donnent enfin de leurs nouvelles »]. Ce roman est une bouteille Ă  la mer dont l’auteur a brouillĂ© un peu les pistes mais pas suffisamment quand mĂȘme pour qu'Annie Astrand puisse se reconnaĂźtre. Qui est ce mystĂ©rieux Guy Ottolini qui en sait apparemment beaucoup sur Daragane et souhaite son aide pour un travail d'Ă©criture ? Dans ce roman comme dans tous les autres, le lecteur perd un peu le fil de l'histoire mais peu importe. Le passĂ© et le prĂ©sent sont comme cette piqĂ»re d'insecte » qui sert de prĂ©texte Ă  la rĂ©surgence de la mĂ©moire, mĂȘme si on ne le souhaite guĂšre ou si on ne s'y attend pas. Les personnages ont quelque chose d'Ă©vanescent, d'insaisissable, ils sont comme absents ou de simplement de passage et dĂ©sireux de ne pas s'attarder, comme si leur rĂŽle se limitait Ă  de la figuration. Ils ont une attitude Ă©nigmatique, donnent l'impression de se mĂ©fier les uns des autres, certains comme Annie Astrand sont mĂȘme entourĂ©s d'un halo inquiĂ©tant fait de difficultĂ©s avec la police ou de sĂ©jour en prison, les scĂšnes semblent ĂȘtre suspendues dans le temps, dans l'espace. Les questions sont parfois sans rĂ©ponses et le lecteur Ă  le sentiment d'ĂȘtre le tĂ©moin de sĂ©quences intemporelles ou qui devraient restĂ©es secrĂštes. On retrouve cette petite musique Ă  la fois nostalgique, touchante et pour moi toujours attachante, l'atmosphĂšre que Modiano sait si bien tisser dans ses livres, cette ambiance un peu floue, mystĂ©rieuses voire inquiĂ©tantes qui naĂźt de ces morceaux de puzzle lointains qui peu Ă  peu trouvent leur place et que cette Ă©criture simple mais poĂ©tique contribue Ă  crĂ©er. Le passĂ© y insinue sa fragrance un peu surannĂ©e mais pas si dĂ©sagrĂ©able que cela cependant. C'est le fil d'Ariane de son Ɠuvre et j'ai toujours plaisir Ă  le suivre. Le livre refermĂ©, j'ai toujours la mĂȘme impression de vide ou d'un certain malaise tissĂ© par la lecture. Pour moi, l'auteur traduit bien avec ses mots ce que sont les bribes de souvenirs qui, pour chacun d'entre nous, Ă©mergent du passĂ© Ă  l'occasion d'une Ă©vocation, d'un nom, d'une image. C'est lĂ  la signature de Modiano, peut-ĂȘtre aussi la marque de mon existence personnelle et c'est sĂ»rement en m'accrochant Ă  cette apparente vacuitĂ© qui pourtant m'est familiĂšre que je me retrouve dans son Ă©criture et dans son univers romanesque si particulier. HervĂ© GAUTIER – Novembre 2014 - Murmurer Ă  l'oreille des femmes - Douglas Kennedy Belfond SacrĂ© Douglas Kennedy ! Je ne connais pas sa biographie et encore moins sa vie intime mais si ces douze nouvelles en sont le reflet, puisqu'elle sont Ă©crites Ă  la premiĂšre personne, mĂȘme sous le masque d'autres personnages, je me dis que soit c'est une sorte de don Juan, soit c'est un sacrĂ© vantard. Car qu'il se cache sous la masque d'un modeste comptable, d'une brillante avocate d'affaires ou d'un professeur respectĂ©, il puise sans doute autant dans son imagination que dans son expĂ©rience les modĂšles qu'il met en scĂšne, mĂȘme s'il alterne, pour la crĂ©dibilitĂ© de la lecture sans doute, les hommes et les femmes, l'Ă©criture permettant cette fiction. Ça l'aurait mĂȘme pris de bonne heure, cette attirance pour l'autre sexe, dĂšs l'Ăąge de 7 ans, Ă  l'entendre, Ă  l’occasion d'une simple rencontre, puis ensuite il aurait connu le grand amour, Ă  supposer bien sĂ»r qu'il existe. Il pourrait mĂȘme se dire qu'il a Ă©tĂ© l’homme de la vie » d'une ou de plusieurs femmes, ce qui est plutĂŽt flatteur et il est de bon ton pour un homme de se vanter de ses succĂšs fĂ©minins ou de laisser planer un doute sur ses performances sexuelles! Pour un homme comme pour une femme, c’est tentant de pouvoir se dire qu'ils sont faits l'un pour l'autre » et que par consĂ©quent ils doivent passer leur vie ensemble. Alors on fait rimer amour avec toujours », on parle de destin et si on y croit, de Dieu, cela ne coĂ»te rien, mais finalement tout cela est bien artificiel et rĂ©siste bien rarement Ă  l'Ă©preuve des faits, du temps et de l'usure des choses, bien des mariages se concluent par un divorce... Il a sĂ»rement rencontrĂ© des femmes avides de se marier et ardemment dĂ©sireuses de devenir mĂšres mais l'amour est sans doute le domaine qui rĂ©vĂšle le mieux la part d'ombre de chacun. Ici elle se nomme lĂąchetĂ©, trahison, mensonge, adultĂšre quand ce n'est pas, pour briser la routine matrimoniale destructrice ou l'illusion de la sĂ©curitĂ©, pour accĂ©der Ă  cette envie de libertĂ©, cĂ©der Ă  l'espoir bien souvent déçu de faire fortune ou obtenir la notoriĂ©tĂ©, de satisfaire Ă  ce dĂ©sir inextinguible de tout jeter par-dessus les moulins et changer de vie pour l'inconnu ou les fantasme de la nouveautĂ©, la folie quoi ! Le mariage, surtout s'il succĂšde Ă  une dĂ©ception amoureuse antĂ©rieure ne peut que se conclure par un Ă©chec[je suis frappĂ© dans ces nouvelles par la facilitĂ© avec laquelle les conjoints ou les amants se sĂ©parent, souvent pour des raisons sentimentales mais sans oublier la dimension financiĂšre cependant]. Sans doute le charge-t-on de trop d'espĂ©rances mais je ne suis pas sĂ»r que l'Ă©criture, dĂ©nonçant ce dĂ©sastreux Ă©tat de choses, en constitue le baume, pas plus d'ailleurs que tous les produits excitants extĂ©rieurs... Quant aux relations extra-conjugales, elles ne valent guĂšre mieux et la dĂ©convenue en est souvent l'issue. De quoi ĂȘtres vraiment dĂ©sespĂ©rĂ© ! [ Est-ce que ça se passe toujours comme ça ? Vouloir ce que l'on n'a pas, avoir ce que l'on ne veut pas. Pensez qu'il existe une autre vie lĂ -bas »et redouter de perdre celle qui est ici. Ne jamais ĂȘtre sĂ»r de ce que l'on poursuit... » et puis aussi Rappelle-toi, petit, on est seul, toujours seul »]. Il y a aussi cette certitude qu'ont certains de n'ĂȘtre pas faits pour ĂȘtre heureux, Ă  cĂŽtĂ© de qui le bonheur passera toujours... sans s'arrĂȘter et pour qui le choix dans cette matiĂšre sera toujours mauvais quoiqu’ils fassent. C'est vrai que la condition humaine est un spectacle Ă  la fois changeant et constant. Quand on choisit l'aspect amoureux des relations entre les gens, le mariage qui Ă©puise l'amour pourtant si ardemment promis et qui transforme les Ă©poux en vĂ©ritables Ă©trangers l'un pour l'autre, quand ce n'est pas pire, avec au bout du compte bien souvent la rĂ©signation... ou l'irrĂ©parable, c'est lĂ  un sujet inĂ©puisable pour qui veut en parler et je crois de Douglas Kennedy le fait bien. Il promĂšne un regard dĂ©sabusĂ© sur les hommes et les femmes qui composent cette chose Ă©trange qu'on appelle la sociĂ©tĂ© avec ses convenances, ses rĂšgles, son hypocrisie. Le fait que ce recueil se termine par un improbable conte de NoĂ«l veut-il il cependant dire que tout espoir n'est pas perdu ou au contraire que ce monde n'existe que parce que nous y instillons de temps en temps des choses qui n'arrivent que dans les livres ? Si, dans ces textes, il fait simplement Ɠuvre d’écrivain, non seulement c'est bien observĂ© mais aussi c'est bien Ă©crit. Je ne sais pas si c'est grĂące Ă  son style ou Ă  la traduction mais le texte est agrĂ©able Ă  lire. J'ai dĂ©jĂ  dans cette chronique l'intĂ©rĂȘt que je porte aux romans de Kennedy. L'univers de la nouvelle est trĂšs particulier et j'avoue une attirance pour ce genre littĂ©raire. LĂ  je n'ai pas Ă©tĂ© déçu. Traduit de l'amĂ©ricain par Bernard Cohen.> ©HervĂ© GAUTIER – AoĂ»t 2014 Barbe Bleue – AmĂ©lie NOTHOMB Albin Michel DrĂŽle d’histoire que celle de Saturnine Puissant, une jeune Belge de 25 ans un peu dĂ©sargentĂ©e qui, venue enseigner au Louvre, cherche de quoi se loger. Elle rĂ©pond Ă  une petite annonce pour une colocation et rencontre le propriĂ©taire, Dom Emilio Nibal y Milcar, un aristocrate espagnol, un Grand d'Espagne » selon son propre aveu, qui accepte de lui louer pour un prix dĂ©risoire une chambre dans son hĂŽtel particulier parisien, avec la disposition de la domesticitĂ©, du chauffeur... Une occasion a ne pas laisser passer ! Le contrat de location prĂ©cise qu'elle ne doit pas entrer dans la chambre noire » qui lui sert Ă  dĂ©velopper ses photos, alors mĂȘme que celle-ci n'est pas fermĂ©e Ă  clĂ©. Elle remarque que les huit prĂ©cĂ©dentes colocataires Ă©taient des femmes et qu'elles ont disparu. C'est que cet Espagnol est bizarre. SĂ©ducteur impĂ©nitent, fort imbu de lui-mĂȘme, il est exilĂ© en France mais ne sort pas de chez lui. Noble, il souhaite que cela se sache, richissime, il adore l'or qu'il possĂšde apparemment Ă  profusion, se dĂ©clare royaliste, catholique dogmatique, pratiquant jusqu'Ă  l’extrĂȘme, cite la Bible Ă  l'envi, fanatique de la Sainte Inquisition, il pratique volontairement le trafic des indulgences », celui-lĂ  mĂȘme qui est Ă  l'origine du luthĂ©ranisme, en couvrant son confesseur d'or en Ă©change de son absolution ! Rien Ă  voir avec jeune femme libĂ©rĂ©e et moderne qu'il demande d'emblĂ©e en mariage, qu'il couvre de cadeaux et dont il satisfait les moindres caprices. Il l'invite Ă  sa table Ă  tout propos. Saturnine ne s'en laisse pas conter, argumente, finasse, se moque de lui, lui porte volontiers la contradiction jusqu'Ă  l'impertinence, le provoque, prĂ©tend qu'elle ne tombera pas dans le panneau de la transgression de l'interdit pour ce qui concerne la Chambre noire » parce que, elle en est sĂ»re, il a assassinĂ© les huit prĂ©cĂ©dentes colocataires pour le mĂȘme motif bizarre... et elle ne sera pas la neuviĂšme ! A son amour, elle rĂ©pond volontiers par des vacheries. Apparemment les autres femmes ont peur de lui et pourtant il considĂšre que la femme est la colocataire idĂ©ale, qu'il a aimĂ© toutes les prĂ©cĂ©dentes, mais elles sont disparu ! A Saturnine qu'il associe Ă  l'or et au champagne de grandes marques, il offre une jupe qu'il a lui-mĂȘme fabriquĂ©e, faite de riches tissus et d'une doublure d'un jaune particulier et mystĂ©rieux, et qui, lorsqu'elle la porte lui fait l'effet d'une Ă©treinte amoureuse. Bien qu'elle considĂšre Emilio comme un dangereux malade mental, elle ne tarde pas Ă  tomber amoureuse de lui. Reste cependant les photos, au nombre de huit, apparemment cachĂ©es dans la chambre noire, et qui ne reprĂ©sentent que des femmes mortes, l'occasion pour elle de mener une sorte d'enquĂȘte qui n'en est cependant pas une. Elle s'installe au contraire dans cette sorte d’ambiguĂŻtĂ© oĂč elle ne sera pas tuĂ©e puisqu'il lui a avouĂ© son secret et qu'elle peut donc demeurer Ă  ses cĂŽtĂ©s en tant que sa colocataire. Emilio la photographie elle aussi, mais Ă  l'inverse des autres victimes, elle est bien vivante. C'est une fable plaisante, facile Ă  lire, bien Ă©crite, pas dĂ©nuĂ©e du tout d'intĂ©rĂȘt et de culture et qui Ă©voque Ă  la fois Henri VIII d'Angleterre Barbe Bleue pour l'amour des femmes et leur assassinat et la FĂ©e MĂ©lusine pour la transgression de l'interdit, une sorte de roman Ă  Ă©nigme oĂč, encore une fois, Éros danse avec Thanatos. J'avoue que le nom d'AmĂ©lie Nothomb ne m'Ă©tait pas inconnu mais je n'avais rien lu d'elle auparavant. Je l'ai dĂ©couverte pour la premiĂšre fois, autant par curiositĂ© que par envie de lire un auteur connu et mĂ©diatisĂ© ©HervĂ© GAUTIER Lulu femme nue - Etienne Davodeau - Futuropolis Les lecteurs friands de bandes dessinĂ©es pornographiques vont ĂȘtre déçus, le titre, mĂȘme s'il invite aux fantasmes ne cache rien d'autre qu'une banale histoire, une tranche de vie d'une femme de quarante ans, mariĂ©e, mĂšre de famille qui, aprĂšs une longue pĂ©riode de chĂŽmage de plus de quinze annĂ©es dĂ©cide de se rendre Ă  un entretien d'embauche Ă  quelques dizaines de kilomĂštres de chez elle. Bien sĂ»r, sans diplĂŽme ni qualification, cela tourne court mais au lieu de rentrer directement chez elle, elle dĂ©cide de s'octroyer une journĂ©e de libertĂ©. Elle croise la route de Solange, une VRP qui l'invite Ă  parler d'elle, ce qu'elle n'a encore jamais fait. C'est bien la premiĂšre fois que quelqu'un s'intĂ©resse Ă  elle dont la vie, jusque lĂ , se rĂ©sumait Ă  pas grand chose J'ai parfois l'impression d'ĂȘtre presque une extension de la gaziniĂšre et du lave-linge », ma vie ne me plaĂźt pas, il ne se passe rien » avoue-telle. Poursuivant son projet de libertĂ© temporaire, Lulu demande Ă  Solange de l'emmener avec elle. Elle se retrouve donc au bord de la mer, en octobre, errant entre jetĂ©e et plage ou au hasard des rues, seule mais surtout ne cherchant pas Ă  prĂ©voir l’instant d’aprĂšs, libre, apaisĂ©e, calme. Elle s'est simplement contentĂ©e d'annoncer par tĂ©lĂ©phone Ă  sa famille et Ă  CĂ©cile, son amie, sa petite escapade temporaire sans qu'elle sache vraiment combien de temps elle va durer. Chez elle, on s'inquiĂšte, son mari, Tanguy, un ĂȘtre frustre, pas trĂšs fin et alcoolique qui commence Ă  noyer son ennui dans la biĂšre, ses deux fils, Morgane, sa fille de seize ans. Xavier, le mari de CĂ©cile part Ă  la recherche de Lulu. Pendant ce temps, notre aventuriĂšre rencontre Charles et en tombe amoureuse, dĂ©cide de vivre avec lui quelques jours mĂȘme s'il se rĂ©vĂšle ĂȘtre un ancien taulard flanquĂ© de ses deux frĂšres, sorte de pieds nickelĂ©s marginaux, mais sympathiques et attachants. Xavier puis, Ă  sa suite Margot et ses frĂšres retrouvent Lulu mais dĂ©cident de la laisser vivre cette passade. Elle repart donc Ă  l'aventure, sur la route, sans argent et rencontre Marthe, une veuve solitaire mais philosophe qui lui offre son amitiĂ© et ses rillettes pĂ©rimĂ©es contre la relation de son histoire et de ses journĂ©es dĂ©sƓuvrĂ©es. C'est un Ă©change Ă  la hauteur de cette histoire Ă©chevelĂ©e et mĂȘme parfois un peu surrĂ©aliste mais peu importe, nous sommes dans une fiction, restons-y ! La vie s'Ă©coule ainsi jusqu'Ă  leur rencontre avec Virginie, une jeune serveuse de bar un peu paumĂ©e et exploitĂ©e par sa patronne. Un temps elle semble marcher avec ses deux comparses et veut tout envoyer par dessus les moulins mais finalement prĂ©fĂšre son travail mal payĂ© et prĂ©caire. Finalement tout rentrera dans l'ordre mais pas exactement comme avant, quand Lulu ne vivait que pour les autres. Ce que je retiens de cette fable qui n'est peut-ĂȘtre pas si fictive que cela, c'est qu'elle est une illustration de ce dĂ©mon de midi » qui intervient dans chacune de nos vies, souvent sans prĂ©venir et les illumine ou les pourrit, c'est selon. J'ai apprĂ©ciĂ© Ă©galement l'humour subtil du texte et des dessins, le suspens qui irrigue tout ce rĂ©cit puisque, au fil de cette lecture on ne peut pas ne pas penser que Lulu est morte Ă  la suite de cette foucade. C'est en effet Xavier qui, au cours d'une nuit entre copains et Ă  l'aide de biĂšres, d'interrogations et d'Ă©tats d'Ăąme fait la relation de cette aventure de Lulu. Cela ressemble Ă  une veillĂ©e funĂšbre. Ce n'en est pas une, quoique ! J'observe aussi que c'est la parole qui a pris le dessus sur le gris de la vie de Lulu et de Marthe. La couleur justement, elle varie entre la grisaille et le sĂ©pia, le bleu Ă©tant rĂ©servĂ© au ciel et Ă  la mer, symbole de cette libertĂ© que le bord de la mer souligne et que Lulu attendait peut-ĂȘtre depuis longtemps sans oser sauter le pas. Pendant ces dix neuf jours qu'a durĂ© son escapade, cette femme pas vraiment belle, mal habillĂ©e et pas sexy du tout a Ă©tĂ© elle-mĂȘme pour finalement revenir au bercail entre enfants, mari et quotidien mĂ©nager. En fait de nuditĂ©, elle est beaucoup plus morale que physique et on imagine la vie future de Lulu, mĂȘme dans son quotidien familial qui ne sera plus vraiment pareil aprĂšs cette fugue. Je ne suis pas familier des bandes dessinĂ©es mais lĂ , j'ai bien aimĂ© et cela a consistĂ© pour moi en un bon moment le lecture, plein d'Ă©motion, de tendresse, d'humanitĂ©. © HervĂ© GAUTIER - juin 2014 Oscar et la Dame rose - Eric Emmanuel Schmitt Oscar est un petit garçon espiĂšgle de dix ans qui est soignĂ© dans un hĂŽpital pour enfants parce qu’il est atteint d'une leucĂ©mie. Il se surnomme lui-mĂȘme crĂąne d’Ɠuf » Ă  cause de la chimiothĂ©rapie qui lui a fait perdre ses cheveux. De mĂȘme il donne Ă  ses copains des noms en rapport avec leur maladie, Bacon » parce que c'est un grand brĂ»lĂ©, Pop Corn » parce qu'il est Ă©norme, Peggy Blue » parce qu'elle a la maladie bleue... une façon comme une autre d'oublier la maladie avec l'aide de l’humour d'autant qu'il va sĂ»rement mourir. Mamie-Rose c'est la bĂ©nĂ©vole qui vient lui rendre visite et qui a sympathisĂ© avec lui. C'est une vielle dame, ex-catcheuse Ă  ce qu'elle dit, qui revĂȘt une blouse rose pour entrer dans sa chambre. Il l'aime plus que ses propres parents qui pourtant viennent le voir avec rĂ©gularitĂ© et lui apportent des cadeaux dont il n'a que faire. Il sent qu'ils lui mentent et cela ne lui plaĂźt guĂšre. Pourtant ils l'aiment mais ne peuvent rien face Ă  cette maladie qui va l'emporter. Ils se prĂ©parent Ă  cette issue fatale sans trop le montrer Ă  leur enfant. C'est que nous sommes dans la pĂ©riode de NoĂ«l, exactement douze jours avant et ce petit garçon, Ă  l'instigation de la dame rose, entreprend d'Ă©crire Ă  Dieu une lettre par jour en lui demandant de venir le voir et en lui racontant tout ce qui lui arrive, une maniĂšre aussi de dĂ©rouler un compte Ă  rebours puisque sa greffe de moelle osseuse n'a pas pris et qu'il le sait. C'est aussi cette mĂȘme Mamie-Rose qui lui propose d'accĂ©lĂ©rer le temps et d’imaginer qu'Ă  une journĂ©e correspond une dĂ©cennie, une façon comme une autre d'avoir droit Ă  une vraie vie, complĂšte, comme les autres. D'ailleurs il se prend au jeu, se choisit une fiancĂ© en la personne de Peggy Blue », en tombe amoureux, l'Ă©pouse, se constitue une famille fictive et fait semblant de croire Ă  tout cela mĂȘme quand son Ă©pouse » sort de l'hĂŽpital, guĂ©rie ! Avec son stratagĂšme du temps accĂ©lĂ©rĂ©, ils ont passĂ© leur vie ensemble et c'est l'essentiel. Oscar est mort pourtant parce que la maladie a Ă©tĂ© la plus forte, mais il a choisi de partir quand ses parents et Mamie-rose Ă©taient partis boire un cafĂ©, un peu comme le petit prince de Saint Ex, avec cette simple phrase comme Ă©pitaphe Seul Dieu a le droit de me rĂ©veiller » C'est une fable, bien sĂ»r mais elle est Ă©mouvante parce qu'il est question de la souffrance et de la mort qui sont notre lot Ă  tous. Pourtant tout cela n'est pas triste, pas dramatique comme cela aurait pu l'ĂȘtre, Ă  cause du style volontairement simple, naĂŻf, naturel, comme celui d'un enfant. Le fait de s'adresser Ă  Dieu Ă  l’instigation de la vielle dame est Ă  la fois puĂ©ril et sĂ©rieux. En contrepoint il y a la mort qui dans nos civilisations occidentales est Ă  la fois tabou et dĂ©sespĂ©rante et pourtant ce roman ne tire pas de larmes. Il est Ă  la fois cocasse et poĂ©tique. Comme il le dit lui-mĂȘme, la vie n'est pas un cadeau, c'est juste un prĂȘt, nous n'en sommes que les usufruitiers alors que nous agissons comme si nous Ă©tions immortels. Il n'est pas inutile de la rappeler aussi simplement que cela. ©HervĂ© GAUTIER – N° 749 – Mai 2014 Les creux de maisons - E PĂ©rochon Ed. du Rocher Les Creux de Maisons », c'Ă©tait ces cabanes insalubres du bocage vendĂ©en oĂč se rĂ©fugiaient jusqu'au dĂ©but du XX° siĂšcle les plus pauvres, des journaliers qui n'avaient pour toute richesse que leurs bras et qui travaillaient comme des esclaves pour un salaire de misĂšre ou qui, trop dĂ©munis, envoyaient leurs jeunes enfants mendier, souvent pieds nus, de ferme en mĂ©tairie quelques quignons de pain et de la nourriture ; on les appelait les cherche-pain ». SĂ©verin PĂątureau a Ă©tĂ© l'un d'eux. Au dĂ©but du roman, nous le voyons revenir du service militaire, quatre longues annĂ©es passĂ©es sur la frontiĂšre de l'Est de la France, dans une ville de garnison. Il est maintenant un homme comme l'atteste la moustache qu’il porte fiĂšrement puisque, Ă  l'Ă©poque, cet Ă©pisode de la vie correspondait Ă  un passage initiatique quand on avait Ă©tĂ© soldat, tout devenait possible puisqu'on avait servi sa Patrie sous l'uniforme. Il se gage donc comme valet dans les environs de Bressuire et ne tarde pas Ă  rencontrer Delphine, la fille d'un meunier qui l'aimait depuis l'enfance. Il la frĂ©quente » puis l'Ă©pouse. Ils s’établissent eux aussi dans un creux de maison », lui restant valet et elle travaillant en journĂ©es, de quoi vivre heureux, rĂȘver, faire le projet de prendre une terre », une borderie, c'est Ă  dire travailler pour son compte et non plus pour les autres ou peut-ĂȘtre partir pour les Charentes plus riches et ouvertes au machinisme agricole. Tout cela ne sont que des chimĂšres et, Ă  la suite d'une mauvaise querelle, tout bascule et SĂ©verin perd sa place. Le voilĂ  journalier. L'absence totale de contraception qui gĂ©nĂšre des familles anormalement nombreuses que les parents ne peuvent nourrir, la maladie, la rarĂ©faction du travail font que cette famille connaĂźt la misĂšre, la famine puis la mort de Delphine aprĂšs son sixiĂšme accouchement. Selon la tradition une grand-mĂšre vient aider SĂ©verin Ă  Ă©lever ses enfants, mais cette situation nouvelle oblige l'aĂźnĂ©e Ă  se transformer en cherche-pain » Ă  son tour, au grand dam de son pĂšre. Certes les PĂątureau sont aidĂ©s par la collectivitĂ© et SĂ©verin est dur Ă  sa peine malgrĂ© son Ăąge mais ils sont pauvres et le seront toute leur vie. Il se fait mĂȘme braconnier pour survivre et bien entendu il se fait prendre, perd son travail et l’aĂźnĂ©e meurt. Il s'agit d'un roman rural, si on veut l'appeler ainsi oĂč l'auteur dĂ©peint la vie dure d'un monde de paysans pauvres de l'ouest de la France. Dans sa prĂ©face, PĂ©rochon indique qu'il ne veut pas se faire le chantre d'une quelconque vision idyllique et pastorale de cette vie mais, au contraire, en dĂ©peindre la rudesse. PĂ©rochon se fait le tĂ©moin de ce temps heureusement rĂ©volu oĂč les foires n'Ă©taient pas seulement destinĂ©es aux transactions commerciales mais servaient aussi Ă  rencontrer son futur conjoint, oĂč la messe Ă©tait incontournable. Il parle des coiffes, des coutumes, mĂȘlant le patois aux descriptions poĂ©tiques de la nature, dĂ©nonçant au passage les processions catholiques ou des rituels paĂŻens pour faire tomber la pluie ! A travers une galerie de portraits qui tĂ©moigne d'une attentive observation, il croque toute une sociĂ©tĂ© rurale, n’épargnant ni le clergĂ© ni les maĂźtres ni les fermiers, campant un dĂ©cor de misĂšre, fait d'augmentation du coĂ»t de la vie, de familles exagĂ©rĂ©ment nombreuses, d'exode rural... Ce roman paraĂźt en 1912 en feuilleton dans L’HumanitĂ© » puis aux frais de l'auteur l'annĂ©e suivante. Ernest PĂ©rochon [1885-1942] est alors instituteur dans le nord des Deux-SĂšvres. AprĂšs sa mobilisation en 1914, il obtint le Prix Goncourt en 1920 pour son roman NĂȘne » paru en 1914, de la mĂȘme inspiration, grĂące au soutien actif de Gaston ChĂ©rau [1872-1937] journaliste et Ă©crivain, deux-sĂ©vrien comme lui. C'est bien sĂ»r son Ɠuvre la plus connue mais, Ă  mon avis et sans bien entendu dĂ©valuer en rien les mĂ©rites de NĂȘne », PĂ©rochon eĂ»t mĂ©ritĂ© ce prix pour Les Creux de Maisons ». Ce fut le dĂ©part de son abondante production romanesque mais il est Ă©galement l'auteur de poĂšmes, de contes pour enfants et mĂȘme de romans de science-fiction. Il devint ensuite un homme de Lettres reconnu jusqu'Ă  sa mort en 1942, victime de brimades de la part du rĂ©gime de Vichy qu'il refusait de servir. Son Ɠuvre fut quelque peu oubliĂ©e jusqu'en 1985 oĂč l'on cĂ©lĂ©bra le centenaire de sa naissance, date Ă  partir de laquelle ses romans furent rééditĂ©s et sa mĂ©moire entretenue par des confĂ©rences et des expositions. Il est actuellement cĂ©lĂ©brĂ© Ă  la hauteur de son talent et ce n'est que justice pour cet Ă©crivain injustement oubliĂ© pendant si longtemps. J'ai trĂšs tĂŽt connu le nom d'Ernest PĂ©rochon, mais pas son Ɠuvre. En effet, avec Pierre Loti et Anatole France, il Ă©tait l'auteur des dictĂ©es qui Ă  l'Ă©poque Ă©taient le quotidien de l'Ă©cole primaire. C'Ă©tait pour moi une Ă©preuve redoutĂ©e qui ne fut cependant pas une invitation Ă  dĂ©couvrir ses romans, dĂ©couverte qui ne vint que bien plus tard. Je l'apprĂ©cie maintenant comme un serviteur de notre belle langue française.©HervĂ© GAUTIER – n° 740 - Avril 2014 Au revoir la haut - Pierre LEMAITRE A Michel-Goncourt 2013 Alors au revoir, au revoir lĂ -haut, ma CĂ©cile, dans longtemps » Telles sont les derniĂšres paroles du soldat Albert Maillard qui, au fond d'un trou d'obus va mourir. Elles font Ă©cho Ă  l'exergue en tĂȘte du roman et lui donnent son titre. La trame de cette fiction, car c'en est une, est finalement une suite de rencontres comme le hasard nous e rĂ©serve parfois dans la vraie vie. Ici, c'est la Grande Guerre qui favorise celle du 2° classe Albert Maillard qui frĂŽle la mort par ensevelissement dans un trou d’obus et le soldat Édouard PĂ©ricourt qui lui sauve la vie au pĂ©ril de la sienne. Ils sortiront de ce conflit pas mal cabossĂ©s, surtout Édouard, mais vivants et unis par un lien amical solide. Si Albert n'est rien qu'un simple salariĂ©, un homme du peuple, son camarade est le fils un peu dĂ©laissĂ© parce que trop artiste et effĂ©minĂ© du banquier bien connu qui a fait sa fortune sur les crises successives. Il a eu la mĂąchoire arrachĂ©e refuse la greffe et le retour dans sa famille et naturellement c'est Albert qui qui va s'occuper de cet homme dĂ©figurĂ©, tentĂ© un temps par la mort et dont il ignore tout. Il va subvenir Ă  ses besoins et le ramener Ă  la vie. Son Ă©tat est si dĂ©sastreux qu'il va mĂȘme jusqu'Ă  le faire mourir, mais fictivement, en intervertissant son livret militaire avec celui d'un poilu » mort officiellement il devient donc EugĂšne LariviĂšre. Albert, Ă  qui la guerre a tout pris, son emploi, sa femme parti avec un autre, ses illusions, s'occupe dans la vie civile quotidienne Ă  la quelle ils ont Ă©tĂ© rendus, de cette gueule cassĂ©e » qui maintenant est dĂ©pendant Ă  la drogue qui apaise ses souffrances. Édouard-EugĂšne qui refuse toujours de revenir dans sa famille oĂč sa mort est presque passĂ©e inaperçue, sauf peut-ĂȘtre pour Madeleine sa sƓur, ne peut rien attendre de l’État au titre des soins puisqu’il est officiellement mort. Il se contente de porter des masques qui cachent son image insoutenable et de rester cloĂźtrĂ©. Rencontre encore quand le capitaine d'Aulnay-Pradelle, noblaillon fin de race », prĂȘt Ă  tout pour se faire valoir et parfois mĂȘme Ă  tuer y compris ses propres soldats mais surtout dĂ©sargentĂ©, va croiser la route de Madeleine PĂ©ricourt venue chercher le corps de son frĂšre. Il l'Ă©pousera pour redorer son blason et son patrimoine, la trompera et son mariage partira Ă  vau-l'eau. La libĂ©ration fera de lui un affairiste inhumain et mĂ©prisant pour ses semblables qui se jettera dans des transactions douteuses. La RĂ©publique qui avait si bien su mener ses enfants Ă  la boucherie va oublier les survivants et s'occuper des morts puisqu'il faut bien cĂ©lĂ©brer la victoire et surtout prĂ©server les apparences. C'est lĂ  que Pradelle intervient puisque, maintenant introduit par son mariage dans la sociĂ©tĂ© dirigeante, va monter une sociĂ©tĂ© qui sera chargĂ©e, par adjudication, d'exhumer les soldats morts des champs de bataille et de les inhumer dans de grandes nĂ©cropoles. L'affaire faite de trucages des marchĂ©s publics, de malfaçons, de vols et de corruption tournera court et Pradelle, lĂąchĂ© par tous mourra seul et ruinĂ©. De son cĂŽtĂ©, Albert qui a Ă  sa charge Édouard survit comme il peut avec peu de ressources. On ne donne pas cher de leur avenir Ă  tous les deux quand ledit Édouard a une idĂ©e de gĂ©nie. Lui qui a un don pour le dessin dĂ©cide de l'exploiter quand l’État incite les communes de France Ă  honorer leurs enfants en Ă©rigeant un monument aux morts ». Partant du principe que plus un mensonge est gros plus il prend, notre dessinateur va, sans sortir de chez lui, monter une arnaque baptisĂ©e du nom ronflant de Souvenir Patriotique » qui fait appel aux subventions publiques d'ailleurs maigres mais surtout Ă  la souscription. C'est, certes, escroquer les petites gens qui avaient perdu un proche Ă  la guerre et donc une insulte aux morts mais pour eux, c'est une revanche. L'affaire rĂ©ussit bien au-delĂ  de leurs espĂ©rances et pour eux un dĂ©part sous d'autres cieux plus clĂ©ments pour les dĂ©linquants est maintenant inĂ©vitable. LĂ  non plus tout ne se passera pas comme prĂ©vu et le scandale Ă©clatera. Parce que la morale doit toujours ĂȘtre sauve, le pĂšre PĂ©ricourt, maintenant bourrelĂ© de remords Ă  cause de la disparition de son fils Ă  cĂŽtĂ© de qui il est passĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment avant ce drame, y laissera quelque argent et sĂ»rement davantage, Pradelle retrouvera une place qu'il n'aurait jamais dĂ» quitter et nos deux acolytes ne profiteront pas vraiment de cette fortune mal acquise. J'ai lu ce roman jusqu'Ă  la fin avec passion autant pour connaĂźtre l'Ă©pilogue que pour le plaisir de lire le texte. Ce n'est pourtant pas Ă  cause du style fort peu acadĂ©mique mais peu importe. J'avoue que j'ai volontiers goĂ»tĂ© l'humour subtil des phrases, la maniĂšre Ă  la fois caustique et fluide avec laquelle Pierre LemaĂźtre s'exprime [j'ai mĂȘme parfois souri Ă  certains bons mots bien que le sujet ne s'y prĂȘte pas vraiment]. Je ne l'ai pas fait non plus Ă  cause de l'attribution de ce prix prestigieux. J'ai dĂ©jĂ  dĂ©plorĂ© maintes fois dans cette chronique qu'il ait Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  des romans qui ne le mĂ©ritaient pas ; Je l'ai pourtant lu avec gourmandise Ă  cause de l'histoire pleine de suspense, de l'Ă©tude psychologique des personnages qui s'accompagne d'un rĂ©el sens de la formule et du culte du dĂ©tail. C'est une authentique Ă©vocation de l’espĂšce humaine qui n'est ni respectable ni frĂ©quentable mais Ă  laquelle nous appartenons tous. Ce qui a aussi retenu mon attention c'est sans doute le montage de cette arnaque, certes fictive mais quand mĂȘme gĂ©niale autour des dĂ©bris de cette guerre qu'on a baptisĂ©e Grande avec une majuscule et que l’État voulait vite oublier comme il voulait oublier ceux qui l'avait faite, vivants ou morts. On avait su les trouver, les forcer Ă  se battre, Ă  vivre dans des conditions inhumaines, Ă  mourir Pour la Patrie », on saurait bien les abandonner comme toujours malgrĂ© toutes les dĂ©clarations lĂ©nifiantes et patriotiques des hommes politiques et les commĂ©morations hypocrites ! Et ceux qui Ă©taient dĂ©cidĂ©s Ă  profiter des commandes de l’État autour du transfert des morts ne manquaient pas. J'y ai lu aussi l'histoire d'une amitiĂ© entre deux anciens combattants devenus frĂšres d'armes un peu par hasard, Ă  la fois inventif et flamboyant pour Édouard et maladivement inquiet pour Albert aussi dissemblables l'un de l'autre par leur vie, leur classe sociale, leur culture. Leur expĂ©rience du champ de bataille les a dĂ©finitivement unis, eux qui appartiennent Ă  cette gĂ©nĂ©ration dĂ©libĂ©rĂ©ment sacrifiĂ©e sur l'autel de la Patrie. Je ne connaissais pas Pierre LemaĂźtre avant ce roman rĂ©ellement captivant qui fut pour moi un grand moment de lecture. Je crois bien que je vais continuer Ă  explorer son Ɠuvre. HervĂ© GAUTIER – n° 734 - Mars 2014 Cheval de guerre- Michael Morpurgo Folio Junior Traduit de l'anglais par AndrĂ© Dupuy. Au moment oĂč nous cĂ©lĂ©brons le centenaire de la PremiĂšre Guerre mondiale, oĂč les livres qui paraissent sur le sujet sont inspirĂ©s ou rendent compte des tĂ©moignages de poilus, j'ai trouvĂ© assez original de donner la parole Ă  un cheval qui, lui aussi avait participĂ© aux combats. Il s'agit donc d'un roman Ă©crit en 1982 et adaptĂ© au cinĂ©ma par Steven Spielberg en 2011 oĂč un cheval raconte sa vie Ă  la premiĂšre personne. Elle commence Ă  la veille de la Grande Guerre, il est achetĂ© par un fermier alcoolique dont le fils ĂągĂ© de 13 ans, Albert, s'attache Ă  lui, le baptise Joey, le monte chaque jour, le fait travailler. Il devient rapidement une belle bĂȘte. Cependant la guerre Ă©clate et l'armĂ©e achĂšte le cheval qu'Albert ne peut suivre, trop jeune pour s'engager. De cheval de ferme, il devient donc monture de cavalerie mais le rĂ©gime n'est pas le mĂȘme et Joey rencontre Topthorn, un autre Ă©talon. Ils partent ensemble pour la France et le théùtre des combats. Le capitaine Nicholls qui l'avait pris en amitiĂ© au point de le peindre, avait promis Ă  Albert de s'occuper personnellement est tuĂ© lors d'un affrontement et Joey est confiĂ© au soldat Warren qui s'attache Ă  lui. L'art de la guerre qui excluait maintenant les charges de cavalerie le transforme en bĂȘte de trait pour l'artillerie, toujours en compagnie de Tophorn mais ils tombent tous les deux aux mains des Allemands qui les versent dans le service de santĂ©. Les voilĂ  chevaux d'ambulances. AprĂšs pas mal d'errements, il revient dans le camp anglais mais sans Tophorn qui a trouvĂ© la mort et termine la guerre comme un vĂ©ritable soldat. Notre cheval survit Ă  la mitraille, Ă  la maladie et mĂȘme Ă  une mort annoncĂ©e, et tant mieux si cela tient du miracle. C'est vrai que c'est une bĂȘte d'exception [ Je te le dis mon ami, dans un cheval , il y a quelque chose de divin, particuliĂšrement dans un cheval comme celui-ci »] et cela mĂ©rite bien un happy-end. C'est l'occasion pour l'auteur de glisser pas mal de rĂ©flexions sur l'absurditĂ© de la guerre et sur la folie des hommes. C'est donc une sorte de fable, un peu dans ma maniĂšre de La Fontaine, la rime et la morale en moins mais l'Ă©motion en plus. C'est donc une fiction qui emprunte autant Ă  la rĂ©alitĂ© qu'Ă  l'imagination de son auteur et Joey quelque soit l'endroit oĂč il est, rĂ©ussit Ă  s'attacher les hommes qu'il cĂŽtoie, militaires ou civils, Ă  ne laisser personne indiffĂ©rent. Il y a entre eux une vĂ©ritable complicitĂ© et mĂȘme davantage. L'auteur prĂȘte Ă  ce cheval dĂ©cidĂ©ment hors du commun une vie d'homme mais quand il est sur le champ de bataille on a des Ă©gards pour lui, on ne lui tire pas dessus parce qu'il n'a pas d'uniforme mais aussi parce qu'un cheval est prĂ©cieux et c'est sans doute ce qui lui sauve la vie quand tant de ses congĂ©nĂšres trouvent la mort dans la tourmente, comme les hommes d'ailleurs. C'est un conte pour enfants et comme tel il doit bien se terminer parce qu'ils ne comprendraient pas qu'il en soit autrement. Il faut laisser Ă  l'enfance tout le merveilleux qui va avec, ils auront bien le temps, quand ils auront grandi, de comprendre et peut-ĂȘtre d'admettre que tout cela est faux mais aprĂšs tout, cela n'a pas beaucoup d'importance ! N° 722 - FĂ©vrier 2014. Le pigeon - Patrick SÜSKIND – FAYARD.1987 Tout est mĂ©diocre chez Jonathan NoĂ«l, son emploi actuel de vigile dans une banque, sa jeunesse sans joie sĂ©parĂ©e de sa mĂšre dĂ©portĂ©e dans un camp de concentration et de son pĂšre lui aussi disparu, sa vie d'enfant recueilli par un oncle, cachĂ© pendant la durĂ©e de la guerre puis employĂ© comme travailleur agricole. Plus tard, en 1953, il fut sommĂ© par ce parent de s'engager pour combattre en Indochine, ce qu’il fit docilement. Ce furent trois annĂ©es tristes au terme desquelles il apprit que sa sƓur aussi avait disparu. A son retour, cet oncle tyrannique exigea qu’il Ă©pouse une jeune fille qu'il n'avait jamais vue, ce qu'il accepta, pensant trouver enfin le bonheur et le calme. Las, elle Ă©tait enceinte d'un autre avec qui elle partit. La seule chance qu'il eut fut de trouver prĂšs de la banque parisienne oĂč il travaillait, une petit chambre de bonne sans confort au sixiĂšme Ă©tage d'une maison bourgeoise oĂč d'emblĂ©e il se trouva bien et qu'il amĂ©nagea Ă  son goĂ»t. Bien des annĂ©es plus tard, alors qu'il est maintenant prĂšs de la retraite, il va l'acheter pour y ĂȘtre complĂštement chez lui. C'est donc un ĂȘtre rangĂ© et solitaire qui vit au jour le jour depuis longtemps sans trop se poser de questions et surtout en Ă©vitant le plus possible les relations avec les autres hommes[ De toutes ces pĂ©ripĂ©ties, Jonathan NoĂ«l tira la conclusion qu’on ne pouvait se fier aux humains et qu'on ne saurait vivre en paix qu'en les tenant Ă  l'Ă©cart »]. Lui qui n'a pas vraiment eu de femme dans sa vie, sa petite chambre est sa maĂźtresse car elle l’accueille tendrement en elle ». Lui qui, d'ordinaire prenait soins de ne rencontrer personne quand il sortait de sa chambre tombe dans le couloir, un matin, nez Ă  nez avec un pigeon. Cette rencontre fortuite le bouleverse au point que, dans son travail, il commet pour la premiĂšre fois quelques Ă©tourderies dans son service, dĂ©chire son pantalon, Ă©vĂ©nements sans importance mais qui, Ă  ses yeux, prennent la dimension d'un drame puisqu'il se croit fini. Il envie mĂȘme le clochard qui lui vit en libertĂ© et sans aucune contrainte ; il en conçoit une vĂ©ritable admiration lui pour qui la vie n'est qu’obĂ©issance, qu'apparences, que subordination, que dĂ©fĂ©rence. Alors qu'il a largement passĂ© la cinquantaine et qu'il devrait pouvoir relativiser bien des choses de la vie, la rencontre avec ce pigeon le perturbe tellement qu'il va jusqu’à dormir Ă  l'hĂŽtel pour ne pas avoir Ă  le rencontrer de nouveau, passe une nuit tourmentĂ©e qu'un orage d'Ă©tĂ© va venir inopportunĂ©ment troubler en faisant revivre des souvenirs douloureux de son enfance. Il parvient cependant a surmonter cette Ă©preuve, rentre chez lui pour constater que le pigeon a disparu, ce qui l'apaise. Bizarrement, cet ĂȘtre tourmentĂ© revit son enfance mais celle d'avant la disparition de sa mĂšre et Ă©prouve un plaisir puĂ©ril Ă  patauger dans les flaques d'eau. C'est un peu comme si l 'orage en Ă©clatant l'avait dĂ©livrĂ© de ses phobies. VoilĂ  donc l'histoire apparemment sans relief de cet homme. Il m’apparaĂźt qu'elle illustre une sorte de phobie des ĂȘtres humains, pas forcement de la vie qui s’arrĂȘtera un jour, mais de ses semblables qui ne lui ont rĂ©servĂ© que des dĂ©boires et qui sont la vraie source de tous ses malheurs. Sa vie qu'il a organisĂ©e lui-mĂȘme et qui est volontairement en retrait du monde extĂ©rieur ne peut mĂȘme pas s’accommoder de la prĂ©sence d'un pauvre volatil arrivĂ© lĂ  par hasard et qui provoque chez lui une vĂ©ritable angoisse. Il y a toute une symbolique dans ce personnage Ă  la fois liĂ© Ă  une divinitĂ© chrĂ©tienne par son nom et son prĂ©nom et par la vie quasi-monacale qu'il mĂšne. Comme un ascĂšte ou un mystique, il voit dans ce pigeon bien innocent qui intervient dans sa vie si bien rĂ©glĂ©e la personnalisation du mal au point qu'il la bouleverse. Il vit volontairement coupĂ© des autres mais les humains ne lui sont pour autant pas Ă©trangers puisqu’ils l'observent et en est conscient. A cet Ă©gard, le spectacle du clochard lui inspire une sorte d’injustice puisqu'il vit sans contrainte alors que lui qui a fait toute sa vie son devoir d'Ă©tat vit un vĂ©ritable malaise puisqu'un simple pigeon est capable de venir troubler un Ă©quilibre dĂ©cidĂ©ment bien prĂ©caire. La thĂ©matique de l’Ɠil, celui du pigeon Cet Ɠil, un petit disque rond, brun avec un point noir au centre Ă©tait effrayant Ă  voir... C'Ă©tait un Ɠil sans regard. Et il fixait Jonathan » mais aussi celui de la couturiĂšre grossi par ses lunettes en est la marque. MĂȘme s'il refuse le monde des humains Jonathan NoĂ«l en fait cependant partie. Non seulement il doit travailler pour vivre mais aussi il a avec lui un minimum de contacts inĂ©vitables. Il partage avec la race humaine qu'il fuit des caractĂ©ristiques et pourtant il est seul au point de n'Ă©changer que peu de mots avec la concierge et surtout de se parler Ă  lui-mĂȘme, Ă  la deuxiĂšme personne. Les dĂ©jections en sont une marque qu'il retrouve dans la saletĂ© apparente du pigeon, celles des matiĂšres fĂ©cales de l'oiseau mais aussi celles du clochard alors qu'il avait Ă©prouvĂ© une certaine attirance pour sa vie libre, dĂšs lors qu'il l'a vu dĂ©fĂ©quer en pleine rue, il en a conçu du dĂ©goĂ»t, du mĂ©pris et de la pitiĂ© et mĂȘme la rĂ©pulsion qu'il Ă©prouve face Ă  sa propre urine rappellent aussi la dĂ©composition, la vieillesse et la mort qui nous attend tous. Dans cette chambre qui a les dimensions d'un cercueil, il songe au suicide Ce rĂ©cit est une mĂ©ditation sur la vie qui n'est pas aussi belle que tous ceux Ă  qui elle a souri veulent bien le proclamer, sur la fragilitĂ© du bonheur patiemment et mĂȘme Ă©goĂŻstement tissĂ© et peut-ĂȘtre aussi de l’ĂȘtre humain. La rĂ©affirmation que les autres et bien souvent nos proches qui sont bien plus Ă  mĂȘme de pratiquer la trahison et l'hypocrisie sont trop souvent la source de nos maux peut paraĂźtre un truisme mais, Ă  mon sens, il n'est pas inutile de le rappeler et de l'illustrer ainsi par une histoire romancĂ©e. Cette chronique s'est dĂ©jĂ  intĂ©ressĂ©e Ă  l’Ɠuvre de SĂŒskin La Feuille Volante n° 157 Ă  propos de La contrebasse » et n°159 Ă  propos du Parfum ». Cela a toujours Ă©tĂ© une intĂ©ressante invitation Ă  la rĂ©flexion. Traduction de l'allemand par Bernard Lortholary ©HervĂ© GAUTIER – N° 716 - Janvier 2014 14 - Jean Echenoz – Éditions de Minuit Nous sommes en aoĂ»t 1914 dans un paysage de VendĂ©e et c'est la mobilisation gĂ©nĂ©rale. Selon l'image d’Épinal depuis longtemps Ă©tablie l'engouement pour la guerre est gĂ©nĂ©ral, mĂȘme si, n'Ă©tant pas de cette gĂ©nĂ©ration j'ai toujours eu un peu de mal Ă  y croire. Il faut dire que, pour qu'ils partent la fleur au fusil », on avait mis les hommes en condition Cela n'allait pas durer longtemps, l'Allemagne sera vaincue, nous sommes les plus forts, Vous serez de retour pour NoĂ«l... » Dans ces conditions on ne pouvait qu'ĂȘtre optimistes ! Parmi les hommes qui partent, il y a Anthime, Charles, deux frĂšres qui ne se ressemblent pas mais qui appartiennent Ă  une famille de notables qui dirige l'usine locale de chaussures Borne-Seze. Quand Anthime a volontiers des copains dans le peuple, Charles dĂ©tonne avec ses airs supĂ©rieurs. Avec Padioleau, Bossis et Arcenel tous sont incorporĂ©s le mĂȘme jour, dans le mĂȘme rĂ©giment qui part pour les Ardennes. Il y a aussi ceux qui restent. Blanche Borne, une jeune fille tout Ă  fait comme il faut est de ceux-lĂ . Elle est la fille unique du directeur de l'usine. Elle les attendra l'un et l'autre. Rapidement il apparaĂźt qu'elle est enceinte des Ɠuvres de Charles et pour lui Ă©viter de se faire tuer au front oĂč les choses se gĂątent, il est mutĂ©, par protection dans l'aviation naissante mais trouve la mort rapidement. Anthime quant Ă  lui reçoit le baptĂȘme du feu sans y avoir Ă©tĂ© vraiment prĂ©parĂ©, encouragĂ© par une anachronique batterie- fanfare dĂ©pĂȘchĂ©e au milieu des combats. Ses lettres Ă  Blanche dĂ©peignent une situation catastrophique, des blessĂ©s, des morts, le froid, les tranchĂ©es, les poux, les rats, la neige, la mitraille, les bombardements, les charges meurtriĂšres... A l'arriĂšre on s'organise et les femmes prennent la place des hommes. Blanche met au monde Juliette. Elle prend le nom de sa mĂšre, Charles, non mariĂ© avec elle, est dĂ©jĂ  mort. Anthime, lui, s'adapte aux circonstances qui ne sont guĂšre brillantes. Il faut dire qu'il s'est toujours fait Ă  tout. Pourtant, dans les tranchĂ©es le chaos s’installe et avec lui la peur des obus, de l’explosion des sapes, la mort aveugle qui rode, la putrĂ©faction des cadavres, la boue, le terrain gagnĂ© et reperdu... Restent les autres compagnons d'infortune, ceux des VendĂ©ens qui ont Ă©tĂ© incorporĂ©s en mĂȘme temps que lui. Ils s'Ă©taient un peu perdu sde vue au hasard des opĂ©rations mais leur amitiĂ© militaire leur avait permis de supporter la guerre. Certains avait Ă©tĂ© tuĂ©s ou manquaient Ă  l'appel et Arcenel, aprĂšs un moment d'absence s'Ă©loigne vers l'arriĂšre. Repris il sera considĂ©rĂ© comme dĂ©serteur et fusillĂ© pour l'exemple. Il s'adapte Ă  tout cet Anthime, mĂȘme au pire puisque, aprĂšs deux ans de combat, il perd son bras droit emportĂ© par un Ă©clat d'obus. Cette blessure providentielle fait de lui certes un invalide mais surtout un dĂ©mobilisĂ©. Pour lui la guerre est finie, il peut rentrer chez lui et retrouver Blanche en deuil. Par hasard, il retrouve Padioleau qui a perdu la vue Ă  cause des gaz. Ils parleront ensemble de cette guerre meurtriĂšre qui n'en finit pas mais finiront par s'ennuyer Ă  ces Ă©vocations. Anthime qui souffrait de son bras absent et qui ne pouvait plus guĂšre effectuer son travail de comptable se voit intĂ©grĂ© Ă  la place de Charles, au collĂšge de direction de l'entreprise. Les commandes de guerre profitent largement Ă  cette usine de chaussures qui travaille pour l'armĂ©e mais qui en profite pour livrer des brodequins d'une piĂštre qualitĂ© ce qui attire l'attention des militaires et provoque un procĂšs qu'il faudra aller dĂ©fendre au tribunal de commerce de Paris. Pour faire bonne mesure on prend des sanctions et c'est bien entendu le lampiste qui prend, contre un belle indemnitĂ©s cependant. Blanche sera dĂ©lĂ©guĂ©e au procĂšs pour reprĂ©senter et dĂ©fendre l'entreprise. Anthime bien entendu l'accompagne. Elle deviendra sa femme et la mĂšre de son fils prĂ©nommĂ© Charles. Il s'agit du 15Ăšme roman de Jean Echenoz qui n’est pas un inconnu pour cette revue La Feuille Volante n° 408, 412, 413... rompt ici avec sa sĂ©rie de romans biographiques, Ravel » consacrĂ© Ă  Maurice Ravel 2006 La Feuille Volante n° 425, Courir » qui parlait du coureur Émile Zatopeck, 2008 La Feuille Volante n° 407, Des Ă©clairs » qui Ă©voquait le physicien Nicolas Tesla 2010 La Feuille Volante n°492. Il ne parle pas du dĂ©roulement des opĂ©rations militaires, ce n’est pas une de ces grandes fresques historiques auxquelles on nous a habituĂ©s mais a trouvĂ© son prĂ©texte Ă  partir de carnets de guerre dĂ©couverts dans sa famille. Ce texte assez court rend compte de dĂ©tails de la vie de poilus, des hommes de base dans les tranchĂ©es au quotidien d'une maniĂšre Ă  la fois Ă©mouvante et simple. Il le fait avec son habituel style qu'il teinte d'un certain humour bien que le sujet ne s'y prĂȘte guĂšre. Quant Ă  l'Ă©pilogue, il ne surprendra sans doute personne. Je n'ai pas Ă©tĂ© déçu par ce dernier roman qui se lit trĂšs facilement. Ce fut, comme d'habitude, un bon moment de lecture. N° 699 - Novembre 2013 Blood Ties – Un film de Guillaume CANET Nous sommes Ă  New-York en 1974 . Chris, la cinquantaine sort d'une longue peine de prison pour un meurtre. Son frĂšre, Franck, plus jeune, vient le chercher mais ne se sent pas trĂšs Ă  l'aise, Ă©videment lui est policier et son frĂšre est un assassin. Il y a autre chose les deux frĂšres ne se connaissent pratiquement pas, ont eu des vies parallĂšles et mĂȘme rivales et ce depuis l'enfance ; Le pĂšre, LĂ©on qui avait une prĂ©fĂ©rence pour Chris malgrĂ© la prison qu’il a connue trĂšs tĂŽt, a fait ce qu'il a pu pour Ă©lever ses trois enfants mais le dĂ©part de leur mĂšre a dĂ©sĂ©quilibrĂ© cette famille qui aurait pu ĂȘtre heureuse. Quand Chris sort de prison, il reprend contact avec sa famille, avec Franck Ă©videmment mais aussi avec son pĂšre malade et avec sa sƓur qui voudrait bien reconstituer cette famille dĂ©chirĂ©e. Il reproche Ă  son frĂšre de ne pas ĂȘtre venu le voir pendant toutes ces annĂ©es d'incarcĂ©ration et lui ne peut que lui opposer son mĂ©tier de policier, ce qui est Ă©videmment une mauvaise raison. Les deux frĂšres auraient dĂ» ĂȘtre complices au cours de leur adolescence mais un minable cambriolage qui s'est terminĂ© par l'arrestation de Chris les a dĂ©finitivement sĂ©parĂ©s, Franck l'ayant trahi au dernier moment. C'est pour Chris le dĂ©part d'un long parcours dans la dĂ©linquance. Il ne cessera de frĂ©quenter les tribunaux. Pourtant, Ă  sa sortie de prison, Franck hĂ©berge son frĂšre, l'aide Ă  renouer les relations avec ses enfants et son ex-femme, Monica, lui trouve un travail pour justifier sa rĂ©insertion, mais c'est un emploi prĂ©caire, mal payĂ©, peu valorisant. Et puis on se mĂ©fie de cet ancien taulard qui perd patience et joue mĂȘme de malchance dans sa volontĂ© de se rĂ©adapter. Chris fait preuve apparemment de bonne volontĂ©, rencontre Nathalie avec qui une nouvelle vie rangĂ©e devient possible. Pourtant, ses anciens amis le contactent et, bien entendu, il replonge. Ce sera le dĂ©part d'une sĂ©rie de braquages qui feront de lui un homme riche mais toujours un marginal. Pire peut-ĂȘtre, il monte une affaire de prostitution dans laquelle Monica se retrouve promue mĂšre-maquerelle et trafiquante de drogue. Elle sera dĂ©noncĂ©e et la police remontera jusqu'Ă  Chris. De son cĂŽtĂ© Franck qui est pourtant un bon flic, doit affronter ses collĂšgues et sa hiĂ©rarchie On le soupçonne de jouer un double jeu surtout quand il croit reconnaĂźtre Chris qu'il blesse dans un casse qui tourne mal. Il rompt dĂ©finitivement les liens avec son frĂšre et prĂ©fĂšre quitter la police. Ni la mort de leur pĂšre, ni les fĂȘtes de famille sous l'Ă©gide de leur sƓur ne parviennent Ă  ressouder ce lien du sang » dĂ©finitivement rompu entre les deux frĂšres. C'est vrai qu'ils sont bien diffĂ©rents. Chris a pour les femmes l'aura du mauvais garçon et n'a aucun mal Ă  conquĂ©rir Nathalie. Franck, lui, n'a rien d'un Don Juan, a toujours Ă©tĂ© un garçon timide, rĂ©servĂ© mais aussi un peu gauche avec les femmes. Il aggrave mĂȘme son cas en renouant avec Vanessa, une ancienne amie mais qui est azussi la compagne d'Anthony Scarfo, un malfrat violent que Franck a jadis arrĂȘtĂ© et fait jeter en prison. Quand ce dernier sort, il harcĂšle le policier et sa compagne et menace de tuer Franck. Le lien du sang » sera renouĂ© Ă  la fin, mais avec celui de Scarfo que Chris, malgrĂ© le fait que la police le recherche n'hĂ©site pas, dans la gare de Grand Central », Ă  tuer Scarfo pour protĂ©ger son frĂšre et ainsi lui sauver la vie. En agissant ainsi, il sacrifie son propre avenir. Bien entendu il retournera en prison pour longtemps alors qu'on peut imaginer que Franck, rĂ©habilitĂ© par le geste de son frĂšre, pourra rĂ©intĂ©grer la police et ĂȘtre heureux avec Vanessa. MĂȘme s'il s'agit d'un remake du film de Jacques Maillot Les liens du sang » de 2008, le thĂšme du film jouant sur l'opposition au sein d'une mĂȘme famille entre un flic et un voyou me semble pertinente. D'autre part la distribution est somptueuse et le jeu des acteurs convainquant. HervĂ© GAUTIER - n° 692 - Novembre 2013 Bleus horizons – JĂ©rĂŽme GARCIN Ed. Gallimard Jean de la Ville de Miremont, 28 ans, employĂ© Ă  la PrĂ©fecture de la Seine, Ă©tait-il l'exacte illustration de cette image d’Épinal qui a montrĂ© les militaires, conscrits pour la plupart, partir au combat la fleur au fusil, persuadĂ©s qu'ils seraient de retour Ă  NoĂ«l ? Se considĂ©rait-il, de part ses origines aristocratiques ou de sa confession chrĂ©tienne comme comptable de l'intĂ©gritĂ© du territoire national ou le dĂ©fenseur des valeurs patriotiques ? Devait-il Ă  son cĂŽtĂ© poĂšte des idĂ©aux inatteignables ? Lui qui avait Ă©tĂ© rĂ©formĂ© Ă  cause d'une santĂ© fragile insista pour s'engager, pour la seule durĂ©e des hostilitĂ©s ». Avait-il eu la prĂ©monition de sa mort ? Il fut tuĂ© au tout dĂ©but du conflit, en novembre 1914 au Chemin des Dames » ! Le prĂ©texte de ce roman est le tĂ©moignage reconstituĂ© et réécrit par JĂ©rĂŽme Garcin de l'amitiĂ© exceptionnelle de Louis GĂ©mon, 1885-1942, obscur poĂšte selon ses propres dires et de Jean de la Ville de Miremont 1886-1914 poĂšte et romancier prometteur fauchĂ© en pleine jeunesse dans sa tranchĂ©e presque sous les yeux de son ami. Cette amitiĂ© basĂ©e principalement sur l'amour de la littĂ©rature dĂ©buta Ă  Libourne lors de leur incorporation puis s'affirma dans les tranchĂ©es, autant dire qu'elle fut de courte mais intense. AprĂšs la mort de Jean de La Ville, GĂ©mon s'attacha , pendant toute sa vie, avec abnĂ©gation et admiration, Ă  faire connaĂźtre l’Ɠuvre de son ami. Il le fit certes au nom du devoir de mĂ©moire pour l'arracher Ă  l'indiffĂ©rence et Ă  l'oubli mais aussi pour le faire revivre, pour que son Ă©criture qu'il jugeait indispensable Ă  la littĂ©rature fĂ»t connue de tous, lui dont l'existence avait Ă©tĂ© si injustement et si violemment interrompue. Il insista longtemps pour que cette Ɠuvre fĂ»t publiĂ© chez Grasset, sut motiver François Mauriac qui fut l'ami de Jean et qui signa une prĂ©face et Gabriel FaurĂ© qui mit quelques-uns de ses poĂšmes en musique, notamment Vaisseaux, nous vous aurons aimĂ©s » mais surtout il sacrifia sa vie professionnelle, son bonheur conjugal et sa propre existence Ă  cette mission parce que son ami avait fait de lui, au fond de sa tranchĂ©e, son vĂ©ritable exĂ©cuteur testamentaire littĂ©raire Jean avait laissĂ© Ă  Louis un recueil de poĂšmes, L'horizon chimĂ©rique » pour qu'il le publie si d'aventure il mourrait avant lui. En effet, GĂ©mon qui Ă©tait aussi un auteur, s'effaça constamment devant Jean, vĂ©cut en prĂ©sence de ce fantĂŽme au point qu'il accepta que sa compagne le quitte, lassĂ©e de cette quĂȘte qu’elle jugea impossible J’ai cru que je survivais Ă  Jean, mais la vĂ©ritĂ©, c’est que je me suis tuĂ© pour lui. Je lui ai tout sacrifiĂ©, au point d’en oublier de respirer. Je n’ai pas rĂ©ussi Ă  Ă©crire parce que je passais mon temps Ă  le relire. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© son passĂ© Ă  mon avenir. Il a Ă©tĂ© mon jumeau de guerre, mon double idĂ©al, et je ne suis jamais parvenu Ă  en faire le deuil. ». Il le fit aussi sans doute pour exorciser cette culpabilitĂ© d'avoir survĂ©cu Ă  l'enfer de la guerre lui qui, griĂšvement blessĂ©, en revint, estropiĂ© mais vivant. Garcin imagine que la mĂšre de Jean sollicite Louis GĂ©mon pour lui parler des derniers moments de son fils. Il donne donc la parole Ă  Louis qui, Ă  travers les vers de Jean, livre les impressions que la guerre puis le quotidien lui inspirent, recrĂ©ant, en parallĂšle, une histoire personnelle de cet homme dont on ne sait pratiquement rien. Louis se remĂ©more l'Ă©tĂ© 1914 oĂč l'ombre du conflit planait sur le pays, ces jeunes Français qui voulaient faire la guerre comme un passage initiatique ; elle serait courte et Ă©videmment victorieuse et Jean n'Ă©chappa pas Ă  cette fascination pour le combat. La rĂ©alitĂ© fut bien diffĂ©rente mais pendant que des jeunes gens souffraient et mourraient dans des conditions atroces, Ă  l'arriĂšre on festoyait et d'autres, plus riches ou plus dĂ©brouillards Ă©chappaient Ă  leur devoir. Je retiens, Ă  titre personnel les premiers mots de ce roman. Parlant de la mĂšre de Jean, le narrateur, Louis GĂ©mon, note Elle attendait de moi que je l'encourage Ă  porter plainte non pas contre l'armĂ©e mais contre le destin... Croyait-elle vraiment intimider Dieu, et faire condamner, pour le mort de son garçon, le juge suprĂȘme ?» De part son engagement religieux elle avait fidĂšlement servi et aimĂ© ce Dieu qui lui avait enlevĂ© son dernier fils encore vivant. Ces quelques mots me paraissent tout Ă  fait sujets Ă  remise en cause profonde des convictions religieuses et mĂȘme de la foi des ĂȘtres humains en une divinitĂ© qu'on nous prĂ©sente comme bonne et compatissante. Cette vĂ©ritĂ© » qui a valeur de dogme, existe autant que les choses humaines sont normales, c'est Ă  dire qu'elles ne sont en rien bousculĂ©es par les Ă©vĂ©nements, mais aller Ă  l’enterrement de ses enfants remet forcĂ©ment en cause tout ce qu'on nous a affirmĂ©. La rĂ©volte qu'on peut Ă©prouver contre le destin, c'est Ă  dire contre Dieu, est Ă  la fois lĂ©gitime et parfaitement inutile, c'est Ă  dire finalement tellement frustrante que la foi en souffre forcĂ©ment au point de disparaĂźtre et qu'on se raccroche Ă  ce qu'on trouve pour ne pas sombrer. Ce n'est pas la premiĂšre fois que cette revue s’intĂ©resse Ă  l’Ɠuvre romanesque de JĂ©rĂŽme Garcin [La Feuille Volante n°447 et 450]. Sa dĂ©marche est cette fois particuliĂšrement bienvenue en ce qu'elle contribue Ă  tirer de l'oubli quelqu'un d'exceptionnel dont le destin a Ă©tĂ© malheureusement brisĂ© mais aussi un poĂšte qui a si bien servi notre langue et notre culture. J'ai lu ce roman sobrement Ă©crit et plein de sensibilitĂ© avec une rĂ©elle Ă©motion en pensant aussi, comme nous y invite l'auteur, Ă  tous ceux qui ont accompagnĂ© Jean dans la mort et qui auraient pu avoir une vie aprĂšs cette guerre. Il y a certes Louis Pergaud, Alain Fournier et Charles Peguy dont on se souvient mais il y a aussi les anonymes qu'on s'est empressĂ© d'oublier et dont le souvenir ne perdure sur terre qu'Ă  travers un nom gravĂ© sur un monument ou une croix de bois ... HervĂ© GAUTIER - N° 687– Octobre 2013 Les Pays – Marie-HĂ©lĂšne LAFON Ed. Buchet Chastel Pour un agriculteur, on disait plutĂŽt un cultivateur ou un paysan, mĂȘme si on n'Ă©tait pas exposant, aller au salon de l'agriculture, mĂȘme pour trois ou quatre jours, Ă©tait toujours un Ă©vĂ©nement, surtout si on venait du Cantal. On aimait marcher dans les allĂ©es, regarder et toucher les bĂȘtes mĂȘme si elles faisaient partie de son quotidien. Ce n'Ă©tait pas comme ces parisiens qui ne connaissent que le lait en briques et la viande dĂ©coupĂ©e en barquette au supermarchĂ©. C'Ă©tait aussi l'occasion d'aller Ă  la Capitale, de voir Paris. Pour cela on sollicitait les amis ou la famille et comme tout bons provinciaux on a toujours un cousin qui habite la banlieue et qui pilote les nouveaux-venus dans cette ville oĂč ils ont l'impression d'ĂȘtre dans un pays Ă©tranger, presque sur une autre planĂšte. Ainsi commence l’histoire de Claire qui y faisait ainsi ses premiers pas. Plusieurs annĂ©es plus tard, bac avec mention en poche, elle y reviendra, mais comme Ă©tudiante Ă  la Sorbonne parce que le mĂ©tier de paysan, entre les nĂ©gociations de Bruxelles et les difficultĂ©s grandissantes de l'agriculture de montagne, c'Ă©tait terminĂ©. Le pĂšre le disait d'ailleurs Ă  la fin des repas de famille On finissait, on Ă©tait les derniers » mĂȘme si cette gĂ©nĂ©ration d'agriculteurs ont inaugurĂ© le confort des machines qui facilitent le travail. VoilĂ  donc Claire, Ă©tudiante parisienne en hypokhĂągne qui dĂ©couvre le milieu universitaire avec Ă  la fois la crainte des mandarins mĂ©prisant la piĂ©taille estudiantine et une sorte d'admiration pour M. Jaffre, un professeur pas vraiment dans le moule et mĂȘme un peu rebelle. Elle ne s'y sent pas tout Ă  fait Ă  sa place, peut-ĂȘtre parce qu'elle est fille de paysan et qu'elle y cĂŽtoie d'autres Ă©tudiants qui remettent leurs pas dans ceux de leur pĂšre dans des humanitĂ©s qu'on fait ainsi de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Étudiante besogneuse, effacĂ©e mais appliquĂ©e, elle ne frĂ©quente guĂšre les autres, se contente de regarder de plus ou moins loin les plus brillants, les plus emblĂ©matiques ou les plus flamboyants, et de travailler. Elle leur prĂ©fĂšre des pays », des compatriotes, mĂȘme si, comme Alain, ils sont magasiniers Ă  la Sorbonne, dĂ©diĂ©s Ă  la manutention de livres qu'ils ne lisent pas et dont ils ne comprendraient peut-ĂȘtre pas le texte. Elle vit Ă  Paris mais craint surtout de ne pas ĂȘtre reçue ce qui Ă©quivaudrait pour elle Ă  la suppression de sa bourse sans laquelle elle devrait renoncer aux Ă©tudes. Elle travaille dur et les mois d'Ă©tĂ©, elle les passe derriĂšre le guichet d'une banque pour un supplĂ©ment d'argent qui lui permettra de s'offrir des vĂȘtements qui la feront un peu plus ressembler Ă  une parisienne. D'ailleurs, elle ne retourne que trĂšs rarement en Auvergne, vit pratiquement une existence citadine, de plus en plus Ă©trangĂšre Ă  son pays et ne reçoit des nouvelles de la famille que par la poste. Cet intermĂšde estival et bancaire est certes alimentaire mais lui permet surtout d'observer un autre monde, celui du travail, de s'y faire accepter autant par son entregent, sa discrĂ©tion que par sa disponibilitĂ© mais surtout d'envisager autre chose, une carriĂšre dans la Fonction Publique que lui permettront ses futurs diplĂŽmes, avec avantages sociaux et sĂ©curitĂ© d'emploi. Cet entracte laborieux lui permet cependant de goĂ»ter les conversations oiseuses et sans grand intĂ©rĂȘt qui gĂ©nĂ©ralement y ont cours, basĂ©es plus ou moins sur le quotidien des employĂ©s de l'agence et de leur histoire personnelle, de rencontrer tout un arĂ©opage de collĂšgues originaux ou parfaitement inintĂ©ressants qui d’ordinaire peuplent le monde du travail... et de jouir de sa position d’intĂ©rimaire trĂšs temporaire. Nous la retrouvons Ă  quarante ans, un peu vieillie, divorcĂ©e sans enfant, professeur Ă  Paris, sa ville dĂ©sormais oĂč elle vit avec mĂ©tro, trains et appartement sans ascenseur, mais qui passe ses vacances en Auvergne, dans son pays. Ce sont ses deux terriers », ses deux refuges. Elle est maintenant une vraie parisienne qui reçoit annuellement chez elle sa famille, son neveu et son pĂšre, comme un rituel. Elle les initie aux nouvelles technologies, leur montre les avantages du confort moderne, de la vie Ă  Paris, les traĂźne dans les musĂ©es auxquels ce pĂšre terrien ne parvient pas Ă  s'intĂ©resser. Le temps a passĂ© pour elle comme pour les autres avec son cortĂšge de souvenirs et de regrets d'enfance avec des objets arrachĂ©s au passĂ© comme autant de jalons gĂ©nĂ©rateurs de mĂ©moire qu'on garde jalousement et qui rappellent le pays quittĂ©, comme dĂ©sertĂ©, pour faire sa vie ». Un gouffre s'est creusĂ© entre elle et cette famille au point qu'ils appartiennent maintenant Ă  deux mondes diffĂ©rents qui ne se comprennent peut-ĂȘtre plus. Une bonne illustration de la phrase d'EugĂšne Delacroix mise en exergue de cet ouvrage Nous ne possĂ©dons rĂ©ellement rien ; tout nous traverse » Il y a beaucoup de Marie-HĂ©lĂšne Lafon dans cette Claire, son dĂ©part d'Auvergne, son parcours universitaire, sa vie professionnelle et peut-ĂȘtre familiale ; c'est sans doute vrai mais il reste que ce dĂ©part de son pays », de son dĂ©cor d'enfance pour un autre univers auquel on doit impĂ©rativement s'adapter est, sans aucun doute, commun Ă  tous et que nous tous pouvons, le transposant et au-delĂ  de l'histoire, nous l'approprier. Dans une prĂ©cĂ©dente chronique La Feuille Volante n° 671 Ă  propos de MO », j'avais dit mon sentiment Ă  propos du style que je trouvais trop hachĂ©, trop minimaliste, simplifiĂ© Ă  l’extrĂȘme et Ă  mon sens trop peu agrĂ©able Ă  lire pour un lecteur peu averti comme moi. Je ne l'ai heureusement pas retrouvĂ© ici, bien au contraire. La phrase est, dans ce roman, plus ample mĂȘme si elle est un peu longue, plus prĂ©cise, plus poĂ©tique parfois, plus colorĂ©e, impertinente quelquefois, illuminĂ©e Ă  l'occasion de mots vernaculaires Le vent de neige se dit en Auvergne Ă©cire » ou burle » et fort agrĂ©ablement enlevĂ©e avec ce rien d'humour qui vous la fait relire rien que pour le plaisir. J'ai donc lu ce livre avec dĂ©lectation, un peu Ă  cause de l'histoire, un peu Ă  cause de la musique et de la justesse des mots, de l'odeur des lieux, de la suavitĂ© des paysages dĂ©crits et peut-ĂȘtre aussi de la nostalgie qu'il distille. Et puis j'apprĂ©cie toujours quand un auteur m'emmĂšne avec lui pour un bon moment de lecture et surtout quand il sert, avec sa plume, notre si belle langue française. HervĂ© GAUTIER - n° 683 – Octobre 2013 Berthe Morisot, le secret de la femme en noir – D BONA Tout a commencĂ© par un tableau d’Édouard Manet, celui d'une femme, en noir avec un bouquet de violettes sur la poitrine pour seul bijou. Cette femme c'est Berthe Morisot et c'est un mystĂšre. Elle est peintre elle-mĂȘme, appartenant au groupe des Impressionnistes, et apparaĂźt dĂ©jĂ  sur de nombreux tableaux de Manet, c'est une grande bourgeoise, de bonne Ă©ducation, pas un modĂšle professionnel. Son pĂšre, ancien prĂ©fet est membre de la Cour des Comptes et sa mĂšre, par une filiation compliquĂ©e, est la petite-niĂšce du peintre Fragonard. Elle n'a donc pas, selon la lĂ©gende des peintres, une vie maudite. L'Ă©cole des Beaux-Arts est fermĂ©e aux femmes, Guichard, un peintre ami lui ouvre ainsi qu'Ă  sa sƓur Edma les portes du Louvre oĂč elles peuvent ainsi copier les maĂźtres. LĂ , elles rencontrent d'autres peintres mais ce qui intĂ©resse le plus Berthe, ce sont les paysages. Elles sont admises dans la bonne sociĂ©tĂ©, dans le grand monde des arts et de la politique et Berthe rencontre Manet dont les toiles font scandale. Les deux sƓurs travaillent avec talent mais Berthe s'impose et le peintre qui la prend souvent pour modĂšle a tendance Ă  intervenir sur ses toiles, ce qui lui dĂ©plaĂźt fort. Avec le temps Berthe qui a subi l'influence de son maĂźtre rĂ©ussi Ă  substituer les couleurs claires Ă  la palette noire de Manet. A trente ans elle est encore cĂ©libataire et doit rĂ©sister aux sollicitations de sa famille qui souhaite la voir mariĂ©e, mĂšre de famille et se dĂ©tourner de la peinture. La guerre de 70 ne la tire pas de son ennui, elle s'impose un mutisme face Ă  la Commune et alors que la guerre civile fait rage dans Paris elle est dĂ©goĂ»tĂ©e de ses semblables. Elle ne vit que pour la peinture et bientĂŽt pour l'aquarelle ! A la fin des hostilitĂ©s, elle retrouve Manet et souhaite poser pour lui. Les diffĂ©rents prĂ©tendants qui se pressent autour d'elle sont Ă©conduits, soit par elle, soit, comme Puvis de Chavannes, par la famille. A trente trois ans, elle finit par jeter son dĂ©volu sur EugĂšne Manet, le frĂšre sans grand talent et de petite fortune d’Édouard dont elle devient la belle-sƓur. DĂšs lors Berthe s'Ă©panouit, n'est plus anorexique comme avant mais cesse d'ĂȘtre le modĂšle d’Édouard qui peindra dorĂ©navant des femmes inconnues, sensuelles et nues. Non seulement la vie conjugale ne la comble pas, elle n'est pas heureuse malgrĂ© ses voyages et sa vie paisible mais encore sa peinture ne reflĂšte pas exactement ce qu'elle est c'est une passionnĂ©e et une combative et elle se prĂ©sente comme une femme dĂ©tachĂ©e de tout. Dans l’intimitĂ© de son couple, EugĂšne, conventionnel, jaloux, valĂ©tudinaire ne semble pas ĂȘtre l'homme qu'il lui faut pour mener correctement sa carriĂšre. Pourtant, il la respecte en tant qu'artiste et lui qui peint Ă©galement s'efface volontiers devant elle. C'est un brave homme, dĂ©vouĂ© et sincĂšre sur qui elle peut compter. Sa dĂ©cision est prise et mĂȘme si elle se heurte Ă  l'ironie maternelle, Berthe a trouvĂ© sa voie, elle sera peintre professionnelle mais, tournant le dos Ă  l'AcadĂ©mie, choisit la libertĂ© de peindre en rejoignant le groupe des Impressionnistes oĂč elle est la seule femme. Elle expose au salon de 1874 oĂč la critique se moque de ce courant nouveau. Elle devient donc avec ces indĂ©pendants une marginale de la peinture. Elle va cependant suivre cette voie malgrĂ© tout le monde ; c'est que cette femme est un mystĂšre. Elle est parfaitement intĂ©grĂ©e Ă  ce groupe qui gagne en nombre et en originalitĂ© mais vend peu. C'est au moment du pire dĂ©chaĂźnement mĂ©diatique contre les Impressionnistes qu'elle met au monde sa fille Julie. Cette naissance la comble de bonheur et l'apaise. Sa fille reçoit une Ă©ducation bourgeoise et sa mĂšre a soin de s’entourer de peintres et d'Ă©crivains. Un attachement profond l'unit Ă  Julie mais celle-ci aura toujours un peu de la mĂ©lancolie de sa mĂšre. MĂȘme Ă©reintĂ©es par la critique et par la presse, des expositions se succĂšdent et tant pis si ce mouvement souhaite bousculer le bourgeois friand de rĂ©alisme, tant pis si on confond un peu contestation et rĂ©volution la Commune n'est pas si loin, Berthe s'impose ! Elle fait d'ailleurs des Ă©mules fĂ©minines, et, artistiquement s'Ă©loigne un peu de Manet mais se rapproche de Monet. Autour des Impressionnistes, le groupe s'Ă©toffe, Renoir, Degas, Monet, Sisley, Pissaro... La santĂ© de son mari se dĂ©tĂ©riore et et autour d'elle c'est bientĂŽt une vĂ©ritable hĂ©catombe. Elle devient veuve Ă  51 ans et reprend ses habits de deuil si chers Ă  Manet. DĂšs lors elle ne trouve sa consolation que dans la peinture, regarde l'avenir autant pour elle que pour Julie, se fait mĂȘme le dĂ©fenseur des femmes. Elle qui n'a que trĂšs peu peint les hommes se met maintenant Ă  reprĂ©senter des jeunes filles Ă©trangĂšres, la jeunesse comme un paradis perdu ! Julie peint dĂ©sormais et son style rappelle celui de Manet. Berthe meurt Ă  54 ans en 1895 . L'auteur revient sur le titre de ce livre. Berthe Morisot Ă©tait faite d'ombres et de silences qu'elle aimait. Elle posa pour Édouard Manet mais Ă©pousa son frĂšre qui Ă©tait un homme discret et sans relief. A sa mort on retrouva une importante correspondance avec les impressionnistes et les amis mais seulement quatre courtes lettres d’Édouard Manet lui Ă©taient adressĂ©es. D'autre part rien ne permet d'affirmer qu'elle correspondit avec lui. Dominique Bona y voit une Ă©nigme, suppose une liaison entre eux, une correspondance secrĂšte dĂ©truite peut-ĂȘtre avant de mourir par elle-mĂȘme, pour effacer, pour purifier ce qui ne pouvait ĂȘtre avouĂ© ? Entre la tristesse et le vertige qu'elle croit percevoir dans les yeux de Berthe, elle laisse le lecteur dans l'expectative. Il y a sans doute pour elle une sorte de frustration Ă  ne pas lever un coin de ce voile qui restera Ă  jamais une interrogation. C'est un roman bien construit, agrĂ©able Ă  lire, une biographie fouillĂ©e et prĂ©cise que, comme Ă  son habitude, nous livre Dominique Bona. Elle choisit de nous prĂ©senter une femme d'exception, rebelle Ă  sa maniĂšre dans le domaine de la peinture, Ă©prise de libertĂ©, toujours insatisfaite et perfectionniste, tĂ©nĂ©breuse et silencieuse qui a, par son talent, marquĂ© son temps et l'histoire de la peinture. Elle la rĂ©habilite donc et en profite pour donner sur la peinture de Berthe mais aussi sur celle des impressionnistes un avis Ă©clairĂ© qui s'Ă©tend d'ailleurs Ă  l’Ɠuvre des Ă©crivains qui ont entourĂ© le groupe. © HervĂ© GAUTIER - n° 677 – AoĂ»t 2013 L'annĂ©e du volcan - Jean-François PAROT - JC LATTES Nous sommes en Juillet 1783 et le vicomte de Trabard vient de mourir, tuĂ© en pleine nuit par son cheval, BucĂ©phale. Ce nom avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© portĂ© par le destrier d'Alexandre le Grand mais si ce cheval avait peur de son ombre, il semblerait bien que la monture du vicomte ait craint les pĂ©tards jetĂ©s dans son box nuitamment, ce qui, pour le commissaire Le Floch est sans aucun doute le signe d'un assassinat camouflĂ© en accident. D’autant que le cheval est prĂ©sentĂ© comme une bĂȘte fougueuse alors qu'il n'en n'est rien ! Quant au vicomte, pour ĂȘtre noble il n'en Ă©tait pas moins quelqu’un de peu recommandable dont on n'aurait bien pu vouloir se dĂ©barrasser. Le vicomte et la vicomtesse vivent sous le mĂȘme toit mais mĂšnent deux vies bien sĂ©parĂ©es ce qui pourrait bien ĂȘtre une explication Ă  cette mort mystĂ©rieuse, les domestiques, sous couvert de la fidĂ©litĂ© Ă  leurs maĂźtres, cachent des informations Ă  nos policiers, les appartements de M. de Trabard ont Ă©tĂ© fouillĂ©s bien avant l'arrivĂ©e de la police et les nombreux dĂ©tails qui s'accumulent lors de leurs recherches contribuent Ă  Ă©paissir le mystĂšre qui entoure cette affaire et posent bien plus de questions qu'ils n'apportent de rĂ©ponses. Le plus Ă©tonnant est sans doute que la reine qui fait mander Nicolas le Floch pour enquĂȘter, entend ĂȘtre tenue exclusivement et personnellement informĂ©e des dĂ©veloppements de ses investigations. Un cas de conscience pour notre commissaire aux affaires extraordinaires » qui rend compte d'habitude au Roi lequel lui accorde toute sa confiance et Ă  qui il est tout dĂ©vouĂ© ! Autour du marquis de Ranreuil, ses amis le mettent en garde cette affaire est grave et pourrait entraĂźner sa disgrĂące, et pour faire pression sur lui, on le menace mĂȘme de rĂ©vĂ©lations sur sa vie privĂ©e ! Il est aidĂ© par son fidĂšle et efficace Bourdeau, toujours aussi critique au regard de la Cour. Il est ici l'expression d'un peuple qui gronde et auquel il appartient, mĂȘme si ses fonctions policiĂšres l'amĂšnent Ă  protĂ©ger la royautĂ© ! Certains de ses propos prennent dans ce rĂ©cit une dimension prĂ©monitoire. Plus les investigations avancent autour du vicomte de Trabard , plus le secret s'Ă©tend, d'autant que cette Ă©poque est troublĂ©e, que le roi a de moins en moins de pouvoirs, que les bases de la sociĂ©tĂ© se dĂ©litent, que des scandales Ă©clatent, que l’État est en faillite Ă  cause notamment des dettes faramineuses de la reine dans le remboursement desquelles le vicomte aurait pu jouer un rĂŽle peu catholique, que le peuple fait de plus en plus entendre sa voix et ses revendications, menaçant l'ordre public, que circulent des pamphlets et des libelles, bref une atmosphĂšre de fin de rĂšgne qu'un policier intĂšgre ne peut que redouter ! Tout s'y met, mĂȘme la terre qui ne cesse de trembler et ce volcan islandais qui rĂ©pand ses vapeurs nocives jusque sur le royaume de France ! Lors des investigations de Le Floch, le lecteur croise une franc-maçonnerie de plus en plus influente, l’énigmatique comte de Cagliostro, Restif de le Bretonne toujours aussi inattendu et insaisissable, l'ombre de Sartine, ancien ministre retirĂ© des affaires mais toujours attentif aux choses de l’État, des faux-monnayeurs, des trafics en tout genre, des spĂ©culations immobiliĂšres de la part d’ordres religieux qui ont pourtant fait vƓux de pauvretĂ©, des coteries oĂč la galanterie le dispute Ă  la corruption et Ă  la volontĂ© de nuire... Cette enquĂȘte est passionnante du dĂ©but Ă  la fin. Elle nous entraĂźne sous le rĂšgne de Louis XVI et nous dirige dans ce Paris du XVIIIĂšme siĂšcle plein de mystĂšres. Comme toujours je note les recettes de cuisine qui Ă©maillent le rĂ©cit, si dĂ©taillĂ©es et goĂ»teuses que le lecteur a l'impression d'ĂȘtre invitĂ© parmi le commensaux. Comme toujours le texte est Ă©rudit et on y gagne toujours quelque chose qui ressemble Ă  la connaissance de cette pĂ©riode passionnante et des gens qui y vivaient, petits ou grands ! Un dĂ©tail, et non des moindres cependant je veux redire ici combien j'apprĂ©cie le style de Jean-François Parot, riche en tournures et en vocabulaire un peu surannĂ©s mais ĂŽ combien musicaux et distinguĂ©s. C'est d'autant plus important Ă  mes yeux qu'il est devenu presque banal d'Ă©corcher au quotidien notre belle langue jusque dans les sms » et que nombre de professionnels de la parole et de l'Ă©crit qui sont censĂ©s en faire un usage correct ne cherchent mĂȘme plus Ă  la respecter. C'est plus fort que moi, mais j'aime qu'on serve correctement le français et c'est toujours pour moi un plaisir de lire de tels romans. HervĂ© GAUTIER - N° 657 – Juillet 2013 L'oubli est la ruse du diable – Max Gallo XO Éditions En cette trente troisiĂšme annĂ©e d’existence de La Feuille Volante », j'Ă©cris ici avec plaisir, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de Max Gallo, ce qui en sera probablement un des derniers articles. Cette autobiographie, puisque c'en est une, dĂ©diĂ©e comme il se doit Ă  la mĂ©moire des siens, s'ouvre sur la citation de Rigord, un moine de l'abbaye de St Denis en 1207 qui nous rappelle que seuls meurent et vont en enfer ceux que les vivants oublient. C'est une tentation bien grande, surtout quand on a rĂ©ussi, de retracer son itinĂ©raire intime pour sa famille ; son cas a Ă©videmment valeur d'exemple pour la communautĂ©. Que Max Gallo s'attelle Ă  ce travail a au moins l'avantage d'offrir au lecteur un tĂ©moignage sans fard puisqu'il prend la peine de nous parler de lui-mĂȘme, enfin ! Il nous avait habituĂ©s aux vastes fresques historiques, Ă  l'Ă©vocation des grands hommes et mĂȘme Ă  des fictions remarquables mais il se cachait habilement derriĂšre sa plume alerte. Ici, Ă  plus de 80 ans, aprĂšs une impressionnante bibliographie, il accepte de se livrer simplement et son Ă©criture devient pour lui catharsis. Fils d'ouvrier immigrĂ© italien, il ne pouvait qu'ĂȘtre promis Ă  un mĂ©tier manuel ; il sera agrĂ©gĂ© d'histoire, dĂ©putĂ© de Nice, sa ville natale, ministre de François Mitterrand, Ă©diteur, Ă©crivain Ă  succĂšs, acadĂ©micien... Une vĂ©ritable ascension sociale, un authentique destin, un pur produit de la RĂ©publique qu'on aime donner en exemple, une vraie volontĂ© de s'affranchir d'un certain dĂ©terminisme social [ Et pourquoi pas d'AcadĂ©mie française? » lui avait rĂ©pondu un Haut-fonctionnaire Ă  qui il venait d'avouer son ambition pour l'agrĂ©gation et pour l'Ă©criture, lui le modeste salariĂ©, fils d'un immigrĂ© italien]. Un beau parcours en tout cas ! Cela autoriserait sans doute que l'auteur fĂźt son propre panĂ©gyrique, sculptĂąt sa propre statue, devĂźnt son propre thurifĂ©raire ! Eh bien pas du tout et mĂȘme au contraire. Ce fut une enfance heureuse dans une famille prolĂ©taire oĂč on parlait encore l'italien, entre une mĂšre attentive et parfois un peu abusive et un pĂšre animĂ© d'idĂ©es rĂ©volutionnaires, au milieu d'un racisme ordinaire, mais marquĂ©e par une extraordinaire volontĂ© d'ĂȘtre français. Il mĂȘle Ă  son quotidien des moments de la grande histoire, la guerre, l'occupation, la LibĂ©ration, fait vivre dans son rĂ©cit des quidams qui jettent Ă  leur tour un regard critique sur leur temps. Fils d'ouvrier, on le destinait naturellement au cambouis et Ă  la sueur mais il y prĂ©fĂ©ra l'odeur des livres et l'amour de l'Ă©tude. Avec une Ă©criture simple, sans fioriture, fluide et agrĂ©able Ă  lire, Max Gallo dĂ©roule sa vie pour son lecteur devenu confident, raconte ses illusions, ses Ă©checs, ses envies, ses Ă©veils, ses prises de conscience, ses convictions, son parcours politique loin du dogmatisme et de l'ambition calculatrice, sa volontĂ© de ne jamais rien tenir pour acquis. Son mariage fut un Ă©chec et se termina par une sĂ©paration dont il se remit mal. Il n'oublie pas ses fĂȘlures et ses failles, les Ă©vĂ©nements qui bouleversĂšrent sa vie... Quand pour lui le succĂšs commençait Ă  se manifester, qu'il se construisait peut-ĂȘtre des chĂąteaux en Espagne, qu'il Ă©tait tout disposĂ© Ă  se laisser griser par le succĂšs, aveugler par la rĂ©ussite, dĂ©vorer par l’égoĂŻsme, sa fille Mathilde se suicide. Elle avait 17 ans ! Il est impossible de vraiment survivre Ă  un tel Ă©vĂ©nement, on y perd souvent sa vie, sa raison, sa foi et pas mal de ses certitudes. Il trouva sans doute dans cette mort qui aurait pu l’anĂ©antir et au-delĂ  de cette culpabilisation judĂ©o-chrĂ©tienne, une raison supplĂ©mentaire de poursuivre une vie prometteuse. L'abondance et la richesse de ses Ɠuvres sont sans doute un hommage Ă  cette jeune fille morte, l'Ă©criture, une thĂ©rapie dans ce qui devenait de jour en jour un mal de vivre de plus en plus prĂ©gnant. J'ai souvent dit dans cette chronique combien j'aime lire les biographies. Celle-ci, peut-ĂȘtre plus intime que les autres m'a passionnĂ©. J'ai dĂ©couvert un homme qui, malgrĂ© sa rĂ©ussite, ne cache rien de ses fragilitĂ©s ni de ses contradictions et le fait simplement, mĂšne son chemin en gardant Ă  l'esprit autant l'exemple de sa parentĂšle modeste que les maximes de grands penseurs, avec cette belle et Ă©mouvante Ă©criture que j'ai toujours apprĂ©ciĂ©e. J'aime aussi qu'il ne soit pas naĂŻf et porte sur la politique, sur la gauche en particulier et mĂȘme sur l'espĂšce humaine, un regard critique et sans indulgence. Max Gallo qui, avec ses mots rend hommages Ă  ses morts, sa fille, sa mĂšre, son pĂšre, craint peut-ĂȘtre qu'on l'oublie aprĂšs sa disparition. Homme de lettres qui la pratique si heureusement et qui a si bien servi notre belle langue, il sait mieux que personne que l'Ă©criture est un extraordinaire support de la mĂ©moire, plus sĂ»r en tout cas que l'habit vert d'Immortel qu'il porte dĂ©sormais. Dans son cas, il n'y a donc aucun danger. © HervĂ© GAUTIER - N° 650 Juin 2013 Le chapeau de Mitterrand – Antoine LAURAIN Flammarion Le hasard fait bien plus souvent partie de notre vie que nous voulons bien l'admettre. Prenez par exemple une soirĂ©e de novembre 1986, un lieu, une brasserie parisienne et un homme, Daniel, un parfait quidam qui s'offre un dĂ©lice gustatif en solitaire. Quoi de plus banal ? Ce qui l'est peut-ĂȘtre moins est qu'il voit s'installer Ă  la table voisine François Mitterrand, le PrĂ©sident de la RĂ©publique soi-mĂȘme qui vient, lui aussi, avec deux collaborateurs, faire une petite pause dĂźner. Au dĂ©but, Daniel n'en croit pas ses yeux, regarde, Ă©coute et surtout fantasme, le PrĂ©sident n’est pas un homme du commun, surtout celui-lĂ , mĂȘme si ce dernier ne fait pas de cas des autres commensaux. Las, le charme prend fin et Mitterrand finit par quitter les lieux, mais en oubliant son cĂ©lĂšbre chapeau. AprĂšs avoir hĂ©sitĂ©, Daniel s'en empare. Cela tombe bien, il est Ă  sa taille ! Et ce larcin va changer sa vie comme si ce couvre-chef prĂ©sidentiel avait des pouvoirs surnaturels bĂ©nĂ©fiques pour qui le porte. Sauf qu'il le perd Ă  son tour et que, passant de mains en mains et de tĂȘte en tĂȘte, cet accessoire des hommes d'Ăąge, devenu entre-temps anonyme, va donner Ă  tous ceux qui vont le coiffer l'audace de sortir de la routine quotidienne oĂč ils Ă©taient quelque peu engoncĂ©s et qu'ils avaient peur de rompre, une force tranquille » en quelque sorte ! A travers tous ceux qui en ont Ă©tĂ© les possesseurs successifs, de la secrĂ©taire en mal de rupture amoureuse et d'inspiration artistique, au nez » dĂ©pressif pour cause et sĂ©cheresse crĂ©ative, en passant par un aristocrate classique et lĂ©gĂšrement guindĂ© qui va soudain avoir le courage de rompre avec son milieu, ce feutre noir va voyager, au moins dans l'imagination de l'auteur, de Paris Ă  Venise pour le plus grand plaisir du lecteur. Tout au long de cette fiction bien Ă©crite, agrĂ©able Ă  lire et pleine d'humour, l'auteur promĂšne son lecteur dans la sociĂ©tĂ© française des annĂ©es 1980 autant qu'il l'invite Ă  visiter une galerie de cĂ©lĂšbres portraits. Ce qu'on a du mal Ă  nommer un simple galure » va donc faire partie de la vie d'humains que le destin ou le hasard vont choisir, Ă  moins bien sĂ»r qu'il ne soit lui-mĂȘme animĂ© de sa propre libertĂ© et choisisse ses temporaires inventeurs. Cela se termine par une Ă©vocation un peu Ă©nigmatique et Ă©mouvante de François Mitterrand, prĂ©sent en filigranes dans tout ce rĂ©cit. J'ai bien aimĂ© cette fable peut-ĂȘtre parce qu'elle met en Ă©vidence un des fantasmes secrets de tout ĂȘtre humain, celui de vouloir que les choses se rĂ©alisent parce simplement il le souhaite. Il laisse aller son imagination et se laisse porter par elle. Elle le transforme et le fait sortir de sa mĂ©diocritĂ©. Bien sĂ»r cela ne marche jamais et chacun se retrouve face Ă  sa petitesse ordinaire et son morne quotidien qu'il a, l’espace d'un instant, tentĂ© d'enjoliver. C'est une illustration de cette facette de la condition humaine qui m'a bien plu. ©HervĂ© GAUTIER - N°599 Novembre 2012 CELINE – Henri GODARD Ed. Gallimard Louis-Ferdinand CĂ©line [1894-1961] est parmi les hommes de lettres quelqu'un qui, cinquante ans aprĂšs sa mort, fait encore parler de lui. De son vivant dĂ©jĂ , il avait, par ses Ă©crits et par ses prises de positions politiques, dĂ©chaĂźnĂ© les passions. Son Ɠuvre est indissociable de sa vie, de son parcours et de ses opinions politiques. Du point de vue strictement littĂ©raire, il a indubitablement incarnĂ© une rĂ©volution, renouvelant le style romanesque traditionnel, y instillant des sonoritĂ©s et des rythmes empruntĂ©s au langage parlĂ© et Ă  l'argot. Il doit sans doute cet aspect de son Ă©criture Ă  sa grand-mĂšre maternelle Ă  qui il rendra hommage en faisant de son prĂ©nom son nom de plume. Ses phrases semĂ©es de ponctuations exclamatives et suspensives cherchent Ă  provoquer l'Ă©motion et la rĂ©action... et y parviennent. Son Ɠuvre est un cri pessimiste poussĂ© face Ă  la nature humaine qu'il exĂšcre et mĂȘme si parfois il y mĂȘle de l'humour et de la tendresse, il reste marquĂ© par un dĂ©sespoir dĂ©finitif et une volontĂ© de choquer. Il reste un pamphlĂ©taire, un polĂ©miste, un marginal, un homme rĂ©voltĂ©, ambigu, contradictoire parfois, paranoĂŻaque mĂȘme, un homme Ă©corchĂ©-vif, outrancier voire injurieux et parfois ordurier dans ses propos, un auteur qui se dĂ©finit lui-mĂȘme comme paradoxale, burlesque, effervescent ». Il ne laissera jamais indiffĂ©rent ! Si CĂ©line est Ă  l'Ă©vidence un grand auteur et un poĂšte, il reste marquĂ© du point de vue politique par un antisĂ©mitisme incontestable hĂ©ritĂ© Ă  la fois de son pĂšre et de son Ă©poque et il se servira de sa notoriĂ©tĂ© pour affirmer cette opposition avec dĂ©termination et violence. Il ira mĂȘme jusqu'Ă  tenir des propos ignobles et des condamnations tonitruantes. Cette phobie du juif tourne carrĂ©ment Ă  la folie puisqu'il Ă©tend cette judĂ©itĂ© Ă  tous ceux qu'il n'aime pas 
 Et ils sont nombreux ! Avec Robert Brasillach et Pierre Drieu La Rochelle qui eux ont connu un sort diffĂ©rent, il a Ă©tĂ© parmi les Ă©crivains maudits de la LibĂ©ration. CondamnĂ©, il a cependant Ă©tĂ© amnistiĂ© et a ainsi pu rentrer en France. Il reste quand mĂȘme un personnage controversĂ© et par bien des cĂŽtĂ©s contradictoire. Son parcours a Ă©tĂ© un long chemin et un long combat. Ce que j'ai trouvĂ© personnellement le plus Ă©mouvant, ce sont les derniers chapitres consacrĂ©s Ă  sa fin de vie, Ă  la fois pitoyable et dĂ©finitivement solitaire, mĂȘme si, Ă  cette pĂ©riode il a semblĂ© sortir d'un long purgatoire. L'auteur de cette biographie passionnante du dĂ©but Ă  la fin nous le prĂ©sente sous ses diffĂ©rentes facettes, comme un adepte de la pornographie, ce qui n'est pas essentiel, comme l’auteur de ballets qui met la danse au centre de sa vie, un amoureux des animaux, de son chat BĂ©bert, compagnon d'infortune au Danemark puis de ses chiens Ă  Meudon, et, ce qui est sans doute pour le plus inattendu, comme un sĂ©ducteur qui ne pouvait se passer des femmes ! L'auteur Henri Godard, professeur de littĂ©rature Ă  la Sorbonne et spĂ©cialiste de l’Ɠuvre cĂ©linienne est Ă©galement, dans la bibliothĂšque de la PlĂ©iade, l'Ă©diteur de CĂ©line. Ce livre est l'occasion de faire connaissance de cet Ă©crivain majeur du XX° siĂšcle et de lire ou de relire ses nombreux romans. HervĂ© GAUTIER – n° 598 novembre 2012 GALA - Dominique BONA Flammarion 1995 Qui Ă©tait donc cette femme qui fut l'Ă©gĂ©rie d'un poĂšte et de deux peintres? Quand elle entre en scĂšne, elle s'appelle encore Elena Dimitrievna Diakonovane, elle a reçu une bonne Ă©ducation en Russie oĂč elle est nĂ©e en 1894. C'est une jeune fille de 18 ans qui, aprĂšs avoir parcouru toute l'Europe de l'Est, dĂ©barque dans un sanatorium suisse oĂč elle vient soigner une tuberculose. Elle va y rencontrer, Paul-EugĂšne Grindel, le fils d'une famille bourgeoise, plus tournĂ© vers la poĂ©sie que vers une carriĂšre traditionnelle, malade lui aussi, et en tombe Ă©perdument amoureuse. Il deviendra, grĂące Ă  elle, Paul Eluard et elle adopte le pseudonyme de Gala qu'elle gardera toute sa vie. Elle n'est peut-ĂȘtre pas trĂšs belle mais est une vĂ©ritable prĂ©sence fascinante, sait ce qu'elle veut, et malgrĂ© leur jeune Ăąge, la famille de Paul qui se mĂ©fie de cette Ă©trangĂšre, la guerre, l'avenir incertain de son fiancĂ©, elle l'Ă©pouse en fĂ©vrier 1917. Le conflit mondial favorise la rencontre de Paul avec Louis Aragon, Philippe Soupault et AndrĂ© Breton puis, la paix revenue, c'est le mouvement Dada et ses excentricitĂ©s artistiques qui leur rĂ©vĂ©la l'existence de Max Ernst vers qui Gala se sent irrĂ©mĂ©diablement attirĂ©e, avec une certaine complicitĂ© tolĂ©rante du cĂŽtĂ© de Paul. Gala a 27 ans et son nouvel amant, sensiblement du mĂȘme Ăąge qu’elle, vient s'installer chez eux et va mĂȘme vivre Ă  leurs crochets. Ainsi commence un "mĂ©nage Ă  trois" que Paul ne condamne pas mais dont il souffre quand mĂȘme. Ni lui ni elle n'en sortiront indemnes et cela durera, plus ou moins en pointillĂ©s, jusqu'Ă  ce qu'arrive un peintre catalan inconnu, Salvador DalĂ­. Nous sommes en 1929. LĂ  aussi ce sera le coup de foudre. Pourtant tout les opposent, elle a 10 ans de plus que lui, c'est un inconnu sans fortune mais ils vivront ensemble une passion exubĂ©rante, sauvagement pauvre au dĂ©but et s'Ă©pouseront en 1934. DalĂ­ est maladivement timide mais aussi excentrique, facĂ©tieux, original, fantaisiste, dĂ©bordant de crĂ©ativitĂ©... Elle sera son unique modĂšle, sa source principale d’inspiration et l'icĂŽne qu'il cĂ©lĂ©brera comme une vĂ©ritable idole jusqu'Ă  sa mort en 1982. Elle restera aux cĂŽtĂ©s de DalĂ­, toujours dans l'ombre, l'assistera, le soignera, l'encouragera, l'accompagnera dans ses dĂ©placements internationaux et mondains qui conditionnent sa notoriĂ©tĂ© et le mĂ©cĂ©nat qu'elle va susciter. Elle sera non seulement son Ă©pouse attentive mais aussi la gestionnaire de sa fortune, son agent artistique, efficace et discret. En rĂ©alitĂ©, ils se ressemblent beaucoup et sont avant tout individualistes. Politiquement, le groupe des surrĂ©alistes dont il fait partie est tournĂ© vers le communisme mais DalĂ­, sans doute par provocation au dĂ©but, fait devant ses membres l'apologie d'Hitler, comme il se tournera plus tard vers Franco. De plus, il frĂ©quente les puissants et les riches et n'a cure du peuple. La rupture ne pouvait qu'ĂȘtre consommĂ©e, mais Gala sera toujours avec lui et dans l'ombre lui tiendra la main. Il le sait et ne peut plus se passer d'elle et quand aprĂšs diffĂ©rentes maniĂšres de penser et de vivre il devient mystique, il la divinisera dans ses tableaux. C'est Ă©tonnant mais l'amour que lui porte Paul Eluard est sans borne et aussi assez original. Certes, elle le trompe, et lui ne manque pas de l’imiter, mais pour autant, et bien que les amants connus de Gala soient Ă  ce point diffĂ©rents de Paul, ce dernier non seulement les accepte mais leur porte de l'intĂ©rĂȘt et mĂȘme une certaine forme d'amitiĂ©, un peu comme si seul comptait Ă  ses yeux le bonheur de sa femme qu'il n'Ă©tait plus capable de lui procurer. Paul sera mĂȘme bienveillant avec DalĂ­ quand il fera, avec Gala, ses premiers pas dans le monde et quand les surrĂ©alistes l’expulseront de leur groupe. Il restera amoureux d'elle jusqu'Ă  la fin, malgrĂ© tous les bouleversements de sa vie et leur divorce prononcĂ© en 1930 aprĂšs 15 ans d'un mariage mouvementĂ©. Cet ouvrage consacrĂ© Ă  Gala est en rĂ©alitĂ© non pas une mais trois biographies, la sienne mais aussi celles de Paul Eluard et de DalĂ­ Ă  qui elle fut si intimement liĂ©e. Si on en croit Dominique Bona, il semblerait que Gala, bien que dĂ©voreuse d'hommes, ait recherchĂ© la virginitĂ© originelle chez Eluard et DalĂ­ et ait poursuivi ses amours de contrebande, avec une prĂ©dilection pour les hommes plus jeunes qu'elle, et ce mĂȘme pendant son union pourtant hautement amoureuse avec Salvador DalĂ­. Lui aussi ferma les yeux sur ses Ă©carts, pourvu qu’elle reste avec lui ! Gala est volontaire, tenace, passionnĂ©e, mais aussi coquette, dĂ©pensiĂšre, valĂ©tudinaire, mĂ©lancolique, tourmentĂ©e et volontairement solitaire. Elle a peu d'amis et ceux qui la connaissent, notamment au sein du groupe des surrĂ©alistes, l'affublent de sobriquets peu sympathiques. L’avenir la fait rĂȘver mais le mariage, la maternitĂ©, la vie rangĂ©e d'une femme mariĂ©e la déçoivent. Par peur de manquer, mais aussi par addiction au jeu, elle devient responsable du galvaudage du talent de son mari. Contrairement Ă  l'anagramme inventĂ© par Breton, "Avida dollars" ne s'applique pas Ă  DalĂ­ mais Ă  Gala ! Puis tout cela dĂ©rape et, au nom de l'argent, la signature de DalĂ­ ne s'appose plus sur des tableaux mais sur des bijoux, des parfums. Gala, pourtant attentive Ă  la gestion de la fortune de son gĂ©nial Ă©poux ne contrĂŽle plus rien et ce sont des feuilles blanches en nombre incalculable qu'il signe. Elles serviront de support Ă  autant de faux qui porteront atteinte Ă  son crĂ©dit sur la marchĂ© de l'art. DĂšs lors, les secrĂ©taires se succĂšdent et une cour se forme autour du couple, vivant des richesses qu'il gĂ©nĂšre. On a pu voir en elle une aventuriĂšre calculatrice, sĂ©ductrice et avide d'argent qui sait rester dans l'ombre mais tirer le meilleur parti des hommes qu'elle croise, qu'elle sĂ©duit et dont elle favorise l'ascension. Étrange destin que celui de cette femme Ă©nigmatique et apparemment froide qui a su par son charme s'attacher des hommes d'exception qui en furent Ă©perdument amoureux. Si elle est une intellectuelle, elle n'est cependant pas une artiste mais saura rĂ©vĂ©ler chez tous les hommes dont elle fut la compagne, un Ă©lan crĂ©atif exceptionnel. Ils ont tous laissĂ© dans le domaine de l'art une marque pĂ©renne. Sans elle, ils ne se seraient assurĂ©ment pas rĂ©vĂ©lĂ©s au monde et seraient restĂ©s anonymes. Gala vieillie et malade meurt en 1982. Son mari lui survivra 7 ans mais c'est un fantĂŽme qui s'Ă©teint en 1989. Les deux Ă©poux ne sont mĂȘme pas enterrĂ©s ensemble ! Comme toujours dans ses biographies, Dominique Bona est prĂ©cise, trĂšs documentĂ©e, donne des dĂ©tails et ses remarques personnelles, ses analyses et ses citations sont pertinentes. Cette chronique s'en est peu fait l'Ă©cho, mais j'aime lire les biographies, surtout, comme c'est le cas ici, quand elle sont denses et passionnantes. GrĂące Ă  son style fluide et poĂ©tique notamment quand elle dĂ©crit des paysages catalans que ses origines familiales lui rendent sans doute plus attractifs, Ă  ses courts chapitres, elle s'attache son lecteur attentif jusqu'Ă  la fin. C'est donc un rĂ©cit passionnant que nous livre l'auteur d'"Argentina" et nous fait dĂ©couvrir la personnalitĂ© exceptionnelle de cette femme. Personnellement, j'avais des idĂ©es toutes faites sur Gala qui restait pour moi bien mystĂ©rieuse, la lecture de cet ouvrage m'a donnĂ© d'elle une image plus prĂ©cise et surtout plus lumineuse. © HervĂ© GAUTIER - n° 646 - mai 2013 Amour - Michael HANAKE - Palme d'Or Cannes 2012 Ce film dont il faut Ă©voquer briĂšvement l'intrigue tourne auteur de deux personnages. C'est une histoire simple, presque banale de fin de vie, celle d'Anne Emmanuelle Rivas et de Georges Jean-Louis Trintignant, deux octogĂ©naires qui mĂšnent une vie tranquille de retraitĂ©s. On les voit au dĂ©but assister Ă  un concert d'un des Ă©lĂšves d'Anne, ancienne professeur de musique classique. La musique justement, celle de Schubert, de Beethoven, de Bach, les tableaux accrochĂ©s aux murs et les livres qui tapissent les bibliothĂšques, tout indique que nous sommes ici chez des gens aisĂ©s et cultivĂ©s. Puis soudain, Anne a une attaque qui la laisse paralysĂ©e du cĂŽtĂ© droit. Courageusement elle s'adapte Ă  sa nouvelle situation comme on fait face Ă  l'adversitĂ©. La vie s'organise autour de son infirmitĂ© nouvelle et Georges l'accompagne patiemment, s'improvise infirmier, accompagnateur de vie, homme au foyer de cette femme qui peu Ă  peu va perdre toutes ses facultĂ©s pour ne plus mener qu'une vie vĂ©gĂ©tative et aphasique et entrer de plain-pied dans l'agonie. Il le fait avec courage, abnĂ©gation et mĂȘme hĂ©roĂŻsme au point de se charger seul, contre les mĂ©decins, les soignants et l'inĂ©vitable bon sens qui commanderait qu'il se dĂ©chargeĂąt un peu du poids de plus en plus lourd qu'elle reprĂ©sente. Pour cela, il n'a que son impuissance grandissante face Ă  cette situation qui se complique de jour en jour et mĂȘme si elle fait l'admiration des gens autour de lui et l'inquiĂ©tude lĂ©gitime mais Ă  ses yeux inutile de sa fille Eva Isabelle Huppert, il veut continuer Ă  cacher aux autres cette rĂ©alitĂ© et peut-ĂȘtre se la cacher Ă  lui-mĂȘme. Le couple attend la mort et Georges fait preuve de rĂ©signation [ ça va aller de mal en pis et puis ce sera fini »] , mais pas de dĂ©sespĂ©rance, elle ne viendra qu'Ă  la fin parce qu'il n'y a pas autre chose Ă  faire, entre photos jaunies et souvenirs qui peu Ă  peu s'effacent, un huis-clos qui se dĂ©roule dans une sorte d'unitĂ© de lieu de leur appartement qui jadis Ă©tait plein de vie mais qui peu Ă  peu se vide. Il n'y a pas de voyeurisme dans ces scĂšnes quotidiennes, tout juste un compte rendu exact de ce qu'est le rĂŽle que Georges a choisi depuis le dĂ©but et qui va petit Ă  petit le dĂ©passer, un compte Ă  rebours aussi ! A mesure que les facultĂ©s d'Anne disparaissent, qu'elle entre progressivement dans la mort, on le voit lui, si plein de bonne volontĂ© au dĂ©part, perdre pied au point de la gifler parce qu'elle refuse de s'alimenter, battre en retraite pour ne plus dormir que dans un petite chambre loin d'elle au point que, sa propre dĂ©chĂ©ance Ă  lui va ĂȘtre suscitĂ©e pour le spectateur par la rĂ©surrection symbolique de son Ă©pouse et qu'il va prendre une dimension quasi spectrale. On voit leurs rides, leurs corps affaiblis, leurs cheveux, blancs et ternes pour elle qu'un reste de coquetterie veut masquer, Ă©pars et hirsutes pour lui qui marquent, comme la barbe qu'il nĂ©glige de raser chaque jour, le dĂ©sintĂ©rĂȘt qu'il porte Ă  sa propre personne pour ne plus se consacrer qu'Ă  Anne. Il respecte la parole donnĂ©e de ne pas ne pas l’envoyer Ă  l'hĂŽpital puis, plus tard, dans l'inĂ©vitable maison de retraite qui serait pour elle comme un mouroir puisqu'elle serait sĂ©parĂ©e de Georges. Le jeu des acteurs et bouleversant de vĂ©ritĂ© et ce film nous rappelle une Ă©vidence, celle que nous sommes tous mortels, que tout Ă  une fin et que la vieillesse est une dĂ©chĂ©ance. Le cinĂ©ma d'ordinaire se fait plus volontiers l'Ă©cho de la beautĂ©, de la jeunesse, de la rĂ©ussite, de la sensualitĂ©... La palette d'Haneke est grande et talentueuse. On sent qu'il ne craint pas de dĂ©ranger, de bouleverser les codes et les idĂ©es reçues et, pour cela d'ĂȘtre, peut-ĂȘtre, dĂ©sagrĂ©able au spectateur qui attend volontiers un happy end ». J'aime personnellement qu'on ne cache rien, qu'on ne donne pas une image idyllique de cette sociĂ©tĂ© qui ne le mĂ©rite pas et qu'on en montre les travers et les failles. Dans ce film intimiste et plein de sensibilitĂ©, c'est la mort qui nous est montrĂ©e parce qu'elle est non seulement la fin de la vie et que, mĂȘme si elle a Ă©tĂ© taboue pendant toute notre existence, si on a vĂ©cu sans y penser comme il convient dans nos sociĂ©tĂ©s occidentales, elle guette chacun d'entre nous et nous surprend au moment oĂč nous y pensons le moins. Qu'on le veuille ou non, la condition humaine est ainsi faite et les rĂšgles de notre sociĂ©tĂ© paraissent immuables. Quelles que soient les fonctions qu'on y ait exercĂ©, quand la retraite sonne on n'est plus rien et quand la mort nous frappe on est oubliĂ© dĂ©finitivement. Je retiens aussi de ce film une Ă©criture cinĂ©matographique originale portĂ©e par des acteurs d'exception. Elle est Ă  la fois intense, juste et Ă©conome en mots, comporte des plans parfois longs et silencieux, une bande sonore faite ici opportunĂ©ment de musique classique, des scĂšnes plus suscitĂ©es qu'effectivement montrĂ©es, des bruits apparemment anodins, tel celui du robinet qui coule constamment et qui brusquement s'arrĂȘte, suggĂ©rant un rebondissement. L’amour existe certes, mais il y a quand mĂȘme quelque chose d'irrĂ©el dans cette Ɠuvre. Cet homme et cette femme s'aiment d'un amour authentique et fidĂšle que traduisent des regard et les gestes tendres du dĂ©but. Ils se sont choisis pour partager les joies et maintenant ils connaissent les peines mais leur complicitĂ© est complĂšte. Ils aimaient la vie ensemble parce qu'elle ne pouvait ĂȘtre que commune et elle a Ă©tĂ© longue [ C'est beau la vie , si longtemps »]. Je crains que cela ne reflĂštent cependant pas la rĂ©alitĂ© quand un mariage sur deux se termine actuellement par un divorce et que cela affecte, et c'est nouveau, les seniors. MĂȘme si les couples qui restent ensemble le font pour des questions de morale, de religion, de convenances ou de finances, ce choix cache bien souvent une vie oĂč l'hypocrisie le dispute Ă  l'indiffĂ©rence ou pire encore. Ils se terminent parfois par une sĂ©paration que le concept moderne de famille recomposĂ©e » peine Ă  masquer. Quand Eva, Ă  la vie sentimentale agitĂ©e, donne de ses nouvelles Ă  ses parents, on a du mal Ă  imaginer que lorsqu'elle sera vieille Ă  son tour, elle connaĂźtra pareille complicitĂ© avec son mari. Mais c'est sans doute un autre dĂ©bat ? Quand elle apparaĂźt pour s'Ă©mouvoir de la maladie Ă©volutive d'Anne, il est difficile de voir dans ses larmes autre chose qu'une posture de circonstance. Elle disparaĂźtra bientĂŽt pour laisser la place Ă  Georges qui ira au bout de sa dĂ©marche, seul, comme il le souhaite. Ce film qui est un jalon supplĂ©mentaire dans la dĂ©marche d'Haneke est le onziĂšme long mĂ©trage et le deuxiĂšme couronnĂ© par une prestigieuse palme d'or Ă  Cannes. Il est bouleversant Ă  bien des titres. Il est en tout cas une invite Ă  la prise de conscience, un rappel des rĂ©alitĂ©s de cette vie, il lĂšve un tabou dont on se demande bien pourquoi il est, dans notre sociĂ©tĂ©, si savamment entretenu. N° 597 - Octobre 2012 ©HervĂ© GAUTIER – Octobre Le Rapport de Brodeck – Philippe CLAUDEL Stock Prix Goncourt des LycĂ©ens 2007 C'est une bien curieuse histoire que celle de ce Brodeck. C'est un enfante trouvĂ©, un enfant de la guerre, recueilli dans un village perdu en montagne par FĂ©dorine, une vielle femme. Lui, c'est plutĂŽt quelqu’un d'ouvert mais, mĂȘme s'il est arrivĂ© ici trĂšs jeune, il restera pour les gens d'ici un Ă©tranger, quelqu'un de peu d'importance. Pourtant on lui offrira des Ă©tudes au cours desquelles il rencontrera EmĂ©lia qu'il Ă©pousera et qui lui donnera la petite Poupchette. Elle est sa raison de vivre bien qu'elle soit nĂ©e du viol de sa femme par des soldats. Il deviendra mĂȘme un fonctionnaire chargĂ© de rĂ©diger des rapports sur la nature. Ses travaux n’intĂ©ressent personne mais lui permettent de survivre avec sa famille grĂące Ă  ses maigres appointements. Il n'a jamais Ă©tĂ© acceptĂ© au sein de ce microcosme villageois au point d'ĂȘtre livrĂ© par eux Ă  l'ennemi, pendant la seconde guerre mondiale. Quand on leur a demandĂ© de purifier » le village, c'est Ă  dire de dĂ©noncer les indĂ©sirables, c'est son nom et celui d'un simple d'esprit qui ont Ă©tĂ© donnĂ©s. Pourtant il rĂ©sistera Ă  la dĂ©portation, aux humiliations et Ă  la malnutrition grĂące au seul espoir de retrouver EmĂ©lia. Quand il est revenu au village, son Ă©pouse n'est plus la mĂȘme, elle n'est plus que l'ombre d'elle-mĂȘme, brisĂ©e par un viol d'oĂč naĂźtra une petite fille que pourtant Brodeck adore. Quand il est revenu, Ă  la fin de le guerre, un autre Ă©tranger, aussitĂŽt baptisĂ© l'Autre », est arrivĂ© au village. Il est dĂ©licat, cultivĂ©, parle peu et a un rĂ©el talent de dessinateur. On l'observe comme une bĂȘte curieuse, tellement diffĂ©rent des autres habitants frustes de ce village. On commence par l'accueillir en grande pompe pour Ă©viter de dire qu'on se mĂ©fie de lui mais rapidement on le marginalise, on l'ignore. Pas rancunier cependant, il dĂ©cide de donner une petite fĂȘte pour remercier le village de l'avoir accueilli. Lors de cette fĂȘte, il expose les portraits des villageois qu'il a rĂ©alisĂ©s mais ceux-ci les trouvent tellement rĂ©alistes et surtout tellement mystĂ©rieux qu'ils les supposent accusateurs et s'en prennent Ă  lui, dĂ©chirent ses cartons et tuent son cheval et son Ăąne qu'il considĂ©rait comme des personnes. Ces portraits Ă©taient comme des miroirs qui rĂ©vĂ©laient la face cachĂ©e de chacun. Certains y ont vu une allusion Ă  peine voilĂ©e aux faits qui s'Ă©taient dĂ©roulĂ©s pendant la guerre, le viol et le meurtre de trois jeunes filles, Ă©trangĂšres elles aussi, l'aventure fatale de Cathor, un villageois qui avait refusĂ© de livrer un vieux fusil, et qui a Ă©tĂ© dĂ©capitĂ© devant tout le village ; c'est cet Ă©vĂ©nement qui avait motivĂ© la dĂ©nonciation et la dĂ©portation de Brodeck. Mais au lieu de quitter le village, l'Autre » y erre pendant trois jours en criant sa souffrance. Il finira par en mourir au terme d'une sorte d’assassinat collectif. Ainsi, sous le masque de la respectabilitĂ©, de la biensĂ©ance et de l'hypocrisie, les habitants de ce village perdu sont-il devenus des meurtriers, rĂ©vĂ©lant ainsi leur vĂ©ritable image. Un soir, Brodeck se rend au village pour acheter du beurre et se voit, lui le petit fonctionnaire sans importance, chargĂ© de relater ces faits, c'est Ă  dire d'en faire un rapport Ă©crit. Il devient donc leur scribe » pour que celui qui lira le rapport comprenne et pardonne ». ObĂ©issant, il s'exĂ©cutera, mais en rĂ©alitĂ© il n'y croit pas et les villageois non plus. Effectivement, le rapport une fois rĂ©digĂ© et lu par le maire est jetĂ© au feu au motif que le passĂ© appartient Ă  la mort et qu'il faut aller de l'avant au nom de la vie. A la suite de cela Brodeck dĂ©cide de quitter enfin le village avec femme et enfant. C'est Ă©tonnant le roman, les personnages tissent leur histoire et le lecteur en est le tĂ©moin, s'y identifie ou pas. Moi, je me suis senti trĂšs proche de ce Brodeck. Il est l'image de l'homme de bonne volontĂ© aux prises avec les autres qui lui veulent du mal, gratuitement, pour se prouver sans doute qu'ils existent et qu'ils ont de l'importance. Il est assailli par la malchance mais tente de s'en sortir. Le malheur s'acharne sur lui sans qu'il y puisse rien et ne peut opposer Ă  cela que sa seule vie minuscule et sans intĂ©rĂȘt. Il est l'Ă©ternel guignon mais aussi le souffre-douleur de tous ces petits potentats qui certes le tiennent pour rien, ce dont il est persuadĂ©, mais qui se croient tout permis. Ce roman est dĂ©rangeant parce qu'il traite de l’intolĂ©rance, de la noirceur de l'Ăąme humaine, de la trahison, rappelle que la race des hommes n'est pas frĂ©quentable, que l'enfer c'est les autres »...et que tout cela est le quotidien de chacun d'entre nous. Le rĂ©cit, mĂȘme s'il est une fiction, est aussi lĂ  pour montrer les choses dans toute leur cruautĂ© et l'eau de rose n'est pas ce qui l'irrigue forcĂ©ment. Et d'ailleurs, ce Brodeck se rĂ©vĂšle aussi mauvais que ceux qui l'ont persĂ©cutĂ©, et la relation qu'il fait des Ă©vĂ©nements dans son rapport entraĂźne une confession intime dont il ne sort pas grandi. Un autre personnage ne m'a pas laissĂ© indiffĂ©rent, c'est le curĂ© Peiper, un vieil ivrogne qui ne croit mĂȘme plus en Dieu mais accepte, pour quelques bigotes, de rejouer inlassablement la mĂȘme comĂ©die du rituel religieux. Il ne trouve sa consolation que dans le vin qui l'aide Ă  oublier toutes les fautes des villageois qu'au nom de Dieu il pardonne, mais aussi la folie destructrice des hommes, leur volontĂ© de trahir avec la bonne conscience de ceux qui veulent se persuader qu'ils agissent justement. A cause de lui, de son message religieux d'un autre Ăąge et des vieilles croyances populaires qui puisent leur existence dans une peur ancestrale, l'Autre » prend une dimension diabolique qui justifie son Ă©limination. Il symbolise lui aussi la solitude, la peur de l'homme face Ă  ce qui ne lui ressemble pas, face Ă  la mort aussi aprĂšs laquelle il n'y a rien, ni paradis ni enfer, rien que le nĂ©ant et que Dieu n'est peu-ĂȘtre rien d'autre que l’inspirateur des bassesses humaines. C'est aussi un ouvrage sur la culpabilitĂ© Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien ». Ce sont les premiers mots du narrateur, comme une excuse de tout ce qui va suivre et que va apprendre le lecteur. Pour tous ces gens qui le mĂ©prisent, il ne sera qu’un scribe, qu'un tĂ©moin, celui qu’ils ont chargĂ© d'Ă©crire ce meurtre dans son fameux rapport parce, ayant fait des Ă©tudes, il est seul Ă  pouvoir le faire. Ils pensent sans doute qu'ils trouveront dans ses mots le pardon, pour ce qu'ils ont fait mais, devant son travail de tabellion mĂ©thodique, seules les flammes sont une rĂ©ponse, comme si les phrases faisaient peur aux villageois, les dĂ©signant comme coupables pour l'avenir, pour l'Histoire peut-ĂȘtre ? Une des fonctions de l'Ă©criture est de fixer le passĂ©, d'en ĂȘtre la mĂ©moire pour, peut-ĂȘtre, faire naĂźtre une certaine forme de comprĂ©hension voire de pardon. Ici, le rapport de Brodeck rĂ©vĂšle la perfidie humaine et aux yeux du maire manque son but ce qui motive sa destruction. [ Il est temps d'oublier Brodeck, les hommes ont besoin d’oublier »] J'ai dĂ©jĂ  dit dans cette chronique que j'apprĂ©cie le style de Philippe Claudel, fluide et agrĂ©able Ă  lire, plus spĂ©cialement peut-ĂȘtre dans les descriptions oĂč l'attention portĂ©e aux dĂ©tails les rend plus vraies encore. MĂȘme si ce roman est quelque peu dĂ©rangeant, il a reprĂ©sentĂ© pour moi un bon moment de lecture. N° 623 – Janvier 2013. La dactylographe de Mr James – Michel Heyns Ed. Ph Rey Le grand Ă©crivain amĂ©ricain Henry James 1843-1916 engagea en 1907 Theodora Bosanquet 1880-1961 en qualitĂ© de secrĂ©taire. Elle le restera jusqu'Ă  la mort de l'Ă©crivain. Son travail consistait Ă  taper Ă  la machine sous la dictĂ©e de James. Elle ne se contenta pas de ce travail assez ingrat et Ă©crivit elle-mĂȘme Henry James Ă  l'ouvrage »1924 oĂč elle porte tĂ©moignage Ă  la fois de l'homme et de l'Ă©crivain. D'autre part elle publia Ă©galement son journal ce qui fit d'elle un auteur reconnu. L'auteur, Michel Heyns, s'empare de cette relation professionnelle authentique pour faire de Theodora, rebaptisĂ©e Frieda Worth, alors ĂągĂ©e de 23 ans, un personnage de roman. Tel est le prĂ©texte de ce rĂ©cit bien documentĂ©, fort bien Ă©crit, plein d'humour dĂ©licat, de descriptions agrĂ©ables, d'analyses psychologiques. Il est en tout cas fort bien traduit notamment avec un grand souci du mot juste. Il mĂȘle la fiction Ă  la rĂ©alitĂ©, crĂ©ant lui-mĂȘme pour les besoins de son rĂ©cit des faits qui n'ont pas existĂ© oĂč qu'il dĂ©place dans le temps et dans l'espace, s'inspirant de thĂ©ories qui nourrissent son Ă©criture, comme il s'en explique dans une note Ă  la fin de l'ouvrage. Le texte distille une musique qui plonge le lecteur dans une ambiance surannĂ©e et un dĂ©paysement agrĂ©able. Sous la forme d'un rĂ©cit chronologique qui va de novembre 1907 Ă  juillet 1909, le narrateur dĂ©crit une Ă©poque oĂč la femme est un citoyen de seconde zone dans un monde d'hommes mais oĂč se dĂ©veloppent cependant des mouvements d'Ă©mancipation. Frieda, jeune femme cultivĂ©e, discrĂšte et vive d'esprit, promise Ă  un avenir de mĂšre de famille traditionnelle, cherche cependant Ă  s'Ă©manciper par le travail. Elle est toute disposĂ©e Ă  se mettre au service de M. James avec compĂ©tence et rĂ©serve, mĂȘme si elle considĂšre que, pour gagner sa vie, elle mĂ©rite mieux que cet emploi subalterne. Elle s'installe donc Ă  Ry, petite ville guindĂ©e du Sussex et s’acquitte de sa tĂąche. Il s'agit de prĂ©parer une Ă©dition complĂšte, corrigĂ©e et commentĂ©e de l’Ɠuvre de James. Dans cette maison de Lamb house » vivent, autour de M. James des domestiques discrets, des invitĂ©s parfois exubĂ©rants et extravagants et mĂȘme le chien Max qui complĂšte agrĂ©ablement le tableau. Frieda y rencontre a romanciĂšre amĂ©ricaine Edith Warthon 1862-1937, Morton Fullerton, journaliste amĂ©ricain, correspondant du Times Ă  Paris, amant de cette derniĂšre et ami de M. James. Avec lui elle noue une relation cordiale et respectueuse au dĂ©but, la promesse d'une future vie commune et mĂȘme une relation amoureuse mĂȘme si cette derniĂšre, par sa rapiditĂ©, est quelque peu en contradiction avec le puritanisme de l'Ă©poque. En rĂ©alitĂ© c'est plutĂŽt un marchĂ© autour de lettres jugĂ©es compromettantes pour lui qu'elle est chargĂ©e de rĂ©cupĂ©rer, mĂȘme si pour cela, et contrairement Ă  l'Ă©ducation qu'elle a reçue de sa mĂšre, elle doit trahir le naĂŻf M. James. Elle le fera par amour mais le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements lui rĂ©vĂ©lera le cynisme de M. Fullerton et finalement orientera sa vie future. De son propre aveu, l'auteur prĂ©cise qu'il prend des libertĂ©s avec la personnalitĂ© de Miss Worth, encore qu'on peut aisĂ©ment imaginer qu'elle ait pu obĂ©ir Ă  l'invitation de M. James de profiter de la vie[ Profitez de la vie autant que vous le pouvez, c'est une erreur de ne pas le faire »]. Ce qui est sĂ»r en revanche c'est que Theodora Bosanquet a eu aprĂšs la mort de M. James des communications avec lui par le biais du spiritisme, ce qui, en quelques sortes prolongea la fonction de dactylographe de cette derniĂšre. L'auteur la rend Ă©galement rĂ©ceptive Ă  la tĂ©lĂ©pathie pratiquĂ©e, par l’intermĂ©diaire de sa Remington, avec le mĂȘme M. Fullerton ! Cela peut paraĂźtre un peu fantaisiste mais Heynz a choisi de rendre compte, par ce biais de l'intĂ©rĂȘt que portait Thoedora Bosanquet aux phĂ©nomĂšnes paranormaux. En rĂ©alitĂ©, Frieda prend de plus en plus d'importance au sein mĂȘme de cette famille puisque, au dĂ©part, on considĂ©rait qu'une simple dactylographe ne fournissait qu'une prestation, n'Ă©tait pas obligĂ©e de comprendre ce qu'elle tapait et n'Ă©tait que le simple prolongement de sa machine. Au fur et Ă  mesure du rĂ©cit, et notamment Ă  l'invitation de la niĂšce de M. James, elle s'impose Ă©galement, loin des esprits frappeurs, des guĂ©ridons et autres sĂ©ances d'invocation, comme une sorte de mĂ©dium entre cette derniĂšre et une tante dĂ©cĂ©dĂ©e. Sa machine va donc devenir une sorte d'instrument de l'Ă©criture automatique » et Frieda un truchement indispensable dans ce phĂ©nomĂšne. Aux yeux de M. James, elle prend aussi une autre dimension qui dĂ©cide de sa vie future. En revanche, elle ne va pas tarder Ă  s'apercevoir de la duplicitĂ©, de l'hypocrisie et de la trahison qui animent les diffĂ©rents membres de ce microcosme comme toutes les sociĂ©tĂ©s humaines qui en sont friandes. M. James, lui, semble Ă  part, comme dans une bulle, uniquement prĂ©occupĂ© par son Ă©criture. Ainsi l'auteur en profite-t-il pour parler de la mort, de la vie, de la notoriĂ©tĂ©, de la renonciation, en les relativisant La vie nous trahit, seul l'art ne déçoit pas ». Dans ce lieu un peu Ă  part, le lecteur voit peu Ă  peu apparaĂźtre des thĂšmes consacrĂ©s aux suffragettes, au spiritisme et aux techniques nouvelles, traduisant des prĂ©occupations en vogue Ă  l'Ă©poque victorienne mais aussi des comparaisons entre l'ancien et le nouveau monde, William James, le frĂšre d'Henry rĂ©sidant avec sa famille aux États-Unis. Miss Worth est donc le tĂ©moin privilĂ©giĂ© d'un monde auquel elle n'appartenait pas au dĂ©but mais qu'elle parvient cependant Ă  maĂźtriser. La scĂšne finale, dans le brasier qui se consume est rĂ©vĂ©latrice et Frieda n'est plus une simple secrĂ©taire, elle devient l'Ă©gal de James face Ă  la vie. C'est un peu comme s'il lui passait un relais de l'Ă©criture. Quant Ă  Heyns, sans tomber dans le plagiat, il rend fort bien l'ambiance des Ɠuvres de James. L'hommage qu'ainsi il lui rend est de qualitĂ©. J'avoue volontiers que, malgrĂ© quelques remarques sur la vraisemblance de certains Ă©pisodes, ce roman m'a procurĂ© un bon moment de lecture. Traduit de l'anglais Afrique du sud par Françoise Adelstain N°619– Janvier 2013. ©HervĂ© GAUTIER – Janvier Chien du Heaume - Justine NIOGRET MnĂ©mos Ă©ditions Nous sommes au Moyen-Age et Chien de Heaume est le nom d'une jeune femme, pas vraiment belle et mĂȘme plutĂŽt laide, devenue mercenaire par amour de la libertĂ©. Elle n'Ă©chappe pas aux clichĂ©s convenus et n'est pas la derniĂšre pour tuer et semer la terreur autour d'elle. En rĂ©alitĂ©, le lecteur apprend trĂšs tĂŽt que l'objet de sa vĂ©ritable motivation est seulement... son nom, qu'elle dit avoir perdu depuis son enfance. Elle n'a pour richesse qu'un mĂ©daillon et ses armes et plus spĂ©cialement une hache sur laquelle apparaĂźt un dĂ©cor de serpent. Elle les tient de son pĂšre et sa hache est semblable Ă  celle que possĂšde le Chevalier Sanglier mais ce dernier ne sait pas la renseigner. Pourtant elle est dĂ©tentrice d'un secret. Elle a vu mourir son pĂšre dans un combat simulĂ© qu'il avait lui-mĂȘme provoquĂ© avec sa fille. Ainsi, il a voulu l'initier Ă  l'art de la lutte, comme un rite de passage, lui transmettre un savoir qui garantirait sa vie dans un monde hostile. Il a aussi choisi sa mort, volontairement, en prĂ©fĂ©rant la hache qu'il allait lui lĂ©guer parce que la vie lui Ă©tait devenue insupportable. Il a voulu entrer dans le nĂ©ant en intronisant sa fille Ă  une existence qu'il menait lui-mĂȘme, celle d'un mercenaire, avide de sang et de batailles et qui serait dorĂ©navant la sienne ! Dans sa quĂȘte qui la mĂšne de chĂąteau en chĂąteau, elle va croiser des personnages tels qu'on se les imagine, batailleurs, violents, durs, Ă  cent lieux de l'amour courtois et des troubadours. Le seigneur Bruec, le chevalier Sanglier, est l'un d'eux et une amitiĂ© va naĂźtre qui les aidera Ă  se dĂ©couvrir l'un l'autre. L'auteur se livre ici Ă  une vĂ©ritable reconstitution historique oĂč se mĂȘle l'imaginaire. Elle transporte le lecteur dans un autre temps, une autre ambiance, dans un climat glacial, une terre inhospitaliĂšre, des chĂąteaux froids et sombres. Rien ne manque dans ce dĂ©cor que les mots accompagnent, les campagnes dĂ©solĂ©es et brumeuses, les paysans pauvres et superstitieux, les famines, les forĂȘts mystĂ©rieuses qui abritent des enfants-fĂ©es et des necrebestes, les combats sans merci, les lĂ©gendes et les monastĂšres perdus, les champs de bataille et les animaux fabuleux, les morts violentes, l'exil, l'errance, la magie... En revanche, il n'y a pas d'Ă©rotisme comme on pourrait s'y attendre, mĂȘme pas d'amours entre Chien et Sanglier, le peu d'appas de l'hĂ©roĂŻne ne les suscite pas. Il y a en revanche beaucoup de sang et de violence. Le narrateur qui est en fait un conteur, comme au Moyen-Age, raconte cette histoire, intervient parfois dans le rĂ©cit pour une explication. Elle nous averti d'ailleurs Les conteurs sont une race Ă©trange... leur langue ne sait jamais se taire. On les aime... mais on les craint ... Eux peuvent couper les Ăąmes avec un seul mot... Ils sont Ă  la frontiĂšre de notre monde et de l'autre, celui oĂč dorment merveilles et monstres et de lĂ  vient tout leur pouvoir. ». Chien de Heaume est un personnage tourmentĂ©, solitaire, dĂ©sespĂ©rĂ© mĂȘme. Sa quĂȘte se dĂ©cline Ă  travers divers personnages qu'elle rencontre, du chevalier Sanglier Ă  Orains et au forgeron Rehegir et le temps qui passe s'Ă©grĂšne Ă  travers les saisons. On songe un peu Ă  un personnage d'un BD fantasie » suivant la dĂ©finition officielle genre situĂ© Ă  la croisĂ©e du merveilleux et du fantastique qui prend ses sources dans l'histoire, les mythe, les contes et la science-fiction » comme la couverture le suscite. Le livre se lit rapidement et l'intrigue est passionnante. On a cependant l'impression qu'elle pourrait ainsi durer plus longtemps. Le thĂšme de la quĂȘte, trĂšs en vogue Ă  cette Ă©poque, entretient le suspense mĂȘme si le lecteur reste un peu sur sa faim et si on peut dĂ©plorer le cĂŽtĂ© un peu trop gore. ©HervĂ© GAUTIER – n° 512 - mars 2011 CODE 1879 - Dan WADDELL Éditions Rouergue noir Cela commence plutĂŽt mal en ce matin d'hiver pour l'inspecteur principal Grant Foster et pour son assistante, le lieutenant Heather Jenkins on vient de trouver, prĂšs d'un cimetiĂšre londonien, le cadavre d'un homme poignardĂ© et qui, apparemment, a eu les mains amputĂ©es avant de mourir. De plus, le meurtrier a pris la prĂ©caution de graver sur le corps de sa victime une inscription Ă©nigmatique faite de chiffres et de lettres dont notre limier ne tarde pas Ă  s'apercevoir qu'elle fait rĂ©fĂ©rence Ă  la gĂ©nĂ©alogie. De plus, sur son portable, le dernier numĂ©ro composĂ© est 1879. Il n'y a pourtant pas de mobile apparent mais les recherches menĂ©es Ă  partir de l'indication tailladĂ©e sur la peau du mort font entrer en scĂšne Nigel Barnes, un gĂ©nĂ©alogiste professionnel, personnage Ă©tonnant et surtout dĂ©sargentĂ© ! Peu de temps aprĂšs, d'autres meurtres tout aussi mystĂ©rieux et rituels donnent Ă  penser qu'ils sont le fait du mĂȘme assassin et qu'ils en Ă©voquent cinq autres Ă©galement mystĂ©rieux, perpĂ©trĂ©s dans les bas-fonds du Londres victorien de 1879. On songe Ă  un remake de Jack L'Ă©ventreur ! A force de dĂ©pouiller les archives et les journaux de l'Ă©poque, ce qui ne fut pas un mince travail puisque les premiĂšres Ă©taient imprĂ©cises et les seconds trop marquĂ©s par leur Ă©poque, les enquĂȘteurs en arrivent Ă  la conclusion que, par delĂ  le temps, non seulement le meurtrier leur lance un dĂ©fi mais surtout un avertissement D'autres meurtres sont Ă  venir et la police, pour peu que ses investigations et ses raisonnements soient pertinents, dĂ©tient la clĂ© de l'Ă©nigme ! Un peu comme s'il avait lui-mĂȘme enclenchĂ© un compte Ă  rebours macabre. Pire peut-ĂȘtre puisque peu Ă  peu l'idĂ©e selon laquelle le passĂ© explique le prĂ©sent » s'impose. Ainsi Ă©tablit-on que la police de l'Ă©poque a, pour masquer son incompĂ©tence, largement contribuĂ© Ă  faire condamner et exĂ©cuter un innocent par la justice victorienne pour les cinq crimes non Ă©lucidĂ©s. Il se pourrait donc bien qu'un descendant du condamnĂ© revienne pour le venger en s'en prenant aux membres actuels de la famille de ceux qui, Ă  l'Ă©poque, avaient contribuĂ© Ă  cette erreur judiciaire ! D'ailleurs, pour qu'il n'y ait pas de doute Ă  ce sujet, le meurtrier prend bien soin d'Ă©voquer par des similitudes les meurtres de 1879. Une vengeance hors du temps en quelque sorte ! Foster ne pouvait guĂšre s'imaginer, au dĂ©but de cette enquĂȘte, qu'il y serait mĂȘlĂ© de si prĂšs. Je dois bien admettre que l'Ă©criture est quelconque et proche des romans de ce genre, mais peu importe puisque le suspens est bien au rendez-vous de ce polar palpitant. Les personnages ressemblent sans doute Ă  ceux qu'on s'attend Ă  rencontrer dans un roman policier, flic un peu marginal Ă  l'histoire personnelle mouvementĂ©e et mĂȘme accro Ă  l'alcool et au tabac, jeune femme dĂ©lurĂ©e, gĂ©nĂ©alogiste fauchĂ© mais Ă©rudit ... Cependant l'originalitĂ© de cette Ɠuvre tient sans aucun doute Ă  l'introduction de la gĂ©nĂ©alogie alors que, aujourd'hui, on s'attend davantage Ă  rencontrer des mĂ©thodes de police scientifique. Elles existent certes au cours de cette enquĂȘte, comme existe la drogue le GHB pour ĂȘtre prĂ©cis mais la gĂ©nĂ©alogie y tient une place Ă  part. Entre les atermoiements, les difficultĂ©s et mĂȘme les erreurs des policiers londoniens contemporains, le lecteur entre facilement dans ce jeu oĂč on lui propose des allers et retours entre le XIX° siĂšcle et aujourd'hui autant qu'une plongĂ©e dans cette Angleterre victorienne des bas-fonds. Je songe aussi au travail sans doute long et difficile que l'auteur a dĂ» accomplir non seulement pour rĂ©unir de la documentation mais aussi pour distiller ainsi le suspens et retenir, jusqu'Ă  la fin, l'attention de son lecteur. Traduit de l'anglais par Jean-RenĂ© Dastugue. J'ai bien aimĂ© cette Ɠuvre, la premiĂšre traduite en français, d'un auteur que je ne connaissais pas mais dont je lirai assurĂ©ment les suivantes. © HervĂ© GAUTIER - N° 555 – FĂ©vrier 2012 La vie est belle - Un film de et avec Roberto BENIGNI 1997 Nous sommes en 1938 en Italie. Ce film met en scĂšne Guido Roberto Benigni, un serveur juif-italien excentrique, plein de joie de vivre, un peu dragueur et gaffeur qui souhaite ouvrir une librairie et passe son temps Ă  deviner des rĂ©bus que lui propose un client de l'hĂŽtel oĂč il travaille. Il est d'autant plus extravagant qu'il tombe amoureux de Dora Nicoletta Braschi, une jeune institutrice et cherche toutes les occasions de se faire remarquer. C'est plutĂŽt mal engagĂ© pour lui puisqu'elle est fiancĂ©e Ă  un notable fasciste, mais Guido finit par l'Ă©pouser et Ă  avoir avec elle un petit garçon, GiosuĂ© Giorgio Cantarini. Malheureusement le rĂ©gime de Mussolini persĂ©cute les juifs et, quelques annĂ©es plus tard toute la famille est envoyĂ©e dans un camp d'extermination. RestĂ© avec son fils, Guido va lui faire croire que tout ce qu'il voit n'est qu'un jeu oĂč il faut accumuler des points pour gagner le premier prix qui est un vrai char d'assaut. Il est convenu de dire que ce film est une fable, une sorte de conte pour enfant. Benigni lui-mĂȘme l'a prĂ©tendu. Il n'y a en effet rien de vraiment rĂ©aliste dans ce dĂ©cor. Dans Arrezo oĂč il habite, Guido semble Ă©tranger Ă  la traque des juifs et ce film n'a rien de rigoureusement historique. Le camp est tout Ă  fait fictif et GiosuĂ© a beau se cacher, on a du mal Ă  croire Ă  la rĂ©alitĂ© de ce que l'on voit. MalgrĂ© le travail forcĂ© des prisonniers, le camp semble quelque peu surrĂ©aliste et tout ce qu'on sait de l'univers concentrationnaire ne se retrouve pas ici.[ Et si tout cela n'Ă©tait qu'un rĂȘve »]. Au dĂ©but la magie opĂšre dans les yeux de l'enfant qui croit l'histoire que son pĂšre lui raconte mĂȘme si, Ă  un certain moment il est le tĂ©moin d'une rĂ©vĂ©lation sur le vĂ©ritable but des nazis qui est l'Ă©limination des juifs. Pourtant, GiosuĂ© semble avoir tout compris mais continue de faire semblant, mĂȘme si cette histoire de char d'assaut qu'il avait fini par oublier, se transforme, Ă  son grand Ă©tonnement, en rĂ©alitĂ© par la libĂ©ration du camp par les troupes amĂ©ricaines. Guido lui-mĂȘme se prend au jeu, surtout quand il s'improvise traducteur de l'allemand qu'il ne parle pas et quand il dĂ©couvre le monceau d'ossements, il est complĂštement Ă©bahi et semble prendre enfin conscience de l'Ă©vidence. MĂȘme la mort de Guido ne parvient pas Ă  ĂȘtre triste parce qu'on songe, malgrĂ© nous peut-ĂȘtre Ă  celle d'un clown de cirque Ă  laquelle on ne croit pas et non Ă  celle d'un dĂ©portĂ© juif. Benigni donne ici toute sa mesure. Il rĂ©ussit Ă  nous faire sourire sur le thĂšme de la mort, sur celui de l’extermination des ĂȘtres humains par d'autres hommes, sur celui de la Shoah. L'auteur semble nous dire que l'humour sauve de tout, mĂȘme des pires choses, que c'est une bonne maniĂšre de rĂ©sister Ă  la noirceur, Ă  l'oppression. Non seulement ce n'est pas faux puisque l'humour juif existe mais il a bien dĂ» aider ce peuple dans son long combat pour l'existence. J'y ai vu une fabuleuse histoire d'amour, celle de Guido et de Dora Il fait tout pour la conquĂ©rir et elle qui n'est pas juive exige de suivre son mari et son fils dans le train de dĂ©portĂ©s. MalgrĂ© la sĂ©paration du camp, Guido lui fait constamment des signes qu'elle comprend et il mourra en tentant de la retrouver. C'est un peu comme si lui aussi cherchait Ă  se jouer une comĂ©die et Ă  se convaincre que tout ce camp n'est qu'un dĂ©cor et qu'il va la rejoindre. C'est aussi une histoire d'amour d'un pĂšre pour son fils Ă  qui il cherche Ă  cacher la vĂ©ritĂ©. MĂȘme si ce film est tragique par le thĂšme traitĂ©, par l’éclatement de cette famille qui ne demandait qu'Ă  ĂȘtre heureuse et par la mort qui rĂŽde, il ne faut pas oublier que ces faits, mĂȘme s'ils sont imaginaires, mĂȘme s'ils sont prĂ©sentĂ©s avec humour et surrĂ©alitĂ©, peuvent parfaitement se reproduire de nos jours et le nazisme peut prendre des formes inattendues mais bien rĂ©elles. De nombreux prix qui ont couronnĂ© ce film CĂ©sar du meilleur film Ă©tranger – Oscar du meilleur film Ă©tranger – Oscar du meilleur acteur pour Roberto Benigni – Oscar de la meilleure musique de film... Pour ma part, une fois l'Ă©cran devenu noir j'ai eu la certitude d'avoir assistĂ© Ă  une histoire poĂ©tique et pleine d'Ă©motion. [Cine + famiz – Mercredi 1° aoĂ»t 20h40.] HervĂ© GAUTIER - n° 591 - AoĂ»t 2012. Rien ne s'oppose Ă  la nuit - Delphine de VIGAN - JC LATTES Au dĂ©part les paroles d'une chanson d'Alain Bashung, un roman dont j'avais beaucoup entendu parler, couronnĂ© par un prix [Prix du roman Fnac 2011], un auteur qui commençait Ă  accĂ©der Ă  la notoriĂ©tĂ© et la couverture, avec ce beau visage de femme aux faux-airs de Jeanne Moreau jeune qui se trouve ĂȘtre celui de Lucile, la mĂšre de l'auteur. Ce roman, puisque c'en est un, s'ouvre sur la mort de Lucile, cette femme, qui, Ă  61 ans semble avoir choisi cette issue, pas vraiment un suicide mais quelque chose comme un refus de vivre, de vieillir et de souffrir. C'est donc un hommage Ă  cette mĂšre autant qu'une quĂȘte, qu'un travail de deuil qu'elle entreprend, une façon de rompre le silence qui l'entourait, de comprendre cette femme qui avait Ă©tĂ© sa mĂšre, une sorte d'inconnue... [ Lucile Ă©tait un rempart de silence autour du bruit »]. Pourtant l'auteur butte sur une sorte d'impossibilitĂ© [ Lucile avait Ă©difiĂ© les murs d'un territoire retirĂ© qui n'appartenait qu'Ă  elle, un territoire oĂč le bruit et le regard des autres n'existaient pas »] au point qu'elle demande des informations Ă  ses oncles et tantes. Elle veut comprendre pourquoi cette femme belle, intelligente mais triste, immature et dĂ©pressive, a pu en arriver lĂ . Qui Ă©tait donc cette Lucile, cette fille pas trĂšs intĂ©ressĂ©e par l'Ă©cole, rĂȘveuse mais intelligente et dĂ©terminĂ©e dont le charme dĂ©jĂ  en faisait l'enfant prĂ©fĂ©rĂ©e de Georges, son pĂšre ? Elle Ă©tait la troisiĂšme d'une grande famille dont trois garçons Ă©taient dĂ©cĂ©dĂ©s par suicide, ce qui lui a donnĂ© trĂšs tĂŽt l'image de la mort, de la tristesse, du silence, de l'absence dĂ©finitive. Dans sa parentĂšle, parmi ses amis ou les hommes qui ont fait un temps partie de sa vie, beaucoup ont ainsi choisi leur mort. On ne peut parler de sa mĂšre sans la rattacher Ă  l'univers familial. C'est en effet quelque chose qu'on ne manie pas facilement parce que, plus que d'autres sans doute, c'est un registre difficile Ă  cause de la mĂ©moire qui fait dĂ©faut par moments alors que parfois elle est Ă©tonnamment vive et prĂ©cise. Dans un tel travail d'Ă©criture, on est tentĂ© d'ĂȘtre opportunĂ©ment oublieux, voire de mauvaise foi, de rĂ©gler des comptes ou de se livrer Ă  une entreprise de thurifĂ©raire, autant d'actions contradictoires qui sont aussi des d'Ă©cueils. C'est que ce livre est un univers douloureux et quand on dĂ©cide d'explorer les arcanes de l'histoire intime d'une fratrie on finit par cĂŽtoyer l'envie, la jalousie, l'admiration, la vengeance. Le fantasme aussi s'installe quand les choses ne sont pas sĂ»res mais au fur et Ă  mesure qu'on avance dans l’introspection ou la dĂ©couverte, les ĂȘtres auparavant flous ou simplement idĂ©alisĂ©s prennent de la nettetĂ© et leurs contours se prĂ©cisent. Georges, le mari de Lucile, sous des dehors respectables Ă©tait un pĂšre nocif, destructeur et humiliant », Ă  l'attitude ambiguĂ« vis Ă  vis de ses filles, Lucile, sa propre mĂšre lui Ă©chappe peu Ă  peu. [ J'Ă©tais devenue son ennemie...je ne comptais plus. »] puis le mystĂšre lĂšve son voile sur d'autres facettes imprĂ©vues. DĂšs lors, le lecteur s’aperçoit que dans cette famille, comme dans bien d'autres, on cultive le non-dit, l'hypocrisie et le tabou. C'est que, Ă©crire un tel livre qui ressemble beaucoup Ă  une autobiographie, est un exercice dĂ©licat. C'est, sous couvert du classique devoir de mĂ©moire ou d'une catharsis, faire resurgir des souvenirs qu'on voulait oublier, redessiner la lente descente de cette femme vers la mort, Ă  travers une vie de couple difficile conclue par un divorce, des silences, des amours malheureuses et plurielles, des fragilitĂ©s, des failles, son mal de vivre, un cheminement avec la drogue et l'alcool, ses erreurs, ses dĂ©lires, ses engagements, ses dĂ©sespoirs, ses hospitalisations en service psychiatrique et anticancĂ©reux, ses guĂ©risons et ses rechutes, sa rupture progressive avec la vie sociale et avec sa famille, son refus des traitements... Celui qui tient le stylo est, en principe maĂźtre du jeu, il a le droit d'exercer son art, le devoir aussi sans doute et c'est ce qui motive l'auteur pour faire Ă  sa mĂšre ce cercueil de papier ». Mais je note aussi que, durant tout le rĂ©cit, l'auteur, Ă  plusieurs reprises, s'interroge sur sa propre dĂ©marche au point de s'impliquer directement [ Sans doute m'a-t-il semblĂ© que le je » pouvait s'intĂ©grer dans le rĂ©cit lui-mĂȘme... C'est un leurre, bien entendu... L'Ă©criture ne donne accĂšs Ă  rien »] ou simplement, Ă  cause de la perturbation qu'il lui cause, d'en arrĂȘter la rĂ©daction. DĂšs lors se pose la question de l'Ă©criture, de son impossibilitĂ©, des doutes qui la paralyse, des personnages qui Ă©chappent Ă  l'auteur, les interrogations jaillies de la lecture d'un journal intime ou d'une confidence, d'un souvenir. C'est un thĂšme fascinant que celui de l'Ă©criture et je ne perds jamais de vue l'opinion de Simenon qui juge que le mĂ©tier d'Ă©crivain s'inscrit dans le malheur parce que, lorsqu'on entreprend un tel travail, on n'en ressort pas indemne. On laisse dans cette dĂ©marche toujours un peu de ses illusions et de ses certitudes, on rĂȘve de revenir Ă  la facilitĂ© d'une fiction, d'avancer masquĂ© derriĂšre un personnage, on n'est pas sĂ»r d'arriver au bout de sa dĂ©marche mais malgrĂ© tout on en a un extraordinaire besoin. Il est convenu de dire que l'Ă©criture libĂšre... Je n'en suis pas certain. Au contraire peut-ĂȘtre ? Sous des dehors salvateurs et parfois exorcistes, elle a toutes les chances de brouiller un peu plus les cartes, d'engendrer des ruptures, des interrogations douloureuses qui resteront Ă  jamais sans rĂ©ponse. Et puis les choses se prĂ©cisent et l'auteur prend conscience autant qu'elle la craint, de l'hĂ©rĂ©ditĂ©, de la folie, de cette certitude qu'elle peut parfaitement la transmettre Ă  son tour Ă  ses enfants, l'intuition d'une sorte de destinĂ©e malsaine oĂč l'on rĂ©pĂšte, sans le vouloir, l'exemple dĂ©lĂ©tĂšre donnĂ© par les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes. Elle se rappelle avoir Ă©tĂ© victime d'anorexie qui est une maniĂšre de s’autodĂ©truire Que m'est-il restĂ©, le livre refermĂ© ? D'abord une impressionnante somme de notes destinĂ©es Ă  rĂ©diger cette chronique, preuve que ce livre ne m'a pas laissĂ© indiffĂ©rent et mĂȘme m'a interpellĂ©. Puis une impression de malaise, que ce que je viens de lire est en rĂ©alitĂ© un tĂ©moignage poignant et plein d'amour, Ă©crit non comme un roman mais avec la spontanĂ©itĂ© d'une femme qui cherche des rĂ©ponses avec, en contre-point, une sorte de fascination de la mort autant qu'un amour de sa mĂšre et de la vie. HervĂ© GAUTIER - n° 585 – Juillet 2012 Maman - Un film d'Alexandra LECLERE Alexandra LeclĂšre s'attaque encore une fois au drame de la famille. DĂ©jĂ , avec les sƓurs fĂąchĂ©es » la Feuille Volante n° 554 elle avait mis en scĂšne deux femmes que tout opposait. Ici, ce sont Ă©galement deux sƓurs, Sandrine Mathilde Seigner et Alice Marina FoĂŻs, la quarantaine, parisiennes, mais bien diffĂ©rentes l'une de l'autre qui voient, tout d'un coup, leur mĂšre, Pauline, divorcĂ©e Josiane Balasko dont elles n'avaient pas de nouvelles depuis vingt ans, dĂ©barquer dans la capitale parce qu'elle a Ă©tĂ© abandonnĂ©e par l'homme avec qui elle vivait. Cette mĂšre acariĂątre, excessive et Ă©goĂŻste compte sur ses filles pour la seconder, l'aider dans sa nouvelle vie et peut-ĂȘtre aussi lui faire oublier son Ă©chec sentimental. C'est surtout l'occasion pour elles de rĂ©gler avec leur mĂšre un vieux compte. Elle ne les a jamais aimĂ©es, elle n'a jamais su ĂȘtre maternelle bref elle n'a Ă©tĂ© pour ses filles qu'une vĂ©ritable Ă©trangĂšre. Elles vont donc la kidnapper le temps d'un week-end dans un manoir breton pour lui faire prendre conscience de ses carences affectives et l'obliger enfin Ă  les aimer. Au dĂ©but c'est Sandrine qui ouvre le bal et s'oppose ouvertement Ă  sa mĂšre alors que sa sƓur paraĂźt vouloir rechercher un compromis. Alice, plus docile, semble mĂȘme ĂȘtre Ă  la traĂźne de sa sƓur, mais, tout d'un coup, elle prend conscience que l'occasion est trop belle et sort de ses gonds. C'est Ă  cause de cette mĂšre indigne que ses filles ont manquĂ© d'amour, que Alice passe son temps Ă  refuser la maternitĂ© en se faisant avortĂ©e et que Sandrine a une vie sentimentale dĂ©cousue. Des claques volent en mĂȘme temps que des mots durs mais aussi des menaces de mort... Alice et Sandrine veulent faire payer Ă  Pauline tout ce temps perdu, toutes ces occasions manquĂ©es. Chacun finit par s'expliquer et il n'y a rien de manichĂ©en dans cette situation. Il y a une opposition entre le calme de la mer et la violence des scĂšnes de ce film prĂ©figurant peut-ĂȘtre la rĂ©conciliation du dĂ©nouement qui se conclue par une sorte de happy end », si on veut le voir comme cela, dans le fait que Sandrine qui Ă©tait la plus remontĂ©e contre sa mĂšre, Ă  tel point qu'elle ne pouvait mĂȘme pas l'appeler maman », lui donne enfin ce titre. Il y a sans doute de l'autobiographie dans ce film, mais nous sommes nombreux sans doute Ă  avoir souffert de l'abandon ou de l'indiffĂ©rence de nos parents. L'amour maternel est une sorte de fantasme que nombre d'Ă©crivains et de poĂštes ont cĂ©lĂ©brĂ© et qui a Ă©tĂ©, en quelque sorte, sanctifiĂ©e par une fĂȘte annuelle, mĂȘme si celle-ci nous vient des temps contestĂ©s du pĂ©tainisme. A mes yeux, c'est plutĂŽt bien d'avoir montrĂ© que toutes les femmes ne sont pas maternelles, et pourquoi le seraient-elles d’ailleurs ? Nous avons tous vĂ©cu avec cette sorte d'image d’Épinal oĂč la femme devenue mĂšre se sacrifiait pour ses enfants. Il suffit de promener son regard sur notre sociĂ©tĂ©, d'Ă©couter parler les gens, de recueillir leur tĂ©moignage pour se persuader que toutes les grandes idĂ©es qu'on peut avoir sur la famille en gĂ©nĂ©ral et sur les mĂšres en particulier se rĂ©vĂšlent souvent ĂȘtre des idĂ©es fausses mais qu'on transforme rapidement en tabou pour Ă©viter de les Ă©voquer. AprĂšs tout, toutes les petites filles n'ont pas jouĂ© Ă  la poupĂ©e au sortir du berceau et si, mariĂ©es, elles ont donnĂ© la vie, ce n'Ă©tait pas forcĂ©ment par dĂ©sir mais on peut imaginer qu'elles l'ont fait par hasard, par erreur, par accident ou pour satisfaire Ă  un besoin de descendance de leur famille. L'amour n'est pas forcĂ©ment au rendez-vous et elles ne sont pas, dans ces conditions, tenues d'aimer leur rejetons. Tant pis pour eux, il faudra qu'ils s'y fassent, qu'ils vivent avec ce manque toute leur vie et qu'ils parviennent, peut-ĂȘtre Ă  le surmonter ! Ce film, mĂȘme s'il comporte des longueurs inĂ©vitables compte tenu du thĂšme traitĂ© n'est pas une fable, pas une fiction, bien au contraire, c'est un drame, une histoire banale mais douloureuse qui malheureusement se reproduit trop souvent et gĂ©nĂšre injustices et traumatismes pour les enfants qui sont, bien souvent, les seuls Ă  payer. HervĂ© GAUTIER - n° 577 - Mai 2012 Le crabe-tambour – Un film de Pierre SHOENDOERFFER 1977 Le 14 mars 2012, Pierre ShƓndƓrffer nous quittait Ă  l'Ăąge de 83 ans. La RĂ©publique et l'armĂ©e ont rendu un hommage solennel aux Invalides, en prĂ©sence du Premier ministre et du ministre de la culture Ă  celui qui s'Ă©tait engagĂ© dans le service cinĂ©matographique des armĂ©es en Indochine jusqu'Ă  la dĂ©faite de DiĂȘn BiĂȘn Phu. Il avait continuĂ© sa vie en tant que photographe de presse, cinĂ©aste et romancier, se situant dans la lignĂ©e prestigieuse des Ă©crivains de marine. L'histoire tout d'abord. Elle est suggĂ©rĂ©e par un roman Ă©ponyme de ShƓndƓrffer paru chez Grasset Grand prix du roman de l'AcadĂ©mie Française, inspirĂ© par la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume. Il retrace la derniĂšre mission d'un capitaine de vaisseau, homme austĂšre, dĂ©vorĂ© par un cancer, Jean Rochefort dit le vieux » qui reprend un commandement Ă  la mer sur l'escorteur d'escadre JaurĂ©guiberry » dont c'est le dernier voyage avant sa rĂ©forme dĂ©finitive. Il s'agit d'assurer une mission de surveillance et d'assistance aux chalutiers français pĂȘchant sur les bancs de Terre-Neuve. Pourtant c'est un peu plus que cela, c'est un retour dans le passĂ© puisque le vieux » veut revoir une derniĂšre fois son ami et compagnon d'armes, l'ancien lieutenant de vaisseau Willsdorff, dit le crabe-tambour » Jacques Perrin devenu capitaine de chalutier dans ce Grand Nord dĂ©solĂ©, fuyant ainsi l'espĂšre humaine avec, comme toujours, un chat noir sur l'Ă©paule. C'est Pierre Claude Rich, le mĂ©decin du bord, qui en a parlĂ© le premier sur la passerelle Vous connaissez Willsdorff ?». Lui Ă©tait son ami en Indochine et souhaite le revoir une derniĂšre fois. C'est la vraie raison de son rengagement et de sa prĂ©sence Ă  bord. AprĂšs la dĂ©faite française, il est restĂ© lĂ -bas pour soigner ses anciens ennemis. Il a pourtant Ă©tĂ© expulsĂ© du Viet-Nam. Le commandant, habile manƓuvrier, confie au mĂ©decin son corps meurtri par la maladie mais aussi son Ăąme tourmentĂ©e d'homme dĂ©jĂ  mort » en l'invitant chaque jour Ă  sa table. Il est Ă©videmment question de Willsdorff, ce mythique soldat perdu qu'ils ont connu sĂ©parĂ©ment. Pourtant, cette rencontre n'aura lieu qu'en filigrane, avec une grande Ă©conomie de mots, comme si, malgrĂ© son ultime dĂ©marche, le commandant ne pouvait plus parler Ă  cet ami, comme si c'Ă©tait trop tard, comme s'il n'avait plus rien de commun avec lui, comme s'ils n'Ă©taient plus l'un pour l'autre que deux fantĂŽmes. Cette idĂ©e est suggĂ©rĂ©e dans la scĂšne du transfert du courrier oĂč les deux bĂątiments se cĂŽtoient, une trace sur l'Ă©cran radar, la radio qui grĂ©sille, rien que quelques mots convenus trop lourds de passĂ©, un salut de sirĂšne, une page qui se tourne, dĂ©finitivement ! Adieu » ne cesse de rĂ©pĂ©ter Willsdorff, Aperçu » fait simplement rĂ©pondre le commandant par le timonier. Seul Pierre Ă©changera quelques mots amicaux et complices avec Willsdorff et le chalutier s'Ă©loignera. Cette quĂȘte est alimentĂ©e en flash-back par des Ă©vocations de gens qui l'ont Ă©galement connu, le commandant puis Pierre, le narrateur de ce rĂ©cit, mais aussi le chef mĂ©canicien, dit le chef », alcoolique et catholique pratiquant Jacques Dufilho et ses histoires loufoques du pays bigouden, chacun apportant tĂ©moignages et souvenirs de cet homme hors du commun ayant combattu en Indochine. Ils Ă©voquent, chacun Ă  leur maniĂšre et avec des anecdotes, le parcours militaire de cet officier fidĂšle Ă  son engagement et Ă  lui-mĂȘme, Ă  son sens de l'honneur, qui est exclu de l'armĂ©e, jugĂ© pour dĂ©sobĂ©issance et rĂ©bellion. une histoire de mer et de discipline poussĂ©e jusqu'Ă  l'absurde » Cela sonne comme un hommage, comme un remerciement Ă  quelqu'un qui a refusĂ© la compromission face Ă  un choix. Dans ce film il y aussi un questionnement chrĂ©tien et mĂȘme profondĂ©ment humain qui m'interpelle, mĂȘme s'il passe quelque peu au second plan. C'est celui qui est Ă©voquĂ© par La parabole des talents », texte de l'Évangile qui invite chaque homme Ă  s'interroger sur le sens de son passage sur terre et sur l'usage qu'il a fait des facultĂ©s qu'il a reçues Ă  sa naissance, sur la fidĂ©litĂ© aussi. Qu'as-tu fait de ton talent ? », Celui qui ne fait pas fructifier ce qu'il a reçu du Seigneur sera jetĂ© dans les tĂ©nĂšbres extĂ©rieurs », rappelle le chef ». C'est aussi l'occasion pour l'auteur d'assĂ©ner des aphorismes Qui ĂȘtes-vous pour le juger ? » de rappeler que le choix de l'homme n'est pas forcĂ©ment entre le bien et le mal, mais entre un bien et un autre bien ». Le nom mĂȘme de Pierre ShƓndƓrffer Ă©voque des films devenus mythiques qu'il a rĂ©alisĂ©s La 317° section » 1964, L'honneur d'un capitaine » 1982 qui s'interrogent tous sur les guerres coloniales françaises, sur les militaires eux-mĂȘmes Plus que Ramutcho »1958 et PĂȘcheurs d'Islande »1959 qui sont des adaptations des romans de Pierre Loti et qui ne rencontrĂšrent guĂšre le succĂšs, Pierre ShƓndƓrffer s'attacha toujours Ă  Ă©voquer l'aventure humaine, tĂ©moin La passe du diable » 1956 qui est une adaptation du roman de son ami Joseph Kessel mais aussi la dure rĂ©alitĂ© de la guerre, sur les questions qu'elles posent, les personnalitĂ©s qu'elles rĂ©vĂšlent [ DiĂȘn BiĂȘn Phu »1992]. C'est que les personnages de ces films s'inspirent tous d'hommes ayant rĂ©ellement existĂ©, tĂ©moignent de leur parcours personnel, de leurs questionnements intimes sur leur mission, sur leur vie. Chacun Ă  sa maniĂšre, ils ont nourri l'Ɠuvre de ShƓndƓrffer. C'est pour moi un film Ă©mouvant. Il ne s' agit pas ici de polĂ©miquer sur la guerre mais de porter un regard, mais pas un jugement, sur les hommes de tout grade qui l'ont faite, de l'engagement de ces soldats perdus, de leur courage, de leur abnĂ©gation, de leur obligation d'obĂ©ir aux ordres face Ă  leur conscience, valeurs aujourd'hui contestĂ©es, et mĂȘme regardĂ©es comme dĂ©suĂštes dans une sociĂ©tĂ© sans boussole. L'auteur porte tĂ©moignage de ces conflits dĂ©criĂ©s, volontairement oubliĂ©s et parfois mĂȘme injustement rejetĂ©s par la communautĂ© nationale, de ces soldats oubliĂ©s. © HervĂ© GAUTIER - n° 562 – Mars 2012 Un magistrat en guerre contre le nazisme - D TANTIN 1939–1945 Delphin DEBENEST, Un magistrat en guerre contre le nazisme - Dominique Tantin – Geste Editions. Lorsqu'il m'arrivait d'aller Aux Iles » d'EchirĂ©, cette splendide demeure qui donne sur la SĂšvre et qui fut naguĂšre la maison d'un poĂšte, j'y entendais Ă©voquer Ernest Perrochon par la bouche de sa fille. Elle entretenait vivant le souvenir de ce pĂšre, Ă©crivain et Prix Goncourt 1920, qui avait, entre autre, refusĂ© de cautionner le rĂ©gime de Vichy et avait fini par succomber aux harcĂšlements de l'occupant. J'y rencontrais aussi son gendre, Delphin Debenest, qui s'occupait plus volontiers de son jardin. Il Ă©tait cet homme tranquille qui ne parlait jamais de lui, souhaitait rester simple et donner l'image d'un retraitĂ©. Comme tout le monde, je savais qu'il avait Ă©tĂ© magistrat, que sa carriĂšre, commencĂ©e Ă  Niort comme substitut, avait Ă©tĂ© interrompue par la guerre, pour se terminer comme PrĂ©sident de chambre Ă  la cour d'appel de Paris. C'Ă©tait Ă  peu prĂšs tout, et pour tous, il Ă©tait un citoyen comme les autres... Il Ă©tait pourtant bien plus que cela et sa frĂȘle silhouette cachait un parcours hors du commun. MobilisĂ© en 1939 comme homme du rang, il tiendra un journal de cette drĂŽle de guerre », dĂ©crivant la dĂ©bĂącle de l'armĂ©e, dĂ©nonçant l'attitude dĂ©sastreuse du commandement, la dĂ©fection des officiers... Il y a beaucoup de luciditĂ© dans ses propos. AprĂšs sa dĂ©mobilisation, en 1941, il retrouve ses fonctions de substitut dans une France vaincue et occupĂ©e et s'engage dans la RĂ©sistance. Il sera un agent de renseignements de la rĂ©sistance franco-belge, communiquant des informations d'ordre administratives aux rĂ©seaux de la Vienne et des Deux-SĂšvres, profitant de ses fonctions de magistrat en place pour combattre un rĂ©gime qu'il dĂ©sapprouvait mais dont il Ă©tait pourtant le reprĂ©sentant, permettant Ă  de nombreux Français, traquĂ©s par la police française et par la Gestapo, de leur Ă©chapper, disqualifiant des dĂ©lits pour permettre aux prĂ©venus d'Ă©chapper Ă  la justice et de fuir ... C'est qu'un dilemme important se posait Ă  lui. Il se mettait ainsi hors la loi, lui qui Ă©tait censĂ© l'incarner, alors qu'humaniste convaincu, il Ă©tait animĂ© d'une certaine idĂ©e des droits de l'homme » et que, chrĂ©tien fervent, il puisait dans l'Évangile les raisons de son engagement et de son action. Il sut faire un choix qui n'Ă©tait pas sans grandeur, entre l'accomplissement de son travail, et donc courir le risque de se faire Ă  lui-mĂȘme des reproches, et pratiquer la dĂ©sobĂ©issance civique et ainsi mettre sa vie et celle de sa famille en danger. RestĂ© en poste, il rendit Ă  la RĂ©sistance plus de services que s'il avait choisi la clandestinitĂ© ou le maquis. Ils furent en effet peu nombreux, les membres de la magistrature qui, Ă  cette Ă©poque, acceptĂšrent cette dissidence ». ArrĂȘtĂ© en juillet 1944, il est dĂ©portĂ© Ă  Buchenvald puis au commando d'Holzen d'oĂč il s'Ă©chappe, profitant de la dĂ©bandade des nazis. Choisi pour faire partie de la dĂ©lĂ©gation au procĂšs de Nuremberg en qualitĂ© de procureur adjoint, il aura le privilĂšge d'ĂȘtre le juge de ses bourreaux ». Pendant toute cette pĂ©riode il prend des notes au jour le jour » qui montrent le quotidien dans ce camp de concentration oĂč tout devient banal, la faim, la souffrance, la mort ! Plus tard, lors du procĂšs, il sera plus prĂ©cis dans la relation qu'il en fait, plus critique aussi au regard des arguments dĂ©veloppĂ©s par la dĂ©fense, sans cependant se dĂ©partir de son humanitĂ© et soucieux de ne pas obtenir vengeance Ă  tout prix mais qu'une justice Ă©quitable soit rendue. De retour en France, il devint un militant de la mĂ©moire pour que tout cela ne se reproduise plus. Il s'agit d'un tĂ©moignage Ă©crit, non destinĂ© Ă  la publication, uniquement appelĂ© Ă  garder pour lui seul, le souvenir personnel de toute cette pĂ©riode dont il veut en conserver seul le souvenir et aussi les traces ineffaçables » et ne pas attirer l'attention sur lui ». Le lecteur y rencontre un narrateur qui veut, dans le camp, garder sa dignitĂ© et conserver intacte sa foi en la vie et en l'espoir de rentrer chez lui. On songe bien sĂ»r Ă  Jorge Semprun. Il continuera, pendant toute cette pĂ©riode, de transcrire pour lui-mĂȘme, ses impressions et ses remarques, sous forme d'un simple tĂ©moignage. En fait, c'est beaucoup plus que cela, et il ne se fait aucune illusion sur l'intĂ©rĂȘt que pourront montrer ses contemporains, et encore moins de la compassion qu'ils pourront Ă©prouver. Sur son action de RĂ©sistant, il reste discret et se qualifie lui-mĂȘme de modeste agent de renseignements d'un rĂ©seau » dont l'action n'eut rien de spectaculaire ». Ces Ă©crits n'ont Ă©tĂ© exhumĂ©s aprĂšs sa mort survenue en 1997, que grĂące Ă  la complicitĂ© de sa famille et publiĂ©s en marge d'un travail universitaire de Dominique Tantin dans le cadre de la soutenance d'une thĂšse de doctorat. Ce travail reste pĂ©dagogique puisque les Ă©crits de Delphin Debenest ont Ă©tĂ© scrupuleusement retranscrits, annotĂ©s de commentaires et enrichis de citation d'historiens. Son histoire individuelle rejoint donc l'Histoire. Pourtant, la mĂ©moire collective n'a pas conservĂ© le souvenir de cet authentique rĂ©sistant » qui regardait sa pĂ©riode de sa vie comme malheureuse aventure » qu'il souhaitait oublier. Il avait seulement fait son devoir, c'est Ă  dire agi conformĂ©ment Ă  sa conscience et son destin fut exceptionnel. De ce parcours, nulle trace officielle, simplement des dĂ©corations prestigieuses simplement rangĂ©es de son vivant et qui attestaient cet engagement. Il eut mĂȘme la dĂ©sagrĂ©able occasion de constater que sa carriĂšre eut Ă  pĂątir de son action patriotique et que d'autres collĂšgues, moins soucieux que lui de leur devoir et plus attentifs Ă  leurs intĂ©rĂȘts personnels, ont su tirer partie des Ă©vĂ©nements Ă  leur profit. C'est lĂ  un autre dĂ©bat sur l'opportunisme et l'ingratitude. Il faut remercier Dominique Tantin d'avoir ainsi mis en lumiĂšre la mĂ©moire de cet homme d'exception que sa modestie rendait plus grand encore. sous forme d'un simple tĂ©moignage. En fait, c'est beaucoup plus que cela, et il ne se fait aucune illusion sur l'intĂ©rĂȘt que pourront montrer ses contemporains, et encore moins de la compassion qu'ils pourront Ă©prouver. Sur son action de RĂ©sistant, il reste discret et se qualifie lui-mĂȘme de modeste agent de renseignements d'un rĂ©seau » dont l'action n'eut rien de spectaculaire ». Ces Ă©crits n'ont Ă©tĂ© exhumĂ©s aprĂšs sa mort survenue en 1997, que grĂące Ă  la complicitĂ© de sa famille et publiĂ©s en marge d'un travail universitaire de Dominique Tantin dans le cadre de la soutenance d'une thĂšse de doctorat. Ce travail reste pĂ©dagogique puisque les Ă©crits de Delphin Debenest ont Ă©tĂ© scrupuleusement retranscrits, annotĂ©s de commentaires et enrichis de citation d'historiens. Son histoire individuelle rejoint donc l'Histoire. Pourtant, la mĂ©moire collective n'a pas conservĂ© le souvenir de cet authentique rĂ©sistant » qui regardait sa pĂ©riode de sa vie comme malheureuse aventure » qu'il souhaitait oublier. Il avait seulement fait son devoir, c'est Ă  dire agi conformĂ©ment Ă  sa conscience et son destin fut exceptionnel. De ce parcours, nulle trace officielle, simplement des dĂ©corations prestigieuses simplement rangĂ©es de son vivant et qui attestaient cet engagement. Il eut mĂȘme la dĂ©sagrĂ©able occasion de constater que sa carriĂšre eut Ă  pĂątir de son action patriotique et que d'autres collĂšgues, moins soucieux que lui de leur devoir et plus attentifs Ă  leurs intĂ©rĂȘts personnels, ont su tirer partie des Ă©vĂ©nements Ă  leur profit. C'est lĂ  un autre dĂ©bat sur l'opportunisme et l'ingratitude. Il faut remercier Dominique Tantin d'avoir ainsi mis en lumiĂšre la mĂ©moire de cet homme d'exception que sa modestie rendait plus grand encore. HervĂ© GAUTIER - n° 323 – FĂ©vrier 2009 Les Enfants du Marais – Un film de Jean BECKER 1999 Il est des films qui s'inscrivent dans notre mĂ©moire Ă  cause des distinctions qu'ils reçoivent, de la notoriĂ©tĂ© qu'ils obtiennent grĂące Ă  la mĂ©diatisation au moment de leur sortie en salles, de l'histoire qu'ils Ă©voquent, des acteurs qui servent leur scĂ©nario, des paysages qu'ils offrent...Il en est d'autres, au contraire, dont nous nous souvenons avec prĂ©cision sans trop savoir pourquoi, peut-ĂȘtre parce qu'ils nous ressemblent et Ă©voquent une partie de notre parcours. les enfants du marais » est de ceux-lĂ . Pourtant, il raconte une histoire bien banale, celle d'une rencontre de deux hommes devenus amis presque par hasard. Garris[Jacques Gamblin], un homme encore jeune, sans famille, sans attache ni fortune qui revient de cette grande boucherie de 14-18 qui l'a profondĂ©ment marquĂ©. Il croise un vieil homme[Jacques Dufilho] qui habite dans une pauvre masure prĂšs d'un Ă©tang en Bourgogne et qui l'y invite. Rapidement, il meurt en lui laissant tout ce qu'il possĂšde, cette cabane en planches et quelques lignes pour la pĂȘche Ă  la grenouille. Il s'installe donc ici et rencontre Riton [Jacques Villeret] qui vit ici depuis toujours avec sa deuxiĂšme femme et ses trois enfants. Autant le premier est gĂ©nĂ©reux et courageux, autant le second est paresseux, roublard et alcoolique. Garris l'entraine pourtant Ă  travailler pour survivre. Une vĂ©ritable amitiĂ© nait entre eux et ensemble, ils se font, au rythme de l'annĂ©e, chanteurs de rues, marchands d'un peu de tout, fournisseurs de grenouilles ou d'escargots pour les restaurants de la ville d'Ă  cĂŽtĂ©. AprĂšs tout, ils ne possĂšdent que leur vie dans ce coin de France oĂč l'eau et la terre se conjuguent, qui ressemble Ă  un paradis Ă  l'Ă©cart de la ville et oĂč la libertĂ© semble ĂȘtre la rĂšgle. Pourtant, ils ne sont pas Ă  la charge d'une sociĂ©tĂ© en marge de laquelle ils vivent volontiers On est des gagne-misĂšre, mais on n'est pas des peigne-culs »! Cette amitiĂ© est partagĂ©e avec AmĂ©dĂ©e [AndrĂ© Dussolier], sorte d'intellectuel fĂ©ru de lecture et de musique, sympathique et oisif mais qui Ă©pouse parfaitement ce mode de vie tout en diffĂ©rence. Elle l'est aussi par un veuf illettrĂ©, Hyacinthe Richard, dit PĂ©pĂ© la Rainette » [Michel Serrault] qui a jadis habitĂ© au bord de cet Ă©tang et Ă  qui la vie a souri. De ramasseur de ferraille il est devenu un riche patron de fonderie ce qui lui a permis de devenir notable et de marier sa fille Ă  un arriviste qui le l'aime guĂšre. Sa famille devenue bourgeoise et mĂ©prisante lui interdit de revenir au marais, mais il brave volontiers cette dĂ©fense, ce qui lui sera fatal. Eric Cantona signe ici avec talent un rĂŽle de boxeur Ă  sa mesure, victime lui aussi des femmes autant que de son caractĂšre impulsif. Il complĂšte avec bonheur ce panel de comĂ©diens d'exception. Il n'y a pas que cette connivence entre eux. Riton se remet mal du dĂ©part de sa premiĂšre femme, PamĂ©la, et Garris croisera le regard claire de Marie, domestique dans une grande maison. Il apprendra Ă  ses dĂ©pens que ses amours ancillaires seront contrariĂ©es et que celle qu'il aimait a suivi dans le sud un homme plus ĂągĂ© qu'elle, plus riche aussi sans doute parce qu'il reprĂ©sente sa sĂ©curitĂ© et son avenir. La morale de ce film tient en ces quelques mots de la conteuse qui illustrent bien ce qu'est la condition humaine "Il y a des moments dans la vie oĂč l'on voudrait que rien ne change jamais plus". Il est cependant un personnage qui m'interpelle, celui qu'incarne le regrettĂ© Jacques Villeret [1951-2005]. J'ai dĂ©jĂ  eu l'occasion de dire dans cette chronique La Feuille Volante n° 157 tout le bien que je pensais de cet acteur emblĂ©matique, Ă  la filmographie prestigieuse, au palmarĂšs impressionnant, notamment oscar du meilleur second rĂŽle en 1999 pour Le dĂźner de cons », dont le talent se dĂ©clinait au théùtre comme au cinĂ©ma, disparu trop tĂŽt Ă  prĂšs de 54 ans, Ă  la fois discret et reprĂ©sentatif du Français moyen », gentil, rondouillard, raciste, maladroit, froussard, naĂŻf et souffre-douleur des autres. Jamais vraiment star et mĂȘme plutĂŽt discret, il Ă©tait l'archĂ©type de l'acteur populaire et son apparition sur les Ă©crans, mĂȘme dans un rĂŽle secondaire, Ă©tait toujours pour le public un gage de qualitĂ©. Gamblin, Dussolier et Villeret forment ensemble dans ce film Ă  la fois drĂŽle, poĂ©tique et profondĂ©mlent humain, un trio amical, Ă©mouvant et complice. © HervĂ© GAUTIER - n° 552 – FĂ©vrier 2012 Valentine Pacquault – Gaston CHERAU Plon, 1921 Pas trĂšs chanceux François Pacquault ! Orphelin de pĂšre de bonne heure, c'est Ă  la mort de sa mĂšre, ĂągĂ©e de 27 ans qu'il fut confiĂ©, encore enfant, au mĂ©nage » de trois vieille filles, Solange, CĂ©lina et AmĂ©lie Carignan qui tenaient un pensionnat Ă  Argenton Creuse. C'est dans ce gynĂ©cĂ©e un peu Ă©touffant de province que François, leur neveu, va vivre jusqu'Ă  son baccalaurĂ©at parce que c'est tout ce qui lui restait de sa famille. Elles l'ont littĂ©ralement couvĂ© mais arrive le temps de son service militaire qu'il doit accomplir, pendant 3 ans, Ă  Saint-LĂ©ger, une ville de garnison dans le dĂ©partement des Deux-SĂšvres. Mais les choses se prĂ©cipitent et, Ă  cause de la banqueroute frauduleuse d'un notaire d'Argenton, les demoiselles Carignan doivent rĂ©duire leur train de vie... et marier François au plus vite, de prĂ©fĂ©rence Ă  un beau parti. Leur choix se porte sur Valentine DelpĂ©rrier, ancienne pensionnaire de l'Ă©tablissement Carignan et François en tombe tout naturellement amoureux. Les voilĂ  donc mariĂ©s et lui affectĂ©, comme 2° classe dans ce rĂ©giment d'infanterie. SitĂŽt arrivĂ©e dans cette ville de province, Valentine qui dĂ©jĂ  s'y ennuyait, veut faire la grande dame, dĂ©pense sans compter, veut ĂȘtre entourĂ©e d'officiers, ĂȘtre la reine des fĂȘtes qu'on donne, des bals de garnison oĂč elle se rend seule, Ă  cause du grade de son mari. De son cĂŽtĂ©, François qui manifeste peu de goĂ»t pour la vie militaire doit se tenir en retrait des plaisirs de son Ă©pouse, est cependant en butte aux critiques et aux moqueries des hommes du rang dont il fait partie. Sans peut-ĂȘtre que François s'en rende compte, le fossĂ© se creuse entre Valentine et lui, sa jalousie s'installe, durable. De son cĂŽtĂ©, Valentine se laisse entrainĂ©e dans une passade amoureuse dĂ©vastatrice avec le lieutenant Tassard, un compatriote de la Creuse, un rustre qui pourtant sĂ©duira Valentine et dĂ©truira son mĂ©nage. Elle ne l'aime pas mais c'est lui qui lui fait dĂ©couvrir ce qu'elle ne connaissait pas avec son mari le plaisir des sens ! Elle souhaite donner le change pour le monde extĂ©rieur mais c'est vers lui qu'elle se sent attirĂ©e, c'est lui qui lui permet de se rĂ©vĂ©ler comme une femme sensuelle qui aimait les hommes et l'amour, une femme mariĂ©e qui aimait avoir un amant »... pour son malheur ! Cette liaison donne l'occasion Ă  l'auteur de se livrer Ă  une analyse psychologique trĂšs fine des personnages. Il se rĂ©vĂšle encore une fois comme le brillant analyste de l'Ăąme fĂ©minine ». L'indĂ©licatesse du notaire, la mort de son mari, le dĂ©part de Tassard la prĂ©cipitent dans la la prĂ©caritĂ©, la solitude et la prostitution. Valentine Pacquault est un roman majeur dans l'Ɠuvre de ChĂ©rau, un roman dur aussi, axĂ© sur cette femme gourmande de vie, amoureuse Ă©perdue de son amant, une sotte qui voulait s'Ă©lever dans l'Ă©chelle sociale, dĂ»t-elle pour cela dĂ©truire tout ce qui Ă©tait bien autour d' elle , une Ă©goĂŻste dĂ©tachĂ©e de François qu'elle n'aime plus et qu'elle considĂšre presque comme son ennemi personnel. C'est un peu comme si elle voulait lui faire payer ces annĂ©es de rĂ©clusion Ă  la pension Carignan, sa jeunesse sacrifiĂ©e... François est quant Ă  lui un peu naĂŻf, niais, comme un enfant, peu prĂ©parĂ© Ă  ce mariage trop hĂątif, mais surtout follement amoureux de son Ă©pouse pour qui rien n'est trop beau. Il ne voit rien de son propre malheur et submergĂ© par la peine nĂ© de la trahison de Valentine ne trouve son salut que dans la mort. Son Ă©pouse, veuve Ă  22 ans l'oubliera vite, quĂȘtera une consolation passagĂšre et inefficace dans la religion, mais ce qu'elle recherchera surtout ce sera une relation avec les hommes qui pourrait lui procurer une forme de rĂ©ussite sociale. Il y a un personnage qui retient mon attention c'est le capitaine de Millau. Il est Ă  la fois protecteur du couple et paternel, un peu marginal, humain, philosophe, solitaire et Ă©rudit sous des apparences peu flatteuses... Il a beaucoup d'amitiĂ© pour François. Au fil des pages son portrait s'affine pour donner de lui, Ă  la fin, sa vĂ©ritable image. C'est par son entremise que François Ă©chappe Ă  l'opprobre du suicide et peut ĂȘtre enterrĂ© en terre consacrĂ©e, c'est aussi grĂące Ă  lui, et malgrĂ© l'Ă©norme diffĂ©rence d'Ăąge, que Valentine reprend pied dans la vie quand les portes de Saint-LĂ©ger se referment devant elle, c'est aussi lui qui, bravant la morale et aussi sa propre conception des choses, l'arrache Ă  la mort. Le style de ChĂ©rau, ce sont des analyses pertinentes de ses personnages, des Ă©vocations agrĂ©ablement poĂ©tiques, un zeste d'humour, une phrase toujours sobre et prĂ©cise, finement ciselĂ©e et agrĂ©able Ă  l'oreille, une musique.... J'ai vraiment pris plaisir Ă  relire ce roman passionnant du dĂ©but Ă  la fin et qui Ă©voque Mme Bovary ». Il y a beaucoup de parentĂ©s » entre ce roman et celui de Gustave Flaubert Ă  commencer sans doute par l'analyse psychologique des personnages menĂ©e par l'auteur. Valentine est peut-ĂȘtre plus inhumaine qu'Emma, mais toutes les deux sont romantiques et s'ennuient dans cette province reculĂ©e. Elles ne trouvent leur salut que dans la relation avec un amant. Valentine, comme Emma, aime s'Ă©tourdir dans les soirĂ©es[ le bal du colonel ressemble Ă  la rĂ©ception chez le marquis dela Vaubyessard], toutes le deux ont Ă©pousĂ© un mari falot qui est pourtant Ă©perdument amoureux de sa femme et dans les deux ouvrages il y a un suicide [Ă  celui d'Emma rĂ©pond celui de François et Valentine y songe sans pouvoir le faire]. Le mĂ©decin-major du rĂ©giment s'exprime un peu comme Homais, mais le bon capitaine de Millaud assure par son humanitĂ© et l'amour qu'il porte Ă  Valentine, une fin sinon heureuse, Ă  tout le moins apaisĂ©e Ă  cette triste histoire. Comme j'ai dĂ©jĂ  eu l'occasion de l'Ă©crire dans cette chronique [la Feuille Volanten° 280-282-457], ChĂ©rau [1872-1937] reste malheureusement de nos jours un Ă©crivain mĂ©connu et injustement oubliĂ©, mĂȘme dans sa ville natale. © HervĂ© GAUTIER La Feuille volante n° 549 - DĂ©cembre 2011 L'Ăźle des chasseurs d'oiseaux Peter MAY – Rouergue NOIR Le dĂ©cor est celui de l'Ăźle Lewis au nord de l'Écosse. C'est l'Ăźle natale de l'inspecteur Fin Macleod qu'il a quittĂ©e voilĂ  bien des annĂ©es. Il fallait bien faire quelque chose, entrer dans la vie active puisqu'il avait abandonnĂ© ses Ă©tudes et Ă©tait sans diplĂŽme. Alors la police, pourquoi pas ? Il avait donc Ă©tĂ© affectĂ© Ă  Edimbourg et y poursuivait sa carriĂšre. Il se serait bien passĂ© de ce retour au pays mais l'ordinateur ou le hasard l'ont dĂ©signĂ© pour cette mission Ă  cause des similitudes entre un meurtre qui s'Ă©tait dĂ©roulĂ© sur cette Ăźle et une affaire dont il s'Ă©tait occupĂ© antĂ©rieurement Ă  Edimbourg. Mais c'est un autre monde que cette contrĂ©e perdue entre un ciel plombĂ© et un dĂ©cor lunaire. Il est fait de landes battues par les vents et les embruns, on s'y chauffe Ă  la tourbe, on y pratique le sabbat chrĂ©tien, on y parle encore le gaĂ©lique et les pubs sont la seule distraction... Pas la seule cependant car il existe une coutume barbare qui consiste Ă  escalader des falaises d'un caillou perdu au large pour y tuer des poussins de fous de Bassan qui y nichent... C'est une tradition, une sorte de rite de passage, unique et incontournable, surtout pour les jeunes. Oui, il s'en serait bien passĂ© et pas seulement pour ce triste dĂ©cor. Il vient, dans un accident de la circulation de perdre son fis unique, Robbie, ce qui fait de lui un ĂȘtre dĂ©finitivement Ă  part. On ne se remet jamais d'une telle Ă©preuve, entre silence et larmes, rĂ©volte et culpabilitĂ©, regrets et absence... Et chacun l'Ă©vite par respect, par crainte d'Ă©voquer cette Ă©preuve, par incomprĂ©hension, par volontĂ© de se protĂ©ger d'un malheur qui peut arriver Ă  chacun d'entre nous. Cela fait de lui un homme seul, tentĂ© peut-ĂȘtre de rejoindre dans la mort ce fils qu'il ne reverra plus. Parce que, mĂȘme si une vie qui lui est chĂšre s'est arrĂȘtĂ©e, la sienne poursuit son cours. Elle est devenue soudain un fardeau plus lourd chaque jour, un chemin de croix au quotidien. Face Ă  cela, il y le deuil qu'on vit toujours seul et qu'on ne fait jamais complĂštement, les cautĂšres qu'on invente pour nous aider Ă  supporter le quotidien maintenant hantĂ© par le fantĂŽme d'un enfant qu'on ne verra pas vieillir, qui n'aura pas lui-mĂȘme d'enfants. Le travail est l'un d'eux. Il permet de penser Ă  autre chose, de s'occuper un peu l'esprit, de faire semblant, mĂȘme si cela n'est et ne sera jamais qu'un dĂ©cor fragile, une sorte de chĂąteau de cartes Ă©difiĂ© dans un courant d'air... Il part donc pour son Ăźle malgrĂ© son chagrin, l'attitude compassĂ©e de ses collĂšgues et son Ă©pouse, Monna, qui lui dĂ©clare que s'il part, elle ne sera plus lĂ  Ă  son retour... Fin revient aussi sur les traces de son enfance. Il y retrouve Ă©videmment ceux qui Ă©taient ses copains alors, ceux qui sont restĂ©s au pays. Au premier de ceux-ci, Ange, le chef d'une bande dont le policier a fait jadis partie. C'est lui qui a Ă©tĂ© assassinĂ© selon le mĂȘme modus operandi » que dans l'affaire dont l'inspecteur s'est occupĂ© Ă  Edimbourg. Cet Ange Ă©tait un homme tyrannique, cruel, alcoolique, dealer, magouilleur, bagarreur et mĂȘme fortement soupçonnĂ© de viol et convaincu d'avoir agressĂ© un dĂ©fenseur des oiseaux... Il ne manquait pas d'ennemis qui voulaient sa mort, mais pourtant, il pouvait ĂȘtre attachant, amical... Et c'est lui, Fin, qui est chargĂ© de retrouver son assassin, c'est lui qui est Ă  la fois un enfant du pays mais aussi un policier, le reprĂ©sentant de l'ordre, qui devra dĂ©nouer les fils de cette histoire compliquĂ©e, percer les secrets qui unissent ces gens qu'il connait. Dans ce coin perdu des HĂ©brides, il va aller, un peu malgrĂ© lui, au devant des souvenirs personnels et pas toujours bons qu'il a avec chacun. En quittant l'Ăźle, il avait choisi de les oublier et avec eux son cortĂšge de regrets, de remords... A l'occasion de cette enquĂȘte, c'est aussi son passĂ©, la mort accidentelle de ses parents qui lui reviennent en pleine figure ! Tout cela ne va pas faciliter son enquĂȘte d'autant que ceux qu'il interroge ont dĂ©jĂ  dĂ©posĂ© auprĂšs de la police locale. Il retrouve tous ses copains mais surtout Artair dont le pĂšre, M. Maccines, a perdu la vie en sauvant celle de Fin lors d'une expĂ©dition contre les oiseaux. Il a Ă©pousĂ© Marsaili, le premier amour de Fin, celui qu'on n'oublie pas. Il la rencontre Ă  nouveau, se demande si elle pense encore Ă  lui, fait connaissance de son fils qui porte le mĂȘme prĂ©nom que lui, sympathise avec lui, refait Ă  l'envers un chemin qu'il croyait dĂ©finitivement oubliĂ©, se demande dans son for intĂ©rieur si ce garçon n'a pas quelque chose de lui, une parentĂ© jusque lĂ  inconnue... Cela aussi risque de bouleverser les choses Ă©tablies depuis tant d'annĂ©es... Mais le temps a passĂ©, les choses se sont figĂ©es dans un quotidien apparemment immuable, irrĂ©versible, violent aussi... Cette enquĂȘte remettra en cause bien des vĂ©ritĂ©s Ă©tablies, bien des certitudes et il faudra que Fin accepte d'entendre et d'admettre ce qui n'Ă©tait pas pour lui des Ă©vidences, qu'il aille au devant de lui-mĂȘme, assume ses souvenirs personnels, ses attachements, ses certitudes... Pourtant, iI n'est pas venu lĂ  par hasard mais est victime d'un rĂšglement de compte personnel, manipulĂ© par le tueur qui s'apprĂȘtait Ă  nouveau Ă  tuer... Il est bien des gens pour affirmer que la littĂ©rature policiĂšre tient un rang mineur dans la crĂ©ation littĂ©raire qu'on Ă©crirait volontiers avec une majuscule. Pourtant si le roman policier plait, c'est sans doute parce qu'il endosse un tas de fantasmes et de tabous humains. L'Ă©criture en est parfois moins Ă©tudiĂ©e, moins ciselĂ©e, plus populaire, on y met souvent du sexe, de la violence, du sang, probablement pour marquer la diffĂ©rence avec des fictions plus intellectuelles... J'ai toujours pensĂ© que, plus que d'autres forme d'arts peut-ĂȘtre, la fiction policiĂšre nous rappelle que nous sommes mortels, que les hommes ne sont ni aussi bons ni aussi humains que des gĂ©nĂ©rations de philosophes ont tentĂ© de nous le faire croire. Elle est, au moins autant que les autres, et malgrĂ© le fait qu'on la relĂšgue volontiers au rang de lecture estivale, le miroir de la condition humaine. Dans un style agrĂ©able Ă  lire, plein d'Ă©motions et d'Ă©vocations de ce coin de terre un peu perdu et dĂ©solĂ©, l'auteur, malgrĂ© de nombreuses digressions, retient l'attention de son lecteur jusqu'Ă  la fin, avec un sens consommĂ© du suspense. Ce roman a Ă©tĂ© pour moi un bon moment de lecture. Traduit de l'anglais par Jean-RenĂ© Dastugue. Prix des lecteurs Cezam Poitou-Charentes 2011 La Feuille volante n°511 – Mars 2011. ©HervĂ© GAUTIER Meurtres sur le fleuve jaune - FrĂ©dĂ©ric LENORMAND Fayard Les nouvelles enquĂȘtes du juge TI. ScĂšne ordinaire Ă  la cour des Tang. Dame Wu, la toute puissante impĂ©ratrice, vient de signer l'arrĂȘt de mort d'un homme. MalgrĂ© les tortures, le condamnĂ© n'a pas donnĂ© le nom de ses complices et surtout celui de ses chefs qu'on soupçonne ĂȘtre des courtisans, toujours volontiers comploteurs et corrompus. Pour dĂ©jouer les tentatives d'insurrection, il faut quelqu'un capable d'efficacitĂ© autant que d'une fidĂ©litĂ© sans faille au Fils du Ciel. C'est ainsi qu'entre en scĂšne un jeune et obscur sous-PrĂ©fet en poste dans la petite ville de Peng-Lai, Ă  l'embouchure du Fleuve Jaune. Son nom Ti Jen-tsiĂ©. VoilĂ  donc notre magistrat convoquĂ© dans la capitale. Mais il craint le pire puisqu'il vient de dĂ©manteler, dans un monastĂšre bouddhiste, un trafic d'or prĂ©judiciable aux finances de l'État. Il s'attend en effet Ă  devoir se justifier devant un empereur sans vĂ©ritable autoritĂ© et Ă  rĂ©pondre de son zĂšle face aux religieux trĂšs influents Ă  la cour. Ce voyage en bateau sur le fleuve Jaune qui le mĂšnera jusqu'Ă  la capitale, a donc pour Ti des accents d'humiliation. Il ne tarde pas cependant Ă  s'apercevoir que ses craintes sont infondĂ©es et Ă  peine embarquĂ©, il reçoit, en grand secret, l'ordre d'assurer la sĂ©curitĂ© d'un tĂ©moin, le mystĂ©rieux Lai Junchen, instamment attendu Ă  " la CitĂ© interdite ", sans qu'on ait pris la peine de le lui dĂ©signer parmi les passagers. Jusqu'Ă  la fin, il restera insaisissable. Dans le mĂȘme temps, des crimes et tentatives d'assassinats sont perpĂ©trĂ©s autour de lui et parfois contre lui-mĂȘme, transformant en pĂ©rilleux parcours ce qui aurait dĂ» ĂȘtre un paisible voyage, le fleuve Jaune mĂ©ritant une nouvelle fois son surnom de " Chemin des enfers ". Du coup, notre magistrat, dĂ©sireux de faire rĂ©gner l'ordre dont il est garant, rompt l'anonymat dont il entourait sa personne pour reprendre ses habits de mandarin. DĂšs lors la jonque, ou plus exactement les jonques sur lesquelles il accomplit son pĂ©riple mouvementĂ©, deviennent un microcosme, une sociĂ©tĂ© en raccourci qui ressemble Ă  celle de sa circonscription. Il doit y Ă©tendre son autoritĂ© et mener son enquĂȘte. Ti est un intellectuel, un lettrĂ© que ses fonctions mettent cependant en situation de cĂŽtoyer l'espĂšce humaine la plus dĂ©pravĂ©e, assassins, voleurs, dĂ©linquants, membres de sociĂ©tĂ©s secrĂštes qu'il a soin de combattre et de dĂ©masquer avec autant de finesse que d'efficacitĂ©. Il se rĂ©vĂšle, comme toujours, non seulement un fin limier mais aussi un habile nĂ©gociateur qui obtient ce qu'il dĂ©sire. Ses investigations sont pour lui l'occasion de porter sur ses contemporains un regard critique. Tout pĂ©tri de confucianisme ainsi qu'il sied Ă  un haut-fonctionnaire de l'Empire, il ne manque jamais de se laisser aller Ă  des remarques parfois acerbes en direction des religieux, bouddhistes et taoĂŻstes. Il n'en est cependant pas moins homme et n'est pas insensible Ă  la vision fugace et fragile des femmes qu'il croise. Les femmes justement lui rĂ©serveront au cours de cette traversĂ©e de bien curieuses surprises ! Comme souvent dans cette sĂ©rie consacrĂ©e Ă  Ti, l'eau revient sous la forme de thĂšme rĂ©current [" Le chĂąteau du lac Tchou-An ", " Le mystĂšre du jardin chinois "]. Comme je l'ai tant de fois dit dans cette chronique, j'aime lire FrĂ©dĂ©rique Lenormand. J'apprĂ©cie son humour alternativement subtil, caustique et jubilatoire qui doit beaucoup Ă  l'euphĂ©misme, la façon qu'il a de dĂ©payser son lecteur, le plongeant dans cet univers inconnu de la Chine, non seulement grĂące Ă  des descriptions poĂ©tiques mais aussi Ă  des apostilles culinaires, culturelles ou religieuses. Le rĂ©cit est divisĂ© en courts chapitres introduits par quelques mots qui les rĂ©sument, la phrase est agrĂ©able et le suspense entier. J'ajoute une chose que je considĂšre essentielle chez un Ă©crivain. En effet, Lenormand a cette facultĂ© d'intĂ©resser son lecteur dĂšs la premiĂšre ligne d'un livre et de ne l'abandonner qu'Ă  la fin sans que l'ennui s'insinue dans sa lecture. Qu'il mette en scĂšne le XVIII° siĂšcle dont il est un Ă©minent spĂ©cialiste, qu'il nous parle de Voltaire pour qui il a une tendresse particuliĂšre ou qu'il nous fasse profiter avec bonheur des aventures rĂ©elles du Juge Ti dont il s'approprie la personne et Ă  qui il prĂȘte, le temps d'un rĂ©cit, ses remarques personnelles, la lecture d'un roman de notre auteur est toujours pour moi un grand moment de plaisir. N° 544 – Novembre 2011. ©HervĂ© GAUTIER Le cadavre anglais – Jean-François PAROT – JC LATTES Nous sommes Ă  Paris en 1777, sous le rĂšgne de Louis XVI, pendant la pĂ©riode du carnaval. Le temps froid et la neige n'avaient, malgrĂ© tout, pas empĂȘchĂ© le commissaire Nicolas Le Floch, Marquis de Ranreuil, de quitter, par hasard, sa permanence du ChĂątelet pour faire quelques pas Ă  proximitĂ© de la prison de Fort-L'Ă©vĂȘque oĂč il avait trouvĂ© la rue Ă©trangement sombre et croisĂ© un personnage Ă©nigmatique. Un prisonnier dont nul, mĂȘme le directeur de l'Ă©tablissement, ne savait rien, venait de se tuer en tentant de s'Ă©vader de cette geĂŽle oĂč il Ă©tait emprisonnĂ© sur lettre de cachet. Les investigations du commissaire rĂ©vĂ©lĂšrent rapidement que la victime n'Ă©tait guĂšre un quidam, qu'il avait en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© achevĂ© d'un coup d'Ă©pĂ©e aprĂšs une chute qui l'avait assommĂ© et qu'il pouvait bien ĂȘtre anglais ! VoilĂ  donc notre Marquis une nouvelle fois confrontĂ© Ă  une Ă©nigme sur fond de combats pour l'indĂ©pendance amĂ©ricaine que soutient la couronne de France... et de fuite un peu prĂ©cipitĂ©e du gouverneur de la prison ! Cette affaire s'Ă©gare un peu avec pour dĂ©cor les dettes de Marie-Antoinette, un cadeau original fait Ă  la reine et qui est en rĂ©alitĂ© un objet volĂ© dans un cabinet de curiositĂ©s de FrĂ©dĂ©ric, roi de Prusse, les intrigues de Cour, un phĂ©nomĂšne atmosphĂ©rique Ă  la fois bizarre et extraordinaire, le passĂ© parfois tumultueux du commissaire... De dissimulations de cadavre en assassinat de tĂ©moin, de signature contrefaite en recherche d'un bouton d'uniforme perdu puis retrouvĂ©, notre commissaire n'a pas trop de son adjoint et de ses traditionnels amis pour dĂ©nouer l'Ă©cheveau compliquĂ© de cette affaire oĂč se mĂȘlent rebondissements et enlĂšvements. Au fur et Ă  mesure du dĂ©roulement de ce roman, l'identitĂ© de cet Anglais mort semble une Ă©nigme de plus en plus indĂ©chiffrable. Il y a aussi ce message sibyllin qu'il faut impĂ©rativement dĂ©crypter et cette histoire de montre et d'horloger qui pourrait bien ressembler Ă  de l'espionnage industriel ou Ă  une histoire d'agent-double... C'est que Sartine, alors ministre de la Marine souhaite faire rĂ©soudre l'Ă©pineux problĂšme des longitudes qui permet de positionner correctement les navires en mer. En cela la France est bien entendu en concurrence avec l'Angleterre et les deux pays n'ont jamais entretenu de trĂšs bonnes relations ... Au bout du compte, le lecteur, tenu en haleine jusqu'Ă  la fin par un sens consommĂ© du suspense, verra que cet imbroglio se rĂ©vĂšle petit Ă  petit comme une affaire d'État oĂč Éros danse avec Thanatos et oĂč le mystĂšre le dispute Ă  la mystification. Sous forme d'Ă©phĂ©mĂ©ride, l' auteur nous conte par le menu le dĂ©roulement de cette histoire un peu rocambolesque qui aurait parfaitement pu passer inaperçue mais que le hasard et le dĂ©vouement Ă  la Couronne du Marquis ont suffi Ă  compliquer. Je n'y peux rien, je suis amoureux du SiĂšcle des LumiĂšres et de Paris et j'apprĂ©cie d'avoir, dans chaque roman, des informations sur la vie de cette Ă©poque, qu'elles Ă©voquent le potins, l 'histoire ou la vie des quartiers. J'aime aussi les expressions populaires, mĂȘme si on ne les emploie plus aujourd'hui, les recettes de cuisine qui enrichissent le rĂ©cit... Encore une fois, ce roman a Ă©tĂ© un bon moment de lecture. N°542 – Octobre 2011 © HervĂ© GAUTIER La fĂȘte des pĂšres - HervĂ© GAUTIER Autant qu'il m'en souvienne, mon frĂšre et moi aimions passionnĂ©ment notre pĂšre. MariĂ©s tard Ă  cause de la guerre, nos parents avaient fait de nous des enfants de vieux. Mon pĂšre travaillait " aux Chemins de Fer " et Ă©tait responsable d'une petite gare de campagne. Comme beaucoup de cheminots de cette Ă©poque, son mĂ©tier Ă©tait toute sa vie. Elle Ă©tait rythmĂ©e par les horaires des trains et ce d'autant plus que nous habitions sur place, dans la gare mĂȘme. Je me souviens de notre terrain de jeu Ă  mon frĂšre et Ă  moi. C'Ă©tait l'unique voie de garage et la lampisterie puisque les quais de la voie principale nous Ă©taient interdits. Ce n'Ă©tait pas une grande gare. Mon pĂšre vendait les billets et signalait le passage des express qui ne s'arrĂȘtaient jamais... On les voyait filer indiffĂ©rents Ă  notre petite station, vers une ville inconnue. En fait, nous Ă©tions fascinĂ©s par les rails qui de chaque cĂŽtĂ© de la gare se perdaient dans un infini que nous avions du mal Ă  imaginer. La plaine Ă  cet endroit avait facilitĂ© la pose de voies parfaitement rectilignes. En Ă©tĂ© quand nous nous tournions alternativement vers le nord et vers le sud nous avions la mĂȘme vision de deux lignes parfaitement droites et luisantes qui se rejoignaient dans un horizon indistinct, brouillĂ© par la chaleur. Il nous Ă©tait interdit aussi de marcher le long des voies principales, le danger Ă©tait trop grand. Nous le fĂźmes pourtant une fois au grand dam de notre mĂšre, morte de peur. Il nous semblait que cette petite gare de campagne, coincĂ©e entre deux horizons Ă©tait le centre du monde, pourtant ce monde lĂ  n'Ă©tait visitĂ©, le matin et le soir que par un omnibus qui desservait des gares analogues Ă  la nĂŽtre. La multiplication des automobiles menaçait pourtant leur existence. Il y avait de moins en moins de gens dans la micheline aux couleurs passĂ©es qui annonçait son arrivĂ©e Ă  grands coups de klaxon. A ce moment, mon pĂšre se transformait en guichetier, en aiguilleur, en garde-barriĂšre et agitait son drapeau rouge pour faire partir l'autorail. Le sifflet et la casquette Ă©taient ses attributs et cela faisait longtemps que les rares clients ne demandaient plus les horaires des trains. Il serrait la main du contrĂŽleur et du mĂ©canicien, Ă©changeait quelques mots avec eux, aidait Ă  charger ou Ă  dĂ©charger quelques rares marchandises puis l'omnibus repartait. A ce moment seulement les passagers Ă©taient autorisĂ©s Ă  traverser les voies. Mais ils Ă©taient de moins en moins nombreux. Puis mon pĂšre manƓuvrait les aiguillages et tout redevenait calme... Ah, le poste d'aiguillage ! Il nous Ă©tait interdit, bien sĂ»r, mais quelle invitation au rĂȘve et au voyage ! Parfois, en pleine nuit mon frĂšre et moi nous penchions par la fenĂȘtre de notre chambre pour regarder passer le train, l'express qui filait sans s'arrĂȘter et dont on n'apercevait qu'un bref ruban de lumiĂšre soulignĂ© par un bruit rapide et sourd et par la vapeur blanche de la locomotive. C'Ă©tait lĂ  le seul spectacle de nos nuits d'insomnie et l'invite au dĂ©part et au dĂ©paysement Ă©tait forte Ă  ce moment lĂ . Notre univers Ă  nous c'Ă©tait seulement la plaque d'Ă©mail rouge et blanc de notre gare oubliĂ©e dans un coin de la campagne française, ces voies qui disparaissaient Ă  l'horizon et dont nous ne voyions jamais le bout. Il nous arrivait parfois, avec notre mĂšre de prendre, l'omnibus pour aller Ă  la ville voisine, mais c'Ă©tait tout. Le reste de l'annĂ©e, c'Ă©tait l'Ă©cole du village et les vacances Ă  la campagne... Puis un jour on a fermĂ© la gare. Elle n'Ă©tait pas assez rentable, disait-on. On avait supprimĂ© l'express de nuit et d'autres voies avaient Ă©tĂ© crĂ©es ailleurs pour des trains plus rapides. Parce qu'il avait travaillĂ© assez longtemps notre pĂšre prit sa retraite et acheta dans le village mĂȘme une maison qui devint notre nouveau foyer. Il aurait bien voulu acquĂ©rir la gare, mais c'Ă©tait bien trop cher pour nous. Les bĂątiments et les annexes restĂšrent longtemps vacants et finirent par ĂȘtre vendus. Mon pĂšre devint un jeune retraitĂ© mais n'avait mĂȘme plus pour se distraire les allĂ©es et venues des trains, comme jadis. Sans eux, il s'ennuyait et vieillissait chaque jour davantage. Chaque matin il allait jusqu'au passage Ă  niveau et revenait bouleversĂ© parce que la rouille mangeait les rails et que le ballast peu Ă  peu se couvrait d'herbe. Il ne supportait pas que le Chemin de Fer ait disparu et que les voies soient restĂ©es en friche. Le passage Ă  niveau lui-mĂȘme ne servait plus et les longues barriĂšres rouges et blanches Ă  fanons mĂ©talliques avaient Ă©tĂ© enlevĂ©es. Le village peu Ă  peu se dĂ©peuplait. Les plus anciens mourraient et on parlait de fermer l'Ă©cole, comme au village voisin on avait dĂ©jĂ  supprimĂ© la petite perception. Il y avait encore une unique boĂźte aux lettres qu'un jeune facteur pressĂ© venait, en voiture, vider de son contenu, une fois par jour. MĂȘme le vieux curĂ© n'avait pas Ă©tĂ© remplacĂ©, la crise des vocations disait-on, et l'unique cloche de l'Ă©glise n'appelait plus Ă  la messe, comme naguĂšre. Il n'y avait que les enterrements pour que ses portes s'ouvrent, le temps d'une bĂ©nĂ©diction, dirigĂ©e par un laĂŻc... Seuls quelques commerçants faisaient encore leur tournĂ©e pour que le bourg ne meure pas complĂštement et l'unique cafĂ© servait de dĂ©pĂŽt d'Ă©picerie, de bureau de tabac, de poste Ă  essence... - Quand le vieux Marcel fermera ses portes, ce sera la mort du village, prophĂ©tisait mon pĂšre. Il ne restait plus que quelques vieux pour aller, autour d'un verre, jouer aux cartes et parler du passĂ©. Mon pĂšre tomba malade et sa surditĂ© congĂ©nitale s'aggrava. Mon frĂšre et moi, Ă  la descente du car qui nous ramenait du collĂšge, avions chaque soir le spectacle d'un homme encore jeune, prostrĂ© sur le pas de sa porte, transformĂ© en vieillard, qui somnolait et parfois soliloquait. Cela nous Ă©tait d'autant plus dĂ©sagrĂ©able que nous l'avions, peu d'annĂ©es auparavant, connu comme un homme plein d'entrain et heureux de vivre. MalgrĂ© toute notre bonne volontĂ©, nous ne pouvions rien faire pour lui. Parfois, dans son dĂ©lire, revenait comme un symbole cette obsession de la rouille qui recouvrait "ses" rails. On eut dit que sa vie Ă©tait partie avec son mĂ©tier ! Il n'avait mĂȘme plus la force de faire son jardin ! Alors, mon frĂšre et moi eĂ»mes une idĂ©e folle, comme toutes celles qui germent dans la tĂȘte des gamins. Pour rendre son sourire Ă  ce jeune vieillard, nous imaginĂąmes de faire Ă  nouveau passer le train chez nous devant les yeux de notre pĂšre, de faire comme avant, quand sa raison de vivre s'appelait "Indicateur des Chemins de Fer", aiguillages, horaires, correspondances ... Mais que peuvent deux enfants dans un village qui meurt contre des dĂ©cisions prises ailleurs au nom de la rentabilitĂ©, de la productivitĂ©, de la gestion ? Pourtant notre volontĂ© de rendre Ă  papa son sourire Ă©tait la plus forte et pour cela mon frĂšre et moi aurions rĂ©volutionnĂ© le monde entier ! Son Ă©tat empirait. Le mĂ©decin du village d'Ă  cĂŽtĂ© passait de plus en plus souvent. Il prenait notre mĂšre Ă  part, lui parlait. Elle Ă©tait de plus en plus soucieuse Ă  propos de papa. On ne savait pas ce qu'il avait exactement et le docteur qui le connaissait bien, disait qu'il ne souffrait pas mais que son mal Ă©tait de nature psychologique. Il essaya bien quelques mĂ©dicaments nouveaux pour l'Ă©poque... Il y eut un lĂ©ger mieux mais il ne fut que de courte durĂ©e. On eut dit qu'il luttait contre un mal inconnu mais que son combat Ă©tait sans espoir. Il perdit mĂȘme l'habitude des longues marches dans la campagne et des parties de pĂȘche, comme au dĂ©but. Maintenant, son vieux vĂ©lo se couvrait de poussiĂšre. La fĂȘte des pĂšres approchait. Nous avions toujours eu Ă  cƓur, mon frĂšre et moi, de marquer ce jour par un geste parfois puĂ©ril mais par lequel nous lui disions, Ă  notre maniĂšre, tout l'amour que nous lui portions. Nous bĂ©nĂ©ficiions bien sĂ»r, de la complicitĂ© de notre mĂšre comme celle de notre pĂšre nous Ă©tait acquise Ă  l'occasion de sa fĂȘte Ă  elle. Ce jour lĂ  Ă©tait simple, seulement marquĂ© par un cadeau, simple lui aussi, mais c'Ă©tait ainsi. Un paquet, un bouquet, un gĂąteau, un sourire, des embrassades, quelques mots tressĂ©s en poĂšmes... Cela suffisait Ă  nos parents pour recevoir l'hommage de leurs enfants. Puis la journĂ©e se dĂ©roulait comme d'habitude, seulement marquĂ©e par un souvenir plus fort que les autres. Cette annĂ©e lĂ , nous Ă©tions convenus que la maladie de papa ne devait pas assombrir cette journĂ©e presque estivale, qu'il fallait faire comme si le mal n'existait pas, comme si la vieillesse ne l'avait pas prĂ©maturĂ©ment diminuĂ©... D'avance nous avions renoncĂ© Ă  la traditionnelle pipe accompagnĂ©e d'un paquet de tabac gris qui maintenant lui Ă©tait interdit. Nous savions que son Ă©tat empirait de jour en jour et parfois maman interrompait son travail pour pleurer. A notre retour de l'Ă©cole, nous la trouvions parfois les yeux rougis, seule arme contre ce mal inexorable qui rongeait son mari. A sa derniĂšre visite, le mĂ©decin n'avait guĂšre Ă©tĂ© encourageant et ma mĂšre avait lu sur le visage de son Ă©poux une mort prochaine. Nous nous devions donc de cĂ©lĂ©brer cette fĂȘte des pĂšres qui serait sans doute, pour lui la derniĂšre. Nous nous interrogions sur le cadeau Ă  offrir, un cadeau qui lui ferait tout particuliĂšrement plaisir. C'est alors que mon frĂšre et moi eĂ»mes la mĂȘme idĂ©e. Nous mĂźmes comme toujours notre mĂšre dans la confidence. Elle accepta de nous aider avec cependant quelques rĂ©ticences. Ainsi nous absentions-nous de plus en plus le soir aprĂšs l'Ă©cole pour prĂ©parer ce cadeau uniquement fait pour lui. Notre idĂ©e, d'abord secrĂšte s'Ă©tait rĂ©pandue dans tout le village et chacun se mit spontanĂ©ment Ă  nous aider pour que la fĂȘte soit complĂšte et rĂ©ussie. Tout le monde aimait notre pĂšre et avait Ă  cƓur que ce cadeau lui redonne vie et espoir. Chacun nous aida de son mieux et le jour de sa fĂȘte, en plus du cadeau traditionnel, un voisin obligeant transporta notre pauvre pĂšre dans sa voiture jusqu'Ă  l'ancien passage Ă  niveau. Il n'y allait plus depuis de nombreux mois, devenu presque impotent. Il ne fut pas nĂ©cessaire d'Ă©crire pour lui sur le carnet de conversation qu'il avait toujours Ă  portĂ©e de sa main. Quand on rĂ©ussit Ă  l'extraire du vĂ©hicule, son visage s'Ă©claira d'un sourire aussi radieux que ce dimanche de printemps. Nous Ă©tions convenus que cette fĂȘte resterait familiale mais beaucoup vinrent observer de loin la joie de notre pĂšre... Toute ma vie je me souviendrai de son sourire enfin retrouvĂ© et de ses lĂšvres qui balbutiaient pour lui-mĂȘme des mots indistincts. Il resta longtemps Ă  observer l'horizon qui brasillait de chaleur. On eut dit que la santĂ© lui Ă©tait revenue. On dut Ă  grand peine le remonter dans la voiture... L'heure du repas approchait. On promit de le ramener. La nuit suivante il mourut, mais ce fut une mort douce, presque naturelle et au matin il portait sur son visage une sorte d'apaisement. Tout ce qui restait du village le conduisit en terre et le cortĂšge fit un dĂ©tour par le passage Ă  niveau pour que symboliquement la cĂ©rĂ©monie soit marquĂ©e par la derniĂšre image qu'il avait dĂ» emporter avec lui et qui avait adouci ses derniers moments. On dĂ©posa quelques instants le cercueil sur les voies dĂ©barrassĂ©es de leur rouille. Tout le village nous avait aidĂ©s Ă  frotter les rails, Ă  dĂ©sherber le ballast, Ă  remonter les barriĂšres, pour lui montrer que le train Ă©tait revenu. HervĂ© GAUTIER - Juillet 2011 RĂ©cit sĂ©lectionnĂ© par l'ATSCAF 79 pour participer au Prix ATSCAF de la Nouvelle 2011 Les patins - HervĂ© GAUTIER E nascondi i patin »Et cache les patinsPaolo Conte – La nostagia del Mocambo En Ă©coutant une chanson italienne un peu nostalgique, il me revient un l’époque de mon enfance, quand on pĂ©nĂ©trait dans une maison oĂč tout, mĂȘme de sol, Ă©tait cirĂ©, il fallait prendre les patins !Leur usage n’était pas obligatoire, mais Ă©tait de bon la porte de chaque piĂšce, sur le parquet brillant,Il y avait, par paires, des morceaux de feutre ou de chiffe,Souvent taillĂ©s en forme de huit », qui attendaient le visiteur
L’aspect du plancher et souvent l’odeur qui s’en dĂ©gageait Ă©voquaient le confort et la Ă©taient une invitation Ă  laquelle la politesse, l’habitude ou le respect commandaient qu’on n’y rĂ©sistĂąt quel que soit l’état de ses semelles, on posait chaque pied sur un marche se transformait ainsi en une sorte de pas glissĂ©, silencieux, inhabituel et incommode,mais apprĂ©ciĂ© de la maĂźtresse de bruit des chaussures en Ă©tait Ă©touffĂ© et,par ce geste, l’hĂŽte participait involontairement Ă  l’ambiance ouatĂ©e du lieu oĂč il se faisaient partie du dĂ©cor, mais on les cachait parfoisquand l’invitĂ© Ă©tait important, pour ne pas le froisser,Comme si, soudain, ils n’avaient plus le mĂȘme rĂŽle
Puis ils disparurent comme ils Ă©taient venus
 en silence ! HervĂ© GAUTIER Juillet 2011 PoĂšme prĂ©sentĂ© par l'ATSCAF 79 au Concours de PoĂ©sie ATSCAF 2011 La baronne meurt Ă  cinq heures - F. LENORMAND - JC. LATTÈS Pauvre Voltaire, en cet Ă©tĂ© 1731, voilĂ  que meurt M. de Maison qui Ă©tait son protecteur. Notre Ă©crivain qui n'est jamais aussi bien chez lui que chez les autres, se met en quĂȘte d'un nouveau mĂ©cĂšne qu'il trouve en la personne de la baronne Fontaine-Martel qui a le bon goĂ»t de l'hĂ©berger et de le nourrir pendant prĂšs de deux annĂ©es. Las, cette derniĂšre meurt sauvagement assassinĂ©e et aux yeux de RenĂ© Herault, lieutenant gĂ©nĂ©ral de police, Voltaire, philosophe controversĂ©, fait figure de suspect idĂ©al. Il va donc devoir se dĂ©fendre en cherchant Ă  qui profite le crime ! Pourtant, on imagine mal notre philosophe en auxiliaire de la marĂ©chaussĂ©e, mais, ce dĂ©fenseur du bon droit et de la libertĂ© est surtout attentif Ă  la sienne. Il va mener sa propre enquĂȘte non seulement parce qu'il ne souhaite pas retourner Ă  la rue, et encore moins Ă  la Bastille, mais aussi parce qu'il espĂšre tirer quelque bĂ©nĂ©fice des derniĂšres volontĂ©s de la dĂ©funte. C'est donc Ă  une chasse au testament plus ou moins falsifiĂ© qu'il va consacrer son temps et son Ă©nergie. L'estime qu'a de sa propre personne cet empĂȘcheur de penser en rond » l'amĂšne Ă  supposer qu'on en veut aussi Ă  sa vie et ce d'autant plus qu'il est l'ennemi de tout ce qui porte soutane, jĂ©suites et jansĂ©nistes. Dans sa quĂȘte, il sera aidĂ© brillamment par Mme du ChĂątelet, femme de sciences et d'esprit, dĂ©laissĂ©e par un mari qui prĂ©fĂšre les champs de bataille, et prĂ©sentement enceinte jusqu'aux oreilles. Ses qualitĂ©s ne seront pas de trop pour affronter tous ces hĂ©ritiers avides, ces abbĂ©s ridicules, ces spadassins aux mystĂ©rieux codes, ces assassins qui connaissent la musique »... et pour tenir tĂȘte Ă  cet Ă©crivain, certes gĂ©nial, mais un peu trop envahissant. Heureusement son intuition fĂ©minine prendra le pas sur la philosophie et nos deux limiers feront, Ă  cette occasion, de surprenantes dĂ©couvertes sur la nature humaine et sur l'hypocrisie qui va avec, la volontĂ© de s'enrichir et les secrets d'alcĂŽves ! Estimant qu'une enquĂȘte est quand mĂȘme comparable Ă  un raisonnement philosophique, et ne perdant pas de vue son intĂ©rĂȘt personnel, notre homme mĂšne donc des investigations attentives en mĂȘme temps qu'une activitĂ© littĂ©raire et mondaine en n'oubliant pas d'Ă©chapper Ă  la censure et de lorgner vers l'AcadĂ©mie. Malheureusement pour lui, tout le monde prend Ériphyle », la tragĂ©die qu'il est en train d'Ă©crire et dont il ne cesse de parler, pour une maladie de peau ! Mais, Ă©ternel valĂ©tudinaire Ă  l'article de la mort malgrĂ© ses trente neuf ans, il n'omet pas non plus d'exploiter ceux qui ont l'imprudence de faire appel Ă  ses qualitĂ©s de comĂ©dien-usurier, ce qui, Ă  ses yeux, n'est pas incompatible ! Je ne dirai jamais assez le plaisir que j'ai Ă  lire FrĂ©dĂ©ric Lenormand [Cette chronique lui a dĂ©jĂ  consacrĂ© de nombreux articles depuis quelques annĂ©es]. J'aime son humour [J'ai beaucoup ri pendant ces trois cents pages], son Ă©rudition rigoureuse, sa maĂźtrise jubilatoire de la langue française, sa dĂ©licate pratique de la syntaxe, ses saillies aussi inattendues que pertinentes. Il est vrai que le sujet, Voltaire, dont il est un Ă©minent spĂ©cialiste, s'y prĂȘte particuliĂšrement. L'auteur des Lettres philosophiques anglaises » avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© mis en scĂšne par Lenormand dans La jeune fille et le philosophe » [La feuille volante n° 240]. L'auteur ne se contente pas d'ĂȘtre l'heureux chroniqueur des enquĂȘtes du juge Ti », il est aussi un grand connaisseur du XVIII° siĂšcle. A ce titre, il promĂšne son lecteur dans les rues de ce Paris hivernal qui n'est pas toujours celui des philosophes et y fait dĂ©ambuler notre propagateur d'idĂ©es impies » d'autant plus volontiers que sa libertĂ© est en jeu. Avec de courts chapitres au style alerte, annoncĂ©s d'une maniĂšre quasiment théùtrale, Lenormand s'attache l'attention de son lecteur dont il suscite l'intĂ©rĂȘt dĂšs la premiĂšre ligne de ce roman sans que l'ennui s'insinue dans sa lecture. Il le rĂ©gale de la silhouette de Voltaire autant que de son esprit et lui prĂȘte des propos et des attitudes que n'eĂ»t pas dĂ©savouĂ©s l'auteur de Candide ». Comme je l'ai souvent Ă©crit, un roman de FrĂ©dĂ©ric Lenormand est pour moi un bon moment de lecture et, comme toujours... j'attends le prochain. Prix ArsĂšne Lupin 2011 HervĂ© GAUTIER La Feuille Volante n°534 – Juillet 2011 Ni Ă  vendre ni Ă  louer – Un film de Pascal RABATÉ Il est des Ɠuvres dont on parle beaucoup Ă  leur sortie, qu'on rattache Ă  une parentĂ© parfois prestigieuse ou originale mais qui, au bout du compte, sans vraiment dĂ©cevoir, laissent un goĂ»t d'autant plus amer qu'on s'attendait Ă  mieux. Qu'avons nous ? Une petite station balnĂ©aire un peu quelconque de Loire-Atlantique oĂč vont se retrouver, l'espace d'un week-end des personnages aussi hĂ©tĂ©roclites que cette pĂ©riode des vacances peut mettre en situation un couple de retraitĂ©s qui regagne sa maisonnette » en bord de mer, deux familles qui campent, un supermarchĂ© vide dont les codes-barres sont le seul intĂ©rĂȘt, un couple de punk avec chiens, un enterrement, un cadre en mosaĂŻque Ă  demi terminĂ© par le dĂ©funt, une histoire de cerf-volant perdu qui provoque un adultĂšre, un Ă©pisode sado-maso dans une chambre d'hĂŽtel, un lapin Ă  contre-emploi, deux golfeurs un peu imposteurs et, pour finir un spectacle franchement minable oĂč un chanteur nous rĂ©pĂšte que les vacances Ă  la mer, c'est super ! ». Le tout sans vraiment de dialogue, avec seulement des bruits de fond ou des onomatopĂ©es et sur une musique entrainante et Ă©pisodique. C'est donc une mosaĂŻque de personnages qui ne se rencontrent pratiquement pas, une succession de saynĂštes indĂ©pendantes les unes des autres oĂč les gags fleurissent sans, Ă  mon sens, jamais convaincre vraiment. Le dĂ©cor, les personnages, le scĂ©nario s'il y en a un, l'absence de dialogue ce qui n'en fait pas pour autant un film muet, Ă©voquent Jacques Tati[ Les vacances de M. Hulot » 1953]. C'est sans doute pour cela qu'on a qualifiĂ© ce film de gĂ©nial, mĂȘme si de son vivant Jacques Tati n'a pas vraiment convaincu dans ce domaine et qu'on a attendu qu'il soit mort pour s'intĂ©resser Ă  son Ɠuvre cinĂ©matographique et pour lui trouver du gĂ©nie ! Tati s'Ă©tait appropriĂ© un phĂ©nomĂšne rĂ©cent, les vacances populaires, l'avait traitĂ© avec cet humour dĂ©calĂ© qui faisait son originalitĂ©. Mais ici, il me semble que, malgrĂ© une touche de tendresse, les gags sont parfois un peu trop forcĂ©s et caricaturaux, parfois un peu trop rĂ©pĂ©titifs aussi. Le comique existe pourtant, c'est indĂ©niable, mais c'est plutĂŽt une succession de cartes postales animĂ©es, burlesques et dĂ©risoires, mais sans la poĂ©sie que la spectateur Ă©tait en droit d'attendre eu Ă©gard Ă  la filiation annoncĂ©e de ce film. Pascal RabatĂ© se diffĂ©rencie de Tati en ce sens qu'il actualise son message par la prise en compte de l'Ă©changisme, genre amour de vacances, le phĂ©nomĂšne sado-maso, le camp de nudistes ou l'homosexualitĂ© punk. Pourtant je m'attendais Ă  une sorte de fresque sociologique, une peinture de la sociĂ©tĂ© française comme aimait Ă  le faire l'auteur de Mon oncle ». Seule peut-ĂȘtre l'Ă©motion prĂ©vaut autour de la mort de l'Ă©poux ou de la prise en compte un peu furtive de la fuite du temps Ă  travers le dessin de la petite fille qui a grandi et qui est maintenant devenue une femme. Le film est cependant servi par un choix d'artistes dont le talent n'est pas assez mis en valeur par le parti-pris de l'absence de dialogue. On pouvait s'attendre Ă  ce que le comique, voire l'Ă©motion, naissent de de l'expression ou de la seule situation. C'Ă©tait une volontĂ© louable, mais cela ne fonctionne pas toujours, malheureusement. J'ai assistĂ© Ă  une sorte d'exercice de style un peu dĂ©cevant et sans rĂ©el rythme oĂč le comique que j'aime tant chez Tati n'Ă©tait pas vraiment au rendez-vous. HervĂ© GAUTIER La Feuille Volante n°532 – Juillet 2011 Les ClĂ©s de Saint-Pierre - Roger PEYREFITTE Flammarion Mon hypothĂ©tique lecteur se souviendra peut-ĂȘtre que cet auteur avait dĂ©jĂ  retenu mon attention pour un roman quelque peu iconoclaste de la mĂȘme veine que celui-ci et qui avait donnĂ© lieu Ă  un Ă©change Ă©pistolaire Ă©phĂ©mĂšre avec Roger Peyrefitte. [La Feuille Volante n° 37 de janvier 1990 Ă  propos de La soutane rouge »]. Des lectures toujours aussi dĂ©licieuses prĂ©cĂ©dĂšrent et suivirent celle de cette intrigue policiĂšre » vaticane. Comme je l'ai dĂ©jĂ  Ă©crit dans cette chronique, la nouveautĂ© n'est pas le seul critĂšre de la valeur d'un livre, tant s'en faut, surtout quand il s'agit de l'Ɠuvre d'un auteur majeur. Ce roman, publiĂ© en 1955 c'est la date de mon Ă©dition qui est si vieille que j'ai mĂȘme dĂ» en couper les pages et Dieu sait combien j'aime sĂ©parer les feuillets d'un livre avant de le lire !, me paraĂźt illustrer parfaitement cette maniĂšre de voir d'autant qu'il ne me semble pas que l'Ɠuvre de notre auteur soit rééditĂ©e. Quand il fut publiĂ©, ce roman fit scandale parce que François Mauriac avait condamnĂ© ce livre qui prĂ©sentait Pie XII comme un homosexuel. [Je dois dire que cette lecture m'a laissĂ© dubitatif sur ce point]. Peyrefitte avait rĂ©pondu par une lettre ouverte dĂ©nonçant la tartuferie de son dĂ©tracteur...et sa possible homosexualitĂ© il semblerait d'ailleurs que Peyrefitte ait Ă©tĂ© quelque peu visionnaire puisque, actuellement, la question de l'homosexualitĂ© de Mauriac est officiellement abordĂ©e. L'histoire qui sert de prĂ©texte Ă  ce roman est par ailleurs bien simple un jeune sĂ©minariste français, l'abbĂ© Victor Mas, sĂ©journe pour une annĂ©e Ă  Rome chez le vieux cardinal-chapelain Belloro, dont il devient le secrĂ©taire, pour parfaire sa formation. Pour corser un peu le rĂ©cit, l'auteur fait intervenir une jeune et belle Romaine, Paola, niĂšce du chapelain. L'auteur ajoute un valet de chambre cynique » qui ne manque pas de faire des remarques parfois croustillantes Ă  l'intention du jeune ecclĂ©siastique. Ce roman est surtout l'occasion de mettre en exergue l'Ă©rudition de son auteur. Les choses de la religion catholique ne lui sont pas Ă©trangĂšres au point qu'il livre Ă  son lecteur un inventaire complet et savoureux des richesses vaticanes, de l'histoire des saints et de leurs pouvoirs, Ă©voque le saint prĂ©puce » et les querelles byzantines qu'il a suscitĂ©, se fait l'Ă©cho des pouvoirs supposĂ©s des mĂ©dailles votives, du chapelet, du scapulaire et des eaux miraculeuses, vantĂ©s par chaque ordre religieux... On sent bien sa volontĂ© de railler un peu le Vatican dont il connaĂźt bien les travers, tĂ©moin cette savoureuse relation de la canonisation de Pie X. Il n'oublie pas non plus son anticlĂ©ricalisme coutumier et sa volontĂ© de pourfendre l'hypocrisie. Son humour, ses bons mots sont irrĂ©sistibles et il laisse libre cours Ă  sa verve dont ses fidĂšles lecteurs sont friands. Il s'en donne d'ailleurs Ă  cƓur-joie sur ce thĂšme, maniant le calembour et donnant Ă  penser que l'argent tient une grande place dans cette Église qui est bien loin des pauvres et du message de l'Évangile. Les clĂ©s de Saint Pierre ouvrent les portes du ciel, mais il faut graisser la serrure », Le Vatican doit louvoyer sans cesse entre le temporel et le spirituel pour ne pas les compromettre l'un par l'autre. Certains le disent dĂ©nuĂ© de courage, d'autres dĂ©nuĂ© de scrupules.», Les clĂ©s de St Pierre sont les clĂ©s de la caisse »... Il Ă©corne au passage les jĂ©suites, La soutane des jĂ©suites Ă©tant sans boutons, elle se retourne plus vite ». Il s'Ă©tablit entre le vieux prĂ©lat et le jeune sĂ©minariste un dialogue un peu surrĂ©aliste pour le profane Ă  propos des symboles, des reliques miraculeuses, de leur multiplication inquiĂ©tante, de leur extravagance parfois, du rituel un peu compliquĂ© des cĂ©rĂ©monie religieuses ainsi que sur l'efficacitĂ© des indulgences et la maniĂšre de les gagner. Elles pleuvent maintenant gracieusement sur les fidĂšles d'aujourd'hui alors qu'elles furent l'objet, dans le passĂ© de sordides transactions. Quant aux canonisations, elles ne seraient pas, selon lui, exactement et uniquement affaire de mĂ©rite ... Entre eux, deux conceptions de l'Église s'affrontent. D'un cĂŽtĂ© le prĂ©lat prĂ©tend que seule l'Église de Rome a le sens de l'universel », affirmant par lĂ  sa prééminence et sa supĂ©rioritĂ© tandis que son jeune confrĂšre plaide volontiers en faveur des prĂȘtres-ouvriers et une conception plus moderne, plus française peut-ĂȘtre et ouverte sur le monde... La prĂ©sence de la niĂšce du cardinal, Paola, ajoute Ă  la confusion du sĂ©minariste. Comme on peut s'y attendre, l'abbĂ© succombera, parce que la chastetĂ© n'est attachĂ©e qu'aux ordres majeurs qu'il n'a pas encore reçus, que la femme est considĂ©rĂ©e par l'Église comme une tentatrice, et que Victor n'est qu'un homme, beau de surcroĂźt ! Il en oubliera pour un temps la thĂ©ologie, le dogme, la discipline... ce qui ne sera pas sans lui poser de cas de conscience. Paola finira mĂȘme par mettre notre jeune prĂȘtre en demeure de choisir entre elle et Dieu ! Heureusement les choses reviendront Ă  leur vraie place... Peyrefitte ne serait pas lui-mĂȘme s'il ne parlait de la pĂ©dĂ©rastie de certains membres du clergĂ©, mĂȘme si notre abbĂ© y reste complĂštement impermĂ©able, s'il ne se faisait l'Ă©cho des ragots et des mesquineries qu'il prĂȘte aux prĂ©lats et aux ordres religieux et qui sont loin de la charitĂ© chrĂ©tienne. On sent bien que l'auteur, ancien Ă©lĂšve des jĂ©suites, est Ă  son affaire dans le domaine des comptes qu'il entend rĂ©gler avec l'Église. Que ce soit la chastetĂ© C'est Saint Paul qui a plongĂ© le christianisme dans cette continence furieuse pour se venger de n'avoir pu lui-mĂȘme l'observer », la foi la foi du charbonnier exige au moins du charbon », le rituel exagĂ©rĂ©ment symbolique ou le prĂ©tendu pouvoir des amulettes religieuses qui confine Ă  la superstition. Et pour ĂȘtre plus convainquant, il mĂȘle adroitement les personnages fictifs aux personnages rĂ©els au point que le lecteur reste dans une heureuse confusion. Ce roman est aussi l'occasion d'un parcours jubilatoire dans la Rome catholique. Il reste que Roger Peyrefitte, quel que soit ce qu'il Ă©tait par ailleurs au regard d'une morale d'un autre Ăąge, a Ă©tĂ© un grand serviteur de la langue française par la richesse de son vocabulaire, par la distinction de son style, par son Ă©rudition, par la pertinence et aussi l'impertinence de ses propos. Il sont certes un peu malveillants et emprunts d'un parti-pris indubitable, mais aprĂšs tout, cela fait son charme. Pour moi, lire un de ses romans a toujours Ă©tĂ©, de la premiĂšre Ă  la derniĂšre page il y en a quand mĂȘme 436 ! un bon moment de lecture. HervĂ© GAUTIER La Feuille Volante n° 515 – Avril 2011 Le Marin Ă  l'ancre - Bernard GIRAUDEAU Ed. MĂ©tailiĂ© D'abord l'histoire sans laquelle un roman n'en est probablement pas un. Deux personnages principaux, l'un d'eux, Roland est tĂ©traplĂ©gique, " ancrĂ© " sur un fauteuil roulant, sa " galĂšre Ă  roulettes " et Bernard a Ă©tĂ© ce marin de dix-sept ans, sur la Jeanne d'Arc, naviguant sur les mers du globe, puis est devenu comĂ©dien, rĂ©alisateur... Pour lui il sera " tĂ©moin "... Entre eux, des lettres Ă©crites par Bernard pour Roland, pendant dix annĂ©es... Il y raconte ses souvenirs, ses aventures, une sorte de voyage par procuration dans les ports et sur les lieux de tournage, dans des pays lointains que son ami ne verra jamais, qu'il ne connaĂźtra que par la force de ses mots... Il lui offre avec pudeur des paysages magnifiques, comme ceux des cartes postales mais aussi des images de ports parfois crasseux, avec leurs relents de graisse, d'alcool et de vomissures. Il lui livre aussi ses rĂ©flexions personnelles sur la vie, sur ceux qu'il croise, note que l'homme n'est pas aussi bon que les philosophes du SiĂšcle des LumiĂšres ont voulu nous le faire croire, met ses pas dans ceux de RenĂ© CailliĂ©, de Pierre Loti, de Francisco Colloane ou d'Antoine de Saint-Exupery. Il mĂȘle dans son rĂ©cit ses souvenirs de jeune matelot embarquĂ©, d'Ă©lĂšve de l'Ă©cole des mĂ©caniciens de la marine Ă  St Mandrier oĂč Ă  quinze ans les rĂȘves d'enfant s'effondrent dans des odeurs de cuisine, d'Ă©quipages ou de salles des machines, que naissent les fantasmes et les fanfaronnades d'une adolescence Ă  peine entamĂ©e... Il y ajoute ses expĂ©riences d'homme, d'Ă©crivain-voyageur, retrace la dĂ©couverte des femmes et de leur fragrance, celle de lui-mĂȘme aussi, de son destin qui peu Ă  peu se tisse, une chronique Ă  la fois nomade et intime, livrĂ©e Ă  travers un texte parfois intensĂ©ment poĂ©tique, parfois, trivial, brut et sans artifice... Cela aussi j'aime bien ! Des femmes, il dit " qu'elles naviguent dans le vent comme l'algue sur l'ocĂ©an, qu' elles bougent comme la houle ", mais sous chaque mot qui les Ă©voque, je choisis de voir leur beautĂ© Ă  laquelle nul ne peut ĂȘtre indiffĂ©rent. Il parle simplement de " la douceur des femmes du sud ", des vahinĂ©s de Gauguin, des femmes Ă  la peau ambrĂ©e et en parĂ©os bleus des Marquises, des filles de Manille dont " les rires s'Ă©parpillent sur la pierre chaude ", de cette irrĂ©elle et sensuelle dame de Balboa dont un quartier-maĂźtre de la Jeanne fut l'Ă©phĂ©mĂšre amant, de cet Iva " qui avait du satin au creux des cuisses "... Il parle aussi des bordels tristes, des Ă©treintes fugaces et sans joie, des prostituĂ©es qui se vendent aux marins en escale pour manger parce que la misĂšre est leur quotidien. Il Ă©voque tout aussi bien ces Ă©pouses adultĂšres qui trompent leur conjoint pour un peu de jouissance, pour le plaisir d'enfreindre l'interdit ou de cultiver la trahison. Pour cet interlocuteur lointain restĂ© Ă  terre, il se fait tour Ă  tour guide, tĂ©moin d'exception, Ă©rudit, historien mĂȘme, respectueux des coutumes et des traditions, mais aussi simple Ă©tranger de passage quelque fois pressĂ© de partir, pour qu'Ă  l'immobilitĂ© de l'un rĂ©ponde le mouvement de l'autre. C'est la marque d'une amitiĂ© tissĂ©e Ă  travers des mots confiĂ©s au papier messager, l'ambiance des ports, de La Rochelle Ă  Dakar de Diego SuarĂšs Ă  Marseille ou Valparaiso, autant de lieux mythiques oĂč le dĂ©paysement le dispute Ă  l'invitation au voyage, oĂč l'Ă©criture de l'auteur suscite l'Ă©motion et l'imaginaire du lecteur. Bernard et Roland voulait partir ensemble aux Marquises. Ils n'en ont pas eu le temps, Roland qui n'a connu que l'Ăźle de RĂ© et les pertuis a Ă©tĂ© rejoint par la mort en dĂ©cembre 1997, a " dĂ©cidĂ© de voyager libre comme un papillon du silence ". Ce roman a Ă©tĂ© publiĂ© en 2001 et a sans doute consacrĂ© la naissance d'un auteur. Il fut suivi d'autres qui ne laissĂšrent pas cette revue indiffĂ©rente La Feuille Volante n°316 - 373 Pour moi, simple lecteur, je ne considĂ©rerai jamais que la valeur d'un livre rĂ©side dans sa seule nouveautĂ©, il reste un tĂ©moignage pĂ©renne. Au delĂ  de ce premier ouvrage, du regard bleu de l'acteur et de son charisme, de sa lutte dĂ©sespĂ©rĂ©e contre la souffrance et contre la mort, de son tĂ©moignage et de l'Ă©motion qui a suivi sa disparition brutale La Feuille Volante n° 438, Bernard Giraudeau avait ce talent d'Ă©crivain qui, de livre en livre, allait s'affirmant. Je ne me lasserai jamais de dire que la mort est un gĂąchis et, si elle ne l'avait pas fauchĂ©, il serait assurĂ©ment devenu un Ă©crivain majeur, apprĂ©ciĂ© Ă  la fois pour son message et pour la façon originale qu'il avait de l'exprimer. Sa dĂ©marche crĂ©atrice n'Ă©tait pas diffĂ©rente de celle formulĂ©e par Victor Segalen, un autre marin-Ă©crivain, [" Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision "], de redessiner pour son lecteur un dĂ©cor, de l'y inviter et de susciter le rĂȘve. J'ai lu ce livre comme je l'aurais fait d'un roman d'Alvaro Mutis, d'Henri de Monfreid ou de Jack London. J'ai suivi Bernard dans le dĂ©sert et sur les mers, j'ai imaginĂ© le sac de l'Ă©ternel errant, du marin perpĂ©tuellement en partance, moi qui ne suis qu'un terrien pantouflard ! [je dois probablement Ă  mes origines charentaises le goĂ»t du port des chaussons du mĂȘme nom ]. J'ai surtout lu ce roman avec Ă©motion Ă  cause du message, certes mais aussi parce que celui qui en a tracĂ© les lignes a maintenant rejoint le nĂ©ant, que son destin s'est soudain brisĂ© et qu'il n'Ă©crira plus. HervĂ© GAUTIER La Feuille Volante n° 514 –Avril 2011 Je suis une force qui va ! et je serai celui-lĂ  ! - V. HUGO A Gide Ă  qui on demandait quel Ă©tait le plus grand poĂštes français, il rĂ©pondait " Victor Hugo ", mais ajoutait aussitĂŽt, non sans une certaine perfidie " HĂ©las !", comme si, dans son esprit la quantitĂ© l’emportait sur la qualitĂ© !SusceptibilitĂ© d’auteur, peut-ĂȘtre ? Qu’importe
 mais nous sommes nombreux, anciens Ă©lĂšves de l’enseignement secondaire Ă  en vouloir un peu Ă  ce grand homme et Ă  d’autres aussi d’ailleurs ! ne serait-ce que parce que l’éducation nationale, sous couvert d’éduquer notre mĂ©moire imposait qu’on apprĂźt de la poĂ©sie, qu’on retĂźnt par cƓur des vers sans pour autant connaĂźtre l’auteur. Victor Hugo Ă©tait du lot ! Il n’empĂȘche, la personnalitĂ© de cet homme, sa vie au quotidien vue par Max Gallo, humaniste et Ă©crivain ne pouvait que m’intĂ©resser et faire de moi un lecteur attentif tant Hugo fait partie de notre patrimoine national ! Dans un style simple, agrĂ©able, pĂ©dagogique mĂȘme, il nous prĂ©sente l’homme, nous dit que son enfance fut difficile entre un pĂšre militaire, Ă©perdument amoureux d’une mĂšre que pourtant il finit par dĂ©laisser au profit d’une maĂźtresse officielle, les absences paternelles qui lui firent connaĂźtre, aux cĂŽtĂ©s de sa mĂšre, la solitude et sinon la pauvretĂ©, Ă  tout le moins la prĂ©caritĂ© ! L’enfant vĂ©cut mal la sĂ©paration finale de ses parents, leurs dĂ©chirements. Ses Ă©tudes en pension, sa santĂ© fragile, la concurrence avec ce frĂšre aĂźnĂ© qu’il dĂ©passera bientĂŽt... Il puisa dans ces Ă©preuves prĂ©maturĂ©es le besoin d’écrire, de mĂȘme que dans l’amour naissant qui deviendra une vĂ©ritable passion pour AdĂšle qu’il Ă©pousera. Puis ce sera le divorce de ses parents permis par le Code NapolĂ©on et les vicissitudes financiĂšres de son pĂšre, tantĂŽt comblĂ© d’honneurs, tantĂŽt en demi-solde. Il en souffrira autant que la prĂ©sence de cette marĂątre Ă  qui il oppose sa mĂšre aimante et dĂ©vouĂ©e. A travers cette femme bafouĂ©e, il fait l’apprentissage du mariage, Ă  travers l’itinĂ©raire du pĂšre, celui de la vie en sociĂ©tĂ©. Il se souviendra plus tard de ces deux exemples surtout lui dont la vie matĂ©rielle dĂ©pend dĂ©jĂ  de sa plume, du talent, mais pas encore du gĂ©nie ! La vie est une chose bien Ă©trange. On s’y accroche, le plus souvent en jurant qu’elle est belle et qu’elle mĂ©rite d’ĂȘtre vĂ©cue au point qu’on la traverse comme si on Ă©tait immortel alors que la mort nous guette et que le quotidien se charge de nous donner des leçons. Hugo n’échappera pas Ă  cette condition humaine qui souvent fait qu’on suit l’exemple pourtant combattu de ses propres parents. Le pĂšre Ă©tait volage, le fils lui ressemblera, multipliant les aventures amoureuses mais conservant son Ă©pouse AdĂšle qu’il continue d’aimer passionnĂ©ment, mĂȘme s’il la dĂ©laisse au point qu’elle aille chercher dans d’autres bras cet amour que son mari dispense si largement Ă  ses maĂźtresses, Juliette Drouet et combien d’autres
 Ses nombreuses amours sont bourgeoises, aristocratiques, ancillaires ou vĂ©nales, mais Victor, plus que son pĂšre sans doute ne pourra jamais se passer des femmes, de leurs corps, du plaisir mĂȘme fugace qu’elles lui donnent et y compris dans un Ăąge avancĂ©, il aime toucher, voir, pĂ©nĂ©trer ces femmes au point qu’il note sur son carnet chaque passade en latin ou en espagnol avec des prĂ©cisions sibyllines et bien peu poĂ©tiques, et parfois le prix qu’il a payĂ© pour cet Ă©garement. Lui qui prĂ©tendait que ces notes Ă©taient destinĂ©es Ă  des ouvrages Ă  venir, on imagine la jubilation de Gallo d’avoir, peut-ĂȘtre su les dĂ©chiffrer ! C’est que, l’ayant connu, il sait ce qu’est la nĂ©cessitĂ© et comprend ces femmes mais son besoin priapique le pousse parfois vers le quartier des prostituĂ©es ! C’est que l’homme attire les femmes. Il les lui faut toutes ÂĄTodas ! et il en aura beaucoup ! Elles s’offrent Ă  lui, malgrĂ© leur jeune Ăąge, leur condition d’épouses, leur rang social, leurs opinions politiques
Et dans l’ombre de son mĂ©nage officiel se tient toujours Juliette Drouet qu’il n’épousera jamais mais qui lui restera fidĂšle au point de risquer sa vie pour lui, de le suivre dans son exil, d’ĂȘtre sa copiste, son amante
 Il la sĂ©questre pour mieux l’aimer, pour mieux la garder pour lui seul et elle acceptera sans ciller la loi de cet homme. Elle sera sa chose oh combien consentante parce que simplement elle est aussi amoureuse de lui que lui d’elle ! Quand Hugo sera veuf, Juliette deviendra sa compagne " officielle ", gĂ©rante de sa fortune, mais, peut-ĂȘtre davantage qu’AdĂšle, elle sera plus prĂ©venante, plus jalouse, plus inquisitrice mĂȘme ! Elle l’aime, le sait infidĂšle, lui rappelle ses devoirs et mĂȘme la simple dĂ©cence, mais il y a entre Hugo et les femmes une envie plus forte que l’amour, un besoin charnel. Presque au pas de la mort, il ressentira cela comme une vitale nĂ©cessitĂ© ! L’épouse " officielle " ferme les yeux sur les Ă©garements de son mari, mĂȘme s’il compte et lui dispute parfois l’argent qu’il lui donne ! C’est qu’il n’oublie pas les premiĂšres annĂ©es, les mansardes et les appartements exigus. MalgrĂ© la richesse et la gloire qu’il connaĂźtre ensuite, il se souviendra toujours de la condition des pauvres, les dĂ©fendra, leur viendra en aide, sera, dans son Ɠuvre le tĂ©moin de ce prolĂ©tariat que la monarchie et l’empire bafouent, humilient et Ă  qui ils refusent la libertĂ© ! C’est que Hugo, dont le seul mĂ©tier est d’écrire veut rĂ©ussir, et pas seulement en littĂ©rature. DĂ©clarant qu’il veut " ĂȘtre Chateaubriand ou rien ", il mĂȘle dans ce vƓu les Lettres et la politique. Pour cela, il recherche l’appui et l’amitiĂ© des grands. Certains la lui accordent sans arriĂšres-pensĂ©es, tel ThĂ©ophile Gautier qui illumina de sa prĂ©sence " la bataille d’Hernani ", d’autres seront plus tiĂšdes comme Sainte-Beuve Ă  qui son Ă©pouse semble accorder ses faveurs mais qui ne sera jamais vraiment un soutien pour lui ! Quand celui dont les mots coulent des mains comme l’eau d’une fontaine publie un livre, il recueille souvent des compliments mais les palinodies, les railleries, les quolibets de ceux qu’ils croyaient siens se manifestent parfois au grand jour. Dans la force de l’ñge, il rĂ©agit, s’emporte, mais la vieillesse le rend fataliste. Pourtant il vit et comme le fait si justement remarquĂ© Max Gallo, " Écrire, c’est comme respirer, quand on s’arrĂȘte on meurt ! " Il vivra longtemps, lui a qui on peut appliquer cette phrase de Voltaire. Sa seule force c’était sa plume qui " [avait] la lĂ©gĂšretĂ© du vent et la puissance de la foudre ". GrĂące Ă  ce formidable don d’écrire, cette inspiration qui le rĂ©veille mĂȘme la nuit, il pĂšse sur le cours des choses, obtient des grĂąces, des amnisties pour les condamnĂ©s Ă  mort, pour les insurgĂ©s de la Commune
 Mais cela ne lui suffit pas, il voudrait ĂȘtre Pair de France, le roi l’élĂšvera Ă  cette dignitĂ©, en fera son confident, son conseiller. Un poste de ministre est Ă  sa portĂ©e, mais l’affaire ne se fait pas. Pourtant, il sait qu’il ne fera avancer les choses que par la politique. Cela ne l’empĂȘche pas d’hĂ©siter un temps entre la royautĂ© et la RĂ©publique mais quand c’est l’Empire qui se prĂ©sente, celui de " NapolĂ©on le petit ", il s’exile Ă  Guernesey. Pour lui, il n’y a qu’un NapolĂ©on, Bonaparte, qu’un Empire, le Premier ! Et quand il s’agira de se battre, il le fera avec les pauvres, avec le peuple ! Pourtant, mĂȘme comblĂ© d’honneurs, de rĂ©ussite sociale, de richesses, mĂȘme Ă©lu de justesse Ă  l’AcadĂ©mie Française, il reste un homme d’action et quand le monde bouge autours de lui, il dĂ©fend les pauvres mais combat l’anarchie, se fait le dĂ©fenseur de l’ordre. C’est peut-ĂȘtre une contradiction, mais au moins il agit selon son cƓur, il fait ce qui lui semble ĂȘtre son devoir. Comme tout homme, il est Ă  la fois ambitieux et pusillanime. Il se veut un homme d’action, alors qu’il est surtout un homme de paroles. Il voudrait ĂȘtre vertueux, mais les femmes l’obsĂšdent. Il se voudrait gĂ©nĂ©reux il l’est parfois, mais compte comme s’il avait peur de manquer, il voudrait ĂȘtre socialiste et rĂ©volutionnaire mais son ambition politique le pousse souvent au conservatisme et quand il est l’élu de la droite, il n’a de cesse de rĂ©clamer une politique de gauche. Il est richissime, mais rĂ©clame le corbillard des pauvres pour son enterrement qui pourtant l’emporte au PanthĂ©on ! Il combat l’hypocrisie, mais applique rarement ce principe Ă  sa vie privĂ©e. C’est que l’homme ne laisse jamais indiffĂ©rent, qui dĂ©nonce, dĂ©clenche la haine autant que l’admiration. Il est un homme libre ! Il est des ĂȘtres qui semblent portĂ©s leur destin sur leurs Ă©paules au point que leur vie ne peut se dĂ©rouler en dehors d’eux. Hugo est de ceux-lĂ . Il y a eu sa vie, longue, admirable et mouvementĂ©e, mais surtout, il y a la mort, moins la sienne que celle de ceux qui l’entourent surtout quand le cours des choses s’inverse et qu’on porte en terre un parent plus jeune, son frĂšre, ses deux fils, sa fille, son premier petit-fils, son autre fille, morte-vivante enfermĂ©e dans un asile d’aliĂ©nĂ©s
 Il va tenter d’apprivoiser cette mort qui dĂšs lors ne lui fait plus peur. A Guernesey, il correspond avec l’au-delĂ . Il va la combattre par l’écriture, par le corps des femmes, par cette extraordinaire vitalitĂ© et longĂ©vitĂ© qui a non seulement fait de lui un " immortel ", mais qui, selon le mot de Malraux, a " arrachĂ© quelque chose Ă  la mort . " Il sent la sienne s’avancer Ă  travers des signes, des coups frappĂ©s dans la nuit et qui le rĂ©veillent
 Il est des livres qu’on oublie en les refermant. Ces deux tomes, pour moi ne sont pas de ceux-lĂ  ! Dans cette Ɠuvre magistrale, le portrait de Hugo nous est brossĂ© jusque dans ses moindres dĂ©tails. Si Max Gallo reconnaĂźt la grandeur et les mĂ©rites de l’homme de plume, de cƓur et d’action, il n’en note pas moins ses contradictions sans oublier qu’il a Ă©tĂ© aussi un prĂ©curseur politique, demandant l’abolition de la peine de mort, rĂȘvant des États-Unis d’Europe avec pour langue officielle le français. C’est peut-ĂȘtre un peu Ă  lui Ă  qui pensait Aragon quand plus tard il a Ă©crit " Rien n’est jamais acquis a l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cƓur
 " et c’est peut-ĂȘtre en Ă©cho que lui a rĂ©pondu. Jean Ferrat " Le poĂšte a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon et l’avenir est son royaume
 " HervĂ© GAUTIER LA FEUILLE VOLANTE n° 242 – AoĂ»t 2002 L'Ă©cluse des inutiles - Jean-François POCENTEK D'abord il y a le livre, un objet qu'on tient dans ses mains mais dont il faut couper les pages avant de les lire ; cette opĂ©ration un peu nostalgique laisse toujours des barbes de papier sur la tranche. Au coin de chaque feuillet qui a Ă©chappĂ© Ă  la lame on trouve mĂȘme un peu du suivant et cela rappelle l'enfance, donne l'image d'une certaine imperfection qui me plait bien quand tout aujourd'hui tend vers l'excellence... On peut donc entamer la lecture ! Le titre ensuite dans lequel figure le mot " inutiles " qui rĂ©sonne bizarrement dans cette sociĂ©tĂ© oĂč chacun doit ĂȘtre efficace et surtout Ă©taler sa rĂ©ussite sans quoi elle n'a aucune valeur ! Le dĂ©cor enfin, celui du Nord de la France en novembre, un canal trĂšs ordinaire, une eau sombre avec une Ă©cluse et quatre maisons perdues. On y accĂšde Ă  pied et dans l'une d'elle, celle de Mathilde, on vient y partager un repas en l'honneur d'on ne sait quoi, la mort d'une chienne ou la venue de la suivante. Images d'un temps immobile, de gens plus ou moins exclus de cette sociĂ©tĂ© parce qu'ils sont sans travail ou infirmes, sorte de " bernard l'ermite " occupant des coquilles vides qui passent dans cette vie et finissent par mourir parce que lĂ  est la condition de tous les hommes. Que ce soit Marceau, l'ancien maĂźtre de forge, Marcial l'infirme, Marthe, Mathilde, l'enfant immobile ou le narrateur, simple employĂ© d'un bureau d'objets trouvĂ©s prĂšs de la gare, ils sont tous porteurs d'un message, ont tous une histoire Ă  raconter, mais le font en silence et c'est pour cela qu'ils partagent ce repas, peut-ĂȘtre aussi parce qu'ils se ressemblent tous, qu'ils sont tous des anonymes. C'est une sorte de rituel autour de la cuisiniĂšre Ă  charbon qu'on ferme avec des cercles de fonte, du tabac Ă  fumer qu'on roule entre ses gros doigts, des odeurs domestiques, le son d'un carillon, les arĂŽmes du cafĂ©, les silences et l'Ă©conomie des mots qu'on prononce en hommage aux morts, le vin qu'on boit dans des verres entrechoquĂ©s... On y Ă©voque le passage sur terre de ceux qui ne font plus partie des vivants mais qui " ont marquĂ© la mĂ©moire des lieux ", ont aimĂ© cette vie parce qu'elle est un bien unique auquel on s'accroche parfois dĂ©sespĂ©rĂ©ment. A la fin de ce repas, on avance vers le canal, comme on mĂšnerait une procession, pour aider Ă  la digestion ou voir le paysage... Puis on se quitte parce que c'est la rĂšgle et que le temps a ses exigences, avec en prime le chagrin, l'eau dans les yeux, mĂątinĂ©s si on veut y croire, par l'espoir d'un retour, d'une nouvelle rencontre, avec le rituel des embrassades, des accolades, des serrements de mains et des paroles. Et puis le temps change, les maisons sont dĂ©truites, les gens meurent ou disparaissent ... Je ne sais pas pourquoi, peut-ĂȘtre Ă  cause de ma vieille attirance pour la poĂ©sie, pour la musique des mots, pour l'ambiance que distille ce texte, mais j'ai bien aimĂ© ce livre et j'ai eu envie de tourner les pages de ce qui n'est peut-ĂȘtre pas un roman. J'y ai entendu une sorte de musique un peu triste mais aussi trĂšs douce, un monde diffĂ©rent devant lequel on passe parfois sans le voir tant il est ordinaire. Il est question de l'Ă©clusier, parce que l'Ă©cluse justifie sa prĂ©sence [il parle aussi Ă  la premiĂšre personne, comme le narrateur] il est prĂ©sent et absent Ă  la fois, Ă  contre-champ, Ă  contre-jour, Ă  la fois gardien de ce petit bout de planĂšte, veilleur, guetteur... Comme les autres personnages il ressemble Ă  des fantĂŽmes. Ils parlent de la petitesse du monde qui les entoure et dont il ne font mĂȘme plus partie. C'est que le peuple du canal est fait de " ramasseurs de trĂ©sor ", de " cueilleurs de grenouilles ", de " coupeurs de queues de rat " autant de membres d'une communautĂ© qui s'identifie au canal, Ă  son chemin, Ă  ce paysage lui-mĂȘme! Et puis il y a les mots qu'on porte en soi, parfois longtemps et qui finissent par sortir un beau jour ou une belle nuit, sans crier gare, parce que c'est l'heure, parce qu'ils en ont dĂ©cidĂ© ainsi. Les gens pressĂ©s appellent cela l'inspiration, mais on n'est pas forcĂ© d'acquiescer Ă  leurs allĂ©gations. Pourtant ces mots sont maintenant emprisonnĂ©s dans un livre, imprimĂ©s sur des pages qu'ils noircissent, Ă  jamais exprimĂ©s pour des lecteurs innombrables, passionnĂ©s ou indiffĂ©rents, c'est selon ! La Feuille volante n° 414 - Avril 2010 HervĂ© GAUTIER Des hommes et des dieux - Xavier BEAUVAIS Il est des films dont la projection laisse le spectateur sans voix. Ce film est de ceux-lĂ  et l'impression premiĂšre que j'ai eue, la lumiĂšre revenue, fut le silence, l'immobilitĂ© des gens, leurs larmes secrĂštes peut-ĂȘtre? On pouvait y lire Ă  la fois l'horreur pour cette mort atroce pourtant tout juste Ă©voquĂ©e, l'admiration pour l'abnĂ©gation de ces hommes et pour leur sacrifice consenti, la rĂ©volte contre la violence, la fascination pour le courage d'aller au-devant d'une mort certaine et acceptĂ©e, la fin d'une mission terrestre, le commencement d'une autre vie... D'Ă©vidence, ce genre d'exemple ne laisse pas indiffĂ©rent ! Au-delĂ  des Ă©vĂ©nements que tout le monde a encore en mĂ©moire [ Une communautĂ© de huit moines trappistes qui vit en harmonie depuis longtemps Ă  TibhĂ©rine au Maghreb algĂ©rien en contact avec la population arabe Ă  qui elle vient en aide, sa prise en otage en 1996 puis son assassinat dans un rituel inconnu et barbare – on ne retrouvera que leurs tĂȘtes mais pas leurs corps] mais qui reste encore aujourd'hui un mystĂšre, il y a ce film. MĂȘme s'il est librement inspirĂ© de faits rĂ©els, il nous rappelle encore une fois que chaque homme est mortel, mĂȘme si dans nos civilisations occidentales cette Ă©vidence est encore taboue. Il parle aussi de cette propension qu'ont les hommes Ă  s'entretuer avec pour cela l'excuse de la religion comme le rappelle cette pensĂ©e de Pascal opportunĂ©ment citĂ©e, mais aussi de l'acceptation de cette mort que l'on sent rĂŽder, sous la forme de groupes armĂ©s islamiques incontrĂŽlĂ©s. DĂšs lors se pose, pour les moines, le problĂšme de l'abandon de cette population arabe aux exactions des islamistes ou le maintien de leur prĂ©sence au monastĂšre quoiqu'il arrive. Un monastĂšre est constituĂ© par un groupe d'hommes venus d'horizons diffĂ©rents avec des personnalitĂ©s diffĂ©rentes, soudĂ©s par la seule force de leur foi, de leur mission et par la rĂšgle de leur ordre. DĂšs lors, quitter les lieux revient aussi Ă  fissurer la cohĂ©sion de la communautĂ©, d'accepter d'opposer Ă  la violence extĂ©rieure la force de la priĂšre et de l'exemple quoiqu'il puisse en coĂ»ter! Ce cheminement vers l'acceptation du martyre est bien montrĂ© dans le doute de chacun au dĂ©but puis, Ă  la fin, dans un ultime repas pris en commun la cĂšne! que FrĂšre Luc Michael Lonsdale Ă©poustouflant de rĂ©alisme et d'humanitĂ© qui se pose avant tout en homme libre choisit d'agrĂ©menter de vin rouge comme le sang du sacrifice et de la musique profane de TchaĂŻkovski Le lac des cygnes Ă  la place de la traditionnelle lecture de textes sacrĂ©s, comme on abandonne ce monde terrestre, les larmes vite essuyĂ©es du vieux FrĂšre AmĂ©dĂ©e, la dĂ©termination de FrĂšre Christian Lambert Wilson en contemplatif dĂ©terminĂ©, la dĂ©cision de toute la communautĂ©... Ce n'est pas un film confessionnel au sens strict du terme puisque la vie des moines dans ce coin de l'Atlas se dĂ©roule sans la moindre volontĂ© de prosĂ©lytisme. Ils soignent indiffĂ©remment tous ceux qui se prĂ©sentent au monastĂšre, prient pour l'Ăąme d'un enfant assassinĂ© autant que celle du rebelle assassin, parlent librement du monde extĂ©rieur... Il n'y a pas de message proprement Ă©vangĂ©lique les moines citent Ă  la fois le Coran et l'Évangile - on peut parfaitement ĂȘtre athĂ©e et ĂȘtre bouleversĂ© par cet exemple, seulement la mise en Ă©vidence des valeurs humaines de tolĂ©rance, de charitĂ©, de fraternitĂ© entre les hommes, maintenant fortement gommĂ©es par notre mode de vie oĂč la rĂ©ussite sociale, financiĂšre, professionnelle, le paraĂźtre, sont les seuls critĂšres. L'image donnĂ©e par le monde au quotidien en procure tous les jours l'illustration. Ces moines sont des hommes de dieu et choisissent d'opposer leurs fragiles chants liturgiques aux vrombissements des hĂ©licoptĂšres de l'armĂ©e, dĂ©cident, contre toute logique, de rester au monastĂšre malgrĂ© les mises en garde des autoritĂ©s incapables d'assurer l'ordre public dans un pays en totale dĂ©composition, opposent un refus silencieux Ă  la dĂ©lation mĂȘme si elle vise Ă  livrer des terroristes et mĂȘme si en jouant ce jeu, les moines se protĂšgent indirectement. Ils rappellent d'une maniĂšre apparemment anachronique que leur vie ne vaut rien parce qu'elle est dĂ©jĂ  offerte Ă  dieu et qu'ils doivent accepter sa volontĂ© sous quelque forme qu'elle se prĂ©sente. Il y a quelque chose de grand dans l'acceptation de ce sacrifice. De nos jours encore, des hommes que tout dĂ©signait pour un parcours brillant et carriĂ©riste choisissent de tout quitter, de refuser une vie de famille, d'embrasser la pauvretĂ©, l'abnĂ©gation, le service de l'humanitĂ© et la foi en un dieu qu'ils n'ont jamais vu mais qu'ils servent aveuglĂ©ment, parce que lĂ  est le vĂ©ritable sens de leur vie. Le silence, la priĂšre, la foi sont leurs seules armes. En cela ils forcent le respect, apportent un certain apaisement et un exemple de dignitĂ©. Ce n'est pas un film qui oppose l'islam et l'Évangile, ce sont toutes deux des religions rĂ©vĂ©lĂ©es, des religions du Livre, qui prĂŽnent la tolĂ©rance, la charitĂ©, le respect de l'autre, ce n'est mĂȘme pas un film contre les islamistes, leur vision meurtriĂšre du monde et leur mauvaise interprĂ©tation du Coran. Les circonstances " historiques " eussent Ă©tĂ© diffĂ©rentes, le rĂ©sultat n'en aurait pas moins Ă©tĂ© le mĂȘme. Les hommes continueront de s'entretuer tant qu'ils vivront! Le film n'apporte pas de rĂ©ponse Ă  ces exĂ©cutions, ce n'Ă©tait d'ailleurs pas le sujet, mĂȘme si on a pu se livrer Ă  des supputations sans le moindre fondement, si le mystĂšre entoure encore cette prise d'otages et le marchandage qui y a fait suite. L'important est ailleurs, au-delĂ  du spectacle qui ne veut sans doute pas emporter l'adhĂ©sion du spectateur mais lui donner l'occasion de remettre en question des idĂ©es reçues, de rĂ©flĂ©chir sur un monde qui devient chaque jour plus fou. C'est assurĂ©ment la mise en Ă©vidence d'un exemple bouleversant. Prix du Jury au 63° Festival de Cannes LA FEUILLE VOLANTE n°458 - Septembre 2010 ÓHervĂ© GAUTIER La carte et le territoire - Michel HOUELLEBECQ Tout commence un 15 dĂ©cembre par la panne d'un chauffe-eau chez Jed Martin, peintre et ex-photographe. Son pĂšre, Jean-Luc Martin, ancien architecte et d'une entreprise de construction, veuf, vit actuellement dans une maison de retraite. Le pĂšre et le fils qui ne sont pas vus depuis longtemps prennent ensemble un repas de NoĂ«l. Entre eux, il n'y a jamais eu que des relations distantes. Auparavant, Ă  l'occasion des obsĂšques de sa grand-mĂšre, dans la Creuse, Jed se prend de passion pour les cartes routiĂšres Michelin qu'il photographie. De plus, il rencontre une trĂšs belle femme d'origine russe, Olga, qui justement travaille dans cette entreprise. Naturellement, ils deviennent amants et elle le lance. Avec lui, la carte, Michelin, objet Ă©minemment utilitaire, va entrer dans le monde de l'art avec une exposition de ses Ɠuvres intitulĂ©e "La carte est plus intĂ©ressante que le territoire". Le lecteur cherchera peut-ĂȘtre vainement la signification du titre de ce roman dans cette phrase. Il se souviendra opportunĂ©ment que, sans faire de parallĂšle abusif, le gĂ©nial Boris Vian a Ă©crit une merveilleuse histoire qui, bien qu'elle s'intitule "L'automne Ă  PĂ©kin" ne se passe ni en automne ni Ă  PĂ©kin. Jed s'intĂ©resse ensuite aux "mĂ©tiers simples", c'est-Ă -dire en voie de disparition avant de revenir Ă  la peinture. Cela lui permet d'envisager une exposition dont il confie la rĂ©daction du catalogue Ă  Michel Houellebecq, soi-mĂȘme ! Pourquoi ne pas admettre cette maniĂšre de mise en abyme originale ? Et ce d'autant qu'il lui propose de faire son portait ! Son exposition porte d'ailleurs sur des cĂ©lĂ©britĂ©s et cela fait de lui un vĂ©ritable "artiste" international... mais surtout lui assure la richesse. Ce qu'il veut pourtant c'est ĂȘtre le tĂ©moin privilĂ©giĂ© par sa peinture "des diffĂ©rents rouages qui concourent au fonctionnement d'une sociĂ©tĂ©". Cette exposition est un vĂ©ritable succĂšs et aprĂšs tout ce temps passĂ© sans Olga, il la retrouve... La fin de l'annĂ©e est pour lui l'occasion du repas de NoĂ«l avec son pĂšre, de rĂ©flĂ©chir sur le succĂšs qui est fragile et Ă©phĂ©mĂšre et sur la mort, sur la dĂ©chĂ©ance physique qui sont inĂ©luctables, sur la relation au pĂšre aussi. Tout cela se termine en Suisse dans une clinique spĂ©cialisĂ©e dans la mort assistĂ©e. La troisiĂšme partie du livre s'ouvre, quelques annĂ©es plus tard, sur la mort de l'Ă©crivain, un meurtre particuliĂšrement atroce et apparemment rituel. Houellebecq a Ă©tĂ© assassinĂ© chez lui, son corps, en mĂȘme temps que celui de son chien, dĂ©capitĂ© au laser, dĂ©coupĂ© en laniĂšres rĂ©parties dans la piĂšce. Jed, que la police finira par retrouver Ă  cause du portrait qu'il avait peint de l'Ă©crivain, donnera un avis sur le meurtre et sur sa mise en scĂšne, en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  l'Ɠuvre picturale de Jackson Pollock ! Le lecteur apprĂ©ciera l'Ă©pilogue de cette partie policiĂšre du roman. Je ne suis pas trĂšs sĂ»r cependant qu'elle soit Ă  la hauteur des attentes suscitĂ©es, mĂȘme si elle est rattachĂ©e, peut-ĂȘtre un peu artificiellement, au fameux portrait que rĂ©alisa Jed de Houellebecq ! C'est l'occasion pour l'auteur de nous donner une photo du quotidien, Ă  la fois dans le domaine de la tĂ©lĂ©vision, de l'internet mais aussi de l'univers des people ou de la jet-set, en fait tout un monde superficiel, glamour et parisien. Il y glisse des images poĂ©tiques et, pĂšle-mĂȘle, des aphorismes bien sentis autant que des remarques pertinentes, et mĂȘme impertinentes sur les femmes, les artistes, les universitaires, les architectes, le droit pĂ©nal, la fortune, les banquiers, le vin, le monde rural, celui de l'art et de l'argent, la fatuitĂ© des puissants qui rĂ©clament leur portrait seulement pour passer Ă  la postĂ©ritĂ©... Sans qu'on comprenne bien pourquoi, un exil dans le Loiret, puis dans la Creuse le fait philosopher sur sa vie qui se termine. Il mĂšne une rĂ©flexion sur l'art en gĂ©nĂ©ral, sur l'utopie, sur le monde "le monde est mĂ©diocre" dit finalement Jed, sur la solitude et peut-ĂȘtre la vanitĂ© du succĂšs, la fuite du temps, la mort, le suicide. La projection qu'il imagine, la France comme une sorte de paradis qui a survĂ©cu aux crises, me laisse un peu dubitatif. Le texte se lit facilement, le style est prĂ©cis avec un grand culte du dĂ©tail, parfois technique, mĂȘme s'il a Ă©tĂ© dĂ©criĂ© et dĂ©noncĂ© comme un Ă©ventuel plagiat. Son humour Ă  base d'apophtegmes m'a bien plu. J'ai mĂȘme bien ri quand il se met lui-mĂȘme en scĂšne comme un marginal solitaire, maniacodĂ©pressif, alcoolique, misanthrope, agressif Ă  l'occasion et dĂ©tachĂ© de toute contingence, c'est-Ă -dire comme quelqu'un de pas vraiment frĂ©quentable. Le fait de n'ĂȘtre pas trĂšs tendre avec lui-mĂȘme, au moment oĂč il convient de s'auto-encenser, correspond Ă  ma maniĂšre de voir les choses. Se moquer de soi me parait ĂȘtre une valeur ajoutĂ©e intĂ©ressante ! On peut mĂȘme penser qu'il existe une grande connotation entre Jed et Houellebecq, Ă  la mesure sans doute de leurs relations, Ă  la fois distantes et quasi-chaleureuses. Que l'un soit le double de l'autre me paraĂźt une Ă©vidence. L'idĂ©e de cette fiction n'est pas mauvaise encore que son intĂ©rĂȘt labyrinthique m'a un peu Ă©chappĂ©. Les deux prĂ©cĂ©dents romans m'avaient laissĂ© une impression plutĂŽt mitigĂ©e et pour tout dire pas trĂšs bonne La Feuille Volante, n° 354 et 358. Ce n'est pas parce que ce roman a obtenu le Prix Goncourt mon hypothĂ©tique lecteur peut constater en lisant cette chronique que je n'ai pas toujours partagĂ© les choix des jurys en gĂ©nĂ©ral et de celui-ci en particulier, lĂ  j'ai pris un certain plaisir Ă  lire, sans trop savoir si cela Ă©tait dĂ» au style, Ă  la mĂ©lancolie de la fin ... ou Ă  ma curiositĂ© ! LA FEUILLE VOLANTE N° 482 – DĂ©cembre 2010 HervĂ© GAUTIER Parle-leur de batailles, de rois et d'Ă©lĂ©phants – M. ENARD Nous sommes en 1506, Michel-Angelo Buonarroti Michel-Ange vient d'ĂȘtre Ă©conduit par le pape Jules II, souverain pontife guerrier et avare avec qui il est engagĂ© pour l'Ă©dification de son tombeau Ă  Rome. Devant le refus d'une avance pour poursuivre ses travaux, le sculpteur fuit Rome, se rĂ©fugie Ă  Florence oĂč il reçoit une offre allĂ©chante du sultan de Constantinople, Bajazet, de concevoir un pont sur la Corne d'Or et qui rĂ©unira les deux parties de cette ville. C'est un extraordinaire dĂ©fi qu'il veut relever. L'occasion est trop belle, d'autant que LĂ©onard de Vinci, son illustre aĂźnĂ©, a Ă©chouĂ© dans ce projet et que Jules II ne se manifeste plus. Il dĂ©barque donc Ă  Constantinople, s'enthousiasme rapidement pour la culture turque et la vie semi-oisive qu'il mĂšne, mais, malgrĂ© un truchement, il ne parle pas la langue... Pourtant tout ici l'intĂ©resse, il goĂ»te le raffinement des plaisirs, les langueurs de l'Orient, les couleurs et les senteurs du bazar, l'harmonie de l'architecture, la beautĂ© des corps et des visages dont il se souviendra plus tard et qu'on retrouvera dans son Ɠuvre ...Mais il est avant tout sculpteur, pas architecte ni ingĂ©nieur et ce qu'il dessine volontiers ce sont les animaux et l'anatomie humaine, pas les ponts ! Le seul spĂ©cimen dont il se souvient est celui qui enjambe d'Arno Ă  Florence, et il ne le trouve pas beau ! Il se dĂ©sintĂ©resse mĂȘme quelque peu de son travail, gagnĂ© qu'il est par tout ce qu'il dĂ©couvre dans cette ville. Et puis, malgrĂ© cette invitation tentante du sultan, il s'aperçoit qu'ici comme Ă  Rome " il faut s'humilier devant les puissants " et faire ce qu'ils attendent. Alors il rĂȘve, pense qu'ici comme ailleurs " les hommes sont des enfants... On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'Ă©lĂ©phants et d'ĂȘtres merveilleux... ". Tout est donc possible. Et puis, malgrĂ© cette ville fabuleuse, mystĂ©rieuse et cosmopolite oĂč il vit incognito, il regrette Rome et sa patrie, son travail n'avance guĂšre et surtout il est chez les infidĂšles et a le sentiment d'avoir trahi tout le monde Ă  commencer par Dieu. Et il y a cette lettre qu'il reçoit et oĂč il comprend qu'il est dĂ©couvert, que la cabale qui s'est tissĂ©e contre lui va le broyer, que Jules II va se venger de sa dĂ©sertion. Pour lui ce sera la ruine, l'excommunication, la mort...Il cauchemarde, se remĂ©more le supplice de Savonarole Ă  Florence...Pourtant le Grand Turc est en paix avec les citĂ©s d'Italie. Il n'a donc rien Ă  craindre. Alors, lui qui n'est pourtant pas beau et qui n'a rien de la dĂ©licatesse des ottomans, s'adonne aux plaisirs qu'offrent cette ville et bien sĂ»r y rencontre l'amour " cette promesse d'oubli et de satiĂ©tĂ© ", mais aussi l'ambiguĂŻtĂ© des relations entre les hommes faites de sensualitĂ© et de violence, d'infidĂ©litĂ©s, de querelles politiques inoubliĂ©es aussi, dans cette contrĂ©e au carrefour des civilisations. Est-ce son jeune Ăąge, son sĂ©jour merveilleux ou ce pays, il se met au travail et parvient Ă  un dessin qui enthousiasme le sultan mais Michel-Ange comprend que " Turcs ou romains les puissants nous avilissent ", que la mort frappe pour exorciser cette jalousie que l'oubli et la frĂ©quentation des plaisirs terrestres auront du mal Ă  dissiper. Trahi par ce pays qu'il ne peut pas comprendre et oĂč il sera toujours un Ă©tranger, abandonnĂ© comme un paquet encombrant, c'est sans le sou et en secret, qu'il repart vers l'Italie qui lui manque tant. Qu'est ce qui a poussĂ© Michel-Ange dans cet intermĂšde oriental ? L'appĂąt du gain, l'envie de voir autre chose, la vanitĂ© d'ĂȘtre sollicitĂ© par un personnage puissant pour rĂ©aliser quelque chose qui Ă©tait destinĂ© Ă  traverser les siĂšcles, la volontĂ© de se venger d'un pape mauvais payeur, la consĂ©cration de son gĂ©nie prĂ©coce alors qu'il Ă©tait boudĂ© dans sa propre patrie ? L'auteur s'approprie des Ă©vĂ©nements historiques et des moments de la vie du sculpteur florentin pour tisser cette histoire passionnante dont il nous fait seuls juges [" Pour le reste, on n'en sait rien " prĂ©cise-t-il]. Il prĂȘte Ă  son sujet un dĂ©sir de revanche, une pĂ©riode de doute, d'exaltation, de dĂ©couverte du merveilleux et de l'inconnu, d'expĂ©riences, de soif de reconnaissance, de foi dans les mirages, de recherche d'autre chose qui ressemble Ă  l'enfance perdue, comme cela arrive Ă  chacun d'entre nous... DĂšs le livre ouvert, il l'exprime en termes poĂ©tiques " La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brĂ»le. On la porte au bĂ»cher, Ă  l'aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poĂštes, les amants... Je ne sais quelle douleur ou quel plaisir l'a poussĂ© vers nous, vers la poudre d'Ă©toile, peut-ĂȘtre l'opium, peut-ĂȘtre le vin, peut-ĂȘtre l'amour; peut-ĂȘtre quelque obscure blessure de l'Ăąme bien cachĂ©e dans un replis de la mĂ©moire... Tu habites une autre prison, un monde de force et de courage oĂč tu penses pouvoir ĂȘtre portĂ© en triomphe; tu crois obtenir la bienveillance des puissants, tu cherches la gloire et la fortune. Pourtant quand la nuit arrive tu trembles. Tu ne bois pas, car tu as peur; tu sais que la brĂ»lure de l'alcool te prĂ©cipite dans la faiblesse, dans l'irrĂ©sistible besoin de retrouver des caresses, une tendresse disparue, le monde perdu de l'enfance, la satisfaction, le calme face Ă  l'incertitude scintillante de l'obscuritĂ©... Alors tu souffres, perdu dans le crĂ©puscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit" . C'est un livre agrĂ©able Ă  lire, tout en nuances, plein de moments poĂ©tiques intenses et bienvenus. Il Ă©voque autant le personnage de Michel-Ange que cette citĂ© mythique oĂč le lecteur se promĂšne avec ravissement. Il est le tĂ©moin privilĂ©giĂ© de ce rendez-vous manquĂ© entre l'homme de la Renaissance et l'Orient. Actes sud. Prix Goncourt des lycĂ©ens 2010 © HervĂ© GAUTIER n° 477 - Novembre 2010
438Likes, 0 Comments - Lilya B.F | Auteur (@douceurandsabr_) on Instagram: “Livre « Apaise ton coeur et fleuris ton Ăąme » ”
A ce Printemps perduoĂč nous nous sommes aimĂ©sau bord de la riviĂšreun continuer... PrĂšs des ruisseaux, prĂšs des cascades,Dans les champs d'oliviers fleuris,Sur continuer... Reprends de ce bouquet les trompeuses couleurs,Ces lettres qui font mon supplice,Ce continuer... Tes mains ont saccagĂ© mes trĂ©sors les plus rares,Et mon cƓur est captif entre continuer... AmourRĂȘve avec moiCar je crĂšve sans toiQuand disparaissent tes atoursS’élĂšvent continuer... Quand ton esprit ravagĂ©reverdiraet que ton regard troublĂ©par l'Ă©garementretrouvera continuer... Madame, croyez-moi ; bien qu'une autre patrieVous ait ravie Ă  ceux qui vous ont continuer... Si ta bouche ne doit rien direDe ces vers dĂ©sormais sans prix ;Si je n'ai, continuer... Tu sais l’amour et son ivresseTu sais l’amour et ses combats ;Tu sais une continuer... A travers les soupirs, les plaintes et le rĂąlePoursuivons jusqu'au bout la funĂšbre continuer... Ulric, nul oeil des mers n'a mesurĂ© l'abĂźme,Ni les hĂ©rons plongeurs, ni les continuer... Ô bruit doux de la pluiepar terre et sur les toitsCe poĂšte-citadinne connaissait continuer... Voici la corde d'un penduQue je mets Ă  vos pieds, Madame,C'est, pour une charmante continuer... A vous ces vers de par la grĂące consolanteDe vos grands yeux oĂč rit et pleure continuer... Aujourd’hui, je me suis levĂ©e,Et j’ai vu le dĂ©sordre de ma vie ;Toi, continuer... Ô Femme au cƓur de qui mon triste cƓur a cru,Je te convoite, ainsi qu’un continuer... IAccourez au secours Ă  ma mort violente,Amans, nochers experts en la peine continuer... Adieu ! je crois qu'en cette vieJe ne te reverrai passe, il t'appelle continuer... Adieu Madeleine ChĂ©rie,Qui te rĂ©flĂ©chis dans les eaux,Comme une fleur de continuer... Mes pleurs sont Ă  moi, nul au mondeNe les a comptĂ©s ni reçus,Pas un oeil continuer... Allons, ange dĂ©chu, ferme ton aile rose ;Ôte ta robe blanche et tes beaux rayons continuer... De toi je connais le regard qu’avait ta mĂšre quand elle te portaitHeureux et continuer... Est-ce moi qui pleurais ainsi- Ou des veaux qu'on empoigne -D'Ă©couter ton continuer... Tu n’as pas bougĂ© d’un cilNi soumise, ni facileLe mĂȘme trait de ricilComme continuer... ITapi dans les rochers qui regardent la plage,Au pied de la falaise est le continuer... il dĂ©boule dans ses pensĂ©esdĂ©sir somptueuxmĂ©moire physiqueelle entre continuer... Angoisse Ă  hue et Ă  diaRĂ©veil martyrisĂ©PensĂ©es ombragĂ©es d'une mort qui continuer... La lune s'attristait. Des sĂ©raphins en pleursRĂȘvant, l'archet aux doigts, dans continuer... Cris d'enfantstransperçant le silencedes cerisiers en fleurDe loin une continuer... Civilisation scarifiĂ©eGĂ©ographie de l'intolĂ©rableImpression de mortNotre continuer... Cette graine que je tiensdans le creux de ma main,qu'en naĂźtra-t-il demain continuer... Au nom d'un malaise,La peine m'a assaillie,Et s'en est allĂ©e la continuer... Au temps de la Toussaint, lorsque les cimetiĂšresS’ornent de cyclamens, de buis continuer... Je ne voulais pas fragmenter ton soupirJe l'ai faitJe fais tout ce que je veuxInsouciante continuer... Une clairiĂšrefiĂšre de sa lumiĂšrela meute des regretsdĂ©sorientĂ©edes continuer... Je te mĂ©prise enfin, souffrance passagĂšre !J’ai relevĂ© le front. J’ai fini continuer... Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneuxEt son boeuf lentement dans le brouillard continuer... Toi que le ciel jaloux ravit dans son printemps,Toi de qui je conserve un souvenir continuer... Ils dĂ©ambulent l’avenir en berneVĂȘtus de notre enfance morte-VivanteZombiEsclave continuer... Lorsqu'un homme n'a pas d'amour,Rien du printemps ne l'intĂ©resse ;Il voit continuer... Ils attendent Ă  la surfaceces hĂ©ros au cƓur de glaceque sous l'immense usineau continuer... Oyez la triste histoire d'un pleurez en vie durant continuer... Que pouvez-vousmĂąnes de nos ancĂȘtresPhĂ©niciens inventeursde l'alphabet continuer... La chair est triste, hĂ©las ! et j'ai lu tous les ! lĂ -bas fuir! continuer... ILorsque le jeune Edgard, aprĂšs bien des annĂ©es,Au seuil de son chĂąteau continuer... RenaissanceDe nouveau tu te prĂ©sentesJardin juxtaposĂ©, trouble de la sĂšveT'emparer continuer... Ce printempsLe ciel est bleuIl ne pleut pas beaucoupDans les champsLes continuer... "nous avons pleurĂ© l'un dans l'autre tous les instants Ă©phĂ©mĂšres de l'union"Forough continuer... Le printemps n'a point tant de fleurs,L'autonne tant de raisins meurs,L'estĂ© continuer... Quand vous aurez prouvĂ©, messieurs du journalisme,Que Chatterton eut tort de continuer... J’ai dĂ©jĂ  vu plus d’une annĂ©e,Belle fille aux fraĂźches couleurs,Mourir continuer... La lune Ă©tait sereine et jouait sur les flots. —La fenĂȘtre enfin libre est continuer... Sur sportifs millionnaires,Acteurs oscarisĂ©sOu stars siliconĂ©es,Ô combien continuer... Quoi donc ! la vĂŽtre aussi ! la vĂŽtre suit la mienne !O mĂšre au coeur profond, continuer... L'anĂ©mone et l'ancolieOnt poussĂ© dans le jardinOĂč dort la mĂ©lancolieEntre continuer... Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes,De mon coeur oppressĂ© soulĂšve continuer... Notre histoire est noble et tragiqueComme le masque d’un tyranNul drame hasardeux continuer... Plus de fleurs mais d’étranges signesGesticulant dans les nuits bleuesDans continuer... Dans l'ombre de ce vallonPointent les formes lĂ©gĂšresDu RĂȘve. Entre les bourgeonsEt continuer... Dans la fiĂšvre du ciel nocturne, l’aube passe,Les mains fraĂźches, riant dans continuer... Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, continuer... Eclatement de la tĂȘteAujourd'hui la chaleur ne peut plus s'y engouffrerTorpeur, continuer... Il fallait la quitter, et pour ne plus me voirElle partait, mon Dieu, c'Ă©tait continuer... De gaietĂ© en gaietĂ©J'ai contrefait ma joieDe tristesse en tristesseJ'ai continuer... Presque cinq ansLa voile de ton Ăąme a reçu le dernier souffleDevant mes yeuxJ'en continuer... Ils me disent, tandis que je sanglote encore Dans l’ombre du sĂ©pulcre oĂč continuer... Quand tant d'autres continuentd'offrir des fleurstes larmespĂ©tales de l'Ăąmeont continuer... IDans les promenades publiques,Les beaux dimanches, on peut voirPasser, continuer... Elle vrombitLa viePar ici, par de-lĂ les silences me continuer... ChĂšre Ăąme, si l'on voit que vous plaignez tout basLe chagrin du poĂ«te exilĂ© continuer... Sous l’éclat blanc du jour, sous la fraĂźcheur des cĂšdres,Sous la nuit oĂč continuer... Et tout au fond du domaine loin,OĂč sont celles que l'on aime bien,La plus continuer... Dans les nuits d'automne, errant par la ville,Je regarde au ciel avec mon dĂ©sir,Car continuer... Oh ! qu'une, d'Elle-mĂȘme, un beau soir, sĂ»t venir,Ne voyant que boire Ă  Mes continuer... Le gai soleil chauffait les plaines caresses flottaient sous continuer... Elles ont des cheveux pĂąles comme la lune,Et leurs yeux sans amour s’ouvrent continuer... Sors de ta chrysalide, ĂŽ mon Ăąme, voiciL'Automne. Un long baiser du soleil a continuer... Glaciers des temps anciens qui veillez sur les plainesVerdissants dĂ©versoirs continuer... De ma fenĂȘtre le ciel est grisDes gens se pressent je ne sais pourquoiLa rue continuer... À la Maison d'ArrĂȘt de G...courent des rats en semi-libertĂ©partoutoĂč continuer... Tout cela me fait rĂȘver du pays. Les eaux vertes bouillonnantes de la riviĂšre, continuer... Rayures d'eau, longues feuilles couleur de brique,Par mes plaines d'Ă©ternitĂ© continuer... Il pleut doucement sur la villeArthur RimbaudIl pleure dans mon coeurComme continuer... IJ'aime Ă  changer de cieux, de climat, de d'une saison, je continuer... Vieille comme la hainela division rongela terre de FranceoĂč la chasse Ă  continuer... À EugĂšne le matin ridiculeQui vient dĂ©colorer la nuit,RĂ©veillant continuer... IAfin de louer mieux vos charmes endormeurs,Souvenirs que j’adore, hĂ©las continuer... Je ne peux rien retenir,Ni la lune ni la brise,Ni la couleur rose et griseD’un continuer... Je suis nĂ©e au milieu du jour,La chair tremblante et l'Ăąme pure,Mais ni l'homme continuer... Dans cette vie ou nous ne sommesQue pour un temps si tĂŽt fini,L'instinct des continuer... Mon Ăąme a son secret, ma vie a son mystĂšre,Un amour Ă©ternel en un moment conçu continuer... Le vent de l’autre nuit a jetĂ© bas l’AmourQui, dans le coin le plus mystĂ©rieux continuer... C'est la triste feuille morteQue le vent d'octobre emporte,C'est la lune, au continuer... Je suis nĂ© d'une graine de Ficus AurĂ©a,Ô combien mortel,Le figuier continuer... Une Flamme si belleDans le ciel est montĂ©e...Un oiseau irrĂ©el,Aux ailes continuer... Dans vos viviers, dans vos Ă©tangs,Carpes, que vous vivez longtemps !Est-ce continuer... Ă  Paul LĂ©autaudEt je chantais cette romanceEn 1903 sans savoirQue mon continuer... Aujourd'hui le temps est Ă©pouvantable Il pleut et mon coeur s'embĂȘte Ă  continuer... Oh ! quand cette humble cloche Ă  la lente volĂ©eÉpand comme un soupir sa voix continuer... GwVni.
  • zjsuo14bq4.pages.dev/503
  • zjsuo14bq4.pages.dev/808
  • zjsuo14bq4.pages.dev/531
  • zjsuo14bq4.pages.dev/48
  • zjsuo14bq4.pages.dev/115
  • zjsuo14bq4.pages.dev/443
  • zjsuo14bq4.pages.dev/862
  • zjsuo14bq4.pages.dev/116
  • zjsuo14bq4.pages.dev/404
  • apaise ton coeur et fleuris ton ame livre fnac